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«Liberté Cathédrale» en chute libre

Au Châtelet


«Liberté Cathédrale» en chute libre
© Uwe Stratmann

« Liberté Cathédrale », mis en scène par Boris Chamatz au théâtre du Châtelet, est aussi infantile qu’insignifiant. Sous sa direction, la troupe du Tanztheater de Wuppertal, fondée par la grande Pina Bausch, oscille entre le vide et le néant.


Certes, on pouvait légitimement s’attendre au pire. Au pire, la plupart des productions de Boris Chamatz nous y ont généreusement et régulièrement habitués. Mais là, peut-être, avec « Liberté Cathédrale », le pire a été submergé par quelque chose de plus lamentable encore. Parce que ce spectacle porte le sigle du Tanztheater de Wuppertal, la troupe devenue légendaire fondée jadis par Pina Bausch et à laquelle sont ici mêlés des individus de tous bords, cela rend plus indécent, plus déplorable, le misérabilisme de cette somme d’insignifiance, laquelle se présente, à la lecture du programme, avec tant de risible prétention.

1h45 d’un vain et permanent délire

Surprise ! Avant même que le spectacle commence, salle et scène du théâtre du Châtelet où il va se commettre ont été bouleversées. Dans la salle, les sièges du parterre ont disparu sous un plancher afin de faire place à quelques gradins massés sous les quatre étages de galeries et de permettre de prolonger la scène qui le dévore presque en entier. Le plateau, lui, accueille une grande partie du public réparti sur trois côtés, côté cour, côté jardin, tout comme en fond de scène. Ce dispositif, sans doute très coûteux à installer, ménage ainsi un espace formidable, aussi majestueux et spectaculaire que ce qu’il va recevoir sera consternant. Car durant une heure et quarante cinq minutes, en cinq tableaux qui se veulent différents sans l’être véritablement, plus de 25 exécutants vont se livrer à une débauche terriblement uniforme de contorsions, de grimaces, de cris, de sauts, de reptations, de galops, et agiter leurs membres en tous sens dans un vain et permanent délire entrecoupé de silences. Le tout apparaît à ce point infantile que c’en est indescriptible. Car à quoi bon décrire ce qui ressemble au mieux à des improvisations d’adolescents attardés à qui on aurait lâché la bride pour qu’ils se livrent à une bacchanale en tous points régressive.

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Comment, sous l’effet de quelles funestes et malfaisantes influences, de quelle monumentale incompétence, a-t-on pu nommer le Savoyard Boris Charmatz pour succéder à Pina Bausch à la tête du Tanztheater de Wuppertal ? Même Rolf Salomon, le fils de Pina Bausch, a soutenu sa candidature, lui qui n’avait vu aucun de ses spectacles. Boris Charmatz au Tanztheater, c’est Yvette Horner à la tête de la Philharmonie de Berlin ! C’est le nain après la géante ! Une telle aberration a conduit nombre de danseurs « historiques » de Pina Bausch à abandonner leur collaboration avec la troupe à laquelle ils demeuraient liés. Et déjà on se mord les doigts avec cette nomination invraisemblable. D’autant plus révoltante que jusque là les plus grands interprètes du Tanztheater avaient miraculeusement réussi à maintenir parfaitement l’essence même des œuvres de la dame de Wuppertal.

Photo: Simon Gosselin

Lui, Charmatz, n’a pas peur d’affirmer, avec la candide prétention de la grenouille qui se veut aussi grosse que le bœuf, « être arrivé là pour amener l’œuvre de Pina Bausch dans l’aventure du XXIe siècle », tout en se permettant quelques retouches pour l’adapter aux nouvelles générations, « comme on rénoverait un tableau ». Ose-t-il vraiment croire les énormités qu’il profère ? C’est bien possible. Et il y a des individus dans le milieu culturel qui semblent le prendre également au sérieux et considérer ses « happenings » fatigués, façon années 1970, comme des audaces novatrices. Les actuels spectateurs du Festival d’Avignon, où l’on avait reconnu avec éclat le génie de Pina Bausch en 1981, et où l’on affichera cet été « Liberté Cathédrale », seront-t-ils aussi crédules que ceux qui ont salué ce regrettable événement au théâtre du Châtelet ? C’est bien possible encore. Et c’est bien là ce qui est inquiétant : l’aveuglement d’une partie du public, l’absence totale de discernement devant l’insignifiance ou les impostures, mécaniquement applaudies, et parfois même avec enthousiasme.

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Naguère, on conspuait à Paris les premiers chefs d’œuvre de Pina Bausch ou de Merce Cunningham parce qu’ils heurtaient un public académique et borné. Aujourd’hui, les descendants des imbéciles d’alors applaudissent le néant de ceux qui, par ailleurs, occupent les mêmes scènes.  


« Liberté Cathédrale »

Jusqu’au 18 avril. Au théâtre du Châtelet, en collaboration avec le théâtre de la Ville.
Location : 01 42 74 22 77 ou theatredelaville-paris.com



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