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Frêche ne sera pas le harki de la gauche


Frêche ne sera pas le harki de la gauche
Georges Frêche.
Georges Frêche
Georges Frêche.

Martine Aubry est désorientée. Affairées à préparer la célébration de la victoire, nos gazettes n’ont pas vu que la première secrétaire présentait des symptômes de mauvaise latéralisation. Il faut dire qu’on ne s’y retrouve plus. Avec cette vague rose qui sera en partie verte, ce centre qui à force d’avoir un pied de chaque côté a fini par s’envoler, et cette extrême droite qui se félicite plus ou moins discrètement du triomphe annoncé de la gauche, il y a de quoi devenir chèvre. Si on ajoute à cette pagaille le positionnement impossible de Georges Frêche, on comprend que Martine soit paumée. Selon elle, Georges Frêche n’est pas un homme de gauche : valeurs douteuses, mauvais humour (déjà que l’humour, même de bon goût, est de moins en moins de gauche…). Admettons que Frêche n’a pas sa place dans le camp du bien – en plus, il n’est même pas écolo. Ce qui, au passage, signifie qu’il n’y a plus des masses d’électeurs de gauche dans le coin. Seulement, en prime, Titine nous explique ou plutôt explique aux électeurs qui ont voté pour ce type pas-de-gauche qu’il faut encore voter pour lui pour battre la droite. Chef, c’est quoi ce bordel ?

La campagne a dû être crevante, il est donc bien compréhensible que Martine Aubry perde le nord en même temps que la droite et la gauche. Pour l’aider à s’y retrouver, je lui donne un truc qui devrait lui plaire : la droite, c’est la main qui mange la soupe, non ?

On a compris : dès qu’elle aura retrouvé ses esprits, elle enverra sa carte du PS à Georges Frêche. (Je ne voudrais pas vous faire le coup de « je l’avais bien dit » mais quand même, je l’avais bien dit – dans le dernier Causeur. Quant aux autres, leur exclusion n’a pas dû dépasser le stade de la menace verbale.

En attendant, c’est juré, ce soir, pas de grand chelem pour la gauche rose/vert. Au mieux pour le PS, 21 régions métropolitaines seront acquises à la gauche tandis que la 22ème flottera dans les limbes indéfinissables où l’on n’est ni de gauche ni du centre tout en étant adversaire de la droite. Pour le banquet de réconciliation – qui sera plutôt un petit-déjeuner discret – on attendra que le délai de décence soit écoulé.

On devrait cependant avoir dès ce soir l’occasion de rigoler un bon coup ce soir en prêtant l’oreille aux commentaires des socialistes sur le score FN – ou à ceux qu’ils ne feront pas. Malheureusement, il est à craindre que nos vertueux socialo-écologistes ne se retrouvent nulle part dans la situation d’avoir besoin des voix des élus FN pour conquérir la présidence du Conseil régional. Il est certain que le parti de Marine aurait volontiers apporté le soutien demandé. On aurait sans doute entendu les responsables de l’UMP s’indigner et proclamer qu’il vaut mieux perdre une élection que ses valeurs. Et ce remake à l’envers de l’hystérie antifasciste de 1998 m’aurait beaucoup amusé.

C’est qu’en dix ans, une mutation d’ordre quasiment anthropologique est intervenue sous nos yeux. L’électeur frontiste qui était « F comme fasciste et N comme nazi » en 1998 est aujourd’hui une brebis égarée, victime de la méchante politique sarkozyste. Pour vous faciliter le boulot Libé a publié ce week-end un article datant du 21 mars 1998 intitulé « Cinq régions marquées au Front » et surtout la « une » du même jour : les portraits des cinq présidents de régions élus avec les voix du FN étaient surmontés d’un titre flamboyant : « Honte ! » Rien de tel ne s’annonçant ces jours-ci, il faut en conclure que la gauche a changé de ton. On ne saurait y voir simplement de l’opportunisme électoral.

N’ayez crainte amis antifascistes maintenus, le PS et les Verts ne sont pas sur le point de s’allier au Front toujours honni, mais surtout pour accuser Sarkozy de l’avoir requinqué, et, à vrai dire sans grande conviction. Parti de « la division et de l’intolérance » comme l’a dit Martine Aubry, c’est pas un peu mou du genou, ça ? Que les responsables de la gauche s’adressent poliment aux électeurs marino-lepénistes, voilà qui est nouveau. De là à entendre ce que disent ces électeurs, il y a encore un pas et même deux ou trois. Quant à écouter ce qu’il y a de sensé dans les propos de la fille de son père, par exemple quand elle affirme que les gens veulent préserver leur mode de vie ce qui ne fait pas d’eux des racistes, on en est loin. Reste qu’on ne saurait trop les encourager à persévérer dans cette voie. Allez-y les gars, écoutez-les ces électeurs que vous avez laissé filer il y a dix ans avant de battre le pavé pour les insulter, essayez de répondre à leurs problèmes puisque vous prétendez les résoudre. Au bout de la route, vous finirez par rencontrer le réel. Vous verrez, ça ne fait pas si mal.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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