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L’Église, la République et le théorème de Thalès

Un texte puissant, un cri d'Aurélien Marq!


L’Église, la République et le théorème de Thalès
Notre-Dame-de-Paris en travaux, 15 avril 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

L’Église et la République commettent toutes deux la même faute : croire que la vocation universelle qu’elles se sont donnée leur permet de mépriser les conditions particulières qui ont rendu leur existence possible en la rendant pensable. Ce faisant elles trahissent, l’une la chrétienté, l’autre la France, et préparent leur propre disparition.


Illustration. A Metz, cinq jeunes d’origine turque, dont quatre mineurs, sont entrés dans la cathédrale pendant un concert de Bach pour hurler « Allah akbar », avant de s’enfuir et d’être arrêtés un peu plus loin par la police. Contacté par Valeurs Actuelles, un des chanoines a indiqué qu’il n’y aurait pas de plainte, et déclaré « ce qu’ils ont fait n’est vraiment pas grave, ni problématique. C’était plus par jeu. » ajoutant vouloir « éviter de mettre de l’huile sur le feu, compte-tenu du contexte actuel. »

Quel contexte actuel ? Celui de la volonté assumée d’instrumentalisation de la diaspora turque par Erdogan, au service de l’islamisation conquérante de l’Europe ? Celui de la haine antisémite qui sous couvert de « cause palestinienne » soutient la sauvagerie du Hamas et la dictature des Mollahs, bien souvent au cri de « Allah akbar » ? Celui des attentats et des agressions qu’accompagne ce même cri ? Qui, rappelons-le, ne signifie pas « Dieu est grand » mais littéralement « le dieu est plus grand. » C’est-à-dire « le dieu de l’islam est plus grand que tout », et en particulier plus grand que ce que l’on honore dans le lieu où cette phrase est prononcée lorsque ce lieu n’est pas musulman. Crier « Allah akbar » en terre non-musulmane, c’est y planter un drapeau, marquer le territoire.

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Bien sûr, il est trop tôt pour dire dans quelle mesure les cinq jeunes concernés sont conscients, eux, de ce « contexte actuel ». Mais imaginons un instant que cinq autres jeunes, « Français de souche » et catholiques, s’introduisent dans une mosquée pour hurler « Deus vult » – le cri de guerre des Croisés. Dirait-on « ce qu’ils ont fait n’est vraiment pas grave, ni problématique. C’était plus par jeu » ? Serait-on soucieux de ne pas « mettre de l’huile sur le feu, compte-tenu du contexte actuel » ? Ou verrait-on plutôt le ministre de l’Intérieur condamner fermement et se rendre sur place, pendant que la gauche, le centre et les islamistes hurleraient à l’islamophobie, à la discrimination, au racisme et au retour des heures les plus sombres ?

Un inquiétant aveuglement

Pourquoi cet aveuglement de la part de la cathédrale de Metz ? Pourquoi cette soumission ? On me dira qu’il est dans la nature du christianisme de tendre l’autre joue, mais c’est là une vision des plus simplistes. Charlemagne n’a pas tendu l’autre joue. Hugues de Payns n’a pas tendu l’autre joue. Jeanne d’Arc n’a pas tendu l’autre joue. L’idéal chrétien de la chevalerie, avec veillée d’armes et bénédiction de l’Eglise, n’a jamais été de tendre l’autre joue, mais de préférer la force à la violence.

Hélas, l’Eglise de François s’est détournée de cet idéal. Alors que Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin nous ont donné des réflexions de très haute tenue sur le juste usage de la force, François se complaît dans un pacifisme munichois. Alors que Benoît XVI a eu le courage de la vérité dans son discours de Ratisbonne, François vante la « sagesse » du Grand Imam d’Al-Azhar et l’appelle son « ami », alors que celui-ci a chanté les louanges du Hamas après les meurtres, les enlèvements, les tortures et les viols de masse du 7 octobre.

Pourquoi ? François, c’est la réponse la plus évidente, est de gauche. C’est vrai, mais c’est un peu court.

Benoît XVI, il n’y a pas si longtemps, avait fermement mis en garde contre la tentation de déshelléniser le christianisme. Or, c’est exactement ce que font François et ses partisans. Ils fantasment un christianisme débarrassé de l’influence européenne, émancipé du patient travail des siècles, émancipé de la chrétienté, un christianisme sans Aristote et sans le Roi Arthur, un christianisme sans racines historiques ni culturelles. Un christianisme qui se voudrait « à l’état pur », et renoncerait surtout à être « fruit de la terre et du travail des hommes » pour se croire révélation impérieuse tombée du ciel. Un christianisme, aussi, plein d’une haine insondable envers la civilisation européenne, dont l’existence même lui est insupportable puisqu’elle lui rappelle à chaque instant qu’il n’est pas auto-engendré.

La nation ? Une vulgaire chrysalide

En cela, l’Église est très exactement semblable à la République, et vice-versa – sans surprise, d’ailleurs, puisque la République se vit assez largement comme une Eglise de substitution, y compris dans ses aspects les plus naïvement missionnaires et les plus caricaturalement dogmatiques.

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Idéal républicain, valeurs de la République, pacte républicain, arc républicain, champ républicain, front républicain, et on brandit les chartes de la laïcité comme un exorciste ayant perdu la foi brandirait un crucifix. La république ne se contente plus d’être un régime politique, que l’on pourrait à bon droit préférer aux alternatives, elle se veut l’horizon radieux et indépassable de la destinée humaine, appelée à rassembler tous les peuples dans sa lumière glorieuse pour les conduire vers le salut – de préférence « en marche » derrière Emmanuel Macron. La nation ? Une vulgaire chrysalide, qui a peut-être eu le mérite de servir de support initial à la manifestation de la République, mais dont il est plus que temps de se défaire. La France ? Un simple territoire où accueillir, venus de toute la Terre, ceux qui aspirent à communier aux insurpassables Valeurs de la République. Les Français attachés à leur culture ? Des identitaires, populistes, complotistes, des beaufs prisonniers de crispations rances à qui l’élite éclairée, le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel vont apporter de gré ou de force les merveilles du progrès, de la diversité, du vivre-ensemble, de la lutte contre la haine, de l’Etat de droit et de l’idéal républicain. Symbole du moment, les Jeux Olympiques Républicains. Ce n’est pas un spectacle du Puy du Fou, ah ça non, c’est Djadja, genre, en catchana baby, tu dead ça, oh Djadja, et il n’y a vraiment que les fachos pour préférer les hymnes de Pindare et les « antiques péans » que célébrait Marc Bloch.

De quoi dégoûter de la république même Cincinnatus et Cicéron, à qui il ne serait jamais venu à l’idée de mépriser Rome sous prétexte qu’ils défendaient sa république. Mais la République de Laurent Fabius est à Cincinnatus ce que l’Eglise de François est au Docteur Angélique… et les bouffeurs de curé, comme ceux qui s’imaginent qu’une rechristianisation serait un rempart suffisant à l’islamisation, feraient bien de méditer ce parallèle.

La crise morale de l’Occident et des universalistes

Alors quoi ? Faut-il renoncer à tout universalisme ? Certes non. Seulement voilà : ce qu’il y a d’universel dans les enseignements de l’Eglise, comme ce qu’il y a d’universel dans ces aspirations qui, en France, ont espéré pouvoir se concrétiser dans la République, n’ôte rien à la valeur de ce qu’il y a de particulier dans le terreau culturel qui leur a donné naissance. De même que la valeur de ce qu’il y a d’universel dans les qualités exemplaires d’un homme n’ôte rien à la valeur de ce qui fait de cet homme une personne à part entière, c’est-à-dire un être unique, et pas la simple manifestation interchangeable d’un archétype.

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Enfin, ces vérités universelles sont comme le théorème de Thalès : elles sont valables toujours et partout, mais il fallait néanmoins des prérequis culturels spécifiques pour qu’elles puissent être découvertes, et il faut faire siens certains de ces prérequis pour pouvoir les comprendre et pas seulement les répéter. Dans le cas du théorème de Thalès, comme de toute la géométrie, de toute la science, il faut accepter de voir le monde comme un cosmos, une harmonie sous-tendue par des équilibres qu’il nous est possible d’effleurer par l’observation des phénomènes et le raisonnement logique. S’affranchir de cette vision, dont la Grèce et elle seule a eu le génie, c’est faire de la science un simulacre, c’est au mieux l’appliquer comme une machine applique sa programmation, mais ce n’est pas la comprendre.

Il en va de même du christianisme et de l’idéal républicain : lorsque leurs gardiens autoproclamés prétendent les émanciper du rapport au monde qui les a rendus possibles en les rendant pensables, il n’en reste que des imitations vides de sens. L’Eglise n’est plus qu’une ONG « no borders » pacifiste, hargneuse envers les siens et servile envers les autres. La République n’est plus qu’un grigri brandi par l’extrême-centre pour excommunier quiconque lui déplaît et piétiner la démocratie.

Est-il encore possible de restaurer ces deux institutions, en leur rappelant qu’elles sont les élèves de la civilisation européenne et non ses maîtres ? J’ose le croire. Mais leurs fidèles respectifs feraient bien de se mobiliser rapidement. Car pendant qu’ils se déchirent entre laïcards et calotins, ceux qui rêvent de hurler « Allah akbar » dans toutes les églises et dans toutes les mairies, eux, avancent.




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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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