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Deux petits tours et puis s’en vont


Deux petits tours et puis s’en vont

Urne

Tout d’abord, les grands équilibres. Sauf à considérer la non-bascule de l’Alsace –qui a toujours voté à droite depuis son Anschluss à la France- comme un événement historique, les résultats actent d’un rapport de force régional à peu près intact entre les deux blocs dominants. Le même, donc, qui avait préludé à la victoire de Sarkozy en 2007. Personne, sauf quelques militants post-ados du MJS, n’a eu le mauvais goût de hurler à la victoire hier soir à Solferino, où Martine a imposé sans trop de mal sa ligne du triomphe modeste.

La modestie, quoique d’un genre différent, était aussi de rigueur à l’UMP. Pour une fois, chacun avait appris sa fiche de contrition par cœur, et même les moins qualifiés pour ce genre d’exercice repentant (Morano, Lefebvre, Estrosi) y sont allés de leur mea culpa – sans jamais chercher à chipoter quant à la réalité de la claque.

Un seul credo hier chez les sarkozystes : « Nous n’avons pas su nous faire comprendre car nous n’avons pas su entendre. » À l’avenir donc, c’est promis-juré-craché, l’UMP sera à l’écoute du pays avant d’engager des réformes. On est content pour eux, sauf qu’on n’en croit pas un mot. Car sur le gros dossier du moment – à savoir les retraites- la seule façon d’être « à l’écoute », c’est de l’enterrer vivant avant même que François Fillon ne le ressorte de son attaché-case. Malgré les rodomontades généralisées sur les réformes indispensables, il n’est pas dit que ledit dossier ne soit pas déjà mort dans l’esprit du président : l’Elysée vaut bien un parjure.

Dans ce tsunami d’autocritique à droite, l’unique mais lourdement martelé bémol aura été le distinguo entre élection nationale et pipis de chat intermédiaires. Mauvaise foi, peut-être (remember les hourras des européennes); mais vérité néanmoins. En ne s’engageant pas plus que ça, et en minimisant la portée du scrutin dès que les sondages ont commencé à sentir le sapin, bref en sautant son tour sur ce coup-là, le chef de l’Etat a préservé l’essentiel –tout en permettant aux sarkozystes d’en bas d’exprimer leur ras le bol avec leur pieds, de pousser une gueulante gestalto-thérapique sans conséquences majeures. Sans vouloir nous vanter, mais un peu quand même, c’est pile le scénario anti-catastrophe qu’on avait prévu.

On nous fera remarquer, à raison, que cette bouderie, l’électorat sarkozyste ne l’a pas seulement manifestée en s’abstenant, mais en requinquant concomitamment le FN – seul parti où hier soir, la modestie n’était pas de mise. À tort, au moins pour un des arguments répétés en boucle par le père et la fille -et repris tels quels par nombre de politologues trop pressés- comme quoi pour la première fois le Front progresse sur le premier tour là où il se maintient. C’est vrai, certes, sauf que c’est encore plus vrai pour tous les autres acteurs de triangulaires, sans exception : en Limousin, le Front de Gauche progresse de 7 points sur le premier tour ; en Bretagne, Europe Ecologie en gagne 5, même topo en Corse pour la liste de Simeoni. Bref, quelles que soient leurs casquettes, les troisièmes larrons ont fait une bonne affaire, la belle affaire. Eh oui, on rappellera pour les plus distraits qu’il n’y aura pas de troisième candidat au deuxième tour de la présidentielle. Et que le bon score du FN, permettra en 2012 tant à Sarko qu’à son challenger socialiste de s’en servir à nouveau comme épouvantail pour appeler au vote utile dès le premier tour afin d’éviter une répétition du 21 avril de sinistre mémoire. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les hésitations chez les écolos à présenter un candidat autonome, d’aucuns jugeant plus avisé de faire un package deal avec le PS avant 2012 genre « on présente personne à la présidentielle, en échange de 50 circonscriptions blindées aux législatives ». Ce serait le pur bon sens, mais bon, les Verts et le bon sens, hein…

A priori, cette résurrection pré-pascale du FN fait donc comme d’hab’ le jeu du PS. Sauf qu’à notre avis, elle roule aussi pour le président. Entendez-vous dans la campagne monter le grondement du chantage à la non-représentation de notre bon Nicolas S ? Sa femme d’abord (qui dit qu’un mandat c’est bien assez), puis lui ensuite. Genre, puisque vous ne m’aimez pas, puisque ce pays ne m’aime pas, je vais faire conférencier à la Bill Clinton ou à la Tony Blair, même pas peur. Et trouvez-vous un champion -Raffarin, Copé, Villepin, Morin- pour sauver la France. On parie ? Les petits moutons bleus vont venir pleurer sur le paillasson de l’Elysée en moins de 10 minutes. Et le grand Nicolas Sarkozy reviendra nimbé de sa pauvre houppelande de petit homme providentiel. Celui qui peut ramener le frontiste à la raison…

Aimable moyen aussi de piquer une partie de leur fond de commerce aux villepinistes. Ceux-ci espéraient surfer sur défaite sarkozyste, ils risquent au contraire de se prendre dans les dents un retour de bâton unioniste et légitimiste. (On verra ce que donne, jeudi, leur grande surboum de printemps)

On ajoutera à cela que si le président a un peu le FN en travers de la gorge, il n’a plus l’écharde géante du Modem enfoncée profond dans la voûte plantaire. Idem pour le PS avec la regroupusculisation du NPA au profit d’un Front de Gauche remuant certes, mais monitorable.

Bref à gauche comme à droite, les compteurs sont à zéro. Les élections ne se sont pas passées hier, elles commencent aujourd’hui.



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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