L’Iran a tiré hier soir plus de 180 missiles sur le territoire israélien. Le pays a été mis en alerte, et la population est descendue dans les abris. Heureusement, les missiles ont majoritairement été interceptés par le Dôme de fer. Des tirs de joie nourris ont éclaté dans la banlieue sud de Beyrouth, contrôlée par le Hezbollah, après cette importante attaque. Pendant le même temps, un attentat à Tel-Aviv mené par deux tireurs faisait sept morts. Benyamin Netanyahou a estimé que l’Iran avait « commis une grave erreur » en attaquant son pays, et qu’il en « paierait le prix ».
Pour les juifs, aujourd’hui est traditionnellement une journée de purification spirituelle ou tout au moins de réflexion sur l’année qui vient de se dérouler. Il n’est pas besoin de souligner que cette réflexion prend un relief particulier compte tenu de l’année que nous avons vécue. C’est cette veille de Rosh Hachana que le régime iranien a choisie pour lancer 180 missiles balistiques sur Israël. Pour les chiites, le Nouvel an (qui a eu lieu cette année en juillet) est la commémoration du malheur des malheurs, la mort de l’imam «martyr» Hussein au cours de la bataille de Kerbala en 680.
Le « front de la résistance » en mauvaise posture
Le communiqué officiel des Gardiens de la Révolution relatant l’attaque de missiles parle de la nation « noble et martyrisée de l’Iran ». Pour les mollahs iraniens, leur pays, depuis Hussein, est donc une nation martyre. Pour tous ceux dont le bon sens n’a pas été détruit par l’idéologie, c’est leur régime qui martyrise l’Iran.
Ce communiqué prétend aussi que cette attaque est « conforme aux droits légaux de l’Iran et aux lois internationales », et prévient Israël que s’il réagit militairement il s’exposera à de nouvelles attaques « encore plus écrasantes et destructrices ».
Malgré ces paroles victorieuses et martiales, il n’y a pas la moindre précision sur les conséquences de l’attaque et, en dehors des mollahs, bassidji et pasdarans les plus obtus, les Iraniens auront donc compris qu’il s’agit d’un échec cuisant pour le régime.
« Les coups du Front de la Résistance contre le corps décrépit et en décomposition du régime sioniste seront encore plus écrasants », avait prétendu l’ayatollah Khamenei. J’aurais tendance à dire « décrépit lui-même ».
Dans le centre du pays, un Israélien observe les dégâts dans un restaurant après les attaques iraniennes, 1 octobre 2024 SOPA Images/SIPA Numéro de photo : 01178302_000015
Il est à noter que l’attaque iranienne n’a été accompagnée par aucun soutien du fameux « Axe de la Résistance ». Même s’il ne semble pas que le Hezbollah possède des missiles balistiques à longue portée, et qu’il ne pouvait donc pas aider à saturer le système Arrow III qui a détruit les missiles iraniens, l’absence de participation du Hezbollah en soutien à cette offensive iranienne en dit long sur son affaiblissement. Le monde démocratique et le Liban devraient en être reconnaissants à Israël. On a vu que cela n’a pas été tout à fait le cas…
En Israël, beaucoup estiment qu’une fenêtre de tir s’est ouverte pour frapper le programme nucléaire iranien
Une autre remarque concerne les Américains. Joe Biden n’a pas lésiné son approbation de la liquidation de Nasrallah. Il n’a pas non plus lésiné son soutien à Israël au cours de l’attaque iranienne. On dit beaucoup que les Américains sont immobilisés par la perspective des élections, mais il faut peut-être se rappeler que Biden avait promis qu’il ne laisserait jamais l’Iran posséder l’arme nucléaire. Un rapport publié en juillet par la Direction du Renseignement américain a donné de très inquiétantes informations sur l’avancement des Iraniens. Est-il possible que le président américain en tire la conclusion que c’est le moment ou jamais d’empêcher ce régime criminel d’acquérir l’assurance-survie nucléaire avec le poids qu’elle ferait peser sur le monde libre?
Une troisième remarque, à propos de la position française. Elle repose sur une image du Liban qui avait sa validité il y a cinquante ans, avant que ne commence la guerre civile dans le pays. Il ne semble pas que la diplomatie française ait averti le président de la République que la situation avait changé depuis cette époque. La posture paternaliste d’une France soutenant le petit frère libanais et l’appel à un cessez-le-feu sans rappeler les crimes du Hezbollah et sans en citer le nom, marquera un point haut des rodomontades nationales, un point bas de l’influence de notre pays dans le monde et un sommet d’exaspération pour les Juifs de France.
Une dernière remarque, une confirmation plutôt, sur Jean-Luc Mélenchon et son tweet lunaire au moment des envois de missiles iraniens sur Israël. On savait qu’il était infréquentable, mais je pense que ceux qui continuent de le fréquenter sont désormais eux-mêmes infréquentables…
Chasseurs attaqués par une soixantaine de migrants à Tardinghen: que s’est-il passé?
Dans la Calaisis, la tragédie de l’immigration clandestine ne noircit pas seulement les pages des journaux locaux lorsque des embarcations de fortune, remplies de sans-papiers rêvant d’Angleterre, font naufrage au large des côtes. La population locale souffre aussi du non-droit entretenu par les mafias de passeurs et certaines ONG inconscientes. Ainsi, comme le rapporte le quotidien Nord Littoral, trois chasseurs de Tardinghen (62), à quelques kilomètres au sud de Sangatte, accompagnés d’un petit garçon de trois ans, ont cru leur dernière heure venue au petit matin du 15 septembre quand une soixantaine de migrants, armés de machettes et de barres de fer, se sont rués sur la hutte de chasse dans laquelle ils se trouvaient, après avoir détruit les pare-brise des véhicules garés à proximité. « Ils voulaient nous tuer », a relaté, le lendemain sur Delta FM, l’une des victimes, qui, avec ses deux camarades, a choisi la voie de la sagesse en s’abstenant de se servir de son fusil, préférant appeler les gendarmes… et prier pour que la porte de la cabane tienne jusqu’à l’arrivée des secours.
De fait, la porte a tenu, les agresseurs ont fini par s’égailler dans la nature et aucun blessé n’est à déplorer. Reste à comprendre ce que cherchait cette horde. D’après le préfet du Nord Pas-de Calais, il s’agit d’une expédition punitive. Quelques heures auparavant, les chasseurs avaient surpris ce groupe de migrants s’apprêtant à traverser la Manche, et donné l’alerte aux forces de l’ordre, qui étaient promptement intervenues. « Depuis cet été, nous avons connu une dizaine de situations similaires entre Calais et le Touquet », a indiqué sur France 3 Hauts-de-France Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs et lui-même élu municipal dans cette région des marais d’Opale. Signe des temps, la préfecture n’a pas enterré l’affaire. Dans les heures qui ont suivi le drame, elle a annoncé des mesures pour « favoriser les échanges d’informations entre les forces de l’ordre et les chasseurs ». Manière, sans le dire, d’organiser une surveillance citoyenne au sein d’un territoire menacé en permanence de devenir une zone de guérilla.
La Solitude du coureur de fond, d’Alan Sillitoe, au Théâtre Le Funambule, à Montmartre
Encore un petit théâtre épatant qui se distingue par une programmation originale. Prenez le Funambule, donc, à deux pas du métro Lamarck-Caulaincourt à Paris. S’y déroule en ce moment, et jusqu’au 10 novembre, un seul en scène enthousiasmant de Patrick Mons, l’adaptation d’un livre culte – presque autant que L’Attrape-cœur de Salinger : La Solitude du coureur de fond (1959), de l’Anglais Alan Sillitoe (1928-2010) – dont c’est le deuxième livre culte (rareté), après la publication, un an plus tôt, en 1958, de Samedi soir, dimanche matin.
Le cinéma se saisit très vite des deux : Samedi soir, dimanche matin est porté à l’écran en 1960 par un génie, Karel Reisz ; La Solitude du coureur de fond, par un autre, Tony Richardson, en 1962.
Cela ne s’arrêtera pas là – romans (une vingtaine), poésie, ouvrages pour la jeunesse s’ensuivront. Mais les deux premiers livres marqueront leur époque : celle des Angry Young Man(Jeunes hommes en colère) des années 50.
Parenthèse : Alan Sillitoe a gagné. Quand on entre en littérature, il faut écrire LE livre (voir Salinger, plus haut, ou Le Grand Meaulnes, ou Le Diable au corps, ou La Fin de Chéri, etc.) : Sillitoe en a écrit deux, non-négociables. Il faudrait toujours avoir CE livre – celui à écrire, le seul – en tête, lorsqu’on se mêle de littérature, et d’écriture. La rareté, la nécessité, comme critérium. Fin de la parenthèse.
Résumé de l’action. Quelle action ? Un homme, Colin Smith, « enfermé dans une maison de correction, est choisi pour représenter l’institution lors d’une compétition de course de fond ». Le directeur voudrait en faire un exemple de réhabilitation et une illustration de la qualité de son établissement.
Cela ne se passera pas tout à fait ainsi : Smith pourrait gagner mais l’Angleterre est la terre de l’habeas corpus – Smith a son libre-arbitre, et une notion précise de la dignité et de l’honnêteté, qui n’a pas grand-chose à voir avec celle des « honnêtes gens », justement.
Montherlant a beaucoup écrit à ce propos (le sport, sa morale). Sillitoe, né dans une famille ouvrière de Nottingham et qui travailla un temps en usine (à 14 ans), écrit dans une autre langue, un autre registre : réaliste, populaire, prolétarien – dans le très bon sens du terme (à l’opposé, par exemple, de celui qui pourtant passe pour un de ses héritiers, Ken Loach, le démagogue larmoyant, misérabiliste).
Patrick Mons restitue le monologue intérieur du jeune homme, Colin Smith : la course (il court presque toute la durée de la représentation) est l’occasion de l’élaboration de sa pensée, de sa conception de la liberté – et de sa libération, par les mots. Le for intérieur est son arme ; l’honnêteté, de soi à soi, son blason.
Précisons que les mots de Sillitoe, devenus ceux de Mons-Smith, illustrent deux de ses qualités insignes (il suffit de le lire – ou de venir l’écouter au Funambule) : le sens de l’observation et l’art de conter. L’humour n’est pas absent. La musique du saxophoniste Art Pepper (enregistrée par le Barcelonais Esaïe Cid) accompagne bienheureusement la représentation.
Lycéen, nous avons eu la chance de voir le vaillant Sami Frey pédaler et dire les Je me souviens anaphoriques de Georges Perec : merveille. Nous nous souviendrons – c’est dire le niveau de la représentation et de l’incarnation – de Patrick Mons, coureur aguerri et acteur distingué (l’inverse est vrai). À l’évidence, celui-ci sera de moins en moins seul. Courez donc – il faut bien commencer – le voir et l’écouter : le coureur du Funambule vaut le… détour.
La Solitude du coureur de fond, Théâtre Le Funambule (53 rue de Saules 75018). D’après Alan Sillitoe. Mis en scène et joué par Patrick Mons. Musique Art Pepper. Du 5 septembre au 10 novembre. Durée : 1H15.
En juin dernier, votre serviteur déplorait le Cosi… du (forcément divin) Mozart, miné par l’abstraction sous l’effet de la régie signée Anne Teresa de Keersmaeker, dans l’antre de l’Opéra-Bastille.
L’arraisonnement des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique par les metteurs en scène « starisés » est un trait d’époque : il suscite le pire comme le meilleur. Quoiqu’il en soit, c’est a contrario un rare privilège que de redécouvrir un joyau de la musique, mais décanté de tout appareil scénographique : mis à nu en quelque sorte. C’était le cas il y a quelques jours au Théâtre des Champs-Elysées : Mozart s’y voyait célébré avec d’autant plus de sobriété que le Chœur et Orchestre Les Musiciens du Louvre, formation « baroqueuse » par excellence (fondée et toujours dirigée par Marc Minkowski), restitue, sur instruments d’époque, la sonorité particulière aux orchestres de l’âge classique : elle offrait une relecture tout à la foi nerveuse et subtile du célébrissime dramma giocoso millésimé 1790.
Ainsi réduite à la seule expression de son livret, Cosi Fan Tutte prenait une saveur, une drôlerie, une alacrité soulignées par la discrète inventivité des travestissements qui, comme chacun sait, font la trame de l’opéra en question. La mezzo américaine Angela Brower y reprenait le rôle de Dorabella qu’elle incarnait déjà à l’Opéra-Bastille l’été dernier avec brio. Dans celui de Guglielmo triomphait ici le ténor croate Leon Kosavic (qu’on a grande hâte d’entendre dans Ariane à Naxos, le génial opéra de Richard Strauss, qui sera donné à l’opéra de Rouen du 15 au 19 novembre prochain). La soprano vénitienne Miriam Albano campait merveilleusement quant à elle la marieuse ancillaire Despina. Don Alfonso, sous les traits du baryton Alexandre Duhamel, donnera envie aux amateurs de le revoir, ici même en décembre prochain, dans le Dialogue des carmélites, de Francis Poulenc… mis en scène, cette fois, par l’inévitable Olivier Py. Mais la plus belle surprise de cette unique représentation concertante du 24 septembre revenait, sans aucun doute, à la soprano suisse Ana Maria Labin, inoubliable dans l’emploi de Fiordiligi – vibrato incandescent, souplesse et suavité du phrasé, projection redoutable dans les aigus, ambitus à donner le frisson. Ainsi livrés à l’état brut, dans leur jus, sans le nappage parfois déroutant propre à nos régies contemporaines, les rondeaux, cavatines et autres arias de cette partition scintillaient comme jamais.
D’autant que sous l’impulsion de son directeur Michel Franck, la maison de l’avenue Montaigne inaugurait à cette occasion un nouveau dispositif acoustique, élégante architecture modulable composé de sept à dix panneaux (leur nombre s’adapte à l’effectif requis sur le plateau) dont l’esthétique, avec son rehaut de dorures, renvoie à celle, splendide, de ce monument précurseur de l’art déco construit en béton, comme l’on sait, par le jeune Auguste Perret en 1910.
Alors ? Alors voilà qui ouvre l’appétit pour la suite. En coproduction avec Les Grandes Voix, le Théâtre des Champs-Elysées accueillera bientôt le délicieux chef-d’œuvre de Rossini, Le Comte Ory. Puis, toujours en version concert, Alcina, chef-d’œuvre absolu de Haendel. Rendez-vous respectivement les 7 novembre et le 5 décembre pour ces deux spectacles.
Cosi Fan Tutte, de Mozart, en version concert le 24 septembre dernier.
Le Comte Ory, opéra en deux actes de Gioachino Rossini. Avec Cyrille Dubois, Sara Blanch, Ambroisine Bré, Monica Bacelli, Nicola Ulivieri, Sergio Villegas-Galvain, Marielou Jacquard. Direction : Patrick Lange. Orchestre de Chambre de Paris, Chœur de Chambre de Rouen Jeudi 7 novembre à 19h30 Durée : 2h50
Alcina, opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Elsa Dreisig, Sandrine Piau, Emily D’Angelo, Nadezhda Karyzina, Stefan Sbonnick, Bruno de Sa, Alex Rosen. Direction: Francesco Corti. Il Pomo d’Oro. Jeudi 5 décembre à 19h30 Durée : 3h Théâtre des Champs-Elysées. Paris.
Pour les Occidentaux, il ne s’agit plus tellement de se demander si une démocratie comme Israël doit ou non se comporter comme elle le fait, mais de regarder vers Téhéran.
Nombreux sont ceux voulant croire que la guerre de Troie n’aura pas lieu. « Elle aura lieu » : c’est ainsi que s’achève la pièce de Giraudoux. En l’occurrence, la guerre déclenchée par le Hamas, le 7 octobre 2023, qui s’étend inexorablement au Moyen-Orient. En vérité, le régime islamique iranien mène contre Israël une guerre par procuration dont la portée et les répercussions vont très au-delà du Moyen-Orient. Nul ne pourra l’ignorer plus longtemps.
En l’état des choses, le pouvoir meurtrier du Hamas, à partir de la bande de Gaza, est réduit à son expression minimale. Cela ne préjuge en rien du futur mais la conduite diplomatico-stratégique d’une nation ne relève pas de l’eschatologie et des fins dernières : rien n’est définitivement acquis. Comme il fallait l’anticiper, la logique de la guerre s’étend au Liban-Sud et dans les banlieues chiites de Beyrouth, territoires depuis lesquels le Hezbollah harcèle depuis des mois, et même des années, le nord d’Israël (entre 60 000 et 100 000 Israéliens ont fui la région).
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, une grande partie de son état-major ainsi que des Pasdarans iraniens (leurs tuteurs), ont été éliminés dans les bombardements des derniers jours. On ne peut qu’approuver les déclarations de l’exécutif américain quant à de salutaires « mesures de justice ». On regrettera inversement les pudeurs de l’Elysée et du ministre des Affaires étrangères de la France, soucieux de se poser en protecteurs historiques du Liban.
France impuissante
Le problème réside dans le fait que la France n’y protège plus grand monde. Faut-il rappeler la faillite de la diplomatie libanaise d’Emmanuel Macron, pleine d’allant après l’explosion de milliers de tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth (20 août 2020) ? Pour un peu, nous nous imaginions revenus à l’époque du protectorat français sur le Liban maronite. Au demeurant, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron – dont Jacques Chirac, prétendument initié aux subtilités politiques locales –, avaient aussi échoué. Nous le regrettons infiniment mais les choses sont ainsi. Seul héritage d’un grand passé : la FINUL, fort mal prise dans la présente situation.
Aussi, en appeler à l’instauration d’un cessez-le-feu, alors même que se préparait la riposte israélienne aux agissements du Hezbollah, tient du leitmotiv de l’impuissant. De même la sempiternelle invocation de la solution dite politique des « deux États » (un État palestinien vivant en paix à côté d’Israël), comme si le politique pouvait se déployer en apesanteur. Arguant du caractère désirable de cette projection, ce techno-pacifisme fait fi des réalités politiques, diplomatiques et militaires locales et régionales.
De fait, il ne s’agit pas tant d’un conflit israélo-palestinien – la fondation d’Israël tenant lieu pour la religion séculière post-moderne de péché originel, que d’une guerre iranienne à l’encontre de l’État hébreu. Une guerre indirecte qui utilise et manipule un certain nombre de forces par procuration (des proxies), milices chiites prises en main par les Gardiens de la Révolution islamique (les Pasdaran), dont le Hezbollah, ou formations terroristes djihado-sunnites ralliées au tiers-mondisme panislamique de Téhéran (le Hamas). Un régime islamique iranien qui depuis plus de vingt ans, au prix d’énormes sacrifices et de sanctions, poursuit envers et contre tout un programme nucléaire qui l’a placé au seuil de la bombe atomique. Croit-on qu’un accord israélo-palestinien (en toute hypothèse) modifierait la donne géopolitique régionale ?
Il serait erroné de penser que cette question se limite au Moyen-Orient. Le régime islamique iranien est l’allié ouvert de la Russie qu’il fournit en drones et en missiles balistiques destinés au théâtre ukrainien. Ces drones ont contribué de manière décisive à l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’an passé ; bientôt renforcés par des missiles, ils sont utilisés pour détruire l’infrastructure énergétique d’un pays tenu à bout de bras par l’Occident. En somme, l’Iran est indirectement engagé dans une grande entreprise militaire qui cherche à forcer les frontières orientales de l’Europe. Tout cela avec l’appui de la Chine populaire qui achète massivement les produits bruts de l’Iran et de la Russie, et leur fournit les équipements et composants nécessaires à leur industrie de guerre.
Lendemains incertains
Depuis les pogroms du 7 octobre 2023, commis par le Hamas, Israël a repris l’initiative. L’État hébreu a entrepris de rompre l’« anneau de feu » qui, à ses frontières géographiques et depuis des fronts plus ou moins éloignés lointains – le « pont terrestre » chiite entre le Golfe Arabo-Persique et la Méditerranée orientale ou encore le bastion houthiste yéménite –, menaçait de l’annihiler. Il sera désormais difficile pour le régime islamique iranien de se cacher derrière ses affidés extérieurs et la protestation de ses bonnes intentions sur le plan nucléaire. Le champ des possibles est grand ouvert.
Certes, il ne manquera pas d’observateurs prompts à inverser causes et conséquences, pour expliquer que les dirigeants iraniens seront contraints par Israël à pousser les feux. A contrario, il appert que les nations occidentales doivent user des circonstances pour accroître la pression sur l’Iran, l’objectif étant que ses dirigeants abdiquent leurs ambitions balistico-nucléaires et cessent de déstabiliser les régimes arabes sunnites du Moyen-Orient.
Voici quelques années, c’était l’objectif déclaré de la diplomatie française. Eh bien, nous y sommes ! Pour commencer, il serait bon de libérer la mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb de l’emprise houthiste. Au-delà, le recul de l’Iran, sous pression maximale, entraînerait des répercussions sur le front ukrainien et la solidité de l’axe Moscou-Pékin-Téhéran
Faisons enfin justice de l’argument selon lequel « une démocratie [Israël] ne devrait pas se comporter ainsi ». Les régimes constitutionnels-pluralistes, ainsi que les nommait Raymond Aron, ne sont pas des idéalités platoniciennes. Ce sont des régimes politiques qui ne sauraient donc se soustraire à ce qui caractérise le « Politique », saisi dans son essence : le conflit et la guerre comme faits originaires, la distinction ami-ennemi et le recours aux moyens de la puissance, jusqu’à l’emploi de la violence armée si la conservation de l’être est dans la balance.
Bien malin celui qui pourrait définir d’un mot ou même d’une phrase l’univers de François Ozon. Il est à lui tout seul la négation de la notion de cinéma d’auteur. Allez donc trouver le lien entre le flamboyant mélo Sous le sable, avec Cremer et Rampling, et Potiche, le tordant « boulevard » avec Deneuve et Depardieu (décidément)…
Son nouveau film, Quand vient l’automne, n’échappe pas à cette « règle ». Cette fois, il nous propose un drame vénéneux en Bourgogne. Vénéneux, oui, parce qu’au centre de cette ténébreuse affaire familiale, on trouve un plat de champignons toxiques. Tout commence donc par un petit repas en famille au cours duquel une fille plutôt revêche se délecte des champignons concoctés par sa retraitée de mère. S’ensuit une histoire dont on se gardera bien de révéler ici les méandres et autres surprises surgies d’un passé sulfureux.
Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier mènent un bal parfaitement réglé.
En France, NFP et RN s’entendent pour contester la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Pendant ce temps, les Chinois acceptent sans broncher un recul de l’âge de départ à la retraite, en raison du vieillissement de la population…
Dans une France largement rétive au boulot (cf. Causeur de septembre), les succès du NFP et du RN reposent en grande partie sur leur dénonciation répétée du recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Bien que ce soit la seule mesure macronienne assimilable à une baisse des dépenses publiques dans le magma des 1 000 milliards de dettes supplémentaires, la réformette inique ne passe pas.
Que partout ailleurs en Europe on parte à 65 ou 67 ans n’a aucune vertu apaisante. Les travailleurs français ne veulent pas en entendre parler, tout comme les jeunes mélenchonistes pour qui la retraite doit sonner dès leur diplôme de sociologie en poche – une retraite à 30 ans aisément finançable par « les riches et les paradis fiscaux ». On sait par ailleurs que Jean-Luc Mélenchon, à l’image de toute la gauche française, a toujours fait preuve d’une extrême bienveillance à l’égard de régimes qui ont su conjuguer progrès social, humanisme et démocratie directe tels Cuba, le Venezuela ou la Chine.
On apprend pourtant, avec une certaine stupéfaction, que la Chine communiste vient de décider d’un recul de la retraite de 60 à 63 ans, en raison d’un problème démographique et du vieillissement de la population. Depuis que Mao n’est plus là, les Chinois vivent plus vieux – allez comprendre ! Ces explications doivent un peu soulager l’ami Jean-Luc. Ce n’est pas, en effet, comme si la France connaissait un problème démographique ou un vieillissement de la population, n’est-ce pas ?
Cachons également à Méluche, car il faut être gentil avec les vieilles personnes, qu’à Cuba la retraite est fixée à 65 ans pour les hommes. Insistons en revanche sur le phare progressiste que constitue la Corée du Nord. La retraite y demeure à 60 ans, et ce malgré un service militaire obligatoire de dix ans (simple formalité festive et citoyenne), réduisant encore la durée effective d’aliénation au travail. Si Kim Jun Méluche et ses sbires pouvaient y demander l’asile politique, la rédaction de Causeur leur paiera le billet d’avion. Sans supplément bagage (littéraire) pour Boyard, Delogu et tous les autres analphabètes.
Israël, la Palestine et le monde entier viennent de vivre un véritable annus horribilis suite aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023. L’onde de choc n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Comme le souligne Elisabeth Lévy dans son introduction à notre dossier du mois, le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’État juif d’être accusé de génocide. Face au nouvel antisémitisme politique qui s’installe en France, le philosophe Pierre Manent, se confiant à Élisabeth Lévy et Céline Pina, affirme que la seule façon de protéger nos libertés et de définir une règle du jeu commune avec les musulmans de France exige avant tout une réaffirmation de la communauté politique nationale qui s’est effacée devant les droits des individus. Selon Alain Finkielkraut, Israël est confronté non seulement à une guerre d’usure mais aussi à une fracturation inédite de sa propre société. Dans une interview avec Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, le philosophe maintient qu’on doit en même temps dénoncer l’extrémisme et le cynisme de Benjamin Netanyahu et combattre l’antisémitisme décomplexé qui sévit partout. Jean-Michel Blanquer explique que ce qu’on a vu au lendemain du 11-septembre et de l’attentat contre Charlie Hebdo se reproduit depuis le 7-octobre : l’inversion victimaire, la justification de l’horreur. Pour l’ancien ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, la barbarie terroriste a ravivé la fascination pour le crime de masse. Il faut analyser ce soutien au mal pour mieux défendre notre humanité.
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À propos du 7-octobre, peut-on se fier à un média comme Le Monde ? Selon l’analyse de Jean-Baptiste Roques, le quotidien « de référence », dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti-pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne. Pour Gil Mihaely, l’union sacrée qui prévalait en Israël au lendemain de l’attaque du Hamas a été de courte durée. Après quelques mois, les fractures politiques et religieuses qui avaient conduit le pays au bord de la guerre civile sont de nouveau ouvertes. Seules des élections permettront d’apurer le passif. Mais les jours de Benyamin Nétanyahou à la tête du gouvernement ne semblent pas comptés.
Quoiqu’en disent les médias, nous n’avons peut-être jamais été aussi nombreux, de Paris à Téhéran, à vouloir écraser l’internationale islamiste. Tel est l’avis de Philippe Val dans l’entretien qu’il donne à Causeur. À l’avant-garde de la lutte contre les barbus, l’ancien patron de France Inter estime que nous sommes à un point de rupture : le moment n’est plus à l’apaisement, mais à la bataille victorieuse. Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Richard Prasquier, ancien président du CRIF, témoigne qu’intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence ?
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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy se désole de la mode du vin désalcoolisé qui, paraît-il, prend des proportions telles qu’elle pourrait sauver le vignoble français. Le vin sans alcool n’est sans doute que le prélude aux côtes de bœuf sans bœuf, aux livres sans phrases et au sexe sans rencontre des corps. Car « dans l’avenir radieux, tout ce que votre médecin et Sandrine Rousseau vous interdisent existera dans une version assainie ». Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard reconnaît que, s’il a fallu attendre plus de deux mois avant que notre pays retrouve un gouvernement, ce dernier penche plutôt à droite, ce qui n’est déjà pas si mal. Stéphane Germain fait l’inventaire des travers des « ultras » du progressisme contemporain. Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes : hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi. À l’heure actuelle, le NFP en France semble incarner la dernière gauche immigrationniste d’Europe. Telle est la conclusion de Frédéric Magellan qui voit partout ailleurs, du Danemark à l’Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne et la Slovaquie, des partis de gauche rattrapés par le réel et obligés de défendre un strict contrôle des frontières pour enrayer l’immigration de masse. En revanche, la gauche française qui continue de voir un électeur en chaque immigré ne change rien à sa doctrine. Le cas de l’Allemagne est étudié de près par Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Les annonces du chancelier Olaf Scholz pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Qu’attend la France ?
Ancien magistrat, Philippe Bilger se penche sur le procès Pelicot. Depuis qu’elles ont débuté au tribunal d’Avignon, les audiences sont noyées sous un flot inouï de commentaires qui ne favorisent ni la justice, ni la qualité du débat public. Ce drame hors-norme est le procès de 51 hommes, non celui du patriarcat ou de la masculinité. Ivan Rioufol nous montre comment la crise démocratique amorcée en 2005 a contaminé la classe dirigeante. Le destin de la France ne peut être abandonné aux idéologues d’un monde plat et indifférencié. Mais aujourd’hui les Français ordinaires sont en passe de se libérer de ces fanatiques du grand marché uniformisé.
Côté culture, on commence par le Moyen Âge. Cette époque est souvent identifiée à l’obscurantisme, mais elle peut avoir des choses à apprendre à nous autres modernes. C’est le cas de l’éducation, selon une exposition à la Tour Jean-sans-Peur que Georgia Ray a visitée pour nous. L’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant.
La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, nous avertit Françoise Bonardel, notre civilisation semble admettre son effacement. Ce mois-ci, c’est Dominique Labarrière qui a fouillé dans la « Boîte du bouquiniste » et en a ressorti les Mémoires sur la chevalière d’Éon de Frédéric Gaillardet, de 1866, qui, en citant une profusion de documents, montre quel était le véritable sexe de la « chevalière ».
Emmanuel Domont nous fait découvrir le premier roman de Nagui Zinet, clochard céleste, un récit drôle et désespéré des errances d’un alter ego de l’auteur dans Paris.
Le cinéma américain s’est toujours nourri des fantasmes d’une société divisée et hyperviolente. À l’approche d’une élection présidentielle que d’aucuns jugent cruciale pour l’avenir du pays, certains films catastrophe trouvent un écho troublant. L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ? En analysant un certain nombre d’exemples, Laurent Silvestrini nous apporte les éléments d’une réponse. Quant au cinéma francophone, Jean Chauvet nous présente un acteur en majesté́, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise – un véritable tiercé gagnant d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit. Enfin, Yannis Ezziadi nous emmène au Bistrot des Halles, où Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du Ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années cinquante, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Qu’ils commandent un repas au Bistrot des Halles ou se plongent dans les pages de Causeur, nos lecteurs ne resteront jamais sur leur faim.
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Les couples dans lesquels la femme gagne plus que son conjoint masculin ont davantage de risques de se séparer, d’après une étude de l’Institut national d’études démographiques publiée hier.
Cette étude va faire pleurnicher dans les chaumières féministes qui vont y voir une nouvelle preuve que l’infâme patriarcat et les « stéréotypes de genre », comme on dit dans la novlangue sociologique, ont la vie dure. Il ne s’agit pas d’un vague sondage, mais d’une sérieuse et vaste enquête menée depuis six ans, avec des données concernant 100 000 couples hétérosexuels. Elle est publiée en anglais dans une grande revue de démographie[1].
Pour ne pas vous assommer de chiffres, je résume : quand une femme gagne plus que son conjoint, le risque de divorce est plus élevé que quand c’est le contraire. Et plus l’écart augmente, plus ce risque augmente… Cela se constate à tous les âges, et c’est encore plus marqué chez les faibles revenus.
Pour le féminisme contemporain consistant essentiellement à démontrer que les femmes sont les chouchoutes du malheur (asservies, agressées, sous-payées, humiliées etc.), la conclusion est donc évidente : ces messieurs, qui se prennent toujours pour des pater familias tout puissants, supportent mal que leurs femmes réussissent mieux qu’eux (à supposer déjà que la réussite se mesure au revenu…).
C’est d’ailleurs la même interprétation qui est privilégiée par l’INED, lequel observe des difficultés conjugales chez « ces couples hors-norme » qui ne suivent pas le modèle dominant de l’homme « gagne-pain ». Les résultats indiquent clairement que « dévier des normes est difficile à accepter même dans des pays comme la France où l’emploi féminin est élevé et soutenu par des politiques familiales ».
En quoi cette interprétation est-elle contestable ?
C’est cette interprétation qui est sexiste. Comme si les femmes subissaient toujours tout ce qui leur arrive ! Une femme qui gagne plus « encourt le risque » de séparation, écrit ainsi le site progressiste du HuffPost en commentant l’étude. Comme si le divorce était une punition réservée aux femmes !
En réalité, la plupart du temps, ce sont les femmes qui partent. Les hommes sont peut-être un peu plus lâches, allez savoir… Peut-être aussi que certaines femmes sont vénales, après tout. Peut-être les femmes sont-elles plus enclines à divorcer, quand leur conjoint gagne moins et ne peut pas les couvrir de bijoux, qui sait ? D’ailleurs, l’INED l’envisage, mais au conditionnel. Une autre possible interprétation viendrait des femmes financièrement plus dotées que leur conjoint pour qui la séparation pourrait être plus envisageable en cas d’insatisfaction conjugale.
Mais surtout, aujourd’hui, un tiers des femmes gagnent plus ou autant que leur conjoint et dans 20 ans, étant donné les niveaux de diplômes et la présence féminine dans les universités, ce sera le contraire. Plus autonomes financièrement, les femmes sont donc plus libres. Libres de partir quand elles veulent. C’est donc en réalité une bonne nouvelle. Et c’est pour ça que ça hérisse les féministes, qui n’aiment jamais les bonnes nouvelles.
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy chez Jean-Jacques Bourdin dans la matinale
Au XIXème siècle, le vent du romantisme souffle sur le mythe de Faust. En France, il est déjà dans l’air du temps dès la fin de la Restauration : sur les Grands boulevards parisiens, les théâtres populaires en vogue proposent régulièrement des diableries où Faust, maudit, finit traqué par les démons, tandis qu’une Marguerite sanctifiée monte au ciel. Sur l’autre rive du Rhin, la « faustomania » bat son plein. De l’œuvre popularisée par Goethe, Franz Liszt, à qui l’ami Berlioz a dédicacé sa Damnation… fait bientôt un oratorio, la célèbre Faust Symphonie. Entre 1859 et 1885, il compose encore quatre Mephisto Valzer, les deux premières pour orchestre symphonique, mais toutes transcrites pour piano par ses soins. Schumann quant à lui, en 1844 – soit un peu plus de dix ans après la mort de Goethe – s’était lancé à corps perdu dans l’écriture de Scènes de Faust, un somptueux oratorio profane de près de deux heures. Dès 1813, le préromantique allemand Louis Spohr avait tiré son Faust, non pas de Goethe (dont le premier Faust venait tout juste de paraître – le second étant, comme l’on sait, posthume), mais d’un roman de son compatriote Klinger, sur un livret signé Joseph Karl Bernard. L’œuvre sera créée par Weber, à Prague, trois ans plus tard.
Berlioz : deux représentations et s’en va en Russie
C’est la splendide traduction en prose de Goethe par Gérard de Nerval qui chez nous fera la fortune du diptyque tiré d’une vieille légende germanique du XVIème siècle. Dès 1828, l’œuvre inspire au jeune Hector Berlioz ses Huit scènes de Faust, qu’il envoie au vieux maître de Weimar, lequel ne se donne pas la peine de répondre. Ce sera pourtant la matrice de La Damnation de Faust, composée par intermittence au cours de voyages en Allemagne, et créée enfin à l’Opéra-Comique de Paris en décembre 1846 : une salle quasi déserte, un four – à peine deux représentations. Sur un livret versifié par ses soins, l’incroyant qu’était Berlioz n’avait pas hésité à développer jusqu’à l’outrance la dimension luciférienne du poème. Témoin ce climax délirant du « Pandémonium », où le héros est englouti. Chef d’œuvre alors totalement incompris, cette Damnation aura, de surcroît, causé la ruine matérielle de Berlioz. Deux mois plus tard, le compositeur fuit d’ailleurs « cet atroce pays » – la France – pour l’hospitalière Russie.
Gounod, incontournable
Gounod demeure l’autre « faustien » incontournable du Siècle industriel. Millésimé 1859, son Faust n’aura pas attendu Hergé et sa Castafiore pour incarner illico un must du lyrique : le triomphe des cinquante-sept représentations inaugurales, au Théâtre Lyrique parisien, écrase toutes les nouveautés de l’heure, fussent-elles paraphées des gloires musicales du temps : Meyerbeer, Félicien David… Y étincelle tout le tape-à-l’œil Second Empire. Après avoir rendu le directeur du Théâtre lyrique riche comme Crésus, les déboires de cette bigote « chaste et pure » de Marguerite, mise en cloque malgré elle par un débauché qu’instrumentalise Méphisto, puis condamnée à mort pour avoir occis le moutard du péché, fera également la fortune de l’Opéra Garnier flambant neuf, ratifiant le triomphe de la grande machine opératique à la française. L’impérissable « air des bijoux » sont à Gounod ce que Carmen et le « prend garde à toi » sont à Bizet : une scie du répertoire. Barbier & Carré, le duo des librettistes de Faust, reste à l’art lyrique ce que Roux-Combaluzier seront aux ascenseurs : des fabricants industriels.
De fait, avec cette transposition psychologisante, on est à des années-lumière du texte de Goethe. Au point que les Allemands, non sans condescendance, vont jusqu’à priver cet opéra de son titre, pour ne l’appeler jamais que Margarethe, voire Gretchen ! Il est vrai que Marguerite, celle-là même qui « rit de se voir si belle en son miroir », occupe – tout à l’inverse de chez Berlioz – la place centrale de la dramaturgie. Son tropisme catholique un peu épais – avec chœur, grand orgue et tout le tralala – achève de rendre la poétique goethéenne proprement méconnaissable. Et chez Gounod, Faust n’exige aucunement l’accès à une toute puissance interdite aux humains. Il ne veut que la jeunesse, rien que la jeunesse, toute la jeunesse – mais pour l’éternité ! De métaphysique, le pacte avec le diable est devenu physiologique.
Trivial et débridé
Demeure la suavité de la musique, et les rimes appétissantes du livret, genre : « A moi les plaisirs,/ Les jeunes maîtresses !/ A moi leurs caresses,/ A moi leurs désirs ! »… Au rebours de la Damnation… instruite par l’immense Hector Berlioz, le Faust de Gounod est un mélodrame trivial et débridé, avec ballet, qui colle au goût bourgeois de l’époque. Un grand spectacle frénétique, guilleret, érotisé, dont le piquant et célèbre air de valse – « Ainsi que la brise légère/ Soulève en épais tourbillons/ La pouss-i-ère des sillons/ Que la valse nous entraîne ! / Faites retentir la plaine. De l’éclat de nos chansons ! » – mettra du reste, sur plusieurs générations, le feu aux joues de cargaisons de jeunes filles rangées.
Faisant suite à la création mythique de Jorge Lavelli en 1975 au Palais Garnier, reprise jusqu’à douze fois, puis à celle de Jean-Louis Martinoty en 2011, la mise en scène de Jean-Romain Vesperini sur des décors signés Johan Engels, à l’Opéra-Bastille encore en 2015, faisait un sort à cette obsession libidinale et à cette débauche des sens. La kermesse du second acte se changeait par exemple en cabaret rempli d’apaches et de grues. Les costumes flashy de Cédric Tirado propulsaient l’opéra, peuplé de veuves en noir, de femmes légères et de pioupious en capotes beige, dans la griserie des Années folles. On se demandait ce que le Docteur pouvait bien lui trouver, à cette Marguerite frigide, fagotée dans un tailleur d’institutrice…
Avec le Bavarois Tobias Kratzer aux manettes de cette mise en scène millésimée 2021 (alors sabrée par le confinement après deux représentations), reprise à présent pour la seconde fois, toute autre ambiance : à l’ouverture, un Faust senior, dans son salon de bourgeois des beaux quartiers, redouble le ténor chantant un Faust rajeuni par le pacte fatal (le Samoan Pene Pati reprend sans démériter le rôle confié en 2021 et 2022 à Benjamin Bernheim) puis voltigeant de conserve avec Méphistophélès, dans un ciel fuligineux projeté sur l’écran géant aux dimensions du plateau, pour survoler l’immensité nocturne du Grand-Paris, tels deux oiseaux de nuit suspendus à des filins. Le chœur, sous les stroboscopes d’une boîte de nuit, se trémousse sur la célèbre mélodie de la valse… Valentin (Florian Sempey), lui, s’anime à l’acte 1 sur un terrain de basket en sirotant sa cannette de Red-Bull. Sa Marguerite prolo (Amina Edris) loge au 1er étage d’un HLM années soixante-dix, dont l’entrée extérieure, sous l’éclairage cru de deux réverbères hideux, abrite le meuble-boîtes aux lettres en métal des locataires. L’air fameux « je me vois si belle en ce miroir » montera du lavabo, la « chanson du Roi de Thulé » s’entonnera devant le PC domestique, au bord du plumard où Méphisto la viole, et la désespérée noiera d’ailleurs son chiard dans la baignoire du F2, juste à côté de la lunette des WC, après avoir, en consultation chez le gynéco, contemplé son diable de fœtus à l’échographie. Faust flanqué de son démon chevelu et capé de noir devise à l’occasion près d’une gargouille, juché sur une tour de Notre-Dame, cathédrale promise aux flammes – cf. l’incendie du 15 avril 2019. Et si Marguerite éplorée fait le vide autour d’elle en chialant, assise sur une banquette de ces rames de métro vieillissantes comme la RATP en gratifie Paris, le ballet de la « Nuit de Walpurgis » prend la forme d’une chevauchée au cœur de Hidalgo Land. L’ami Siebel (pourtant si bien chanté par la mezzo Marina Viotti) a moins l’allure d’un gentil garçon que d’une lesbienne camionneuse à binocles. Des personnages, les voix pourtant vertes et sonores sont, en bien des scènes, amorties par l’écran de tulle transparent où ceux-ci, filmés en live par les vidéastes en costume noir, diablotins félins du démon, apparaissent démesurément agrandis, leurs visages capturés en gros plan redoublant leurs silhouettes réelles : visuellement inesthétique, le procédé a beaucoup vieilli. Bref, avec la meilleure volonté du monde Emmanuel Villaume à la fosse, à la tête du bel Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris, aura bien du mal à rendre impérissable ce Faust par Kratzer.
Mais on n’en a jamais fini avec Faust. De fait, il a fallu attendre le XXème siècle pour que Busoni (plus connu par ses transcriptions de Bach) achève, l’année même de sa mort en 1924, un Doktor Faust testamentaire, où une « duchesse de Parme » remplace sur le tard Marguerite et où un enfant nu, un rameau fleuri en main, prend au final la place du magicien mort. Plus près de nous, pour son opéra en anglais, Faustus, the last Night, commande du Straatoper de Berlin en 2006, Pascal Dusapin puisait quant à lui, non pas dans l’auteur des Souffrances du jeune Werther, mais dans la pièce élisabéthaine de Christopher Marlowe…
Rappelons que, de la scène à l’écran, le sardonique Méphisto ricane encore et toujours. Dès l’aurore du cinéma, le mythe faustien s’empare du muet : de Georges Méliès (Faust et Marguerite – 1897) à Henri Andreani (Faust – 1910) en passant par Alice Guy (Faust et Méphistophès – 1903). Mais c’est le grand Murnau qui, en 1926, donnera au doktor ses lettres de noblesse, avec son chef d’œuvre : Faust, une légende allemande… Autant dire que depuis les films qui, par le biais de transpositions plus ou moins littérales – cf. La beauté du diable, de Réné Clair (1949), L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam (2009), voire Mort à Venise de Visconti (1971) ou Phantom of the Paridise de Brian de Palma (1974) – jusqu’au Faust baroque et luxuriant réalisé en 2011 par le russe Sokourov, Faust ne cesse de vasculariser le Septième art. La veine faustienne est loin d’avoir rendu le dernier sang.
On se prend de curiosité à imaginer ce que donnera, en juin prochain, la production annoncée salle Favart – Louis Langrée à la baguette, Denis Podalydès à la régie, Eric Ruf aux décors et Christian Lacroix aux costumes – sensée renouer avec la version originelle de l’opéra telle qu’elle enflamma le Théâtre-Lyrique, l’an 1859…
Faust. Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Avec Pene Pati, Alex Esposito/John Relyea, Florian Sempey, Amin Edria, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo. Direction: Emmanuel Villaume. Mise en scène : Tobias Kratzer. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Opéra Bastille les 2, 5, 8, 12, 15, 18 octobre 2024 à 19h. Durée : 3h50
(A noter sur vos agendas 2025 : Faust, de Gounod. Direction : Louis Langrée. Mise en scène : Denis Podalydès. Décor : Eric Ruf. Costumes : Christian Lacroix. A l’Opéra-Comique du 21 juin au 1er juillet 2025).
L’Iran a tiré hier soir plus de 180 missiles sur le territoire israélien. Le pays a été mis en alerte, et la population est descendue dans les abris. Heureusement, les missiles ont majoritairement été interceptés par le Dôme de fer. Des tirs de joie nourris ont éclaté dans la banlieue sud de Beyrouth, contrôlée par le Hezbollah, après cette importante attaque. Pendant le même temps, un attentat à Tel-Aviv mené par deux tireurs faisait sept morts. Benyamin Netanyahou a estimé que l’Iran avait « commis une grave erreur » en attaquant son pays, et qu’il en « paierait le prix ».
Pour les juifs, aujourd’hui est traditionnellement une journée de purification spirituelle ou tout au moins de réflexion sur l’année qui vient de se dérouler. Il n’est pas besoin de souligner que cette réflexion prend un relief particulier compte tenu de l’année que nous avons vécue. C’est cette veille de Rosh Hachana que le régime iranien a choisie pour lancer 180 missiles balistiques sur Israël. Pour les chiites, le Nouvel an (qui a eu lieu cette année en juillet) est la commémoration du malheur des malheurs, la mort de l’imam «martyr» Hussein au cours de la bataille de Kerbala en 680.
Le « front de la résistance » en mauvaise posture
Le communiqué officiel des Gardiens de la Révolution relatant l’attaque de missiles parle de la nation « noble et martyrisée de l’Iran ». Pour les mollahs iraniens, leur pays, depuis Hussein, est donc une nation martyre. Pour tous ceux dont le bon sens n’a pas été détruit par l’idéologie, c’est leur régime qui martyrise l’Iran.
Ce communiqué prétend aussi que cette attaque est « conforme aux droits légaux de l’Iran et aux lois internationales », et prévient Israël que s’il réagit militairement il s’exposera à de nouvelles attaques « encore plus écrasantes et destructrices ».
Malgré ces paroles victorieuses et martiales, il n’y a pas la moindre précision sur les conséquences de l’attaque et, en dehors des mollahs, bassidji et pasdarans les plus obtus, les Iraniens auront donc compris qu’il s’agit d’un échec cuisant pour le régime.
« Les coups du Front de la Résistance contre le corps décrépit et en décomposition du régime sioniste seront encore plus écrasants », avait prétendu l’ayatollah Khamenei. J’aurais tendance à dire « décrépit lui-même ».
Dans le centre du pays, un Israélien observe les dégâts dans un restaurant après les attaques iraniennes, 1 octobre 2024 SOPA Images/SIPA Numéro de photo : 01178302_000015
Il est à noter que l’attaque iranienne n’a été accompagnée par aucun soutien du fameux « Axe de la Résistance ». Même s’il ne semble pas que le Hezbollah possède des missiles balistiques à longue portée, et qu’il ne pouvait donc pas aider à saturer le système Arrow III qui a détruit les missiles iraniens, l’absence de participation du Hezbollah en soutien à cette offensive iranienne en dit long sur son affaiblissement. Le monde démocratique et le Liban devraient en être reconnaissants à Israël. On a vu que cela n’a pas été tout à fait le cas…
En Israël, beaucoup estiment qu’une fenêtre de tir s’est ouverte pour frapper le programme nucléaire iranien
Une autre remarque concerne les Américains. Joe Biden n’a pas lésiné son approbation de la liquidation de Nasrallah. Il n’a pas non plus lésiné son soutien à Israël au cours de l’attaque iranienne. On dit beaucoup que les Américains sont immobilisés par la perspective des élections, mais il faut peut-être se rappeler que Biden avait promis qu’il ne laisserait jamais l’Iran posséder l’arme nucléaire. Un rapport publié en juillet par la Direction du Renseignement américain a donné de très inquiétantes informations sur l’avancement des Iraniens. Est-il possible que le président américain en tire la conclusion que c’est le moment ou jamais d’empêcher ce régime criminel d’acquérir l’assurance-survie nucléaire avec le poids qu’elle ferait peser sur le monde libre?
Une troisième remarque, à propos de la position française. Elle repose sur une image du Liban qui avait sa validité il y a cinquante ans, avant que ne commence la guerre civile dans le pays. Il ne semble pas que la diplomatie française ait averti le président de la République que la situation avait changé depuis cette époque. La posture paternaliste d’une France soutenant le petit frère libanais et l’appel à un cessez-le-feu sans rappeler les crimes du Hezbollah et sans en citer le nom, marquera un point haut des rodomontades nationales, un point bas de l’influence de notre pays dans le monde et un sommet d’exaspération pour les Juifs de France.
Une dernière remarque, une confirmation plutôt, sur Jean-Luc Mélenchon et son tweet lunaire au moment des envois de missiles iraniens sur Israël. On savait qu’il était infréquentable, mais je pense que ceux qui continuent de le fréquenter sont désormais eux-mêmes infréquentables…
Chasseurs attaqués par une soixantaine de migrants à Tardinghen: que s’est-il passé?
Dans la Calaisis, la tragédie de l’immigration clandestine ne noircit pas seulement les pages des journaux locaux lorsque des embarcations de fortune, remplies de sans-papiers rêvant d’Angleterre, font naufrage au large des côtes. La population locale souffre aussi du non-droit entretenu par les mafias de passeurs et certaines ONG inconscientes. Ainsi, comme le rapporte le quotidien Nord Littoral, trois chasseurs de Tardinghen (62), à quelques kilomètres au sud de Sangatte, accompagnés d’un petit garçon de trois ans, ont cru leur dernière heure venue au petit matin du 15 septembre quand une soixantaine de migrants, armés de machettes et de barres de fer, se sont rués sur la hutte de chasse dans laquelle ils se trouvaient, après avoir détruit les pare-brise des véhicules garés à proximité. « Ils voulaient nous tuer », a relaté, le lendemain sur Delta FM, l’une des victimes, qui, avec ses deux camarades, a choisi la voie de la sagesse en s’abstenant de se servir de son fusil, préférant appeler les gendarmes… et prier pour que la porte de la cabane tienne jusqu’à l’arrivée des secours.
De fait, la porte a tenu, les agresseurs ont fini par s’égailler dans la nature et aucun blessé n’est à déplorer. Reste à comprendre ce que cherchait cette horde. D’après le préfet du Nord Pas-de Calais, il s’agit d’une expédition punitive. Quelques heures auparavant, les chasseurs avaient surpris ce groupe de migrants s’apprêtant à traverser la Manche, et donné l’alerte aux forces de l’ordre, qui étaient promptement intervenues. « Depuis cet été, nous avons connu une dizaine de situations similaires entre Calais et le Touquet », a indiqué sur France 3 Hauts-de-France Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs et lui-même élu municipal dans cette région des marais d’Opale. Signe des temps, la préfecture n’a pas enterré l’affaire. Dans les heures qui ont suivi le drame, elle a annoncé des mesures pour « favoriser les échanges d’informations entre les forces de l’ordre et les chasseurs ». Manière, sans le dire, d’organiser une surveillance citoyenne au sein d’un territoire menacé en permanence de devenir une zone de guérilla.
La Solitude du coureur de fond, d’Alan Sillitoe, au Théâtre Le Funambule, à Montmartre
Encore un petit théâtre épatant qui se distingue par une programmation originale. Prenez le Funambule, donc, à deux pas du métro Lamarck-Caulaincourt à Paris. S’y déroule en ce moment, et jusqu’au 10 novembre, un seul en scène enthousiasmant de Patrick Mons, l’adaptation d’un livre culte – presque autant que L’Attrape-cœur de Salinger : La Solitude du coureur de fond (1959), de l’Anglais Alan Sillitoe (1928-2010) – dont c’est le deuxième livre culte (rareté), après la publication, un an plus tôt, en 1958, de Samedi soir, dimanche matin.
Le cinéma se saisit très vite des deux : Samedi soir, dimanche matin est porté à l’écran en 1960 par un génie, Karel Reisz ; La Solitude du coureur de fond, par un autre, Tony Richardson, en 1962.
Cela ne s’arrêtera pas là – romans (une vingtaine), poésie, ouvrages pour la jeunesse s’ensuivront. Mais les deux premiers livres marqueront leur époque : celle des Angry Young Man(Jeunes hommes en colère) des années 50.
Parenthèse : Alan Sillitoe a gagné. Quand on entre en littérature, il faut écrire LE livre (voir Salinger, plus haut, ou Le Grand Meaulnes, ou Le Diable au corps, ou La Fin de Chéri, etc.) : Sillitoe en a écrit deux, non-négociables. Il faudrait toujours avoir CE livre – celui à écrire, le seul – en tête, lorsqu’on se mêle de littérature, et d’écriture. La rareté, la nécessité, comme critérium. Fin de la parenthèse.
Résumé de l’action. Quelle action ? Un homme, Colin Smith, « enfermé dans une maison de correction, est choisi pour représenter l’institution lors d’une compétition de course de fond ». Le directeur voudrait en faire un exemple de réhabilitation et une illustration de la qualité de son établissement.
Cela ne se passera pas tout à fait ainsi : Smith pourrait gagner mais l’Angleterre est la terre de l’habeas corpus – Smith a son libre-arbitre, et une notion précise de la dignité et de l’honnêteté, qui n’a pas grand-chose à voir avec celle des « honnêtes gens », justement.
Montherlant a beaucoup écrit à ce propos (le sport, sa morale). Sillitoe, né dans une famille ouvrière de Nottingham et qui travailla un temps en usine (à 14 ans), écrit dans une autre langue, un autre registre : réaliste, populaire, prolétarien – dans le très bon sens du terme (à l’opposé, par exemple, de celui qui pourtant passe pour un de ses héritiers, Ken Loach, le démagogue larmoyant, misérabiliste).
Patrick Mons restitue le monologue intérieur du jeune homme, Colin Smith : la course (il court presque toute la durée de la représentation) est l’occasion de l’élaboration de sa pensée, de sa conception de la liberté – et de sa libération, par les mots. Le for intérieur est son arme ; l’honnêteté, de soi à soi, son blason.
Précisons que les mots de Sillitoe, devenus ceux de Mons-Smith, illustrent deux de ses qualités insignes (il suffit de le lire – ou de venir l’écouter au Funambule) : le sens de l’observation et l’art de conter. L’humour n’est pas absent. La musique du saxophoniste Art Pepper (enregistrée par le Barcelonais Esaïe Cid) accompagne bienheureusement la représentation.
Lycéen, nous avons eu la chance de voir le vaillant Sami Frey pédaler et dire les Je me souviens anaphoriques de Georges Perec : merveille. Nous nous souviendrons – c’est dire le niveau de la représentation et de l’incarnation – de Patrick Mons, coureur aguerri et acteur distingué (l’inverse est vrai). À l’évidence, celui-ci sera de moins en moins seul. Courez donc – il faut bien commencer – le voir et l’écouter : le coureur du Funambule vaut le… détour.
La Solitude du coureur de fond, Théâtre Le Funambule (53 rue de Saules 75018). D’après Alan Sillitoe. Mis en scène et joué par Patrick Mons. Musique Art Pepper. Du 5 septembre au 10 novembre. Durée : 1H15.
En juin dernier, votre serviteur déplorait le Cosi… du (forcément divin) Mozart, miné par l’abstraction sous l’effet de la régie signée Anne Teresa de Keersmaeker, dans l’antre de l’Opéra-Bastille.
L’arraisonnement des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique par les metteurs en scène « starisés » est un trait d’époque : il suscite le pire comme le meilleur. Quoiqu’il en soit, c’est a contrario un rare privilège que de redécouvrir un joyau de la musique, mais décanté de tout appareil scénographique : mis à nu en quelque sorte. C’était le cas il y a quelques jours au Théâtre des Champs-Elysées : Mozart s’y voyait célébré avec d’autant plus de sobriété que le Chœur et Orchestre Les Musiciens du Louvre, formation « baroqueuse » par excellence (fondée et toujours dirigée par Marc Minkowski), restitue, sur instruments d’époque, la sonorité particulière aux orchestres de l’âge classique : elle offrait une relecture tout à la foi nerveuse et subtile du célébrissime dramma giocoso millésimé 1790.
Ainsi réduite à la seule expression de son livret, Cosi Fan Tutte prenait une saveur, une drôlerie, une alacrité soulignées par la discrète inventivité des travestissements qui, comme chacun sait, font la trame de l’opéra en question. La mezzo américaine Angela Brower y reprenait le rôle de Dorabella qu’elle incarnait déjà à l’Opéra-Bastille l’été dernier avec brio. Dans celui de Guglielmo triomphait ici le ténor croate Leon Kosavic (qu’on a grande hâte d’entendre dans Ariane à Naxos, le génial opéra de Richard Strauss, qui sera donné à l’opéra de Rouen du 15 au 19 novembre prochain). La soprano vénitienne Miriam Albano campait merveilleusement quant à elle la marieuse ancillaire Despina. Don Alfonso, sous les traits du baryton Alexandre Duhamel, donnera envie aux amateurs de le revoir, ici même en décembre prochain, dans le Dialogue des carmélites, de Francis Poulenc… mis en scène, cette fois, par l’inévitable Olivier Py. Mais la plus belle surprise de cette unique représentation concertante du 24 septembre revenait, sans aucun doute, à la soprano suisse Ana Maria Labin, inoubliable dans l’emploi de Fiordiligi – vibrato incandescent, souplesse et suavité du phrasé, projection redoutable dans les aigus, ambitus à donner le frisson. Ainsi livrés à l’état brut, dans leur jus, sans le nappage parfois déroutant propre à nos régies contemporaines, les rondeaux, cavatines et autres arias de cette partition scintillaient comme jamais.
D’autant que sous l’impulsion de son directeur Michel Franck, la maison de l’avenue Montaigne inaugurait à cette occasion un nouveau dispositif acoustique, élégante architecture modulable composé de sept à dix panneaux (leur nombre s’adapte à l’effectif requis sur le plateau) dont l’esthétique, avec son rehaut de dorures, renvoie à celle, splendide, de ce monument précurseur de l’art déco construit en béton, comme l’on sait, par le jeune Auguste Perret en 1910.
Alors ? Alors voilà qui ouvre l’appétit pour la suite. En coproduction avec Les Grandes Voix, le Théâtre des Champs-Elysées accueillera bientôt le délicieux chef-d’œuvre de Rossini, Le Comte Ory. Puis, toujours en version concert, Alcina, chef-d’œuvre absolu de Haendel. Rendez-vous respectivement les 7 novembre et le 5 décembre pour ces deux spectacles.
Cosi Fan Tutte, de Mozart, en version concert le 24 septembre dernier.
Le Comte Ory, opéra en deux actes de Gioachino Rossini. Avec Cyrille Dubois, Sara Blanch, Ambroisine Bré, Monica Bacelli, Nicola Ulivieri, Sergio Villegas-Galvain, Marielou Jacquard. Direction : Patrick Lange. Orchestre de Chambre de Paris, Chœur de Chambre de Rouen Jeudi 7 novembre à 19h30 Durée : 2h50
Alcina, opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Elsa Dreisig, Sandrine Piau, Emily D’Angelo, Nadezhda Karyzina, Stefan Sbonnick, Bruno de Sa, Alex Rosen. Direction: Francesco Corti. Il Pomo d’Oro. Jeudi 5 décembre à 19h30 Durée : 3h Théâtre des Champs-Elysées. Paris.
Pour les Occidentaux, il ne s’agit plus tellement de se demander si une démocratie comme Israël doit ou non se comporter comme elle le fait, mais de regarder vers Téhéran.
Nombreux sont ceux voulant croire que la guerre de Troie n’aura pas lieu. « Elle aura lieu » : c’est ainsi que s’achève la pièce de Giraudoux. En l’occurrence, la guerre déclenchée par le Hamas, le 7 octobre 2023, qui s’étend inexorablement au Moyen-Orient. En vérité, le régime islamique iranien mène contre Israël une guerre par procuration dont la portée et les répercussions vont très au-delà du Moyen-Orient. Nul ne pourra l’ignorer plus longtemps.
En l’état des choses, le pouvoir meurtrier du Hamas, à partir de la bande de Gaza, est réduit à son expression minimale. Cela ne préjuge en rien du futur mais la conduite diplomatico-stratégique d’une nation ne relève pas de l’eschatologie et des fins dernières : rien n’est définitivement acquis. Comme il fallait l’anticiper, la logique de la guerre s’étend au Liban-Sud et dans les banlieues chiites de Beyrouth, territoires depuis lesquels le Hezbollah harcèle depuis des mois, et même des années, le nord d’Israël (entre 60 000 et 100 000 Israéliens ont fui la région).
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, une grande partie de son état-major ainsi que des Pasdarans iraniens (leurs tuteurs), ont été éliminés dans les bombardements des derniers jours. On ne peut qu’approuver les déclarations de l’exécutif américain quant à de salutaires « mesures de justice ». On regrettera inversement les pudeurs de l’Elysée et du ministre des Affaires étrangères de la France, soucieux de se poser en protecteurs historiques du Liban.
France impuissante
Le problème réside dans le fait que la France n’y protège plus grand monde. Faut-il rappeler la faillite de la diplomatie libanaise d’Emmanuel Macron, pleine d’allant après l’explosion de milliers de tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth (20 août 2020) ? Pour un peu, nous nous imaginions revenus à l’époque du protectorat français sur le Liban maronite. Au demeurant, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron – dont Jacques Chirac, prétendument initié aux subtilités politiques locales –, avaient aussi échoué. Nous le regrettons infiniment mais les choses sont ainsi. Seul héritage d’un grand passé : la FINUL, fort mal prise dans la présente situation.
Aussi, en appeler à l’instauration d’un cessez-le-feu, alors même que se préparait la riposte israélienne aux agissements du Hezbollah, tient du leitmotiv de l’impuissant. De même la sempiternelle invocation de la solution dite politique des « deux États » (un État palestinien vivant en paix à côté d’Israël), comme si le politique pouvait se déployer en apesanteur. Arguant du caractère désirable de cette projection, ce techno-pacifisme fait fi des réalités politiques, diplomatiques et militaires locales et régionales.
De fait, il ne s’agit pas tant d’un conflit israélo-palestinien – la fondation d’Israël tenant lieu pour la religion séculière post-moderne de péché originel, que d’une guerre iranienne à l’encontre de l’État hébreu. Une guerre indirecte qui utilise et manipule un certain nombre de forces par procuration (des proxies), milices chiites prises en main par les Gardiens de la Révolution islamique (les Pasdaran), dont le Hezbollah, ou formations terroristes djihado-sunnites ralliées au tiers-mondisme panislamique de Téhéran (le Hamas). Un régime islamique iranien qui depuis plus de vingt ans, au prix d’énormes sacrifices et de sanctions, poursuit envers et contre tout un programme nucléaire qui l’a placé au seuil de la bombe atomique. Croit-on qu’un accord israélo-palestinien (en toute hypothèse) modifierait la donne géopolitique régionale ?
Il serait erroné de penser que cette question se limite au Moyen-Orient. Le régime islamique iranien est l’allié ouvert de la Russie qu’il fournit en drones et en missiles balistiques destinés au théâtre ukrainien. Ces drones ont contribué de manière décisive à l’échec de la contre-offensive ukrainienne de l’an passé ; bientôt renforcés par des missiles, ils sont utilisés pour détruire l’infrastructure énergétique d’un pays tenu à bout de bras par l’Occident. En somme, l’Iran est indirectement engagé dans une grande entreprise militaire qui cherche à forcer les frontières orientales de l’Europe. Tout cela avec l’appui de la Chine populaire qui achète massivement les produits bruts de l’Iran et de la Russie, et leur fournit les équipements et composants nécessaires à leur industrie de guerre.
Lendemains incertains
Depuis les pogroms du 7 octobre 2023, commis par le Hamas, Israël a repris l’initiative. L’État hébreu a entrepris de rompre l’« anneau de feu » qui, à ses frontières géographiques et depuis des fronts plus ou moins éloignés lointains – le « pont terrestre » chiite entre le Golfe Arabo-Persique et la Méditerranée orientale ou encore le bastion houthiste yéménite –, menaçait de l’annihiler. Il sera désormais difficile pour le régime islamique iranien de se cacher derrière ses affidés extérieurs et la protestation de ses bonnes intentions sur le plan nucléaire. Le champ des possibles est grand ouvert.
Certes, il ne manquera pas d’observateurs prompts à inverser causes et conséquences, pour expliquer que les dirigeants iraniens seront contraints par Israël à pousser les feux. A contrario, il appert que les nations occidentales doivent user des circonstances pour accroître la pression sur l’Iran, l’objectif étant que ses dirigeants abdiquent leurs ambitions balistico-nucléaires et cessent de déstabiliser les régimes arabes sunnites du Moyen-Orient.
Voici quelques années, c’était l’objectif déclaré de la diplomatie française. Eh bien, nous y sommes ! Pour commencer, il serait bon de libérer la mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb de l’emprise houthiste. Au-delà, le recul de l’Iran, sous pression maximale, entraînerait des répercussions sur le front ukrainien et la solidité de l’axe Moscou-Pékin-Téhéran
Faisons enfin justice de l’argument selon lequel « une démocratie [Israël] ne devrait pas se comporter ainsi ». Les régimes constitutionnels-pluralistes, ainsi que les nommait Raymond Aron, ne sont pas des idéalités platoniciennes. Ce sont des régimes politiques qui ne sauraient donc se soustraire à ce qui caractérise le « Politique », saisi dans son essence : le conflit et la guerre comme faits originaires, la distinction ami-ennemi et le recours aux moyens de la puissance, jusqu’à l’emploi de la violence armée si la conservation de l’être est dans la balance.
Bien malin celui qui pourrait définir d’un mot ou même d’une phrase l’univers de François Ozon. Il est à lui tout seul la négation de la notion de cinéma d’auteur. Allez donc trouver le lien entre le flamboyant mélo Sous le sable, avec Cremer et Rampling, et Potiche, le tordant « boulevard » avec Deneuve et Depardieu (décidément)…
Son nouveau film, Quand vient l’automne, n’échappe pas à cette « règle ». Cette fois, il nous propose un drame vénéneux en Bourgogne. Vénéneux, oui, parce qu’au centre de cette ténébreuse affaire familiale, on trouve un plat de champignons toxiques. Tout commence donc par un petit repas en famille au cours duquel une fille plutôt revêche se délecte des champignons concoctés par sa retraitée de mère. S’ensuit une histoire dont on se gardera bien de révéler ici les méandres et autres surprises surgies d’un passé sulfureux.
Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier mènent un bal parfaitement réglé.
En France, NFP et RN s’entendent pour contester la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Pendant ce temps, les Chinois acceptent sans broncher un recul de l’âge de départ à la retraite, en raison du vieillissement de la population…
Dans une France largement rétive au boulot (cf. Causeur de septembre), les succès du NFP et du RN reposent en grande partie sur leur dénonciation répétée du recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Bien que ce soit la seule mesure macronienne assimilable à une baisse des dépenses publiques dans le magma des 1 000 milliards de dettes supplémentaires, la réformette inique ne passe pas.
Que partout ailleurs en Europe on parte à 65 ou 67 ans n’a aucune vertu apaisante. Les travailleurs français ne veulent pas en entendre parler, tout comme les jeunes mélenchonistes pour qui la retraite doit sonner dès leur diplôme de sociologie en poche – une retraite à 30 ans aisément finançable par « les riches et les paradis fiscaux ». On sait par ailleurs que Jean-Luc Mélenchon, à l’image de toute la gauche française, a toujours fait preuve d’une extrême bienveillance à l’égard de régimes qui ont su conjuguer progrès social, humanisme et démocratie directe tels Cuba, le Venezuela ou la Chine.
On apprend pourtant, avec une certaine stupéfaction, que la Chine communiste vient de décider d’un recul de la retraite de 60 à 63 ans, en raison d’un problème démographique et du vieillissement de la population. Depuis que Mao n’est plus là, les Chinois vivent plus vieux – allez comprendre ! Ces explications doivent un peu soulager l’ami Jean-Luc. Ce n’est pas, en effet, comme si la France connaissait un problème démographique ou un vieillissement de la population, n’est-ce pas ?
Cachons également à Méluche, car il faut être gentil avec les vieilles personnes, qu’à Cuba la retraite est fixée à 65 ans pour les hommes. Insistons en revanche sur le phare progressiste que constitue la Corée du Nord. La retraite y demeure à 60 ans, et ce malgré un service militaire obligatoire de dix ans (simple formalité festive et citoyenne), réduisant encore la durée effective d’aliénation au travail. Si Kim Jun Méluche et ses sbires pouvaient y demander l’asile politique, la rédaction de Causeur leur paiera le billet d’avion. Sans supplément bagage (littéraire) pour Boyard, Delogu et tous les autres analphabètes.
Israël, la Palestine et le monde entier viennent de vivre un véritable annus horribilis suite aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023. L’onde de choc n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Comme le souligne Elisabeth Lévy dans son introduction à notre dossier du mois, le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’État juif d’être accusé de génocide. Face au nouvel antisémitisme politique qui s’installe en France, le philosophe Pierre Manent, se confiant à Élisabeth Lévy et Céline Pina, affirme que la seule façon de protéger nos libertés et de définir une règle du jeu commune avec les musulmans de France exige avant tout une réaffirmation de la communauté politique nationale qui s’est effacée devant les droits des individus. Selon Alain Finkielkraut, Israël est confronté non seulement à une guerre d’usure mais aussi à une fracturation inédite de sa propre société. Dans une interview avec Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques, le philosophe maintient qu’on doit en même temps dénoncer l’extrémisme et le cynisme de Benjamin Netanyahu et combattre l’antisémitisme décomplexé qui sévit partout. Jean-Michel Blanquer explique que ce qu’on a vu au lendemain du 11-septembre et de l’attentat contre Charlie Hebdo se reproduit depuis le 7-octobre : l’inversion victimaire, la justification de l’horreur. Pour l’ancien ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, la barbarie terroriste a ravivé la fascination pour le crime de masse. Il faut analyser ce soutien au mal pour mieux défendre notre humanité.
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À propos du 7-octobre, peut-on se fier à un média comme Le Monde ? Selon l’analyse de Jean-Baptiste Roques, le quotidien « de référence », dissimule à peine, mais avec brio, sa vision manichéenne du Proche-Orient et son parti-pris propalestinien. Derrière une mécanique sémantique de précision, s’entend une petite musique anti-israélienne. Pour Gil Mihaely, l’union sacrée qui prévalait en Israël au lendemain de l’attaque du Hamas a été de courte durée. Après quelques mois, les fractures politiques et religieuses qui avaient conduit le pays au bord de la guerre civile sont de nouveau ouvertes. Seules des élections permettront d’apurer le passif. Mais les jours de Benyamin Nétanyahou à la tête du gouvernement ne semblent pas comptés.
Quoiqu’en disent les médias, nous n’avons peut-être jamais été aussi nombreux, de Paris à Téhéran, à vouloir écraser l’internationale islamiste. Tel est l’avis de Philippe Val dans l’entretien qu’il donne à Causeur. À l’avant-garde de la lutte contre les barbus, l’ancien patron de France Inter estime que nous sommes à un point de rupture : le moment n’est plus à l’apaisement, mais à la bataille victorieuse. Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Richard Prasquier, ancien président du CRIF, témoigne qu’intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence ?
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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy se désole de la mode du vin désalcoolisé qui, paraît-il, prend des proportions telles qu’elle pourrait sauver le vignoble français. Le vin sans alcool n’est sans doute que le prélude aux côtes de bœuf sans bœuf, aux livres sans phrases et au sexe sans rencontre des corps. Car « dans l’avenir radieux, tout ce que votre médecin et Sandrine Rousseau vous interdisent existera dans une version assainie ». Dans sa chronique, Emmanuelle Ménard reconnaît que, s’il a fallu attendre plus de deux mois avant que notre pays retrouve un gouvernement, ce dernier penche plutôt à droite, ce qui n’est déjà pas si mal. Stéphane Germain fait l’inventaire des travers des « ultras » du progressisme contemporain. Animés d’intentions louables en apparence, ils cachent mal leurs passions tristes : hypocrisie, vengeance, ingratitude, racisme, antisémitisme, bêtise crasse et mauvaise foi. À l’heure actuelle, le NFP en France semble incarner la dernière gauche immigrationniste d’Europe. Telle est la conclusion de Frédéric Magellan qui voit partout ailleurs, du Danemark à l’Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne et la Slovaquie, des partis de gauche rattrapés par le réel et obligés de défendre un strict contrôle des frontières pour enrayer l’immigration de masse. En revanche, la gauche française qui continue de voir un électeur en chaque immigré ne change rien à sa doctrine. Le cas de l’Allemagne est étudié de près par Nicolas Pouvreau-Monti, directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Les annonces du chancelier Olaf Scholz pour contrôler l’immigration rompent avec une décennie de politique d’accueil inconditionnel. Mais la plupart d’entre elles sont conformes au traité de Schengen. Qu’attend la France ?
Ancien magistrat, Philippe Bilger se penche sur le procès Pelicot. Depuis qu’elles ont débuté au tribunal d’Avignon, les audiences sont noyées sous un flot inouï de commentaires qui ne favorisent ni la justice, ni la qualité du débat public. Ce drame hors-norme est le procès de 51 hommes, non celui du patriarcat ou de la masculinité. Ivan Rioufol nous montre comment la crise démocratique amorcée en 2005 a contaminé la classe dirigeante. Le destin de la France ne peut être abandonné aux idéologues d’un monde plat et indifférencié. Mais aujourd’hui les Français ordinaires sont en passe de se libérer de ces fanatiques du grand marché uniformisé.
Côté culture, on commence par le Moyen Âge. Cette époque est souvent identifiée à l’obscurantisme, mais elle peut avoir des choses à apprendre à nous autres modernes. C’est le cas de l’éducation, selon une exposition à la Tour Jean-sans-Peur que Georgia Ray a visitée pour nous. L’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant.
La culture européenne existe-t-elle encore ? La question, qui divise aujourd’hui les intellectuels, est ignorée par nos élites. Cette culture a pourtant forgé notre regard et un « esprit européen » que le monde entier a admiré. Mais de renoncements en reniements, nous avertit Françoise Bonardel, notre civilisation semble admettre son effacement. Ce mois-ci, c’est Dominique Labarrière qui a fouillé dans la « Boîte du bouquiniste » et en a ressorti les Mémoires sur la chevalière d’Éon de Frédéric Gaillardet, de 1866, qui, en citant une profusion de documents, montre quel était le véritable sexe de la « chevalière ».
Emmanuel Domont nous fait découvrir le premier roman de Nagui Zinet, clochard céleste, un récit drôle et désespéré des errances d’un alter ego de l’auteur dans Paris.
Le cinéma américain s’est toujours nourri des fantasmes d’une société divisée et hyperviolente. À l’approche d’une élection présidentielle que d’aucuns jugent cruciale pour l’avenir du pays, certains films catastrophe trouvent un écho troublant. L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ? En analysant un certain nombre d’exemples, Laurent Silvestrini nous apporte les éléments d’une réponse. Quant au cinéma francophone, Jean Chauvet nous présente un acteur en majesté́, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise – un véritable tiercé gagnant d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit. Enfin, Yannis Ezziadi nous emmène au Bistrot des Halles, où Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du Ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années cinquante, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Qu’ils commandent un repas au Bistrot des Halles ou se plongent dans les pages de Causeur, nos lecteurs ne resteront jamais sur leur faim.
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Les couples dans lesquels la femme gagne plus que son conjoint masculin ont davantage de risques de se séparer, d’après une étude de l’Institut national d’études démographiques publiée hier.
Cette étude va faire pleurnicher dans les chaumières féministes qui vont y voir une nouvelle preuve que l’infâme patriarcat et les « stéréotypes de genre », comme on dit dans la novlangue sociologique, ont la vie dure. Il ne s’agit pas d’un vague sondage, mais d’une sérieuse et vaste enquête menée depuis six ans, avec des données concernant 100 000 couples hétérosexuels. Elle est publiée en anglais dans une grande revue de démographie[1].
Pour ne pas vous assommer de chiffres, je résume : quand une femme gagne plus que son conjoint, le risque de divorce est plus élevé que quand c’est le contraire. Et plus l’écart augmente, plus ce risque augmente… Cela se constate à tous les âges, et c’est encore plus marqué chez les faibles revenus.
Pour le féminisme contemporain consistant essentiellement à démontrer que les femmes sont les chouchoutes du malheur (asservies, agressées, sous-payées, humiliées etc.), la conclusion est donc évidente : ces messieurs, qui se prennent toujours pour des pater familias tout puissants, supportent mal que leurs femmes réussissent mieux qu’eux (à supposer déjà que la réussite se mesure au revenu…).
C’est d’ailleurs la même interprétation qui est privilégiée par l’INED, lequel observe des difficultés conjugales chez « ces couples hors-norme » qui ne suivent pas le modèle dominant de l’homme « gagne-pain ». Les résultats indiquent clairement que « dévier des normes est difficile à accepter même dans des pays comme la France où l’emploi féminin est élevé et soutenu par des politiques familiales ».
En quoi cette interprétation est-elle contestable ?
C’est cette interprétation qui est sexiste. Comme si les femmes subissaient toujours tout ce qui leur arrive ! Une femme qui gagne plus « encourt le risque » de séparation, écrit ainsi le site progressiste du HuffPost en commentant l’étude. Comme si le divorce était une punition réservée aux femmes !
En réalité, la plupart du temps, ce sont les femmes qui partent. Les hommes sont peut-être un peu plus lâches, allez savoir… Peut-être aussi que certaines femmes sont vénales, après tout. Peut-être les femmes sont-elles plus enclines à divorcer, quand leur conjoint gagne moins et ne peut pas les couvrir de bijoux, qui sait ? D’ailleurs, l’INED l’envisage, mais au conditionnel. Une autre possible interprétation viendrait des femmes financièrement plus dotées que leur conjoint pour qui la séparation pourrait être plus envisageable en cas d’insatisfaction conjugale.
Mais surtout, aujourd’hui, un tiers des femmes gagnent plus ou autant que leur conjoint et dans 20 ans, étant donné les niveaux de diplômes et la présence féminine dans les universités, ce sera le contraire. Plus autonomes financièrement, les femmes sont donc plus libres. Libres de partir quand elles veulent. C’est donc en réalité une bonne nouvelle. Et c’est pour ça que ça hérisse les féministes, qui n’aiment jamais les bonnes nouvelles.
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy chez Jean-Jacques Bourdin dans la matinale
Au XIXème siècle, le vent du romantisme souffle sur le mythe de Faust. En France, il est déjà dans l’air du temps dès la fin de la Restauration : sur les Grands boulevards parisiens, les théâtres populaires en vogue proposent régulièrement des diableries où Faust, maudit, finit traqué par les démons, tandis qu’une Marguerite sanctifiée monte au ciel. Sur l’autre rive du Rhin, la « faustomania » bat son plein. De l’œuvre popularisée par Goethe, Franz Liszt, à qui l’ami Berlioz a dédicacé sa Damnation… fait bientôt un oratorio, la célèbre Faust Symphonie. Entre 1859 et 1885, il compose encore quatre Mephisto Valzer, les deux premières pour orchestre symphonique, mais toutes transcrites pour piano par ses soins. Schumann quant à lui, en 1844 – soit un peu plus de dix ans après la mort de Goethe – s’était lancé à corps perdu dans l’écriture de Scènes de Faust, un somptueux oratorio profane de près de deux heures. Dès 1813, le préromantique allemand Louis Spohr avait tiré son Faust, non pas de Goethe (dont le premier Faust venait tout juste de paraître – le second étant, comme l’on sait, posthume), mais d’un roman de son compatriote Klinger, sur un livret signé Joseph Karl Bernard. L’œuvre sera créée par Weber, à Prague, trois ans plus tard.
Berlioz : deux représentations et s’en va en Russie
C’est la splendide traduction en prose de Goethe par Gérard de Nerval qui chez nous fera la fortune du diptyque tiré d’une vieille légende germanique du XVIème siècle. Dès 1828, l’œuvre inspire au jeune Hector Berlioz ses Huit scènes de Faust, qu’il envoie au vieux maître de Weimar, lequel ne se donne pas la peine de répondre. Ce sera pourtant la matrice de La Damnation de Faust, composée par intermittence au cours de voyages en Allemagne, et créée enfin à l’Opéra-Comique de Paris en décembre 1846 : une salle quasi déserte, un four – à peine deux représentations. Sur un livret versifié par ses soins, l’incroyant qu’était Berlioz n’avait pas hésité à développer jusqu’à l’outrance la dimension luciférienne du poème. Témoin ce climax délirant du « Pandémonium », où le héros est englouti. Chef d’œuvre alors totalement incompris, cette Damnation aura, de surcroît, causé la ruine matérielle de Berlioz. Deux mois plus tard, le compositeur fuit d’ailleurs « cet atroce pays » – la France – pour l’hospitalière Russie.
Gounod, incontournable
Gounod demeure l’autre « faustien » incontournable du Siècle industriel. Millésimé 1859, son Faust n’aura pas attendu Hergé et sa Castafiore pour incarner illico un must du lyrique : le triomphe des cinquante-sept représentations inaugurales, au Théâtre Lyrique parisien, écrase toutes les nouveautés de l’heure, fussent-elles paraphées des gloires musicales du temps : Meyerbeer, Félicien David… Y étincelle tout le tape-à-l’œil Second Empire. Après avoir rendu le directeur du Théâtre lyrique riche comme Crésus, les déboires de cette bigote « chaste et pure » de Marguerite, mise en cloque malgré elle par un débauché qu’instrumentalise Méphisto, puis condamnée à mort pour avoir occis le moutard du péché, fera également la fortune de l’Opéra Garnier flambant neuf, ratifiant le triomphe de la grande machine opératique à la française. L’impérissable « air des bijoux » sont à Gounod ce que Carmen et le « prend garde à toi » sont à Bizet : une scie du répertoire. Barbier & Carré, le duo des librettistes de Faust, reste à l’art lyrique ce que Roux-Combaluzier seront aux ascenseurs : des fabricants industriels.
De fait, avec cette transposition psychologisante, on est à des années-lumière du texte de Goethe. Au point que les Allemands, non sans condescendance, vont jusqu’à priver cet opéra de son titre, pour ne l’appeler jamais que Margarethe, voire Gretchen ! Il est vrai que Marguerite, celle-là même qui « rit de se voir si belle en son miroir », occupe – tout à l’inverse de chez Berlioz – la place centrale de la dramaturgie. Son tropisme catholique un peu épais – avec chœur, grand orgue et tout le tralala – achève de rendre la poétique goethéenne proprement méconnaissable. Et chez Gounod, Faust n’exige aucunement l’accès à une toute puissance interdite aux humains. Il ne veut que la jeunesse, rien que la jeunesse, toute la jeunesse – mais pour l’éternité ! De métaphysique, le pacte avec le diable est devenu physiologique.
Trivial et débridé
Demeure la suavité de la musique, et les rimes appétissantes du livret, genre : « A moi les plaisirs,/ Les jeunes maîtresses !/ A moi leurs caresses,/ A moi leurs désirs ! »… Au rebours de la Damnation… instruite par l’immense Hector Berlioz, le Faust de Gounod est un mélodrame trivial et débridé, avec ballet, qui colle au goût bourgeois de l’époque. Un grand spectacle frénétique, guilleret, érotisé, dont le piquant et célèbre air de valse – « Ainsi que la brise légère/ Soulève en épais tourbillons/ La pouss-i-ère des sillons/ Que la valse nous entraîne ! / Faites retentir la plaine. De l’éclat de nos chansons ! » – mettra du reste, sur plusieurs générations, le feu aux joues de cargaisons de jeunes filles rangées.
Faisant suite à la création mythique de Jorge Lavelli en 1975 au Palais Garnier, reprise jusqu’à douze fois, puis à celle de Jean-Louis Martinoty en 2011, la mise en scène de Jean-Romain Vesperini sur des décors signés Johan Engels, à l’Opéra-Bastille encore en 2015, faisait un sort à cette obsession libidinale et à cette débauche des sens. La kermesse du second acte se changeait par exemple en cabaret rempli d’apaches et de grues. Les costumes flashy de Cédric Tirado propulsaient l’opéra, peuplé de veuves en noir, de femmes légères et de pioupious en capotes beige, dans la griserie des Années folles. On se demandait ce que le Docteur pouvait bien lui trouver, à cette Marguerite frigide, fagotée dans un tailleur d’institutrice…
Avec le Bavarois Tobias Kratzer aux manettes de cette mise en scène millésimée 2021 (alors sabrée par le confinement après deux représentations), reprise à présent pour la seconde fois, toute autre ambiance : à l’ouverture, un Faust senior, dans son salon de bourgeois des beaux quartiers, redouble le ténor chantant un Faust rajeuni par le pacte fatal (le Samoan Pene Pati reprend sans démériter le rôle confié en 2021 et 2022 à Benjamin Bernheim) puis voltigeant de conserve avec Méphistophélès, dans un ciel fuligineux projeté sur l’écran géant aux dimensions du plateau, pour survoler l’immensité nocturne du Grand-Paris, tels deux oiseaux de nuit suspendus à des filins. Le chœur, sous les stroboscopes d’une boîte de nuit, se trémousse sur la célèbre mélodie de la valse… Valentin (Florian Sempey), lui, s’anime à l’acte 1 sur un terrain de basket en sirotant sa cannette de Red-Bull. Sa Marguerite prolo (Amina Edris) loge au 1er étage d’un HLM années soixante-dix, dont l’entrée extérieure, sous l’éclairage cru de deux réverbères hideux, abrite le meuble-boîtes aux lettres en métal des locataires. L’air fameux « je me vois si belle en ce miroir » montera du lavabo, la « chanson du Roi de Thulé » s’entonnera devant le PC domestique, au bord du plumard où Méphisto la viole, et la désespérée noiera d’ailleurs son chiard dans la baignoire du F2, juste à côté de la lunette des WC, après avoir, en consultation chez le gynéco, contemplé son diable de fœtus à l’échographie. Faust flanqué de son démon chevelu et capé de noir devise à l’occasion près d’une gargouille, juché sur une tour de Notre-Dame, cathédrale promise aux flammes – cf. l’incendie du 15 avril 2019. Et si Marguerite éplorée fait le vide autour d’elle en chialant, assise sur une banquette de ces rames de métro vieillissantes comme la RATP en gratifie Paris, le ballet de la « Nuit de Walpurgis » prend la forme d’une chevauchée au cœur de Hidalgo Land. L’ami Siebel (pourtant si bien chanté par la mezzo Marina Viotti) a moins l’allure d’un gentil garçon que d’une lesbienne camionneuse à binocles. Des personnages, les voix pourtant vertes et sonores sont, en bien des scènes, amorties par l’écran de tulle transparent où ceux-ci, filmés en live par les vidéastes en costume noir, diablotins félins du démon, apparaissent démesurément agrandis, leurs visages capturés en gros plan redoublant leurs silhouettes réelles : visuellement inesthétique, le procédé a beaucoup vieilli. Bref, avec la meilleure volonté du monde Emmanuel Villaume à la fosse, à la tête du bel Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris, aura bien du mal à rendre impérissable ce Faust par Kratzer.
Mais on n’en a jamais fini avec Faust. De fait, il a fallu attendre le XXème siècle pour que Busoni (plus connu par ses transcriptions de Bach) achève, l’année même de sa mort en 1924, un Doktor Faust testamentaire, où une « duchesse de Parme » remplace sur le tard Marguerite et où un enfant nu, un rameau fleuri en main, prend au final la place du magicien mort. Plus près de nous, pour son opéra en anglais, Faustus, the last Night, commande du Straatoper de Berlin en 2006, Pascal Dusapin puisait quant à lui, non pas dans l’auteur des Souffrances du jeune Werther, mais dans la pièce élisabéthaine de Christopher Marlowe…
Rappelons que, de la scène à l’écran, le sardonique Méphisto ricane encore et toujours. Dès l’aurore du cinéma, le mythe faustien s’empare du muet : de Georges Méliès (Faust et Marguerite – 1897) à Henri Andreani (Faust – 1910) en passant par Alice Guy (Faust et Méphistophès – 1903). Mais c’est le grand Murnau qui, en 1926, donnera au doktor ses lettres de noblesse, avec son chef d’œuvre : Faust, une légende allemande… Autant dire que depuis les films qui, par le biais de transpositions plus ou moins littérales – cf. La beauté du diable, de Réné Clair (1949), L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam (2009), voire Mort à Venise de Visconti (1971) ou Phantom of the Paridise de Brian de Palma (1974) – jusqu’au Faust baroque et luxuriant réalisé en 2011 par le russe Sokourov, Faust ne cesse de vasculariser le Septième art. La veine faustienne est loin d’avoir rendu le dernier sang.
On se prend de curiosité à imaginer ce que donnera, en juin prochain, la production annoncée salle Favart – Louis Langrée à la baguette, Denis Podalydès à la régie, Eric Ruf aux décors et Christian Lacroix aux costumes – sensée renouer avec la version originelle de l’opéra telle qu’elle enflamma le Théâtre-Lyrique, l’an 1859…
Faust. Opéra en cinq actes de Charles Gounod. Avec Pene Pati, Alex Esposito/John Relyea, Florian Sempey, Amin Edria, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo. Direction: Emmanuel Villaume. Mise en scène : Tobias Kratzer. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Opéra Bastille les 2, 5, 8, 12, 15, 18 octobre 2024 à 19h. Durée : 3h50
(A noter sur vos agendas 2025 : Faust, de Gounod. Direction : Louis Langrée. Mise en scène : Denis Podalydès. Décor : Eric Ruf. Costumes : Christian Lacroix. A l’Opéra-Comique du 21 juin au 1er juillet 2025).