L'inspecteur des scribes Raherka et sa femme Merséânkh, vers 2350 av. J.-C., musée du Louvre.
La mère monte aux dépens de la femme, nous explique Élisabeth Badinter. Déjà, il y a quelques années, Michel Schneider montrait, dans Big Mother[1. Odile Jacob, 2002. Réédition en Poches Odile Jacob, février 2005. ], que l’image de la mère colonisait jusqu’à notre classe politique. Seulement, dans tout ça, on ne parle pas du père. Plus de quarante ans après mai 1968, il semble qu’on continue à combattre une société patriarcale qui, pourtant, n’existe plus depuis bien longtemps.
[access capability= »lire_inedits »]La généralisation du divorce − plus d’un mariage sur trois finit ainsi − a fait exploser le modèle qui s’imposait aux familles depuis des siècles. Ce modèle, qu’on ne songe évidemment pas à rendre à nouveau obligatoire, est désormais ringardisé. Ce qui est dans le vent, ce qui est cool, c’est désormais la famille recomposée. Le nombre des familles monoparentales (Le « monoparent » étant féminin à une écrasante majorité) a explosé. Or, si les enfants ont effectivement besoin de leur mère, ils ont aussi besoin de leur père. Et il ne faut donc pas, dès lors, s’étonner que la délinquance juvénile augmente ; un juge pour enfants confiait, il y a quelques mois, sur le plateau d’Yves Calvi, sur France 5, que son taux était bien plus fort dans les familles monoparentales.
Pourtant, notre société continue à nier l’importance de la présence du père. Mme Morano, ministre de la Famille, aurait souhaité mettre en place un statut du beau-parent[2. La commission Léonetti a, pour l’heure, heureusement bloqué ce projet inutile et funeste.]. Il s’agissait, là encore, d’un rude coup donné à l’autorité paternelle. Mais pas seulement : hypocritement, ce projet permettait aux couples lesbiens[3. 90 % des couples homosexuels désirant un enfant, par adoption ou autre biais, sont des couples de femmes.] de s’engouffrer dans la brèche en donnant la possibilité à l’une des deux femmes de récupérer une autorité parentale dans le cadre de ce statut de beau-parent. Mais qu’il s’agisse d’un beau-parent du même sexe que le responsable légal ou non, c’est l’autorité du père légitime qui était encore battue en brèche. Celui-ci, à qui les juges confient rarement la garde des enfants en cas de divorce, malgré le développement récent de la garde alternée − laquelle ne constitue pas non plus une panacée en terme de stabilité −, semble bien devenu un importun, son rôle étant continuellement dévalué par rapport à celui de la mère.
Ce n’est pas seulement le père qui est de plus en plus absent, mais aussi son image. À l’école, où l’enfant passe normalement son temps lorsqu’il n’est pas à la maison, le personnel enseignant a connu une féminisation galopante. À tel point qu’on se demande s’il ne faudrait pas imposer des quotas d’hommes parmi les professeurs et, surtout, les conseillers principaux d’éducation qui sont chargés de la discipline dans les établissements. Avec un père absent à la maison et une école peuplée de femmes[4. Ajoutons que dans les ZEP, où le taux de familles monoparentales est davantage important, la minorité d’hommes des établissements fait davantage figure d’image de « grand frère » que de père puisque ce sont les professeurs les plus jeunes qui y sont nommés.], le jeune adolescent n’a guère de modèles masculins positifs à sa disposition. Son quartier lui en offre d’autres : parfois un caïd, parfois un imam intégriste, parfois − plus heureusement − un entraîneur de football.
Il reste tout de même des familles traditionnelles avec un père, une mère et des enfants. Mme Antier leur apprend qu’il ne faut surtout pas donner la fessée et souhaite même mettre celle-ci hors-la-loi. Elle fait partie de ceux qui, dénoncés par Élisabeth Badinter, abreuvent les familles d’un discours culpabilisant sur l’allaitement. Elle conseille aussi le co-sleeping (ou « co-dodo ») qui consiste à faire dormir l’enfant dans le lit parental les deux premières années de sa vie. Les féministes s’inquiètent à juste titre à propos de la « vie de femme » de Madame. Quant à Monsieur… Silence radio ! Ah, non ! Mme Antier conseille, car il est souvent porté sur la bouteille, de le reléguer sur le canapé, des fois que son taux d’alcoolémie l’amène à écraser le jeune enfant.
Décidément, partout, le père est vraiment de trop.[/access]
L’analyse des élections régionales selon les catégories habituelles, vainqueurs-vaincus, principaux et secondaires, a pour elle l’avantage d’être simple, mais l’inconvénient de figer le tableau politique de la France. Pour les commentateurs, sondeurs et éditorialistes, pour la plupart ancrés dans la capitale, la victoire a souri à la patronne de la rue de Solferino, et le goût amer de la défaite se remâche sous les ors de l’Elysée et de Matignon. En 2012, selon ces mêmes analystes, ce sera à nouveau le choc des mêmes contre les mêmes, et le résultat dépendra de la manière dont les forces en présence auront tiré les leçons de cette élection intermédiaire.
Ainsi, Martine Aubry aurait fait un grand pas vers la candidature socialiste à l’Elysée, et Nicolas Sarkozy, dont personne ne doute qu’il ne veuille se succéder à lui-même, partirait dès aujourd’hui à la reconquête de son électorat perdu.
Chacun s’accorde, en plus, pour prononcer l’oraison funèbre des ambitions de François Bayrou, prendre acte de l’inscription durable et à un niveau à deux chiffres des écologistes dans le paysage politique français et d’un réveil du Front National qui s’apprête à procéder à un passage de témoin dynastique. Une note de bas de page nous rappelle, pour mémoire que l’extrême gauche radicale s’est ramassée en beauté, faute d’avoir montré la moindre appétence à mettre les mains dans le cambouis des exécutifs régionaux.
Ces élections auraient donc, selon ces analyses, introduit plus de clarté et de stabilité dans le jeu politique français, en fixant un rapport de force entre les principales formations politiques et en dessinant les contours des alliances et des stratégies pour 2012. Tout cela n’est pas faux, mais cette image printanière de la vie politique de notre pays persistera-t-elle au-delà de cette saison qui s’ouvre ? Il est permis d’en douter.
Si l’on écoute bien les petites musiques discordantes qui se sont fait entendre dès dimanche soir et qui ne vont pas manquer de résonner à nouveau dans les prochains jours ou les prochaines semaines, on ne peut douter de la longévité du calme apparent intervenu après la proclamation des résultats.
À droite comme à gauche, et même chez les écologistes, des forces non négligeables entendent bien s’employer à dynamiter les piliers de cet édifice politique.
À droite, les doutes sur la capacité de Nicolas Sarkozy à relever le défi présidentiel en 2012 sont de plus en plus manifestes dans les troupes de l’UMP, notamment chez les parlementaires inquiets pour leur reconduction en 2012. Pour peu que le Sénat, l’an prochain, se dote d’une majorité de gauche, ce qui n’est pas impossible au vu des dernières élections locales, le bilan politique intérieur de Nicolas Sarkozy se solderait par la plus calamiteuse reculade de la droite républicaine française depuis 1945. En Grande-Bretagne l’affaire serait déjà en passe d’être réglée, comme ce fut le cas lors de la destitution de Margaret Thatcher, en 1990, par le biais d’une rébellion des parlementaires tories. Une telle procédure n’est pas possible dans notre Vème République, mais un démontage du président de la République en exercice n’est pas pour autant exclu. Il suffit que les adversaires internes de Nicolas Sarkozy s’unissent et complotent avec suffisamment d’énergie et d’habileté pour que ce dernier « ne soit plus en situation » de postuler à sa propre succession au vu de batteries de sondages indiquant, que dans tous les cas de figure, il serait battu par un candidat de gauche. Dans cette hypothèse, son seul atout réside dans les contradictions des postulants de droite à sa succession. Un Copé ou un Bertrand préféreraient un Sarkozy candidat et battu en 2010, pour jouer leur chance en 2017, alors qu’un Fillon ou Villepin auraient, eux, intérêt à être présents dès 2012. Déjà, chacun à sa manière, fait entendre sa différence, et cette attitude devrait aller en s’amplifiant. On peut compter sur Galouzeau pour frapper d’estoc et de taille sur le locataire de l’Elysée, mais cela ne saurait suffire à faire exploser la machine sarkozienne, qui tient toujours des positions solides dans le monde des affaires, de la presse, des instituts de sondage et autre instruments du pouvoir moderne.
Mais le rejet de sa personne, de son style, de son manque d’écoute et de respect par les grognards de l’UMP sur le terrain constitue le handicap le plus sérieux à un redressement rapide et spectaculaire de la situation politique de Nicolas Sarkozy. S’il s’avérait, de plus, que le cours de sa vie privée entre dans des eaux agitées, l’affaire, de grave, deviendrait désespérée. Il ne peut espérer d’aide de ses « amis » de l’étranger : Angela Merkel, Gordon Brown ou Barack Obama ont déjà prouvé qu’ils peuvent, comme à Copenhague ou dans la crise de l’euro, l’abandonner en rase campagne s’ils estiment que leur intérêt national est ailleurs.
Reste le miracle : une sortie de crise plus rapide que prévue, une baisse significative du taux de chômage, et un accord général sur la réforme des retraites, qui devrait être la grande question des mois qui viennent. Le seul vrai ami de Nicolas Sarkozy est aujourd’hui Bernard Thibaut, ce qui ne manque pas de sel.
Au PS, on aura remarqué dimanche soir, la mauvaise manière faite par Ségolène Royal à Martine Aubry, en se précipitant dès 20h07 devant les caméras pour émettre son message. Forte de son score de 61%, la triomphatrice picto-charentaise a caractérisé cette victoire nationale comme celle de ses collègues présidents de région, réduisant ainsi à la portion congrue les mérites de sa rivale Martine Aubry. De son côté Frêche, grand vainqueur, lui aussi, décrétait le PS obsolète appelait à la création d’un « parti démocrate » à l’américaine et poussait son ami Gérard Collomb, maire de Lyon, à entrer dans l’arène des primaires pour y faire entendre la voix des grands barons locaux. Le « pacte à trois », Fabius, Aubry, Strauss-Kahn destiné à ne soutenir que l’un d’entre eux lors de ces fameuses primaires apparaît à bon nombre de militants et de sympathisants socialistes comme une manœuvre politicienne digne de la SFIO d’antan.
Dans ce contexte, il reste aux « dynamiteurs » du système Solferino, renforcés par leurs performances sur le terrain, à faire le plus dur : s’entendre sur le nom de celui ou celle à qui l’on confiera les clés de la nouvelle maison à reconstruire sur les ruines de l’ancienne…
Enfin, les écolos. Les anciens auront noté le clin d’œil aux old timers de 68 dans la publication de l’appel du 22 mars de Dany Cohn-Bendit dans Libération. Dany, on l’aura remarqué passe du « nous » au » je » en exhortant les Verts de Cécile Duflot à sortir de leur logique de groupuscule devenu gros comme un parti pour fonder une » coopérative politique » intégrant dans une formation unique toutes les personnalités de la société civile rassemblées, grâce à lui, au sein d’Europe-Ecologie. En fait, il s’agit là d’une tentative de mettre l’écologie politique au niveau organisationnel des grandes formations, même si le langage utilisé pour vendre cet Epinay des écolos, dont il serait le Mitterrand, est encore emprunté au jargon deleuzo-guattarien, mâtiné de post-modernisme universitaire américain. La réussite de ce projet est absolument nécessaire à Dany Cohn-Bendit pour qu’il puisse jouer à plein le seul rôle qu’il ambitionne, celui de faiseur de roi à gauche, ce qui implique une candidature unique PS-écolo en 2012. Pour l’instant le message est entendu moyennement chez les nouveaux élus verts régionaux, qui vont devoir gérer au jour le jour leurs rapports avec leurs alliés socialistes, et ne tiennent pas trop à voir l’Européen Cohn-Bendit mettre son nez dans les cuisines locales. Il n’est pas exclu, dans ce schéma, que ce dernier fasse acte de candidature aux « primaires ouvertes » de la gauche, en annonçant que si d’aventure, il venait à les remporter, il demanderait alors la nationalité française. Il s’arrangera, bien sûr, pour faire un score honorable sans remporter la timbale, mais se trouvera alors en position de monnayer son soutien à l’un ou l’autre des candidats en échange d’un nombre de circonscriptions assez élevé pour gagnables pour que la « coopérative » puisse former un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, dont il serait le parrain tirant les ficelles depuis Bruxelles et Strasbourg.
Pour ceux que cela intéresse encore, la politique politicienne des prochains mois a toutes les chances de se muer en une pièce de théâtre shakespearienne, où l’on compte les cadavres à la fin, plutôt qu’en une geste cornélienne où les héros glorieux triomphent de l’adversité.
Pak Nam Ki, haut responsable du parti communiste de Corée du Nord, a été exécuté la semaine dernière dans une caserne de Pyong Yang. Il avait 77 ans et avait totalement échoué dans une réforme monétaire dont l’avait chargé Kim Il Sung. Lancée le 30 novembre, cette réforme a, en fait, aggravé la famine et même provoqué de nombreuses émeutes dans un pays où l’ordre et la sécurité règnent habituellement. Nerveux, François Fillon s’est rendu ce matin à l’Elysée pour procéder à un remaniement ministériel qualifié de « technique ». Il aurait, auparavant, fait l’inventaire des casernes de la région parisienne. Xavier Darcos et Xavier Bertrand, eux, seraient déjà réfugiés à l’ambassade de Chine.
Tout d’abord, les grands équilibres. Sauf à considérer la non-bascule de l’Alsace –qui a toujours voté à droite depuis son Anschluss à la France- comme un événement historique, les résultats actent d’un rapport de force régional à peu près intact entre les deux blocs dominants. Le même, donc, qui avait préludé à la victoire de Sarkozy en 2007. Personne, sauf quelques militants post-ados du MJS, n’a eu le mauvais goût de hurler à la victoire hier soir à Solferino, où Martine a imposé sans trop de mal sa ligne du triomphe modeste.
La modestie, quoique d’un genre différent, était aussi de rigueur à l’UMP. Pour une fois, chacun avait appris sa fiche de contrition par cœur, et même les moins qualifiés pour ce genre d’exercice repentant (Morano, Lefebvre, Estrosi) y sont allés de leur mea culpa – sans jamais chercher à chipoter quant à la réalité de la claque.
Un seul credo hier chez les sarkozystes : « Nous n’avons pas su nous faire comprendre car nous n’avons pas su entendre. » À l’avenir donc, c’est promis-juré-craché, l’UMP sera à l’écoute du pays avant d’engager des réformes. On est content pour eux, sauf qu’on n’en croit pas un mot. Car sur le gros dossier du moment – à savoir les retraites- la seule façon d’être « à l’écoute », c’est de l’enterrer vivant avant même que François Fillon ne le ressorte de son attaché-case. Malgré les rodomontades généralisées sur les réformes indispensables, il n’est pas dit que ledit dossier ne soit pas déjà mort dans l’esprit du président : l’Elysée vaut bien un parjure.
Dans ce tsunami d’autocritique à droite, l’unique mais lourdement martelé bémol aura été le distinguo entre élection nationale et pipis de chat intermédiaires. Mauvaise foi, peut-être (remember les hourras des européennes); mais vérité néanmoins. En ne s’engageant pas plus que ça, et en minimisant la portée du scrutin dès que les sondages ont commencé à sentir le sapin, bref en sautant son tour sur ce coup-là, le chef de l’Etat a préservé l’essentiel –tout en permettant aux sarkozystes d’en bas d’exprimer leur ras le bol avec leur pieds, de pousser une gueulante gestalto-thérapique sans conséquences majeures. Sans vouloir nous vanter, mais un peu quand même, c’est pile le scénario anti-catastrophe qu’on avait prévu.
On nous fera remarquer, à raison, que cette bouderie, l’électorat sarkozyste ne l’a pas seulement manifestée en s’abstenant, mais en requinquant concomitamment le FN – seul parti où hier soir, la modestie n’était pas de mise. À tort, au moins pour un des arguments répétés en boucle par le père et la fille -et repris tels quels par nombre de politologues trop pressés- comme quoi pour la première fois le Front progresse sur le premier tour là où il se maintient. C’est vrai, certes, sauf que c’est encore plus vrai pour tous les autres acteurs de triangulaires, sans exception : en Limousin, le Front de Gauche progresse de 7 points sur le premier tour ; en Bretagne, Europe Ecologie en gagne 5, même topo en Corse pour la liste de Simeoni. Bref, quelles que soient leurs casquettes, les troisièmes larrons ont fait une bonne affaire, la belle affaire. Eh oui, on rappellera pour les plus distraits qu’il n’y aura pas de troisième candidat au deuxième tour de la présidentielle. Et que le bon score du FN, permettra en 2012 tant à Sarko qu’à son challenger socialiste de s’en servir à nouveau comme épouvantail pour appeler au vote utile dès le premier tour afin d’éviter une répétition du 21 avril de sinistre mémoire. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les hésitations chez les écolos à présenter un candidat autonome, d’aucuns jugeant plus avisé de faire un package deal avec le PS avant 2012 genre « on présente personne à la présidentielle, en échange de 50 circonscriptions blindées aux législatives ». Ce serait le pur bon sens, mais bon, les Verts et le bon sens, hein…
A priori, cette résurrection pré-pascale du FN fait donc comme d’hab’ le jeu du PS. Sauf qu’à notre avis, elle roule aussi pour le président. Entendez-vous dans la campagne monter le grondement du chantage à la non-représentation de notre bon Nicolas S ? Sa femme d’abord (qui dit qu’un mandat c’est bien assez), puis lui ensuite. Genre, puisque vous ne m’aimez pas, puisque ce pays ne m’aime pas, je vais faire conférencier à la Bill Clinton ou à la Tony Blair, même pas peur. Et trouvez-vous un champion -Raffarin, Copé, Villepin, Morin- pour sauver la France. On parie ? Les petits moutons bleus vont venir pleurer sur le paillasson de l’Elysée en moins de 10 minutes. Et le grand Nicolas Sarkozy reviendra nimbé de sa pauvre houppelande de petit homme providentiel. Celui qui peut ramener le frontiste à la raison…
Aimable moyen aussi de piquer une partie de leur fond de commerce aux villepinistes. Ceux-ci espéraient surfer sur défaite sarkozyste, ils risquent au contraire de se prendre dans les dents un retour de bâton unioniste et légitimiste. (On verra ce que donne, jeudi, leur grande surboum de printemps)
On ajoutera à cela que si le président a un peu le FN en travers de la gorge, il n’a plus l’écharde géante du Modem enfoncée profond dans la voûte plantaire. Idem pour le PS avec la regroupusculisation du NPA au profit d’un Front de Gauche remuant certes, mais monitorable.
Bref à gauche comme à droite, les compteurs sont à zéro. Les élections ne se sont pas passées hier, elles commencent aujourd’hui.
Maintenant que Georges Frèche a gagné dans les urnes, que faut-il en conclure ? Que les électeurs languedociens pensent que Frèche est antisémite et qu’ils partagent cette phobie des Juifs avec lui ? Ou bien qu’ils pensent que Frèche est antisémite mais que ce petit défaut ne compte pas face à ses belles qualités de président de région ? Ou encore qu’ils ne croient pas du tout à l’accusation d’antisémitisme portée par ses accusateurs parisiens ou haut-normands ? Personne n’en saura jamais rien. Et cette incertitude laisse en bouche un goût amer.
Quand un homme politique, que certains veulent à tout prix prouver raciste, gagne systématiquement devant les électeurs, c’est l’accusation de racisme elle-même qui finit par poser question. Cette accusation semble devenue un système pour discréditer l’adversaire. Chaque semaine ou presque, la presse ou la classe politique relève chez tel ou tel responsable un « dérapage ». Un mot bien pratique, puisque chacun le comprend comme une authentique accusation de racisme, mais qu’il protège celui qui la porte de représailles judiciaires. Dans les journaux ou sur les ondes, le mot « dérapage » cède vite la place, les jours suivant l’esclandre, à « propos jugés racistes par certains ». Puis, tout simplement, « jugés racistes ». Jugés, vraiment ? Par quel tribunal ?
Alors, en ce lendemain d’élection, il faut faire l’effort de revenir à froid sur le cas Georges Frèche. Que le président réélu de Languedoc-Roussillon soit un personnage outrancier, un potentat local, admirateur de Lénine et Mao, un mégalomane, cédant souvent à la violence verbale, sans doute. Mais raciste ou antisémite ?
Le 11 février 2006, Frêche insulte violemment, non pas les Harkis en général comme les médias l’ont dit et répété, mais des Harkis qui ont rallié l’UMP et qui perturbent un dépôt de gerbe en l’insultant. « Allez avec les gaullistes à Palavas, » réplique Frèche. Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! » L’insulte est politique, pas ethnique. Frêche leur reproche d’avoir, en se rapprochant des gaullistes, trahi la mémoire de leurs frères, abandonnés par de Gaulle à la vengeance sanglante des indépendantistes algériens. De plus en plus énervé, Frèche poursuit : « Mais vous n’avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes. Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur, rien du tout. » Certains trouvent dans ce « sous-hommes » l’écho des Untermenschen d’Hitler. Dans le contexte très chaud de la dispute, on entend surtout une bravade de cour de récré, du genre « t’as rien du tout entre les jambes, t’es pas un homme ! » Ce n’est pas très fin, ni très digne, c’est franchement macho et carrément méchant, mais ce n’est pas raciste.
Le 16 novembre 2006, en séance budgétaire, Frêche constate que dans l’équipe de France de football « il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société ». Et il conclut : « S’il y en a autant, c’est parce que les Blancs sont nuls. » S’il y a du racisme dans ces phrases, il porte évidemment contre… les Blancs ! Qui ose le lui reprocher ?
Quand Frêche lance, le 22 décembre 2009, « Si j’étais en Haute-Normandie, je ne sais pas si je voterais Fabius. Je m’interrogerais. Ce mec me pose problème. Il a une tronche pas catholique », il réplique à une attaque frontale (deux jours avant, Fabius avait déclaré sur France 5 qu’il ne serait pas sûr de voter Frêche s’il était languedocien). Frêche répond donc du tac au tac à un adversaire politique… baptisé catholique. Cette parole verbale serait passée totalement inaperçue si L’Express ne lui avait donné (un mois après qu’elle eut été prononcée) tout à la fois une audience nationale et un sens bien préci,s grâce à l’ajout d’un encadré sur les ancêtres juifs de l’ancien premier ministre. Sans l’hebdomadaire et sans les socialistes (Claude Bartolone en tête), les Français avaient toutes les raisons d’ignorer les origines de Fabius.
« Frêche n’est ni raciste ni antisémite », dit la socialiste Hélène Mandroux, qui l’a affronté sans succès aux régionales, après avoir travaillé avec lui. « Il n’est pas antisémite », dit Richard Prasquier, le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). « Pour moi, être d’ascendance juive, ce serait un honneur », écrivait dans un livre paru en 2007 le même Frêche, qui a par ailleurs jumelé Montpellier avec la ville israélienne de Tibériade. Malgré tout cela, la petite musique de l’accusation a continué de courir dans les médias nationaux.
Le pire est que Frêche en est venu à se laver avec la boue dont on l’éclabousse. Le 9 mars, il a accusé le PS, qui avait participé à une manifestation hostile à l’implantation à Sète d’une entreprise israélienne de fruits… d’être antisémite ! « C’est celui qui le dit qui y est », comme on disait à la récré. Voilà où nous en sommes rendus dans le beau pays de France.
Face aux traqueurs monomaniaques de la Bête immonde, on aimerait juste réclamer le bénéfice du doute pour ceux qui parlent publiquement.
Cela éviterait que :
chacun puisse être sommé de démontrer qu’il n’est pas raciste au fond de lui-même (preuve impossible à apporter, à moins d’inventer une police des arrière-pensées) ;
les « fabricants de réputation » jettent l’opprobre sur un innocent, sous prétexte de ne jamais laisser courir de coupables ;
et surtout, se banalise une accusation qui devrait garder toute sa force. Ceux qui crient chaque jour au loup et voient partout des racistes dans les assemblées républicaines affaiblissent la cause de la lutte contre le racisme.
L’abstention, si élevée encore pour ce second tour des Régionales, m’inspire, pour être clair, un très profond mépris. A peu près aussi fort que le mépris dont font preuve les abstentionnistes à l’égard de la démocratie. Soyons bien clair, je ne parle pas ici du vote blanc. Nous avons nous même voté blanc, au second tour des présidentielles de 2002 et nous nous rappelons quand même avec une certaine volupté méchante ce papa bobo paniqué avec son bébé sur le ventre qui hurlait au scandale parce qu’il ne pouvait pas voter « contre le fascisme-et-l’exclusion ». Il avait juste, depuis huit ou dix ans qu’il habitait dans le quartier, négligé de s’inscrire sur les listes électorales, devant se croire tellement supérieur avec son tofu, son bouddhisme et son vélo, à tous ces beaufs endimanchés qui allaient se rendre aux urnes le dimanche matin avant ou après le PMU.
Le vote blanc suppose en effet, une démarche civique, celle de s’être inscrit sur les listes électorales, d’abord, et ensuite de bouger ses petites fesses et de se rendre dans le bureau dont on dépend. On rappellera donc aux Français inconséquents de ces jours ci à quoi ressemble un bureau de vote.
Dans un bureau de vote des bénévoles, par pur civisme, vont assurer une permanence ennuyeuse entre 7 heures du matin et 23 heures. Ils vont fastidieusement expliquer qu’il faut prendre un bulletin de chaque liste, se rendre dans l’isoloir, jeter les bulletins non utilisés dans la corbeille, éviter de mettre sa carte d’électeur dans l’urne à la place de la petite enveloppe bleue et surtout ne pas oublier de signer la liste d’émargement. Ils vont aussi demander à une personne sur trois si elle serait libre pour le dépouillement et neuf fois sur dix essuyer un refus.
Il faut aussi que ces gens-là, ceux qui ont perdu l’habitude par paresse intellectuelle et torpeur républicaine de se rendre dans un bureau de votre sachent qu’en France, contrairement à l’Irak, l’Afghanistan et d’autres joyeux pays, on ne prend que très rarement une balle dans le ventre ou un coup de machette dans le crâne quand on en ressort. Parce que, pour l’instant, nous sommes encore dans une démocratie relativement apaisée, et que ce n’est pas grâce à eux qui se croient tellement plus malins en restant à regarder la télé chez eux.
L’image poétique de l’abstentionniste allant à la pêche est en effet une fable médiatique : l’abstentionniste ne va pas à la pêche puisqu’il est essentiellement urbain. Non l’abstentionniste joue à des jeux électroniques, traine sa flemme sur facebook et télécharge illégalement des films et de la musique. Et le lendemain, il ira répondre tout fier au micro trottoir de TF1 ou du Parisien que ouais, en fait, c’est un acte réfléchi, son abstention, qu’elle a une signification profonde, que la politique, tout ça, c’est tous des voleurs qui ne comprennent rien aux vrais problèmes des gens. En fait, ils vont dire ce qu’on attende qu’ils disent : ils non-pensent ou on leur dit de non-penser comme les zyva dans les cités parlent comme ils ont entendu que lez zyva parlaient à la télé. Dans le genre aliénation, l’abstentionniste ne vaut guère mieux qu’un gamin acculturé d’une cité passée au double karcher de la misère social et du pédagogisme.
On pourrait d’ailleurs lui répondre, à l’abstentionniste, que rien ne l’empêche de la changer la politique, qu’on a tous le droit d’adhérer à un parti, voire de créer le sien et de militer, et qu’en ce domaine comme dans tant d’autres, la critique est aisée mais l’art est difficile.
L’abstentionnisme, finalement, que ce soit celui de l’auto exclusion des cités ou celui des classes moyennes au consumérisme frustré et frustrant, est bien le poujadisme gris de notre époque post moderne.
On croit toujours que l’on a affaire à des Grecs anciens, non, on a affaire à des veaux, comme le disait de Gaulle. Finalement, la loi électorale, aujourd’hui, fait la même erreur que le système éducatif depuis Jospin. Elle met l’électeur au centre du système comme l’autre y met l’élève. Eh bien non, l’électeur n’est pas le centre du système, le centre du système c’est la république, notre république.
Et de même qu’un enfant de ces temps qui sont les nôtres ne va pas construire son savoir tout seul, qu’il va lui falloir des contraintes fortes pour le forcer à rester assis plusieurs heures d’affilée pour apprendre à lire, à compter et à écrire, l’adulte infantilisé de nos démocraties de marché qui n’est plus usager mais client, qui n’est plus citoyen mais consommateur, qui a l’amnésie galopante des pantins du présent perpétuel de l’ère publicitaire, il faut le forcer à voter. Comme dans Le Contrat Social de Rousseau où il est question de cette phrase qui finalement ne m’a jamais scandalisé : « On le forcera à être libre. »
Vous pouvez hurler, c’est le prix de la démocratie comme l’école laïque et obligatoire fut le prix de l’émancipation et de l’alphabétisation de toute une population. Et puis, dans le genre atteinte à la liberté individuelle, j’ai comme l’impression que le vote obligatoire dans un pays où l’on fiche, où l’on télésurveille, où l’on radarise les axes routiers, où l’on ne peut plus fumer dans les lieux publics, ça reste tout de même assez léger. D’autant plus que si l’on voulait revenir sur les précédentes obligations et reconquérir ces libertés perdues, jusqu’à preuve du contraire, le meilleur moyen, c’est encore le vote. A moins que vous ne préfériez la guerre civile.
Le vote obligatoire, c’est très bien, la preuve, c’est ce qui a sauvé la Belgique jusqu’à présent. Sans le vote obligatoire et la légitimité qui en découle pour les partis au pouvoir, la Belgique aurait explosé depuis longtemps. Cet art du compromis, cette technique de l’arrangement dans un pays toujours au bord de la scission demeure possible parce que les électeurs, bon gré mal gré sont impliqués. Quand vous ne votez pas en Belgique, c’est une amende, c’est aussi l’interdiction d’exercer certaines professions ou de vous présenter à des concours administratifs. C’est d’une grande sagesse : un prof qui ne vote pas ne mérite pas d’être prof. Je ne vois pas ce qu’il pourrait transmettre s’il ne transmet pas pour commencer un civisme élémentaire. Les territoires perdus de la République, selon l’expression consacrée pour désigner certains quartiers, le sont aussi parce qu’on n’y vote plus du tout. On ne les force plus à rien à vrai dire, ni à apprendre, ni à faire un service militaire, ni même à voter.
Le vote obligatoire, c’est l’ultime chance de les ramener dans le jeu, de leur montrer qu’ils peuvent changer la donne autrement que dans l’émeute et la révolte où ils perdent toujours à la fin et de leur faire comprendre que c’est sans doute ce que certains, par ailleurs redoutent le plus : qu’ils votent et que les choses changent radicalement mais sans violence.
Ce que nous appelons, votre serviteur et quelques autres, la révolution par les urnes.
C’est pas tous les jours qu’on se réveille plié de rire en écoutant les infos. Merci donc aux policiers antiterroristes de la SDAT, et à leurs homologues espagnols, d’avoir fait diffuser en boucle vendredi sur toutes les chaînes les images des « cinq membres du commando de l’ETA » en train de faire leurs emplettes chez Carrouf. En fait, il s’agissait donc de cinq pompiers de Barcelone venus en France faire de l’alpinisme. Heureusement que le démenti piteux des autorités est tombé à temps, et qu’aucun des cinq supposés criminels n’est rentré chez lui avec une balle perdue dans le corps comme souvenir de Paris. N’empêche, le mal est fait : non seulement nos touristes innocents auront été pris pour des assassins – ce qu’il peuvent à la rigueur excuser en ces temps sécuritaires – mais on imagine mal comment nos cinq pompiers pourront pardonner la vraie bavure commise par nos superflics : comment diable a-t-on pu confondre des Basques avec des Catalans ?
Martine Aubry est désorientée. Affairées à préparer la célébration de la victoire, nos gazettes n’ont pas vu que la première secrétaire présentait des symptômes de mauvaise latéralisation. Il faut dire qu’on ne s’y retrouve plus. Avec cette vague rose qui sera en partie verte, ce centre qui à force d’avoir un pied de chaque côté a fini par s’envoler, et cette extrême droite qui se félicite plus ou moins discrètement du triomphe annoncé de la gauche, il y a de quoi devenir chèvre. Si on ajoute à cette pagaille le positionnement impossible de Georges Frêche, on comprend que Martine soit paumée. Selon elle, Georges Frêche n’est pas un homme de gauche : valeurs douteuses, mauvais humour (déjà que l’humour, même de bon goût, est de moins en moins de gauche…). Admettons que Frêche n’a pas sa place dans le camp du bien – en plus, il n’est même pas écolo. Ce qui, au passage, signifie qu’il n’y a plus des masses d’électeurs de gauche dans le coin. Seulement, en prime, Titine nous explique ou plutôt explique aux électeurs qui ont voté pour ce type pas-de-gauche qu’il faut encore voter pour lui pour battre la droite. Chef, c’est quoi ce bordel ?
La campagne a dû être crevante, il est donc bien compréhensible que Martine Aubry perde le nord en même temps que la droite et la gauche. Pour l’aider à s’y retrouver, je lui donne un truc qui devrait lui plaire : la droite, c’est la main qui mange la soupe, non ?
On a compris : dès qu’elle aura retrouvé ses esprits, elle enverra sa carte du PS à Georges Frêche. (Je ne voudrais pas vous faire le coup de « je l’avais bien dit » mais quand même, je l’avais bien dit – dans le dernier Causeur. Quant aux autres, leur exclusion n’a pas dû dépasser le stade de la menace verbale.
En attendant, c’est juré, ce soir, pas de grand chelem pour la gauche rose/vert. Au mieux pour le PS, 21 régions métropolitaines seront acquises à la gauche tandis que la 22ème flottera dans les limbes indéfinissables où l’on n’est ni de gauche ni du centre tout en étant adversaire de la droite. Pour le banquet de réconciliation – qui sera plutôt un petit-déjeuner discret – on attendra que le délai de décence soit écoulé.
On devrait cependant avoir dès ce soir l’occasion de rigoler un bon coup ce soir en prêtant l’oreille aux commentaires des socialistes sur le score FN – ou à ceux qu’ils ne feront pas. Malheureusement, il est à craindre que nos vertueux socialo-écologistes ne se retrouvent nulle part dans la situation d’avoir besoin des voix des élus FN pour conquérir la présidence du Conseil régional. Il est certain que le parti de Marine aurait volontiers apporté le soutien demandé. On aurait sans doute entendu les responsables de l’UMP s’indigner et proclamer qu’il vaut mieux perdre une élection que ses valeurs. Et ce remake à l’envers de l’hystérie antifasciste de 1998 m’aurait beaucoup amusé.
C’est qu’en dix ans, une mutation d’ordre quasiment anthropologique est intervenue sous nos yeux. L’électeur frontiste qui était « F comme fasciste et N comme nazi » en 1998 est aujourd’hui une brebis égarée, victime de la méchante politique sarkozyste. Pour vous faciliter le boulot Libé a publié ce week-end un article datant du 21 mars 1998 intitulé « Cinq régions marquées au Front » et surtout la « une » du même jour : les portraits des cinq présidents de régions élus avec les voix du FN étaient surmontés d’un titre flamboyant : « Honte ! » Rien de tel ne s’annonçant ces jours-ci, il faut en conclure que la gauche a changé de ton. On ne saurait y voir simplement de l’opportunisme électoral.
N’ayez crainte amis antifascistes maintenus, le PS et les Verts ne sont pas sur le point de s’allier au Front toujours honni, mais surtout pour accuser Sarkozy de l’avoir requinqué, et, à vrai dire sans grande conviction. Parti de « la division et de l’intolérance » comme l’a dit Martine Aubry, c’est pas un peu mou du genou, ça ? Que les responsables de la gauche s’adressent poliment aux électeurs marino-lepénistes, voilà qui est nouveau. De là à entendre ce que disent ces électeurs, il y a encore un pas et même deux ou trois. Quant à écouter ce qu’il y a de sensé dans les propos de la fille de son père, par exemple quand elle affirme que les gens veulent préserver leur mode de vie ce qui ne fait pas d’eux des racistes, on en est loin. Reste qu’on ne saurait trop les encourager à persévérer dans cette voie. Allez-y les gars, écoutez-les ces électeurs que vous avez laissé filer il y a dix ans avant de battre le pavé pour les insulter, essayez de répondre à leurs problèmes puisque vous prétendez les résoudre. Au bout de la route, vous finirez par rencontrer le réel. Vous verrez, ça ne fait pas si mal.
J’ai fait un nœud la semaine dernière à mon mouchoir et je n’arrive pas à me souvenir pourquoi. La mémoire me joue de ces tours… J’ai pourtant l’impression que cela concerne quelque chose qui se passe dimanche. Mais franchement que peut-il se passer de vraiment notable un dimanche ? Je ne vois vraiment pas. La communion du petit dernier. Non, c’est trop tôt. Les noces d’or des beaux-parents. Ils ont divorcé en 1975. L’ouverture de la pêche. Je ne crois pas. Ah si, maintenant j’y suis : dimanche, comme tous les 21 mars, tombe l’anniversaire de Xavier Bertrand ! Et cette année, quelque chose me dit que cela va être aussi sa fête.
Après le premier tour des élections régionales, que reste-t-il de François Bayrou ?
Au milieu du torrent d’âneries entendues de part et d’autre dimanche soir lors de la soirée électorales, on a tout de même entendu une idée juste : il est difficile d’interpréter les résultats d’une élection avec un tel niveau d’abstention. J’ajouterais bien : surtout après une campagne aussi nulle et pour des enjeux aussi ridicules. Le triomphe du PS et la claque de la majorité présidentielle ne me semblent pas signifier grand-chose quant aux rapports de forces politiques qui s’exprimeront lors de l’élection présidentielle de 2012.
En revanche, ce scrutin a délivré deux enseignements qui auront leur importance. Le premier c’est qu’il faudra compter avec Marine Le Pen, qui a fait des scores plus que significatifs dans la moitié Est de la France et ce malgré une forte abstention des catégories populaires. Il n’est donc pas exclu de voir un FN entre 15 et 20 % à la prochaine présidentielle.
Le second, c’est la fin de l’aventure du Modem et la disparition définitive de François Bayrou de la catégorie des présidentiables. On ne voit pas, en effet, comment le Béarnais pourrait rebondir après une telle débâcle, moins d’un an après son échec déjà cuisant aux européennes, ni comment le MoDem pourrait résister à l’implosion qui est déjà en cours. C’est sur ce point que j’aimerais m’attarder pour tenter de comprendre les raisons de l’échec de cette expérience politique et dégager des enseignements à portée générale valables pour toute les nouvelles formations politiques.
Le vote-achat dans la démocratie de marché
Le temps où les citoyens votaient en fonction de leur appartenance sociologique ou de leur convictions idéologiques est révolu. De plus en plus, le citoyen s’apparente à un consommateur, qui n’éprouve pas plus de fidélité à un parti qu’au supermarché où il fait ses courses. A chaque élection les cartes sont rebattues. On va voter tantôt pour une idée, tantôt pour une personne, tantôt pour envoyer un message, et le plus souvent sur une impression ou une humeur de fin de campagne. La proportion de l’électorat mobile est devenue tel que chaque scrutin est devenu impossible à prévoir. Qui peut sérieusement penser que l’évolution du score du PS en 16 % à 29 % en moins d’un an traduit un tel regain d’influence dans l’opinion ? C’est juste que le vote socialiste est apparu à l’électeur comme ayant plus de « valeur » cette fois-ci que lors de la précédente élection, et cela ne présage naturellement en rien de la « valeur » que le vote PS aura la prochaine fois.
On est donc contraint de penser la politique davantage en termes de marketing électoral que de segmentation socio-culturelle de la population. Le paysage politique n’est plus suffisamment structuré par des clivages idéologique pour que l’on puisse parler d’un peuple de gauche, de droite et encore moins du « centre droit » ou du « centre-gauche ». On a à faire à un peuple de consommateur de politique qui achète par son vote un message qui lui plait : une promesse, une valeur, une image dans laquelle il s’identifie. Dans ces conditions plus la campagne est molle et moins elle se structure autour d’enjeux clairs, plus le résultat risque d’être étonnant. Si ces grandes entreprises électorales que sont les partis, bénéficient d’une forte image de marque et d’une grande couverture médiatique s’en sortent presque toujours, les petites formations doivent jouer les marchés de niche auprès d’un électorat ciblé qu’ils chercheront à séduire avec un message segmenté et agressif. Seuls les partis en position dominante peuvent se permettre d’être consensuel et syncrétique. Plus on est petit, plus on doit avoir un discours fort. Cela, le MoDem ne l’a jamais compris.
Lors de la présidentielle, le vote Bayrou apparaissait comme un vote refuge pour tous ceux que Sarkozy et Royal insécurisaient. Le personnage Bayrou était relativement bien en phase avec les attentes du marché des opinions. Sa personnalité sans trop de relief entrait en résonance avec son discours de synthèse et la fonction présidentielle. D’où son succès relatif. Le problème c’est que cette « offre » ne pouvait pas être déclinée en l’état aux élections suivantes. Le Modem a, en réalité, toujours vendu le même produit : un espoir d’alternative au PS en tant que force d’opposition pour battre Sarkozy au second tour de 2012.
Lors de ces régionales, le Modem carrément mis sur le marché un produit sans caractéristique, ni intrinsèque ni distinctive. Bayrou, retenant la leçon des européenne a préféré mettre sa personne à l’abri d’un échec probable, n’a voulu envoyer aucun message politique, ni image, ni slogan, ni proposition phare. Rien ! La campagne n’a pas été portée au plan national. Le parti n’a fournit aux candidats aucun élément de langage. Et compte tenu de ce que sont les régions sur le plan institutionnel et de l’ignorance dans laquelle les tiennent les citoyens comme les médias, il était rigoureusement impossible de construire un message politique en phase avec l’enjeu réel de ces élections. A tel point qu’on peut se demander ce que les 4% d’électeurs qui ont malgré tout voté Modem ont voulu exprimer par leur vote !
L’enseignement qui peut être retiré de cet échec pour toutes les formations est qu’elles doivent construire un produit à présenter à l’électeur adapté à chaque type d’élection. Pour la présidentielle et les européennes, tout le monde sait à peu près faire (ou devrait savoir). En revanche pour les élections territoriales, c’est plus compliqué. Ces élections sont pourtant importantes car c’est là que se construisent les appareils. Elles permettent de conquérir des positions, de faire émerger des cadres et de structurer des réseaux militants via les collectivités locales et les postes qu’elles peuvent proposer dans les cabinets ou les services. Aucun homme politique ne peut exister sans un fief électoral fort et aucun parti sans un réseau d’élus locaux.
Fallait-il faire une campagne locale ou nationale ?
Aux élections locales, il n’y a guère que le PS et les écolos qui savent envoyer un message aux électeurs. Le PS délivre une image de bon gestionnaire, modéré et pragmatique, à l’écoute de la population et de la demande sociale. Et ça marche plutôt bien ! Les écolos ont l’avantage de pouvoir utiliser leur mot d’ordre « sauvons la planète » à tous les échelons possibles et imaginables, le « penser global, agir local » le permet. La droite en revanche a beaucoup plus de mal à construire une offre aux élections locales, au-delà de son discours sur la fiscalité, dont la force s’amenuise à mesure que les collectivités perdent en autonomie fiscale. Les autres petites formations, le Modem comme les formations de gauche radicale ou DLR n’ont finalement pas grand-chose à dire.
Et pourtant, si les formations voulaient bien se donner la peine, il y aurait matière à penser de véritables offres politiques locales qui pourraient véhiculer des valeurs susceptibles de capter l’attention. Presque tous les sujets qui se jouent au plan local sont laissées à l’abandon par le débat politique : l’aménagement du territoire (arbitrage ville/périurbain/campagne), l’organisation administrative, tout ce qui touche au lien social, à l’animation, aux fêtes, à l’image, l’offre culturelle et sa finalité, la vocation et la spécialisation des territoires, le cadre de vie, le logement, la mixité urbaine et sociale… Autant de sujet qui, si on voulait bien s’en donner la peine, pourrait susciter des projets, exprimer des valeurs et fabriquer du clivage, le tout dans un projet national à mettre en œuvre au plan local.
Il est parfaitement stupide dans des élections locales de prétendre conduire une politique de gauche, de droite. A fortiori, une politique ni droite ni gauche ou pire encore, d’entre deux ou de troisième force. Les clivages nationaux ne sont en effet pas opérants sur les compétences locales. En revanche, il est impératif pour les petites formations de construire un discours réellement politique autour des enjeux locaux et de le porter nationalement. Cela implique un réel travail de problématisation et de construction de propositions, ce qu’aucun parti ne fait.
A défaut, les petites formations peuvent refuser la règle du jeu et proposer à l’électeur d’envoyer un message idéologique à portée globale. Le FN le fait depuis toujours avec un succès relatif. En revanche, laisser se débrouiller localement les têtes de liste pour construire un message « local » sans relai national et sans aucun cadre conceptuel, c’est littéralement suicidaire. C’est ce que le Modem a fait aux régionales !
Le centrisme, un concept vide de sens
L’incapacité du MoDem a construire un projet politique adaptés aux enjeux locaux, a été renforcé par les carences de son image de marque au niveau national. Comme je l’ai dit plus haut, à l’origine le produit Modem se résumait à la personnalité de Bayrou dans le contexte particulier et très anxiogène du duel de 2007. Ensuite, il a pu s’imposer comme opposant n°1 à Sarkozy, critiquant essentiellement son style et son type de présidence. Ce statut était en grande partie « spéculatif » dans la mesure où la valeur Bayrou reposait sur l’hypothèse d’un déclin irrémédiable du PS et une anticipation selon laquelle il passerait devant le candidat socialiste aux prochaines présidentielle. Dès lors que le PS a relevé la tête après son congrès et que l’épouvantail Ségolène Royal a été marginalisé, la valeur Bayrou s’est effondrée telle une bulle spéculative.
Le PS lui ayant repris son statut tout nouveau d’opposant privilégié, Bayrou n’a jamais su reconstruire un produit concurrentiel susceptible de se démarquer de la concurrence. La grande alliance « anti-Barroso » construite par Cohn-Bendit sur le plateau d’Arlette Chabot, puis le rapprochement avec le PS fait par l’entremise de Marielle de Sarnez et de Vincent Peillon ont achevé de détruire tout caractère distinctif à l’offre Modem. Il n’était devenu qu’une couleur de plus dans une majorité arc-en-ciel dont personne ne voulait.
L’idéologie n’a jamais été le fort de Bayrou. En 2007 son programme se résumait au rassemblement des meilleurs des deux camps, une synthèse apolitique et technocratique sur le mode de la commission de Bruxelles. Il a bien tenté ensuite de se positionner sur la défense du modèle français contre le Sarkozysme sous influence américaine. Il a fait quelque pas en direction des thèses protectionnistes, critiquant le libre échange, l’OMC et la finance, mais lorsqu’on est un centriste modéré comme lui, il n’est pas facile d’endosser le costume du révolutionnaire qui propose de renverser le système. Ce discours ne colle, ni à son image, ni à sa nature, ni à son caractère.
Au final, il n’est resté du Modem que son image de « centrisme ». Mais comment peut-on encore parler de centrisme (ou de centre droit) quand les meilleurs chances de succès de la « gauche » sont incarnées par le directeur du FMI et que la droite reproche à son président de la trahir en cédant trop à une fascination intellectuelle à l’égard de la gauche bien pensante et ses représentants les plus illustres ? Le centrisme n’a de sens qu’en cas d’opposition radicale et franche entre deux blocs. Quand gauche et droite ne s’opposent que sur le style et les modalités, il n’y a aucun espace politique pour un centre de synthèse et de compromis.
Que peuvent faire maintenant Bayrou et ses troupes défaites?
Après la raclée qu’ils viennent de subir, je suppose que les responsables du Modem doivent être aujourd’hui bien déprimés. Je m’en voudrais donc de démoraliser encore un peu plus ceux qui pourraient lire cette analyse, ou de donner l’impression de tirer sur une ambulance, ce qui n’est jamais très élégant même si ça peut être amusant. J’ai toujours eu de la sympathie pour le Modem, au moins pour la démarche qui consistait à faire émerger une nouvelle formation politique pour renouveler l’offre politique et tenter de remettre en cause la ”position dominante” dans le statut d’opposant dont bénéficie (et abuse) le PS. Je vais donc conclure cette analyse par quelques conseils.
À Bayrou, je conseillerais ardemment d’abandonner son rêve présidentiel, car il clairement plus les moyens de ses ambitions. Plus personne ne le considère aujourd’hui capable d’accéder au second tour. La seule chose qu’il puisse faire, c’est de rallier au plus vite la candidature de Dominique de Villepin. En alliant leur force et leur notoriété dans le cadre d’un « ticket », il pourrait recréer une dynamique positive et réellement espérer la victoire en 2012. Premier ministre ou président de l’assemblée reste une sortie tout à fait honorable. Il ne faut plus aujourd’hui chercher à concurrencer le PS, mais plutôt de recréer une nouvelle offre à droite en anticipant sur l’implosion du Sarkozysme.
Je conseillerais aussi à Bayrou d’entendre les critiques qui s’expriment au sein de son parti sur son fonctionnement jugé peu démocratique. Il doit absolument consacrer son énergie à structurer réellement cette formation pour en faire un réceptacle pour tous ceux qui croient en la politique tout en désespérant de l’offre existante. Le Modem n’a de sens que s’il renouvèle réellement la manière de faire de la politique et propulse de nouvelles générations de responsables à tous les niveaux. À ce titre, le préalable s’il veut conserver un appareil est de trouver rapidement les moyens pour éponger l’ardoise des têtes de listes qui n’ont pas franchi la barre des 5 %, 20 sur 22 ! Il n’arrivera à rien avec des cadres sur endettés comme des Américains après la crise des subprimes !
Aux cadres et aux élus, je leur conseillerais surtout de ne pas rejoindre Europe Ecologie. La bulle ne tardera pas à crever et les régionales ont sûrement déjà marqué un début de reflux. En 2012, la crise aura atteint un tel degré de gravité que plus personne ne se préoccupera d’écologie ou du climat.
Objectivement, le Modem est dans une impasse stratégique. Je ne peux donc que leur conseiller d’endurer, de traverser un petit bout de désert, de faire le dos rond, et surtout renoncer aux prochaines cantonales pour éviter une nouvelle débâcle. En attendant la recomposition qui suivra l’élection de 2012, le mieux qu’ils aient à faire est de s’attacher à renforcer leur organisation et leur capacité à conduire des campagnes, se structurer en clubs de réflexion pour les prochaines échéances locales ou nationales, s’impliquer dans la vie associative ou locale pour construire des réseau…
Je m’en veux de leur annoncer cette cruelle vérité, mais il n’y a plus aujourd’hui aucune place pour Mouvement Démocrate dans le paysage politique.
L'inspecteur des scribes Raherka et sa femme Merséânkh, vers 2350 av. J.-C., musée du Louvre.
L'inspecteur des scribes Raherka et sa femme Merséânkh, vers 2350 av. J.-C., musée du Louvre.
La mère monte aux dépens de la femme, nous explique Élisabeth Badinter. Déjà, il y a quelques années, Michel Schneider montrait, dans Big Mother[1. Odile Jacob, 2002. Réédition en Poches Odile Jacob, février 2005. ], que l’image de la mère colonisait jusqu’à notre classe politique. Seulement, dans tout ça, on ne parle pas du père. Plus de quarante ans après mai 1968, il semble qu’on continue à combattre une société patriarcale qui, pourtant, n’existe plus depuis bien longtemps.
[access capability= »lire_inedits »]La généralisation du divorce − plus d’un mariage sur trois finit ainsi − a fait exploser le modèle qui s’imposait aux familles depuis des siècles. Ce modèle, qu’on ne songe évidemment pas à rendre à nouveau obligatoire, est désormais ringardisé. Ce qui est dans le vent, ce qui est cool, c’est désormais la famille recomposée. Le nombre des familles monoparentales (Le « monoparent » étant féminin à une écrasante majorité) a explosé. Or, si les enfants ont effectivement besoin de leur mère, ils ont aussi besoin de leur père. Et il ne faut donc pas, dès lors, s’étonner que la délinquance juvénile augmente ; un juge pour enfants confiait, il y a quelques mois, sur le plateau d’Yves Calvi, sur France 5, que son taux était bien plus fort dans les familles monoparentales.
Pourtant, notre société continue à nier l’importance de la présence du père. Mme Morano, ministre de la Famille, aurait souhaité mettre en place un statut du beau-parent[2. La commission Léonetti a, pour l’heure, heureusement bloqué ce projet inutile et funeste.]. Il s’agissait, là encore, d’un rude coup donné à l’autorité paternelle. Mais pas seulement : hypocritement, ce projet permettait aux couples lesbiens[3. 90 % des couples homosexuels désirant un enfant, par adoption ou autre biais, sont des couples de femmes.] de s’engouffrer dans la brèche en donnant la possibilité à l’une des deux femmes de récupérer une autorité parentale dans le cadre de ce statut de beau-parent. Mais qu’il s’agisse d’un beau-parent du même sexe que le responsable légal ou non, c’est l’autorité du père légitime qui était encore battue en brèche. Celui-ci, à qui les juges confient rarement la garde des enfants en cas de divorce, malgré le développement récent de la garde alternée − laquelle ne constitue pas non plus une panacée en terme de stabilité −, semble bien devenu un importun, son rôle étant continuellement dévalué par rapport à celui de la mère.
Ce n’est pas seulement le père qui est de plus en plus absent, mais aussi son image. À l’école, où l’enfant passe normalement son temps lorsqu’il n’est pas à la maison, le personnel enseignant a connu une féminisation galopante. À tel point qu’on se demande s’il ne faudrait pas imposer des quotas d’hommes parmi les professeurs et, surtout, les conseillers principaux d’éducation qui sont chargés de la discipline dans les établissements. Avec un père absent à la maison et une école peuplée de femmes[4. Ajoutons que dans les ZEP, où le taux de familles monoparentales est davantage important, la minorité d’hommes des établissements fait davantage figure d’image de « grand frère » que de père puisque ce sont les professeurs les plus jeunes qui y sont nommés.], le jeune adolescent n’a guère de modèles masculins positifs à sa disposition. Son quartier lui en offre d’autres : parfois un caïd, parfois un imam intégriste, parfois − plus heureusement − un entraîneur de football.
Il reste tout de même des familles traditionnelles avec un père, une mère et des enfants. Mme Antier leur apprend qu’il ne faut surtout pas donner la fessée et souhaite même mettre celle-ci hors-la-loi. Elle fait partie de ceux qui, dénoncés par Élisabeth Badinter, abreuvent les familles d’un discours culpabilisant sur l’allaitement. Elle conseille aussi le co-sleeping (ou « co-dodo ») qui consiste à faire dormir l’enfant dans le lit parental les deux premières années de sa vie. Les féministes s’inquiètent à juste titre à propos de la « vie de femme » de Madame. Quant à Monsieur… Silence radio ! Ah, non ! Mme Antier conseille, car il est souvent porté sur la bouteille, de le reléguer sur le canapé, des fois que son taux d’alcoolémie l’amène à écraser le jeune enfant.
Décidément, partout, le père est vraiment de trop.[/access]
L’analyse des élections régionales selon les catégories habituelles, vainqueurs-vaincus, principaux et secondaires, a pour elle l’avantage d’être simple, mais l’inconvénient de figer le tableau politique de la France. Pour les commentateurs, sondeurs et éditorialistes, pour la plupart ancrés dans la capitale, la victoire a souri à la patronne de la rue de Solferino, et le goût amer de la défaite se remâche sous les ors de l’Elysée et de Matignon. En 2012, selon ces mêmes analystes, ce sera à nouveau le choc des mêmes contre les mêmes, et le résultat dépendra de la manière dont les forces en présence auront tiré les leçons de cette élection intermédiaire.
Ainsi, Martine Aubry aurait fait un grand pas vers la candidature socialiste à l’Elysée, et Nicolas Sarkozy, dont personne ne doute qu’il ne veuille se succéder à lui-même, partirait dès aujourd’hui à la reconquête de son électorat perdu.
Chacun s’accorde, en plus, pour prononcer l’oraison funèbre des ambitions de François Bayrou, prendre acte de l’inscription durable et à un niveau à deux chiffres des écologistes dans le paysage politique français et d’un réveil du Front National qui s’apprête à procéder à un passage de témoin dynastique. Une note de bas de page nous rappelle, pour mémoire que l’extrême gauche radicale s’est ramassée en beauté, faute d’avoir montré la moindre appétence à mettre les mains dans le cambouis des exécutifs régionaux.
Ces élections auraient donc, selon ces analyses, introduit plus de clarté et de stabilité dans le jeu politique français, en fixant un rapport de force entre les principales formations politiques et en dessinant les contours des alliances et des stratégies pour 2012. Tout cela n’est pas faux, mais cette image printanière de la vie politique de notre pays persistera-t-elle au-delà de cette saison qui s’ouvre ? Il est permis d’en douter.
Si l’on écoute bien les petites musiques discordantes qui se sont fait entendre dès dimanche soir et qui ne vont pas manquer de résonner à nouveau dans les prochains jours ou les prochaines semaines, on ne peut douter de la longévité du calme apparent intervenu après la proclamation des résultats.
À droite comme à gauche, et même chez les écologistes, des forces non négligeables entendent bien s’employer à dynamiter les piliers de cet édifice politique.
À droite, les doutes sur la capacité de Nicolas Sarkozy à relever le défi présidentiel en 2012 sont de plus en plus manifestes dans les troupes de l’UMP, notamment chez les parlementaires inquiets pour leur reconduction en 2012. Pour peu que le Sénat, l’an prochain, se dote d’une majorité de gauche, ce qui n’est pas impossible au vu des dernières élections locales, le bilan politique intérieur de Nicolas Sarkozy se solderait par la plus calamiteuse reculade de la droite républicaine française depuis 1945. En Grande-Bretagne l’affaire serait déjà en passe d’être réglée, comme ce fut le cas lors de la destitution de Margaret Thatcher, en 1990, par le biais d’une rébellion des parlementaires tories. Une telle procédure n’est pas possible dans notre Vème République, mais un démontage du président de la République en exercice n’est pas pour autant exclu. Il suffit que les adversaires internes de Nicolas Sarkozy s’unissent et complotent avec suffisamment d’énergie et d’habileté pour que ce dernier « ne soit plus en situation » de postuler à sa propre succession au vu de batteries de sondages indiquant, que dans tous les cas de figure, il serait battu par un candidat de gauche. Dans cette hypothèse, son seul atout réside dans les contradictions des postulants de droite à sa succession. Un Copé ou un Bertrand préféreraient un Sarkozy candidat et battu en 2010, pour jouer leur chance en 2017, alors qu’un Fillon ou Villepin auraient, eux, intérêt à être présents dès 2012. Déjà, chacun à sa manière, fait entendre sa différence, et cette attitude devrait aller en s’amplifiant. On peut compter sur Galouzeau pour frapper d’estoc et de taille sur le locataire de l’Elysée, mais cela ne saurait suffire à faire exploser la machine sarkozienne, qui tient toujours des positions solides dans le monde des affaires, de la presse, des instituts de sondage et autre instruments du pouvoir moderne.
Mais le rejet de sa personne, de son style, de son manque d’écoute et de respect par les grognards de l’UMP sur le terrain constitue le handicap le plus sérieux à un redressement rapide et spectaculaire de la situation politique de Nicolas Sarkozy. S’il s’avérait, de plus, que le cours de sa vie privée entre dans des eaux agitées, l’affaire, de grave, deviendrait désespérée. Il ne peut espérer d’aide de ses « amis » de l’étranger : Angela Merkel, Gordon Brown ou Barack Obama ont déjà prouvé qu’ils peuvent, comme à Copenhague ou dans la crise de l’euro, l’abandonner en rase campagne s’ils estiment que leur intérêt national est ailleurs.
Reste le miracle : une sortie de crise plus rapide que prévue, une baisse significative du taux de chômage, et un accord général sur la réforme des retraites, qui devrait être la grande question des mois qui viennent. Le seul vrai ami de Nicolas Sarkozy est aujourd’hui Bernard Thibaut, ce qui ne manque pas de sel.
Au PS, on aura remarqué dimanche soir, la mauvaise manière faite par Ségolène Royal à Martine Aubry, en se précipitant dès 20h07 devant les caméras pour émettre son message. Forte de son score de 61%, la triomphatrice picto-charentaise a caractérisé cette victoire nationale comme celle de ses collègues présidents de région, réduisant ainsi à la portion congrue les mérites de sa rivale Martine Aubry. De son côté Frêche, grand vainqueur, lui aussi, décrétait le PS obsolète appelait à la création d’un « parti démocrate » à l’américaine et poussait son ami Gérard Collomb, maire de Lyon, à entrer dans l’arène des primaires pour y faire entendre la voix des grands barons locaux. Le « pacte à trois », Fabius, Aubry, Strauss-Kahn destiné à ne soutenir que l’un d’entre eux lors de ces fameuses primaires apparaît à bon nombre de militants et de sympathisants socialistes comme une manœuvre politicienne digne de la SFIO d’antan.
Dans ce contexte, il reste aux « dynamiteurs » du système Solferino, renforcés par leurs performances sur le terrain, à faire le plus dur : s’entendre sur le nom de celui ou celle à qui l’on confiera les clés de la nouvelle maison à reconstruire sur les ruines de l’ancienne…
Enfin, les écolos. Les anciens auront noté le clin d’œil aux old timers de 68 dans la publication de l’appel du 22 mars de Dany Cohn-Bendit dans Libération. Dany, on l’aura remarqué passe du « nous » au » je » en exhortant les Verts de Cécile Duflot à sortir de leur logique de groupuscule devenu gros comme un parti pour fonder une » coopérative politique » intégrant dans une formation unique toutes les personnalités de la société civile rassemblées, grâce à lui, au sein d’Europe-Ecologie. En fait, il s’agit là d’une tentative de mettre l’écologie politique au niveau organisationnel des grandes formations, même si le langage utilisé pour vendre cet Epinay des écolos, dont il serait le Mitterrand, est encore emprunté au jargon deleuzo-guattarien, mâtiné de post-modernisme universitaire américain. La réussite de ce projet est absolument nécessaire à Dany Cohn-Bendit pour qu’il puisse jouer à plein le seul rôle qu’il ambitionne, celui de faiseur de roi à gauche, ce qui implique une candidature unique PS-écolo en 2012. Pour l’instant le message est entendu moyennement chez les nouveaux élus verts régionaux, qui vont devoir gérer au jour le jour leurs rapports avec leurs alliés socialistes, et ne tiennent pas trop à voir l’Européen Cohn-Bendit mettre son nez dans les cuisines locales. Il n’est pas exclu, dans ce schéma, que ce dernier fasse acte de candidature aux « primaires ouvertes » de la gauche, en annonçant que si d’aventure, il venait à les remporter, il demanderait alors la nationalité française. Il s’arrangera, bien sûr, pour faire un score honorable sans remporter la timbale, mais se trouvera alors en position de monnayer son soutien à l’un ou l’autre des candidats en échange d’un nombre de circonscriptions assez élevé pour gagnables pour que la « coopérative » puisse former un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, dont il serait le parrain tirant les ficelles depuis Bruxelles et Strasbourg.
Pour ceux que cela intéresse encore, la politique politicienne des prochains mois a toutes les chances de se muer en une pièce de théâtre shakespearienne, où l’on compte les cadavres à la fin, plutôt qu’en une geste cornélienne où les héros glorieux triomphent de l’adversité.
Pak Nam Ki, haut responsable du parti communiste de Corée du Nord, a été exécuté la semaine dernière dans une caserne de Pyong Yang. Il avait 77 ans et avait totalement échoué dans une réforme monétaire dont l’avait chargé Kim Il Sung. Lancée le 30 novembre, cette réforme a, en fait, aggravé la famine et même provoqué de nombreuses émeutes dans un pays où l’ordre et la sécurité règnent habituellement. Nerveux, François Fillon s’est rendu ce matin à l’Elysée pour procéder à un remaniement ministériel qualifié de « technique ». Il aurait, auparavant, fait l’inventaire des casernes de la région parisienne. Xavier Darcos et Xavier Bertrand, eux, seraient déjà réfugiés à l’ambassade de Chine.
Tout d’abord, les grands équilibres. Sauf à considérer la non-bascule de l’Alsace –qui a toujours voté à droite depuis son Anschluss à la France- comme un événement historique, les résultats actent d’un rapport de force régional à peu près intact entre les deux blocs dominants. Le même, donc, qui avait préludé à la victoire de Sarkozy en 2007. Personne, sauf quelques militants post-ados du MJS, n’a eu le mauvais goût de hurler à la victoire hier soir à Solferino, où Martine a imposé sans trop de mal sa ligne du triomphe modeste.
La modestie, quoique d’un genre différent, était aussi de rigueur à l’UMP. Pour une fois, chacun avait appris sa fiche de contrition par cœur, et même les moins qualifiés pour ce genre d’exercice repentant (Morano, Lefebvre, Estrosi) y sont allés de leur mea culpa – sans jamais chercher à chipoter quant à la réalité de la claque.
Un seul credo hier chez les sarkozystes : « Nous n’avons pas su nous faire comprendre car nous n’avons pas su entendre. » À l’avenir donc, c’est promis-juré-craché, l’UMP sera à l’écoute du pays avant d’engager des réformes. On est content pour eux, sauf qu’on n’en croit pas un mot. Car sur le gros dossier du moment – à savoir les retraites- la seule façon d’être « à l’écoute », c’est de l’enterrer vivant avant même que François Fillon ne le ressorte de son attaché-case. Malgré les rodomontades généralisées sur les réformes indispensables, il n’est pas dit que ledit dossier ne soit pas déjà mort dans l’esprit du président : l’Elysée vaut bien un parjure.
Dans ce tsunami d’autocritique à droite, l’unique mais lourdement martelé bémol aura été le distinguo entre élection nationale et pipis de chat intermédiaires. Mauvaise foi, peut-être (remember les hourras des européennes); mais vérité néanmoins. En ne s’engageant pas plus que ça, et en minimisant la portée du scrutin dès que les sondages ont commencé à sentir le sapin, bref en sautant son tour sur ce coup-là, le chef de l’Etat a préservé l’essentiel –tout en permettant aux sarkozystes d’en bas d’exprimer leur ras le bol avec leur pieds, de pousser une gueulante gestalto-thérapique sans conséquences majeures. Sans vouloir nous vanter, mais un peu quand même, c’est pile le scénario anti-catastrophe qu’on avait prévu.
On nous fera remarquer, à raison, que cette bouderie, l’électorat sarkozyste ne l’a pas seulement manifestée en s’abstenant, mais en requinquant concomitamment le FN – seul parti où hier soir, la modestie n’était pas de mise. À tort, au moins pour un des arguments répétés en boucle par le père et la fille -et repris tels quels par nombre de politologues trop pressés- comme quoi pour la première fois le Front progresse sur le premier tour là où il se maintient. C’est vrai, certes, sauf que c’est encore plus vrai pour tous les autres acteurs de triangulaires, sans exception : en Limousin, le Front de Gauche progresse de 7 points sur le premier tour ; en Bretagne, Europe Ecologie en gagne 5, même topo en Corse pour la liste de Simeoni. Bref, quelles que soient leurs casquettes, les troisièmes larrons ont fait une bonne affaire, la belle affaire. Eh oui, on rappellera pour les plus distraits qu’il n’y aura pas de troisième candidat au deuxième tour de la présidentielle. Et que le bon score du FN, permettra en 2012 tant à Sarko qu’à son challenger socialiste de s’en servir à nouveau comme épouvantail pour appeler au vote utile dès le premier tour afin d’éviter une répétition du 21 avril de sinistre mémoire. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les hésitations chez les écolos à présenter un candidat autonome, d’aucuns jugeant plus avisé de faire un package deal avec le PS avant 2012 genre « on présente personne à la présidentielle, en échange de 50 circonscriptions blindées aux législatives ». Ce serait le pur bon sens, mais bon, les Verts et le bon sens, hein…
A priori, cette résurrection pré-pascale du FN fait donc comme d’hab’ le jeu du PS. Sauf qu’à notre avis, elle roule aussi pour le président. Entendez-vous dans la campagne monter le grondement du chantage à la non-représentation de notre bon Nicolas S ? Sa femme d’abord (qui dit qu’un mandat c’est bien assez), puis lui ensuite. Genre, puisque vous ne m’aimez pas, puisque ce pays ne m’aime pas, je vais faire conférencier à la Bill Clinton ou à la Tony Blair, même pas peur. Et trouvez-vous un champion -Raffarin, Copé, Villepin, Morin- pour sauver la France. On parie ? Les petits moutons bleus vont venir pleurer sur le paillasson de l’Elysée en moins de 10 minutes. Et le grand Nicolas Sarkozy reviendra nimbé de sa pauvre houppelande de petit homme providentiel. Celui qui peut ramener le frontiste à la raison…
Aimable moyen aussi de piquer une partie de leur fond de commerce aux villepinistes. Ceux-ci espéraient surfer sur défaite sarkozyste, ils risquent au contraire de se prendre dans les dents un retour de bâton unioniste et légitimiste. (On verra ce que donne, jeudi, leur grande surboum de printemps)
On ajoutera à cela que si le président a un peu le FN en travers de la gorge, il n’a plus l’écharde géante du Modem enfoncée profond dans la voûte plantaire. Idem pour le PS avec la regroupusculisation du NPA au profit d’un Front de Gauche remuant certes, mais monitorable.
Bref à gauche comme à droite, les compteurs sont à zéro. Les élections ne se sont pas passées hier, elles commencent aujourd’hui.
Maintenant que Georges Frèche a gagné dans les urnes, que faut-il en conclure ? Que les électeurs languedociens pensent que Frèche est antisémite et qu’ils partagent cette phobie des Juifs avec lui ? Ou bien qu’ils pensent que Frèche est antisémite mais que ce petit défaut ne compte pas face à ses belles qualités de président de région ? Ou encore qu’ils ne croient pas du tout à l’accusation d’antisémitisme portée par ses accusateurs parisiens ou haut-normands ? Personne n’en saura jamais rien. Et cette incertitude laisse en bouche un goût amer.
Quand un homme politique, que certains veulent à tout prix prouver raciste, gagne systématiquement devant les électeurs, c’est l’accusation de racisme elle-même qui finit par poser question. Cette accusation semble devenue un système pour discréditer l’adversaire. Chaque semaine ou presque, la presse ou la classe politique relève chez tel ou tel responsable un « dérapage ». Un mot bien pratique, puisque chacun le comprend comme une authentique accusation de racisme, mais qu’il protège celui qui la porte de représailles judiciaires. Dans les journaux ou sur les ondes, le mot « dérapage » cède vite la place, les jours suivant l’esclandre, à « propos jugés racistes par certains ». Puis, tout simplement, « jugés racistes ». Jugés, vraiment ? Par quel tribunal ?
Alors, en ce lendemain d’élection, il faut faire l’effort de revenir à froid sur le cas Georges Frèche. Que le président réélu de Languedoc-Roussillon soit un personnage outrancier, un potentat local, admirateur de Lénine et Mao, un mégalomane, cédant souvent à la violence verbale, sans doute. Mais raciste ou antisémite ?
Le 11 février 2006, Frêche insulte violemment, non pas les Harkis en général comme les médias l’ont dit et répété, mais des Harkis qui ont rallié l’UMP et qui perturbent un dépôt de gerbe en l’insultant. « Allez avec les gaullistes à Palavas, » réplique Frèche. Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! » L’insulte est politique, pas ethnique. Frêche leur reproche d’avoir, en se rapprochant des gaullistes, trahi la mémoire de leurs frères, abandonnés par de Gaulle à la vengeance sanglante des indépendantistes algériens. De plus en plus énervé, Frèche poursuit : « Mais vous n’avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes. Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur, rien du tout. » Certains trouvent dans ce « sous-hommes » l’écho des Untermenschen d’Hitler. Dans le contexte très chaud de la dispute, on entend surtout une bravade de cour de récré, du genre « t’as rien du tout entre les jambes, t’es pas un homme ! » Ce n’est pas très fin, ni très digne, c’est franchement macho et carrément méchant, mais ce n’est pas raciste.
Le 16 novembre 2006, en séance budgétaire, Frêche constate que dans l’équipe de France de football « il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société ». Et il conclut : « S’il y en a autant, c’est parce que les Blancs sont nuls. » S’il y a du racisme dans ces phrases, il porte évidemment contre… les Blancs ! Qui ose le lui reprocher ?
Quand Frêche lance, le 22 décembre 2009, « Si j’étais en Haute-Normandie, je ne sais pas si je voterais Fabius. Je m’interrogerais. Ce mec me pose problème. Il a une tronche pas catholique », il réplique à une attaque frontale (deux jours avant, Fabius avait déclaré sur France 5 qu’il ne serait pas sûr de voter Frêche s’il était languedocien). Frêche répond donc du tac au tac à un adversaire politique… baptisé catholique. Cette parole verbale serait passée totalement inaperçue si L’Express ne lui avait donné (un mois après qu’elle eut été prononcée) tout à la fois une audience nationale et un sens bien préci,s grâce à l’ajout d’un encadré sur les ancêtres juifs de l’ancien premier ministre. Sans l’hebdomadaire et sans les socialistes (Claude Bartolone en tête), les Français avaient toutes les raisons d’ignorer les origines de Fabius.
« Frêche n’est ni raciste ni antisémite », dit la socialiste Hélène Mandroux, qui l’a affronté sans succès aux régionales, après avoir travaillé avec lui. « Il n’est pas antisémite », dit Richard Prasquier, le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). « Pour moi, être d’ascendance juive, ce serait un honneur », écrivait dans un livre paru en 2007 le même Frêche, qui a par ailleurs jumelé Montpellier avec la ville israélienne de Tibériade. Malgré tout cela, la petite musique de l’accusation a continué de courir dans les médias nationaux.
Le pire est que Frêche en est venu à se laver avec la boue dont on l’éclabousse. Le 9 mars, il a accusé le PS, qui avait participé à une manifestation hostile à l’implantation à Sète d’une entreprise israélienne de fruits… d’être antisémite ! « C’est celui qui le dit qui y est », comme on disait à la récré. Voilà où nous en sommes rendus dans le beau pays de France.
Face aux traqueurs monomaniaques de la Bête immonde, on aimerait juste réclamer le bénéfice du doute pour ceux qui parlent publiquement.
Cela éviterait que :
chacun puisse être sommé de démontrer qu’il n’est pas raciste au fond de lui-même (preuve impossible à apporter, à moins d’inventer une police des arrière-pensées) ;
les « fabricants de réputation » jettent l’opprobre sur un innocent, sous prétexte de ne jamais laisser courir de coupables ;
et surtout, se banalise une accusation qui devrait garder toute sa force. Ceux qui crient chaque jour au loup et voient partout des racistes dans les assemblées républicaines affaiblissent la cause de la lutte contre le racisme.
L’abstention, si élevée encore pour ce second tour des Régionales, m’inspire, pour être clair, un très profond mépris. A peu près aussi fort que le mépris dont font preuve les abstentionnistes à l’égard de la démocratie. Soyons bien clair, je ne parle pas ici du vote blanc. Nous avons nous même voté blanc, au second tour des présidentielles de 2002 et nous nous rappelons quand même avec une certaine volupté méchante ce papa bobo paniqué avec son bébé sur le ventre qui hurlait au scandale parce qu’il ne pouvait pas voter « contre le fascisme-et-l’exclusion ». Il avait juste, depuis huit ou dix ans qu’il habitait dans le quartier, négligé de s’inscrire sur les listes électorales, devant se croire tellement supérieur avec son tofu, son bouddhisme et son vélo, à tous ces beaufs endimanchés qui allaient se rendre aux urnes le dimanche matin avant ou après le PMU.
Le vote blanc suppose en effet, une démarche civique, celle de s’être inscrit sur les listes électorales, d’abord, et ensuite de bouger ses petites fesses et de se rendre dans le bureau dont on dépend. On rappellera donc aux Français inconséquents de ces jours ci à quoi ressemble un bureau de vote.
Dans un bureau de vote des bénévoles, par pur civisme, vont assurer une permanence ennuyeuse entre 7 heures du matin et 23 heures. Ils vont fastidieusement expliquer qu’il faut prendre un bulletin de chaque liste, se rendre dans l’isoloir, jeter les bulletins non utilisés dans la corbeille, éviter de mettre sa carte d’électeur dans l’urne à la place de la petite enveloppe bleue et surtout ne pas oublier de signer la liste d’émargement. Ils vont aussi demander à une personne sur trois si elle serait libre pour le dépouillement et neuf fois sur dix essuyer un refus.
Il faut aussi que ces gens-là, ceux qui ont perdu l’habitude par paresse intellectuelle et torpeur républicaine de se rendre dans un bureau de votre sachent qu’en France, contrairement à l’Irak, l’Afghanistan et d’autres joyeux pays, on ne prend que très rarement une balle dans le ventre ou un coup de machette dans le crâne quand on en ressort. Parce que, pour l’instant, nous sommes encore dans une démocratie relativement apaisée, et que ce n’est pas grâce à eux qui se croient tellement plus malins en restant à regarder la télé chez eux.
L’image poétique de l’abstentionniste allant à la pêche est en effet une fable médiatique : l’abstentionniste ne va pas à la pêche puisqu’il est essentiellement urbain. Non l’abstentionniste joue à des jeux électroniques, traine sa flemme sur facebook et télécharge illégalement des films et de la musique. Et le lendemain, il ira répondre tout fier au micro trottoir de TF1 ou du Parisien que ouais, en fait, c’est un acte réfléchi, son abstention, qu’elle a une signification profonde, que la politique, tout ça, c’est tous des voleurs qui ne comprennent rien aux vrais problèmes des gens. En fait, ils vont dire ce qu’on attende qu’ils disent : ils non-pensent ou on leur dit de non-penser comme les zyva dans les cités parlent comme ils ont entendu que lez zyva parlaient à la télé. Dans le genre aliénation, l’abstentionniste ne vaut guère mieux qu’un gamin acculturé d’une cité passée au double karcher de la misère social et du pédagogisme.
On pourrait d’ailleurs lui répondre, à l’abstentionniste, que rien ne l’empêche de la changer la politique, qu’on a tous le droit d’adhérer à un parti, voire de créer le sien et de militer, et qu’en ce domaine comme dans tant d’autres, la critique est aisée mais l’art est difficile.
L’abstentionnisme, finalement, que ce soit celui de l’auto exclusion des cités ou celui des classes moyennes au consumérisme frustré et frustrant, est bien le poujadisme gris de notre époque post moderne.
On croit toujours que l’on a affaire à des Grecs anciens, non, on a affaire à des veaux, comme le disait de Gaulle. Finalement, la loi électorale, aujourd’hui, fait la même erreur que le système éducatif depuis Jospin. Elle met l’électeur au centre du système comme l’autre y met l’élève. Eh bien non, l’électeur n’est pas le centre du système, le centre du système c’est la république, notre république.
Et de même qu’un enfant de ces temps qui sont les nôtres ne va pas construire son savoir tout seul, qu’il va lui falloir des contraintes fortes pour le forcer à rester assis plusieurs heures d’affilée pour apprendre à lire, à compter et à écrire, l’adulte infantilisé de nos démocraties de marché qui n’est plus usager mais client, qui n’est plus citoyen mais consommateur, qui a l’amnésie galopante des pantins du présent perpétuel de l’ère publicitaire, il faut le forcer à voter. Comme dans Le Contrat Social de Rousseau où il est question de cette phrase qui finalement ne m’a jamais scandalisé : « On le forcera à être libre. »
Vous pouvez hurler, c’est le prix de la démocratie comme l’école laïque et obligatoire fut le prix de l’émancipation et de l’alphabétisation de toute une population. Et puis, dans le genre atteinte à la liberté individuelle, j’ai comme l’impression que le vote obligatoire dans un pays où l’on fiche, où l’on télésurveille, où l’on radarise les axes routiers, où l’on ne peut plus fumer dans les lieux publics, ça reste tout de même assez léger. D’autant plus que si l’on voulait revenir sur les précédentes obligations et reconquérir ces libertés perdues, jusqu’à preuve du contraire, le meilleur moyen, c’est encore le vote. A moins que vous ne préfériez la guerre civile.
Le vote obligatoire, c’est très bien, la preuve, c’est ce qui a sauvé la Belgique jusqu’à présent. Sans le vote obligatoire et la légitimité qui en découle pour les partis au pouvoir, la Belgique aurait explosé depuis longtemps. Cet art du compromis, cette technique de l’arrangement dans un pays toujours au bord de la scission demeure possible parce que les électeurs, bon gré mal gré sont impliqués. Quand vous ne votez pas en Belgique, c’est une amende, c’est aussi l’interdiction d’exercer certaines professions ou de vous présenter à des concours administratifs. C’est d’une grande sagesse : un prof qui ne vote pas ne mérite pas d’être prof. Je ne vois pas ce qu’il pourrait transmettre s’il ne transmet pas pour commencer un civisme élémentaire. Les territoires perdus de la République, selon l’expression consacrée pour désigner certains quartiers, le sont aussi parce qu’on n’y vote plus du tout. On ne les force plus à rien à vrai dire, ni à apprendre, ni à faire un service militaire, ni même à voter.
Le vote obligatoire, c’est l’ultime chance de les ramener dans le jeu, de leur montrer qu’ils peuvent changer la donne autrement que dans l’émeute et la révolte où ils perdent toujours à la fin et de leur faire comprendre que c’est sans doute ce que certains, par ailleurs redoutent le plus : qu’ils votent et que les choses changent radicalement mais sans violence.
Ce que nous appelons, votre serviteur et quelques autres, la révolution par les urnes.
C’est pas tous les jours qu’on se réveille plié de rire en écoutant les infos. Merci donc aux policiers antiterroristes de la SDAT, et à leurs homologues espagnols, d’avoir fait diffuser en boucle vendredi sur toutes les chaînes les images des « cinq membres du commando de l’ETA » en train de faire leurs emplettes chez Carrouf. En fait, il s’agissait donc de cinq pompiers de Barcelone venus en France faire de l’alpinisme. Heureusement que le démenti piteux des autorités est tombé à temps, et qu’aucun des cinq supposés criminels n’est rentré chez lui avec une balle perdue dans le corps comme souvenir de Paris. N’empêche, le mal est fait : non seulement nos touristes innocents auront été pris pour des assassins – ce qu’il peuvent à la rigueur excuser en ces temps sécuritaires – mais on imagine mal comment nos cinq pompiers pourront pardonner la vraie bavure commise par nos superflics : comment diable a-t-on pu confondre des Basques avec des Catalans ?
Martine Aubry est désorientée. Affairées à préparer la célébration de la victoire, nos gazettes n’ont pas vu que la première secrétaire présentait des symptômes de mauvaise latéralisation. Il faut dire qu’on ne s’y retrouve plus. Avec cette vague rose qui sera en partie verte, ce centre qui à force d’avoir un pied de chaque côté a fini par s’envoler, et cette extrême droite qui se félicite plus ou moins discrètement du triomphe annoncé de la gauche, il y a de quoi devenir chèvre. Si on ajoute à cette pagaille le positionnement impossible de Georges Frêche, on comprend que Martine soit paumée. Selon elle, Georges Frêche n’est pas un homme de gauche : valeurs douteuses, mauvais humour (déjà que l’humour, même de bon goût, est de moins en moins de gauche…). Admettons que Frêche n’a pas sa place dans le camp du bien – en plus, il n’est même pas écolo. Ce qui, au passage, signifie qu’il n’y a plus des masses d’électeurs de gauche dans le coin. Seulement, en prime, Titine nous explique ou plutôt explique aux électeurs qui ont voté pour ce type pas-de-gauche qu’il faut encore voter pour lui pour battre la droite. Chef, c’est quoi ce bordel ?
La campagne a dû être crevante, il est donc bien compréhensible que Martine Aubry perde le nord en même temps que la droite et la gauche. Pour l’aider à s’y retrouver, je lui donne un truc qui devrait lui plaire : la droite, c’est la main qui mange la soupe, non ?
On a compris : dès qu’elle aura retrouvé ses esprits, elle enverra sa carte du PS à Georges Frêche. (Je ne voudrais pas vous faire le coup de « je l’avais bien dit » mais quand même, je l’avais bien dit – dans le dernier Causeur. Quant aux autres, leur exclusion n’a pas dû dépasser le stade de la menace verbale.
En attendant, c’est juré, ce soir, pas de grand chelem pour la gauche rose/vert. Au mieux pour le PS, 21 régions métropolitaines seront acquises à la gauche tandis que la 22ème flottera dans les limbes indéfinissables où l’on n’est ni de gauche ni du centre tout en étant adversaire de la droite. Pour le banquet de réconciliation – qui sera plutôt un petit-déjeuner discret – on attendra que le délai de décence soit écoulé.
On devrait cependant avoir dès ce soir l’occasion de rigoler un bon coup ce soir en prêtant l’oreille aux commentaires des socialistes sur le score FN – ou à ceux qu’ils ne feront pas. Malheureusement, il est à craindre que nos vertueux socialo-écologistes ne se retrouvent nulle part dans la situation d’avoir besoin des voix des élus FN pour conquérir la présidence du Conseil régional. Il est certain que le parti de Marine aurait volontiers apporté le soutien demandé. On aurait sans doute entendu les responsables de l’UMP s’indigner et proclamer qu’il vaut mieux perdre une élection que ses valeurs. Et ce remake à l’envers de l’hystérie antifasciste de 1998 m’aurait beaucoup amusé.
C’est qu’en dix ans, une mutation d’ordre quasiment anthropologique est intervenue sous nos yeux. L’électeur frontiste qui était « F comme fasciste et N comme nazi » en 1998 est aujourd’hui une brebis égarée, victime de la méchante politique sarkozyste. Pour vous faciliter le boulot Libé a publié ce week-end un article datant du 21 mars 1998 intitulé « Cinq régions marquées au Front » et surtout la « une » du même jour : les portraits des cinq présidents de régions élus avec les voix du FN étaient surmontés d’un titre flamboyant : « Honte ! » Rien de tel ne s’annonçant ces jours-ci, il faut en conclure que la gauche a changé de ton. On ne saurait y voir simplement de l’opportunisme électoral.
N’ayez crainte amis antifascistes maintenus, le PS et les Verts ne sont pas sur le point de s’allier au Front toujours honni, mais surtout pour accuser Sarkozy de l’avoir requinqué, et, à vrai dire sans grande conviction. Parti de « la division et de l’intolérance » comme l’a dit Martine Aubry, c’est pas un peu mou du genou, ça ? Que les responsables de la gauche s’adressent poliment aux électeurs marino-lepénistes, voilà qui est nouveau. De là à entendre ce que disent ces électeurs, il y a encore un pas et même deux ou trois. Quant à écouter ce qu’il y a de sensé dans les propos de la fille de son père, par exemple quand elle affirme que les gens veulent préserver leur mode de vie ce qui ne fait pas d’eux des racistes, on en est loin. Reste qu’on ne saurait trop les encourager à persévérer dans cette voie. Allez-y les gars, écoutez-les ces électeurs que vous avez laissé filer il y a dix ans avant de battre le pavé pour les insulter, essayez de répondre à leurs problèmes puisque vous prétendez les résoudre. Au bout de la route, vous finirez par rencontrer le réel. Vous verrez, ça ne fait pas si mal.
J’ai fait un nœud la semaine dernière à mon mouchoir et je n’arrive pas à me souvenir pourquoi. La mémoire me joue de ces tours… J’ai pourtant l’impression que cela concerne quelque chose qui se passe dimanche. Mais franchement que peut-il se passer de vraiment notable un dimanche ? Je ne vois vraiment pas. La communion du petit dernier. Non, c’est trop tôt. Les noces d’or des beaux-parents. Ils ont divorcé en 1975. L’ouverture de la pêche. Je ne crois pas. Ah si, maintenant j’y suis : dimanche, comme tous les 21 mars, tombe l’anniversaire de Xavier Bertrand ! Et cette année, quelque chose me dit que cela va être aussi sa fête.
Après le premier tour des élections régionales, que reste-t-il de François Bayrou ?
Après le premier tour des élections régionales, que reste-t-il de François Bayrou ?
Au milieu du torrent d’âneries entendues de part et d’autre dimanche soir lors de la soirée électorales, on a tout de même entendu une idée juste : il est difficile d’interpréter les résultats d’une élection avec un tel niveau d’abstention. J’ajouterais bien : surtout après une campagne aussi nulle et pour des enjeux aussi ridicules. Le triomphe du PS et la claque de la majorité présidentielle ne me semblent pas signifier grand-chose quant aux rapports de forces politiques qui s’exprimeront lors de l’élection présidentielle de 2012.
En revanche, ce scrutin a délivré deux enseignements qui auront leur importance. Le premier c’est qu’il faudra compter avec Marine Le Pen, qui a fait des scores plus que significatifs dans la moitié Est de la France et ce malgré une forte abstention des catégories populaires. Il n’est donc pas exclu de voir un FN entre 15 et 20 % à la prochaine présidentielle.
Le second, c’est la fin de l’aventure du Modem et la disparition définitive de François Bayrou de la catégorie des présidentiables. On ne voit pas, en effet, comment le Béarnais pourrait rebondir après une telle débâcle, moins d’un an après son échec déjà cuisant aux européennes, ni comment le MoDem pourrait résister à l’implosion qui est déjà en cours. C’est sur ce point que j’aimerais m’attarder pour tenter de comprendre les raisons de l’échec de cette expérience politique et dégager des enseignements à portée générale valables pour toute les nouvelles formations politiques.
Le vote-achat dans la démocratie de marché
Le temps où les citoyens votaient en fonction de leur appartenance sociologique ou de leur convictions idéologiques est révolu. De plus en plus, le citoyen s’apparente à un consommateur, qui n’éprouve pas plus de fidélité à un parti qu’au supermarché où il fait ses courses. A chaque élection les cartes sont rebattues. On va voter tantôt pour une idée, tantôt pour une personne, tantôt pour envoyer un message, et le plus souvent sur une impression ou une humeur de fin de campagne. La proportion de l’électorat mobile est devenue tel que chaque scrutin est devenu impossible à prévoir. Qui peut sérieusement penser que l’évolution du score du PS en 16 % à 29 % en moins d’un an traduit un tel regain d’influence dans l’opinion ? C’est juste que le vote socialiste est apparu à l’électeur comme ayant plus de « valeur » cette fois-ci que lors de la précédente élection, et cela ne présage naturellement en rien de la « valeur » que le vote PS aura la prochaine fois.
On est donc contraint de penser la politique davantage en termes de marketing électoral que de segmentation socio-culturelle de la population. Le paysage politique n’est plus suffisamment structuré par des clivages idéologique pour que l’on puisse parler d’un peuple de gauche, de droite et encore moins du « centre droit » ou du « centre-gauche ». On a à faire à un peuple de consommateur de politique qui achète par son vote un message qui lui plait : une promesse, une valeur, une image dans laquelle il s’identifie. Dans ces conditions plus la campagne est molle et moins elle se structure autour d’enjeux clairs, plus le résultat risque d’être étonnant. Si ces grandes entreprises électorales que sont les partis, bénéficient d’une forte image de marque et d’une grande couverture médiatique s’en sortent presque toujours, les petites formations doivent jouer les marchés de niche auprès d’un électorat ciblé qu’ils chercheront à séduire avec un message segmenté et agressif. Seuls les partis en position dominante peuvent se permettre d’être consensuel et syncrétique. Plus on est petit, plus on doit avoir un discours fort. Cela, le MoDem ne l’a jamais compris.
Lors de la présidentielle, le vote Bayrou apparaissait comme un vote refuge pour tous ceux que Sarkozy et Royal insécurisaient. Le personnage Bayrou était relativement bien en phase avec les attentes du marché des opinions. Sa personnalité sans trop de relief entrait en résonance avec son discours de synthèse et la fonction présidentielle. D’où son succès relatif. Le problème c’est que cette « offre » ne pouvait pas être déclinée en l’état aux élections suivantes. Le Modem a, en réalité, toujours vendu le même produit : un espoir d’alternative au PS en tant que force d’opposition pour battre Sarkozy au second tour de 2012.
Lors de ces régionales, le Modem carrément mis sur le marché un produit sans caractéristique, ni intrinsèque ni distinctive. Bayrou, retenant la leçon des européenne a préféré mettre sa personne à l’abri d’un échec probable, n’a voulu envoyer aucun message politique, ni image, ni slogan, ni proposition phare. Rien ! La campagne n’a pas été portée au plan national. Le parti n’a fournit aux candidats aucun élément de langage. Et compte tenu de ce que sont les régions sur le plan institutionnel et de l’ignorance dans laquelle les tiennent les citoyens comme les médias, il était rigoureusement impossible de construire un message politique en phase avec l’enjeu réel de ces élections. A tel point qu’on peut se demander ce que les 4% d’électeurs qui ont malgré tout voté Modem ont voulu exprimer par leur vote !
L’enseignement qui peut être retiré de cet échec pour toutes les formations est qu’elles doivent construire un produit à présenter à l’électeur adapté à chaque type d’élection. Pour la présidentielle et les européennes, tout le monde sait à peu près faire (ou devrait savoir). En revanche pour les élections territoriales, c’est plus compliqué. Ces élections sont pourtant importantes car c’est là que se construisent les appareils. Elles permettent de conquérir des positions, de faire émerger des cadres et de structurer des réseaux militants via les collectivités locales et les postes qu’elles peuvent proposer dans les cabinets ou les services. Aucun homme politique ne peut exister sans un fief électoral fort et aucun parti sans un réseau d’élus locaux.
Fallait-il faire une campagne locale ou nationale ?
Aux élections locales, il n’y a guère que le PS et les écolos qui savent envoyer un message aux électeurs. Le PS délivre une image de bon gestionnaire, modéré et pragmatique, à l’écoute de la population et de la demande sociale. Et ça marche plutôt bien ! Les écolos ont l’avantage de pouvoir utiliser leur mot d’ordre « sauvons la planète » à tous les échelons possibles et imaginables, le « penser global, agir local » le permet. La droite en revanche a beaucoup plus de mal à construire une offre aux élections locales, au-delà de son discours sur la fiscalité, dont la force s’amenuise à mesure que les collectivités perdent en autonomie fiscale. Les autres petites formations, le Modem comme les formations de gauche radicale ou DLR n’ont finalement pas grand-chose à dire.
Et pourtant, si les formations voulaient bien se donner la peine, il y aurait matière à penser de véritables offres politiques locales qui pourraient véhiculer des valeurs susceptibles de capter l’attention. Presque tous les sujets qui se jouent au plan local sont laissées à l’abandon par le débat politique : l’aménagement du territoire (arbitrage ville/périurbain/campagne), l’organisation administrative, tout ce qui touche au lien social, à l’animation, aux fêtes, à l’image, l’offre culturelle et sa finalité, la vocation et la spécialisation des territoires, le cadre de vie, le logement, la mixité urbaine et sociale… Autant de sujet qui, si on voulait bien s’en donner la peine, pourrait susciter des projets, exprimer des valeurs et fabriquer du clivage, le tout dans un projet national à mettre en œuvre au plan local.
Il est parfaitement stupide dans des élections locales de prétendre conduire une politique de gauche, de droite. A fortiori, une politique ni droite ni gauche ou pire encore, d’entre deux ou de troisième force. Les clivages nationaux ne sont en effet pas opérants sur les compétences locales. En revanche, il est impératif pour les petites formations de construire un discours réellement politique autour des enjeux locaux et de le porter nationalement. Cela implique un réel travail de problématisation et de construction de propositions, ce qu’aucun parti ne fait.
A défaut, les petites formations peuvent refuser la règle du jeu et proposer à l’électeur d’envoyer un message idéologique à portée globale. Le FN le fait depuis toujours avec un succès relatif. En revanche, laisser se débrouiller localement les têtes de liste pour construire un message « local » sans relai national et sans aucun cadre conceptuel, c’est littéralement suicidaire. C’est ce que le Modem a fait aux régionales !
Le centrisme, un concept vide de sens
L’incapacité du MoDem a construire un projet politique adaptés aux enjeux locaux, a été renforcé par les carences de son image de marque au niveau national. Comme je l’ai dit plus haut, à l’origine le produit Modem se résumait à la personnalité de Bayrou dans le contexte particulier et très anxiogène du duel de 2007. Ensuite, il a pu s’imposer comme opposant n°1 à Sarkozy, critiquant essentiellement son style et son type de présidence. Ce statut était en grande partie « spéculatif » dans la mesure où la valeur Bayrou reposait sur l’hypothèse d’un déclin irrémédiable du PS et une anticipation selon laquelle il passerait devant le candidat socialiste aux prochaines présidentielle. Dès lors que le PS a relevé la tête après son congrès et que l’épouvantail Ségolène Royal a été marginalisé, la valeur Bayrou s’est effondrée telle une bulle spéculative.
Le PS lui ayant repris son statut tout nouveau d’opposant privilégié, Bayrou n’a jamais su reconstruire un produit concurrentiel susceptible de se démarquer de la concurrence. La grande alliance « anti-Barroso » construite par Cohn-Bendit sur le plateau d’Arlette Chabot, puis le rapprochement avec le PS fait par l’entremise de Marielle de Sarnez et de Vincent Peillon ont achevé de détruire tout caractère distinctif à l’offre Modem. Il n’était devenu qu’une couleur de plus dans une majorité arc-en-ciel dont personne ne voulait.
L’idéologie n’a jamais été le fort de Bayrou. En 2007 son programme se résumait au rassemblement des meilleurs des deux camps, une synthèse apolitique et technocratique sur le mode de la commission de Bruxelles. Il a bien tenté ensuite de se positionner sur la défense du modèle français contre le Sarkozysme sous influence américaine. Il a fait quelque pas en direction des thèses protectionnistes, critiquant le libre échange, l’OMC et la finance, mais lorsqu’on est un centriste modéré comme lui, il n’est pas facile d’endosser le costume du révolutionnaire qui propose de renverser le système. Ce discours ne colle, ni à son image, ni à sa nature, ni à son caractère.
Au final, il n’est resté du Modem que son image de « centrisme ». Mais comment peut-on encore parler de centrisme (ou de centre droit) quand les meilleurs chances de succès de la « gauche » sont incarnées par le directeur du FMI et que la droite reproche à son président de la trahir en cédant trop à une fascination intellectuelle à l’égard de la gauche bien pensante et ses représentants les plus illustres ? Le centrisme n’a de sens qu’en cas d’opposition radicale et franche entre deux blocs. Quand gauche et droite ne s’opposent que sur le style et les modalités, il n’y a aucun espace politique pour un centre de synthèse et de compromis.
Que peuvent faire maintenant Bayrou et ses troupes défaites?
Après la raclée qu’ils viennent de subir, je suppose que les responsables du Modem doivent être aujourd’hui bien déprimés. Je m’en voudrais donc de démoraliser encore un peu plus ceux qui pourraient lire cette analyse, ou de donner l’impression de tirer sur une ambulance, ce qui n’est jamais très élégant même si ça peut être amusant. J’ai toujours eu de la sympathie pour le Modem, au moins pour la démarche qui consistait à faire émerger une nouvelle formation politique pour renouveler l’offre politique et tenter de remettre en cause la ”position dominante” dans le statut d’opposant dont bénéficie (et abuse) le PS. Je vais donc conclure cette analyse par quelques conseils.
À Bayrou, je conseillerais ardemment d’abandonner son rêve présidentiel, car il clairement plus les moyens de ses ambitions. Plus personne ne le considère aujourd’hui capable d’accéder au second tour. La seule chose qu’il puisse faire, c’est de rallier au plus vite la candidature de Dominique de Villepin. En alliant leur force et leur notoriété dans le cadre d’un « ticket », il pourrait recréer une dynamique positive et réellement espérer la victoire en 2012. Premier ministre ou président de l’assemblée reste une sortie tout à fait honorable. Il ne faut plus aujourd’hui chercher à concurrencer le PS, mais plutôt de recréer une nouvelle offre à droite en anticipant sur l’implosion du Sarkozysme.
Je conseillerais aussi à Bayrou d’entendre les critiques qui s’expriment au sein de son parti sur son fonctionnement jugé peu démocratique. Il doit absolument consacrer son énergie à structurer réellement cette formation pour en faire un réceptacle pour tous ceux qui croient en la politique tout en désespérant de l’offre existante. Le Modem n’a de sens que s’il renouvèle réellement la manière de faire de la politique et propulse de nouvelles générations de responsables à tous les niveaux. À ce titre, le préalable s’il veut conserver un appareil est de trouver rapidement les moyens pour éponger l’ardoise des têtes de listes qui n’ont pas franchi la barre des 5 %, 20 sur 22 ! Il n’arrivera à rien avec des cadres sur endettés comme des Américains après la crise des subprimes !
Aux cadres et aux élus, je leur conseillerais surtout de ne pas rejoindre Europe Ecologie. La bulle ne tardera pas à crever et les régionales ont sûrement déjà marqué un début de reflux. En 2012, la crise aura atteint un tel degré de gravité que plus personne ne se préoccupera d’écologie ou du climat.
Objectivement, le Modem est dans une impasse stratégique. Je ne peux donc que leur conseiller d’endurer, de traverser un petit bout de désert, de faire le dos rond, et surtout renoncer aux prochaines cantonales pour éviter une nouvelle débâcle. En attendant la recomposition qui suivra l’élection de 2012, le mieux qu’ils aient à faire est de s’attacher à renforcer leur organisation et leur capacité à conduire des campagnes, se structurer en clubs de réflexion pour les prochaines échéances locales ou nationales, s’impliquer dans la vie associative ou locale pour construire des réseau…
Je m’en veux de leur annoncer cette cruelle vérité, mais il n’y a plus aujourd’hui aucune place pour Mouvement Démocrate dans le paysage politique.