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Pour un débat national sur le christianisme

Comme le gouvernement, en organisant à brûle-pourpoint un nouveau débat national, semble ne pouvoir s’empêcher de régir les conversations de bistrot que nous tenons dorénavant sur Internet, j’ai envie de lui proposer un super sujet (à mon humble avis) : le christianisme. Puisque parler de l’islam est paraît-il stigmatisant pour les musulmans, « en tant que chrétien », et même en tant que catholique, assumons carrément, je m’offre en victime expiatoire du nouveau débat que le président a concocté pour piquer (ou donner, on ne sait plus) des voix au Front National. Parler de cette vieille chose obsolète que l’on appelle le christianisme et de ces gros ringards que l’on appelle les chrétiens, ça pourrait être sympa, non ? Super fun et top délire ? Stigmatisation ? Même pas peur. Laissez venir à moi les stigmatiseurs. Moi aussi, je veux être stigmatisé, histoire que l’on parle de moi et de ma religion à moi dont j’ai l’impression amère qu’elle quitte la scène nationale un peu trop discrètement, pour laisser la place à une autre, un peu trop m’as-tu-vu à mon goût malgré (ou grâce à) son goût à elle pour le voile. Mais n’est-ce pas le sort de tous les parvenus que d’afficher un peu trop ostensiblement leur réussite sur la place publique? Islam Pride, écrivait quelqu’un récemment. Certes, le succès des nouveaux riches a toujours irrité les gens en place, mais le problème cette fois-ci c’est que les gens en place ne le sont plus guère et qu’une nouvelle religion chasse l’ancienne, comme, serait-on tenté d’ajouter si l’on était d’humeur polémique, la mauvaise monnaie chasse la bonne. On a même entendu récemment Michel Godet, hypermédiatique de droite, chrétien de surcroît[1. je crois, je n’en suis pas sûr, le christianisme, contrairement à d’autres religions et sauf exception, tel votre serviteur, ne se portant plus guère en bandoulière dans l’espace public], proposer tranquillement, et sans guère créer de polémique, de transformer des églises en mosquées. Mais voilà que je me mets à faire dévier mon débat à moi sur l’islam, comme un Besson de base ! Revenons vite à nos ouailles.

Pour lancer le débat, rappelons certaines choses qui selon moi confinent au truisme. Certaines mauvaises langues, je pense par exemple à Marcel Gauchet ou Pierre Manent, sous-entendent parfois que la forme politique de la nation n’est pas tout à fait étrangère à la religion qui a dominé l’Occident pendant deux petits millénaires, avant qu’elle ne s’éclipse sur la pointe des pieds. Peut-être, pour comprendre où nous allons au moment où la nation et la religion chrétienne semblent disparaître de conserve de nos contrées, serait-il utile de comprendre les liens qui les unissent, et de constater que pendant que l’Europe post-nationale se construit cahin-caha, une autre religion, une religion « civilisationnelle », l’islam (zut, encore lui), tient de plus en plus le haut du pavée. On pourrait multiplier les sujets de débats à propos du christianisme, qui nous permettraient peut-être, si nous faisions preuve d’une ouverture d’esprit inédite sur ces sujets, de mieux nous comprendre. Existe-t-il un lien entre « les droits de l’Homme » et le souci des faibles et des persécutés, tel qu’il se manifeste dans la Bible en général et dans les Evangiles en particulier ? Si oui, de quel ordre ? L’universalisme chrétien, incarné par saint Paul, est-il la source de l’universalisme occidental en général et français en particulier? Le Christ en affirmant que son Royaume n’est pas de ce monde ou en proposant de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, a-t-il permis à ce que nous appelons en France la laïcité d’exister ? Toutes ces belles choses qu’a créées l’Occident, l’éducation obligatoire, l’hôpital, l’Etat providence, sont-elles des institutions chrétiennes devenues folles, pour reprendre les thèses de G.K. Chesterton et de Ivan Illich ? Le concept de « secondarité culturelle », cher à Rémi Brague, qui dans une interview récente, dont je ne saurais trop recommander la lecture, a tranquillement déclaré qu’en Europe aujourd’hui, d’une façon ou d’une autre, « nous sommes tous islamistes » (aïe, toujours l’islam), le concept de « secondarité culturelle », disais-je, propre à la romanité dont nous sommes les héritiers gâtés et indignes, n’est-il par un trésor spirituel dont la perte probable mériterait au moins quelques larmes qui ne seraient pas de crocodile ? On pourrait multiplier les questions de ce genre, qui nous permettraient de mieux mesurer ce que nous perdons. Un débat sur ce qui s’en va, sur ce que nous délaissons d’un cœur si léger, voilà mon rêve utopique et pénétrant. En terme festif : une petite catho pride, avant que nous ne débarrassions définitivement le plancher… Est-ce trop demander au chanoine du Latran ?

Session de rattrapage pour Gérard Longuet

Certains observateurs ont cru remarquer que Gérard Longuet arborait un sourire jusqu’aux oreilles depuis sa nomination au ministère de la Défense. C’est que cette fois-ci, il est vraiment ministre. Vraiment parce qu’en novembre, au moment du remaniement annoncé depuis six mois par le président de la République, et qui devait – si, si, rappelez-vous – signer l’arrivée de Jean Louis Borloo à Matignon, Longuet devait en être.

On lui avait promis un grand MITI à la française: un hyperministère chapeautant les transports, l’industrie et l’énergie, rapatrié pour l’occasion à Bercy. Autant de domaines récupérés sur la dépouille du ministère de l’Ecologie pour être redonnés à un fier nucléocrate. Borloo avait accepté le deal, ayant la certitude que ses acquis sur le Grenelle étaient sanctuarisés et se disant que, depuis Matignon, il pourrait toujours surfer politiquement sur les thématiques environnementales.

Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Longuet qui commençait déjà à choisir le papier peint pour son nouveau ministère (il n’était pas revenu aux grandes affaires nationales depuis 1994) avait d’ailleurs – selon nos informations – été reçu à deux reprises à l’Elysée par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, alors Secrétaire général de l’Elysée pour de sérieuses réunions de travail en vue de définir sa mission. Un signe qui ne trompe pas, alors que le remaniement s’annonçait.

Evidemment, Longuet n’est pas devenu ministre en novembre, il est resté patron du groupe UMP du Sénat et traînait sa mauvaise humeur jusqu’à la semaine passée. Mais à mon avis, dimanche, il n’a pas du être trop tranquille quand même alors qu’on l’annonçait partout : lors du précédent remaniement, alors que tout semblait aller comme sur des roulettes, Longuet avait appris par la télé qu’il n’était pas ministre. Quand la liste finale a été établie, sans que son nom n’y figure, personne, à l’Elysée, n’avait jugé nécessaire de l’appeler pour le prévenir, que non finalement, le MITI ça n’était pas pour lui, ni quelque autre ministère. Le ressentiment, c’est simple comme un coup de fil, surtout si on a oublié de le passer…

Du coup, on comprend mieux pourquoi, juste après le remaniement, le Canard s‘était fait l’écho d’un Longuet disant à Sarko qu’il « avait envie de lui casser la gueule », ce que l’intéressé s’était empêché de démentir au micro de Fogiel, non sans humour et même une bonne dose d’autodérision « J’ai fait ce genre de choses à la fac, ça fait quarante ans, depuis je me suis calmé ! »

Certes on lui avait promis que ce malentendu serait réparé à la première occasion, mais vacciné quant à ce que valent certaines promesses, fussent-elles présidentielles, Gérard commençait à trouver le temps longuet…

Joschka Fischer : l’Europe doit favoriser l’immigration maghrebine

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En visite en Israël dans le cadre de la promotion de ses deux derniers livres[1. son autobiographie, I am not convinced et Das Amt und die Vergagenheit (sur les nazis demeurés au ministère des Affaires étrangères après 1945)], Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères allemand, a répondu aux questions du quotidien israélien Haaretz, notamment sur les événements dans la région, récents et moins récents.

Q. En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, comment expliquez-vous les événements qui agitent le monde arabe ?

JF. Personne n’a rien vu venir, mais c’est arrivé ! Il s’agit d’un bouleversement énorme, mais la question est de savoir si c’est pour le meilleur ou pour le pire. Cela dépendra, entre autre, de la politique menée par l’Europe et les Etats-Unis. Je crois qu’ils peuvent jouer un rôle énorme, car l’intérêt commun est d’encourager les forces démocratiques. De toute façon, l’avenir ne sera pas stable et il faut juste peser dans la balance pour que les choses évoluent dans la bonne direction. J’appelle l’Europe à ne pas fermer ses portes mais au contraire à créer des possibilités d’immigration légales, comme par exemple pour les études et le travail. L’Europe est capable de le faire, c’est une question de volonté politique. Une telle politique encouragerait les forces démocratiques en Afrique du Nord.

Q. Votre cinquième femme, Minu Barati, est d’origine iranienne. Quel regard portez-vous sur la situation en Iran ?

JF. L’Iran – et cela n’a rien à voir avec mes liens de parenté – est un pays important au Moyen-Orient. Les Iraniens se sont félicités de la chute de Moubarak et de Ben Ali, qui étaient des dirigeants autoritaires pro-occidentaux, mais en même temps, le régime craint le « virus démocratique » qui risquerait d’encourager son opposition. Ce qui est sûr, c’est que ces événements et une contagion dans le monde arabe ne manqueront pas d’avoir de répercussions dans ce pays.

Q. Quelles leçons les dirigeants mondiaux devraient-ils tirer de la guerre en Irak en 2003 ?

JF : Cette guerre a bouleversé l’équilibre des forces dans la région en faveur de l’Iran. C’était prévisible, et je n’ai jamais compris pourquoi les Américains n’ont pas pris en compte cette conséquence si évidente. Quant à l’Iran, la situation est bien différente. Contrairement à l’Irak, le programme nucléaire iranien n’est pas le fruit de notre l’imagination mais une réalité.L’ Iran représente un véritable danger. Quand je me suis rendu dans la région, avant la guerre de 2003, je n’ai pas eu l’impression que les pays voisins se sentaient menacés. Saddam Hussein n’a pas été perçu comme une menace majeure. En revanche, pour ce qui concerne l’Iran, c’est complètement différent. Autre leçon : il faut comprendre qu’une attaque militaire a des conséquences non prévisibles qui se révèlent parfois plus graves que les effets escomptés. Je crois que le Mossad et la CIA ont trouvé les moyens d’intervenir en Iran sans avoir recours à une attaque militaire.

Q. Que pensez-vous de Wikileaks ?

JF : Je ne pense pas que cela représente une évolution majeure. Dans des sociétés libres comme l’Europe et les Etats-Unis, on pouvait déjà tout trouver sur Internet ou dans la presse. Les secrets mal gardés, c’est l’essence même d’une société démocratique…

 

Un végétarien applaudi dans un congrès de charcutiers

Imaginez un journaliste qui dénonce depuis vingt ans l’absorption de viande animale; qui profite de toutes ses tribunes, devenues petit à petit plus nombreuses, pour fustiger ceux qui aiment se nourrir de cadavres d’animaux et imaginez aussi que le côté fonceur, enthousiaste et parfois provocateur de ce garçon a même fini par le mener au tribunal. Imaginez qu’il soit néanmoins devenu très populaire dans le pays, que beaucoup de gens le voient comme un porte-parole, que sa condamnation ait même amplifié le phénomène.

Imaginez maintenant que le président d’une association de charcutiers – nous l’appellerons Hervé N. – très sensible à cette popularité l’invite à parler devant ses ouailles, que le patron national du syndicat des bouchers-charcutiers – Monsieur Jean-François C. – soit présent à la manifestation et que le journaliste végétarien, sans changer une ligne à son discours habituel, y fasse un triomphe !

A ce stade du récit, votre imagination disjoncte? Elle ne peut aller jusque là ? Pourtant, le passage d’Éric Zemmour au congrès des réformateurs, autrement dit la frange la plus libérale – en économie, s’entend – de l’UMP, ressemble comme deux gouttes de vin d’Arbois à ma parabole végétarienne.

Lorsqu’on écoute Éric Zemmour, lorsqu’on le lit, on sait ce qu’il désigne sans cesse comme responsable de la plupart de nos maux économiques : la liberté intégriste de circulation. Il dénonce celle des marchandises et préconise le protectionnisme ; celle des capitaux, qui met le pays à poil devant la haute finance ; celle des hommes qui permet à l’immigration de se développer, et offre au patronat une « armée de réserve industrielle », selon la vieille antienne marxiste. Il est d’autant plus piquant de constater que c’est la frange la plus libérale, et donc la plus hostile à ce discours, qui tente de récupérer le polémiste.

On me rétorquera à raison que là n’était pas le sujet et que le Club des réformateurs a moins invité Zemmour pour ses idées que comme symbole de la liberté d’expression. Soit. Le problème, c’est que lorsque le chroniqueur de France 2 et de RTL déclare à la tribune qu’il faut supprimer non seulement la HALDE mais aussi toutes les lois mémorielles -loi Gayssot, loi Taubira et aussi celle consacrant les « bienfaits » de la colonisation- comme nombre d’historiens le réclament, il doit être piquant pour lui de faire un malheur dans la salle. Il n’a pas dû non plus bouder son plaisir en voyant Copé et Novelli l’applaudir des deux mains, puisque la loi Taubira et la HALDE furent l’œuvre d’une majorité dont ils étaient des piliers, comme ministre pour l’un, comme législateur pour l’autre. Zemmour est trop intelligent et trop fin observateur de la vie politique pour avoir formulé cette proposition sans en connaître tout le piquant.

« Pendant que vous y êtes, supprimez les subventions aux associations antiracistes », a t-il conclu, se faisant au passage un dernier petit plaisir pour la route. S’il avait manqué de l’élémentaire politesse que l’invité doit à ses hôtes, il aurait pu ajouter, l’œil narquois: « Pendant que vous y êtes, quittez l’UMP ! »

Révolution à Causeur : 48 pages dès ce n°33 !

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Pas besoin d’être Jérémie, comme disait Brassens, pour deviner que nous n’allions pas nous désintéresser des révolutions qui secouent le monde arabe. Mais justement, s’agit-il de vraiment de révolutions, et si oui, vers où entraineront-elles leurs protagonistes? Autant de matière à réflexions et à allègres désaccords, qui s’exprimeront d’autant plus librement que l’épaisseur du dossier s’accroit de 50%, tout comme l’ensemble du journal -qui passe dorénavant de 32 à 48 pages!

50% d’articles en plus, toujours 100% d’inédits et 0% d’augmentation de tarif (pour l’instant) ce serait bête de passer à coté : le moment est donc idéal pour vous abonner, si ce n’est déjà fait ou pour vous réabonner, si besoin est. Cet abonnement, rappelons-le, vous donne aussi accès à l’intégralité des articles verrouillés sur le site. Et puisqu’on parle du site, il n’est pas à exclure que vous y trouviez quelques surprises dès ce lundi. Lesquelles ? Mais on vous a expliqué que c’était des surprises ! Bon, si vous insistez, on va quand même vous dire de quoi il s’agit. Enfin, on va vous le dire, mais seulement lundi…

Juppé bis superstar

Hosannah ! Alain Juppé est de retour. Intronisé numéro 2 du gouvernement, l’ex-proscrit chiraquien est entré au Quai d’Orsay sous les vivats de la presse, des sondeurs, de la droite mais aussi d’une bonne partie de la gauche. Pas la peine d’attendre Pâques, on entend partout – même à Causeur – un seul son de cloche : enfin la droite qu’on aime ! Celle qui a des valeurs, des principes, de la droiture et ne part pas en vacances n’importe où… À l’Assemblée on l’acclame, dans les éditos, on encense déjà son bilan futur. Il ira au Caire dans les jours à venir, renouer d’un claquement de doigts avec les nations arabes qui se libèrent. Il va forcément « redonner le moral aux diplomates », même si, prévient-il du haut de sa formidable néo-modestie, il n’a « pas de baguette magique ». Des promesses, mais seulement celles qu’on peut tenir. On explique même que les militaires, qui pourtant ne l’ont fréquenté que 100 jours, le regrettent déjà. Sans oublier les Bordelais qui, eux aussi sont tristes de voir l’agenda de leur bon maire – qui pour autant ne les abandonnera pas – grevé par des voyages officiels dans des contrées lointaines, où heureusement Alain va faire briller haut l’image de la France et du Saint-Emilion. On l’a compris, c’est une nouvelle ère politique qui s’ouvre avec le nouveau ministre à lunettes. J’ai même entendu des consœurs dire qu’elles le trouvaient sexy…

On n’est jamais vraiment mort en politique, aurait coutume de dire Juppé, qui a déjà été enterré vivant. Curieuse résurrection quand même : passons sur le côté pâté d’alouette du chiraquien noyé au milieu des sarkozystes pur sucre. Ne parlons même pas de François Fillon, intronisé hyper-Premier ministre depuis le remaniement de l’automne et qui entend bien le rester. Mais peut-on pour autant oublier, comme tous les confrères, le Juppé droit dans ses bottes, premier de la classe, énarque et meilleur d’entre nous ? Juste retour des choses, après avoir morflé pour cause de jurisprudence Balladur, il bénéficie maintenant de la Loi d’airain du « c’était mieux avant», celle qui vaut à Jacques Chirac d’occuper le fauteuil laissé vacant par l’Abbé Pierre dans les classements de popularité.

D’autant que Juppé semble prendre presque du plaisir à son nouveau statut d’homme providentiel. Il faut le voir répondre à l’Assemblée aux questions des députés avec sérieux, sobriété et presque, pincez-moi, humilité ! Sur TF1, il roucoule de bonheur à l’énoncé d’un sondage sur notre politique étrangère qui le crédite de 55% d’opinions favorables. Et faut le voir démentir avec des accents de sincérité presque très convaincants quand on le qualifie de vice-Premier ministre. À se demander s’il n’a pas passé, lui, ses vacances de Noël en stage intensif d’art dramatique au Cours Florent.

La Roche tarpéienne est proche du Quai d’Orsay

Cela dit, à sa place, je savourerais ma victoire en n’oubliant pas toutefois d’aiguiser mon cran d’arrêt, en prévision des traquenards à venir. On a vu d’autres étoiles de cette mouvance, gaullienne donc fréquentable, se fracasser lamentablement. Vous voulez un exemple ? Et bien, au hasard, disons MAM. Il faut se souvenir des papiers enthousiastes sur l’ex-patronne du Quai, avant qu’elle soit à quai. Tellement droite, tellement héritière du Général par lignage direct, tellement au dessus du lot des Woerth et compagnie, forcément cupides et affairistes. MAM elle, parlait et agissait pour la France, rien d’autre. Et on la voyait bien remplacer à l’automne François Fillon pour donner un nouveau souffle au gouvernement, voire redonner confiance aux Français.

Au bout du compte, elle ne fut ni Premier ministre, ni rien d’autre que groupie des dictateurs et abonnée aux jet privés. Aujourd’hui c’est au tour de MAM de se répéter en boucle qu’on n’est jamais vraiment mort en politique[1. On pourra aussi citer Eric Woerth lui-même qui, il y a encore un an, était une étoile montante au sérieux loué par tous, et souvent pronostiqué comme remplaçant putatif de François Fillon].

Oui, Juppé devrait se méfier de cet afflux de nouveaux amis, même s’il en pleut plus qu’à Gravelotte ou sur Facebook. Nicolas Canteloup, qui a plus de mémoire que toute la presse politique, est allé chercher dans un passé pas si lointain de quoi sera fait son avenir proche. Avant d’être le Monsieur Propre de l’UMP, Juppé c’était le stalino-chiraquien, le régisseur en chef de l’Etat-RPR, le coupable direct du raz-de marée social de 95, puis de la rusée dissolution de 97. Juppé-la-poisse, pour reprendre Canteloup, c’est encore l’homme qui fut ministre de l’Environnement pendant trois semaines TTC après la présidentielle de 2007, avant de se faire bananer aux législatives pour avoir annoncé en direct live à la télé que le gouvernement souhaitait la mise en place de la TVA sociale – et avait failli entraîner la majorité toute fraiche de Sarkozy dans sa dégringolade. Comme dit une mauvaise langue à l’Assemblée, « il a 13 mois pour faire une grosse connerie ». Il ne faut jamais désespérer des meilleurs élèves, ils font toujours ce qu’on attend d’eux.

On ne fera pas l’injure à Alain Juppé de lui suggérer de réviser ses classiques – qu’il connaît infiniment mieux que tous ses collègues du gouvernement et que moi aussi – et de méditer la métaphore de la Roche tarpéienne. Plus modestement, je lui suggérerai de relire posément sa propre bio. Et même si je ne suis pas certaine que la musique rasta soit sa tasse de thé, il pourra le faire en écoutant Jimmy Cliff et en méditant les sages paroles de la chanson qui a fait connaître le reggae dans le monde entier : « The Harder They Come, The Harder They Fall ». Sans quoi la droite comme il faut va encore devoir se trouver un nouveau champion.

Pakistan : le martyre prévisible d’un impur au pays des purs

Il arrive ces jours-ci que l’actualité soit parfaitement prévisible. Ainsi, l’on apprend dans les pages très intérieures des journaux que Shahbaz Bhatti, 42 ans, catholique, ministre pakistanais des Minorités religieuses, a été abattu en plein jour, criblé de 25 balles tirées à l’arme automatique par trois ou quatre hommes qui ont réussi à prendre la fuite. Malgré la pression intense des islamistes pakistanais, Bhatti avait été reconduit dans ses fonctions lors d’un remaniement ministériel qui a eu lieu il y a quelques semaines au Pakistan. J’avais à cette occasion réuni de la documentation dans la perspective d’un article sur la situation des chrétiens au Pakistan, car l’on s’attendait, en raison de la pression islamiste, à ce que ce ministère, qui est le seul relais vers le pouvoir dont disposent les chrétiens (mais aussi les musulmans « hérétiques » ahmadis), dans un pays où ils subissent d’intenses persécutions, soit supprimé. Sous la pression des Américains, ce ministère fut finalement maintenu, au grand dam des islamistes pakistanais, qui redoublèrent alors de fureur, et montèrent d’un cran dans leurs menaces de mort à l’encontre du ministre, lui promettant de lui faire subir le même sort que son ami Salman Taseer, le gouverneur du Pendjab, un musulman hautement éclairé et cultivé, tué début 2011 par un de ses gardes du corps furieux de son opposition déclaré à la loi sur le blasphème.

Puisque le ministère des minorités religieuses était maintenu, l’article en question m’avait alors semblé sans objet, mais en prenant connaissance de ces menaces de mort, je n’ai pu m’empêcher de penser alors que ce valeureux ministre ne ferait pas de vieux os. Sera-t-il remplacé, et si oui, par qui ? Difficile de le savoir, mais l’on ne peut redouter que le gouvernement pakistanais ne tire profit de ce meurtre pour finalement supprimer ce ministère, ou y nommer un homme moins actif et plus accommodant dans la défense des minorités persécutées.

Au Pakistan, les conflits les plus triviaux menacent toujours de mal tourner pour les chrétiens lorsqu’ils sont aux prises avec leurs voisins musulmans. C’est ainsi qu’une paysanne de la province du Pendjab, Asia Bibi, après avoir été tabassée et peut-être violée chez elle par des voisins musulmans qui l’accusaient de blasphème, a été condamné à mort en novembre 2010 en application de la loi anti-blasphème[1 Il semble que le blasphème en question consiste à avoir demandé à des femmes musulmanes qui refusaient de boire après elle parce qu’en tant que chrétienne elle n’était selon elles « pas propre », ce que leur Mohammed avait fait pour elles tandis qu’elle affirmait fièrement que son Jésus était mort pour elle]. Il a été fait appel de cette sentence (qui jusqu’à présent n’a jamais été exécutée pour cette raison au Pakistan).

Shahbaz Bhatti s’était courageusement porté à la défense d’Asia Bibi et de ses autres compatriotes accusés de blasphème. Depuis sa nomination en 2008, le ministre s’était en outre avec constance prononcé en faveur de l’abolition de cette loi sur le blasphème, abolition à laquelle s’oppose son propre Premier ministre, pourtant membre d’un parti considéré comme non-islamiste et malgré de vagues promesses de campagne selon lesquelles les termes cette loi seraient adoucis. En tant que catholique, Shahbaz Bhatti, avait accepté un poste surexposé qui lui avait valu des critiques de la part de certains de ses coreligionnaires qui l’accusaient de se compromettre avec un gouvernement hostile mais aussi et surtout la haine des islamistes qui refusaient de voir un « impur » accéder à un poste de responsabilité au pays des purs. Sa disparition ne laisse rien augurer de bon pour la petite communauté chrétienne pakistanaise, qui subit régulièrement des pogroms et autres persécutions dans l’indifférence complète des médias européens, de plus en plus occupés à battre la coulpe de leurs gouvernements pour manque d’enthousiasme dans la célébration débridée de la grande et hypothétique libération des pays arabes[1. Rappelons que depuis la fin de l’ère Musharraf en 2008, le Pakistan est un pays que l’on considère généralement comme étant « en transition » vers la démocratie].

Les révolutions arabes peuvent-elles donner une utilité à l’UPM ?

Intervenir ? Ne pas intervenir ? Se contenter d’une dénonciation de la répression ? Ce sont des questions difficiles qui se posent aujourd’hui à la France et aux autres puissances. Si tout le monde critique le gouvernement, les alternatives ne sont pas toujours très claires. Certes, le gouvernement a tardé à dénoncer les dictateurs, mais finalement, pas beaucoup plus que les autres.

La crise libyenne pose clairement la question du respect de la souveraineté nationale. En effet, comme l’a bien souligné Jacques Sapir, le droit d’ingérence est essentiellement le droit du plus fort à imposer sa loi à plus faible que lui. Quant à l’ostracisme, la mise au ban d’un pays, est-il véritablement la bonne solution ? L’isolation de la Corée du Nord ou de Cuba ne freine-t-elle pas au contraire l’évolution de ces pays vers la démocratie ? N’est-ce pas le contact avec des démocraties qui peut au contraire éveiller les peuples à la liberté ?

Certains disent que la France doit dénoncer les dérives des autocrates que nous recevons ou qui nous reçoivent. Mais les critiquer est parfois un moyen commode de s’acheter une conscience à bon compte, sans réellement agir en faveur des peuples qu’ils dirigent. Il n’est pas sûr qu’en parlant des droits de l’homme aux dirigeants chinois devant les journalistes nous contribuons à l’évolution démocratique de la société chinoise.

Entre un laisser-faire absolu, un respect religieux de la souveraineté et l’ingérence, il y a de la marge. La réception exceptionnelle du colonel Kadhafi en 2007 allait beaucoup trop loin. On peut recevoir un autocrate sans céder à tous ses caprices. En outre, au-delà du dialogue avec les autocrates on peut dialoguer avec les peuples, comme l’a su faire le général de Gaulle.

Une seconde chance pour L’UPM ?

Mais aujourd’hui, dans l’urgence de la guerre civile en Libye, l’heure n’est pas à la grande stratégie car la question d’une intervention est sur la table et chaque pays doit en prendre son parti, surtout ceux qui ont les moyens d’agir. Quelles critères donc pour une telle intervention ? Il faut d’abord que le peuple se soit déjà soulevé. Ensuite, un accord assez large de la communauté internationale (par exemple, le Conseil de sécurité de l’ONU) est une condition sine qua non. Mais finalement, comment éviter, dans le cas d’une ingérence « justifiée » répondant à tous ces critères, un engrenage dangereux où les plus puissants dictent la stratégie et décident de la sortie ?

Pour proposer un horizon politique et un cadre pour une éventuelle intervention, l’union pour la méditerranée, ce « machin » voulu par Henri Guaino et Nicolas Sarkozy, pourrait se révéler utile. Aujourd’hui, l’Europe devrait tendre la main aux pays arabes qui se libèrent des autocrates qui les dirigeaient. Comme l’ont fait les Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, nous devrions proposer aux pays devenus de véritables démocraties un plan Marshall destiné à favoriser leur transition.

Ainsi les pays européens donneraient une prime à la démocratie et à la liberté, sans s’ingérer directement dans les affaires des pays arabes. Les pays dont les dirigeants respecteraient la transition démocratique bénéficieraient d’une aide économique leur permettant de limiter les troubles que toute transition génère, car, comme l’a souligné Hubert Védrine dans Marianne le processus de démocratisation sera long. Ce serait un immense message d’espoir envoyé aux pays arabes, une main tendue pour les aider.

Les pays européens ont déjà failli au rendez-vous de l’histoire en imposant une transition économique brutale aux anciens pays communistes. Qui osera se saisir de l’occasion qui se présente aujourd’hui ?

Egypte : sous les pavés, la crise

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La crise libyenne rajoute une couche à la situation économique, déjà extrêmement dégradée, de l’Égypte. Comme dans beaucoup de pays du Tiers monde, les transferts d’argent de travailleurs émigrés égyptiens pèsent lourd dans l’économie : 12 milliards dollars par an, presque 3% du PIB. Mais cet argent pèse encore plus dans les revenus des familles pauvres car l’Egyptien typique qui travaille à l’étranger est plutôt un maçon ou un journalier qu’Omar Sharif ou Boutros Boutros-Ghali. Pour comprendre ce phénomène il faut savoir qu’à peu près 1,5 millions d’Egyptiens qui travaillaient en Libye envoyaient à leurs familles quelque chose comme 250 millions par an, c’est-à-dire 167 dollars par ouvrier… Ce ne sont pas des médecins ou des ingénieurs de l‘industrie pétrolière.

Pas question donc de toucher au budget de subventions – 5% du PIB – juste au moment où un million et demi de familles supplémentaires sont dans le besoin, sans parler des 20% d’Egyptiens qui vivent déjà en temps « normal » sous le seuil de pauvreté. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans les campagnes et le pouvoir en place compte beaucoup sur les paysans pauvres et conservateurs pour contrecarrer le mouvement démocratique, plutôt urbain.

Pas question non plus de mettre en cause les salaires des 6 millions de fonctionnaires récemment augmentés de 15%. Du côté du bâtiment les nouvelles ne sont pas bonnes non plus : les chantiers sont arrêtés et le chômage dans le secteur dépasse 80%. Quant au tourisme, durement touché, c’est certes une industrie capable de rebondir rapidement, mais à condition toutefois que l’image du pays change radicalement.

Bref, pour cette phase de transition, le gouvernement n’a d’autre solution que d’emprunter. Pas le temps pour des investissements et des projets à long terme : il faut du cash, beaucoup et illico pour tenir plusieurs mois sinon plus. L’Arabie saoudite, les États-Unis mais aussi l’Europe devraient mettre la main à la poche, faute de quoi la Place Tahrir risque de ne plus être seulement envahie par le badauds en quête d’une photo souvenir…

Tarification unisexe : Bruxelles ne manque pas d’assurance

La Cour de justice de l’Union européenne vient de décider que « la prise en compte du sexe de l’assuré en tant que facteur de risques dans les contrats d’assurance constitue une discrimination » et qu’à ce titre, les compagnies d’assurances devront désormais pratiquer des tarifs unisexes à compter du 21 décembre 2012. Cette décision est accueillie partout avec un enthousiasme touchant à l’image de Viviane Reding, notre commissaire européenne à l’égalité, qui déclare « c’est un grand jour pour l’égalité des genres dans l’Union européenne ».

La cour vient donc d’entériner le fait que le sexe de l’assuré n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation des risques et donc, que les assureurs sont non seulement d’effroyables sexistes mais aussi totalement incohérents puisqu’ils discriminent en faveur des hommes en matière de pensions de retraite au motif fallacieux que ces derniers vivraient moins longtemps que les femmes et discriminent en faveur des conductrices au prétexte tout aussi mensonger qu’elles auraient moins d’accident graves que les conducteurs.

Heureusement, l’Union Européenne et ses myriades de petites réglementations sournoises et compliquées (bien qu’ultralibérales à ce qu’on dit…) sont là pour faire disparaître la dérogation inique qui permettait jusqu’alors aux assureurs de tenir compte de leurs tableaux statistiques et donc de ce réel que le législateur bruxellois ne saurait tolérer plus longtemps.

L’observateur attentif pourra donc bientôt mesurer l’augmentation généralisée de nos primes d’assurance et mettre ça sur le dos de la rapacité desdits assureurs. Il sera alors peut être temps de réclamer que cessent enfin les honteuses discriminations dont sont victimes les pauvres en matière de prêts immobiliers comme les Etats-Unis ont su si bien le faire.

Pour un débat national sur le christianisme

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Comme le gouvernement, en organisant à brûle-pourpoint un nouveau débat national, semble ne pouvoir s’empêcher de régir les conversations de bistrot que nous tenons dorénavant sur Internet, j’ai envie de lui proposer un super sujet (à mon humble avis) : le christianisme. Puisque parler de l’islam est paraît-il stigmatisant pour les musulmans, « en tant que chrétien », et même en tant que catholique, assumons carrément, je m’offre en victime expiatoire du nouveau débat que le président a concocté pour piquer (ou donner, on ne sait plus) des voix au Front National. Parler de cette vieille chose obsolète que l’on appelle le christianisme et de ces gros ringards que l’on appelle les chrétiens, ça pourrait être sympa, non ? Super fun et top délire ? Stigmatisation ? Même pas peur. Laissez venir à moi les stigmatiseurs. Moi aussi, je veux être stigmatisé, histoire que l’on parle de moi et de ma religion à moi dont j’ai l’impression amère qu’elle quitte la scène nationale un peu trop discrètement, pour laisser la place à une autre, un peu trop m’as-tu-vu à mon goût malgré (ou grâce à) son goût à elle pour le voile. Mais n’est-ce pas le sort de tous les parvenus que d’afficher un peu trop ostensiblement leur réussite sur la place publique? Islam Pride, écrivait quelqu’un récemment. Certes, le succès des nouveaux riches a toujours irrité les gens en place, mais le problème cette fois-ci c’est que les gens en place ne le sont plus guère et qu’une nouvelle religion chasse l’ancienne, comme, serait-on tenté d’ajouter si l’on était d’humeur polémique, la mauvaise monnaie chasse la bonne. On a même entendu récemment Michel Godet, hypermédiatique de droite, chrétien de surcroît[1. je crois, je n’en suis pas sûr, le christianisme, contrairement à d’autres religions et sauf exception, tel votre serviteur, ne se portant plus guère en bandoulière dans l’espace public], proposer tranquillement, et sans guère créer de polémique, de transformer des églises en mosquées. Mais voilà que je me mets à faire dévier mon débat à moi sur l’islam, comme un Besson de base ! Revenons vite à nos ouailles.

Pour lancer le débat, rappelons certaines choses qui selon moi confinent au truisme. Certaines mauvaises langues, je pense par exemple à Marcel Gauchet ou Pierre Manent, sous-entendent parfois que la forme politique de la nation n’est pas tout à fait étrangère à la religion qui a dominé l’Occident pendant deux petits millénaires, avant qu’elle ne s’éclipse sur la pointe des pieds. Peut-être, pour comprendre où nous allons au moment où la nation et la religion chrétienne semblent disparaître de conserve de nos contrées, serait-il utile de comprendre les liens qui les unissent, et de constater que pendant que l’Europe post-nationale se construit cahin-caha, une autre religion, une religion « civilisationnelle », l’islam (zut, encore lui), tient de plus en plus le haut du pavée. On pourrait multiplier les sujets de débats à propos du christianisme, qui nous permettraient peut-être, si nous faisions preuve d’une ouverture d’esprit inédite sur ces sujets, de mieux nous comprendre. Existe-t-il un lien entre « les droits de l’Homme » et le souci des faibles et des persécutés, tel qu’il se manifeste dans la Bible en général et dans les Evangiles en particulier ? Si oui, de quel ordre ? L’universalisme chrétien, incarné par saint Paul, est-il la source de l’universalisme occidental en général et français en particulier? Le Christ en affirmant que son Royaume n’est pas de ce monde ou en proposant de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, a-t-il permis à ce que nous appelons en France la laïcité d’exister ? Toutes ces belles choses qu’a créées l’Occident, l’éducation obligatoire, l’hôpital, l’Etat providence, sont-elles des institutions chrétiennes devenues folles, pour reprendre les thèses de G.K. Chesterton et de Ivan Illich ? Le concept de « secondarité culturelle », cher à Rémi Brague, qui dans une interview récente, dont je ne saurais trop recommander la lecture, a tranquillement déclaré qu’en Europe aujourd’hui, d’une façon ou d’une autre, « nous sommes tous islamistes » (aïe, toujours l’islam), le concept de « secondarité culturelle », disais-je, propre à la romanité dont nous sommes les héritiers gâtés et indignes, n’est-il par un trésor spirituel dont la perte probable mériterait au moins quelques larmes qui ne seraient pas de crocodile ? On pourrait multiplier les questions de ce genre, qui nous permettraient de mieux mesurer ce que nous perdons. Un débat sur ce qui s’en va, sur ce que nous délaissons d’un cœur si léger, voilà mon rêve utopique et pénétrant. En terme festif : une petite catho pride, avant que nous ne débarrassions définitivement le plancher… Est-ce trop demander au chanoine du Latran ?

Session de rattrapage pour Gérard Longuet

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Certains observateurs ont cru remarquer que Gérard Longuet arborait un sourire jusqu’aux oreilles depuis sa nomination au ministère de la Défense. C’est que cette fois-ci, il est vraiment ministre. Vraiment parce qu’en novembre, au moment du remaniement annoncé depuis six mois par le président de la République, et qui devait – si, si, rappelez-vous – signer l’arrivée de Jean Louis Borloo à Matignon, Longuet devait en être.

On lui avait promis un grand MITI à la française: un hyperministère chapeautant les transports, l’industrie et l’énergie, rapatrié pour l’occasion à Bercy. Autant de domaines récupérés sur la dépouille du ministère de l’Ecologie pour être redonnés à un fier nucléocrate. Borloo avait accepté le deal, ayant la certitude que ses acquis sur le Grenelle étaient sanctuarisés et se disant que, depuis Matignon, il pourrait toujours surfer politiquement sur les thématiques environnementales.

Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Longuet qui commençait déjà à choisir le papier peint pour son nouveau ministère (il n’était pas revenu aux grandes affaires nationales depuis 1994) avait d’ailleurs – selon nos informations – été reçu à deux reprises à l’Elysée par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, alors Secrétaire général de l’Elysée pour de sérieuses réunions de travail en vue de définir sa mission. Un signe qui ne trompe pas, alors que le remaniement s’annonçait.

Evidemment, Longuet n’est pas devenu ministre en novembre, il est resté patron du groupe UMP du Sénat et traînait sa mauvaise humeur jusqu’à la semaine passée. Mais à mon avis, dimanche, il n’a pas du être trop tranquille quand même alors qu’on l’annonçait partout : lors du précédent remaniement, alors que tout semblait aller comme sur des roulettes, Longuet avait appris par la télé qu’il n’était pas ministre. Quand la liste finale a été établie, sans que son nom n’y figure, personne, à l’Elysée, n’avait jugé nécessaire de l’appeler pour le prévenir, que non finalement, le MITI ça n’était pas pour lui, ni quelque autre ministère. Le ressentiment, c’est simple comme un coup de fil, surtout si on a oublié de le passer…

Du coup, on comprend mieux pourquoi, juste après le remaniement, le Canard s‘était fait l’écho d’un Longuet disant à Sarko qu’il « avait envie de lui casser la gueule », ce que l’intéressé s’était empêché de démentir au micro de Fogiel, non sans humour et même une bonne dose d’autodérision « J’ai fait ce genre de choses à la fac, ça fait quarante ans, depuis je me suis calmé ! »

Certes on lui avait promis que ce malentendu serait réparé à la première occasion, mais vacciné quant à ce que valent certaines promesses, fussent-elles présidentielles, Gérard commençait à trouver le temps longuet…

Joschka Fischer : l’Europe doit favoriser l’immigration maghrebine

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En visite en Israël dans le cadre de la promotion de ses deux derniers livres[1. son autobiographie, I am not convinced et Das Amt und die Vergagenheit (sur les nazis demeurés au ministère des Affaires étrangères après 1945)], Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères allemand, a répondu aux questions du quotidien israélien Haaretz, notamment sur les événements dans la région, récents et moins récents.

Q. En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, comment expliquez-vous les événements qui agitent le monde arabe ?

JF. Personne n’a rien vu venir, mais c’est arrivé ! Il s’agit d’un bouleversement énorme, mais la question est de savoir si c’est pour le meilleur ou pour le pire. Cela dépendra, entre autre, de la politique menée par l’Europe et les Etats-Unis. Je crois qu’ils peuvent jouer un rôle énorme, car l’intérêt commun est d’encourager les forces démocratiques. De toute façon, l’avenir ne sera pas stable et il faut juste peser dans la balance pour que les choses évoluent dans la bonne direction. J’appelle l’Europe à ne pas fermer ses portes mais au contraire à créer des possibilités d’immigration légales, comme par exemple pour les études et le travail. L’Europe est capable de le faire, c’est une question de volonté politique. Une telle politique encouragerait les forces démocratiques en Afrique du Nord.

Q. Votre cinquième femme, Minu Barati, est d’origine iranienne. Quel regard portez-vous sur la situation en Iran ?

JF. L’Iran – et cela n’a rien à voir avec mes liens de parenté – est un pays important au Moyen-Orient. Les Iraniens se sont félicités de la chute de Moubarak et de Ben Ali, qui étaient des dirigeants autoritaires pro-occidentaux, mais en même temps, le régime craint le « virus démocratique » qui risquerait d’encourager son opposition. Ce qui est sûr, c’est que ces événements et une contagion dans le monde arabe ne manqueront pas d’avoir de répercussions dans ce pays.

Q. Quelles leçons les dirigeants mondiaux devraient-ils tirer de la guerre en Irak en 2003 ?

JF : Cette guerre a bouleversé l’équilibre des forces dans la région en faveur de l’Iran. C’était prévisible, et je n’ai jamais compris pourquoi les Américains n’ont pas pris en compte cette conséquence si évidente. Quant à l’Iran, la situation est bien différente. Contrairement à l’Irak, le programme nucléaire iranien n’est pas le fruit de notre l’imagination mais une réalité.L’ Iran représente un véritable danger. Quand je me suis rendu dans la région, avant la guerre de 2003, je n’ai pas eu l’impression que les pays voisins se sentaient menacés. Saddam Hussein n’a pas été perçu comme une menace majeure. En revanche, pour ce qui concerne l’Iran, c’est complètement différent. Autre leçon : il faut comprendre qu’une attaque militaire a des conséquences non prévisibles qui se révèlent parfois plus graves que les effets escomptés. Je crois que le Mossad et la CIA ont trouvé les moyens d’intervenir en Iran sans avoir recours à une attaque militaire.

Q. Que pensez-vous de Wikileaks ?

JF : Je ne pense pas que cela représente une évolution majeure. Dans des sociétés libres comme l’Europe et les Etats-Unis, on pouvait déjà tout trouver sur Internet ou dans la presse. Les secrets mal gardés, c’est l’essence même d’une société démocratique…

 

Un végétarien applaudi dans un congrès de charcutiers

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Imaginez un journaliste qui dénonce depuis vingt ans l’absorption de viande animale; qui profite de toutes ses tribunes, devenues petit à petit plus nombreuses, pour fustiger ceux qui aiment se nourrir de cadavres d’animaux et imaginez aussi que le côté fonceur, enthousiaste et parfois provocateur de ce garçon a même fini par le mener au tribunal. Imaginez qu’il soit néanmoins devenu très populaire dans le pays, que beaucoup de gens le voient comme un porte-parole, que sa condamnation ait même amplifié le phénomène.

Imaginez maintenant que le président d’une association de charcutiers – nous l’appellerons Hervé N. – très sensible à cette popularité l’invite à parler devant ses ouailles, que le patron national du syndicat des bouchers-charcutiers – Monsieur Jean-François C. – soit présent à la manifestation et que le journaliste végétarien, sans changer une ligne à son discours habituel, y fasse un triomphe !

A ce stade du récit, votre imagination disjoncte? Elle ne peut aller jusque là ? Pourtant, le passage d’Éric Zemmour au congrès des réformateurs, autrement dit la frange la plus libérale – en économie, s’entend – de l’UMP, ressemble comme deux gouttes de vin d’Arbois à ma parabole végétarienne.

Lorsqu’on écoute Éric Zemmour, lorsqu’on le lit, on sait ce qu’il désigne sans cesse comme responsable de la plupart de nos maux économiques : la liberté intégriste de circulation. Il dénonce celle des marchandises et préconise le protectionnisme ; celle des capitaux, qui met le pays à poil devant la haute finance ; celle des hommes qui permet à l’immigration de se développer, et offre au patronat une « armée de réserve industrielle », selon la vieille antienne marxiste. Il est d’autant plus piquant de constater que c’est la frange la plus libérale, et donc la plus hostile à ce discours, qui tente de récupérer le polémiste.

On me rétorquera à raison que là n’était pas le sujet et que le Club des réformateurs a moins invité Zemmour pour ses idées que comme symbole de la liberté d’expression. Soit. Le problème, c’est que lorsque le chroniqueur de France 2 et de RTL déclare à la tribune qu’il faut supprimer non seulement la HALDE mais aussi toutes les lois mémorielles -loi Gayssot, loi Taubira et aussi celle consacrant les « bienfaits » de la colonisation- comme nombre d’historiens le réclament, il doit être piquant pour lui de faire un malheur dans la salle. Il n’a pas dû non plus bouder son plaisir en voyant Copé et Novelli l’applaudir des deux mains, puisque la loi Taubira et la HALDE furent l’œuvre d’une majorité dont ils étaient des piliers, comme ministre pour l’un, comme législateur pour l’autre. Zemmour est trop intelligent et trop fin observateur de la vie politique pour avoir formulé cette proposition sans en connaître tout le piquant.

« Pendant que vous y êtes, supprimez les subventions aux associations antiracistes », a t-il conclu, se faisant au passage un dernier petit plaisir pour la route. S’il avait manqué de l’élémentaire politesse que l’invité doit à ses hôtes, il aurait pu ajouter, l’œil narquois: « Pendant que vous y êtes, quittez l’UMP ! »

Révolution à Causeur : 48 pages dès ce n°33 !

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Pas besoin d’être Jérémie, comme disait Brassens, pour deviner que nous n’allions pas nous désintéresser des révolutions qui secouent le monde arabe. Mais justement, s’agit-il de vraiment de révolutions, et si oui, vers où entraineront-elles leurs protagonistes? Autant de matière à réflexions et à allègres désaccords, qui s’exprimeront d’autant plus librement que l’épaisseur du dossier s’accroit de 50%, tout comme l’ensemble du journal -qui passe dorénavant de 32 à 48 pages!

50% d’articles en plus, toujours 100% d’inédits et 0% d’augmentation de tarif (pour l’instant) ce serait bête de passer à coté : le moment est donc idéal pour vous abonner, si ce n’est déjà fait ou pour vous réabonner, si besoin est. Cet abonnement, rappelons-le, vous donne aussi accès à l’intégralité des articles verrouillés sur le site. Et puisqu’on parle du site, il n’est pas à exclure que vous y trouviez quelques surprises dès ce lundi. Lesquelles ? Mais on vous a expliqué que c’était des surprises ! Bon, si vous insistez, on va quand même vous dire de quoi il s’agit. Enfin, on va vous le dire, mais seulement lundi…

Juppé bis superstar

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Hosannah ! Alain Juppé est de retour. Intronisé numéro 2 du gouvernement, l’ex-proscrit chiraquien est entré au Quai d’Orsay sous les vivats de la presse, des sondeurs, de la droite mais aussi d’une bonne partie de la gauche. Pas la peine d’attendre Pâques, on entend partout – même à Causeur – un seul son de cloche : enfin la droite qu’on aime ! Celle qui a des valeurs, des principes, de la droiture et ne part pas en vacances n’importe où… À l’Assemblée on l’acclame, dans les éditos, on encense déjà son bilan futur. Il ira au Caire dans les jours à venir, renouer d’un claquement de doigts avec les nations arabes qui se libèrent. Il va forcément « redonner le moral aux diplomates », même si, prévient-il du haut de sa formidable néo-modestie, il n’a « pas de baguette magique ». Des promesses, mais seulement celles qu’on peut tenir. On explique même que les militaires, qui pourtant ne l’ont fréquenté que 100 jours, le regrettent déjà. Sans oublier les Bordelais qui, eux aussi sont tristes de voir l’agenda de leur bon maire – qui pour autant ne les abandonnera pas – grevé par des voyages officiels dans des contrées lointaines, où heureusement Alain va faire briller haut l’image de la France et du Saint-Emilion. On l’a compris, c’est une nouvelle ère politique qui s’ouvre avec le nouveau ministre à lunettes. J’ai même entendu des consœurs dire qu’elles le trouvaient sexy…

On n’est jamais vraiment mort en politique, aurait coutume de dire Juppé, qui a déjà été enterré vivant. Curieuse résurrection quand même : passons sur le côté pâté d’alouette du chiraquien noyé au milieu des sarkozystes pur sucre. Ne parlons même pas de François Fillon, intronisé hyper-Premier ministre depuis le remaniement de l’automne et qui entend bien le rester. Mais peut-on pour autant oublier, comme tous les confrères, le Juppé droit dans ses bottes, premier de la classe, énarque et meilleur d’entre nous ? Juste retour des choses, après avoir morflé pour cause de jurisprudence Balladur, il bénéficie maintenant de la Loi d’airain du « c’était mieux avant», celle qui vaut à Jacques Chirac d’occuper le fauteuil laissé vacant par l’Abbé Pierre dans les classements de popularité.

D’autant que Juppé semble prendre presque du plaisir à son nouveau statut d’homme providentiel. Il faut le voir répondre à l’Assemblée aux questions des députés avec sérieux, sobriété et presque, pincez-moi, humilité ! Sur TF1, il roucoule de bonheur à l’énoncé d’un sondage sur notre politique étrangère qui le crédite de 55% d’opinions favorables. Et faut le voir démentir avec des accents de sincérité presque très convaincants quand on le qualifie de vice-Premier ministre. À se demander s’il n’a pas passé, lui, ses vacances de Noël en stage intensif d’art dramatique au Cours Florent.

La Roche tarpéienne est proche du Quai d’Orsay

Cela dit, à sa place, je savourerais ma victoire en n’oubliant pas toutefois d’aiguiser mon cran d’arrêt, en prévision des traquenards à venir. On a vu d’autres étoiles de cette mouvance, gaullienne donc fréquentable, se fracasser lamentablement. Vous voulez un exemple ? Et bien, au hasard, disons MAM. Il faut se souvenir des papiers enthousiastes sur l’ex-patronne du Quai, avant qu’elle soit à quai. Tellement droite, tellement héritière du Général par lignage direct, tellement au dessus du lot des Woerth et compagnie, forcément cupides et affairistes. MAM elle, parlait et agissait pour la France, rien d’autre. Et on la voyait bien remplacer à l’automne François Fillon pour donner un nouveau souffle au gouvernement, voire redonner confiance aux Français.

Au bout du compte, elle ne fut ni Premier ministre, ni rien d’autre que groupie des dictateurs et abonnée aux jet privés. Aujourd’hui c’est au tour de MAM de se répéter en boucle qu’on n’est jamais vraiment mort en politique[1. On pourra aussi citer Eric Woerth lui-même qui, il y a encore un an, était une étoile montante au sérieux loué par tous, et souvent pronostiqué comme remplaçant putatif de François Fillon].

Oui, Juppé devrait se méfier de cet afflux de nouveaux amis, même s’il en pleut plus qu’à Gravelotte ou sur Facebook. Nicolas Canteloup, qui a plus de mémoire que toute la presse politique, est allé chercher dans un passé pas si lointain de quoi sera fait son avenir proche. Avant d’être le Monsieur Propre de l’UMP, Juppé c’était le stalino-chiraquien, le régisseur en chef de l’Etat-RPR, le coupable direct du raz-de marée social de 95, puis de la rusée dissolution de 97. Juppé-la-poisse, pour reprendre Canteloup, c’est encore l’homme qui fut ministre de l’Environnement pendant trois semaines TTC après la présidentielle de 2007, avant de se faire bananer aux législatives pour avoir annoncé en direct live à la télé que le gouvernement souhaitait la mise en place de la TVA sociale – et avait failli entraîner la majorité toute fraiche de Sarkozy dans sa dégringolade. Comme dit une mauvaise langue à l’Assemblée, « il a 13 mois pour faire une grosse connerie ». Il ne faut jamais désespérer des meilleurs élèves, ils font toujours ce qu’on attend d’eux.

On ne fera pas l’injure à Alain Juppé de lui suggérer de réviser ses classiques – qu’il connaît infiniment mieux que tous ses collègues du gouvernement et que moi aussi – et de méditer la métaphore de la Roche tarpéienne. Plus modestement, je lui suggérerai de relire posément sa propre bio. Et même si je ne suis pas certaine que la musique rasta soit sa tasse de thé, il pourra le faire en écoutant Jimmy Cliff et en méditant les sages paroles de la chanson qui a fait connaître le reggae dans le monde entier : « The Harder They Come, The Harder They Fall ». Sans quoi la droite comme il faut va encore devoir se trouver un nouveau champion.

Pakistan : le martyre prévisible d’un impur au pays des purs

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Il arrive ces jours-ci que l’actualité soit parfaitement prévisible. Ainsi, l’on apprend dans les pages très intérieures des journaux que Shahbaz Bhatti, 42 ans, catholique, ministre pakistanais des Minorités religieuses, a été abattu en plein jour, criblé de 25 balles tirées à l’arme automatique par trois ou quatre hommes qui ont réussi à prendre la fuite. Malgré la pression intense des islamistes pakistanais, Bhatti avait été reconduit dans ses fonctions lors d’un remaniement ministériel qui a eu lieu il y a quelques semaines au Pakistan. J’avais à cette occasion réuni de la documentation dans la perspective d’un article sur la situation des chrétiens au Pakistan, car l’on s’attendait, en raison de la pression islamiste, à ce que ce ministère, qui est le seul relais vers le pouvoir dont disposent les chrétiens (mais aussi les musulmans « hérétiques » ahmadis), dans un pays où ils subissent d’intenses persécutions, soit supprimé. Sous la pression des Américains, ce ministère fut finalement maintenu, au grand dam des islamistes pakistanais, qui redoublèrent alors de fureur, et montèrent d’un cran dans leurs menaces de mort à l’encontre du ministre, lui promettant de lui faire subir le même sort que son ami Salman Taseer, le gouverneur du Pendjab, un musulman hautement éclairé et cultivé, tué début 2011 par un de ses gardes du corps furieux de son opposition déclaré à la loi sur le blasphème.

Puisque le ministère des minorités religieuses était maintenu, l’article en question m’avait alors semblé sans objet, mais en prenant connaissance de ces menaces de mort, je n’ai pu m’empêcher de penser alors que ce valeureux ministre ne ferait pas de vieux os. Sera-t-il remplacé, et si oui, par qui ? Difficile de le savoir, mais l’on ne peut redouter que le gouvernement pakistanais ne tire profit de ce meurtre pour finalement supprimer ce ministère, ou y nommer un homme moins actif et plus accommodant dans la défense des minorités persécutées.

Au Pakistan, les conflits les plus triviaux menacent toujours de mal tourner pour les chrétiens lorsqu’ils sont aux prises avec leurs voisins musulmans. C’est ainsi qu’une paysanne de la province du Pendjab, Asia Bibi, après avoir été tabassée et peut-être violée chez elle par des voisins musulmans qui l’accusaient de blasphème, a été condamné à mort en novembre 2010 en application de la loi anti-blasphème[1 Il semble que le blasphème en question consiste à avoir demandé à des femmes musulmanes qui refusaient de boire après elle parce qu’en tant que chrétienne elle n’était selon elles « pas propre », ce que leur Mohammed avait fait pour elles tandis qu’elle affirmait fièrement que son Jésus était mort pour elle]. Il a été fait appel de cette sentence (qui jusqu’à présent n’a jamais été exécutée pour cette raison au Pakistan).

Shahbaz Bhatti s’était courageusement porté à la défense d’Asia Bibi et de ses autres compatriotes accusés de blasphème. Depuis sa nomination en 2008, le ministre s’était en outre avec constance prononcé en faveur de l’abolition de cette loi sur le blasphème, abolition à laquelle s’oppose son propre Premier ministre, pourtant membre d’un parti considéré comme non-islamiste et malgré de vagues promesses de campagne selon lesquelles les termes cette loi seraient adoucis. En tant que catholique, Shahbaz Bhatti, avait accepté un poste surexposé qui lui avait valu des critiques de la part de certains de ses coreligionnaires qui l’accusaient de se compromettre avec un gouvernement hostile mais aussi et surtout la haine des islamistes qui refusaient de voir un « impur » accéder à un poste de responsabilité au pays des purs. Sa disparition ne laisse rien augurer de bon pour la petite communauté chrétienne pakistanaise, qui subit régulièrement des pogroms et autres persécutions dans l’indifférence complète des médias européens, de plus en plus occupés à battre la coulpe de leurs gouvernements pour manque d’enthousiasme dans la célébration débridée de la grande et hypothétique libération des pays arabes[1. Rappelons que depuis la fin de l’ère Musharraf en 2008, le Pakistan est un pays que l’on considère généralement comme étant « en transition » vers la démocratie].

Les révolutions arabes peuvent-elles donner une utilité à l’UPM ?

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Intervenir ? Ne pas intervenir ? Se contenter d’une dénonciation de la répression ? Ce sont des questions difficiles qui se posent aujourd’hui à la France et aux autres puissances. Si tout le monde critique le gouvernement, les alternatives ne sont pas toujours très claires. Certes, le gouvernement a tardé à dénoncer les dictateurs, mais finalement, pas beaucoup plus que les autres.

La crise libyenne pose clairement la question du respect de la souveraineté nationale. En effet, comme l’a bien souligné Jacques Sapir, le droit d’ingérence est essentiellement le droit du plus fort à imposer sa loi à plus faible que lui. Quant à l’ostracisme, la mise au ban d’un pays, est-il véritablement la bonne solution ? L’isolation de la Corée du Nord ou de Cuba ne freine-t-elle pas au contraire l’évolution de ces pays vers la démocratie ? N’est-ce pas le contact avec des démocraties qui peut au contraire éveiller les peuples à la liberté ?

Certains disent que la France doit dénoncer les dérives des autocrates que nous recevons ou qui nous reçoivent. Mais les critiquer est parfois un moyen commode de s’acheter une conscience à bon compte, sans réellement agir en faveur des peuples qu’ils dirigent. Il n’est pas sûr qu’en parlant des droits de l’homme aux dirigeants chinois devant les journalistes nous contribuons à l’évolution démocratique de la société chinoise.

Entre un laisser-faire absolu, un respect religieux de la souveraineté et l’ingérence, il y a de la marge. La réception exceptionnelle du colonel Kadhafi en 2007 allait beaucoup trop loin. On peut recevoir un autocrate sans céder à tous ses caprices. En outre, au-delà du dialogue avec les autocrates on peut dialoguer avec les peuples, comme l’a su faire le général de Gaulle.

Une seconde chance pour L’UPM ?

Mais aujourd’hui, dans l’urgence de la guerre civile en Libye, l’heure n’est pas à la grande stratégie car la question d’une intervention est sur la table et chaque pays doit en prendre son parti, surtout ceux qui ont les moyens d’agir. Quelles critères donc pour une telle intervention ? Il faut d’abord que le peuple se soit déjà soulevé. Ensuite, un accord assez large de la communauté internationale (par exemple, le Conseil de sécurité de l’ONU) est une condition sine qua non. Mais finalement, comment éviter, dans le cas d’une ingérence « justifiée » répondant à tous ces critères, un engrenage dangereux où les plus puissants dictent la stratégie et décident de la sortie ?

Pour proposer un horizon politique et un cadre pour une éventuelle intervention, l’union pour la méditerranée, ce « machin » voulu par Henri Guaino et Nicolas Sarkozy, pourrait se révéler utile. Aujourd’hui, l’Europe devrait tendre la main aux pays arabes qui se libèrent des autocrates qui les dirigeaient. Comme l’ont fait les Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, nous devrions proposer aux pays devenus de véritables démocraties un plan Marshall destiné à favoriser leur transition.

Ainsi les pays européens donneraient une prime à la démocratie et à la liberté, sans s’ingérer directement dans les affaires des pays arabes. Les pays dont les dirigeants respecteraient la transition démocratique bénéficieraient d’une aide économique leur permettant de limiter les troubles que toute transition génère, car, comme l’a souligné Hubert Védrine dans Marianne le processus de démocratisation sera long. Ce serait un immense message d’espoir envoyé aux pays arabes, une main tendue pour les aider.

Les pays européens ont déjà failli au rendez-vous de l’histoire en imposant une transition économique brutale aux anciens pays communistes. Qui osera se saisir de l’occasion qui se présente aujourd’hui ?

Egypte : sous les pavés, la crise

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La crise libyenne rajoute une couche à la situation économique, déjà extrêmement dégradée, de l’Égypte. Comme dans beaucoup de pays du Tiers monde, les transferts d’argent de travailleurs émigrés égyptiens pèsent lourd dans l’économie : 12 milliards dollars par an, presque 3% du PIB. Mais cet argent pèse encore plus dans les revenus des familles pauvres car l’Egyptien typique qui travaille à l’étranger est plutôt un maçon ou un journalier qu’Omar Sharif ou Boutros Boutros-Ghali. Pour comprendre ce phénomène il faut savoir qu’à peu près 1,5 millions d’Egyptiens qui travaillaient en Libye envoyaient à leurs familles quelque chose comme 250 millions par an, c’est-à-dire 167 dollars par ouvrier… Ce ne sont pas des médecins ou des ingénieurs de l‘industrie pétrolière.

Pas question donc de toucher au budget de subventions – 5% du PIB – juste au moment où un million et demi de familles supplémentaires sont dans le besoin, sans parler des 20% d’Egyptiens qui vivent déjà en temps « normal » sous le seuil de pauvreté. Ceux-ci sont particulièrement nombreux dans les campagnes et le pouvoir en place compte beaucoup sur les paysans pauvres et conservateurs pour contrecarrer le mouvement démocratique, plutôt urbain.

Pas question non plus de mettre en cause les salaires des 6 millions de fonctionnaires récemment augmentés de 15%. Du côté du bâtiment les nouvelles ne sont pas bonnes non plus : les chantiers sont arrêtés et le chômage dans le secteur dépasse 80%. Quant au tourisme, durement touché, c’est certes une industrie capable de rebondir rapidement, mais à condition toutefois que l’image du pays change radicalement.

Bref, pour cette phase de transition, le gouvernement n’a d’autre solution que d’emprunter. Pas le temps pour des investissements et des projets à long terme : il faut du cash, beaucoup et illico pour tenir plusieurs mois sinon plus. L’Arabie saoudite, les États-Unis mais aussi l’Europe devraient mettre la main à la poche, faute de quoi la Place Tahrir risque de ne plus être seulement envahie par le badauds en quête d’une photo souvenir…

Tarification unisexe : Bruxelles ne manque pas d’assurance

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La Cour de justice de l’Union européenne vient de décider que « la prise en compte du sexe de l’assuré en tant que facteur de risques dans les contrats d’assurance constitue une discrimination » et qu’à ce titre, les compagnies d’assurances devront désormais pratiquer des tarifs unisexes à compter du 21 décembre 2012. Cette décision est accueillie partout avec un enthousiasme touchant à l’image de Viviane Reding, notre commissaire européenne à l’égalité, qui déclare « c’est un grand jour pour l’égalité des genres dans l’Union européenne ».

La cour vient donc d’entériner le fait que le sexe de l’assuré n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation des risques et donc, que les assureurs sont non seulement d’effroyables sexistes mais aussi totalement incohérents puisqu’ils discriminent en faveur des hommes en matière de pensions de retraite au motif fallacieux que ces derniers vivraient moins longtemps que les femmes et discriminent en faveur des conductrices au prétexte tout aussi mensonger qu’elles auraient moins d’accident graves que les conducteurs.

Heureusement, l’Union Européenne et ses myriades de petites réglementations sournoises et compliquées (bien qu’ultralibérales à ce qu’on dit…) sont là pour faire disparaître la dérogation inique qui permettait jusqu’alors aux assureurs de tenir compte de leurs tableaux statistiques et donc de ce réel que le législateur bruxellois ne saurait tolérer plus longtemps.

L’observateur attentif pourra donc bientôt mesurer l’augmentation généralisée de nos primes d’assurance et mettre ça sur le dos de la rapacité desdits assureurs. Il sera alors peut être temps de réclamer que cessent enfin les honteuses discriminations dont sont victimes les pauvres en matière de prêts immobiliers comme les Etats-Unis ont su si bien le faire.