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Des populaires populistes ?


Des populaires populistes ?

Christian Vanneste

« Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » L’injonction que lance Kant à la modernité n’est pas chez Christian Vanneste tombée dans une oreille sourde. Le député du Nord, qui enseigna la philosophie à Tourcoing, n’est pas du genre à se faire signer une permission rue de la Boétie, au siège de l’UMP, pour oser penser. Il essaie de le faire par lui-même, avec les petits moyens du bord que sont la raison et la liberté, au risque de déplaire, de fâcher, de se tromper aussi et, parfois, de se prendre les pieds dans le plat – ce qui est pourtant plus recommandable, pour un élu de la République, qu’être pris la main dans le sac. Mais ce n’est pas du goût de tout le monde.

Les récentes prises de position de Christian Vanneste sur un éventuel rapprochement de l’UMP et du Front national ne lui ont pas valu que des oppositions fermes et des volées de bois vert. Rama Yade a réclamé la tête du député. Xavier Bertrand a annoncé que son cas serait « traité » par le bureau national du parti. Éric Besson a parlé de « faute morale ». Sos-Racisme a emboîté le pas en réclamant l’exclusion du député de son propre parti – de quoi je me mêle ? Attendons-nous à ce que, demain, quelque ligue de vertu réclame les supplices chinois pour le parlementaire indigne. Quant à Marine Le Pen, en pleine guerre de succession au FN, elle a rejeté – pas folle, la guêpe ! – l’idée vannestienne de toute alliance électorale avec l’UMP.[access capability= »lire_inedits »]

FN-UMP : le débat interdit

Dans une démocratie bien réglée, le débat public consiste en un échange, parfois véhément, d’arguments, voire même en une querelle, souvent violente, de personnes. Or, sur le sujet des alliances entre l’UMP et le FN, non seulement aucun débat n’est possible, mais le simple fait d’évoquer la possibilité d’un tel débat vaut anathème immédiat.

Élaborée au milieu des années 1980 pour contenir, avec le succès que l’on sait, l’ascension du parti lepéniste, la doctrine du cordon sanitaire a pris valeur d’un dogme indiscutable. Au vu de la totale inefficacité du containment qui a conduit le candidat frontiste au second tour de l’élection présidentielle de 2002, on est en droit de se demander si les tenants de cette stratégie ne sont pas, finalement, les alliés les plus objectifs, peutêtre aussi les plus bêtes, du Front national.

C’est, en somme, ce que me confiait, en février 2004, le philosophe Paul Ricoeur. Nous roulions sur les routes de cette Alsace où près de soixante ans avant il avait commencé sa carrière universitaire. Je conduisais. Il me parlait et puisque le Front national tenait un Congrès le même jour à Strasbourg, la conversation en vint assez naturellement au parti de Jean-Marie Le Pen.

Ricoeur ne comprenait pas la diabolisation dont le FN était l’objet : selon lui, plus la classe politique française ostracisait le parti lepéniste, plus ce dernier grossissait ses scores d’électeurs déçus par les partis de gouvernement. La stratégie du containment n’a jamais affaibli Le Pen : elle l’a durablement érigé en tribun de la plèbe, allant même jusqu’à le nourrir jusqu’à satiété de la détestation que lui vouaient les partis et les médias. Le populisme ne naît jamais sui generis : il est toujours l’enfant turbulent de la démocratie.

La seule stratégie viable, selon Paul Ricoeur, aurait consisté à absorber le Front national au sein de l’UMP qui venait de naître deux ans auparavant. Toutes les grandes démocraties qui vivent à l’heure du bipartisme ont procédé de la sorte et ont réduit leurs extrêmes en les faisant rentrer dans le rang.

Le philosophe ajoutait que l’alignement du FN est contenu dans le « code génétique » de l’UMP : cernée, sur sa gauche, par le frondeur François Bayrou et, sur sa droite, par le frontiste Jean-Marie Le Pen, la réserve électorale de la nouvelle UMP se réduit, en définitive, aux meilleurs scores de l’ancien RPR. Si l’UMP veut, tôt ou tard, devenir l’égal des grands partis politiques européens, elle est condamnée à absorber le centre droit et l’extrême droite. En maintenant sa stratégie actuelle, l’UMP se résigne à jouer son destin au cours de triangulaires favorables à la gauche et à perdre les élections.

Évidemment, les analyses politiques de Paul Ricoeur ne valent pas grand-chose face à l’extraordinaire finesse politique de Mme Yade. Mais, de grâce, Madame, ne demandez pas l’exclusion de Paul Ricoeur de l’UMP. Il n’en a jamais été membre. Et, de toute façon, le pauvre est déjà mort.[/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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