Accueil Site Page 2828

« Il n’y a plus d’État, même s’il en reste les apparences »

9

Causeur : Vous dénoncez nos gouvernants, qui « occupent le pouvoir sans l’exercer ». Une nouvelle affaire d’ « emplois fictifs » ?

Marie-France Garaud : Ce livre n’est pas polémique : j’avais déjà traité du délitement de nos institutions dans La Fête des fous[1. La Fête des fous. Qui a tué la Vème République ? (Plon, 2006)]…

Causeur :Permettez ! Ce livre-là va encore plus loin, en détaillant ce que vous appelez les «impostures politiques » : « Nous avons glissé de l’État à la société, de la souveraineté à l’identité et du gouvernement à la gestion ». Bref, il n’y a plus de pilote dans l’avion ! Reste à savoir s’il s’agit là vraiment d’un « mal français »… Et si c’était les contre-pouvoirs qui empêchaient, en France comme ailleurs, de gouverner ? Après tout, Obama a eu autant de difficultés avec sa réforme de la santé que Sarkozy avec les retraites…

MFG : Barack Obama, comme ses prédécesseurs, se heurte aux écueils du régime présidentiel : en cas de conflit, le président des Etats-Unis n’a pas le pouvoir de dissoudre le Congrès, et celui-ci n’a pas le droit de censurer le gouvernement. Sauf à se résigner au compromis, avec ce que ça comporte presque toujours d’imperfections, c’est le blocage. Les éternels partisans d’un régime présidentiel pour la France devraient y réfléchir.

C’est précisément pour sortir de l’impuissance du régime parlementaire français mode IIIe ou IVe République sans encourir ce genre d’inconvénients que le général De Gaulle a proposé aux Français les institutions de la Ve République.[access capability= »lire_inedits »]

Elles avaient le mérite de la clarté et, tant qu’elles ont été respectées, celui de l’efficacité : un président élu sur une ligne politique exposée aux citoyens lors de la campagne ; un premier ministre choisi par le président et entouré d’un gouvernement pour mettre en œuvre cette politique ; des députés élus pour voter les lois de la République. Mais, outre la fonction législative et puisqu’ils sont eux aussi les élus de la nation, les députés sont dotés d’un pouvoir éminemment politique, celui de censurer le gouvernement.

Si, usant de ce pouvoir, ils votent une motion de censure — à l’occasion d’une loi en discussion, du budget ou d’une question de politique générale —, le Président dispose de plusieurs possibilités. Il peut infléchir sa politique, éventuellement en modifiant le gouvernement ; mais il peut aussi, soit dissoudre l’Assemblée et provoquer de nouvelles élections législatives, soit soumettre directement la question aux citoyens par referendum et en tirer les conséquences.

L’idée maîtresse de la Ve République est celle du pouvoir donné aux citoyens. Encore faut-il que les députés attachent plus d’importance au mandat que leur donne le peuple qu’aux consignes des partis sous la bannière desquels ils se sont rangés. Tel était le cas initialement et il n’y avait pas, pendant les quinze premières années de la Ve République, de majorité figée, on oublie par exemple, lorsque l’on parle des « godillots » du Général, qu’une bonne trentaine ont quitté l’UNR en raison de leur opposition à l’indépendance de l’Algérie…votée en revanche par des députés catalogués centristes ou de gauche.
Des « majorités d’idées », selon la formule d’Edgar Faure, se constituaient – ou non – en fonction des problèmes, et c’était parfaitement sain. Mais les partis ont repris le pouvoir : d’abord grâce à François Mitterrand qui, face à De Gaulle, voulait appuyer sa démarche sur une sorte d’armée d’opposition : ce fut « l’Union de la gauche », qui n’a d’ailleurs pas survécu longtemps au succès de son inventeur.
Mais le coup le plus rude porté à la liberté des députés est sans doute venu du rôle considérable réservé aux partis dans le financement des campagnes législatives. Nombre de candidats et d’élus deviennent ainsi, par la force des choses, des obligés du parti, des sortes d’apparatchiks. C’est une déviance majeure du régime parlementaire démocratique.

Je me souviens d’un parlementaire détaillant avec conviction, à la télévision, les raisons pour lesquelles la France ne devait en aucun cas rentrer dans le commandement intégré de l’Otan — avant d’affirmer, en réponse à une question, qu’il ne voterait pas contre cette décision…parce qu’il appartenait à la majorité. Quand les intérêts du peuple, que tout député a reçu mandat de défendre, pèsent ainsi moins lourd que les consignes du parti, nous ne sommes déjà plus en démocratie !
Force est d’ailleurs de constater que les institutions, depuis plus de trente ans, n’ont pas cessé de s’effilocher, notamment avec la cohabitation…

N’importe qui doué de bon sens sait que l’on ne peut diriger quoi que ce soit avec deux chefs qui tirent et poussent en sens contraire. D’ailleurs, après avoir longtemps chanté : dans les sondages, les louanges de la cohabitation, les Français reconnaissent, expérience faite, qu’il aurait mieux valu l’éviter.

Causeur : Cette démocratie parlementaire que vous mettez en cause, c’est quand même la règle en France depuis les années 1870 – et le régime gaullien l’exception…

MFG : Personne ne prétend, je crois, que les institutions telles qu’elles fonctionnaient à la fin de la IIIe République et sous la IVe étaient un modèle du genre ! Le sport favori du Parlement consistait à renverser les gouvernements, dont la durée moyenne était de quelques mois ; et les Français, à ce spectacle, oscillaient, entre l’ironie et l’exaspération. On sait où cela nous a menés !
Non, il faut un équilibre institutionnel et, dans la Ve République, la Constitution détermine le rôle important du Parlement : il a le pouvoir législatif et dispose d’un pouvoir de contrôle ; ce n’est pas parce qu’il l’exerce imparfaitement qu’il faut l’oublier.

Ce qui est nouveau, c’est le principe selon lequel la volonté du peuple constitue, en tant que telle, la source directe du pouvoir du chef de l’Etat et en marque aussi les limites. Si le peule rejette les choix et la ligne tracée par celui-ci, si son adhésion fait défaut, le Président ne peut ni imposer sa volonté ni s’imposer lui-même.

Cette exigence est au cœur des institutions. Elle a été trop vite oubliée, mais pourtant elle relève de l’esprit et de l’honnêteté, au-delà du droit et des textes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle De Gaulle a voulu le referendum de 1969.

Causeur : La Chambre introuvable élue en juin 1968 ne l’avait donc pas satisfait ?

MFG : Non, justement ! Il savait qu’après les « événements » de 1968, la victoire aux législatives de 1968 ne signifiait pas une adhésion du peuple à ce qu’il voulait faire pour la suite. Il avait besoin de vérifier que les Français approuvaient ce qu’il leur proposait, de vérifier sa légitimité sur ces projets. Le référendum de 1969 n’était ni un prétexte ni un caprice : c’était, dans son esprit, la continuation du referendum de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel — déjà extrêmement controversé sept ans plus tôt.

Le Général savait bien que la centralisation a structuré la France au cours de son histoire – ce qui constitue d’ailleurs une profonde différence avec l’Allemagne. Il savait aussi que ce centralisme, rigidifié au fil du temps, était devenu source de paralysie et qu’il était quasiment non-réformable, engendrant ses propres défenses.

Il fallait une sorte de révolution pour redonner au pays de l’air et de la mobilité. Il fallait donner aux Français la capacité de décider ce qui les concernait directement. Ils avaient acquis, en 1962, le droit de choisir le Président de la République, ils allaient acquérir celui de gérer une large part de compétences.
Je crois que, dans l’esprit du Général, les régions (sans doute élargies aux provinces) devaient apporter à la France la diversité qui lui manque et que l’on trouve dans des pays voisins. Mais Pompidou, qui aurait sans doute mieux su expliquer l’affaire aux Français, était parti, et Valéry Giscard d’Estaing prit position pour le non…

Quant à ceux qui participaient à la rédaction du projet, tous étaient issus des grands corps de l’Etat. Comment voulez-vous que les grands corps de l’Etat préparent efficacement un referendum destiné à éclater, au moins partiellement, leur pouvoir ? C’était impossible — et les résultats l’ont prouvé.

Causeur : Si l’objectif était de mieux représenter l’hétérogénéité française, pourquoi la Cinquième fonctionne-t-elle sur le bipartisme ?

MFG : Mais le bipartisme n’a jamais été inscrit dans le projet constitutionnel, au contraire ! Lorsque De Gaulle a présenté la Constitution aux Français en 1958, place de la République, au jour anniversaire de la proclamation de la République en 1870, il a dit ce qu’il en pensait : si les partis s’emparaient de nouveau des institutions, ce serait « une catastrophe nationale » ! Nous y sommes.

Encore une fois, c’est François Mitterrand qui a redonné un rôle majeur aux partis pour faire échec à celui dont il s’était constitué le rival. Il suffit de lire le « Coup d’État permanent » pour comprendre la violence de cette rivalité.

Face à la « gauche » unifiée, il s’est créé, surtout après les élections présidentielles de 1974, une « droite » : c’est cela qui conduira au bipartisme, puis à la cohabitation théorisée par Edouard Balladur, et donc à la fin de la Ve République telle qu’elle avait été conçue.

Causeur : Pour vous, ces impostures sont graves parce qu’elles compromettent les chances de survie de la France dans le « nouvel ordre mondial » ?

MFG : Les bouleversements qui se produisent dans le monde exigent une analyse lucide. Quelle en est l’ampleur ? Quels en seront les développements et les conséquences ? Quelle forme va prendre l’Europe ? Quel sera le poids de l’Asie ? Quelle sera notre place, à nous Français, dans les fantastiques mutations en cours ?

Lorsque le mur de Berlin est tombé, en novembre 1989, nous avons attribué la chute du système soviétique à l’attraction irrésistible de la démocratie et nous avons cru à l’avènement de ce « nouvel ordre mondial » invoqué par les Etats-Unis. Nous découvrons maintenant que le monde nouveau n’est pas aux couleurs de nos rêves.

Les lieux du pouvoir se déplacent vers l’Est, vers l’Allemagne en Europe, vers l’Asie pour l’ensemble. Si l’Europe a retrouvé son unité avec la réunification allemande… elle renoue par là même avec un tropisme historique vers l’Est. Si l’entrée, dans le jeu mondial de deux milliards et demi d’être vivants est signe de liberté, les pays « émergents » ne nous laisseront pas oublier longtemps qu’ils sont les héritiers des empires les plus anciens et les plus puissants du monde.

Causeur : À vous lire, l’Allemagne jouerait bien mieux que nous le jeu européen… Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous, les Allemands ?

MFG : Ils ont la volonté de construire un Etat fort dans et par l’Europe, et cette fois sans la guerre. A cette fin, ils développent leur stratégie en fonction des réalités européennes et germaniques.
Nous étions quelques-uns à voir dès la fin des années 1980, mais surtout à l’occasion du traité de Maastricht, en 1992, que l’organisation européenne en construction était plus allemande qu’européenne et que la France serait perdante dans l’affaire. Nous avons alors dit et répété que notre République serait ainsi privée peu à peu de la liberté de décider de ses choix politiques, y compris de ses dépendances — bref de cette liberté que, pour un Etat, on appelle souveraineté.
Ce que nous n’avions pas vu alors, c’est que l’Allemagne poursuivait un chemin inverse du nôtre et construisait, elle, sa souveraineté

La France et l’Allemagne, sont issues ensemble d’une même source très ancienne, le traité de Verdun, acte de partage de l’Empire de Charlemagne. Mais nos histoires parallèles sont bien différentes et, par voie de conséquence, nos conceptions de l’Europe aussi.
D’un côté, dès le XIIIème siècle et Philippe le Bel, la France était unifiée, forte et constituée en Etat souverain : « Le roi est empereur en son royaume »…. Elle n’avait aucunement besoin de l’Europe pour exister, mais concevait celle-ci comme un relais vers l’universalité du monde.
De l’autre les Germains, qui n’étaient pas parvenus à s’inscrire dans un territoire délimité par des frontières, avaient été ballottés pendant des siècles dans l’empire romain germanique jusqu’à son effondrement… Les expériences des Reichs n’ayant pas laissé de bons souvenirs, ils se sont retrouvés dans la situation d’un ensemble hétérogène politiquement inexistant, attendant leur unification de l’Europe elle-même. .
Pour nous, l’Europe n’a jamais été autre chose qu’un élargissement de l’Etat, né de la conquête. Pour l’Allemagne, elle est le chemin par lequel il lui est possible de se constituer enfin en Etat, mais à une double condition.

D’abord que l’Europe soit fédérale, car le fédéralisme seul permet d’assumer la diversité germanique, de la Prusse à la Bavière… Paradoxalement, ce sont les Alliés qui, en 1945, ont imposé une structure fédérale à l’Allemagne vaincue pour empêcher un nouveau Reich… Mais les Allemands ont admirablement compris l’usage qu’ils pouvaient en faire : assumer dans ce cadre pluriel leur diversité pour établir (enfin !) un Etat sans recourir à la guerre.

Seconde condition : l’ensemble devait comporter un élément permettant de structurer cette diversité. Quel serait cet élément structurant ? Mais la monnaie unique évidemment, réclamée par le chancelier Kohl lui-même lors du traité de Maastricht !

Depuis quelques décennies, l’Allemagne est en train de se construire sous nos yeux, et avec quel dynamisme ! C’est son droit, et sa démarche ne doit pas nous empêcher de rechercher avec elle un partenariat équilibré. Encore faudrait-il que nous organisions les conditions de cet équilibre.

Causeur : Dans les démocraties, disons, mûres, la crise de l’exercice du pouvoir est générale. Quelle est donc la spécificité française ?

MFG : La richesse de son histoire, ses talents… et un coupable aveuglement né de notre narcissisme. C’est évident dans nos rapports avec l’Allemagne, nous venons d’en parler. Nous voudrions qu’elle soit comme nous, qu’elle nous ressemble, en plus brutale et en plus rustique peut-être, parce que plus à l’Est, mais pas essentiellement différente… Nous voudrions qu’elle soit un Etat comme celui auquel notre passé nous a habitués. Rien n’est plus faux !

L’histoire de l’Allemagne étant différente de la nôtre, ses structures le sont aussi. C’est une démocratie, mais son fonctionnement est singulier parce qu’elle est fédérale. Son peuple est souverain, mais dans les lander. Ce n’est donc pas le Président ou le Chancelier, mais la Cour constitutionnelle qui est garante de cette souveraineté construite patiemment, sous nos yeux, alors même que nous abandonnions la nôtre avec armes et bagages dans les traités européens.

Nous ne « battons plus monnaie », nos lois sont décidées à Bruxelles et notre justice soumise au contrôle des juges européens ; nous avons même perdu l’autonomie de nos actions guerrières en entrant dans le commandement intégré de l’OTAN. Voilà pourquoi il n’y a plus d’Etat, même s’il en reste les apparences, et nous mesurons cet effacement dans notre rapport au monde. Pendant ce temps notre voisine se dote, sous l’autorité de la Cour de constitutionnelle de ²Karlsruhe, de ces « éléments intangibles de souveraineté » qui conditionnent la puissance politique.

Mais nous ne voulons pas voir ce qui nous obligerait à des révisions drastiques ; alors, nous nous contentons de plus en plus souvent du rôle de suiveur. C’est une erreur et une faute : la paix, au nom de laquelle nous acceptons toutes les concessions, repose davantage sur l’équilibre des rapports de force que sur les sourires et les amabilités. Nous ne pourrons pas faire avec l’Allemagne un « couple », selon la formule consacrée, si nous ne prenons pas en compte nos « différences », c’est à dire notre dissymétrie.
Lorsque l’on dit aujourd’hui : « Il faut se réindustrialiser ! », – ce qui souligne d’ailleurs que nous nous sommes désindustrialisés – c’est en effet l’expression d’une urgence, mais nous avons du chemin à faire pour rattraper l’Allemagne.

En attendant, nous abandonnons les atouts stratégiques dont nous disposions et dont notre partenaire allemand était dépourvu : le nucléaire civil et militaire ; le partenariat établi dès 1966 avec la Russie dans le domaine de l’espace ; les liens noués avec la Chine par la reconnaissance décidée par De Gaulle, avant celle de tous les grand pays occidentaux ou presque !
Un tel comportement ne permet pas de penser qu’un rapport de forces équilibré, c’est-à-dire fructueux, pourrait se rétablir prochainement entre la France et l’Allemagne.

Causeur : Ce « relâchement » nous condamne-t-il à perdre définitivement la main dans la nouvelle donne géopolitique ?

MFG : On peut gagner un poker avec une paire de dix… Encore faut-il savoir jouer ! Mais notre relâchement vient de loin : en dehors des quinze années où de Gaulle a gouverné la France, suivi par Pompidou dans un court laps de temps, jamais nous n’avons cessé d’être soumis à des décisions étrangères, de succomber à une permanente tentation de l’effacement. Peut-être la France est-elle souveraine depuis si longtemps qu’elle ne sait pas encore les inconvénients à ne plus l’être. Peut-être est-elle fatiguée d’une longue histoire…

Je me souviens d’avoir vu un jour, à Nice, sur la porte d’un café, un petit panneau sur lequel était écrit « Fermé pour cause de fatigue ». Il y a des jours où l’on se demande si la France n’est pas fatiguée… Et pourtant ce n’est pas le moment, car les temps qui s’annoncent ne seront pas faciles. Le retour de l’Asie dans le jeu mondial constitue une révolution sismique dont les « répliques » seront nombreuses et rudes.
Mais je veux croire que la France sortira de sa léthargie, car il y aura encore dans son peuple des aventuriers. Ils existent, même si on ne les voit pas. Et dans son histoire, notre pays a toujours été sauvé par les aventuriers : ceux qui savent risquer leur vie pour une cause qu’ils jugent grande.

Causeur : Le salut par les aventuriers ?

MFG : La France s’est construite au fil de l’épée. Avant d’être comtes, ducs et pairs, ceux qui la firent savaient manier les armes, juger des enjeux et prendre tous les risques. Jeanne d’Arc était une femme, mais quelle aventure elle conduisit ! Plus tard, c’est le peuple qui s’est battu à Valmy, puis sous l’Empire et en 14-18. Enfin, y eut-il plus noble aventurier que De Gaulle en 1939, et ceux qui le suivirent ?
Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui prennent des risques — et pas seulement dans le Dakar : mais en jouant leur vie pour en sauver d’autres.

Il est vrai que la France est devenue une république bourgeoise – et les bourgeois ne sont pas faits pour gouverner, mais plutôt pour faire des affaires, pour gérer. Ce n’est d’ailleurs ni condamnable, ni inutile ; simplement, cela ne suffit pas dans les temps difficiles.

Causeur : Dans la dérive géopolitique des continents que vous décrivez, quelles sont donc les chances de survie d’une France rapetissée et ramollie ?

MFG : Le retour des pays d’Asie dans la mondialisation est certainement l’événement majeur de notre temps. Jusqu’aux années 1990, la mondialisation fonctionnait dans un ensemble relativement homogène : l’Europe et les Etats-Unis — qui d’ailleurs l’avaient conçue. Elle était en quelque sorte le corollaire économique du libéralisme politique théorisé par Tocqueville.

Le libéralisme économique avait déjà connu des problèmes quand on avait tenté de l’appliquer dans des régions moins homogènes comme l’Amérique latine. Et au moment de la chute du Mur, on a carrément cru pouvoir l’étendre au monde entier ! Or il apparaît de plus en plus nettement qu’il y a une contradiction irréductible entre mondialisation et libéralisme tocquevillien.

Causeur : Le libéralisme ne peut-il donc prospérer que dans des sociétés restreintes, voire fermées ?

MFG : Non, mais il repose sur le principe que le Bien de chacun participe au Bien de tous. Or si cela peut être vrai dans une société homogène, mais ça ne l’est plus du tout à l’échelle d’un monde largement hétérogène ! Dans cette configuration la liberté ne lie plus les hommes, elle les divise au contraire et les oppose. Elle est brandie par les plus forts, tandis que les faibles réclament l’égalité — et l’on oublie alors que le cœur de la démocratie est l’établissement de la liberté par l’égalité de la loi.
La mondialisation a de nouveau fait de l’homme un loup pour l’homme. Les interrogations des philosophes, tels René Girard ou Marcel Gauchet, sur ce problème crucial sont éloquentes, qu’ils en tirent ou non les mêmes conclusions.

Un tel bouleversement des rapports de forces et des mentalités peut être comparé dans l’Histoire à celui qui a entraîné la chute de l’Empire romain il y a quinze siècle.

Causeur : Brrr… Pour éviter d’être entraînée dans cette chute, que devrait faire la France ?

MFG : D’abord recouvrer la liberté politique, c’est dire sa souveraineté abandonnée. Et que l’on ne nous dise pas que c’est contraire à la solidarité européenne : l’Allemagne y arrive bien, à partir des mêmes traités.
Les Français attendent quelque chose, mais je ne suis pas sûr qu’ils espèrent vraiment…

Causeur : On y revient : la France n’est pas gouvernée ! Mais c’est quoi, être gouverné ?

MFG : La situation internationale instable exige, de la part des responsables politiques, la plus grande vigilance. Or en France, pendant la dernière campagne présidentielle, nous n’avons pas entendu un mot sur ces questions — ni d’ailleurs à l’occasion des récents remaniements. Les médias parlent des partis, et les partis parlent des « réformes ». Mais quelles réformes, et pour quoi faire ? Tout le monde sait, par exemple, que dans trois ans on ne pourra plus financer les retraites. Alors, forcément les Français se disent : « Nous ne sommes pas conduits. »

Causeur : On vous voit beaucoup à la télévision depuis quelques mois… Avez-vous l’impression d’être aussi entendue ?

MFG : Si tel est le cas, tant mieux. J’apporte ma toute petite pierre. Je sais que les Français attendent quelque chose, mais je ne suis pas sûre qu’ils espèrent vraiment, et cela serait le pire.

Causeur : C’est tout un programme que vous venez de développer ! Voyez-vous, dans le paysage politique, quelqu’un capable de le réaliser ?

MFG : Je me demande si ma vue ne baisse pas, avec l’âge…[/access]

La fête des fous: Qui a tué la Ve République ?

Price: 12,11 €

29 used & new available from 2,06 €

Netanyahou victime du printemps arabe

67

S’il pensait trouver quelque répit en raison de la perplexité provoquée en Occident – au-delà de l’euphorie affichée – par les révoltes arabes, Benyamin Netanyahou a dû rapidement déchanter. Les événements de Tunisie, d’Égypte et alentours n’ont fait, bien au contraire, que renforcer la tendance des principaux acteurs de la scène politique mondiale à accentuer la pression sur Israël pour qu’il reprenne les négociations de paix avec l’Autorité palestinienne. Chaque jour qui passe représente un tour de vis supplémentaire réduisant l’espace où Bibi Netanyahou peut encore manœuvrer.

L’analyse qui prévaut actuellement dans les cercles dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne est qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le processus de démocratisation enclenché dans ces pays. Certes, les foules du Caire ou de Tunis n’ont pas brûlé Obama en effigie, ni hurlé des slogans réclamant la destruction de l’entité sioniste. Cependant, tout est encore possible, même le pire : les mouvements populaires, moteurs des révoltes tunisiennes et égyptiennes, n’ont pas encore fait émerger en leur sein des dirigeants ou des formations politiques démocratiques capables de s’imposer. En revanche, les formations islamistes (Ennahda en Tunisie et Frères musulmans en Égypte), fortement appuyées par la chaine Al Jazeera, dont l’influence s’est notablement accrue dans ces pays, se préparent sans bruit pour les prochaines échéances électorales. L’accueil triomphal réservé par un million d’Égyptiens au télé-prédicateur Youssef Al Qardawi n’a pas retenu toute l’attention qu’elle méritait dans nos grands médias. On se demande bien pourquoi…

Les États-Unis et les pays de l’Union européenne n’ont, pour l’heure, qu’une idée en tête : faire oublier aux sociétés arabes en ébullition leur soutien constant, par le passé, aux despotes déchus, au nom de la stabilité régionale et du danger islamo-terroriste. Pour restaurer leur crédibilité auprès d’une opinion publique qui aura désormais plus de poids sur ses nouveaux dirigeants que par le passé, ils doivent montrer qu’il sont capables d’imposer à Israël les concessions sans lesquelles un Etat palestinien ne saurait voir le jour : arrêt des constructions dans les implantations de Cisjordanie, fixation des frontières sur la base de celles de 1967, avec des aménagements mineurs sous forme d’échanges de territoires, Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien. Les spécialistes désignent cet ensemble sous le nom de « paramètres Clinton », car ils avaient été mis sur la table en 2000 par le président américain de l’époque.

L’évolution de la situation dans le monde arabe a aussi permis à Barack Obama de sortir de l’impasse où l’avait enfermé Benyamin Netanyahou en refusant de prolonger le moratoire sur les constructions dans les implantations. Avec une habileté certaine, il  a commencé par deux gestes qui démontrent, aux yeux des Israéliens et de leurs soutiens aux États-Unis (les organisations juives et une partie importante du Congrès) qu’il ne transige pas avec la sécurité de l’État juif et ne le laisse pas seul face au lynchage diplomatique onusien : le missile antimissile Hetz, conçu et réalisé par les Israéliens en collaboration avec Boeing vient d’être testé avec succès au large des côtes de Californie. Il devrait mettre à l’abri Israël des attaques de missiles à moyenne portée possédés actuellement par l’Iran et la Syrie.

D’autre part, l’administration Obama a opposé son véto à une résolution présentée au Conseil de Sécurité par les États arabes qui condamne très fermement la colonisation de la Cisjordanie. Ce véto était d’autant plus délicat que les termes de la résolution reprenaient quasiment mot pour mot des déclarations de la Maison Blanche ou du Département d’État sur la question…

Fait nouveau, l’ensemble des pays de l’UE actuellement membres du Conseil de sécurité – France et Grande-Bretagne, membres permanents, Allemagne et Portugal, membres pour 2011-2012 –  votent en faveur de cette résolution, alors qu’auparavant, lors de votes similaires, certains Européens, dont justement l’Allemagne et le Portugal, avaient voté contre ou s’étaient abstenus. Le Premier ministre israélien s’est fait sèchement rembarrer par Angela Merkel lorsqu’il l’a appelée pour se plaindre du vote allemand à l’ONU.

Pour la première fois, on sent donc que l’UE parle d’une seule voix pour faire comprendre à Bibi que ça va bien comme ça, et que s’il ne se bouge pas vite fait pour faire exister l’État palestinien, il risque de gros ennuis diplomatiques. Nicolas Sarkozy a exprimé ce même point de vue, avec ménagements, mais sans équivoque dans son discours au dîner du CRIF, et ce n’est pas l’arrivée de Juppé au Quai d’Orsay qui présage d’un assouplissement possible de la position française sur la question : le maire de Bordeaux est resté, sur ce point d’une orthodoxie chiraquienne sans faille. L’israélophilie galopante prêtée – à tort – à Nicolas Sarkozy lors de son entrée en fonction s’est en tout cas fracassée sur le mur d’incompréhension qui s’est établi entre lui et le premier ministre d’Israël lors de leurs divers tête-à-tête, notamment celui où Nicolas suggéra à Bibi de virer Avigdor Lieberman et de s’allier avec Tzipi Livni…

Le seul service que peuvent encore rendre les «  poids lourds » de l’UE à Israël c’est d’empêcher, pour un temps, quelques-uns des pays membres de l’Union d’imiter les Etats d’Amérique du Sud, qui, à la suite d’Hugo Chavez, ont formellement reconnu l’Etat palestinien dans les frontières de 1967. Cela démange notamment les pays nordiques et même le petit Luxembourg, dont le ministre des affaires étrangères, Jean Asselborn, vient de donner au quotidien anglophone israélien Jérusalem Post un entretien musclé et dépourvu de toutes circonvolutions diplomatiques. Il ne doit plus rester au Conseil européen que le prince Schwarzenberg, chef de la diplomatie tchèque, pour plaider la cause d’Israël dans cette instance.

On peut comprendre que le gouvernement israélien actuel ressente comme une injustice de se voir coller sur le dos la seule responsabilité du blocage des négociations de paix : pendant neuf mois sur les dix qu’a duré le moratoire sur les constructions en Cisjordanie imposé par Netanyahou, Mahmoud Abbas s’est refusé à revenir à la table de négociations. Mais c’est ainsi, et tous les grands dirigeants israéliens ont compris un jour qu’il était suicidaire d’avoir raison contre tous. Ben Gourion, Begin, Rabin et Sharon ont dû prendre sur eux et consentir à des mouvements qui ne leur procuraient aucune joie intime.

L’heure a donc sonné pour Benyamin Netanyahou de montrer qu’il peut se hisser à leur hauteur, pour ne pas de sortir de l’Histoire par la petite porte, comme Itzhak Shamir.

Les coptes aux poubelles de l’histoire ?

89

Au Caire, une flambée de solidarité nationale et interconfessionnelle a fait avant hier 10 à 13 morts et plusieurs dizaines de blessés.  Les affrontements entre coptes et musulmans, les plus graves depuis le début de la révolution fin janvier, traduisent des tensions profondes et multiples entres les communautés. Cette fois-ci il s’agit au départ d’une église incendiée mais aussi d’une affaire « sentimentale ».

Les violences ont éclaté dans le quartier de Moukattam. Si ce nom vous semble vaguement familier vous n’avez pas tort : il s’agit en effet du « quartier » – ou plutôt du bidonville – où Sœur Emmanuelle a œuvré pendant une trentaine d’année.

Cette information doit nous rappeler que la communauté chrétienne égyptienne n’est pas composée que de VIP comme Boutros-Ghali mais aussi de chiffonniers comme les « zabbalines », les « hommes des déchets ».

L’une des figures de proue de la protestation copte est d’ailleurs le Père Metias Nasr, curé de la paroisse Sainte-Marie d’Ezbet-el Nakhl, où Sœur Emmanuelle a commencé son engagement auprès des zabbalines. Suite aux violences ceux-ci ont perdu certaines des installations construites pendant les années 1980-1990 – notamment grâce aux fonds levés par Sœur Emmanuelle – pour les aider à recycler les déchets.

S’il semble évident  que les Égyptiens ont arraché dans la rue quelques libertés, il faudra patienter un peu, surtout si l’on est copte, pour l’égalité, et l’on n’ose même pas penser à la fraternité…

Marine, l’idiote utile ?

317

Tout d’abord, un point de vocabulaire, afin de justifier mon titre. Parler d’« idiot utile », ce n’est pas une façon polie de traiter quelqu’un ou quelqu’une de gogol. Le français nous offre mille manières de le faire plus joliment, et surtout, le crétinisme n’est assurément pas la marque de fabrique congénitale des Le Pen, père ou fille.

L’expression « idiot utile » (apocryphement attribuée à Lénine pour parler des « compagnons de route » occidentaux du bolchévisme) définit couramment quelqu’un qui est complice d’un forfait à son corps défendant. Ainsi, à propos d’affaires anciennes, voire archéologiques, Elisabeth Lévy me qualifiait, en 2002, dans Les maîtres censeurs, d’« idiot utile de la direction du PCF », et depuis, j’ai toujours pensé et dit que cette histoire complexe ne pouvait être mieux résumée en si peu de mots. Et n’allez pas croire que je me prenne pour un con…

À titre d’exemple, on pourra ainsi dire qu’à mon avis, les militants alter, qui exigent des papiers pour tous et tout de suite sont les idiots utiles du grand (et du petit) capital, qui sait bien lui, que nos nouveaux arrivants tireront le salaire moyen vers le bas. Idem pour les juges et les travailleurs sociaux de Nantes et de Navarre qui, dans l’affaire Laetitia, ont si bien œuvré -avant et après les faits- pour redonner un peu d’oxygène à Nicolas Sarkozy. Ces exemples ne sont pas vraiment choisis au hasard, puisqu’à terme, ils signent la responsabilité écrasante de la gauche sociétale dans la mise en orbite de Marine Le Pen. Mais tel n’est pas l’objet de ce papier; ça, d’autres vous l’expliqueront mieux et plus précisément que moi…

Quant à Marine, si elle semble jouer les idiotes utiles, c’est bien évidement de l’échéance 2012 qu’il s’agit, et de la façon dont certains au PS et à l’UMP, se sont emparés du sondage de Louis Harris pour exiger qu’au nom de la patrie en danger et du vote utile réunis, on ne voie plus qu’une seule tête dans leurs camps respectifs.

À peine le sondage du Parisien était-il tombé que les porte-flingues de droite et de gauche braquaient le P38 sur la tempe du lecteur/électeur

Si celui-ci est plutôt UMP, c’est bien sûr au Fig qu’échoit la mission de lui faire la morale : comme nous l’y explique Paul-Henri de Limbert : « La question d’une candidature unique à droite est évidemment posée. Certaines personnalités de la majorité devraient se convaincre que ne pas se présenter, ce n’est pas forcément déchoir. Les candidatures de témoignage sont faites pour les époques tranquilles, pas pour les temps périlleux. »

Mais les candidatures non-officielles, pardon « de témoignage», ça devrait aussi être réglementé à gauche, plussoie aussitôt Paul Quinio dans son édito symétrique de Libé du même lundi : « La gauche ne pourra pas se contenter d’accuser le chef de l’Etat et la majorité de jouer avec le feu Le Pen. (…) Une fois la compétition lancée, si la gauche radicale devait renvoyer Sarkozy et le candidat socialiste dos à dos, elle apporterait alors de l’eau au moulin frontiste. Une multiplication des candidatures à gauche, au-delà du raisonnable, affaiblirait aussi ses chances de victoire. »

Marine, complice de l’ « UMPS » ?

Borloo, Villepin, Morin Mélenchon Besancenot et Eva Joly? Tous lepénistes de fait donc, et bientôt de droit, qui sait ? On fait confiance à Dominique Sopo, Romain Goupil ou Yann Moix pour nous expliquer que toute candidature hors PS et UMP fait le jeu du nazisme et doit donc être mise hors-la-loi. J’exagère ? Attendez un peu… Bref on nous rejoue ce que Muray appela génialement durant l’entre-deux-tours de 2002 la « quinzaine anti-Le Pen », sauf que là, on va en prendre pour quinze mois !

Ce qui se profile donc à l’horizon, gros comme un camion de pompiers, c’est l’institutionnalisation du bipartisme la plus radicale qu’on puisse imaginer, puisqu’elle ne prendrait pas racine dans les textes, mais dans les têtes. Et c’est là qu’on pourrait, à première vue, parler de Marine comme d’une idiote utile, dans la mesure où elle tire les marrons du feu au seul bénéfice de ce qu’elle appelle l’ «UMPS».

Sauf que non. Chez ces deux supposés frères ennemis, l’affaire Louis Harris n’affaiblit pas uniformément tous les prétendants : elle renforce de fait les positions respectives de Sarkozy et de DSK. Il faut être bouché à l’émeri post-trotskyste pour affirmer comme l’a fait Jean-Michel Helvig dans la République des Pyrénées que le président est le grand perdant de ce sondage (Qu’ont fait les malheureux Palois pour mériter ce cataplasme ?). Et ce n’est pas pour rien que 60 députés PS viennent de presser Martine Aubry d’officialiser sa candidature, comme s’il n’était pas déjà trop tard pour sortir du bois.

Sans chercher aucun complot, ni aucun pacte secret, on voit à qui profite la dramaturgie de ces trois derniers jours : consubstantiellement aux deux poids lourds précités ET à Marine Le Pen. Plus elle progresse, plus Sarko et DSK renforcent leur mainmise sur la droite et la gauche. Et plus le débat entre « républicains » sera confisqué par ces deux-là au détriment des autres prétendants puis des autres candidats, plus Marine Le Pen sera à même de capitaliser presque tous les mécontentements, y compris dans les bataillons d’abstentionnistes des milieux populaires.

En résumé, et en tout cynisme partagé :
– Sarkozy a vraiment besoin d’une Marine forte pour balayer la concurrence à droite au premier tour
– DSK, lui, est moins menacé pour atteindre le second tour, mais il a besoin de MLP pour régler auparavant la question des primaires.
– Marine a besoin que le débat droite/gauche ne soit qu’un débat Sarko/DSK pour espérer atteindre 25% dès le premier tour et 10 points de plus au second. Cette communauté d’intérêts entre nos trois larrons étant désormais scellée, m’est avis qu’on en prend le chemin

Sarkozy, DSK, MLP : à l’arrivée, au soir du premier tour, il y aura un perdant et un gagnant, mais il n’y aura pas de perdante.

La faute à Dirty Harris?

26

En pronostiquant que Marine Le Pen serait devant DSK, devant Martine Aubry, devant François Hollande et devant Nicolas Sarkozy, s’imposant ainsi pour le second tour de la présidentielle, les sondages traduisent une situation que certains jugent insupportable, presque irréelle, donc fausse…

Pour arriver à ce résultat inacceptable il a bien fallu, nous dit-on, que l’institut Harris Interactive manipule d’une façon ou d’une autre les chiffres, la composition du panel, les questions et que sais-je encore…. Haro sur le baudet !!

Médiapart, jamais en retard dans la dénonciation, indique que les personnes interrogées seraient payées ce qui, on en conviendra, est de nature à jeter l’opprobre sur la spontanéité des réponses.

En fait, une loterie a été ouverte aux 1600 personnes choisies permettant à l’une d’entre elles, tirée au sort, de gagner un gros lot de 7.000€. Ce n’est pas tout à fait la corruption suggérée, mais une forme d’incitation ludique ou vénale (au choix, selon son rapport personnel à l’argent et au jeu) pour attirer des participants. Reproche somme doute véniel quand on sait que la rémunération sur Internet pour ce type de sondage est, si j’ose dire, monnaie courante.

Mais enfin, quand on tient l’une des possibles explications de ces sondages inouïs, on ne va pas la lâcher si facilement. Alors immédiatement on embraye sur l’indignation suscitée par cette grossière instrumentalisation de l’opinion et on se promet de pondre une loi qui moralisera les sondages et par la même occasion remettra Marine Le Pen à la seule place qui devrait être la sienne: suffisamment près des candidats PS et UMP pour faire peur, mais en troisième position, quand même.

Peut-être trouverons-nous de courageux parlementaires pour suggérer une proposition de loi visant à interdire les sondages dont les résultats mettraient Marine Le Pen trop en tête ou, pour reprendre la démonstration de Jérôme Leroy, mettrait Marine Le Pen trop dans les têtes de tous.

A poursuivre ainsi, je crains que nous n’ignorions la réalité de notre vieux pays où la faillite des élites associée à son discrédit, la sclérose du jeu politique, les fatwas jetées sur trop de sujets qui inquiètent et l’absence de réponses ont créé au-delà d’une France d’en haut et d’en bas, une France d’à côté. Celle là même qui s’exprime à 24% et dont on peut penser, au vu de l’exaspération ambiante qu’elle pourrait représenter davantage encore.

D’autres sondages sont à venir…

Arab Pride

6

Les Arabes n’ont plus honte d’être arabes : voilà ce qui, suite à cet hiver chaud, semble acquis. Personne ne sait aujourd’hui de quoi le lendemain arabe sera fait mais, déjà, quelque chose a changé dans le regard que beaucoup d’Arabes portent sur eux-mêmes. Bien au-delà des sociétés directement concernées, une forme de fierté par procuration fait désormais partie de l’« arabitude ». Nous avons au minimum assisté à une révolution de l’imaginaire collectif.[access capability= »lire_inedits »]

Diffuse, confuse et insaisissable, comme toutes les appartenances, l’identité arabe existe. Elle n’est pas seulement incarnée par une langue et un héritage culturel communs mais aussi par un sentiment qui s’apparente, même s’il n’en a pas la force (comme le prouvent les clivages politiques au sein du monde arabe) au sentiment national. Il y a un demi-siècle, de l’Atlantique à l’Euphrate, il a fait vibrer des millions d’Arabes qui écoutaient le discours de Gamal Abdel Nasser.

La relative modestie des troubles − au moins pour le moment − qui secouent le Maroc et l’Algérie s’explique en partie par le fait que ces pays ne peuvent se définir que partiellement par l’identité arabe. Le substrat berbère de la vieille nation marocaine et le caractère artificiel de l’identité nationale algérienne forgée par l’État-FLN font obstacle à la contagion révolutionnaire qui reflète la géographie d’une arabité aussi prégnante à Tunis et au Caire qu’elle est inconsistante à Casa ou à Alger.

Jusque-là, l’humiliation était l’incontournable mantra du malheur arabe

Le narratif qui portait jusque-là cette arabitude témoignait d’un passé glorieux mais lointain, suivi d’une succession de catastrophes aboutissant à une misère économique, sociale et culturelle, le tout sur fond d’humiliation, incontournable mantra du « malheur arabe ». Ceux qui se voyaient comme les héritiers de guerriers partis du désert, de stratèges chassant les Croisés, de poètes, philosophes, astronomes, médecins et navigateurs de génie, vivaient à l’ombre de l’Occident, donc en marge de l’Histoire. Même la décolonisation, inaugurée en 1952 par des officiers égyptiens et arrivée à son paroxysme avec l’indépendance algérienne une décennie plus tard, n’a pas suffi à effacer ce sentiment destructeur, nourri par des défaites successives.
Contrairement à la thèse d’Édouard Saïd, le problème venait du regard que les Arabes portaient sur eux-mêmes bien plus que de l’image « orientaliste » qu’avaient d’eux les Occidentaux.

Plusieurs décennies après la mort de Nasser et l’évaporation de son panarabisme, quand les télés du monde entier diffusaient les images d’un Saddam Hussein sale et hirsute déterré de son terrier par des soldats américains, un chauffeur de taxi à Damas interrogé par le New York Times avouait avoir eu envie de pleurer. Comme des millions de gens, il ne voyait pas la chute d’un dictateur sanguinaire déchu, mais la énième humiliation d’un Arabe par des Occidentaux.

Les raisons profondes de ce perpétuel − et parfois bien commode − sentiment d’humiliation sont trop complexes pour les définir rapidement. Notons seulement que d’autres peuples colonisés, d’autres groupes vaincus n’ont pas ressassé leurs défaites et échecs en adoptant collectivement la posture de l’offensé. Les évolutions divergentes de l’Inde et du Pakistan, dont l’histoire commune a pris fin en 1947, démontrent que le ressentiment face à l’Occident, infiniment plus tangible à Karachi qu’à Bombay, ne découle pas automatiquement d’une expérience coloniale douloureuse.

Les peuples refusent désormais la tutelle nationale qui a remplacé les puissances coloniales

Il est probable que, dans le monde arabe, la décolonisation est arrivée trop tôt, portée par des élites nationales trop restreintes qui ont initié et dirigé les révolutions des années 1950 et 1960 pour en devenir par la suite les seules bénéficiaires. Au lieu d’accéder au statut de citoyens, les anciens colonisés des empires français et britannique sont devenus les sujets de leurs despotes locaux. Dans cette perspective, les « révolutions arabes » sont donc la phase ultime de la décolonisation. Désormais, les peuples refusent la tutelle nationale qui a remplacé les puissances coloniales et exigent d’être traités en adultes. On ne peut que s’en réjouir.

Si les soulèvements populaires intervenus en Tunisie, en Égypte et en Libye constituent une rupture considérable, c’est donc d’abord parce qu’ils inaugurent un roman collectif radicalement différent de celui de la colonisation, de la décolonisation et de l’indépendance façon Kadhafi ou Ben Ali. Pour écrire ce nouveau chapitre de leur histoire, les Arabes cessent de rechercher des boucs émissaires et s’approprient enfin la grammaire à laquelle ils se reprochaient − ou, plus encore, reprochaient à l’Occident − de n’avoir pas accès : responsabilité, prise en main de son propre destin, critique des institutions. Et, last but not least, c’est l’histoire d’une maîtrise de la technologie. Même si l’évaluation du rôle d’Internet reste à faire, dans le récit médiatique repris en chœur par l’opinion publique mondiale, il s’agit bien de « révolutions Facebook » (et Twitter). Et quelle que soit la part de mythologie, l’un des rares individus dont le visage a émergé de ces foules révoltées est bien, dans la vraie vie, cadre supérieur chez Google.

L’invention de Gutenberg a mis des siècles à pénétrer le monde arabe : en Égypte, la première presse a été importée par Napoléon. Deux siècles plus tard, des populations mobilisées par leur jeunesse et autour d’elle s’approprient les produits et services de Bill Gates, Larry Page, Sergueï Brin et Mark Zuckerberg. Les Arabes ont enfin en propre le récit glorieux d’une victoire porteuse d’une promesse de progrès, c’est-à-dire le bien le plus précieux qu’un groupe humain puisse posséder.[/access]

Islam : demain j’enlève le débat

Alors qu’en terre d’islam, les peuples se mettent à congédier leurs dictateurs en rêvant, semble-t-il, de démocratie, je perds patience devant les hésitations, les prudences et les lenteurs de notre vie démocratique pour résoudre les problèmes que nous pose l’islam et je me mets à rêver de dictateur.

Ça branle dans le manche en Arabie. Les gens se rebiffent contre ces souverains qui règnent en pachas. Des foules excédées et déterminées font tomber des tyrans. Les régimes ne tiennent que par la répression et les plus féroces étouffent dans l’œuf toute tentative de rassemblement populaire comme en Iran, en Algérie ou à Gaza. Au Yémen, le président débordé tente de rappeler à son bon peuple que tous les problèmes viennent de Tel Aviv mais ça ne prend plus ou en tout cas, ça ne suffit plus. Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution. Ou plutôt des révolutions.

Ben Ali est tombé à la première secousse dans un piège vieux comme l’Etat d’Israël. Une puissance qu’il croyait alliée lui a conseillé un exil provisoire et il a perdu son pays. Tant mieux pour les Tunisiens qui ont sûrement à cœur de reprendre la main sur les affaires nationales, de travailler à la renaissance d’une société libre et prospère où il fera bon vivre et rester au pays.

Moubarak a vu le coup venir mais lâché par Barak, il est resté mou et a dégringolé du haut de ses pyramides. La place Al-Tahrir a retrouvé son calme et si, à l’heure de la grande prière, on y entend des imams qui prêchent le meurtre des juifs, ça ne cause pas le moindre trouble à l’ordre public. Espérons que les fidèles écoutent leurs autorités religieuses avec aussi peu de sérieux que les Occidentaux éclairés suivent les préceptes du Pape. Espérons qu’ils retrouvent leur esprit quand ils se relèvent et retournent sur le net.
Kadhafi a besoin, pour tenter de maintenir son emprise sur la Libye, de mercenaires et de soutiens tribaux. Comme en Côte d’Ivoire, l’unité de la nation est un leurre et les fractures sont claniques ou tribales. Cette réalité politique, nous autres Européens la connaissons bien puisqu’elle s’esquisse à Marseille, se précise en Corse ou en Sicile. Et elle s’oppose à toute transition démocratique en Afrique. On voit bien dans ces contrées archaïques où sont les tyrans et les mafieux mais où est le peuple ? Peut-on alors parler de révolution populaire ou plutôt de renversements d’alliances et de guerres civiles ?

Ne péchons pas par excès d’occidentalo-morphisme

Ne nous emballons pas sur l’air du printemps des peuples arabes! En Irak, on a vu tomber la statue du Commandeur et depuis, les attentats sont quotidiens. On peut répéter bêtement que Bush est coupable mais ce sont des Irakiens qui s’entretuent et qui continueront de le faire bien après que les Américains seront partis. Partout, les imams dénoncent la corruption des régimes et rejoignent, dans les termes, les démocrates dans leur critique des tyrans occidentalisés. Mais les Iraniens ont compris à leurs dépens que la vertu des nouveaux maitres peut être plus effrayante que les magouilles des anciens.

Réjouissons-nous cependant que les voleurs soient chassés, espérons que les assassins seront pendus et que les hommes libérés (pour les femmes, on va attendre un peu) sauront décourager les vocations de raïs et remettre les inquisiteurs à leur place mais gardons-nous de pécher par excès d’occidentalo-morphisme en plaçant trop haut la barre démocratique. Le pouvoir au peuple, ça fait rêver mais qu’est ce qu’un peuple souverain sans l’égalité des droits entre les citoyens, sans individus émancipés de l’emprise de leur religion, de leur communauté, de leur clan ou de leur tribu, sans hommes et femmes éduqués, mangeant à leur faim et désireux de dépasser le sentiment d’humiliation et le désir de revanche ? Que deviendront ces masses en fusion, des nations en marche vers l’état de droit ou des collectivités livrées à leurs fureurs ? Quelle voie suivront-elles, celle des Juifs sionistes ou celle des Allemands nazis ? Espérons que les Arabes emprunteront la bonne route. Espérer, c’est tout ce que nous pouvons faire, nous ne sommes pas chez nous.

Si on ne doit pas faire la loi chez les autres, on peut encore, il faut y croire, la faire chez nous où l’heure n’est pas aux révoltes mais aux débats. On ne tire pas en l’air mais on commence à parler dans le vide. Les montagnes de parlottes et d’écrits sur l’identité nationale – ou plutôt sur le danger qu’il y aurait à en parler – ont accouché de souris, ce qui est toujours bon à prendre mais ne suffit pas. On a raison de débattre de la question essentielle de la nation qui est celle de son essence mais après, on fait quoi ? Y a-t-il dans ce pays quelqu’un pour choisir, décider, trancher et discriminer dans l’intérêt supérieur de la nation ? Y a-t-il un pilote dans l’avion nom de dieu ?

À quoi bon constater au sommet de l’Etat l’échec du multiculturalisme quand l’Education nationale continue de dispenser des cours de langue et de culture arabes ? À quoi sert-il de constater, avec toutes les réserves d’usage, le rapport ténu entre immigration, échec de l’intégration et insécurité, quand on bat des records d’Europe en matière d’accueil des étrangers et qu’on s’en félicite ? Pourquoi promettre une guerre contre le crime quand on ne peut rien exiger de juges qui font de la politique au tribunal et que les flics sont si peu autorisés à tirer quand on les affronte à l’arme lourde ? Est-ce pour cacher cette impuissance qu’un roulement de tambour annonce un nouveau débat ?

La France n’a pas besoin d’un débat sur l’islam mais l’islam a besoin d’un débat sur la France

On devait parler d’islam, on parlera de laïcité. On préfère les recadrages collectifs aux frappes ciblées. Il aurait été regrettable et discriminatoire de ne pas aborder les problèmes que posent les autres religions. Pour ne pas donner l’impression qu’il y a en France deux poids, deux mesures, chacun va pouvoir dire ce qu’il pense des juifs qui brûlent le Code pénal, des bouddhistes qui cognent les médecins, des catholiques qui refusent qu’on enseigne la Saint Barthélémy à leurs enfants, des protestants qui prient dans la rue et des adorateurs de la petite sirène qui veulent des horaires de piscines séparés pour qu’on ne rigole pas de leurs écailles.

Sans rire, on entend bien Mélenchon dénoncer le concordat alsacien, Caroline Fourest s’inquiéter des pratiques catholiques et un paquet d’autres s’étonner à haute voix que la collectivité entretienne les cathédrales. On peut les laisser dire mais si on les laisse faire, on finira par s’excuser d’avoir une histoire et un patrimoine.
En réalité, la France n’a pas besoin d’un débat sur l’islam mais l’islam aurait sûrement besoin d’un débat sur la France ou sur le monde libre en général pour savoir s’il a envie d’en faire partie. Les Français connaissent tous le sens du mot « laïcité » et si les derniers arrivés n’ont pas bien compris, qu’on leur adresse un exemplaire du règlement intérieur ou qu’on leur fasse un résumé des épisodes précédents. Pourquoi nous faut-il subir ce bla-bla ? Pour expliquer à la religion d’importation récente, sans la montrer du doigt car il ne faut surtout pas stigmatiser, que nous n’avons pas réduit nos corbeaux à l’impuissance pour nous laisser emmerder par des barbus venus d’ailleurs ?

Il n’y a rien à négocier alors de quoi parlerons-nous ? D’un financement public des mosquées ? J’entends déjà les termes du chantage qu’on nous présente comme un compromis raisonnable : l’argent saoudien, les prières dans la rue et les imams terroristes ou la main à la poche du contribuable. Mais comment ont fait et font encore les autres culs-bénits ? Nous avons la laïcité la plus avancée d’Europe, n’y touchons pas ! Les peuples de l’Union qui se sont raisonnablement accommodés avec leurs religions anciennes sont aujourd’hui assiégés par des revendications nouvelles. L’Europe sécularisée n’est pas une forteresse abritant un club chrétien, juste un barrage filtrant qui ouvre l’espace public à tous les individus et le ferme à leurs exigences religieuses.
Les termes de ce « débat » pourraient tenir dans un tract : « La République laïque, tu l’aimes, tu te débrouilles pour ton temple et tu restes discret ou tu la quittes ». Voilà comment ça a toujours marché pour les fous de dieu et les indélicats qui pratiquent l’impérialisme culturel. Un tract et une trique, et un chef pour manier habilement des deux, vite, avant qu’un dictateur s’impose.

Femmes, femmes, femmes

De Pyongyang à Neuilly en passant hélas par Bruxelles, ce 8 mars on a commémoré partout, comme chaque année, la journée internationale des femmes.

Entre nous vous voulez que je vous dise ?

ON S’EN TAPE !

La journée internationale des femmes, j’y croirai peut-être le jour où il y aura une journée internationale des hommes.

Françoise Giroud pensait que l’égalité serait acquise le jour où l’on verrait des femmes incompétentes à des postes de décision.

A mon avis, ça fait un certain temps que son vœu a été exaucé.

« Nous ne voterons pas la déchéance de nationalité »

Laurent Hénart, secrétaire général du Parti radical valoisien de Jean-Louis Borloo, député UMP, proposera aujourd’hui à l’Assemblée avec 70 députés de droite, de supprimer, dans la loi sur l’immigration la disposition qui prévoit la déchéance de nationalité pour les criminels récidivistes. Déjà supprimée par les sénateurs, certains députés de droite veulent mordicus la réintroduire lors de la seconde lecture de la loi.

Pourquoi demandez-vous la suppression de l’extension de déchéance de nationalité prévue par la loi ?

Nous avons déposé, avec 70 députés, aussi bien centristes, radicaux que sociaux comme Pierre Méhaignerie, un amendement supprimant cette disposition. Nous ne l’avions de toute façon pas votée en première lecture, le Sénat l’avait rejetée aussi. On voit bien qu’il est sage de s’arrêter là. Nous n’avons rien à dire sur le reste du texte qui n’est jamais que la transcription en droit français de certaines directives européennes en matière d’immigration. C’est même plutôt une bonne chose que de voir enfin un début de politique commune s’ébaucher en la matière.

Mais l’extension de la déchéance de nationalité aux personnes devenues françaises depuis moins de dix ans, coupables de crime à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, n’est même de nature à renforcer la sécurité dans notre pays. On se doute que cette perspective ne fera pas reculer une personne qui projette un tel crime ou qui est capable d’en commettre un. Surtout, cette mesure qui n’aura aucune valeur dissuasive risque surtout d’ouvrir un autre débat. La déchéance de nationalité, même dans ce cadre, introduirait une rupture grave de l’égalité entre les citoyens : il y aura ceux dont la nationalité est intangible, et ceux dont la nationalité sera révisable.

Une partie de la droite, je pense à la Droite populaire, a décidé d’en faire un symbole. Nous qui représentons l’aile sociale de la majorité voulons au contraire faire passer un autre message qui est que tous les Français, d’où qu’ils viennent, doivent adhérer au pacte national. Et que si on peut évidemment devenir français, cela donne des droits mais aussi des devoirs. Cette mesure sécuritaire inefficace est un symbole dont nous ne voulons pas.

L’arrivée en seconde lecture de ce texte en plein débat sur le débat islam/laïcité ne va-t-elle pas accroître la confusion ?

Chez les radicaux, nous avons toujours été fermes sur la laïcité. Elle n’a pas besoin qu’on y accole des adjectifs. La sphère publique doit être neutre : pas de signes distinctifs à l’école, pas de prières dans la rue. Il n’y a pas matière à débattre. Il faut être strict et traiter toutes les religions de la même façon, sinon, là encore, on risque de donner le sentiment à nos concitoyens, notamment musulmans, qu’il existe des droits et des devoirs à plusieurs vitesses. Certaines municipalités gèrent très bien les choses et arrivent à trouver des solutions pour ouvrir des mosquées ou installer des carrés musulmans dans les cimetières. Nous n’avons pas besoin pour cela de nouvelle loi : pas de nouveau texte sur le financement de ci ou l’organisation de ça. Veillons à ne pas donner l’impression que certaines religions sont privilégiées par l’Etat et d’autres maltraitées.

Que vous inspirent les deux sondages qui donnent Marine le Pen en tête au premier tour de la présidentielle ?

Ce vote populiste, voire extrémiste, est directement lié à la crise économique et sociale qui frappe la France. En l’absence de solutions réelles, les électeurs sont prêts à accepter des réponses simplistes : d’où l’accélération du transfert de voix entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen depuis l’automne. En focalisant le débat public sur les Roms, la sécurité, l’islam et de la laïcité, la majorité se tire une balle dans le pied : dans l’exploitation des peurs et des sentiments xénophobes, nous ne serons jamais les meilleurs, parce que notre discours ne pourra jamais être aussi brutal que celui tenu par Marine le Pen – heureusement d’ailleurs.

S’il y a un enseignement à tirer de ces sondages, c’est donc qu’il est temps de revenir aux attentes des Français : l’emploi, la réussite des jeunes, la justice sociale. D’ailleurs on voit bien que le chef de l’Etat hésite sur la meilleure stratégie pour la dernière année du quinquennat : d’un côté il lance, sans tabou, un débat sur les religions. Et de l’autre, il parle de l’emploi et de la formation des jeunes, de la lutte contre le chômage. La victoire de 2007 ne s’est pas jouée sur l’identité nationale, l’immigration ou la sécurité mais sur la réhabilitation de la valeur-travail et la lutte contre la désindustrialisation. Il serait temps de s’en souvenir.

 

Ségolène et les sondages : pas ça, pas elle !

26

And the winner is… Ségolène Royal ! Dans une compétition qui s’annonçait serrée, c’est en effet la présidente de Poitou-Charentes qui emporte haut la main la palme du commentaire le plus pitoyable sur le fameux sondage présidentiel Louis-Harris.

Interrogée par la presse hier soir, avant l’ouverture de son « Université populaire participative » sur « la valeur travail et la lutte contre le chômage », Ségo a fustigé les enquêtes d’opinion qui disent « tout et le contraire de tout » à quatorze mois de cette élection. Avant d’ajouter une petite phrase qui donne tout son sel à une critique des instituts qui serait sans doute recevable, à la seule condition qu’elle fût formulée par quelqu’un d’autre : « Cela fait longtemps que je pense que les sondages font partie d’une manipulation de l’opinion »

On évitera donc de se souvenir que c’est uniquement grâce à ces mêmes sondeurs, et au matraquage systématique d’enquêtes qui la donnaient systématiquement gagnante contre Sarko que Mme Royal a pu lancer et gagner son OPA sur la candidature socialiste à la présidentielle de 2007…

Tant qu’à dire quelque chose elle aurait mieux fait de la jouer sobre, tel Xavier Bertrand, qui pour défendre son président-candidat a déclaré ce matin sur Europe 1 : « Les sondages un an avant les élections ne se réalisent jamais ». Et ce n’est pas Mme Royal qui dira le contraire…

« Il n’y a plus d’État, même s’il en reste les apparences »

9

Causeur : Vous dénoncez nos gouvernants, qui « occupent le pouvoir sans l’exercer ». Une nouvelle affaire d’ « emplois fictifs » ?

Marie-France Garaud : Ce livre n’est pas polémique : j’avais déjà traité du délitement de nos institutions dans La Fête des fous[1. La Fête des fous. Qui a tué la Vème République ? (Plon, 2006)]…

Causeur :Permettez ! Ce livre-là va encore plus loin, en détaillant ce que vous appelez les «impostures politiques » : « Nous avons glissé de l’État à la société, de la souveraineté à l’identité et du gouvernement à la gestion ». Bref, il n’y a plus de pilote dans l’avion ! Reste à savoir s’il s’agit là vraiment d’un « mal français »… Et si c’était les contre-pouvoirs qui empêchaient, en France comme ailleurs, de gouverner ? Après tout, Obama a eu autant de difficultés avec sa réforme de la santé que Sarkozy avec les retraites…

MFG : Barack Obama, comme ses prédécesseurs, se heurte aux écueils du régime présidentiel : en cas de conflit, le président des Etats-Unis n’a pas le pouvoir de dissoudre le Congrès, et celui-ci n’a pas le droit de censurer le gouvernement. Sauf à se résigner au compromis, avec ce que ça comporte presque toujours d’imperfections, c’est le blocage. Les éternels partisans d’un régime présidentiel pour la France devraient y réfléchir.

C’est précisément pour sortir de l’impuissance du régime parlementaire français mode IIIe ou IVe République sans encourir ce genre d’inconvénients que le général De Gaulle a proposé aux Français les institutions de la Ve République.[access capability= »lire_inedits »]

Elles avaient le mérite de la clarté et, tant qu’elles ont été respectées, celui de l’efficacité : un président élu sur une ligne politique exposée aux citoyens lors de la campagne ; un premier ministre choisi par le président et entouré d’un gouvernement pour mettre en œuvre cette politique ; des députés élus pour voter les lois de la République. Mais, outre la fonction législative et puisqu’ils sont eux aussi les élus de la nation, les députés sont dotés d’un pouvoir éminemment politique, celui de censurer le gouvernement.

Si, usant de ce pouvoir, ils votent une motion de censure — à l’occasion d’une loi en discussion, du budget ou d’une question de politique générale —, le Président dispose de plusieurs possibilités. Il peut infléchir sa politique, éventuellement en modifiant le gouvernement ; mais il peut aussi, soit dissoudre l’Assemblée et provoquer de nouvelles élections législatives, soit soumettre directement la question aux citoyens par referendum et en tirer les conséquences.

L’idée maîtresse de la Ve République est celle du pouvoir donné aux citoyens. Encore faut-il que les députés attachent plus d’importance au mandat que leur donne le peuple qu’aux consignes des partis sous la bannière desquels ils se sont rangés. Tel était le cas initialement et il n’y avait pas, pendant les quinze premières années de la Ve République, de majorité figée, on oublie par exemple, lorsque l’on parle des « godillots » du Général, qu’une bonne trentaine ont quitté l’UNR en raison de leur opposition à l’indépendance de l’Algérie…votée en revanche par des députés catalogués centristes ou de gauche.
Des « majorités d’idées », selon la formule d’Edgar Faure, se constituaient – ou non – en fonction des problèmes, et c’était parfaitement sain. Mais les partis ont repris le pouvoir : d’abord grâce à François Mitterrand qui, face à De Gaulle, voulait appuyer sa démarche sur une sorte d’armée d’opposition : ce fut « l’Union de la gauche », qui n’a d’ailleurs pas survécu longtemps au succès de son inventeur.
Mais le coup le plus rude porté à la liberté des députés est sans doute venu du rôle considérable réservé aux partis dans le financement des campagnes législatives. Nombre de candidats et d’élus deviennent ainsi, par la force des choses, des obligés du parti, des sortes d’apparatchiks. C’est une déviance majeure du régime parlementaire démocratique.

Je me souviens d’un parlementaire détaillant avec conviction, à la télévision, les raisons pour lesquelles la France ne devait en aucun cas rentrer dans le commandement intégré de l’Otan — avant d’affirmer, en réponse à une question, qu’il ne voterait pas contre cette décision…parce qu’il appartenait à la majorité. Quand les intérêts du peuple, que tout député a reçu mandat de défendre, pèsent ainsi moins lourd que les consignes du parti, nous ne sommes déjà plus en démocratie !
Force est d’ailleurs de constater que les institutions, depuis plus de trente ans, n’ont pas cessé de s’effilocher, notamment avec la cohabitation…

N’importe qui doué de bon sens sait que l’on ne peut diriger quoi que ce soit avec deux chefs qui tirent et poussent en sens contraire. D’ailleurs, après avoir longtemps chanté : dans les sondages, les louanges de la cohabitation, les Français reconnaissent, expérience faite, qu’il aurait mieux valu l’éviter.

Causeur : Cette démocratie parlementaire que vous mettez en cause, c’est quand même la règle en France depuis les années 1870 – et le régime gaullien l’exception…

MFG : Personne ne prétend, je crois, que les institutions telles qu’elles fonctionnaient à la fin de la IIIe République et sous la IVe étaient un modèle du genre ! Le sport favori du Parlement consistait à renverser les gouvernements, dont la durée moyenne était de quelques mois ; et les Français, à ce spectacle, oscillaient, entre l’ironie et l’exaspération. On sait où cela nous a menés !
Non, il faut un équilibre institutionnel et, dans la Ve République, la Constitution détermine le rôle important du Parlement : il a le pouvoir législatif et dispose d’un pouvoir de contrôle ; ce n’est pas parce qu’il l’exerce imparfaitement qu’il faut l’oublier.

Ce qui est nouveau, c’est le principe selon lequel la volonté du peuple constitue, en tant que telle, la source directe du pouvoir du chef de l’Etat et en marque aussi les limites. Si le peule rejette les choix et la ligne tracée par celui-ci, si son adhésion fait défaut, le Président ne peut ni imposer sa volonté ni s’imposer lui-même.

Cette exigence est au cœur des institutions. Elle a été trop vite oubliée, mais pourtant elle relève de l’esprit et de l’honnêteté, au-delà du droit et des textes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle De Gaulle a voulu le referendum de 1969.

Causeur : La Chambre introuvable élue en juin 1968 ne l’avait donc pas satisfait ?

MFG : Non, justement ! Il savait qu’après les « événements » de 1968, la victoire aux législatives de 1968 ne signifiait pas une adhésion du peuple à ce qu’il voulait faire pour la suite. Il avait besoin de vérifier que les Français approuvaient ce qu’il leur proposait, de vérifier sa légitimité sur ces projets. Le référendum de 1969 n’était ni un prétexte ni un caprice : c’était, dans son esprit, la continuation du referendum de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel — déjà extrêmement controversé sept ans plus tôt.

Le Général savait bien que la centralisation a structuré la France au cours de son histoire – ce qui constitue d’ailleurs une profonde différence avec l’Allemagne. Il savait aussi que ce centralisme, rigidifié au fil du temps, était devenu source de paralysie et qu’il était quasiment non-réformable, engendrant ses propres défenses.

Il fallait une sorte de révolution pour redonner au pays de l’air et de la mobilité. Il fallait donner aux Français la capacité de décider ce qui les concernait directement. Ils avaient acquis, en 1962, le droit de choisir le Président de la République, ils allaient acquérir celui de gérer une large part de compétences.
Je crois que, dans l’esprit du Général, les régions (sans doute élargies aux provinces) devaient apporter à la France la diversité qui lui manque et que l’on trouve dans des pays voisins. Mais Pompidou, qui aurait sans doute mieux su expliquer l’affaire aux Français, était parti, et Valéry Giscard d’Estaing prit position pour le non…

Quant à ceux qui participaient à la rédaction du projet, tous étaient issus des grands corps de l’Etat. Comment voulez-vous que les grands corps de l’Etat préparent efficacement un referendum destiné à éclater, au moins partiellement, leur pouvoir ? C’était impossible — et les résultats l’ont prouvé.

Causeur : Si l’objectif était de mieux représenter l’hétérogénéité française, pourquoi la Cinquième fonctionne-t-elle sur le bipartisme ?

MFG : Mais le bipartisme n’a jamais été inscrit dans le projet constitutionnel, au contraire ! Lorsque De Gaulle a présenté la Constitution aux Français en 1958, place de la République, au jour anniversaire de la proclamation de la République en 1870, il a dit ce qu’il en pensait : si les partis s’emparaient de nouveau des institutions, ce serait « une catastrophe nationale » ! Nous y sommes.

Encore une fois, c’est François Mitterrand qui a redonné un rôle majeur aux partis pour faire échec à celui dont il s’était constitué le rival. Il suffit de lire le « Coup d’État permanent » pour comprendre la violence de cette rivalité.

Face à la « gauche » unifiée, il s’est créé, surtout après les élections présidentielles de 1974, une « droite » : c’est cela qui conduira au bipartisme, puis à la cohabitation théorisée par Edouard Balladur, et donc à la fin de la Ve République telle qu’elle avait été conçue.

Causeur : Pour vous, ces impostures sont graves parce qu’elles compromettent les chances de survie de la France dans le « nouvel ordre mondial » ?

MFG : Les bouleversements qui se produisent dans le monde exigent une analyse lucide. Quelle en est l’ampleur ? Quels en seront les développements et les conséquences ? Quelle forme va prendre l’Europe ? Quel sera le poids de l’Asie ? Quelle sera notre place, à nous Français, dans les fantastiques mutations en cours ?

Lorsque le mur de Berlin est tombé, en novembre 1989, nous avons attribué la chute du système soviétique à l’attraction irrésistible de la démocratie et nous avons cru à l’avènement de ce « nouvel ordre mondial » invoqué par les Etats-Unis. Nous découvrons maintenant que le monde nouveau n’est pas aux couleurs de nos rêves.

Les lieux du pouvoir se déplacent vers l’Est, vers l’Allemagne en Europe, vers l’Asie pour l’ensemble. Si l’Europe a retrouvé son unité avec la réunification allemande… elle renoue par là même avec un tropisme historique vers l’Est. Si l’entrée, dans le jeu mondial de deux milliards et demi d’être vivants est signe de liberté, les pays « émergents » ne nous laisseront pas oublier longtemps qu’ils sont les héritiers des empires les plus anciens et les plus puissants du monde.

Causeur : À vous lire, l’Allemagne jouerait bien mieux que nous le jeu européen… Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous, les Allemands ?

MFG : Ils ont la volonté de construire un Etat fort dans et par l’Europe, et cette fois sans la guerre. A cette fin, ils développent leur stratégie en fonction des réalités européennes et germaniques.
Nous étions quelques-uns à voir dès la fin des années 1980, mais surtout à l’occasion du traité de Maastricht, en 1992, que l’organisation européenne en construction était plus allemande qu’européenne et que la France serait perdante dans l’affaire. Nous avons alors dit et répété que notre République serait ainsi privée peu à peu de la liberté de décider de ses choix politiques, y compris de ses dépendances — bref de cette liberté que, pour un Etat, on appelle souveraineté.
Ce que nous n’avions pas vu alors, c’est que l’Allemagne poursuivait un chemin inverse du nôtre et construisait, elle, sa souveraineté

La France et l’Allemagne, sont issues ensemble d’une même source très ancienne, le traité de Verdun, acte de partage de l’Empire de Charlemagne. Mais nos histoires parallèles sont bien différentes et, par voie de conséquence, nos conceptions de l’Europe aussi.
D’un côté, dès le XIIIème siècle et Philippe le Bel, la France était unifiée, forte et constituée en Etat souverain : « Le roi est empereur en son royaume »…. Elle n’avait aucunement besoin de l’Europe pour exister, mais concevait celle-ci comme un relais vers l’universalité du monde.
De l’autre les Germains, qui n’étaient pas parvenus à s’inscrire dans un territoire délimité par des frontières, avaient été ballottés pendant des siècles dans l’empire romain germanique jusqu’à son effondrement… Les expériences des Reichs n’ayant pas laissé de bons souvenirs, ils se sont retrouvés dans la situation d’un ensemble hétérogène politiquement inexistant, attendant leur unification de l’Europe elle-même. .
Pour nous, l’Europe n’a jamais été autre chose qu’un élargissement de l’Etat, né de la conquête. Pour l’Allemagne, elle est le chemin par lequel il lui est possible de se constituer enfin en Etat, mais à une double condition.

D’abord que l’Europe soit fédérale, car le fédéralisme seul permet d’assumer la diversité germanique, de la Prusse à la Bavière… Paradoxalement, ce sont les Alliés qui, en 1945, ont imposé une structure fédérale à l’Allemagne vaincue pour empêcher un nouveau Reich… Mais les Allemands ont admirablement compris l’usage qu’ils pouvaient en faire : assumer dans ce cadre pluriel leur diversité pour établir (enfin !) un Etat sans recourir à la guerre.

Seconde condition : l’ensemble devait comporter un élément permettant de structurer cette diversité. Quel serait cet élément structurant ? Mais la monnaie unique évidemment, réclamée par le chancelier Kohl lui-même lors du traité de Maastricht !

Depuis quelques décennies, l’Allemagne est en train de se construire sous nos yeux, et avec quel dynamisme ! C’est son droit, et sa démarche ne doit pas nous empêcher de rechercher avec elle un partenariat équilibré. Encore faudrait-il que nous organisions les conditions de cet équilibre.

Causeur : Dans les démocraties, disons, mûres, la crise de l’exercice du pouvoir est générale. Quelle est donc la spécificité française ?

MFG : La richesse de son histoire, ses talents… et un coupable aveuglement né de notre narcissisme. C’est évident dans nos rapports avec l’Allemagne, nous venons d’en parler. Nous voudrions qu’elle soit comme nous, qu’elle nous ressemble, en plus brutale et en plus rustique peut-être, parce que plus à l’Est, mais pas essentiellement différente… Nous voudrions qu’elle soit un Etat comme celui auquel notre passé nous a habitués. Rien n’est plus faux !

L’histoire de l’Allemagne étant différente de la nôtre, ses structures le sont aussi. C’est une démocratie, mais son fonctionnement est singulier parce qu’elle est fédérale. Son peuple est souverain, mais dans les lander. Ce n’est donc pas le Président ou le Chancelier, mais la Cour constitutionnelle qui est garante de cette souveraineté construite patiemment, sous nos yeux, alors même que nous abandonnions la nôtre avec armes et bagages dans les traités européens.

Nous ne « battons plus monnaie », nos lois sont décidées à Bruxelles et notre justice soumise au contrôle des juges européens ; nous avons même perdu l’autonomie de nos actions guerrières en entrant dans le commandement intégré de l’OTAN. Voilà pourquoi il n’y a plus d’Etat, même s’il en reste les apparences, et nous mesurons cet effacement dans notre rapport au monde. Pendant ce temps notre voisine se dote, sous l’autorité de la Cour de constitutionnelle de ²Karlsruhe, de ces « éléments intangibles de souveraineté » qui conditionnent la puissance politique.

Mais nous ne voulons pas voir ce qui nous obligerait à des révisions drastiques ; alors, nous nous contentons de plus en plus souvent du rôle de suiveur. C’est une erreur et une faute : la paix, au nom de laquelle nous acceptons toutes les concessions, repose davantage sur l’équilibre des rapports de force que sur les sourires et les amabilités. Nous ne pourrons pas faire avec l’Allemagne un « couple », selon la formule consacrée, si nous ne prenons pas en compte nos « différences », c’est à dire notre dissymétrie.
Lorsque l’on dit aujourd’hui : « Il faut se réindustrialiser ! », – ce qui souligne d’ailleurs que nous nous sommes désindustrialisés – c’est en effet l’expression d’une urgence, mais nous avons du chemin à faire pour rattraper l’Allemagne.

En attendant, nous abandonnons les atouts stratégiques dont nous disposions et dont notre partenaire allemand était dépourvu : le nucléaire civil et militaire ; le partenariat établi dès 1966 avec la Russie dans le domaine de l’espace ; les liens noués avec la Chine par la reconnaissance décidée par De Gaulle, avant celle de tous les grand pays occidentaux ou presque !
Un tel comportement ne permet pas de penser qu’un rapport de forces équilibré, c’est-à-dire fructueux, pourrait se rétablir prochainement entre la France et l’Allemagne.

Causeur : Ce « relâchement » nous condamne-t-il à perdre définitivement la main dans la nouvelle donne géopolitique ?

MFG : On peut gagner un poker avec une paire de dix… Encore faut-il savoir jouer ! Mais notre relâchement vient de loin : en dehors des quinze années où de Gaulle a gouverné la France, suivi par Pompidou dans un court laps de temps, jamais nous n’avons cessé d’être soumis à des décisions étrangères, de succomber à une permanente tentation de l’effacement. Peut-être la France est-elle souveraine depuis si longtemps qu’elle ne sait pas encore les inconvénients à ne plus l’être. Peut-être est-elle fatiguée d’une longue histoire…

Je me souviens d’avoir vu un jour, à Nice, sur la porte d’un café, un petit panneau sur lequel était écrit « Fermé pour cause de fatigue ». Il y a des jours où l’on se demande si la France n’est pas fatiguée… Et pourtant ce n’est pas le moment, car les temps qui s’annoncent ne seront pas faciles. Le retour de l’Asie dans le jeu mondial constitue une révolution sismique dont les « répliques » seront nombreuses et rudes.
Mais je veux croire que la France sortira de sa léthargie, car il y aura encore dans son peuple des aventuriers. Ils existent, même si on ne les voit pas. Et dans son histoire, notre pays a toujours été sauvé par les aventuriers : ceux qui savent risquer leur vie pour une cause qu’ils jugent grande.

Causeur : Le salut par les aventuriers ?

MFG : La France s’est construite au fil de l’épée. Avant d’être comtes, ducs et pairs, ceux qui la firent savaient manier les armes, juger des enjeux et prendre tous les risques. Jeanne d’Arc était une femme, mais quelle aventure elle conduisit ! Plus tard, c’est le peuple qui s’est battu à Valmy, puis sous l’Empire et en 14-18. Enfin, y eut-il plus noble aventurier que De Gaulle en 1939, et ceux qui le suivirent ?
Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui prennent des risques — et pas seulement dans le Dakar : mais en jouant leur vie pour en sauver d’autres.

Il est vrai que la France est devenue une république bourgeoise – et les bourgeois ne sont pas faits pour gouverner, mais plutôt pour faire des affaires, pour gérer. Ce n’est d’ailleurs ni condamnable, ni inutile ; simplement, cela ne suffit pas dans les temps difficiles.

Causeur : Dans la dérive géopolitique des continents que vous décrivez, quelles sont donc les chances de survie d’une France rapetissée et ramollie ?

MFG : Le retour des pays d’Asie dans la mondialisation est certainement l’événement majeur de notre temps. Jusqu’aux années 1990, la mondialisation fonctionnait dans un ensemble relativement homogène : l’Europe et les Etats-Unis — qui d’ailleurs l’avaient conçue. Elle était en quelque sorte le corollaire économique du libéralisme politique théorisé par Tocqueville.

Le libéralisme économique avait déjà connu des problèmes quand on avait tenté de l’appliquer dans des régions moins homogènes comme l’Amérique latine. Et au moment de la chute du Mur, on a carrément cru pouvoir l’étendre au monde entier ! Or il apparaît de plus en plus nettement qu’il y a une contradiction irréductible entre mondialisation et libéralisme tocquevillien.

Causeur : Le libéralisme ne peut-il donc prospérer que dans des sociétés restreintes, voire fermées ?

MFG : Non, mais il repose sur le principe que le Bien de chacun participe au Bien de tous. Or si cela peut être vrai dans une société homogène, mais ça ne l’est plus du tout à l’échelle d’un monde largement hétérogène ! Dans cette configuration la liberté ne lie plus les hommes, elle les divise au contraire et les oppose. Elle est brandie par les plus forts, tandis que les faibles réclament l’égalité — et l’on oublie alors que le cœur de la démocratie est l’établissement de la liberté par l’égalité de la loi.
La mondialisation a de nouveau fait de l’homme un loup pour l’homme. Les interrogations des philosophes, tels René Girard ou Marcel Gauchet, sur ce problème crucial sont éloquentes, qu’ils en tirent ou non les mêmes conclusions.

Un tel bouleversement des rapports de forces et des mentalités peut être comparé dans l’Histoire à celui qui a entraîné la chute de l’Empire romain il y a quinze siècle.

Causeur : Brrr… Pour éviter d’être entraînée dans cette chute, que devrait faire la France ?

MFG : D’abord recouvrer la liberté politique, c’est dire sa souveraineté abandonnée. Et que l’on ne nous dise pas que c’est contraire à la solidarité européenne : l’Allemagne y arrive bien, à partir des mêmes traités.
Les Français attendent quelque chose, mais je ne suis pas sûr qu’ils espèrent vraiment…

Causeur : On y revient : la France n’est pas gouvernée ! Mais c’est quoi, être gouverné ?

MFG : La situation internationale instable exige, de la part des responsables politiques, la plus grande vigilance. Or en France, pendant la dernière campagne présidentielle, nous n’avons pas entendu un mot sur ces questions — ni d’ailleurs à l’occasion des récents remaniements. Les médias parlent des partis, et les partis parlent des « réformes ». Mais quelles réformes, et pour quoi faire ? Tout le monde sait, par exemple, que dans trois ans on ne pourra plus financer les retraites. Alors, forcément les Français se disent : « Nous ne sommes pas conduits. »

Causeur : On vous voit beaucoup à la télévision depuis quelques mois… Avez-vous l’impression d’être aussi entendue ?

MFG : Si tel est le cas, tant mieux. J’apporte ma toute petite pierre. Je sais que les Français attendent quelque chose, mais je ne suis pas sûre qu’ils espèrent vraiment, et cela serait le pire.

Causeur : C’est tout un programme que vous venez de développer ! Voyez-vous, dans le paysage politique, quelqu’un capable de le réaliser ?

MFG : Je me demande si ma vue ne baisse pas, avec l’âge…[/access]

La fête des fous: Qui a tué la Ve République ?

Price: 12,11 €

29 used & new available from 2,06 €

Netanyahou victime du printemps arabe

67

S’il pensait trouver quelque répit en raison de la perplexité provoquée en Occident – au-delà de l’euphorie affichée – par les révoltes arabes, Benyamin Netanyahou a dû rapidement déchanter. Les événements de Tunisie, d’Égypte et alentours n’ont fait, bien au contraire, que renforcer la tendance des principaux acteurs de la scène politique mondiale à accentuer la pression sur Israël pour qu’il reprenne les négociations de paix avec l’Autorité palestinienne. Chaque jour qui passe représente un tour de vis supplémentaire réduisant l’espace où Bibi Netanyahou peut encore manœuvrer.

L’analyse qui prévaut actuellement dans les cercles dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne est qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le processus de démocratisation enclenché dans ces pays. Certes, les foules du Caire ou de Tunis n’ont pas brûlé Obama en effigie, ni hurlé des slogans réclamant la destruction de l’entité sioniste. Cependant, tout est encore possible, même le pire : les mouvements populaires, moteurs des révoltes tunisiennes et égyptiennes, n’ont pas encore fait émerger en leur sein des dirigeants ou des formations politiques démocratiques capables de s’imposer. En revanche, les formations islamistes (Ennahda en Tunisie et Frères musulmans en Égypte), fortement appuyées par la chaine Al Jazeera, dont l’influence s’est notablement accrue dans ces pays, se préparent sans bruit pour les prochaines échéances électorales. L’accueil triomphal réservé par un million d’Égyptiens au télé-prédicateur Youssef Al Qardawi n’a pas retenu toute l’attention qu’elle méritait dans nos grands médias. On se demande bien pourquoi…

Les États-Unis et les pays de l’Union européenne n’ont, pour l’heure, qu’une idée en tête : faire oublier aux sociétés arabes en ébullition leur soutien constant, par le passé, aux despotes déchus, au nom de la stabilité régionale et du danger islamo-terroriste. Pour restaurer leur crédibilité auprès d’une opinion publique qui aura désormais plus de poids sur ses nouveaux dirigeants que par le passé, ils doivent montrer qu’il sont capables d’imposer à Israël les concessions sans lesquelles un Etat palestinien ne saurait voir le jour : arrêt des constructions dans les implantations de Cisjordanie, fixation des frontières sur la base de celles de 1967, avec des aménagements mineurs sous forme d’échanges de territoires, Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien. Les spécialistes désignent cet ensemble sous le nom de « paramètres Clinton », car ils avaient été mis sur la table en 2000 par le président américain de l’époque.

L’évolution de la situation dans le monde arabe a aussi permis à Barack Obama de sortir de l’impasse où l’avait enfermé Benyamin Netanyahou en refusant de prolonger le moratoire sur les constructions dans les implantations. Avec une habileté certaine, il  a commencé par deux gestes qui démontrent, aux yeux des Israéliens et de leurs soutiens aux États-Unis (les organisations juives et une partie importante du Congrès) qu’il ne transige pas avec la sécurité de l’État juif et ne le laisse pas seul face au lynchage diplomatique onusien : le missile antimissile Hetz, conçu et réalisé par les Israéliens en collaboration avec Boeing vient d’être testé avec succès au large des côtes de Californie. Il devrait mettre à l’abri Israël des attaques de missiles à moyenne portée possédés actuellement par l’Iran et la Syrie.

D’autre part, l’administration Obama a opposé son véto à une résolution présentée au Conseil de Sécurité par les États arabes qui condamne très fermement la colonisation de la Cisjordanie. Ce véto était d’autant plus délicat que les termes de la résolution reprenaient quasiment mot pour mot des déclarations de la Maison Blanche ou du Département d’État sur la question…

Fait nouveau, l’ensemble des pays de l’UE actuellement membres du Conseil de sécurité – France et Grande-Bretagne, membres permanents, Allemagne et Portugal, membres pour 2011-2012 –  votent en faveur de cette résolution, alors qu’auparavant, lors de votes similaires, certains Européens, dont justement l’Allemagne et le Portugal, avaient voté contre ou s’étaient abstenus. Le Premier ministre israélien s’est fait sèchement rembarrer par Angela Merkel lorsqu’il l’a appelée pour se plaindre du vote allemand à l’ONU.

Pour la première fois, on sent donc que l’UE parle d’une seule voix pour faire comprendre à Bibi que ça va bien comme ça, et que s’il ne se bouge pas vite fait pour faire exister l’État palestinien, il risque de gros ennuis diplomatiques. Nicolas Sarkozy a exprimé ce même point de vue, avec ménagements, mais sans équivoque dans son discours au dîner du CRIF, et ce n’est pas l’arrivée de Juppé au Quai d’Orsay qui présage d’un assouplissement possible de la position française sur la question : le maire de Bordeaux est resté, sur ce point d’une orthodoxie chiraquienne sans faille. L’israélophilie galopante prêtée – à tort – à Nicolas Sarkozy lors de son entrée en fonction s’est en tout cas fracassée sur le mur d’incompréhension qui s’est établi entre lui et le premier ministre d’Israël lors de leurs divers tête-à-tête, notamment celui où Nicolas suggéra à Bibi de virer Avigdor Lieberman et de s’allier avec Tzipi Livni…

Le seul service que peuvent encore rendre les «  poids lourds » de l’UE à Israël c’est d’empêcher, pour un temps, quelques-uns des pays membres de l’Union d’imiter les Etats d’Amérique du Sud, qui, à la suite d’Hugo Chavez, ont formellement reconnu l’Etat palestinien dans les frontières de 1967. Cela démange notamment les pays nordiques et même le petit Luxembourg, dont le ministre des affaires étrangères, Jean Asselborn, vient de donner au quotidien anglophone israélien Jérusalem Post un entretien musclé et dépourvu de toutes circonvolutions diplomatiques. Il ne doit plus rester au Conseil européen que le prince Schwarzenberg, chef de la diplomatie tchèque, pour plaider la cause d’Israël dans cette instance.

On peut comprendre que le gouvernement israélien actuel ressente comme une injustice de se voir coller sur le dos la seule responsabilité du blocage des négociations de paix : pendant neuf mois sur les dix qu’a duré le moratoire sur les constructions en Cisjordanie imposé par Netanyahou, Mahmoud Abbas s’est refusé à revenir à la table de négociations. Mais c’est ainsi, et tous les grands dirigeants israéliens ont compris un jour qu’il était suicidaire d’avoir raison contre tous. Ben Gourion, Begin, Rabin et Sharon ont dû prendre sur eux et consentir à des mouvements qui ne leur procuraient aucune joie intime.

L’heure a donc sonné pour Benyamin Netanyahou de montrer qu’il peut se hisser à leur hauteur, pour ne pas de sortir de l’Histoire par la petite porte, comme Itzhak Shamir.

Les coptes aux poubelles de l’histoire ?

89

Au Caire, une flambée de solidarité nationale et interconfessionnelle a fait avant hier 10 à 13 morts et plusieurs dizaines de blessés.  Les affrontements entre coptes et musulmans, les plus graves depuis le début de la révolution fin janvier, traduisent des tensions profondes et multiples entres les communautés. Cette fois-ci il s’agit au départ d’une église incendiée mais aussi d’une affaire « sentimentale ».

Les violences ont éclaté dans le quartier de Moukattam. Si ce nom vous semble vaguement familier vous n’avez pas tort : il s’agit en effet du « quartier » – ou plutôt du bidonville – où Sœur Emmanuelle a œuvré pendant une trentaine d’année.

Cette information doit nous rappeler que la communauté chrétienne égyptienne n’est pas composée que de VIP comme Boutros-Ghali mais aussi de chiffonniers comme les « zabbalines », les « hommes des déchets ».

L’une des figures de proue de la protestation copte est d’ailleurs le Père Metias Nasr, curé de la paroisse Sainte-Marie d’Ezbet-el Nakhl, où Sœur Emmanuelle a commencé son engagement auprès des zabbalines. Suite aux violences ceux-ci ont perdu certaines des installations construites pendant les années 1980-1990 – notamment grâce aux fonds levés par Sœur Emmanuelle – pour les aider à recycler les déchets.

S’il semble évident  que les Égyptiens ont arraché dans la rue quelques libertés, il faudra patienter un peu, surtout si l’on est copte, pour l’égalité, et l’on n’ose même pas penser à la fraternité…

Marine, l’idiote utile ?

317

Tout d’abord, un point de vocabulaire, afin de justifier mon titre. Parler d’« idiot utile », ce n’est pas une façon polie de traiter quelqu’un ou quelqu’une de gogol. Le français nous offre mille manières de le faire plus joliment, et surtout, le crétinisme n’est assurément pas la marque de fabrique congénitale des Le Pen, père ou fille.

L’expression « idiot utile » (apocryphement attribuée à Lénine pour parler des « compagnons de route » occidentaux du bolchévisme) définit couramment quelqu’un qui est complice d’un forfait à son corps défendant. Ainsi, à propos d’affaires anciennes, voire archéologiques, Elisabeth Lévy me qualifiait, en 2002, dans Les maîtres censeurs, d’« idiot utile de la direction du PCF », et depuis, j’ai toujours pensé et dit que cette histoire complexe ne pouvait être mieux résumée en si peu de mots. Et n’allez pas croire que je me prenne pour un con…

À titre d’exemple, on pourra ainsi dire qu’à mon avis, les militants alter, qui exigent des papiers pour tous et tout de suite sont les idiots utiles du grand (et du petit) capital, qui sait bien lui, que nos nouveaux arrivants tireront le salaire moyen vers le bas. Idem pour les juges et les travailleurs sociaux de Nantes et de Navarre qui, dans l’affaire Laetitia, ont si bien œuvré -avant et après les faits- pour redonner un peu d’oxygène à Nicolas Sarkozy. Ces exemples ne sont pas vraiment choisis au hasard, puisqu’à terme, ils signent la responsabilité écrasante de la gauche sociétale dans la mise en orbite de Marine Le Pen. Mais tel n’est pas l’objet de ce papier; ça, d’autres vous l’expliqueront mieux et plus précisément que moi…

Quant à Marine, si elle semble jouer les idiotes utiles, c’est bien évidement de l’échéance 2012 qu’il s’agit, et de la façon dont certains au PS et à l’UMP, se sont emparés du sondage de Louis Harris pour exiger qu’au nom de la patrie en danger et du vote utile réunis, on ne voie plus qu’une seule tête dans leurs camps respectifs.

À peine le sondage du Parisien était-il tombé que les porte-flingues de droite et de gauche braquaient le P38 sur la tempe du lecteur/électeur

Si celui-ci est plutôt UMP, c’est bien sûr au Fig qu’échoit la mission de lui faire la morale : comme nous l’y explique Paul-Henri de Limbert : « La question d’une candidature unique à droite est évidemment posée. Certaines personnalités de la majorité devraient se convaincre que ne pas se présenter, ce n’est pas forcément déchoir. Les candidatures de témoignage sont faites pour les époques tranquilles, pas pour les temps périlleux. »

Mais les candidatures non-officielles, pardon « de témoignage», ça devrait aussi être réglementé à gauche, plussoie aussitôt Paul Quinio dans son édito symétrique de Libé du même lundi : « La gauche ne pourra pas se contenter d’accuser le chef de l’Etat et la majorité de jouer avec le feu Le Pen. (…) Une fois la compétition lancée, si la gauche radicale devait renvoyer Sarkozy et le candidat socialiste dos à dos, elle apporterait alors de l’eau au moulin frontiste. Une multiplication des candidatures à gauche, au-delà du raisonnable, affaiblirait aussi ses chances de victoire. »

Marine, complice de l’ « UMPS » ?

Borloo, Villepin, Morin Mélenchon Besancenot et Eva Joly? Tous lepénistes de fait donc, et bientôt de droit, qui sait ? On fait confiance à Dominique Sopo, Romain Goupil ou Yann Moix pour nous expliquer que toute candidature hors PS et UMP fait le jeu du nazisme et doit donc être mise hors-la-loi. J’exagère ? Attendez un peu… Bref on nous rejoue ce que Muray appela génialement durant l’entre-deux-tours de 2002 la « quinzaine anti-Le Pen », sauf que là, on va en prendre pour quinze mois !

Ce qui se profile donc à l’horizon, gros comme un camion de pompiers, c’est l’institutionnalisation du bipartisme la plus radicale qu’on puisse imaginer, puisqu’elle ne prendrait pas racine dans les textes, mais dans les têtes. Et c’est là qu’on pourrait, à première vue, parler de Marine comme d’une idiote utile, dans la mesure où elle tire les marrons du feu au seul bénéfice de ce qu’elle appelle l’ «UMPS».

Sauf que non. Chez ces deux supposés frères ennemis, l’affaire Louis Harris n’affaiblit pas uniformément tous les prétendants : elle renforce de fait les positions respectives de Sarkozy et de DSK. Il faut être bouché à l’émeri post-trotskyste pour affirmer comme l’a fait Jean-Michel Helvig dans la République des Pyrénées que le président est le grand perdant de ce sondage (Qu’ont fait les malheureux Palois pour mériter ce cataplasme ?). Et ce n’est pas pour rien que 60 députés PS viennent de presser Martine Aubry d’officialiser sa candidature, comme s’il n’était pas déjà trop tard pour sortir du bois.

Sans chercher aucun complot, ni aucun pacte secret, on voit à qui profite la dramaturgie de ces trois derniers jours : consubstantiellement aux deux poids lourds précités ET à Marine Le Pen. Plus elle progresse, plus Sarko et DSK renforcent leur mainmise sur la droite et la gauche. Et plus le débat entre « républicains » sera confisqué par ces deux-là au détriment des autres prétendants puis des autres candidats, plus Marine Le Pen sera à même de capitaliser presque tous les mécontentements, y compris dans les bataillons d’abstentionnistes des milieux populaires.

En résumé, et en tout cynisme partagé :
– Sarkozy a vraiment besoin d’une Marine forte pour balayer la concurrence à droite au premier tour
– DSK, lui, est moins menacé pour atteindre le second tour, mais il a besoin de MLP pour régler auparavant la question des primaires.
– Marine a besoin que le débat droite/gauche ne soit qu’un débat Sarko/DSK pour espérer atteindre 25% dès le premier tour et 10 points de plus au second. Cette communauté d’intérêts entre nos trois larrons étant désormais scellée, m’est avis qu’on en prend le chemin

Sarkozy, DSK, MLP : à l’arrivée, au soir du premier tour, il y aura un perdant et un gagnant, mais il n’y aura pas de perdante.

La faute à Dirty Harris?

26

En pronostiquant que Marine Le Pen serait devant DSK, devant Martine Aubry, devant François Hollande et devant Nicolas Sarkozy, s’imposant ainsi pour le second tour de la présidentielle, les sondages traduisent une situation que certains jugent insupportable, presque irréelle, donc fausse…

Pour arriver à ce résultat inacceptable il a bien fallu, nous dit-on, que l’institut Harris Interactive manipule d’une façon ou d’une autre les chiffres, la composition du panel, les questions et que sais-je encore…. Haro sur le baudet !!

Médiapart, jamais en retard dans la dénonciation, indique que les personnes interrogées seraient payées ce qui, on en conviendra, est de nature à jeter l’opprobre sur la spontanéité des réponses.

En fait, une loterie a été ouverte aux 1600 personnes choisies permettant à l’une d’entre elles, tirée au sort, de gagner un gros lot de 7.000€. Ce n’est pas tout à fait la corruption suggérée, mais une forme d’incitation ludique ou vénale (au choix, selon son rapport personnel à l’argent et au jeu) pour attirer des participants. Reproche somme doute véniel quand on sait que la rémunération sur Internet pour ce type de sondage est, si j’ose dire, monnaie courante.

Mais enfin, quand on tient l’une des possibles explications de ces sondages inouïs, on ne va pas la lâcher si facilement. Alors immédiatement on embraye sur l’indignation suscitée par cette grossière instrumentalisation de l’opinion et on se promet de pondre une loi qui moralisera les sondages et par la même occasion remettra Marine Le Pen à la seule place qui devrait être la sienne: suffisamment près des candidats PS et UMP pour faire peur, mais en troisième position, quand même.

Peut-être trouverons-nous de courageux parlementaires pour suggérer une proposition de loi visant à interdire les sondages dont les résultats mettraient Marine Le Pen trop en tête ou, pour reprendre la démonstration de Jérôme Leroy, mettrait Marine Le Pen trop dans les têtes de tous.

A poursuivre ainsi, je crains que nous n’ignorions la réalité de notre vieux pays où la faillite des élites associée à son discrédit, la sclérose du jeu politique, les fatwas jetées sur trop de sujets qui inquiètent et l’absence de réponses ont créé au-delà d’une France d’en haut et d’en bas, une France d’à côté. Celle là même qui s’exprime à 24% et dont on peut penser, au vu de l’exaspération ambiante qu’elle pourrait représenter davantage encore.

D’autres sondages sont à venir…

Arab Pride

6

Les Arabes n’ont plus honte d’être arabes : voilà ce qui, suite à cet hiver chaud, semble acquis. Personne ne sait aujourd’hui de quoi le lendemain arabe sera fait mais, déjà, quelque chose a changé dans le regard que beaucoup d’Arabes portent sur eux-mêmes. Bien au-delà des sociétés directement concernées, une forme de fierté par procuration fait désormais partie de l’« arabitude ». Nous avons au minimum assisté à une révolution de l’imaginaire collectif.[access capability= »lire_inedits »]

Diffuse, confuse et insaisissable, comme toutes les appartenances, l’identité arabe existe. Elle n’est pas seulement incarnée par une langue et un héritage culturel communs mais aussi par un sentiment qui s’apparente, même s’il n’en a pas la force (comme le prouvent les clivages politiques au sein du monde arabe) au sentiment national. Il y a un demi-siècle, de l’Atlantique à l’Euphrate, il a fait vibrer des millions d’Arabes qui écoutaient le discours de Gamal Abdel Nasser.

La relative modestie des troubles − au moins pour le moment − qui secouent le Maroc et l’Algérie s’explique en partie par le fait que ces pays ne peuvent se définir que partiellement par l’identité arabe. Le substrat berbère de la vieille nation marocaine et le caractère artificiel de l’identité nationale algérienne forgée par l’État-FLN font obstacle à la contagion révolutionnaire qui reflète la géographie d’une arabité aussi prégnante à Tunis et au Caire qu’elle est inconsistante à Casa ou à Alger.

Jusque-là, l’humiliation était l’incontournable mantra du malheur arabe

Le narratif qui portait jusque-là cette arabitude témoignait d’un passé glorieux mais lointain, suivi d’une succession de catastrophes aboutissant à une misère économique, sociale et culturelle, le tout sur fond d’humiliation, incontournable mantra du « malheur arabe ». Ceux qui se voyaient comme les héritiers de guerriers partis du désert, de stratèges chassant les Croisés, de poètes, philosophes, astronomes, médecins et navigateurs de génie, vivaient à l’ombre de l’Occident, donc en marge de l’Histoire. Même la décolonisation, inaugurée en 1952 par des officiers égyptiens et arrivée à son paroxysme avec l’indépendance algérienne une décennie plus tard, n’a pas suffi à effacer ce sentiment destructeur, nourri par des défaites successives.
Contrairement à la thèse d’Édouard Saïd, le problème venait du regard que les Arabes portaient sur eux-mêmes bien plus que de l’image « orientaliste » qu’avaient d’eux les Occidentaux.

Plusieurs décennies après la mort de Nasser et l’évaporation de son panarabisme, quand les télés du monde entier diffusaient les images d’un Saddam Hussein sale et hirsute déterré de son terrier par des soldats américains, un chauffeur de taxi à Damas interrogé par le New York Times avouait avoir eu envie de pleurer. Comme des millions de gens, il ne voyait pas la chute d’un dictateur sanguinaire déchu, mais la énième humiliation d’un Arabe par des Occidentaux.

Les raisons profondes de ce perpétuel − et parfois bien commode − sentiment d’humiliation sont trop complexes pour les définir rapidement. Notons seulement que d’autres peuples colonisés, d’autres groupes vaincus n’ont pas ressassé leurs défaites et échecs en adoptant collectivement la posture de l’offensé. Les évolutions divergentes de l’Inde et du Pakistan, dont l’histoire commune a pris fin en 1947, démontrent que le ressentiment face à l’Occident, infiniment plus tangible à Karachi qu’à Bombay, ne découle pas automatiquement d’une expérience coloniale douloureuse.

Les peuples refusent désormais la tutelle nationale qui a remplacé les puissances coloniales

Il est probable que, dans le monde arabe, la décolonisation est arrivée trop tôt, portée par des élites nationales trop restreintes qui ont initié et dirigé les révolutions des années 1950 et 1960 pour en devenir par la suite les seules bénéficiaires. Au lieu d’accéder au statut de citoyens, les anciens colonisés des empires français et britannique sont devenus les sujets de leurs despotes locaux. Dans cette perspective, les « révolutions arabes » sont donc la phase ultime de la décolonisation. Désormais, les peuples refusent la tutelle nationale qui a remplacé les puissances coloniales et exigent d’être traités en adultes. On ne peut que s’en réjouir.

Si les soulèvements populaires intervenus en Tunisie, en Égypte et en Libye constituent une rupture considérable, c’est donc d’abord parce qu’ils inaugurent un roman collectif radicalement différent de celui de la colonisation, de la décolonisation et de l’indépendance façon Kadhafi ou Ben Ali. Pour écrire ce nouveau chapitre de leur histoire, les Arabes cessent de rechercher des boucs émissaires et s’approprient enfin la grammaire à laquelle ils se reprochaient − ou, plus encore, reprochaient à l’Occident − de n’avoir pas accès : responsabilité, prise en main de son propre destin, critique des institutions. Et, last but not least, c’est l’histoire d’une maîtrise de la technologie. Même si l’évaluation du rôle d’Internet reste à faire, dans le récit médiatique repris en chœur par l’opinion publique mondiale, il s’agit bien de « révolutions Facebook » (et Twitter). Et quelle que soit la part de mythologie, l’un des rares individus dont le visage a émergé de ces foules révoltées est bien, dans la vraie vie, cadre supérieur chez Google.

L’invention de Gutenberg a mis des siècles à pénétrer le monde arabe : en Égypte, la première presse a été importée par Napoléon. Deux siècles plus tard, des populations mobilisées par leur jeunesse et autour d’elle s’approprient les produits et services de Bill Gates, Larry Page, Sergueï Brin et Mark Zuckerberg. Les Arabes ont enfin en propre le récit glorieux d’une victoire porteuse d’une promesse de progrès, c’est-à-dire le bien le plus précieux qu’un groupe humain puisse posséder.[/access]

Islam : demain j’enlève le débat

711

Alors qu’en terre d’islam, les peuples se mettent à congédier leurs dictateurs en rêvant, semble-t-il, de démocratie, je perds patience devant les hésitations, les prudences et les lenteurs de notre vie démocratique pour résoudre les problèmes que nous pose l’islam et je me mets à rêver de dictateur.

Ça branle dans le manche en Arabie. Les gens se rebiffent contre ces souverains qui règnent en pachas. Des foules excédées et déterminées font tomber des tyrans. Les régimes ne tiennent que par la répression et les plus féroces étouffent dans l’œuf toute tentative de rassemblement populaire comme en Iran, en Algérie ou à Gaza. Au Yémen, le président débordé tente de rappeler à son bon peuple que tous les problèmes viennent de Tel Aviv mais ça ne prend plus ou en tout cas, ça ne suffit plus. Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution. Ou plutôt des révolutions.

Ben Ali est tombé à la première secousse dans un piège vieux comme l’Etat d’Israël. Une puissance qu’il croyait alliée lui a conseillé un exil provisoire et il a perdu son pays. Tant mieux pour les Tunisiens qui ont sûrement à cœur de reprendre la main sur les affaires nationales, de travailler à la renaissance d’une société libre et prospère où il fera bon vivre et rester au pays.

Moubarak a vu le coup venir mais lâché par Barak, il est resté mou et a dégringolé du haut de ses pyramides. La place Al-Tahrir a retrouvé son calme et si, à l’heure de la grande prière, on y entend des imams qui prêchent le meurtre des juifs, ça ne cause pas le moindre trouble à l’ordre public. Espérons que les fidèles écoutent leurs autorités religieuses avec aussi peu de sérieux que les Occidentaux éclairés suivent les préceptes du Pape. Espérons qu’ils retrouvent leur esprit quand ils se relèvent et retournent sur le net.
Kadhafi a besoin, pour tenter de maintenir son emprise sur la Libye, de mercenaires et de soutiens tribaux. Comme en Côte d’Ivoire, l’unité de la nation est un leurre et les fractures sont claniques ou tribales. Cette réalité politique, nous autres Européens la connaissons bien puisqu’elle s’esquisse à Marseille, se précise en Corse ou en Sicile. Et elle s’oppose à toute transition démocratique en Afrique. On voit bien dans ces contrées archaïques où sont les tyrans et les mafieux mais où est le peuple ? Peut-on alors parler de révolution populaire ou plutôt de renversements d’alliances et de guerres civiles ?

Ne péchons pas par excès d’occidentalo-morphisme

Ne nous emballons pas sur l’air du printemps des peuples arabes! En Irak, on a vu tomber la statue du Commandeur et depuis, les attentats sont quotidiens. On peut répéter bêtement que Bush est coupable mais ce sont des Irakiens qui s’entretuent et qui continueront de le faire bien après que les Américains seront partis. Partout, les imams dénoncent la corruption des régimes et rejoignent, dans les termes, les démocrates dans leur critique des tyrans occidentalisés. Mais les Iraniens ont compris à leurs dépens que la vertu des nouveaux maitres peut être plus effrayante que les magouilles des anciens.

Réjouissons-nous cependant que les voleurs soient chassés, espérons que les assassins seront pendus et que les hommes libérés (pour les femmes, on va attendre un peu) sauront décourager les vocations de raïs et remettre les inquisiteurs à leur place mais gardons-nous de pécher par excès d’occidentalo-morphisme en plaçant trop haut la barre démocratique. Le pouvoir au peuple, ça fait rêver mais qu’est ce qu’un peuple souverain sans l’égalité des droits entre les citoyens, sans individus émancipés de l’emprise de leur religion, de leur communauté, de leur clan ou de leur tribu, sans hommes et femmes éduqués, mangeant à leur faim et désireux de dépasser le sentiment d’humiliation et le désir de revanche ? Que deviendront ces masses en fusion, des nations en marche vers l’état de droit ou des collectivités livrées à leurs fureurs ? Quelle voie suivront-elles, celle des Juifs sionistes ou celle des Allemands nazis ? Espérons que les Arabes emprunteront la bonne route. Espérer, c’est tout ce que nous pouvons faire, nous ne sommes pas chez nous.

Si on ne doit pas faire la loi chez les autres, on peut encore, il faut y croire, la faire chez nous où l’heure n’est pas aux révoltes mais aux débats. On ne tire pas en l’air mais on commence à parler dans le vide. Les montagnes de parlottes et d’écrits sur l’identité nationale – ou plutôt sur le danger qu’il y aurait à en parler – ont accouché de souris, ce qui est toujours bon à prendre mais ne suffit pas. On a raison de débattre de la question essentielle de la nation qui est celle de son essence mais après, on fait quoi ? Y a-t-il dans ce pays quelqu’un pour choisir, décider, trancher et discriminer dans l’intérêt supérieur de la nation ? Y a-t-il un pilote dans l’avion nom de dieu ?

À quoi bon constater au sommet de l’Etat l’échec du multiculturalisme quand l’Education nationale continue de dispenser des cours de langue et de culture arabes ? À quoi sert-il de constater, avec toutes les réserves d’usage, le rapport ténu entre immigration, échec de l’intégration et insécurité, quand on bat des records d’Europe en matière d’accueil des étrangers et qu’on s’en félicite ? Pourquoi promettre une guerre contre le crime quand on ne peut rien exiger de juges qui font de la politique au tribunal et que les flics sont si peu autorisés à tirer quand on les affronte à l’arme lourde ? Est-ce pour cacher cette impuissance qu’un roulement de tambour annonce un nouveau débat ?

La France n’a pas besoin d’un débat sur l’islam mais l’islam a besoin d’un débat sur la France

On devait parler d’islam, on parlera de laïcité. On préfère les recadrages collectifs aux frappes ciblées. Il aurait été regrettable et discriminatoire de ne pas aborder les problèmes que posent les autres religions. Pour ne pas donner l’impression qu’il y a en France deux poids, deux mesures, chacun va pouvoir dire ce qu’il pense des juifs qui brûlent le Code pénal, des bouddhistes qui cognent les médecins, des catholiques qui refusent qu’on enseigne la Saint Barthélémy à leurs enfants, des protestants qui prient dans la rue et des adorateurs de la petite sirène qui veulent des horaires de piscines séparés pour qu’on ne rigole pas de leurs écailles.

Sans rire, on entend bien Mélenchon dénoncer le concordat alsacien, Caroline Fourest s’inquiéter des pratiques catholiques et un paquet d’autres s’étonner à haute voix que la collectivité entretienne les cathédrales. On peut les laisser dire mais si on les laisse faire, on finira par s’excuser d’avoir une histoire et un patrimoine.
En réalité, la France n’a pas besoin d’un débat sur l’islam mais l’islam aurait sûrement besoin d’un débat sur la France ou sur le monde libre en général pour savoir s’il a envie d’en faire partie. Les Français connaissent tous le sens du mot « laïcité » et si les derniers arrivés n’ont pas bien compris, qu’on leur adresse un exemplaire du règlement intérieur ou qu’on leur fasse un résumé des épisodes précédents. Pourquoi nous faut-il subir ce bla-bla ? Pour expliquer à la religion d’importation récente, sans la montrer du doigt car il ne faut surtout pas stigmatiser, que nous n’avons pas réduit nos corbeaux à l’impuissance pour nous laisser emmerder par des barbus venus d’ailleurs ?

Il n’y a rien à négocier alors de quoi parlerons-nous ? D’un financement public des mosquées ? J’entends déjà les termes du chantage qu’on nous présente comme un compromis raisonnable : l’argent saoudien, les prières dans la rue et les imams terroristes ou la main à la poche du contribuable. Mais comment ont fait et font encore les autres culs-bénits ? Nous avons la laïcité la plus avancée d’Europe, n’y touchons pas ! Les peuples de l’Union qui se sont raisonnablement accommodés avec leurs religions anciennes sont aujourd’hui assiégés par des revendications nouvelles. L’Europe sécularisée n’est pas une forteresse abritant un club chrétien, juste un barrage filtrant qui ouvre l’espace public à tous les individus et le ferme à leurs exigences religieuses.
Les termes de ce « débat » pourraient tenir dans un tract : « La République laïque, tu l’aimes, tu te débrouilles pour ton temple et tu restes discret ou tu la quittes ». Voilà comment ça a toujours marché pour les fous de dieu et les indélicats qui pratiquent l’impérialisme culturel. Un tract et une trique, et un chef pour manier habilement des deux, vite, avant qu’un dictateur s’impose.

Femmes, femmes, femmes

59

De Pyongyang à Neuilly en passant hélas par Bruxelles, ce 8 mars on a commémoré partout, comme chaque année, la journée internationale des femmes.

Entre nous vous voulez que je vous dise ?

ON S’EN TAPE !

La journée internationale des femmes, j’y croirai peut-être le jour où il y aura une journée internationale des hommes.

Françoise Giroud pensait que l’égalité serait acquise le jour où l’on verrait des femmes incompétentes à des postes de décision.

A mon avis, ça fait un certain temps que son vœu a été exaucé.

« Nous ne voterons pas la déchéance de nationalité »

63

Laurent Hénart, secrétaire général du Parti radical valoisien de Jean-Louis Borloo, député UMP, proposera aujourd’hui à l’Assemblée avec 70 députés de droite, de supprimer, dans la loi sur l’immigration la disposition qui prévoit la déchéance de nationalité pour les criminels récidivistes. Déjà supprimée par les sénateurs, certains députés de droite veulent mordicus la réintroduire lors de la seconde lecture de la loi.

Pourquoi demandez-vous la suppression de l’extension de déchéance de nationalité prévue par la loi ?

Nous avons déposé, avec 70 députés, aussi bien centristes, radicaux que sociaux comme Pierre Méhaignerie, un amendement supprimant cette disposition. Nous ne l’avions de toute façon pas votée en première lecture, le Sénat l’avait rejetée aussi. On voit bien qu’il est sage de s’arrêter là. Nous n’avons rien à dire sur le reste du texte qui n’est jamais que la transcription en droit français de certaines directives européennes en matière d’immigration. C’est même plutôt une bonne chose que de voir enfin un début de politique commune s’ébaucher en la matière.

Mais l’extension de la déchéance de nationalité aux personnes devenues françaises depuis moins de dix ans, coupables de crime à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, n’est même de nature à renforcer la sécurité dans notre pays. On se doute que cette perspective ne fera pas reculer une personne qui projette un tel crime ou qui est capable d’en commettre un. Surtout, cette mesure qui n’aura aucune valeur dissuasive risque surtout d’ouvrir un autre débat. La déchéance de nationalité, même dans ce cadre, introduirait une rupture grave de l’égalité entre les citoyens : il y aura ceux dont la nationalité est intangible, et ceux dont la nationalité sera révisable.

Une partie de la droite, je pense à la Droite populaire, a décidé d’en faire un symbole. Nous qui représentons l’aile sociale de la majorité voulons au contraire faire passer un autre message qui est que tous les Français, d’où qu’ils viennent, doivent adhérer au pacte national. Et que si on peut évidemment devenir français, cela donne des droits mais aussi des devoirs. Cette mesure sécuritaire inefficace est un symbole dont nous ne voulons pas.

L’arrivée en seconde lecture de ce texte en plein débat sur le débat islam/laïcité ne va-t-elle pas accroître la confusion ?

Chez les radicaux, nous avons toujours été fermes sur la laïcité. Elle n’a pas besoin qu’on y accole des adjectifs. La sphère publique doit être neutre : pas de signes distinctifs à l’école, pas de prières dans la rue. Il n’y a pas matière à débattre. Il faut être strict et traiter toutes les religions de la même façon, sinon, là encore, on risque de donner le sentiment à nos concitoyens, notamment musulmans, qu’il existe des droits et des devoirs à plusieurs vitesses. Certaines municipalités gèrent très bien les choses et arrivent à trouver des solutions pour ouvrir des mosquées ou installer des carrés musulmans dans les cimetières. Nous n’avons pas besoin pour cela de nouvelle loi : pas de nouveau texte sur le financement de ci ou l’organisation de ça. Veillons à ne pas donner l’impression que certaines religions sont privilégiées par l’Etat et d’autres maltraitées.

Que vous inspirent les deux sondages qui donnent Marine le Pen en tête au premier tour de la présidentielle ?

Ce vote populiste, voire extrémiste, est directement lié à la crise économique et sociale qui frappe la France. En l’absence de solutions réelles, les électeurs sont prêts à accepter des réponses simplistes : d’où l’accélération du transfert de voix entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen depuis l’automne. En focalisant le débat public sur les Roms, la sécurité, l’islam et de la laïcité, la majorité se tire une balle dans le pied : dans l’exploitation des peurs et des sentiments xénophobes, nous ne serons jamais les meilleurs, parce que notre discours ne pourra jamais être aussi brutal que celui tenu par Marine le Pen – heureusement d’ailleurs.

S’il y a un enseignement à tirer de ces sondages, c’est donc qu’il est temps de revenir aux attentes des Français : l’emploi, la réussite des jeunes, la justice sociale. D’ailleurs on voit bien que le chef de l’Etat hésite sur la meilleure stratégie pour la dernière année du quinquennat : d’un côté il lance, sans tabou, un débat sur les religions. Et de l’autre, il parle de l’emploi et de la formation des jeunes, de la lutte contre le chômage. La victoire de 2007 ne s’est pas jouée sur l’identité nationale, l’immigration ou la sécurité mais sur la réhabilitation de la valeur-travail et la lutte contre la désindustrialisation. Il serait temps de s’en souvenir.

 

Ségolène et les sondages : pas ça, pas elle !

26

And the winner is… Ségolène Royal ! Dans une compétition qui s’annonçait serrée, c’est en effet la présidente de Poitou-Charentes qui emporte haut la main la palme du commentaire le plus pitoyable sur le fameux sondage présidentiel Louis-Harris.

Interrogée par la presse hier soir, avant l’ouverture de son « Université populaire participative » sur « la valeur travail et la lutte contre le chômage », Ségo a fustigé les enquêtes d’opinion qui disent « tout et le contraire de tout » à quatorze mois de cette élection. Avant d’ajouter une petite phrase qui donne tout son sel à une critique des instituts qui serait sans doute recevable, à la seule condition qu’elle fût formulée par quelqu’un d’autre : « Cela fait longtemps que je pense que les sondages font partie d’une manipulation de l’opinion »

On évitera donc de se souvenir que c’est uniquement grâce à ces mêmes sondeurs, et au matraquage systématique d’enquêtes qui la donnaient systématiquement gagnante contre Sarko que Mme Royal a pu lancer et gagner son OPA sur la candidature socialiste à la présidentielle de 2007…

Tant qu’à dire quelque chose elle aurait mieux fait de la jouer sobre, tel Xavier Bertrand, qui pour défendre son président-candidat a déclaré ce matin sur Europe 1 : « Les sondages un an avant les élections ne se réalisent jamais ». Et ce n’est pas Mme Royal qui dira le contraire…