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La Libye bombardée à coups de superlatifs

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Le monde entier a les yeux rivés sur la Libye et on n’y voit rien. À vrai dire, on ne comprend guère plus. Le tableau dressé par les médias est pour le moins terrifiant: Kadhafi est en train de perpétrer un massacre contre sa propre population grâce à l’usage massif de ses chasseurs-bombardiers et de ses mercenaires. Or, trois semaines après l’éclatement de la crise, aucune preuve sérieuse n’a corroboré cette version des faits.

Que les choses soient claires : nul – en tout cas pas moi – ne songe à défendre Kadhafi et encore moins à minimiser la gravité de la situation en Libye, laquelle est bel et bien en proie à la guerre civile, soit un des pires fléaux qui soient. Est-il pour autant malséant de poser quelques questions de bon sens ?

La première, et la plus importante, est celle des victimes. Peut-on parler aujourd’hui d’un massacre généralisé en Libye ? La réponse est très probablement négative. Il est évidemment difficile et délicat de définir le terme de massacre mais c’est pourtant nécessaire. Le nombre de morts en Libye depuis le 15 février n’est pas certain, mais l’ordre de grandeur est de quelques centaines, dont à peu près les deux tiers durant le déclenchement des événements actuels (17-20 février). Depuis, les combats et escarmouches entre pro et anti-Kadhafi se sont soldés par un nombre relativement réduit de victimes. Dans la bataille pour le contrôle de la ville d’Az Zawiyah, on compte 120 morts des deux côtés. Après plus de dix jours de combats en milieu urbain dans une ville de 300 000 habitants, il est difficile de qualifier ce drame, incontestable, de « massacre » et encore moins de « génocide », comme on commence à l’entendre ça et là.

La deuxième question porte sur l’usage fait par Kadhafi de sa force aérienne. Selon son fils Saïf al-Islam, les chasseurs-bombardiers libyens sont utilisés par le pouvoir uniquement pour détruire les dépôts d’armes et empêcher les rebelles de s’en emparer. Aussi surprenant que cela puisse être, Kadhafi junior ne ment pas. Il faut savoir que l’armée libyenne, relativement modeste en nombre (quelque 50 000 soldats dont la moitié de conscrits) est en revanche très largement suréquipée. Pour des raisons politiques et peut-être aussi psychiatriques, le Frère guide a acheté sans compter chars, canons lourds et autres joujoux similaires. Du point de vue du régime, cet armement disséminé un peu partout dans le pays est incontestablement aujourd’hui une menace mortelle. En revanche, on possède très peu d’éléments tendant à prouver la réalité d’un bombardement systématique de civils et encore moins de certitudes permettant d’étayer une rumeur répandue dans l’opinion publique depuis le début de la crise selon laquelle les avions de Kadhafi tireraient sur des foules de manifestants. Et avec tout le respect qu’on lui doit, les certitudes rapportées par BHL de son week-end en Lybie ne constituent pas une preuve.

Reste la question des mercenaires. Depuis des semaines, on nous parle de combattants – notamment subsahariens – recrutés par Kadhafi pour noyer la révolution dans un bain de sang. Du point de vue des rebelles, cette histoire est parfaitement compréhensible : si cela est vrai, Kadhafi n’a aucun soutien populaire et il ne s’agit donc pas vraiment d’une guerre civile, mais d’un peuple unanime chassant un tyran défendu uniquement par des baïonnettes étrangères. Seulement, après trois semaines de crise, les preuves de la présence de mercenaires sont minces et controversées. Dans l’est du pays, aux mains des rebelles depuis plus de 15 jours, aucun mercenaire – mort ou prisonnier – n’a été présenté à la presse. Force est de reconnaitre que pour le moment ce phénomène est peut-être marginal, à moins qu’il relève plus du fantasme politique – tout à fait compréhensible – d’une population en état de crise et de guerre civile que d’une réalité militaire.

Pour autant, le pire peut arriver, d’autant plus que Kadhafi n’a pas encore vraiment dégainé et que son armée régulière n’entre que tardivement dans la danse. Mais on peut déjà observer l’approximation – pour être aimable – de la couverture médiatique de cette guerre dont l’émotion planétaire qu’elle suscite semble empêcher la compréhension. C’est que nous sommes devenus accros aux superlatifs et aux hyperboles qui nous offrent l’occasion de compatir et de nous indigner à bon compte, face à nos téléviseurs. Entre « rien à signaler » et « génocide », nos lexiques semblent être singulièrement démunis. Les adjectifs automatiques (le feu est toujours « nourri », les armes – tout comme les pertes – souvent « lourdes » et chaque combat « acharné ») sont devenus autant d’obstacles à l’analyse. Or, nous sommes exactement dans le genre de situation – tyran fou, peuple privé de parole pendant des lustres, anarchie généralisée – où il faudrait être prudent, voire suspicieux sous peine de découvrir de nouveaux Timisoara à Tripoli ou Benghazi[1. On se rappelle aussi le « génocide » perpétré par les forces serbes au Kosovo et dont le TPI, malgré une fouille minutieuse du sous-sol de la province, ne put jamais trouver la moindre preuve – ce qui bien sûr, ne dédouane pas l’armée serbe de ses exactions ni le régime de sa répression. Reste que des informations parfaitement fantaisistes faisant appel à l’imaginaire d’Auschwitz furent abondamment diffusées ce qui justifia l’intervention de l’OTAN. Hubert Védrines explique en substance dans ses Mémoires que les Occidentaux furent contraints, sous la pression des médias, de mener une intervention que lui jugeait néfaste. On ne saurait exclure un scénario comparable en Lybie (EL)].

Que pèsent ces précautions minimales face au bombardement médiatique ? Rien, ou presque. L’hystérie alarmiste ne connaît aucune limite, et la pression monte dans les opinions qui somment leurs gouvernants d’agir vite pour sauver le peuple libyen. Une fois de plus, la course à l’émotion pourrait inciter les puissances occidentales à se lancer dans une aventure périlleuse. Pour elles, mais aussi pour les Libyens.

Moody’s blues

Je serais un notateur de Moody’s, si j’avais l’intention de passer mes vacances du côté de Paros ou des Météores, je me ferais extrêmement discret. Le plus aimable des popes risquerait en effet de se transformer en étudiant anarchiste de la Conspiration des Cellules de Feu devant la dernière charge de Moody’s, l’agence de notation qui murmure à l’oreille du souverain marché. Sans doute vexée par l’actuelle révolution islandaise (qui n’est pas, aux dernières nouvelles, un pays arabe) et dont il faudra bien que les médias parlent un jour ou par le résultat des élections législatives irlandaises qui ont tout de même de fortes analogies avec un gigantesque bras d’honneur à l’UE et au FMI, Moody’s a décidé de se faire la Grèce, une nouvelle fois, en baissant la note hellène de trois crans à B1 ce qui signifie « ne présentant qu’une faible sécurité de remboursement sur le long terme » et en indiquant qu’une autre dégradation de cette note n’était pas à exclure.

Le gouvernement grec, qui ne voit plus guère que le rétablissement de l’esclavage pour moderniser son marché du travail, faire face à une agitation sociale endémique et complaire à Moody’s, a tout de même osé émettre une objection, sans doute après avoir consulté la Pythie qui ces temps ci ne vient plus en mangeant. Il a parlé, à propos de Moody’s « des dangers des prophéties autoréalistarices. » du genre : « Vous verrez que la Grèce n’est pas prête de se mettre au travail, on en sait quelque chose, on vient de lui couper son deuxième bras. »

Marine en tête


Ainsi, à en croire un sondage, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. J’aime l’ambigüité tellement ambiguë de certaines tournures en français qu’elles en deviennent transparentes, innocentes, anodines. Tenez, le génitif par exemple, c’est fou ce qu’il peut être ambigu le génitif en français. Dans son dernier livre réédité, Le Viol de Mike Tyson, on voit bien sur quoi Besson joue. Comment le boxeur noir Mike Tyson a effectivement été reconnu coupable de viol mais comment aussi l’ensemble d’un environnement médiatique, sportif, racial n’a cessé de le violer, lui, dès qu’il a posé un pied sur le ring et peut-être même bien avant.

Une autre expression de ce genre, assez détestée par les pédagogistes, est tout aussi ambiguë : apprendre par cœur. Le « par cœur » avait été décrété définitivement aliénant, stérile, bourgeois. Et pourtant, si l’on y réfléchit, quelle plus belle expression que celle-ci : « par coeur ». Apprendre par cœur, c’est reconnaître au cœur le siège de la sensibilité et du goût (cela on pouvait s’en douter) mais aussi de l’intelligence et de la mémoire. Le cœur, c’est qui en nous se souvient des choses vraiment utiles, c’est-à-dire ce qu’il y a d’essentiel dans une vie d’homme : un sonnet de Verlaine dans un embouteillage, le numéro de sa carte de crédit quand on essaie de retirer de l’argent tout en étant ivre pour continuer à faire la fête ou le premier baiser échangé à dix-sept ans avec cette fille devenue avocate et de droite. On mourrait de tristesse, sans le « par cœur ».

Alors, quand on me dit que Marine Le Pen est « en tête dans les sondages », je ne peux pas m’empêcher de traduire, au nom de ces ambiguïtés syntaxiques, par « dans la tête des sondages ». Les principaux instituts de sondage (tiens, Laurence Parisot en possède un, tiens, Vincent Bolloré vient de s’en offrir un autre !) fournissent aux partis et aux journaux les vérités statistiques qu’ils veulent entendre. Aussi ne faut-il pas s’étonner si ces thermomètres de la République qui sont franchement discrédités.

Le sondage ne répond plus à rien, et depuis longtemps. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. Il n’est plus là pour éclairer le politique, il est le politique. Ce sont les sondages, et Marine Le Pen en sait quelque chose, et non plus les militants, qui vont jusqu’à désigner le candidat préféré d’un parti par médias interposés. Ce sont les sondeurs qui, forts de leurs résultats scientifiques, ont décrété que Marine, c’était mieux que Bruno en janvier 2011, que Ségolène, c’était mieux que Fabius ou DSK en 2007, que le oui au TCE c’était mieux que le non en 2005, que Chevènement était l’incontestable troisième homme en 2002 et ainsi de suite…Les sondages sont donc l’expression de ce fameux « faux qui serait un moment du vrai », selon l’expression de Hegel. Ce qui devait être un élément parmi d’autres d’information des gouvernants est devenu un moyen de gouvernement.

J’ai personnellement pris conscience de cette aberration logique qui est aussi une aberration démocratique au moment du duel Chirac/Balladur en 1994. Il y avait unanimité : Chirac ne devait pas se présenter. Il n’avait pas ou plus le profil. La fracture sociale, le volontarisme politique, bref, cet ultime retour de ce qui pouvait ressembler à du gaullisme, n’entrait plus dans les cadres. Les sondages ont été appelés à la rescousse pour jouer leur rôle de sape, systématique, quotidien, désespérant pour lui et ses derniers fidèles. Pas les sondages en eux-mêmes, bien entendu, mais l’exploitation qui en était faite par quelques journalistes ou experts inaccessibles au doute, tel Alain Minc qui semblait regretter que l’on dût en passer par des élections réelles alors qu’une démocratie moderne se devait d’être, disait-il, une démocratie d’opinion .

Je suis très content pour Marine Le Pen : en tête dès le premier tour, bravo ! Commencer à plomber le moral de l’UMP et à affoler le PS, à quelques semaines des cantonales, c’est tout bénef. Il n’aura cependant échappé à personne que le véritable message de celui qui fait tant causer et où Dominique Strauss-Kahn ne figure pas parmi la liste des choix possibles, c’est : ou DSK ou Marine Le Pen.

Là, Marine, je serais vous, je commencerai à me méfier. Ce n’est pas parce qu’on vous invite à quelques grandes émissions où vous faites excellente figure qu’on vous aime pour autant chez ces gens-là.
Moi non plus je ne vous aime pas beaucoup, mais c’est pour de toutes autres raisons. Eux ne vous aiment pas et vous mettent en avant pour faire apparaître Strauss-Kahn comme le seul rempart contre vous, genre cordon sanitaire, front républicain et sauveur de la démocratie. Moi, je ne vous aime pas parce que vous captez l’électorat du Front de Gauche tout en séduisant celui de la droite dure et que je veux gagner contre vous non pas sur la rhétorique antifasciste qui déferlera à nouveau si vous continuez à avoir le vent en poupe mais en montrant que votre virage social, voire très social (et aussi très sur les chapeaux de roue), vos déclarations contre la suppression de l’ISF ou la retraite à 62 ans ont tout du positionnement tactique et ponctuel dans un paysage politique essentiellement occupé, à l’exception de Mélenchon, par les tenants d’un néo-libéralisme qui exaspère les Français paupérisés.

Vous êtes en tête au début de la course, voyez-vous, parce qu’on veut que la vous perdiez à la fin. Souvenez-vous de Ségolène, sacrée championne avant de s’effondrer aussi vite qu’elle était monté. Et le paysage ne peut qu’amplifier cette vénération du sondage : davantage de chaines de télés, davantage d’instituts, de moins en moins de débats contradictoires, de réunions sous les préaux, enfin de politique « old school », celle qui permit à Chirac de remonter la pente contre tous les pronostics en 1994.

Seulement, il est de plus en plus difficile de déconstruire le mensonge en politique. On a réussi, en 2007, à faire passer pour un homme neuf un Nicolas Sarkozy qui était ministre depuis 2002. On oublie que vous non plus vous n’êtes pas neuve et que, tout en renouvelant le discours, vous vous servez tout de même de l’image de marque de la vieille maison paternelle sans complexe.
Au moins ce sondage aura-t-il tué en moi une ultime illusion : celle qui me faisait croire à la pertinence d’une élection présidentielle au suffrage universel. La rencontre rêvée par De Gaulle entre un peuple et un homme n’est plus possible : en 1965, le règne des médias n’avait pas commencé, ou si peu. L’ensemble des grands moyens d’informations n’était pas concentré dans un si petit nombre de mains. Alors, finissons-en avec le césarisme médiatique assisté par ordinateur. Et revenons à la Cinquième République d’avant 1965 dans laquelle le Président était élu par le Congrès. Paradoxalement, la démocratie y gagnera.

Procès Chirac : quelques explications

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Jacques Chirac doit-il comparaître devant ses juges ? Assister à l’intégralité de son procès ou simplement y être présent par éclipses ? Pour la défense de l’ancien Président de la République c’est la quadrature du cercle.

Les termes de l’alternative peuvent se résumer ainsi: soit Chirac joue la chaise vide ou à moitié vide et il donnera l’impression de se défiler, soit il fait preuve d’assiduité et son image risque d’en être sérieusement affectée au moment où son éloignement des affaires pourrait clore l’époque de la critique et ouvrir celle de l’hommage à son rôle dans la geste nationale. En tout cas, Jacques Chirac sera le premier chef d’Etat français depuis Louis XVI (si l’on veut bien mettre à part le cas du maréchal Pétain) à comparaître devant la Justice. Une bien triste distinction sur un CV présidentiel.

Alors on peut ronchonner en se disant que la République est mauvaise fille en s’acharnant sur un vieux monsieur qui a servi la France. Je suis ainsi surpris par la fibre subitement compassionnelle d’Arnaud Montebourg qui durant les deux mandats de Jacques Chirac a déployé une énergie considérable pour qu’il soit traduit devant la Haute Cour de Justice et qui considère dorénavant qu’on doit lui fiche la paix. L’exigence de justice n’aurait-elle de sens qu’à l’appui d’un combat politique partisan ? La déstabilisation d’un Président en exercice serait-elle le seul intérêt d’un procès de ce type ? Les assoiffés de rénovation de la vie politique apprécieront…

On peut certes regretter la lenteur du temps judiciaire qui conduit un prévenu dans le prétoire plus de vingt ans après la « commission des faits », mais la faute à qui ? Jacques Chirac et ses conseils ont déployé autant d’énergie pour retarder le procès qu’Arnaud Montebourg pour le hâter, notamment en ayant recours au Conseil Constitutionnel qui a opportunément déduit des textes fondamentaux que le Président en exercice bénéficiait d’une immunité. Jacques Chirac ne pouvait donc être jugé qu’après avoir quitté ses fonctions. Nous y sommes.

Nous avons donc sous les yeux la preuve de la loi physique selon laquelle plus on lance loin le boomerang, plus il revient avec violence. Mise au pied du mur, la défense doit donc limiter la casse et empêcher que la statue du Commandeur que l’opinion et les médias ont commencé à bâtir se transforme en Victoire de Samothrace.

Les avocats de l’ex-Président peuvent suivre deux stratégies qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre : gagner du temps, d’une part, limiter le déballage de l’autre. La QPC (question de prioritaire de constitutionnalité) déposée par un co-prévenu du Président, accessoirement son ancien directeur de cabinet à la Mairie de Paris, pourrait satisfaire le premier objectif. Elle soulève avec pertinence un problème juridique de taille, la conformité constitutionnelle d’un texte du Code de procédure pénale dont l’interprétation élargie donnée par la jurisprudence permet de contourner la prescription. Autrement dit, il y aurait là une atteinte à la définition constitutionnelle de la prescription comme droit à l’oubli. Si la QPC est jugée recevable, l’affaire pourrait être renvoyée pour au moins six mois – mais le Tribunal peut passer outre.

Concernant le deuxième objectif – limiter le déballage – la tâche de la défense est plus subtile. Elle devra faire de « la belle ouvrage », comme on disait autrefois, du point de croix, de la dentelle judiciaire. Sans doute a-t-elle prévu, pour inaugurer le procès, une déclaration solennelle de Jacques Chirac sur le thème « je n’ai poursuivi aucun enrichissement personnel, n’ai commis aucune malversation même si j’ai laissé opérer un système imparfait (et peut-être illégal?), mis en place bien avant moi, visant au financement des activités politiques; j’assume ces erreurs en rappelant que le préjudice subi par la Ville de Paris, qui a supporté sur ses finances la rétribution de permanents du RPR, a été d’ores et déjà indemnisé par mes soins. » En effet, un protocole d’accord entre la municipalité et l’UMP fixe le montant de la réparation à deux millions d’euros.

Cet accord opportun permettra que l’audience se déroule avec plus de sérénité puisque la Ville de Paris, principale partie civile, sera absente des débats. Mais il signifie aussi que Jacques Chirac reconnaît sa culpabilité, ce qui pourrait paradoxalement contribuer à éviter les dommages qu’engendrerait une audience trop précise et cruelle. Le prévenu dirait en substance : « Oui j’ai fauté, oui j’ai remboursé, oui je suis âgé, serait-ce trop demander que l’on m’épargne l’humiliante et dès lors inutile litanie de mes turpitudes supposées ? ». Cela reviendrait à accélérer le rythme de l’audience après avoir tenté par mille manœuvres de le ralentir.

« Le criminel tient le civil en l’état » : cet adage signifie que les décisions rendues par les juridictions pénales s’imposent aux tribunaux civils. Le paradoxe du procès pénal à venir – ou non – est qu’il est d’ores et déjà terminé, à la suite d’un accord civil scellant une reconnaissance de culpabilité. Dorénavant, le civil tient le criminel en l’état. Circulez, il n’y a plus grand-chose à voir ! Jacques Chirac est déjà sorti de son procès et dans le fond qu’il y assiste ou pas n’a pas grand intérêt. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, laissons donc notre ancien Président de la République reprendre le cours de ses activités normales et la rédaction de ses Mémoires.

Paris n’est qu’une fête

Delanoë conforté, nous dit un sondage exclusif publié hier par le JDD. Dix ans après son élection, le maire de Paris obtient des scores de satisfaction impressionnants : 67% des sondés pensent que l’équipe municipale a « accompli un travail excellent ou bon. » Et 68% des personnes interrogées s’avouent « satisfaites » de leur maire (89% à gauche, 43% à droite). Passé ces quelques chiffres, on pourrait croire que le triomphe est total pour celui qui a bouté la Chiraquie hors de la capitale. A condition, toutefois, ne pas être plus curieux et donc de ne pas aller jeter un œil au « bilan de la municipalité par domaine d’action ». Là, en effet on découvre que la Mairie aurait particulièrement réussi dans trois domaines très importants : l’animation et la vie culturelle, l’embellissement de Paris et le rayonnement de Paris en France et à l’étranger.

En revanche, le bilan est majoritairement négatif sur les questions du logement, de la circulation et de la sécurité. En 10 ans, le prix du mètre carré dans la capitale a bondi de 146%, et le maire explique que « ce n’est pas de sa compétence », comme la question de la sécurité. Notons donc que la Mairie et sa machine de guerre administrative et financière sont donc là pour nous satisfaire à coup de Nuit blanche, de Printemps des poètes ou de Gaité Lyrique. Pour le reste, passez votre chemin.

En 2014, il conviendra donc de ne pas élire un nouveau maire, mais un animateur socio-cul grand format. A vous faire presque regretter que la réforme des collectivités locales ne soit pas allée jusqu’au bout en transformant les communes, qui donc ne peuvent rien faire, en centres de loisirs géants.

Ce n’est qu’un début, proscrivons le débat !

Les uns trouvent qu’on parle trop, les autres, qu’on ne peut plus rien dire. Les uns pensent qu’Éric Zemmour est un délinquant, les autres qu’il est un martyr.La bataille idéologique qui fait rage et dont l’enjeu, au-delà du cas Zemmour, est la liberté d’expression prouve qu’on peut vivre dans le même monde et pas dans le même pays. On dirait en effet ces jours-ci qu’il y a deux France, celle qui s’inquiète de la « libération de la parole » et celle qui s’insurge contre l’étouffoir conformiste : la première croit vivre sous Pétain, la deuxième dans Orwell.

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Il serait commode, pour l’analyse, que la frontière entre les deux soit celle qui sépare la droite de la gauche. La gauche serait pour la censure, la droite pour la liberté, le tour serait joué. Sauf qu’il y a désormais une « bonne droite », celle des valeurs, de la morale et de Juppé qui ne veut pas du débat sur l’islam, et une mauvaise, celle de Sarkozy, de l’argent et des intérêts, qui flatte les pires instincts du peuple avec de basses arrière-pensées politiciennes[1. Certes, le rôle du gouvernement n’est pas d’organiser des débats qui se tiennent beaucoup mieux sans son intervention mais en l’occurrence l’initiative vient de l’UMP. Alors qu’on déplore généralement le vide intellectuel des partis, il est paradoxal de s’indigner parce que l’un d’eux, fût-ce celui du Président, prétend réfléchir sur un sujet qui intéresse les citoyens] Sommes-nous bâillonnés ou désinhibés, écrasés par le politiquement correct ou menacés par la banalisation du racisme ?

Alors que la machine à dénoncer fonctionne à plein régime, désignant chaque jour de nouveaux suspects, je suis tentée de vous infliger mon couplet habituel sur les commissaires politiques qui prétendent nous faire penser dans les clous et rêvent de réduire au silence toute dissidence. Je pourrais, une fois de plus, observer que le goût de la confrontation a cédé la place à « l’envie du pénal », ironiser sur les poses résistantes et les postures vertueuses des nouveaux inquisiteurs. La condamnation de Zemmour pour « délit de vérité », les dégoûtants piaillements réclamant son éviction, sans oublier le tollé provoqué par son intervention dans un colloque organisé par l’UMP, sont d’excellentes raisons d’avoir la trouille.

Dans un tout autre registre, l’importance démesurée accordée aux propos abjects d’un ivrogne, styliste branché de son état, montre que les professionnels de l’antiracisme ne cherchent pas tant à faire disparaître le racisme qu’à lui donner la plus large publicité possible, comme s’il était la preuve de leur propre hauteur morale. Ce qui est remarquable, en effet, dans l’affaire Galliano, c’est que les propos diffusés en boucle n’ont pas été tenus sur un plateau de télé mais dans un cadre privé. Peut-être faudrait-il, dans la foulée, créer une brigade des bistrots chargée d’arrêter toute personne surprise en train de proférer une horreur – ce qui n’arrangera pas l’engorgement des tribunaux.

On peut donc se contenter d’opposer le camp du Bien à celui du réel, les malpensants aux conformistes. C’est gratifiant et même assez pertinent. L’ennui, c’est que cela revient à juger au lieu d’essayer de comprendre et à décréter que ceux qui ne pensent pas comme nous sont des salauds ou des idiots, autrement dit à appliquer les méthodes qui paraissent détestables chez les autres.
Ne nous racontons pas d’histoires : la liberté d’expression ne saurait être totale.

Toute société se définit par les interdits qu’elle s’impose et les limites qu’elle se fixe. Et ne nous voilons pas la face : de même que, dans les milieux traditionnels d’extrême droite, on ne revendiquait hier la liberté d’expression que pour pouvoir dire des horreurs sur les juifs, certains ne la défendent aujourd’hui que pour pouvoir se lâcher sur les Arabes et les noirs. Si cela ne justifie en rien la traque des poux dans toutes les têtes, cela nous impose de douter de nos propres certitudes.

Reste à comprendre comment nous en sommes arrivés à débattre pour savoir s’il faut débattre. Quelles forces obscures, quelles pensées malignes, quels noirs desseins avons-nous peur de déchaîner en nous livrant à l’activité qui devrait être la plus banale dans la vie démocratique, l’affrontement argumenté ? Qu’est-ce qui nous affole au point qu’après avoir fait cadeau du réel au Front national, nous nous apprêtions à lui offrir le monopole du débat ? La réponse est à la fois simple et compliquée : nous avons un problème, mais nous avons honte d’admettre que c’est un problème au point que nous
n’arrivons même pas à le désigner. Inutile de tourner autour du pot : l’acculturation de l’islam piétine et, avec elle, l’intégration des musulmans. Or, l’universalisme républicain ne nous dit pas comment faire avec l’Autre parce que, soucieux de reconnaître l’humanité en tout homme, nous nous interdisons de le voir comme un Autre. Peut-être faut-il commencer par admettre que si tous les hommes sont égaux, certains nous sont plus étrangers que d’autres. Il n’y a là rien de criminel : toutes les cultures, tous les groupes humains se définissent par leurs différences.

Nous pouvons vivre avec certaines, pas avec toutes. Une chose est sûre, c’est qu’on ne résoudra rien par le déni : si le débat n’est pas une politique, sans débat il n’y a pas de politique.[/access]

SAS en Libye

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Une unité des forces spéciales britanniques (SAS – Special Air Service) composée d’au moins huit soldats, a été interceptée par des rebelles libyens dans l’est du pays, près de Benghazi. Interrogé sur cette arrestation, le Foreign Office a expliqué sans rire que les soldats escortaient un diplomate de Sa Gracieuse Majesté qui devait engager des contacts avec les opposants à Kadhafi. Nous vivons en république et vous êtes libre d’y croire.

Une thèse plus plausible pour expliquer la présence de nos supermen? Disons que depuis le début de la guerre civile, des équipes des forces spéciales opèrent un peu partout dans le pays, et –normalement- dans la plus grande discrétion. Les commandos d’élite sont en train de se positionner pour surveiller les installations stratégiques, recueillir des renseignements et se préparer à d’éventuelles frappes aériennes. Beaucoup de « bombes intelligentes » sont guidées vers leurs cibles par des rayons lasers et ce sont des commandos sur le terrain qui les « illuminent ».

Il faut dire aussi que pour le SAS, une mission en Libye est en quelque sorte un retour au bercail. C’est dans ce désert que l’unité a été créée en juillet 1941 par Sir David Stirling pour combattre, avec le succès qu’on sait, les troupes de Graziani puis celles de Rommel.

Retraité, Striling n’a pas perdu le goût de l’aventure et a fondé une boîte de mercenaires, KAS International. L’un des contrats le plus intéressant de KAS a été la tentative, en 1971, de se débarrasser de Kadhafi et de renverser son régime – alors presque neuf mais déjà voyou. Stirling a malheureusement échoué. Espérons que ses héritiers feront mieux aujourd’hui. Pour le moment, cela semble mal barré. En tout cas, pour expliquer officiellement leur ingérence en Libye, le Foreign Office pourrait simplement dire qu’il s’agit d’un pèlerinage. C’est d’autant plus crédible que l’hymne du SAS débute ainsi « Nous sommes les pèlerins »…

Galliano: Moix entend des voix

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Avec ses poses de pourfendeur germanopratin du racisme gallianoesque, Yann Moix se prend les pieds dans le tapis. Il ne s’est pas donné la peine de se livrer à la moindre vérification, préférant sur-interpréter ce qu’il s’attendait à entendre. Pour reprendre le titre d’un ouvrage consacré aux compagnons de route de l’URSS d’hier, Moix voit ce qu’il croit.

Dans une interview lénifiante datée du 3 mars et lisible sur le site de la Règle du Jeu de son pote BHL, Yann Moix, faisant référence à une fameuse vidéo diffusée par The Sun, analyse avec une rigueur tout botulienne les propos avinés de John Galliano – épouvantail malpensant du moment.
Et de pontifier : « On peut parfaitement entendre, sur le film, affirme Moix, que Galliano souhaite que les juifs soient gazés, mais on ne peut l’entendre dire qu’il souhaite que des « putain de juifs » soient gazés. »

On a donc tenté de « parfaitement entendre » ; manque de pot, sur la vidéo en question, à aucun moment le couturier ne prononce le mot « juifs ». Certes, il proclame pathétiquement son amour pour Hitler (avec lequel il partage un penchant suspect pour la petite moustache) et s’adresse d’une manière nauséabonde à ceux qui le filment en assurant qu’ils auraient dû être gazés. Mais jamais il n’exprime le souhait que « les juifs soient gazés ». Qu’il le pense très fort est une autre question, qui ne donne pas le droit à Moix d’élaborer une théorie qui d’ailleurs ferait pouffer Barthes et Lacan s’ils étaient abonnés à la Règle du jeu. Pauvre de Moix !

C’est un point de détail, comme dirait l’autre, car au fond, la seule attitude raisonnable serait de traiter par le mépris les divagations d’un ivrogne dépressif et maquillé sur Hitler, les juifs, le point de croix voire la météo, comme le développe avec justesse Marc Cohen dans ces colonnes. On peut en conclure que Yann Moix devrait soit écouter la bande-son des vidéos qu’il regarde (on n’ira pas jusqu’à lui demander de faire de même avec ses films, on n’est pas des bêtes), soit apprendre l’anglais : Galliano à Berlin, Moix chez Berlitz !

Malthus, fais-moi peur!

Dans un article publié dansLesEchos.fr, Jeffrey D. Sachs, directeur de l’Institut de la Terre à l’université de Columbia, estime que la combinaison de la croissance de la population mondiale et son gigantesque enrichissement au cours des dernières décennies avec le réchauffement climatique risquent d’entrainer une « grave crise politique, économique et sociale ». D’après monsieur Sachs, le pire peut encore être évité si « nous convertissons nos économies à des sources d’énergies renouvelables et à des méthodes de production agricole durable et adoptons une taxation raisonnable des riches ». Bref, si nous confions la gestion de la catastrophe à venir à nos États.

Il faut que je vous raconte une histoire : en 1968, Paul Ehrlich, biologiste américain de l’université de Stanford, publie The Population Bomb. La thèse développée par Ehrlich dans son best-seller est un condensé de pessimisme malthusien : pour lui, la croissance de la population mondiale engendrera des famines massives au cours des années 1970 et 1980. Ehrlich, un petit peu comme monsieur Sachs, en appelle aux gouvernements pour qu’ils mettent en place, le plus vite possible, des politiques coercitives destinées à éviter la catastrophe imminente. Après tout, quoi de plus logique ? Nous vivons dans un monde de ressources limitées et la population mondiale explose : l’idée selon laquelle nous devrions être confrontés à des pénuries de ressources naturelles et donc à une augmentation du prix desdites ressources semble tout ce qu’il y a de plus raisonnable.

En 1980, un professeur d’économie nommé Julian Simon lança un défi au biologiste : il s’agissait de parier sur le prix de 5 matières premières choisies par Ehrlich à la date que celui-ci voudrait. Si, à la date choisie, les prix (ajustés de l’inflation) des ressources naturelles sélectionnées étaient effectivement plus élevé qu’en 1980, l’économiste devait payer la différence et dans le cas contraire, c’est Ehrlich qui devrait payer Simon. Après avoir consulté John Harte et John Holdren, deux physiciens de l’université de Berkeley, Ehrlich accepta le pari et, le 29 septembre 1980, misa 1 000 dollars sur la croissance des prix du cuivre, du chrome, du nickel, de l’étain et du tungstène au cours de la décennie à venir.

De 1980 à 1990, la population mondiale augmenta de 800 millions d’individus, la plus forte augmentation jamais observée jusque-là, mais le 29 septembre 1990 – quand le pari arriva à son terme – les prix des cinq métaux sélectionnés par Ehrlich avaient baissé – tous, sans aucune exception. Ehrlich avait perdu son pari et – rendons lui cet honneur – honora son contrat en postant un chèque de $576.07 dollars à l’ordre de Simon. Il refusa en revanche de renouveler le pari.

Les thèses malthusiennes ont toujours eut cette particularité que de faire vendre énormément de livres et de rendre leurs auteurs célèbres tout en se révélant fausses a posteriori. Habituellement défendues par des biologistes, physiciens ou autres géologues parfaitement compétents dans leurs domaines respectifs mais qui ignorent tout du fonctionnement d’une économie, leurs prédictions apocalyptiques ont toujours été démenties par deux mécanismes très simples qui se mettent naturellement en branle quand une ressource se raréfie et que son prix monte : la hausse des cours incite les producteurs à produire plus ou à développer une alternative et les consommateurs à adapter leur consommation. Ce qui est nouveau cette fois, c’est que monsieur Sachs est aussi professeur d’économie.

Plutôt que de nous perdre dans de longues considérations théoriques et d’énumérer la longue liste des prédictions malthusiennes démenties par les faits, je propose un pari dont voici les termes : que monsieur Sachs choisisse cinq matières premières à sa convenance et une date distante d’au moins un an et nous miserons sur l’évolution future du prix de chacune de ces matières. Si, à la date choisie par monsieur Sachs, la valeur ajustée de l’inflation de ce panier a augmenté, je m’engage solennellement à lui payer la différence. Si, au contraire, la valeur du panier sélectionné par monsieur Sachs a diminué, il devra me payer la différence.

Monsieur Sachs, voulez-vous parier avec moi ?

What to dø ?

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Quand je fais une découverte, j’aime bien la partager ; après, « ça tombe où ça peut », comme disait à peu près Jésus.

En l’occurrence ce matin, après le turbin, je me suis enfin décidé à écouter sur Deezer The Dø, un groupe dont j’avais vaguement retenu une chanson : On my shoulders .

Passionnant ! direz-vous en retenant un bâillement poli. Eh bien, vous aurez tort. Rien que le nom de ce duo, déjà… D pour Dan le Français et O pour Olivia la Finlandaise, OK. Mais pourquoi ce o barré, qui n’existe même pas en finnois ? Tel est leur terrible secret : ces gens-là sont barrés et c’est ça qui fait leur prix.

Quant à la musique qu’ils produisent, elle ne laisse pas d’intriguer : «Entre folk intimiste et électro pop exaltée», dit la critique; bref, n’importe quoi (la critique, pas leur musique).

C’est seulement demain qu’on pourra découvrir leur nouvel album, et deux jours plus tard qu’ils seront au Trianon. Mais le mieux, puisqu’apparemment vous n’avez rien de mieux à faire de votre dimanche, c’est d’écouter déjà A Mouthful (2008) : vous verrez, The Dø met la barre très haut.

La Libye bombardée à coups de superlatifs

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Le monde entier a les yeux rivés sur la Libye et on n’y voit rien. À vrai dire, on ne comprend guère plus. Le tableau dressé par les médias est pour le moins terrifiant: Kadhafi est en train de perpétrer un massacre contre sa propre population grâce à l’usage massif de ses chasseurs-bombardiers et de ses mercenaires. Or, trois semaines après l’éclatement de la crise, aucune preuve sérieuse n’a corroboré cette version des faits.

Que les choses soient claires : nul – en tout cas pas moi – ne songe à défendre Kadhafi et encore moins à minimiser la gravité de la situation en Libye, laquelle est bel et bien en proie à la guerre civile, soit un des pires fléaux qui soient. Est-il pour autant malséant de poser quelques questions de bon sens ?

La première, et la plus importante, est celle des victimes. Peut-on parler aujourd’hui d’un massacre généralisé en Libye ? La réponse est très probablement négative. Il est évidemment difficile et délicat de définir le terme de massacre mais c’est pourtant nécessaire. Le nombre de morts en Libye depuis le 15 février n’est pas certain, mais l’ordre de grandeur est de quelques centaines, dont à peu près les deux tiers durant le déclenchement des événements actuels (17-20 février). Depuis, les combats et escarmouches entre pro et anti-Kadhafi se sont soldés par un nombre relativement réduit de victimes. Dans la bataille pour le contrôle de la ville d’Az Zawiyah, on compte 120 morts des deux côtés. Après plus de dix jours de combats en milieu urbain dans une ville de 300 000 habitants, il est difficile de qualifier ce drame, incontestable, de « massacre » et encore moins de « génocide », comme on commence à l’entendre ça et là.

La deuxième question porte sur l’usage fait par Kadhafi de sa force aérienne. Selon son fils Saïf al-Islam, les chasseurs-bombardiers libyens sont utilisés par le pouvoir uniquement pour détruire les dépôts d’armes et empêcher les rebelles de s’en emparer. Aussi surprenant que cela puisse être, Kadhafi junior ne ment pas. Il faut savoir que l’armée libyenne, relativement modeste en nombre (quelque 50 000 soldats dont la moitié de conscrits) est en revanche très largement suréquipée. Pour des raisons politiques et peut-être aussi psychiatriques, le Frère guide a acheté sans compter chars, canons lourds et autres joujoux similaires. Du point de vue du régime, cet armement disséminé un peu partout dans le pays est incontestablement aujourd’hui une menace mortelle. En revanche, on possède très peu d’éléments tendant à prouver la réalité d’un bombardement systématique de civils et encore moins de certitudes permettant d’étayer une rumeur répandue dans l’opinion publique depuis le début de la crise selon laquelle les avions de Kadhafi tireraient sur des foules de manifestants. Et avec tout le respect qu’on lui doit, les certitudes rapportées par BHL de son week-end en Lybie ne constituent pas une preuve.

Reste la question des mercenaires. Depuis des semaines, on nous parle de combattants – notamment subsahariens – recrutés par Kadhafi pour noyer la révolution dans un bain de sang. Du point de vue des rebelles, cette histoire est parfaitement compréhensible : si cela est vrai, Kadhafi n’a aucun soutien populaire et il ne s’agit donc pas vraiment d’une guerre civile, mais d’un peuple unanime chassant un tyran défendu uniquement par des baïonnettes étrangères. Seulement, après trois semaines de crise, les preuves de la présence de mercenaires sont minces et controversées. Dans l’est du pays, aux mains des rebelles depuis plus de 15 jours, aucun mercenaire – mort ou prisonnier – n’a été présenté à la presse. Force est de reconnaitre que pour le moment ce phénomène est peut-être marginal, à moins qu’il relève plus du fantasme politique – tout à fait compréhensible – d’une population en état de crise et de guerre civile que d’une réalité militaire.

Pour autant, le pire peut arriver, d’autant plus que Kadhafi n’a pas encore vraiment dégainé et que son armée régulière n’entre que tardivement dans la danse. Mais on peut déjà observer l’approximation – pour être aimable – de la couverture médiatique de cette guerre dont l’émotion planétaire qu’elle suscite semble empêcher la compréhension. C’est que nous sommes devenus accros aux superlatifs et aux hyperboles qui nous offrent l’occasion de compatir et de nous indigner à bon compte, face à nos téléviseurs. Entre « rien à signaler » et « génocide », nos lexiques semblent être singulièrement démunis. Les adjectifs automatiques (le feu est toujours « nourri », les armes – tout comme les pertes – souvent « lourdes » et chaque combat « acharné ») sont devenus autant d’obstacles à l’analyse. Or, nous sommes exactement dans le genre de situation – tyran fou, peuple privé de parole pendant des lustres, anarchie généralisée – où il faudrait être prudent, voire suspicieux sous peine de découvrir de nouveaux Timisoara à Tripoli ou Benghazi[1. On se rappelle aussi le « génocide » perpétré par les forces serbes au Kosovo et dont le TPI, malgré une fouille minutieuse du sous-sol de la province, ne put jamais trouver la moindre preuve – ce qui bien sûr, ne dédouane pas l’armée serbe de ses exactions ni le régime de sa répression. Reste que des informations parfaitement fantaisistes faisant appel à l’imaginaire d’Auschwitz furent abondamment diffusées ce qui justifia l’intervention de l’OTAN. Hubert Védrines explique en substance dans ses Mémoires que les Occidentaux furent contraints, sous la pression des médias, de mener une intervention que lui jugeait néfaste. On ne saurait exclure un scénario comparable en Lybie (EL)].

Que pèsent ces précautions minimales face au bombardement médiatique ? Rien, ou presque. L’hystérie alarmiste ne connaît aucune limite, et la pression monte dans les opinions qui somment leurs gouvernants d’agir vite pour sauver le peuple libyen. Une fois de plus, la course à l’émotion pourrait inciter les puissances occidentales à se lancer dans une aventure périlleuse. Pour elles, mais aussi pour les Libyens.

Moody’s blues

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Je serais un notateur de Moody’s, si j’avais l’intention de passer mes vacances du côté de Paros ou des Météores, je me ferais extrêmement discret. Le plus aimable des popes risquerait en effet de se transformer en étudiant anarchiste de la Conspiration des Cellules de Feu devant la dernière charge de Moody’s, l’agence de notation qui murmure à l’oreille du souverain marché. Sans doute vexée par l’actuelle révolution islandaise (qui n’est pas, aux dernières nouvelles, un pays arabe) et dont il faudra bien que les médias parlent un jour ou par le résultat des élections législatives irlandaises qui ont tout de même de fortes analogies avec un gigantesque bras d’honneur à l’UE et au FMI, Moody’s a décidé de se faire la Grèce, une nouvelle fois, en baissant la note hellène de trois crans à B1 ce qui signifie « ne présentant qu’une faible sécurité de remboursement sur le long terme » et en indiquant qu’une autre dégradation de cette note n’était pas à exclure.

Le gouvernement grec, qui ne voit plus guère que le rétablissement de l’esclavage pour moderniser son marché du travail, faire face à une agitation sociale endémique et complaire à Moody’s, a tout de même osé émettre une objection, sans doute après avoir consulté la Pythie qui ces temps ci ne vient plus en mangeant. Il a parlé, à propos de Moody’s « des dangers des prophéties autoréalistarices. » du genre : « Vous verrez que la Grèce n’est pas prête de se mettre au travail, on en sait quelque chose, on vient de lui couper son deuxième bras. »

Marine en tête

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Ainsi, à en croire un sondage, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. J’aime l’ambigüité tellement ambiguë de certaines tournures en français qu’elles en deviennent transparentes, innocentes, anodines. Tenez, le génitif par exemple, c’est fou ce qu’il peut être ambigu le génitif en français. Dans son dernier livre réédité, Le Viol de Mike Tyson, on voit bien sur quoi Besson joue. Comment le boxeur noir Mike Tyson a effectivement été reconnu coupable de viol mais comment aussi l’ensemble d’un environnement médiatique, sportif, racial n’a cessé de le violer, lui, dès qu’il a posé un pied sur le ring et peut-être même bien avant.

Une autre expression de ce genre, assez détestée par les pédagogistes, est tout aussi ambiguë : apprendre par cœur. Le « par cœur » avait été décrété définitivement aliénant, stérile, bourgeois. Et pourtant, si l’on y réfléchit, quelle plus belle expression que celle-ci : « par coeur ». Apprendre par cœur, c’est reconnaître au cœur le siège de la sensibilité et du goût (cela on pouvait s’en douter) mais aussi de l’intelligence et de la mémoire. Le cœur, c’est qui en nous se souvient des choses vraiment utiles, c’est-à-dire ce qu’il y a d’essentiel dans une vie d’homme : un sonnet de Verlaine dans un embouteillage, le numéro de sa carte de crédit quand on essaie de retirer de l’argent tout en étant ivre pour continuer à faire la fête ou le premier baiser échangé à dix-sept ans avec cette fille devenue avocate et de droite. On mourrait de tristesse, sans le « par cœur ».

Alors, quand on me dit que Marine Le Pen est « en tête dans les sondages », je ne peux pas m’empêcher de traduire, au nom de ces ambiguïtés syntaxiques, par « dans la tête des sondages ». Les principaux instituts de sondage (tiens, Laurence Parisot en possède un, tiens, Vincent Bolloré vient de s’en offrir un autre !) fournissent aux partis et aux journaux les vérités statistiques qu’ils veulent entendre. Aussi ne faut-il pas s’étonner si ces thermomètres de la République qui sont franchement discrédités.

Le sondage ne répond plus à rien, et depuis longtemps. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. Il n’est plus là pour éclairer le politique, il est le politique. Ce sont les sondages, et Marine Le Pen en sait quelque chose, et non plus les militants, qui vont jusqu’à désigner le candidat préféré d’un parti par médias interposés. Ce sont les sondeurs qui, forts de leurs résultats scientifiques, ont décrété que Marine, c’était mieux que Bruno en janvier 2011, que Ségolène, c’était mieux que Fabius ou DSK en 2007, que le oui au TCE c’était mieux que le non en 2005, que Chevènement était l’incontestable troisième homme en 2002 et ainsi de suite…Les sondages sont donc l’expression de ce fameux « faux qui serait un moment du vrai », selon l’expression de Hegel. Ce qui devait être un élément parmi d’autres d’information des gouvernants est devenu un moyen de gouvernement.

J’ai personnellement pris conscience de cette aberration logique qui est aussi une aberration démocratique au moment du duel Chirac/Balladur en 1994. Il y avait unanimité : Chirac ne devait pas se présenter. Il n’avait pas ou plus le profil. La fracture sociale, le volontarisme politique, bref, cet ultime retour de ce qui pouvait ressembler à du gaullisme, n’entrait plus dans les cadres. Les sondages ont été appelés à la rescousse pour jouer leur rôle de sape, systématique, quotidien, désespérant pour lui et ses derniers fidèles. Pas les sondages en eux-mêmes, bien entendu, mais l’exploitation qui en était faite par quelques journalistes ou experts inaccessibles au doute, tel Alain Minc qui semblait regretter que l’on dût en passer par des élections réelles alors qu’une démocratie moderne se devait d’être, disait-il, une démocratie d’opinion .

Je suis très content pour Marine Le Pen : en tête dès le premier tour, bravo ! Commencer à plomber le moral de l’UMP et à affoler le PS, à quelques semaines des cantonales, c’est tout bénef. Il n’aura cependant échappé à personne que le véritable message de celui qui fait tant causer et où Dominique Strauss-Kahn ne figure pas parmi la liste des choix possibles, c’est : ou DSK ou Marine Le Pen.

Là, Marine, je serais vous, je commencerai à me méfier. Ce n’est pas parce qu’on vous invite à quelques grandes émissions où vous faites excellente figure qu’on vous aime pour autant chez ces gens-là.
Moi non plus je ne vous aime pas beaucoup, mais c’est pour de toutes autres raisons. Eux ne vous aiment pas et vous mettent en avant pour faire apparaître Strauss-Kahn comme le seul rempart contre vous, genre cordon sanitaire, front républicain et sauveur de la démocratie. Moi, je ne vous aime pas parce que vous captez l’électorat du Front de Gauche tout en séduisant celui de la droite dure et que je veux gagner contre vous non pas sur la rhétorique antifasciste qui déferlera à nouveau si vous continuez à avoir le vent en poupe mais en montrant que votre virage social, voire très social (et aussi très sur les chapeaux de roue), vos déclarations contre la suppression de l’ISF ou la retraite à 62 ans ont tout du positionnement tactique et ponctuel dans un paysage politique essentiellement occupé, à l’exception de Mélenchon, par les tenants d’un néo-libéralisme qui exaspère les Français paupérisés.

Vous êtes en tête au début de la course, voyez-vous, parce qu’on veut que la vous perdiez à la fin. Souvenez-vous de Ségolène, sacrée championne avant de s’effondrer aussi vite qu’elle était monté. Et le paysage ne peut qu’amplifier cette vénération du sondage : davantage de chaines de télés, davantage d’instituts, de moins en moins de débats contradictoires, de réunions sous les préaux, enfin de politique « old school », celle qui permit à Chirac de remonter la pente contre tous les pronostics en 1994.

Seulement, il est de plus en plus difficile de déconstruire le mensonge en politique. On a réussi, en 2007, à faire passer pour un homme neuf un Nicolas Sarkozy qui était ministre depuis 2002. On oublie que vous non plus vous n’êtes pas neuve et que, tout en renouvelant le discours, vous vous servez tout de même de l’image de marque de la vieille maison paternelle sans complexe.
Au moins ce sondage aura-t-il tué en moi une ultime illusion : celle qui me faisait croire à la pertinence d’une élection présidentielle au suffrage universel. La rencontre rêvée par De Gaulle entre un peuple et un homme n’est plus possible : en 1965, le règne des médias n’avait pas commencé, ou si peu. L’ensemble des grands moyens d’informations n’était pas concentré dans un si petit nombre de mains. Alors, finissons-en avec le césarisme médiatique assisté par ordinateur. Et revenons à la Cinquième République d’avant 1965 dans laquelle le Président était élu par le Congrès. Paradoxalement, la démocratie y gagnera.

Procès Chirac : quelques explications

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Jacques Chirac doit-il comparaître devant ses juges ? Assister à l’intégralité de son procès ou simplement y être présent par éclipses ? Pour la défense de l’ancien Président de la République c’est la quadrature du cercle.

Les termes de l’alternative peuvent se résumer ainsi: soit Chirac joue la chaise vide ou à moitié vide et il donnera l’impression de se défiler, soit il fait preuve d’assiduité et son image risque d’en être sérieusement affectée au moment où son éloignement des affaires pourrait clore l’époque de la critique et ouvrir celle de l’hommage à son rôle dans la geste nationale. En tout cas, Jacques Chirac sera le premier chef d’Etat français depuis Louis XVI (si l’on veut bien mettre à part le cas du maréchal Pétain) à comparaître devant la Justice. Une bien triste distinction sur un CV présidentiel.

Alors on peut ronchonner en se disant que la République est mauvaise fille en s’acharnant sur un vieux monsieur qui a servi la France. Je suis ainsi surpris par la fibre subitement compassionnelle d’Arnaud Montebourg qui durant les deux mandats de Jacques Chirac a déployé une énergie considérable pour qu’il soit traduit devant la Haute Cour de Justice et qui considère dorénavant qu’on doit lui fiche la paix. L’exigence de justice n’aurait-elle de sens qu’à l’appui d’un combat politique partisan ? La déstabilisation d’un Président en exercice serait-elle le seul intérêt d’un procès de ce type ? Les assoiffés de rénovation de la vie politique apprécieront…

On peut certes regretter la lenteur du temps judiciaire qui conduit un prévenu dans le prétoire plus de vingt ans après la « commission des faits », mais la faute à qui ? Jacques Chirac et ses conseils ont déployé autant d’énergie pour retarder le procès qu’Arnaud Montebourg pour le hâter, notamment en ayant recours au Conseil Constitutionnel qui a opportunément déduit des textes fondamentaux que le Président en exercice bénéficiait d’une immunité. Jacques Chirac ne pouvait donc être jugé qu’après avoir quitté ses fonctions. Nous y sommes.

Nous avons donc sous les yeux la preuve de la loi physique selon laquelle plus on lance loin le boomerang, plus il revient avec violence. Mise au pied du mur, la défense doit donc limiter la casse et empêcher que la statue du Commandeur que l’opinion et les médias ont commencé à bâtir se transforme en Victoire de Samothrace.

Les avocats de l’ex-Président peuvent suivre deux stratégies qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre : gagner du temps, d’une part, limiter le déballage de l’autre. La QPC (question de prioritaire de constitutionnalité) déposée par un co-prévenu du Président, accessoirement son ancien directeur de cabinet à la Mairie de Paris, pourrait satisfaire le premier objectif. Elle soulève avec pertinence un problème juridique de taille, la conformité constitutionnelle d’un texte du Code de procédure pénale dont l’interprétation élargie donnée par la jurisprudence permet de contourner la prescription. Autrement dit, il y aurait là une atteinte à la définition constitutionnelle de la prescription comme droit à l’oubli. Si la QPC est jugée recevable, l’affaire pourrait être renvoyée pour au moins six mois – mais le Tribunal peut passer outre.

Concernant le deuxième objectif – limiter le déballage – la tâche de la défense est plus subtile. Elle devra faire de « la belle ouvrage », comme on disait autrefois, du point de croix, de la dentelle judiciaire. Sans doute a-t-elle prévu, pour inaugurer le procès, une déclaration solennelle de Jacques Chirac sur le thème « je n’ai poursuivi aucun enrichissement personnel, n’ai commis aucune malversation même si j’ai laissé opérer un système imparfait (et peut-être illégal?), mis en place bien avant moi, visant au financement des activités politiques; j’assume ces erreurs en rappelant que le préjudice subi par la Ville de Paris, qui a supporté sur ses finances la rétribution de permanents du RPR, a été d’ores et déjà indemnisé par mes soins. » En effet, un protocole d’accord entre la municipalité et l’UMP fixe le montant de la réparation à deux millions d’euros.

Cet accord opportun permettra que l’audience se déroule avec plus de sérénité puisque la Ville de Paris, principale partie civile, sera absente des débats. Mais il signifie aussi que Jacques Chirac reconnaît sa culpabilité, ce qui pourrait paradoxalement contribuer à éviter les dommages qu’engendrerait une audience trop précise et cruelle. Le prévenu dirait en substance : « Oui j’ai fauté, oui j’ai remboursé, oui je suis âgé, serait-ce trop demander que l’on m’épargne l’humiliante et dès lors inutile litanie de mes turpitudes supposées ? ». Cela reviendrait à accélérer le rythme de l’audience après avoir tenté par mille manœuvres de le ralentir.

« Le criminel tient le civil en l’état » : cet adage signifie que les décisions rendues par les juridictions pénales s’imposent aux tribunaux civils. Le paradoxe du procès pénal à venir – ou non – est qu’il est d’ores et déjà terminé, à la suite d’un accord civil scellant une reconnaissance de culpabilité. Dorénavant, le civil tient le criminel en l’état. Circulez, il n’y a plus grand-chose à voir ! Jacques Chirac est déjà sorti de son procès et dans le fond qu’il y assiste ou pas n’a pas grand intérêt. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, laissons donc notre ancien Président de la République reprendre le cours de ses activités normales et la rédaction de ses Mémoires.

Paris n’est qu’une fête

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Delanoë conforté, nous dit un sondage exclusif publié hier par le JDD. Dix ans après son élection, le maire de Paris obtient des scores de satisfaction impressionnants : 67% des sondés pensent que l’équipe municipale a « accompli un travail excellent ou bon. » Et 68% des personnes interrogées s’avouent « satisfaites » de leur maire (89% à gauche, 43% à droite). Passé ces quelques chiffres, on pourrait croire que le triomphe est total pour celui qui a bouté la Chiraquie hors de la capitale. A condition, toutefois, ne pas être plus curieux et donc de ne pas aller jeter un œil au « bilan de la municipalité par domaine d’action ». Là, en effet on découvre que la Mairie aurait particulièrement réussi dans trois domaines très importants : l’animation et la vie culturelle, l’embellissement de Paris et le rayonnement de Paris en France et à l’étranger.

En revanche, le bilan est majoritairement négatif sur les questions du logement, de la circulation et de la sécurité. En 10 ans, le prix du mètre carré dans la capitale a bondi de 146%, et le maire explique que « ce n’est pas de sa compétence », comme la question de la sécurité. Notons donc que la Mairie et sa machine de guerre administrative et financière sont donc là pour nous satisfaire à coup de Nuit blanche, de Printemps des poètes ou de Gaité Lyrique. Pour le reste, passez votre chemin.

En 2014, il conviendra donc de ne pas élire un nouveau maire, mais un animateur socio-cul grand format. A vous faire presque regretter que la réforme des collectivités locales ne soit pas allée jusqu’au bout en transformant les communes, qui donc ne peuvent rien faire, en centres de loisirs géants.

Ce n’est qu’un début, proscrivons le débat !

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Les uns trouvent qu’on parle trop, les autres, qu’on ne peut plus rien dire. Les uns pensent qu’Éric Zemmour est un délinquant, les autres qu’il est un martyr.La bataille idéologique qui fait rage et dont l’enjeu, au-delà du cas Zemmour, est la liberté d’expression prouve qu’on peut vivre dans le même monde et pas dans le même pays. On dirait en effet ces jours-ci qu’il y a deux France, celle qui s’inquiète de la « libération de la parole » et celle qui s’insurge contre l’étouffoir conformiste : la première croit vivre sous Pétain, la deuxième dans Orwell.

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Il serait commode, pour l’analyse, que la frontière entre les deux soit celle qui sépare la droite de la gauche. La gauche serait pour la censure, la droite pour la liberté, le tour serait joué. Sauf qu’il y a désormais une « bonne droite », celle des valeurs, de la morale et de Juppé qui ne veut pas du débat sur l’islam, et une mauvaise, celle de Sarkozy, de l’argent et des intérêts, qui flatte les pires instincts du peuple avec de basses arrière-pensées politiciennes[1. Certes, le rôle du gouvernement n’est pas d’organiser des débats qui se tiennent beaucoup mieux sans son intervention mais en l’occurrence l’initiative vient de l’UMP. Alors qu’on déplore généralement le vide intellectuel des partis, il est paradoxal de s’indigner parce que l’un d’eux, fût-ce celui du Président, prétend réfléchir sur un sujet qui intéresse les citoyens] Sommes-nous bâillonnés ou désinhibés, écrasés par le politiquement correct ou menacés par la banalisation du racisme ?

Alors que la machine à dénoncer fonctionne à plein régime, désignant chaque jour de nouveaux suspects, je suis tentée de vous infliger mon couplet habituel sur les commissaires politiques qui prétendent nous faire penser dans les clous et rêvent de réduire au silence toute dissidence. Je pourrais, une fois de plus, observer que le goût de la confrontation a cédé la place à « l’envie du pénal », ironiser sur les poses résistantes et les postures vertueuses des nouveaux inquisiteurs. La condamnation de Zemmour pour « délit de vérité », les dégoûtants piaillements réclamant son éviction, sans oublier le tollé provoqué par son intervention dans un colloque organisé par l’UMP, sont d’excellentes raisons d’avoir la trouille.

Dans un tout autre registre, l’importance démesurée accordée aux propos abjects d’un ivrogne, styliste branché de son état, montre que les professionnels de l’antiracisme ne cherchent pas tant à faire disparaître le racisme qu’à lui donner la plus large publicité possible, comme s’il était la preuve de leur propre hauteur morale. Ce qui est remarquable, en effet, dans l’affaire Galliano, c’est que les propos diffusés en boucle n’ont pas été tenus sur un plateau de télé mais dans un cadre privé. Peut-être faudrait-il, dans la foulée, créer une brigade des bistrots chargée d’arrêter toute personne surprise en train de proférer une horreur – ce qui n’arrangera pas l’engorgement des tribunaux.

On peut donc se contenter d’opposer le camp du Bien à celui du réel, les malpensants aux conformistes. C’est gratifiant et même assez pertinent. L’ennui, c’est que cela revient à juger au lieu d’essayer de comprendre et à décréter que ceux qui ne pensent pas comme nous sont des salauds ou des idiots, autrement dit à appliquer les méthodes qui paraissent détestables chez les autres.
Ne nous racontons pas d’histoires : la liberté d’expression ne saurait être totale.

Toute société se définit par les interdits qu’elle s’impose et les limites qu’elle se fixe. Et ne nous voilons pas la face : de même que, dans les milieux traditionnels d’extrême droite, on ne revendiquait hier la liberté d’expression que pour pouvoir dire des horreurs sur les juifs, certains ne la défendent aujourd’hui que pour pouvoir se lâcher sur les Arabes et les noirs. Si cela ne justifie en rien la traque des poux dans toutes les têtes, cela nous impose de douter de nos propres certitudes.

Reste à comprendre comment nous en sommes arrivés à débattre pour savoir s’il faut débattre. Quelles forces obscures, quelles pensées malignes, quels noirs desseins avons-nous peur de déchaîner en nous livrant à l’activité qui devrait être la plus banale dans la vie démocratique, l’affrontement argumenté ? Qu’est-ce qui nous affole au point qu’après avoir fait cadeau du réel au Front national, nous nous apprêtions à lui offrir le monopole du débat ? La réponse est à la fois simple et compliquée : nous avons un problème, mais nous avons honte d’admettre que c’est un problème au point que nous
n’arrivons même pas à le désigner. Inutile de tourner autour du pot : l’acculturation de l’islam piétine et, avec elle, l’intégration des musulmans. Or, l’universalisme républicain ne nous dit pas comment faire avec l’Autre parce que, soucieux de reconnaître l’humanité en tout homme, nous nous interdisons de le voir comme un Autre. Peut-être faut-il commencer par admettre que si tous les hommes sont égaux, certains nous sont plus étrangers que d’autres. Il n’y a là rien de criminel : toutes les cultures, tous les groupes humains se définissent par leurs différences.

Nous pouvons vivre avec certaines, pas avec toutes. Une chose est sûre, c’est qu’on ne résoudra rien par le déni : si le débat n’est pas une politique, sans débat il n’y a pas de politique.[/access]

SAS en Libye

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Une unité des forces spéciales britanniques (SAS – Special Air Service) composée d’au moins huit soldats, a été interceptée par des rebelles libyens dans l’est du pays, près de Benghazi. Interrogé sur cette arrestation, le Foreign Office a expliqué sans rire que les soldats escortaient un diplomate de Sa Gracieuse Majesté qui devait engager des contacts avec les opposants à Kadhafi. Nous vivons en république et vous êtes libre d’y croire.

Une thèse plus plausible pour expliquer la présence de nos supermen? Disons que depuis le début de la guerre civile, des équipes des forces spéciales opèrent un peu partout dans le pays, et –normalement- dans la plus grande discrétion. Les commandos d’élite sont en train de se positionner pour surveiller les installations stratégiques, recueillir des renseignements et se préparer à d’éventuelles frappes aériennes. Beaucoup de « bombes intelligentes » sont guidées vers leurs cibles par des rayons lasers et ce sont des commandos sur le terrain qui les « illuminent ».

Il faut dire aussi que pour le SAS, une mission en Libye est en quelque sorte un retour au bercail. C’est dans ce désert que l’unité a été créée en juillet 1941 par Sir David Stirling pour combattre, avec le succès qu’on sait, les troupes de Graziani puis celles de Rommel.

Retraité, Striling n’a pas perdu le goût de l’aventure et a fondé une boîte de mercenaires, KAS International. L’un des contrats le plus intéressant de KAS a été la tentative, en 1971, de se débarrasser de Kadhafi et de renverser son régime – alors presque neuf mais déjà voyou. Stirling a malheureusement échoué. Espérons que ses héritiers feront mieux aujourd’hui. Pour le moment, cela semble mal barré. En tout cas, pour expliquer officiellement leur ingérence en Libye, le Foreign Office pourrait simplement dire qu’il s’agit d’un pèlerinage. C’est d’autant plus crédible que l’hymne du SAS débute ainsi « Nous sommes les pèlerins »…

Galliano: Moix entend des voix

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Avec ses poses de pourfendeur germanopratin du racisme gallianoesque, Yann Moix se prend les pieds dans le tapis. Il ne s’est pas donné la peine de se livrer à la moindre vérification, préférant sur-interpréter ce qu’il s’attendait à entendre. Pour reprendre le titre d’un ouvrage consacré aux compagnons de route de l’URSS d’hier, Moix voit ce qu’il croit.

Dans une interview lénifiante datée du 3 mars et lisible sur le site de la Règle du Jeu de son pote BHL, Yann Moix, faisant référence à une fameuse vidéo diffusée par The Sun, analyse avec une rigueur tout botulienne les propos avinés de John Galliano – épouvantail malpensant du moment.
Et de pontifier : « On peut parfaitement entendre, sur le film, affirme Moix, que Galliano souhaite que les juifs soient gazés, mais on ne peut l’entendre dire qu’il souhaite que des « putain de juifs » soient gazés. »

On a donc tenté de « parfaitement entendre » ; manque de pot, sur la vidéo en question, à aucun moment le couturier ne prononce le mot « juifs ». Certes, il proclame pathétiquement son amour pour Hitler (avec lequel il partage un penchant suspect pour la petite moustache) et s’adresse d’une manière nauséabonde à ceux qui le filment en assurant qu’ils auraient dû être gazés. Mais jamais il n’exprime le souhait que « les juifs soient gazés ». Qu’il le pense très fort est une autre question, qui ne donne pas le droit à Moix d’élaborer une théorie qui d’ailleurs ferait pouffer Barthes et Lacan s’ils étaient abonnés à la Règle du jeu. Pauvre de Moix !

C’est un point de détail, comme dirait l’autre, car au fond, la seule attitude raisonnable serait de traiter par le mépris les divagations d’un ivrogne dépressif et maquillé sur Hitler, les juifs, le point de croix voire la météo, comme le développe avec justesse Marc Cohen dans ces colonnes. On peut en conclure que Yann Moix devrait soit écouter la bande-son des vidéos qu’il regarde (on n’ira pas jusqu’à lui demander de faire de même avec ses films, on n’est pas des bêtes), soit apprendre l’anglais : Galliano à Berlin, Moix chez Berlitz !

Malthus, fais-moi peur!

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Dans un article publié dansLesEchos.fr, Jeffrey D. Sachs, directeur de l’Institut de la Terre à l’université de Columbia, estime que la combinaison de la croissance de la population mondiale et son gigantesque enrichissement au cours des dernières décennies avec le réchauffement climatique risquent d’entrainer une « grave crise politique, économique et sociale ». D’après monsieur Sachs, le pire peut encore être évité si « nous convertissons nos économies à des sources d’énergies renouvelables et à des méthodes de production agricole durable et adoptons une taxation raisonnable des riches ». Bref, si nous confions la gestion de la catastrophe à venir à nos États.

Il faut que je vous raconte une histoire : en 1968, Paul Ehrlich, biologiste américain de l’université de Stanford, publie The Population Bomb. La thèse développée par Ehrlich dans son best-seller est un condensé de pessimisme malthusien : pour lui, la croissance de la population mondiale engendrera des famines massives au cours des années 1970 et 1980. Ehrlich, un petit peu comme monsieur Sachs, en appelle aux gouvernements pour qu’ils mettent en place, le plus vite possible, des politiques coercitives destinées à éviter la catastrophe imminente. Après tout, quoi de plus logique ? Nous vivons dans un monde de ressources limitées et la population mondiale explose : l’idée selon laquelle nous devrions être confrontés à des pénuries de ressources naturelles et donc à une augmentation du prix desdites ressources semble tout ce qu’il y a de plus raisonnable.

En 1980, un professeur d’économie nommé Julian Simon lança un défi au biologiste : il s’agissait de parier sur le prix de 5 matières premières choisies par Ehrlich à la date que celui-ci voudrait. Si, à la date choisie, les prix (ajustés de l’inflation) des ressources naturelles sélectionnées étaient effectivement plus élevé qu’en 1980, l’économiste devait payer la différence et dans le cas contraire, c’est Ehrlich qui devrait payer Simon. Après avoir consulté John Harte et John Holdren, deux physiciens de l’université de Berkeley, Ehrlich accepta le pari et, le 29 septembre 1980, misa 1 000 dollars sur la croissance des prix du cuivre, du chrome, du nickel, de l’étain et du tungstène au cours de la décennie à venir.

De 1980 à 1990, la population mondiale augmenta de 800 millions d’individus, la plus forte augmentation jamais observée jusque-là, mais le 29 septembre 1990 – quand le pari arriva à son terme – les prix des cinq métaux sélectionnés par Ehrlich avaient baissé – tous, sans aucune exception. Ehrlich avait perdu son pari et – rendons lui cet honneur – honora son contrat en postant un chèque de $576.07 dollars à l’ordre de Simon. Il refusa en revanche de renouveler le pari.

Les thèses malthusiennes ont toujours eut cette particularité que de faire vendre énormément de livres et de rendre leurs auteurs célèbres tout en se révélant fausses a posteriori. Habituellement défendues par des biologistes, physiciens ou autres géologues parfaitement compétents dans leurs domaines respectifs mais qui ignorent tout du fonctionnement d’une économie, leurs prédictions apocalyptiques ont toujours été démenties par deux mécanismes très simples qui se mettent naturellement en branle quand une ressource se raréfie et que son prix monte : la hausse des cours incite les producteurs à produire plus ou à développer une alternative et les consommateurs à adapter leur consommation. Ce qui est nouveau cette fois, c’est que monsieur Sachs est aussi professeur d’économie.

Plutôt que de nous perdre dans de longues considérations théoriques et d’énumérer la longue liste des prédictions malthusiennes démenties par les faits, je propose un pari dont voici les termes : que monsieur Sachs choisisse cinq matières premières à sa convenance et une date distante d’au moins un an et nous miserons sur l’évolution future du prix de chacune de ces matières. Si, à la date choisie par monsieur Sachs, la valeur ajustée de l’inflation de ce panier a augmenté, je m’engage solennellement à lui payer la différence. Si, au contraire, la valeur du panier sélectionné par monsieur Sachs a diminué, il devra me payer la différence.

Monsieur Sachs, voulez-vous parier avec moi ?

What to dø ?

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Quand je fais une découverte, j’aime bien la partager ; après, « ça tombe où ça peut », comme disait à peu près Jésus.

En l’occurrence ce matin, après le turbin, je me suis enfin décidé à écouter sur Deezer The Dø, un groupe dont j’avais vaguement retenu une chanson : On my shoulders .

Passionnant ! direz-vous en retenant un bâillement poli. Eh bien, vous aurez tort. Rien que le nom de ce duo, déjà… D pour Dan le Français et O pour Olivia la Finlandaise, OK. Mais pourquoi ce o barré, qui n’existe même pas en finnois ? Tel est leur terrible secret : ces gens-là sont barrés et c’est ça qui fait leur prix.

Quant à la musique qu’ils produisent, elle ne laisse pas d’intriguer : «Entre folk intimiste et électro pop exaltée», dit la critique; bref, n’importe quoi (la critique, pas leur musique).

C’est seulement demain qu’on pourra découvrir leur nouvel album, et deux jours plus tard qu’ils seront au Trianon. Mais le mieux, puisqu’apparemment vous n’avez rien de mieux à faire de votre dimanche, c’est d’écouter déjà A Mouthful (2008) : vous verrez, The Dø met la barre très haut.