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De Lénine à Martine

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septembre

Le numéro du magazine Causeur de septembre vient de paraître. Plus de trente textes, dont treize inédits, et un dossier consacré à la gauche : « Déboussolée par Sarkozy, chahutée par les Verts, empêtrée dans la guerre des chefs, la gauche est à terre. Dis, Martine, c’est par où l’avenir ? » En vous abonnant, vous recevrez chez vous chaque mois par La Poste le magazine Causeur.

Les inédits du mois de septembre
A tout prix, Elisabeth Lévy
Je pense donc je twitte, François Miclo
Beatus Bearnus, Raul Cazals
Où sont les femmes ?, Luc Rosenzweig
Une certaine idée de la gauche, François Miclo
Primaires de tous les vices, Luc Rosenzweig
Fromage, dessert et champagne, Marc Cohen
Libérez Karl Marx, Jérôme Leroy
Médecine douce, Cyril Bennasar
Des droits de l’homme et du mitoyen, Bruno Maillé
Merci M. Finkielkraut, Cyril Bennasar
Jan Tschichold, Jean-François Baum
Le noir te va si bien, Jérôme Leroy

Black Russian

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Ce sont près de 400 hectares qui viennent d’être achetés par des investisseurs russes sur la Côte d’Azur, à 70 kilomètres de Nice. On parle de 200 millions d’euros mis sur la table par le promoteur immobilier Q-tec, qui a l’intention de construire là un probable ghetto pour milliardaires qui se sont servis sur la bête en dépeçant l’ex-URSS. Cet achat s’inscrit dans une longue suite d’acquisitions faites par cette nouvelle nomenklatura. Dire que pendant des années on a craint que les commandos spetnatz et les T34 viennent envahir et nous imposer l’ordre soviétique. Il semblerait, finalement, que l’invasion ait bien eu lieu. Simplement les blindés sont remplacés par des limousines aux vitres fumées et les troupes d’élites par des gars en lunettes noires avec une bosse sous la veste du costume Zegna. La seule chose qui n’aura pas changé, dans cette histoire, c’est simplement la collaboration empressée des autorités locales et des acteurs économiques. Etoile rouge ou main noire, le principal c’est que la thune continue à pleuvoir.

Eloge de l’estrade


La disparition des estrades de nos écoles est-elle un réel progrès ?
La disparition des estrades de nos écoles est-elle un réel progrès ?

Dans Nada de Jean-Patrick Manchette, un personnage assez lucide remarquait que le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique étaient, nous citons, « les deux mâchoires du même pièges à cons ».

L’école laïque, en cette rentrée 2009, est, quant à elle, sur le point d’être broyée par les deux mâchoires du piège susnommé qui sont d’une part le pédagogisme post soixante-huitard et d’autre part le néolibéralisme qui a décidé une fois pour toute que l’école, au bout du compte, ne faisait plus partie du périmètre de l’Etat ou alors juste pour les pauvres et pour maintenir une vague présence dans les quartiers histoire d’éviter que les élèves deviennent des citoyens (une conscience de classe, ça vous tombe dessus sans crier gare) au lieu de consommateurs décérébrés et frustrés. Et pour ça, pas besoin de grand-monde, on peut supprimer des dizaines de milliers de postes et laisser de maigres troupes sur un front pourtant essentiel pour qui pense, et nous en sommes, que l’école est une arme essentielle pour sauver ce qui reste d’esprit républicain dans ce pays.

Dans cette débâcle, la disparition de l’estrade peut sembler dérisoire. L’estrade, vous savez, cet accessoire semblable à une scène de théâtre qui permettait au professeur (le premier qui emploie le mot « enseignant » trahit « d’où il parle » aurait dit Lacan) de surplomber la classe. L’estrade avait, en effet, un rôle essentiel, pratique et symbolique.

Pratique, car elle permettait de surveiller les élèves. Oh bien sûr, ce n’était pas la surveillance électronique aujourd’hui à la mode, celle qui se cache dans les ordinateurs où des bases de données de plus en plus intrusives qui serviront aux psychologues, aux assistantes sociales et, en dernier recours, à la police. L’estrade n’avait rien à voir non plus avec les portiques de sécurité et les cartes à puce dont on nous promet qu’ils permettront bientôt de savoir à tout instant dans quel endroit de l’établissement se trouve l’élève. Non, l’estrade, c’était la bonne vieille surveillance à l’ancienne et non l’actuelle névrose panoptique d’une société qui a peur des enfants qu’elle a engendrés.

On signifiait à Jessica que ce serait mieux de s’intéresser au cogito cartésien que de se refaire les ongles, on demandait à Samir de cesser de commenter avec Christophe les derniers résultats de l’OM et de prêter un peu plus d’attention aux relations internationales entre 1919 et 1939. Et Jessica de s’apercevoir qu’elle pensait donc qu’elle était, et Samir et Christophe de comprendre que l’humanité avait déjà donné dans le choc des civilisations et que ce n’était peut-être pas la peine de rejouer ce match-là.

Mais cette bonne vieille estrade avait un rôle symbolique et ce rôle-là, on ne lui pardonne pas. Elle marquait, très précisément, une inégalité. Entendons-nous bien sur le sens de l’inégalité ici.

En 1989, le ministre Lionel Jospin fait voter une loi d’orientation. Inspirée par son conseiller spécial Claude Allègre et par certains papes du pédagogisme comme le Lyonnais[1. C’est le pays de Guignol.] Philippe Meirieu. La loi débute ainsi : « L’élève est au centre du système ». L’élève, ou plutôt l’enfant-roi, prend ici la place du Savoir symbolisé par le professeur. Exit l’estrade, devenue ainsi anti-pédagogique. Désormais formaté par les fameux IUFM, leurs (fausses) sciences de l’éducation et la novlangue[2. On relira avec délectation le chapitre du livre de Mara Goyet Collèges de France consacré au langage IUFM (Fayard – 2003- page 184).] qui accompagne ces dernières, le prof devient au mieux un éducateur, au pire un animateur social. Il n’a plus à transmettre mais à permettre que l’élève construise lui-même ses propres savoirs.

Idéologiquement inspirée par la « deuxième gauche », cette réforme est approuvée par la droite moderniste et libérale qui voit ainsi une belle occasion de rabattre le caquet à ces gauchos de profs. Cette droite-là devine aussi, à juste titre, que la logique consumériste s’imposera d’autant plus facilement dans ce milieu jusque-là protégé. Luc Châtel, issu de Démocratie Libérale et sarkozyste patenté, semble en totale symbiose avec l’école sans estrade. Lors de sa conférence de presse de rentrée, il a certes distribué un dossier truffé de fautes d’orthographe[3. Il est fort à parier que le Cabinet du ministre, qui a produit le document, est constitué de jeunes collaborateurs qui ont suivi des études en tant que « Centres, parmi d’autres, du système » pour écrire ainsi.], mais il a aussi exprimé sa dilection pour « l’établissement-lieu de vie ». Du pur pédagogisme.

Privé de son estrade, le prof, déjà sous la surveillance d’inspecteurs acquis au fanatisme pédagogo, dispose de moins en moins de liberté pédagogique. Sous prétexte de développement des technologies modernes, on lui demande aujourd’hui de remplir ses cahiers de textes « on-line » qui permettent aux parents de le fliquer. Et si, par un hasard de plus en plus improbable, un établissement avait la chance d’avoir à sa tête un réac –de gauche ou de droite- souhaitant rapatrier de la réserve les vieilles estrades, le service juridique du rectorat le découragerait très rapidement. En cas d’entorse à la cheville d’un prof ou, pis, d’un élève appelé au tableau, sa responsabilité civile voire pénale serait évidemment engagée.

Et puis, souvenons-nous, l’estrade, quand nous étions nous-mêmes élèves, c’était aussi, par la grâce d’un bureau incomplet qui laissait voir ce qu’il n’aurait pas dû, l’adorable croisement des jambes de mademoiselle B, prof de maths en cinquième 4, et le crissement des bas nylon qui faisaient oublier celui de la craie sur le tableau noir.

Piège en haute mer

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Le chef du Mossad, Meir Dagan, caricaturé par Biderman pour le journal <em>Haaretz.</em>
Le chef du Mossad, Meir Dagan, caricaturé par Biderman pour le journal Haaretz.

Dans la ténébreuse affaire du navire russe Arctic Sea, plus on sait moins on comprend. Disparu début août, victime, selon la version officielle d’un acte de piraterie, ce bateau russe battant pavillon maltais a été repéré par… la marine russe… avec l’aide des services des renseignements israéliens. Le quotidien israélien Yediot Aharonoth qui livre une première version complète des événements ne fait que rendre l’histoire plus opaque. Pourquoi les Russes détournent-ils un de leurs navires marchands pour le libérer plus tard ? Israël opère-t-il en Mer baltique ? Une chose est sûre : ce qui semblait être un fait divers ressemble de plus en plus à un roman de Tom Clancy.

Les rumeurs d’une affaire de trafic d’armes et d’espionnage courent depuis quinze jours. Le 19 août, l’amiral estonien Tarmo Kouts, chargé au sein de l’état-major de l’Otan du dossier du piratage en mer, a été le premier à mettre le point sur les « i ». Dans un entretien donné au Time, l’officier estime que le navire transportait des missiles russes destinés à la Syrie ou à l’Iran et qu’en conséquence Israël est probablement impliqué dans l’affaire. Quelques médias russes ajoutent que les armes en question sont des missiles sol-air S-300[1. Missiles sol/air considérés comme les plus performants actuellement.] et peut-être même des missiles de croisière X-55[2. Kh-55 (OTAN AS-15 ‘Kent’), portée 2500/3000 km, capable de porter une ogive nucléaire.], tous deux considérés par Israël comme des systèmes d’armes stratégiquement importants. Ron Ben Yishai, le grand reporter du Yediot Aharonoth, généralement bien informé, confirme l’essentiel : le navire transportant une cargaison d’armes sophistiquées destinée à la Syrie ou l’Iran a été intercepté par les Russes. Voilà pour le gros morceau. Si on ajoute les détails – dont certains pourraient même être vrais – on comprend qu’il y a là un scénario alléchant qui attend son Spielberg.

L’enquête de Ben Yishai commence dans le port de Kaliningrad, endroit visiblement assez mal famé, où l’Arctic Sea stationne le mois de juin et une partie du mois de juillet officiellement pour entretien. Cette enclave russe encerclée par la Lituanie, la Biélorussie et la Pologne, était le port principal de la de la marine rouge en mer Baltique et une gigantesque base militaire soviétique jusqu’à la chute de l’URSS. Moscou continue d’y maintenir une présence militaire importante, mais cette enclave russe est gérée dans la pratique par un consortium – pour ne pas dire une mafia – des anciens membres des services de sécurité et de renseignements de l’époque de l’Empire. On comprend aisément que le trafic d’armes soit devenu l’une des principales activités économiques de Kaliningrad.

Rien d’étonnant, donc, à ce que les représentants d’un client « moyen-oriental » aient choisi cette ville portuaire pour faire leur shopping. Certaines sources indiquent que la marchandise en question était en fait constituée de missiles S-300 « prélevés » des batteries de la défense aériennes stationnées à Kaliningrad. Mais on ne peut exclure que des représentants de l’industrie russe de la Défense aient pris part à la négociation et qu’il s’agisse de missiles neufs sortis de l’usine.

Un « certain service de renseignement » – le journal ne le nomme pas – qui était au courant des négociations apprend que l’Arctic Sea devrait servir à transporter les missiles vers l’Iran en passant par l’Algérie, pays qui est un comptoir important dans le trafic d’armes (et des composants de son projet nucléaire) géré par Téhéran.

Le Kremlin ignorait probablement ce « marché privé », Moscou s’étant engagé devant Jérusalem et Washington à ne pas livrer à Damas ou à Téhéran des systèmes susceptibles d’altérer l’équilibre stratégique dans la région. En échange, Israël cessait de vendre des armes à la Géorgie. Dans le jeu de la barbichette, les Russes tiennent les Israéliens grâce à un marché signé – mais jamais respecté – avec les Iraniens pour la vente des S-300.

Mi-juillet, l’Arctic Sea quitte Kaliningrad avec sa cargaison camouflée sous des rondins de bois en direction du port finlandais de Pietrassari. Pour brouiller les pistes et crédibiliser le bordereau de livraison, le navire y charge une deuxième cargaison de bois. Le 21 juillet, le bateau quitte la Finlande et met le cap vers le port algérien de Bejaia, destination finale de la cargaison officielle.

Quelques jours avant, les Russes sont prévenus de la supercherie. Ils commencent par douter de la possibilité même qu’un marché d’une telle ampleur ait pu se faire à leur insu. Mais ceux qui ont alerté Moscou décident de lui laisser le temps d’agir et ne préviennent pas les autorités finlandaises – le scandale aurait pu embarrasser les Russes et surtout Poutine, qui aime faire croire que rien ne peut se passer dans son pays sans qu’il en soit averti. Puis les services russes confirment l’information et le Kremlin prend les choses en main.

Dans la nuit du 21 au 22 juillet, au large de l’île suédoise de Gotland, une petite vedette s’approche de l’Arctic Sea et, prétextant une panne de moteur, les huit passagers demandent de l’aide. Une fois à bord, ils se présentent comme des policiers suédois et exigent de vérifier la cargaison. Selon la version qui circule maintenant, l’équipage de l’Arctic Sea aurait été promptement menotté et les « policiers suédois » qui parlaient le russe entre eux se seraient livrés à un examen méthodique du bateau. Quoi qu’il en soit, douze heures plus tard, l’équipage prend contact avec les autorités maritimes suédoises pour rapporter l’incident. Affirmant que les huit soi-disant policiers ont quitté le navire, le capitaine de l’Arctic Sea fait savoir qu’il entend continuer son chemin. Bizarrement, les Suédois n’insistent pas.

Une semaine plus tard, le 28 juillet, les autorités maritimes britanniques prennent contact avec le bateau qui croisait alors au large de leurs côtes. Le capitaine les rassure et l’information transmise par système automatique (qui signale le positionnement du vaisseau) achève de dissiper les derniers doutes. Mais dès que le navire s’engage dans l’océan Atlantique, il ne donne plus de nouvelles et le système automatique cesse d’émettre. Deux jours plus tard, les garde-côtes français captent brièvement un signal indiquant que le navire se trouve au large du Portugal.

Selon des sources russes et moyen-orientales (sic), les huit ravisseurs étaient des agents russes. Leur première mission a été de vérifier que l’Arctic Sea transportait bien des missiles, ce qui fut fait pendant la nuit du 21 au 22 juillet. Ce qui s’est passé ensuite n’est pas très clair. Selon le journal israélien, les Russes avaient besoin de temps pour préparer un plan d’action. Or, leurs commandos ont pris l’Arctic Sea d’assaut le 18 août seulement, quatre semaines après avoir reçu la confirmation de l’info. Même en période de vacances, la réaction parait longue.

Les Russes tentent d’accréditer la thèse d’un montage, histoire de ne pas compliquer leurs relations avec l’Algérie et l’Iran, priés de jouer les imbéciles. Mercredi, après plus d’un mois de silence, ils ont inondé les médias de photos de leurs vaillants marins arrêtant les prétendus « pirates ». Des photos qui ont été prises dans un pays non identifié où la cargaison déchargée était aussitôt rechargée sur des avions-cargos militaires.

À l’évidence, « l’enquête » du grand reporter israélien est trouée comme un gruyère, et son texte transpire la vénération qu’il porte aux « sources » qui l’ont choisi pour raconter cette histoire. Mais si beaucoup de détails restent flous pour le moment, les points principaux semblent être assez crédibles : des armes sensibles ont été achetées à Kaliningrad par les représentants de la Syrie et plus probablement de l’Iran. Ce dernier pays ayant signé avec Moscou un contrat pour l’achat de S-300, on peut très bien supposer que ses dirigeants en ont eu assez des tergiversations russes et décidé de passer outre. On peut aussi avancer l’idée qu’au sein de l’industrie militaire russe, certains étaient aussi impatients que les Iraniens de matérialiser le marché. Pour le reste, si l’histoire n’est pas totalement vraie, elle est au moins amusante à lire.

Ségolène bientôt présidente ?

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L’événement est d’une portée considérable : Ségolène Royal vient d’annoncer qu’elle allait prendre la présidence de Désirs d’avenir, en lieu et place de son proche Jean-Pierre Mignard, désormais rétrogradé, sans rire, au poste de « Président du Conseil Scientifique » dudit fan-club. Par ailleurs, Mme Royal a annoncé que « Désirs d’avenir » allait désormais se positionner non plus comme un club politique, mais comme une ONG. Une Organisation Non Gouvernementale ? Pourquoi pas, en effet, tant il semble avéré que Ségolène n’a jamais eu, n’a pas et n’aura jamais vocation à gouverner…

L’Afghane est-elle l’avenir de l’homme ?

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afghanistan

On ne sait toujours pas qui, de Hamid Karzai ou Abdullah Abdullah, a remporté les élections présidentielles en Afghanistan, mais pour les femmes afghanes, il n’est pas sûr que cela fasse une différence.

Esclaves domestiques sous le régime des talibans, elles sont toujours soumises à la volonté de leur mari ou de leur père. La guerre, les embuscades meurtrières sur les marchés ont aggravé leur situation et elles représentent, aujourd’hui, avec les enfants, 75 % des réfugiés à la frontière. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si 65 % des 50 000 veuves de Kaboul voient le suicide comme la seule issue pour échapper à la misère. L’immolation par le feu est de plus en plus fréquente.

Celles qui osent braver un tant soit peu l’autorité patriarcale ou religieuse le payent souvent de leur vie.

On aimerait que le sort de ces femmes, victimes de la folie impunie des fondamentalistes, fasse réfléchir toutes celles qui, « à poil sous leur burqa », revendiquent comme une liberté cette réclusion vestimentaire.

On se souvient de Laura Bush plaidant pour la guerre en Afghanistan afin, disait-elle, d’en finir avec l’oppression des femmes. Huit ans plus tard, la présence dans le pays de 100.000 soldats de la coalition n’a pas empêché le Parlement de « légaliser » la discrimination à l’encontre des femmes chiites qui représentent 15% environ de la population. Alors que la Constitution institue une égalité de principe entre hommes et femmes, cette loi qui dormait sous le turban autorise les chiites à appliquer un droit spécifique, issu de la charia, en matière familiale et personnelle. Entre autres gracieusetés, ce texte prévoit que si une femme refuse de satisfaire les demandes sexuelles de son mari, celui-ci a le droit de lui retirer tout soutien matériel, autrement dit de la laisser mourir de faim. La loi permet également à un violeur d’échapper à toutes poursuites s’il paye « le prix du sang » à la femme violée…Ou à sa famille. Dans El Pais, un Afghan rappelle que le Coran établit une progression dans l’exercice des droits de l’homme frustré : « D’abord, il peut arrêter de parler à sa femme, ensuite faire lit à part, puis, lui donner un avertissement, et enfin en dernier lieu, il lui est permis de la battre légèrement sans lui causer de blessure. »

Ouf ! Nous nous voila rassurés, les Afghans sont des sado-masos comme les autres.

Sous la pression des associations et des ONG, le président Karzai avait, dans un premier temps, demandé la révision de ce projet. Pourtant, cette loi « punitive » a été adoptée « sous la burqa » et publiée le 27 juillet dernier au Journal Officiel afghan. En somme le président a sacrifié les femmes aux fondamentalistes dont il espère ainsi s’attirer les bonnes grâces. Ne rien faire, ne rien dire quand tant de femmes sont menacées de mort parce qu’elles sont des femmes, c’est se rendre coupables de non-assistance à personnes en danger. Rappelons que le 12 août dernier, la députée Sitara Achikzai était sauvagement assassinée à Kandahar.

Et pourtant, deux des 41 candidats à la présidence étaient des candidates et 328 femmes se sont présentées aux élections provinciales. Malgré la fermeture de 650 bureaux de vote qui leur étaient destinés dans les zones pachtounes, malgré les attentats et les menaces, les Afghanes ont voté et pas seulement dans le nord. Parce qu’elles continuent à croire à une vie meilleure. Alors, oui, cher Marc Cohen, mieux vaut « ces magnifiques isoloirs individuels et portables » que pas de vote du tout.

Dans le cadre de sa nouvelle stratégie qui consiste à faire des soldats alliés des « partenaires » et non plus des « occupants », la nouvelle Administration américaine se prétend convaincue que les femmes peuvent jouer un rôle accru. D’où la création d’une unité totalement féminine, la « Female Engagement Team ». La mission de ces « G.I Jane » qui se conformeront aux normes islamiques (sous leur casque, elles auront la tête couverte) sera de gagner la sympathie des villageoises, en leur donnant des conseils d’hygiène et d’éducation. Bref, à défaut d’avoir su gagner le cœur des hommes, l’armée américaine s’emploiera-t-elle vraiment à conquérir celui des femmes ? On aimerait y croire. En attendant, peut-être faut-il, comme le poète afghan Atik Rahimi, s’en remettre à « Synge Sabour », la pierre de patience.

Dysortografik grave

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Franssoua de Closé é tun fô simpa. Il â passait sa vy praufaissiaunel à kassé du sukre sûr le dau dé fonktiaunair. Il la aité trai maichan havec eux é lé za hacusé daitre dé fénéant. Franssoua de Closé, sété vréman les nemy achar nez de tou lé zarkaïsmes de lé tas provydanse. Ont pouvé se demendé doux venay une taile kolaire, kele blaiçurre secrête sa caché. Mintenen, grasse au Pouin, onsé. Franssoua de Closé été hune burne à lékolle en ortografe. Alaur com il é sélèbre, il veu se vangé é boussilé lé raigles paske l’aurtograf, cé kom lé fonctyonnair, cé tarkaïk é sa devré pas zaixisté. Voualà, sé tou.

La mort naturelle, c’est d’un démodé…

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Décidément, ces temps-ci, le repos des défunts n’a rien d’éternel. Après la réécriture, à chaud, de la version officielle des causes du décès de Michael Jackson, c’est au tour de Brian Jones, décédé en 1969 d’être sur la sellette. Contrairement à ce qu’on pensait jusque-là, la noyade fatale du guitariste des Stones n’aurait peut-être rien d’accidentel, Scotland Yard, en tout cas va rouvrir l’enquête. En remontant encore plus loin, de nombreux experts bataillent pour reclassifier la mort de Marylin en assassinat et celle de Napoléon en empoisonnement. De là à ce qu’on apprenne, un de ces quatre qu’en vrai, si ça se trouve, Henri IV se serait suicidé…

Tintin : on a marché sur la tête

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Tintin est-il raciste ?
Tintin est-il raciste ?

Depuis 2007, une bataille judiciaire fait rage au pays de Tintin. Le plaignant, Bienvenu Mbutu, Congolais résidant en Belgique depuis 20 ans, déplore l’image « dégradante » et « offensante » dont souffrent les noirs du Congo et attaque, non pas feu son président et presque homonyme, mais la société Moulinsart qui exploite l’œuvre de Hergé, en l’occurrence Tintin au Congo.

Cette confrérie d’héritiers tintinophiles que j’imagine animée par des messieurs en costumes à carreaux et nœuds papillons, a pourtant rappelé les corrections apportées par l’auteur en 1946 à la deuxième édition du texte de 1931 et ses explications sur « les préjugés des milieux bourgeois dans lesquels il vivait » quand il créa les personnages de cette histoire.

Manifestement, ça ne suffit pas. Bienvenu est décidé à poursuivre son combat contre le racisme jusqu’au retrait du commerce de la BD parce que « pour les enfants qui lisent cet album, le Congo, c’est ça ». Pour les adultes qui lisent le journal, le Congo, c’est plutôt le désastre économique, la corruption, les guerres ethniques, les comptes en Suisse et les orphelins du sida après les années de règne du président à vie mort mais c’est sans doute moins préoccupant.

Après tout, la lutte contre les préjugés racistes doit commencer dès le plus jeune âge et il convient de dénoncer la BD quand elle abrite un tel poison.

L’avocat Gilbert Collard, qui ne risquait pas d’importer de Belgique l’humour et l’autodérision, a prévu d’être le fer de lance de cette croisade en France. L’exemple pourrait bien faire tache en Europe et les héritiers d’Uderzo et de Goscinny ont du souci à se faire pour Astérix chez les Belges, les Bretons, les Helvètes, les Hispaniques ou les Vikings. Quand aux tenants de la diversité, ils pourraient leur demander des comptes pour l’image « dégradante » et « offensante » que les dessinateurs s’attachent à coller album après album aux pirates cosmopolites.

Outre-Atlantique, dans cette Amérique qui a 20 ans d’avance sur la vieille Europe, la censure a frappé et la bibliothèque municipale de Brooklyn, à la suite de plaintes, a mis l’album jugé raciste sous clef, « consultable par des chercheurs et des lecteurs avisés ». Les blancs à chapeaux pointus n’y auront pas accès, les autres devront peut-être, pour obtenir leur carte de « lecteur avisé », jurer sur la Bible et la Constitution des Etats-Unis qu’ils sont purs de tout fantasme raciste sous le contrôle d’un détecteur de mensonges.

Cette résurrection de « l’enfer », ce placard qui enfermait jadis les œuvres interdites par l’église, a été saluée par le CRAN[1. Conseil représentatif des associations noires.] comme une sage décision et son président Patrick Lozès a préconisé que l’on ajoute à l’album un texte pédagogique pour éviter les poursuites judiciaires.

Faudra-t-il aussi obliger nos enfants à lire des textes pédagogiques sur les personnes de petite taille qui sont des humains comme les autres mais en plus petits avant de les laisser regarder Blanche-Neige et les sept nains ?
Je conseillerais bien à Bienvenu Mbutu d’arrêter de nous castafiorer mais en Etat de droit, les choses se passent autrement. Sous la menace des procès, la marque Banania a renoncé à sa mascotte. Pour l’instant, la société Moulinsart des ayants-droit d’Hergé tient bon et rappelle que « la lecture d’une BD de 1931 demande un minimum d’honnêteté intellectuelle pour être lue en étant replacée dans son contexte ».

Le CRAN, lui, précise que « l’ouvrage est lu par de jeunes esprits qui ne peuvent pas tous faire la part des choses entre la caricature et la réalité ». Le souci est louable mais on peut espérer que la diversité qui compose les classes permettra aux enfants les plus menacés de tomber dans le racisme dès la maternelle de s’apercevoir au premier coup d’œil que les caricatures du temps de mon grand-père n’ont plus aucun rapport avec la réalité d’aujourd’hui.

Le Congolais venu chez les Belges s’indigne parce dans Tintin au Congo, « on laisse penser que les noirs n’ont pas évolué ».

Reste à savoir qui, d’Hergé ou de Mobutu, laisse penser une chose pareille ?

Bienvenue en Afghanistan-sur-Mer

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Le Yemen est-il sur le point de devenir un nouvel Afghanistan ? Notre photo : la vieille ville de Sana'a.
Le Yemen est-il sur le point de devenir un nouvel Afghanistan ?

Les navigateurs arabes qui nommèrent Bab-el-Mandeb (« porte de la lamentation ») le détroit séparant Djibouti du Yémen ont été bien inspirés. Mais si les compagnons de Sinbad craignaient les dangers relatifs à la navigation, leurs successeurs contemporains redoutent d’autres périls, beaucoup plus politiques. Large d’une trentaine de kilomètres dans son point le plus étroit, devenu une artère importante du commerce mondial, ce couloir souffre d’un voisinage exécrable. Si l’instabilité chronique en Ethiopie/Erythrée et le chaos en Somalie sont assez bien connus, la situation de l’autre rive, pourtant aussi préoccupante, l’est beaucoup moins. Relativement discrète sur la scène internationale, la République arabe du Yémen (la dernière fois que le grand public en a entendu parler, c’était après la catastrophe aérienne d’un avion de la Yemenia) commence à présenter d’inquiétantes similitudes avec l’Afghanistan.

Le dernier des nombreux conflits qui secouent le Yémen depuis des lustres dure depuis déjà cinq ans. Avec plus de 120 000 personnes déplacées et des milliers de morts depuis 2004, on peut difficilement qualifier la rivalité entre le régime d’Ali Abdullah Saleh et les rebelles zaïdites (une forme du chiisme) du Nord de conflit larvé. La dernière offensive du gouvernement contre les rebelles, lancée il y a quelques semaines, a fait au moins cent morts et les réfugiés se comptent par milliers. Il s’agit de toute évidence d’une escalade dans la violence d’une guerre civile sans fin. Pourtant, en 2008, à la suite d’un accord signé avec les rebelles, Saleh avait déclaré le conflit « terminé ». Mais les rebelles, paraît-il, ont profité de la trêve pour renforcer leurs positions et grignoter celles du gouvernement de Sanaa. Comme en Afghanistan, cela s’est traduit par la neutralisation de toutes les formes de présence souveraine du gouvernement dans la région.

Pour comprendre la situation, il faut oublier que le drapeau du Yémen est hissé devant le siège des Nations-Unies et faire abstraction de termes comme « Etat » ou « nation ». Derrière les appellations des XIXe, XXe et XXIe siècles se cachent des clivages bien plus anciens. Si l’on se contente des dépêches AFP, on peut croire que les rebelles du Nord et leur leader Abdul-Malik al-Houthi, qui se réclament du chiisme, sont des clients de l’Iran. Sauf que, d’une part, le président Saleh est zaïdite (et donc chiite) lui aussi, et que d’autre part, dans le passé, il avait aidé les rebelles du Nord, ses ennemis d’aujourd’hui, à s’organiser et à s’armer quand il avait besoin d’eux pour contrebalancer d’autres forces dont la menace semblait à l’époque plus imminente. Autant dire que l’hypothèse d’un conflit religieux n’est pas très pertinente.

Oublions donc idéologies et obédiences religieuses. C’est une tout autre appartenance qui anime le conflit, car avant d’être zaïdite, Abdul-Malik, le chef rebelle, est un membre imminent du clan d’al-Houthi. Fort d’un dense réseau d’alliances, ce clan domine le nord montagneux du Yémen, position officiellement reconnue par Sanaa qui avait signé avec lui la trêve de 2008. Mais, sur le fond, rien n’a changé. Depuis des années, les al-Houthi construisent un Etat dans l’Etat. Ils ont pris le contrôle des mosquées et des établissements scolaires et sapent systématiquement la présence de l’Etat en proposant des services publics parallèles.

La religion est, certes, un élément important de l’échiquier yéménite, mais elle ne sert ici que de moyen de mobilisation et de ciment pour assurer la cohésion d’une kyrielle de tribus. Officiellement, la rébellion « chiite » dirigée par Abdul-Malik al-Houthi souhaite rétablir au Yémen le régime des imams, évincé par une révolution républicaine en 1962. Dans la réalité, les tribus qui soutiennent les al-Houthi cherchent à réinstaller un système de gouvernance « à l’afghane », un réseau d’alliances entre potentats locaux plus ou moins autonomes. Dans le cadre d’un tel système politique, un « pouvoir central » ne pourrait rien espérer de mieux que le respect des apparences, autrement dit une soumission toute protocolaire, à condition de ne pas trop s’aventurer – ni d’entreprendre quoi que ce soit – en dehors de sa capitale.

Le président Ali Abdullah Saleh, 67 ans, qui se positionne comme l’homme providentiel garant de la stabilité, ne veut pourtant pas de ce « retour en arrière » vers le chaos tribalo-clanique. Cela pourrait non seulement remettre en cause son règne, mais plus encore celui de son fils, commandant en chef de la garde présidentielle – poste-clé, car les deux prédécesseurs de Saleh ont été assassinés. Les al-Houthi profitent sans doute de ce début de transition de pouvoir pour faire monter les enchères en provoquant une sorte de guerre de succession.

Malheureusement, ce genre de géopolitique de l’an Mil – guéguerre incessante entre baronnies – a une fâcheuse tendance à déborder en dehors des frontières. Comme en Afghanistan, en Somalie et, de plus en plus, au Pakistan, ces régions tribales quasi autonomes sont autant de terreaux fertiles pour le phénomène que l’on désigne, depuis le 11 septembre 2001, par le nom « Al-Qaïda ». Dans les zones d’ombre où se côtoient modernité et toute sorte d’archaïsmes se distille le mélange explosif des frustrations et de moyens d’actions sophistiqués. En octobre 2000, l’attaque contre le navire de guerre USS Cole au large du port d’Aden, qui a coûté la vie à 17 marins américains, a révélé le potentiel explosif de la situation au Yémen. Presque une décennie plus tard et malgré un bilan opérationnel impressionnant, les Etats-Unis ne sont pas au bout de leurs peines. L’affaiblissement de Saleh n’améliorera pas les choses.

Contrairement à la situation en « Afpak » (Afghanistan et Pakistan), les troubles que connaît le Yemen peuvent difficilement être imputés à une intolérable ingérence étrangère. Depuis des décennies, les grandes puissances ont laissé les Yéménites gérer leurs affaires. L’unification du Nord et du Sud en 1990, dont Saleh fut l’artisan, semblait être de bon augure, mais le bourbier yéménite reste à la fois dangereux et ingérable. Dans un entretien donné en juin 2008 au chef du bureau du New York Times à Beyrouth, le président Saleh a comparé la gouvernance du Yémen à une danse avec des serpents. Au début de la décennie, la CIA a dû descendre dans l’arène, mais son succès mitigé fait craindre que d’autres acteurs occidentaux soient aspirés par le tourbillon de cette valse infernale.

De Lénine à Martine

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septembre

Le numéro du magazine Causeur de septembre vient de paraître. Plus de trente textes, dont treize inédits, et un dossier consacré à la gauche : « Déboussolée par Sarkozy, chahutée par les Verts, empêtrée dans la guerre des chefs, la gauche est à terre. Dis, Martine, c’est par où l’avenir ? » En vous abonnant, vous recevrez chez vous chaque mois par La Poste le magazine Causeur.

Les inédits du mois de septembre
A tout prix, Elisabeth Lévy
Je pense donc je twitte, François Miclo
Beatus Bearnus, Raul Cazals
Où sont les femmes ?, Luc Rosenzweig
Une certaine idée de la gauche, François Miclo
Primaires de tous les vices, Luc Rosenzweig
Fromage, dessert et champagne, Marc Cohen
Libérez Karl Marx, Jérôme Leroy
Médecine douce, Cyril Bennasar
Des droits de l’homme et du mitoyen, Bruno Maillé
Merci M. Finkielkraut, Cyril Bennasar
Jan Tschichold, Jean-François Baum
Le noir te va si bien, Jérôme Leroy

Black Russian

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Ce sont près de 400 hectares qui viennent d’être achetés par des investisseurs russes sur la Côte d’Azur, à 70 kilomètres de Nice. On parle de 200 millions d’euros mis sur la table par le promoteur immobilier Q-tec, qui a l’intention de construire là un probable ghetto pour milliardaires qui se sont servis sur la bête en dépeçant l’ex-URSS. Cet achat s’inscrit dans une longue suite d’acquisitions faites par cette nouvelle nomenklatura. Dire que pendant des années on a craint que les commandos spetnatz et les T34 viennent envahir et nous imposer l’ordre soviétique. Il semblerait, finalement, que l’invasion ait bien eu lieu. Simplement les blindés sont remplacés par des limousines aux vitres fumées et les troupes d’élites par des gars en lunettes noires avec une bosse sous la veste du costume Zegna. La seule chose qui n’aura pas changé, dans cette histoire, c’est simplement la collaboration empressée des autorités locales et des acteurs économiques. Etoile rouge ou main noire, le principal c’est que la thune continue à pleuvoir.

Eloge de l’estrade


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La disparition des estrades de nos écoles est-elle un réel progrès ?
La disparition des estrades de nos écoles est-elle un réel progrès ?

Dans Nada de Jean-Patrick Manchette, un personnage assez lucide remarquait que le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique étaient, nous citons, « les deux mâchoires du même pièges à cons ».

L’école laïque, en cette rentrée 2009, est, quant à elle, sur le point d’être broyée par les deux mâchoires du piège susnommé qui sont d’une part le pédagogisme post soixante-huitard et d’autre part le néolibéralisme qui a décidé une fois pour toute que l’école, au bout du compte, ne faisait plus partie du périmètre de l’Etat ou alors juste pour les pauvres et pour maintenir une vague présence dans les quartiers histoire d’éviter que les élèves deviennent des citoyens (une conscience de classe, ça vous tombe dessus sans crier gare) au lieu de consommateurs décérébrés et frustrés. Et pour ça, pas besoin de grand-monde, on peut supprimer des dizaines de milliers de postes et laisser de maigres troupes sur un front pourtant essentiel pour qui pense, et nous en sommes, que l’école est une arme essentielle pour sauver ce qui reste d’esprit républicain dans ce pays.

Dans cette débâcle, la disparition de l’estrade peut sembler dérisoire. L’estrade, vous savez, cet accessoire semblable à une scène de théâtre qui permettait au professeur (le premier qui emploie le mot « enseignant » trahit « d’où il parle » aurait dit Lacan) de surplomber la classe. L’estrade avait, en effet, un rôle essentiel, pratique et symbolique.

Pratique, car elle permettait de surveiller les élèves. Oh bien sûr, ce n’était pas la surveillance électronique aujourd’hui à la mode, celle qui se cache dans les ordinateurs où des bases de données de plus en plus intrusives qui serviront aux psychologues, aux assistantes sociales et, en dernier recours, à la police. L’estrade n’avait rien à voir non plus avec les portiques de sécurité et les cartes à puce dont on nous promet qu’ils permettront bientôt de savoir à tout instant dans quel endroit de l’établissement se trouve l’élève. Non, l’estrade, c’était la bonne vieille surveillance à l’ancienne et non l’actuelle névrose panoptique d’une société qui a peur des enfants qu’elle a engendrés.

On signifiait à Jessica que ce serait mieux de s’intéresser au cogito cartésien que de se refaire les ongles, on demandait à Samir de cesser de commenter avec Christophe les derniers résultats de l’OM et de prêter un peu plus d’attention aux relations internationales entre 1919 et 1939. Et Jessica de s’apercevoir qu’elle pensait donc qu’elle était, et Samir et Christophe de comprendre que l’humanité avait déjà donné dans le choc des civilisations et que ce n’était peut-être pas la peine de rejouer ce match-là.

Mais cette bonne vieille estrade avait un rôle symbolique et ce rôle-là, on ne lui pardonne pas. Elle marquait, très précisément, une inégalité. Entendons-nous bien sur le sens de l’inégalité ici.

En 1989, le ministre Lionel Jospin fait voter une loi d’orientation. Inspirée par son conseiller spécial Claude Allègre et par certains papes du pédagogisme comme le Lyonnais[1. C’est le pays de Guignol.] Philippe Meirieu. La loi débute ainsi : « L’élève est au centre du système ». L’élève, ou plutôt l’enfant-roi, prend ici la place du Savoir symbolisé par le professeur. Exit l’estrade, devenue ainsi anti-pédagogique. Désormais formaté par les fameux IUFM, leurs (fausses) sciences de l’éducation et la novlangue[2. On relira avec délectation le chapitre du livre de Mara Goyet Collèges de France consacré au langage IUFM (Fayard – 2003- page 184).] qui accompagne ces dernières, le prof devient au mieux un éducateur, au pire un animateur social. Il n’a plus à transmettre mais à permettre que l’élève construise lui-même ses propres savoirs.

Idéologiquement inspirée par la « deuxième gauche », cette réforme est approuvée par la droite moderniste et libérale qui voit ainsi une belle occasion de rabattre le caquet à ces gauchos de profs. Cette droite-là devine aussi, à juste titre, que la logique consumériste s’imposera d’autant plus facilement dans ce milieu jusque-là protégé. Luc Châtel, issu de Démocratie Libérale et sarkozyste patenté, semble en totale symbiose avec l’école sans estrade. Lors de sa conférence de presse de rentrée, il a certes distribué un dossier truffé de fautes d’orthographe[3. Il est fort à parier que le Cabinet du ministre, qui a produit le document, est constitué de jeunes collaborateurs qui ont suivi des études en tant que « Centres, parmi d’autres, du système » pour écrire ainsi.], mais il a aussi exprimé sa dilection pour « l’établissement-lieu de vie ». Du pur pédagogisme.

Privé de son estrade, le prof, déjà sous la surveillance d’inspecteurs acquis au fanatisme pédagogo, dispose de moins en moins de liberté pédagogique. Sous prétexte de développement des technologies modernes, on lui demande aujourd’hui de remplir ses cahiers de textes « on-line » qui permettent aux parents de le fliquer. Et si, par un hasard de plus en plus improbable, un établissement avait la chance d’avoir à sa tête un réac –de gauche ou de droite- souhaitant rapatrier de la réserve les vieilles estrades, le service juridique du rectorat le découragerait très rapidement. En cas d’entorse à la cheville d’un prof ou, pis, d’un élève appelé au tableau, sa responsabilité civile voire pénale serait évidemment engagée.

Et puis, souvenons-nous, l’estrade, quand nous étions nous-mêmes élèves, c’était aussi, par la grâce d’un bureau incomplet qui laissait voir ce qu’il n’aurait pas dû, l’adorable croisement des jambes de mademoiselle B, prof de maths en cinquième 4, et le crissement des bas nylon qui faisaient oublier celui de la craie sur le tableau noir.

Piège en haute mer

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Le chef du Mossad, Meir Dagan, caricaturé par Biderman pour le journal <em>Haaretz.</em>
Le chef du Mossad, Meir Dagan, caricaturé par Biderman pour le journal Haaretz.

Dans la ténébreuse affaire du navire russe Arctic Sea, plus on sait moins on comprend. Disparu début août, victime, selon la version officielle d’un acte de piraterie, ce bateau russe battant pavillon maltais a été repéré par… la marine russe… avec l’aide des services des renseignements israéliens. Le quotidien israélien Yediot Aharonoth qui livre une première version complète des événements ne fait que rendre l’histoire plus opaque. Pourquoi les Russes détournent-ils un de leurs navires marchands pour le libérer plus tard ? Israël opère-t-il en Mer baltique ? Une chose est sûre : ce qui semblait être un fait divers ressemble de plus en plus à un roman de Tom Clancy.

Les rumeurs d’une affaire de trafic d’armes et d’espionnage courent depuis quinze jours. Le 19 août, l’amiral estonien Tarmo Kouts, chargé au sein de l’état-major de l’Otan du dossier du piratage en mer, a été le premier à mettre le point sur les « i ». Dans un entretien donné au Time, l’officier estime que le navire transportait des missiles russes destinés à la Syrie ou à l’Iran et qu’en conséquence Israël est probablement impliqué dans l’affaire. Quelques médias russes ajoutent que les armes en question sont des missiles sol-air S-300[1. Missiles sol/air considérés comme les plus performants actuellement.] et peut-être même des missiles de croisière X-55[2. Kh-55 (OTAN AS-15 ‘Kent’), portée 2500/3000 km, capable de porter une ogive nucléaire.], tous deux considérés par Israël comme des systèmes d’armes stratégiquement importants. Ron Ben Yishai, le grand reporter du Yediot Aharonoth, généralement bien informé, confirme l’essentiel : le navire transportant une cargaison d’armes sophistiquées destinée à la Syrie ou l’Iran a été intercepté par les Russes. Voilà pour le gros morceau. Si on ajoute les détails – dont certains pourraient même être vrais – on comprend qu’il y a là un scénario alléchant qui attend son Spielberg.

L’enquête de Ben Yishai commence dans le port de Kaliningrad, endroit visiblement assez mal famé, où l’Arctic Sea stationne le mois de juin et une partie du mois de juillet officiellement pour entretien. Cette enclave russe encerclée par la Lituanie, la Biélorussie et la Pologne, était le port principal de la de la marine rouge en mer Baltique et une gigantesque base militaire soviétique jusqu’à la chute de l’URSS. Moscou continue d’y maintenir une présence militaire importante, mais cette enclave russe est gérée dans la pratique par un consortium – pour ne pas dire une mafia – des anciens membres des services de sécurité et de renseignements de l’époque de l’Empire. On comprend aisément que le trafic d’armes soit devenu l’une des principales activités économiques de Kaliningrad.

Rien d’étonnant, donc, à ce que les représentants d’un client « moyen-oriental » aient choisi cette ville portuaire pour faire leur shopping. Certaines sources indiquent que la marchandise en question était en fait constituée de missiles S-300 « prélevés » des batteries de la défense aériennes stationnées à Kaliningrad. Mais on ne peut exclure que des représentants de l’industrie russe de la Défense aient pris part à la négociation et qu’il s’agisse de missiles neufs sortis de l’usine.

Un « certain service de renseignement » – le journal ne le nomme pas – qui était au courant des négociations apprend que l’Arctic Sea devrait servir à transporter les missiles vers l’Iran en passant par l’Algérie, pays qui est un comptoir important dans le trafic d’armes (et des composants de son projet nucléaire) géré par Téhéran.

Le Kremlin ignorait probablement ce « marché privé », Moscou s’étant engagé devant Jérusalem et Washington à ne pas livrer à Damas ou à Téhéran des systèmes susceptibles d’altérer l’équilibre stratégique dans la région. En échange, Israël cessait de vendre des armes à la Géorgie. Dans le jeu de la barbichette, les Russes tiennent les Israéliens grâce à un marché signé – mais jamais respecté – avec les Iraniens pour la vente des S-300.

Mi-juillet, l’Arctic Sea quitte Kaliningrad avec sa cargaison camouflée sous des rondins de bois en direction du port finlandais de Pietrassari. Pour brouiller les pistes et crédibiliser le bordereau de livraison, le navire y charge une deuxième cargaison de bois. Le 21 juillet, le bateau quitte la Finlande et met le cap vers le port algérien de Bejaia, destination finale de la cargaison officielle.

Quelques jours avant, les Russes sont prévenus de la supercherie. Ils commencent par douter de la possibilité même qu’un marché d’une telle ampleur ait pu se faire à leur insu. Mais ceux qui ont alerté Moscou décident de lui laisser le temps d’agir et ne préviennent pas les autorités finlandaises – le scandale aurait pu embarrasser les Russes et surtout Poutine, qui aime faire croire que rien ne peut se passer dans son pays sans qu’il en soit averti. Puis les services russes confirment l’information et le Kremlin prend les choses en main.

Dans la nuit du 21 au 22 juillet, au large de l’île suédoise de Gotland, une petite vedette s’approche de l’Arctic Sea et, prétextant une panne de moteur, les huit passagers demandent de l’aide. Une fois à bord, ils se présentent comme des policiers suédois et exigent de vérifier la cargaison. Selon la version qui circule maintenant, l’équipage de l’Arctic Sea aurait été promptement menotté et les « policiers suédois » qui parlaient le russe entre eux se seraient livrés à un examen méthodique du bateau. Quoi qu’il en soit, douze heures plus tard, l’équipage prend contact avec les autorités maritimes suédoises pour rapporter l’incident. Affirmant que les huit soi-disant policiers ont quitté le navire, le capitaine de l’Arctic Sea fait savoir qu’il entend continuer son chemin. Bizarrement, les Suédois n’insistent pas.

Une semaine plus tard, le 28 juillet, les autorités maritimes britanniques prennent contact avec le bateau qui croisait alors au large de leurs côtes. Le capitaine les rassure et l’information transmise par système automatique (qui signale le positionnement du vaisseau) achève de dissiper les derniers doutes. Mais dès que le navire s’engage dans l’océan Atlantique, il ne donne plus de nouvelles et le système automatique cesse d’émettre. Deux jours plus tard, les garde-côtes français captent brièvement un signal indiquant que le navire se trouve au large du Portugal.

Selon des sources russes et moyen-orientales (sic), les huit ravisseurs étaient des agents russes. Leur première mission a été de vérifier que l’Arctic Sea transportait bien des missiles, ce qui fut fait pendant la nuit du 21 au 22 juillet. Ce qui s’est passé ensuite n’est pas très clair. Selon le journal israélien, les Russes avaient besoin de temps pour préparer un plan d’action. Or, leurs commandos ont pris l’Arctic Sea d’assaut le 18 août seulement, quatre semaines après avoir reçu la confirmation de l’info. Même en période de vacances, la réaction parait longue.

Les Russes tentent d’accréditer la thèse d’un montage, histoire de ne pas compliquer leurs relations avec l’Algérie et l’Iran, priés de jouer les imbéciles. Mercredi, après plus d’un mois de silence, ils ont inondé les médias de photos de leurs vaillants marins arrêtant les prétendus « pirates ». Des photos qui ont été prises dans un pays non identifié où la cargaison déchargée était aussitôt rechargée sur des avions-cargos militaires.

À l’évidence, « l’enquête » du grand reporter israélien est trouée comme un gruyère, et son texte transpire la vénération qu’il porte aux « sources » qui l’ont choisi pour raconter cette histoire. Mais si beaucoup de détails restent flous pour le moment, les points principaux semblent être assez crédibles : des armes sensibles ont été achetées à Kaliningrad par les représentants de la Syrie et plus probablement de l’Iran. Ce dernier pays ayant signé avec Moscou un contrat pour l’achat de S-300, on peut très bien supposer que ses dirigeants en ont eu assez des tergiversations russes et décidé de passer outre. On peut aussi avancer l’idée qu’au sein de l’industrie militaire russe, certains étaient aussi impatients que les Iraniens de matérialiser le marché. Pour le reste, si l’histoire n’est pas totalement vraie, elle est au moins amusante à lire.

Ségolène bientôt présidente ?

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L’événement est d’une portée considérable : Ségolène Royal vient d’annoncer qu’elle allait prendre la présidence de Désirs d’avenir, en lieu et place de son proche Jean-Pierre Mignard, désormais rétrogradé, sans rire, au poste de « Président du Conseil Scientifique » dudit fan-club. Par ailleurs, Mme Royal a annoncé que « Désirs d’avenir » allait désormais se positionner non plus comme un club politique, mais comme une ONG. Une Organisation Non Gouvernementale ? Pourquoi pas, en effet, tant il semble avéré que Ségolène n’a jamais eu, n’a pas et n’aura jamais vocation à gouverner…

L’Afghane est-elle l’avenir de l’homme ?

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afghanistan

On ne sait toujours pas qui, de Hamid Karzai ou Abdullah Abdullah, a remporté les élections présidentielles en Afghanistan, mais pour les femmes afghanes, il n’est pas sûr que cela fasse une différence.

Esclaves domestiques sous le régime des talibans, elles sont toujours soumises à la volonté de leur mari ou de leur père. La guerre, les embuscades meurtrières sur les marchés ont aggravé leur situation et elles représentent, aujourd’hui, avec les enfants, 75 % des réfugiés à la frontière. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si 65 % des 50 000 veuves de Kaboul voient le suicide comme la seule issue pour échapper à la misère. L’immolation par le feu est de plus en plus fréquente.

Celles qui osent braver un tant soit peu l’autorité patriarcale ou religieuse le payent souvent de leur vie.

On aimerait que le sort de ces femmes, victimes de la folie impunie des fondamentalistes, fasse réfléchir toutes celles qui, « à poil sous leur burqa », revendiquent comme une liberté cette réclusion vestimentaire.

On se souvient de Laura Bush plaidant pour la guerre en Afghanistan afin, disait-elle, d’en finir avec l’oppression des femmes. Huit ans plus tard, la présence dans le pays de 100.000 soldats de la coalition n’a pas empêché le Parlement de « légaliser » la discrimination à l’encontre des femmes chiites qui représentent 15% environ de la population. Alors que la Constitution institue une égalité de principe entre hommes et femmes, cette loi qui dormait sous le turban autorise les chiites à appliquer un droit spécifique, issu de la charia, en matière familiale et personnelle. Entre autres gracieusetés, ce texte prévoit que si une femme refuse de satisfaire les demandes sexuelles de son mari, celui-ci a le droit de lui retirer tout soutien matériel, autrement dit de la laisser mourir de faim. La loi permet également à un violeur d’échapper à toutes poursuites s’il paye « le prix du sang » à la femme violée…Ou à sa famille. Dans El Pais, un Afghan rappelle que le Coran établit une progression dans l’exercice des droits de l’homme frustré : « D’abord, il peut arrêter de parler à sa femme, ensuite faire lit à part, puis, lui donner un avertissement, et enfin en dernier lieu, il lui est permis de la battre légèrement sans lui causer de blessure. »

Ouf ! Nous nous voila rassurés, les Afghans sont des sado-masos comme les autres.

Sous la pression des associations et des ONG, le président Karzai avait, dans un premier temps, demandé la révision de ce projet. Pourtant, cette loi « punitive » a été adoptée « sous la burqa » et publiée le 27 juillet dernier au Journal Officiel afghan. En somme le président a sacrifié les femmes aux fondamentalistes dont il espère ainsi s’attirer les bonnes grâces. Ne rien faire, ne rien dire quand tant de femmes sont menacées de mort parce qu’elles sont des femmes, c’est se rendre coupables de non-assistance à personnes en danger. Rappelons que le 12 août dernier, la députée Sitara Achikzai était sauvagement assassinée à Kandahar.

Et pourtant, deux des 41 candidats à la présidence étaient des candidates et 328 femmes se sont présentées aux élections provinciales. Malgré la fermeture de 650 bureaux de vote qui leur étaient destinés dans les zones pachtounes, malgré les attentats et les menaces, les Afghanes ont voté et pas seulement dans le nord. Parce qu’elles continuent à croire à une vie meilleure. Alors, oui, cher Marc Cohen, mieux vaut « ces magnifiques isoloirs individuels et portables » que pas de vote du tout.

Dans le cadre de sa nouvelle stratégie qui consiste à faire des soldats alliés des « partenaires » et non plus des « occupants », la nouvelle Administration américaine se prétend convaincue que les femmes peuvent jouer un rôle accru. D’où la création d’une unité totalement féminine, la « Female Engagement Team ». La mission de ces « G.I Jane » qui se conformeront aux normes islamiques (sous leur casque, elles auront la tête couverte) sera de gagner la sympathie des villageoises, en leur donnant des conseils d’hygiène et d’éducation. Bref, à défaut d’avoir su gagner le cœur des hommes, l’armée américaine s’emploiera-t-elle vraiment à conquérir celui des femmes ? On aimerait y croire. En attendant, peut-être faut-il, comme le poète afghan Atik Rahimi, s’en remettre à « Synge Sabour », la pierre de patience.

Dysortografik grave

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Franssoua de Closé é tun fô simpa. Il â passait sa vy praufaissiaunel à kassé du sukre sûr le dau dé fonktiaunair. Il la aité trai maichan havec eux é lé za hacusé daitre dé fénéant. Franssoua de Closé, sété vréman les nemy achar nez de tou lé zarkaïsmes de lé tas provydanse. Ont pouvé se demendé doux venay une taile kolaire, kele blaiçurre secrête sa caché. Mintenen, grasse au Pouin, onsé. Franssoua de Closé été hune burne à lékolle en ortografe. Alaur com il é sélèbre, il veu se vangé é boussilé lé raigles paske l’aurtograf, cé kom lé fonctyonnair, cé tarkaïk é sa devré pas zaixisté. Voualà, sé tou.

La mort naturelle, c’est d’un démodé…

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Décidément, ces temps-ci, le repos des défunts n’a rien d’éternel. Après la réécriture, à chaud, de la version officielle des causes du décès de Michael Jackson, c’est au tour de Brian Jones, décédé en 1969 d’être sur la sellette. Contrairement à ce qu’on pensait jusque-là, la noyade fatale du guitariste des Stones n’aurait peut-être rien d’accidentel, Scotland Yard, en tout cas va rouvrir l’enquête. En remontant encore plus loin, de nombreux experts bataillent pour reclassifier la mort de Marylin en assassinat et celle de Napoléon en empoisonnement. De là à ce qu’on apprenne, un de ces quatre qu’en vrai, si ça se trouve, Henri IV se serait suicidé…

Tintin : on a marché sur la tête

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Tintin est-il raciste ?
Tintin est-il raciste ?

Depuis 2007, une bataille judiciaire fait rage au pays de Tintin. Le plaignant, Bienvenu Mbutu, Congolais résidant en Belgique depuis 20 ans, déplore l’image « dégradante » et « offensante » dont souffrent les noirs du Congo et attaque, non pas feu son président et presque homonyme, mais la société Moulinsart qui exploite l’œuvre de Hergé, en l’occurrence Tintin au Congo.

Cette confrérie d’héritiers tintinophiles que j’imagine animée par des messieurs en costumes à carreaux et nœuds papillons, a pourtant rappelé les corrections apportées par l’auteur en 1946 à la deuxième édition du texte de 1931 et ses explications sur « les préjugés des milieux bourgeois dans lesquels il vivait » quand il créa les personnages de cette histoire.

Manifestement, ça ne suffit pas. Bienvenu est décidé à poursuivre son combat contre le racisme jusqu’au retrait du commerce de la BD parce que « pour les enfants qui lisent cet album, le Congo, c’est ça ». Pour les adultes qui lisent le journal, le Congo, c’est plutôt le désastre économique, la corruption, les guerres ethniques, les comptes en Suisse et les orphelins du sida après les années de règne du président à vie mort mais c’est sans doute moins préoccupant.

Après tout, la lutte contre les préjugés racistes doit commencer dès le plus jeune âge et il convient de dénoncer la BD quand elle abrite un tel poison.

L’avocat Gilbert Collard, qui ne risquait pas d’importer de Belgique l’humour et l’autodérision, a prévu d’être le fer de lance de cette croisade en France. L’exemple pourrait bien faire tache en Europe et les héritiers d’Uderzo et de Goscinny ont du souci à se faire pour Astérix chez les Belges, les Bretons, les Helvètes, les Hispaniques ou les Vikings. Quand aux tenants de la diversité, ils pourraient leur demander des comptes pour l’image « dégradante » et « offensante » que les dessinateurs s’attachent à coller album après album aux pirates cosmopolites.

Outre-Atlantique, dans cette Amérique qui a 20 ans d’avance sur la vieille Europe, la censure a frappé et la bibliothèque municipale de Brooklyn, à la suite de plaintes, a mis l’album jugé raciste sous clef, « consultable par des chercheurs et des lecteurs avisés ». Les blancs à chapeaux pointus n’y auront pas accès, les autres devront peut-être, pour obtenir leur carte de « lecteur avisé », jurer sur la Bible et la Constitution des Etats-Unis qu’ils sont purs de tout fantasme raciste sous le contrôle d’un détecteur de mensonges.

Cette résurrection de « l’enfer », ce placard qui enfermait jadis les œuvres interdites par l’église, a été saluée par le CRAN[1. Conseil représentatif des associations noires.] comme une sage décision et son président Patrick Lozès a préconisé que l’on ajoute à l’album un texte pédagogique pour éviter les poursuites judiciaires.

Faudra-t-il aussi obliger nos enfants à lire des textes pédagogiques sur les personnes de petite taille qui sont des humains comme les autres mais en plus petits avant de les laisser regarder Blanche-Neige et les sept nains ?
Je conseillerais bien à Bienvenu Mbutu d’arrêter de nous castafiorer mais en Etat de droit, les choses se passent autrement. Sous la menace des procès, la marque Banania a renoncé à sa mascotte. Pour l’instant, la société Moulinsart des ayants-droit d’Hergé tient bon et rappelle que « la lecture d’une BD de 1931 demande un minimum d’honnêteté intellectuelle pour être lue en étant replacée dans son contexte ».

Le CRAN, lui, précise que « l’ouvrage est lu par de jeunes esprits qui ne peuvent pas tous faire la part des choses entre la caricature et la réalité ». Le souci est louable mais on peut espérer que la diversité qui compose les classes permettra aux enfants les plus menacés de tomber dans le racisme dès la maternelle de s’apercevoir au premier coup d’œil que les caricatures du temps de mon grand-père n’ont plus aucun rapport avec la réalité d’aujourd’hui.

Le Congolais venu chez les Belges s’indigne parce dans Tintin au Congo, « on laisse penser que les noirs n’ont pas évolué ».

Reste à savoir qui, d’Hergé ou de Mobutu, laisse penser une chose pareille ?

Bienvenue en Afghanistan-sur-Mer

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Le Yemen est-il sur le point de devenir un nouvel Afghanistan ? Notre photo : la vieille ville de Sana'a.
Le Yemen est-il sur le point de devenir un nouvel Afghanistan ?

Les navigateurs arabes qui nommèrent Bab-el-Mandeb (« porte de la lamentation ») le détroit séparant Djibouti du Yémen ont été bien inspirés. Mais si les compagnons de Sinbad craignaient les dangers relatifs à la navigation, leurs successeurs contemporains redoutent d’autres périls, beaucoup plus politiques. Large d’une trentaine de kilomètres dans son point le plus étroit, devenu une artère importante du commerce mondial, ce couloir souffre d’un voisinage exécrable. Si l’instabilité chronique en Ethiopie/Erythrée et le chaos en Somalie sont assez bien connus, la situation de l’autre rive, pourtant aussi préoccupante, l’est beaucoup moins. Relativement discrète sur la scène internationale, la République arabe du Yémen (la dernière fois que le grand public en a entendu parler, c’était après la catastrophe aérienne d’un avion de la Yemenia) commence à présenter d’inquiétantes similitudes avec l’Afghanistan.

Le dernier des nombreux conflits qui secouent le Yémen depuis des lustres dure depuis déjà cinq ans. Avec plus de 120 000 personnes déplacées et des milliers de morts depuis 2004, on peut difficilement qualifier la rivalité entre le régime d’Ali Abdullah Saleh et les rebelles zaïdites (une forme du chiisme) du Nord de conflit larvé. La dernière offensive du gouvernement contre les rebelles, lancée il y a quelques semaines, a fait au moins cent morts et les réfugiés se comptent par milliers. Il s’agit de toute évidence d’une escalade dans la violence d’une guerre civile sans fin. Pourtant, en 2008, à la suite d’un accord signé avec les rebelles, Saleh avait déclaré le conflit « terminé ». Mais les rebelles, paraît-il, ont profité de la trêve pour renforcer leurs positions et grignoter celles du gouvernement de Sanaa. Comme en Afghanistan, cela s’est traduit par la neutralisation de toutes les formes de présence souveraine du gouvernement dans la région.

Pour comprendre la situation, il faut oublier que le drapeau du Yémen est hissé devant le siège des Nations-Unies et faire abstraction de termes comme « Etat » ou « nation ». Derrière les appellations des XIXe, XXe et XXIe siècles se cachent des clivages bien plus anciens. Si l’on se contente des dépêches AFP, on peut croire que les rebelles du Nord et leur leader Abdul-Malik al-Houthi, qui se réclament du chiisme, sont des clients de l’Iran. Sauf que, d’une part, le président Saleh est zaïdite (et donc chiite) lui aussi, et que d’autre part, dans le passé, il avait aidé les rebelles du Nord, ses ennemis d’aujourd’hui, à s’organiser et à s’armer quand il avait besoin d’eux pour contrebalancer d’autres forces dont la menace semblait à l’époque plus imminente. Autant dire que l’hypothèse d’un conflit religieux n’est pas très pertinente.

Oublions donc idéologies et obédiences religieuses. C’est une tout autre appartenance qui anime le conflit, car avant d’être zaïdite, Abdul-Malik, le chef rebelle, est un membre imminent du clan d’al-Houthi. Fort d’un dense réseau d’alliances, ce clan domine le nord montagneux du Yémen, position officiellement reconnue par Sanaa qui avait signé avec lui la trêve de 2008. Mais, sur le fond, rien n’a changé. Depuis des années, les al-Houthi construisent un Etat dans l’Etat. Ils ont pris le contrôle des mosquées et des établissements scolaires et sapent systématiquement la présence de l’Etat en proposant des services publics parallèles.

La religion est, certes, un élément important de l’échiquier yéménite, mais elle ne sert ici que de moyen de mobilisation et de ciment pour assurer la cohésion d’une kyrielle de tribus. Officiellement, la rébellion « chiite » dirigée par Abdul-Malik al-Houthi souhaite rétablir au Yémen le régime des imams, évincé par une révolution républicaine en 1962. Dans la réalité, les tribus qui soutiennent les al-Houthi cherchent à réinstaller un système de gouvernance « à l’afghane », un réseau d’alliances entre potentats locaux plus ou moins autonomes. Dans le cadre d’un tel système politique, un « pouvoir central » ne pourrait rien espérer de mieux que le respect des apparences, autrement dit une soumission toute protocolaire, à condition de ne pas trop s’aventurer – ni d’entreprendre quoi que ce soit – en dehors de sa capitale.

Le président Ali Abdullah Saleh, 67 ans, qui se positionne comme l’homme providentiel garant de la stabilité, ne veut pourtant pas de ce « retour en arrière » vers le chaos tribalo-clanique. Cela pourrait non seulement remettre en cause son règne, mais plus encore celui de son fils, commandant en chef de la garde présidentielle – poste-clé, car les deux prédécesseurs de Saleh ont été assassinés. Les al-Houthi profitent sans doute de ce début de transition de pouvoir pour faire monter les enchères en provoquant une sorte de guerre de succession.

Malheureusement, ce genre de géopolitique de l’an Mil – guéguerre incessante entre baronnies – a une fâcheuse tendance à déborder en dehors des frontières. Comme en Afghanistan, en Somalie et, de plus en plus, au Pakistan, ces régions tribales quasi autonomes sont autant de terreaux fertiles pour le phénomène que l’on désigne, depuis le 11 septembre 2001, par le nom « Al-Qaïda ». Dans les zones d’ombre où se côtoient modernité et toute sorte d’archaïsmes se distille le mélange explosif des frustrations et de moyens d’actions sophistiqués. En octobre 2000, l’attaque contre le navire de guerre USS Cole au large du port d’Aden, qui a coûté la vie à 17 marins américains, a révélé le potentiel explosif de la situation au Yémen. Presque une décennie plus tard et malgré un bilan opérationnel impressionnant, les Etats-Unis ne sont pas au bout de leurs peines. L’affaiblissement de Saleh n’améliorera pas les choses.

Contrairement à la situation en « Afpak » (Afghanistan et Pakistan), les troubles que connaît le Yemen peuvent difficilement être imputés à une intolérable ingérence étrangère. Depuis des décennies, les grandes puissances ont laissé les Yéménites gérer leurs affaires. L’unification du Nord et du Sud en 1990, dont Saleh fut l’artisan, semblait être de bon augure, mais le bourbier yéménite reste à la fois dangereux et ingérable. Dans un entretien donné en juin 2008 au chef du bureau du New York Times à Beyrouth, le président Saleh a comparé la gouvernance du Yémen à une danse avec des serpents. Au début de la décennie, la CIA a dû descendre dans l’arène, mais son succès mitigé fait craindre que d’autres acteurs occidentaux soient aspirés par le tourbillon de cette valse infernale.