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Marine en tête


Marine en tête


Ainsi, à en croire un sondage, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. J’aime l’ambigüité tellement ambiguë de certaines tournures en français qu’elles en deviennent transparentes, innocentes, anodines. Tenez, le génitif par exemple, c’est fou ce qu’il peut être ambigu le génitif en français. Dans son dernier livre réédité, Le Viol de Mike Tyson, on voit bien sur quoi Besson joue. Comment le boxeur noir Mike Tyson a effectivement été reconnu coupable de viol mais comment aussi l’ensemble d’un environnement médiatique, sportif, racial n’a cessé de le violer, lui, dès qu’il a posé un pied sur le ring et peut-être même bien avant.

Une autre expression de ce genre, assez détestée par les pédagogistes, est tout aussi ambiguë : apprendre par cœur. Le « par cœur » avait été décrété définitivement aliénant, stérile, bourgeois. Et pourtant, si l’on y réfléchit, quelle plus belle expression que celle-ci : « par coeur ». Apprendre par cœur, c’est reconnaître au cœur le siège de la sensibilité et du goût (cela on pouvait s’en douter) mais aussi de l’intelligence et de la mémoire. Le cœur, c’est qui en nous se souvient des choses vraiment utiles, c’est-à-dire ce qu’il y a d’essentiel dans une vie d’homme : un sonnet de Verlaine dans un embouteillage, le numéro de sa carte de crédit quand on essaie de retirer de l’argent tout en étant ivre pour continuer à faire la fête ou le premier baiser échangé à dix-sept ans avec cette fille devenue avocate et de droite. On mourrait de tristesse, sans le « par cœur ».

Alors, quand on me dit que Marine Le Pen est « en tête dans les sondages », je ne peux pas m’empêcher de traduire, au nom de ces ambiguïtés syntaxiques, par « dans la tête des sondages ». Les principaux instituts de sondage (tiens, Laurence Parisot en possède un, tiens, Vincent Bolloré vient de s’en offrir un autre !) fournissent aux partis et aux journaux les vérités statistiques qu’ils veulent entendre. Aussi ne faut-il pas s’étonner si ces thermomètres de la République qui sont franchement discrédités.

Le sondage ne répond plus à rien, et depuis longtemps. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. Il n’est plus là pour éclairer le politique, il est le politique. Ce sont les sondages, et Marine Le Pen en sait quelque chose, et non plus les militants, qui vont jusqu’à désigner le candidat préféré d’un parti par médias interposés. Ce sont les sondeurs qui, forts de leurs résultats scientifiques, ont décrété que Marine, c’était mieux que Bruno en janvier 2011, que Ségolène, c’était mieux que Fabius ou DSK en 2007, que le oui au TCE c’était mieux que le non en 2005, que Chevènement était l’incontestable troisième homme en 2002 et ainsi de suite…Les sondages sont donc l’expression de ce fameux « faux qui serait un moment du vrai », selon l’expression de Hegel. Ce qui devait être un élément parmi d’autres d’information des gouvernants est devenu un moyen de gouvernement.

J’ai personnellement pris conscience de cette aberration logique qui est aussi une aberration démocratique au moment du duel Chirac/Balladur en 1994. Il y avait unanimité : Chirac ne devait pas se présenter. Il n’avait pas ou plus le profil. La fracture sociale, le volontarisme politique, bref, cet ultime retour de ce qui pouvait ressembler à du gaullisme, n’entrait plus dans les cadres. Les sondages ont été appelés à la rescousse pour jouer leur rôle de sape, systématique, quotidien, désespérant pour lui et ses derniers fidèles. Pas les sondages en eux-mêmes, bien entendu, mais l’exploitation qui en était faite par quelques journalistes ou experts inaccessibles au doute, tel Alain Minc qui semblait regretter que l’on dût en passer par des élections réelles alors qu’une démocratie moderne se devait d’être, disait-il, une démocratie d’opinion .

Je suis très content pour Marine Le Pen : en tête dès le premier tour, bravo ! Commencer à plomber le moral de l’UMP et à affoler le PS, à quelques semaines des cantonales, c’est tout bénef. Il n’aura cependant échappé à personne que le véritable message de celui qui fait tant causer et où Dominique Strauss-Kahn ne figure pas parmi la liste des choix possibles, c’est : ou DSK ou Marine Le Pen.

Là, Marine, je serais vous, je commencerai à me méfier. Ce n’est pas parce qu’on vous invite à quelques grandes émissions où vous faites excellente figure qu’on vous aime pour autant chez ces gens-là.
Moi non plus je ne vous aime pas beaucoup, mais c’est pour de toutes autres raisons. Eux ne vous aiment pas et vous mettent en avant pour faire apparaître Strauss-Kahn comme le seul rempart contre vous, genre cordon sanitaire, front républicain et sauveur de la démocratie. Moi, je ne vous aime pas parce que vous captez l’électorat du Front de Gauche tout en séduisant celui de la droite dure et que je veux gagner contre vous non pas sur la rhétorique antifasciste qui déferlera à nouveau si vous continuez à avoir le vent en poupe mais en montrant que votre virage social, voire très social (et aussi très sur les chapeaux de roue), vos déclarations contre la suppression de l’ISF ou la retraite à 62 ans ont tout du positionnement tactique et ponctuel dans un paysage politique essentiellement occupé, à l’exception de Mélenchon, par les tenants d’un néo-libéralisme qui exaspère les Français paupérisés.

Vous êtes en tête au début de la course, voyez-vous, parce qu’on veut que la vous perdiez à la fin. Souvenez-vous de Ségolène, sacrée championne avant de s’effondrer aussi vite qu’elle était monté. Et le paysage ne peut qu’amplifier cette vénération du sondage : davantage de chaines de télés, davantage d’instituts, de moins en moins de débats contradictoires, de réunions sous les préaux, enfin de politique « old school », celle qui permit à Chirac de remonter la pente contre tous les pronostics en 1994.

Seulement, il est de plus en plus difficile de déconstruire le mensonge en politique. On a réussi, en 2007, à faire passer pour un homme neuf un Nicolas Sarkozy qui était ministre depuis 2002. On oublie que vous non plus vous n’êtes pas neuve et que, tout en renouvelant le discours, vous vous servez tout de même de l’image de marque de la vieille maison paternelle sans complexe.
Au moins ce sondage aura-t-il tué en moi une ultime illusion : celle qui me faisait croire à la pertinence d’une élection présidentielle au suffrage universel. La rencontre rêvée par De Gaulle entre un peuple et un homme n’est plus possible : en 1965, le règne des médias n’avait pas commencé, ou si peu. L’ensemble des grands moyens d’informations n’était pas concentré dans un si petit nombre de mains. Alors, finissons-en avec le césarisme médiatique assisté par ordinateur. Et revenons à la Cinquième République d’avant 1965 dans laquelle le Président était élu par le Congrès. Paradoxalement, la démocratie y gagnera.



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