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Jamel Debbouze règle son compte à Eric Zemmour

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Dans une interview aux Inrockuptibles de cette semaine, Jamel Debbouze a pris le temps de dire tout le mal qu’il pensait d’Eric Zemmour. Il l’a fait avec sa finesse coutumière, en réclamant son licenciement pur et simple, une exigence étayée, il est vrai, par un raisonnement implacable : 
 »Il ne faut pas qu’il fasse de la télé. Parce que c’est dangereux d’entendre ce genre de discours. Il est spectaculaire, il n’a aucune idéologie, je suis sûr qu’il ne pense pas ce qu’il dit : c’est juste un imbécile qui touche des piges. »

Sûr que Zemmour l’imbécile ne se relèvera pas de cette estocade portée par Debbouze le bénévole.

Néanmoins, la France n’étant plus qu’une démocratie d’opérette, il y a fort à parier que Zemmour le spectaculaire continuera encore de diffuser « ce genre de discours » sur France2, i>Télé et RTL. Dans un vrai pays libre, genre le Maroc, un simple coup de fil de Debbouze l’idéologue à son ami le Roi, et hop, l’affaire était réglée…

Fausse alerte à Damas

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Les observateurs et les médias internationaux attendaient beaucoup le discours que le président Bachar el-Assad, devait prononcer hier devant le « Parlement » syrien.

Suite aux manifestations qui, depuis le 15 mars, ont fait au moins 130 morts à Deraa et à Lattaquié, on nous avait annoncé notamment la levée de l’état d’urgence (en vigueur depuis 63 !) et même la libération des prisonniers politique.

Patatras ! De contentant de fustiger « une conspiration contre la Syrie », non seulement Assad n’a rien lâché sur rien mais à la fin de son discours ses « députés » ont longuement scandé : « Par notre sang, par notre âme, nous nous sacrifierons pour toi, Bachar ! »

Ça promet pour la suite…

La menace chrétienne

Derby, église Saint-Luc.

Depuis le 28 février 2011 et la condamnation par la Haute Cour de justice britannique de Eunice et Owen Johns, le délit d’opinion chrétienne est officiellement et légalement reconnu dans l’un des 27 pays de l’Union Européenne. Habitant Derby, dans le nord ouest de l’Angleterre, monsieur et madame Johns ont été condamnés parce qu’ils ont des opinions chrétiennes, pentecôtistes pour être plus précis. L’information est évidemment passée inaperçue en France, où nous sommes hantés par une « inquiétude majeure » : que l’on reconnaisse les racines chrétiennes de l’Europe ou d’un pays. Obnubilés que nous sommes par cette fausse querelle, nous ne voyons pas ce qui se produit réellement et qui fera date : ce n’est pas la laïcité qui est menacée en Europe, mais le droit au christianisme.

Que s’est-il passé le 28 février dernier ? Le couple Johns comparaissait devant les tribunaux. La Haute Cour a décidé de leur interdire le statut de famille d’accueil pour des enfants en rupture familiale. Les Johns ne sont pourtant pas soupçonnables de mettre en danger le moindre enfant – cela le tribunal le reconnaît, comme il reconnaît qu’on ne peut pas leur reprocher de ne pas savoir éduquer les chérubins. Difficile de faire autrement : les Johns ont élevé quatre enfants, ils en ont recueilli plus d’une quinzaine, garçons et filles indifféremment. Ni délinquants, ni criminels, ni sexistes, ni pédophiles, ni dangereux, parfaitement aptes à l’éducation. Alors quoi ? Les Johns sont chrétiens. Et cela suffit pour que la Haute Cour de justice les juge incapables d’accueillir et d’éduquer des enfants sans parents.

Une loi de 2007, portant sur la tolérance et la diversité, oblige les villes britanniques à s’assurer que les familles d’accueil prônent cette diversité et cette tolérance. Lisons bien : non pas « respectent » mais « prônent ». Du coup, la municipalité de Derby a demandé aux Johns d’inculquer la tolérance vis-à-vis des couples homosexuels, plus précisément de dire aux enfants que « l’homosexualité est une bonne chose ».

Mme Johns était d’accord pour ne pas dire aux enfants que l’homosexualité serait une mauvaise chose. Mais Mme Johns ne veut pas inculquer aux enfants l’idée que l’homosexualité serait particulièrement bienfaisante. Donc, Mme Johns est condamnée et n’a plus le droit d’accueillir des enfants. Elle a perdu son job. Son opinion est pourtant une simple opinion, liée selon elle à ses conceptions chrétiennes. Elle peut avoir raison ou tort sur ce point.

La tolérance exigée par la loi se mue ainsi en intolérance manifeste mais légalisée. Et l’on voit apparaître un délit d’opinion chrétienne, en vertu duquel on ne saurait avoir sur l’homosexualité un point de vue s’écartant tant soit peu de l’approbation enthousiaste. Le 28 février fera date. Peut-être qu’un jour les fonctionnaires de l’Etat britannique devront fournir un certificat d’homosexualité, avec photos à l’appui, pour être autorisés à travailler.

Libye : peu de sang, et encore moins de sang froid…

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Au début de la crise en Libye on parlait de massacres. Plus tard, on a plutôt parlé des massacres à venir qu’il faudrait empêcher. On évoquait les menaces explicites de Kadhafi envers les habitants de Benghazi et le passé chargé du dictateur. Il fallait croire ce qu’il disait et intervenir avant qu’il soit trop tard.

Depuis quelques jours, les allers-retours des forces pro et anti-Kadhafi permettent de voir comment les forces fidèles au Frère guide se comportent dans des villes libérées qui tombent de nouveau entre leurs mains. Pierre Barbancey de l’Humanité l’avait fait. Il s’est rendu à Ajdabiya, une ville côtière située à 150 km à l’ouest de Benghazi et considérée comme un verrou sur la route principale qui mène vers la capitale de la rébellion. Voici son témoignage :
« En entrant dans Ajdabiya, que l’on avait quitté il y a dix jours alors que les troupes kadhafistes y étaient victorieuses, on est surpris par l’état de la ville. Il ne semble pas y avoir eu de « durs » combats et les magasins n’ont pas été pillés, ni détruits par des « soldats enragés », ainsi que le proclame Libya Horia, la radio de la rébellion dont le ton s’islamise de plus en plus. Quelques façades portent des impacts de balles mais ce sont celles situées sur la route principale. Les quartiers n’ont pas été touchés et il n’y a pas eu de forte résistance de la part d’une population qui a préféré se réfugier à Benghazi ou dans les fermes environnantes. »

Plus étonnant encore est un certain délire qui semble s’emparer de quelques têtes rebelles. Selon Pierre Barbancey les insurgés pour leur part voient en Kadhafi un allié d’Israël. « On nous a même demandé, raconte-il, s’il était vrai qu’à Benghazi l’armée israélienne était venue soutenir les forces gouvernementales ! ».
Avec un tel sens du discernement, pas étonnant que les rebelles aient abattu leur propre avion de chasse au-dessus de Benghazi…

Révolutions arabes : l’illusion anti-lyrique

L’œuvre de Milan Kundera est infiniment plus vivante et vigoureuse que le gâtisme médiatique qui l’a dérisoirement décrétée « d’actualité » pour deux mois. L’actualité de Kundera, comme celle de tout romancier majeur, se vérifie perpétuellement. Elle se manifeste dans les profondeurs de l’âme humaine, à chaque seconde. Chacun sait que ce lieu – que l’épuisant bredouillis médiatique tente en vain de recouvrir et de refermer – est le plus réel et le plus obscur. C’est également en ce lieu que se déploie d’abord l’événement insaisissable et majeur portant le nom de code de « révolutions arabes ».

Toute l’œuvre de Kundera est traversée par la critique du sentimentalisme. Celle-ci culmine dans trois chefs-d’œuvre : dans La vie est ailleurs, exploration cruelle de « l’attitude lyrique » de Jaromil, jeune poète narcissiquement enivré par la révolution ; dans L’Insoutenable légèreté de l’être et ses inoubliables méditations sur le kitsch ; dans l’œuvre de Kundera que j’aime entre toutes enfin, L’Immortalité, voyage dans les profondeurs du mystère de « homo sentimentalis ».

Milan Kundera adresse trois critiques au sentimentalisme. Il critique tout d’abord le fait de considérer les sentiments en tant que tels comme une valeur suprême, de poursuivre indistinctement l’intensité des sentiments comme une fin et un bien en soi. Ses romans déploient de multiples situations où le déchaînement des sentiments et le bien se refusent malignement à coïncider. Sa deuxième critique concerne l’exhibitionnisme de l’âme, l’hystérie sentimentale se donnant en spectacle. Elle ne constitue pas une critique des sentiments en tant que tels mais du narcissisme. Dans Les Testaments trahis, Kundera médite la notation de Kafka : « Sécheresse de cœur dissimulée derrière un style débordant de sentiments. » Sa troisième critique vise enfin à réfuter la confusion entre vérité et exaltation subjective, l’erreur qui consiste à prendre le sentiment pour un gage infaillible de vérité. L’intensité avec laquelle nous sommes attachés à une hypothèse ne prouve en rien, hélas, la vérité de cette hypothèse.

J’éprouve beaucoup de reconnaissance envers Kundera pour ces trois critiques – que j’intègre pour ma part dans un horizon chrétien. Ni les sentiments ni la raison ne constituent un mal en eux-mêmes. Le lieu de l’éthique, c’est le corps dans sa profondeur de temps et d’expérience, soutenant ses actes et ses paroles dans le présent ; c’est le corps non comme extase dans le présent (dénoncée à juste titre dans Les testaments trahis) mais comme extase de l’expérience, communication extatique et vivifiante entre passé et présent. Le lieu de l’éthique, c’est le corps comme unité miraculeusement donnée, à même l’évidence de la chair, unité salvatrice, libératrice, du cœur, de la tête et du sexe. Le mal et le mensonge ne sont pas le cœur, mais le cœur séparé du corps. Cœur tranché, tête tranchée, sexe tranché : la folie est sûre. La critique du sentimentalisme chez Kundera ne procède pas de la tête – encore moins de l’archi-tête de mort nommée idéologie – mais du corps. D’un corps animé par une joie résolue de l’incarnation et une délicatesse de sentiments extrême.

L’anti-lyrisme autonomisé, séparé du corps, peut cependant devenir lui aussi une dogmatique simplificatrice, source non de vérités mais d’erreurs. Ce danger est parfois présent, de manière diffuse, dans Causeur, où l’on se plaît à fouetter les illusions lyriques chaque matin. Ayant fait plus qu’à mon tour l’expérience de ces deux amputations, je le sais : la tête tranchée ne se fait absolument pas moins d’illusions que le cœur tranché.

La raison coupée du corps s’enivre peu à peu d’elle-même et s’abandonne aux mêmes prétentions hégémoniques, à la même toute-puissance illusoire que le cœur tranché. Elle contemple avec satisfaction la froideur implacable de ses observations, sa lucidité distanciée et supérieure. Au narcissisme du cœur répond le narcissisme des glaces. A la haine du cœur coupé envers la tête répond la haine de la tête envers le cœur. Ces deux haines nous éloignent de toute lucidité véritable.

L’anti-lyrisme ne doit pas devenir un dogme mis au service de certitudes idéologiques préétablies, une arme idéologique – ce qui est absolument étranger, du reste, à l’esprit de Kundera. Cela a parfois été le cas dans Causeur concernant les révolutions arabes, même si elles ont aussi donné lieu à des analyses profondes et charnelles. Ne tentons pas d’escamoter les révolutions arabes derrière un paravent anti-lyrique confortable et protecteur. Arrêtons l’anti-lyric pride !

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’espérance les textes de Mehdi Belhaj Kacem parus sur le site de La Règle du jeu et écrits par un corps situé en Tunisie. Mon corps se situe en France. Comme tout le monde, je ne sais rien, strictement rien, des révolutions arabes et de la révolution tunisienne. Je sais seulement qu’elles constituent un événement libérateur qui ouvre une brèche d’espérance pour tous les peuples, y compris le peuple français. Il me semble insensé de prétendre que les démocraties occidentales et les dictatures arabes relèvent d’une seule et même situation éthique, d’une commune et à peu près égale terreur policière, comme l’ont sournoisement suggéré dans Le Monde les inculpés de Tarnac – envers qui les persécutions indignes de l’Etat français n’ont certes toujours pas cessé. Ils ont raison cependant sur un autre point : l’état de dévitalisation extrême de nos vieilles démocraties et leur décomposition en oligarchies de plus en plus obscènes et désorientées. Le corps tranché de toutes parts jusqu’à l’irrespirable, c’est aussi – mais tout autrement que sous les dictatures et en l’absence d’Etat de droit – le vieux corps de nos sociétés démocratiques. Celui-ci a besoin d’une régénérescence qui ne peut venir que des peuples européens – à l’évidence plus dignes de confiance que Marine Le Pen ou Dominique Strauss-Kahn.

Je ne sais pas si les révolutions arabes sont lyriques. J’ai une forte espérance qu’elles ne soient pas l’œuvre du cœur tranché, ni de la tête tranchée, mais du corps, de sa mémoire et de sa justice. Et qu’elles rappellent à d’autres corps qu’il est possible – en dépit de l’avis formel de tous les spécialistes – d’être en vie.

L’événement, comme le répétait Derrida, cela peut toujours être la mort. En dépit de ce risque, il convient de l’accueillir. Avec joie et angoisse. Avec joie et terreur. Sans glisser dans l’extase du présent, en laissant dialoguer présent et passé dans notre chair. Gardons-nous de la joie mauvaise de prétendre ramener l’inconnu au déjà-connu. Renonçons au mensonge de la fausse familiarité tentant de toute force de conjurer et d’abolir l’événement. Les prophéties annonçant doctement que l’inconnu va vite rentrer au bercail du déjà-connu, qu’il ne peut que glisser gentiment dans les ornières du déjà-connu, sont stériles et impuissantes.

Sur la crête entre impuissance et toute-puissance, les peuples arabes nous le rappellent, quelque chose peut advenir.

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Piratage et ratage

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Ce sont les excellents geeks blogueurs de MacBidouille, les majors américaines du disque n’y sont pas allés avec le dos de la cuiller en matière de dommages et intérêts dans le procès qui les oppose a Limewire, un des sites pionniers en matière d’échange de fichier P2P (ce qu’on appelle « piratage », quand on est actionnaire d’Universal, de Sony Music ou de l’UMP et qu’on veut faire peur à votre maman)

D’après la source de MacBidouille, le site informatique US Fudzilla, le préjudice subi est estimé par les victimes supposées quelque part entre « 400 milliards de dollars pour la fourchette basse, la fourchette haute étant, elle, de 75000 milliards de dollars ».

On félicitera donc les statisticiens et les juristes des majors pour la précision de leurs calculs, tout en regrettant que le juge en charge du procès n’ait pas apprécié à sa juste valeur cette comptabilité créative puisque qu’il a jugé « absurdes » les prétentions des pauvres maisons de disques.

Il faut dire, à titre de comparaison, que 75000 milliards de dollars, c’est pile 20 fois plus que le budget fédéral annuel des Etats-Unis…

Faut-il débattre de l’étoile verte ?

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Doit-on vraiment parler de l’étoile verte qu’Abderrrahmane Dahmane, l’ex-conseiller à l’Elysée chargé de la diversité, a appelé tous les musulmans à arborer pour protester contre le débat sur la laïcité ?

Doit-on parler du tollé que cette initiative a provoqué ? Faut-il répondre à ce garçon sur la forme ou bien sur le fond de ce problème sans fond ?
Pour les autres, je ne saurais répondre. Et quant à moi, je ne sais pas non plus.

D’un côté, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. Et d’un autre côté je préférerais faire comme si. Comme si on n’avait pas été confronté à ce précipité de tout ce qui me fatigue sur terre : l’inculture crasse, l’impudence assumée, le relativisme historique, le marketing politique, l’activisme buzziste et autres figures de la modernité moderne dont Abderahmane Dahmane est une émanation chimiquement pure, à l’image d’un Benjamin Lancar, d’un Arthur ou d’un Frank Ribéry.

Ce n’est pas tant l’injure paranégationniste faite aux victimes de la barbarie hitlérienne qui me choque, et dont je n’ai de toute façon pas envie de parler – m’évitant par ce silence de tomber sous le coup de nos lois – que l’injure faite en général au XXème siècle et aux précédents par un décérébré qui relève probablement moins de Mahomet que de Nintendo.

Et ce soir, j’ai de la peine pour les musulmans de France et d’ailleurs, qu’ils soient buveurs de bière, pratiquants occasionnels voire barbus modérés, sur qui rejaillit forcément le coup de pub gogol de leur coreligionnaire.

J’ai de la peine pour l’UMP et la droite institutionnelle dont le mépris affiché pour le débat idéologique et la préférence radicale pour la com’ se trouvent un peu trop sévèrement sanctionnés par la bêtise d’un garçon qu’on avait quand même jugé digne d’être le conseiller direct du Président en matière d’immigration…

J’ai enfin de la peine pour Robert Badinter et tous les intellectuels qu’Abderahmane Dahmane a réquisitionnés pour sa défense, arguant qu’ils avaient établi bien avant lui le parallèle obligé entre l’actuelle « islamophobie » et l’antisémitisme des années 30 – sans jamais s’interroger sur la différence entre ceux à qui on voulait refuser autrefois l’assimilation et ceux qui la refusent aujourd’hui, mais c’est une autre histoire.

Le pire c’est que M. Dahmane n’a pas tout à fait tort. Certes, c’est le dernier des cons, mais aller chercher des immondices bêtes dans des cerveaux féconds, ça reste à la portée du dernier des cons. À l’instar des jeunes socialistes lecteurs de Badiou de je ne sais plus quel coin perdu qui avaient fabriqué des affiches comparant Sarkozy à Hitler, il a d’abord commencé par traiter Jean-François Copé de « néonazi ». Comme cela ne suffisait pas à faire parler du drame personnel qu’il vit, et dont il suppose qu’il frappe aussi tous les fidèles de France, alors Abderahmane Dahmane a lancé, à défaut d’une fatwa qu’il n’est pas habilité à prononcer, son gadget magique de l’étoile verte. Ce faisant, il n’a fait que traduire en langage youtubien les thèses de MM Badinter et Hessel et les résolutions adoptées à l’unanimité par les congressistes du MRAP, de la LICRA et de la Ligue des Droits de l’Homme. Lesquels ne méritaient pas tant d’indignité. Enfin, si, un peu, quand même…

Quand les Inrocks rééduquent Gainsbourg

L’hebdomadaire Les Inrockuptibles a décidé de rendre lui aussi hommage à Serge Gainsbourg… L’organe humaniste a donc édité un hors-série de très bonne facture… papier glacé, quadrichromie glaçante, photos sublimement choisies, poster « géant » et CD offert. L’hommage est dignement rendu. Les journalistes ont fait le job.

Hélas, l’hebdo fétiche des salles d’attente des dentistes de gauche, a décidé – comme à son habitude – de faire le partage entre le bon grain et l’ivraie (je n’ai pas dit l’ivresse !) à propos de Serge. Sur une double page titrée « Ces petits riens » les grands inquisiteurs à la petite semaine des Inrocks reprochent à l’auteur de La Javanaise d’avoir cramé un billet de 500 francs en direct à la télé… « On peut trouver ça super punk ou super con. Le plus triste dans l’histoire, c’est que ce geste incendiaire n’était qu’une protestation très déplacée contre le fisc ». Ben oui, le fisc… c’est le Bien. Quel chien cet artiste super blindé qui se plaint qu’on lui ponctionne plus de la moitié de ses revenus!

Mais ce n’est pas tout… Serge est aussi – selon les Inrocks – une « pub vivante pour la loi Evin »… Evidemment boire et fumer, c’est mal ! Et puis Serge ne devrait pas non plus s’adonner tant au plagiat ! Et puis, l’homme à la tête de chou n’aurait pas du proposer la botte à Mlle. Houston Whitney… ce qui constitue, selon les inrockeux, un authentique « outrage » au féminisme. Question : que restera t-il dans cent ans de la demoiselle ? Ses obscures chansons ou bien cette séquence télévisée immortelle ?

Ultime reproche – car ce magazine est une vraie rotative à produire des reproches – Serge a eu le tort, le matin de son décès, d’oublier de prendre sa pilule pour le cœur. Ben oui, nous dit-on aux Inrocks, sinon il serait peut-être encore vivant. Vivant comme, disons… Guy Béart ou Hugues Aufray ? Vivement qu’ils publient vite un hors-série sur Georges Brassens – la pipe c’est mal ! – que je meure à mon tour! Gare aux Inrooooocks!

Le protectionnisme ne protège pas

photo : VERONIQUE ROBERT

Les appels au protectionnisme continuent. Du Front National au Front de Gauche en passant par Emmanuel Todd, Arnaud Montebourg(PS), Julien Landfried (MRC) et jusqu’à mon pourtant très sympathique camarade causeur Laurent Pinsolle, tous appellent à « protéger notre industrie » en rétablissant des barrières douanières. Je ne reviendrai pas sur le caractère profondément inepte du mercantilisme et de la théorie de la balance commerciale – voir Frédéric Bastiat (1845) sur ce point – ni sur l’extrême dangerosité du nationalisme économique pour me concentrer – cette fois-ci tout du moins – sur cette fameuse « désindustrialisation » dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années. Comme souvent, un petit détour par les faits (qui sont têtus) me semble nécessaire.

Ajustée de l’inflation, notre production industrielle a augmenté de 548% depuis 1950, de 114% depuis 1970 et de 31% depuis 1990[1. Chiffres de l’Insee. Est-il utile de préciser qu’ils sont ajustés de l’inflation ?]. En termes de valeur ajoutée, notre secteur industriel a produit 593% plus de richesse qu’en 1950, 99% de plus qu’en 1970 et 21% de plus qu’en 1990. Le très léger recul de notre production industrielle et de sa valeur ajoutée au cours de la dernière décennie (de 2% et 1% respectivement) est intégralement imputable aux années 2008 et 2009 – c’est-à-dire à la crise dite des « subprimes ». Si par « désindustrialisation » on entend une disparition des activités industrielles françaises, du point de vue de la production et de la création de richesse, ce phénomène n’existe pas.

En 1949, l’industrie représentait 32.6% de notre production totale ; cette proportion est montée jusqu’à 34% au début des années 1970 avant de décliner régulièrement pour atteindre 27.2% en 2010. En 1950, l’industrie produisant 15.5% de la valeur ajoutée française ; ce rapport atteint 20% au cours des années 1970 avant de rebaisser pour revenir à 15.7% en 2010 (soit le niveau de 1950). De ces chiffres on peut déduire que si la part de l’industrie dans notre production comme dans la création de richesse de notre économie a baissé depuis les années 70, c’est en raison d’une progression plus rapide des activités de service.

De 1949 à la fin des années 70, l’industrie représentait environ 1 emploi[2. En équivalent temps plein] sur 4. Ce chiffre a commencé à décliner au détour des années 80 pour atteindre 13% en 2009. Entre 1975 et 2009, le nombre d’emplois créés par l’industrie française s’est réduit de 2.3 millions essentiellement en raison du progrès technologique et de l’automatisation des chaînes de production. C’est ce même phénomène qui explique que la valeur ajoutée industrielle progresse plus vite que la production : nos industries sont devenues beaucoup plus efficaces et beaucoup moins intensives en main d’œuvre.

Dernier point sur ce sujet, une usine des années 50 à 70 était un lieu de production situé entre quatre murs au milieu desquels vous trouviez des ouvriers, des ingénieurs et un patron – certes – mais aussi des agents d’entretien, des commerciaux, des comptables, des chauffeurs-livreurs etc… Une des grandes évolutions de nos entreprises depuis cette époque tient en un mot : « externalisation ». Aujourd’hui, les agents d’entretien ne sont plus des salariés de l’entreprises – et ne sont donc plus comptés dans les bataillons des salariés de l’industrie – mais travaillent pour une entreprise de service qui propose ses services aux entreprises industrielles. Or, il se trouve que sur la période 1975-2009, le nombre d’emplois fournis par le secteur des « services aux entreprises » a augmenté de 2.6 millions. La réduction des « emplois industriels » doit être appréciée à cette aune.

Bref, il n’y a pas de « désindustrialisation ». Il y a une croissance plus rapide des industries de services, notamment liée à l’externalisation des fonctions annexes de l’industrie et il y a des progrès technologiques qui nous permettent de réorienter le travail autrefois utilisé pour des tâches répétitives et mécaniques vers des métiers où nous avons besoin d’êtres humains.

Nous ne connaissons pas le bilan net, en termes d’emplois, des délocalisations d’un certain nombre de métiers – et pas d’industries[3. Non, ce n’est pas la même chose] – vers des pays où les salaires sont moins élevés : pour une filature fermée en France, combien d’entreprises ont pu se créer et prospérer chez nous parce qu’elles pouvaient faire assembler les produits fabriqués à moindres coûts là bas? Quand Apple lance la production d’iPhone en 2007 et en confie l’assemblage à une entreprises située à Shenzhen, la firme de Cupertino emploie 23 700 salariés. Au 25 septembre 2010, Apple compte 46 600 employés. Combien d’emplois le simple fait de pouvoir disposer de produits électroménagers moins chers a-t-il créé en France ? Combien de vendeurs, de designers et d’ingénieurs ont trouvé un métier grâce à la hausse de la demande qui en a résulté ? Combien d’emplois les économies que nous avons réalisées en payant notre lave-linge une bouchée de pain ont-elles créé dans d’autres secteurs ? Combien d’emplois les activités d’import et d’export génèrent-elles ?

Einstein disait qu’un préjugé est plus difficile à briser qu’un atome. En voilà un qui ne déroge pas à la règle.

Egalité réelle, le laboratoire belge

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La dernière décision que vient de prendre le gouvernement de la Communauté française de Belgique, sous la forme d’un décret aussitôt surnommé « Robin des Bois » est absolument épatante. Elle oblige les écoles qui ont bien géré leur budget à participer au financement des écoles déficitaires chroniques.

Cette décision ubuesque a au moins un mérite : elle fait l’unanimité. Profs, syndicats d’enseignants, directions d’écoles, pouvoirs organisateurs, associations de parents, tous sont farouchement opposés à cette imbécillité qui sanctionne les meilleurs.

Naturellement, on entend déjà les chœurs des pleureuses et leur litanie misérabiliste, « il y a des écoles dans des quartiers défavorisés qui luttent, gnagnagna ».

Oui, il y a des quartiers défavorisés. Personne ne le nie. Mais cela n’explique pas la disparité entre les écoles. En effet, dans la commune de Saint-Gilles -une des plus pauvres de l’agglomération de Bruxelles- deux écoles, situées non seulement dans la même rue, mais dans le même pâté de maisons, se retrouvent donatrice pour l’une, bénéficiaire pour l’autre.

Il n’y a aucune raison pour que le gouvernement de la Communauté française, et particulièrement le ministère de l’enseignement, s’arrête en si bon chemin. A quand un décret pour une plus juste redistribution des points aux examens ? Elève Théo, vous avez fait un 17 sur 20 en math. Vous êtes donc prié de refiler une partie de vos points à votre camarade Antoine qui n’a récolté qu’un 2 sur 20, le malheureux ! L’égalité, ça ne se négocie pas !

Jamel Debbouze règle son compte à Eric Zemmour

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Dans une interview aux Inrockuptibles de cette semaine, Jamel Debbouze a pris le temps de dire tout le mal qu’il pensait d’Eric Zemmour. Il l’a fait avec sa finesse coutumière, en réclamant son licenciement pur et simple, une exigence étayée, il est vrai, par un raisonnement implacable : 
 »Il ne faut pas qu’il fasse de la télé. Parce que c’est dangereux d’entendre ce genre de discours. Il est spectaculaire, il n’a aucune idéologie, je suis sûr qu’il ne pense pas ce qu’il dit : c’est juste un imbécile qui touche des piges. »

Sûr que Zemmour l’imbécile ne se relèvera pas de cette estocade portée par Debbouze le bénévole.

Néanmoins, la France n’étant plus qu’une démocratie d’opérette, il y a fort à parier que Zemmour le spectaculaire continuera encore de diffuser « ce genre de discours » sur France2, i>Télé et RTL. Dans un vrai pays libre, genre le Maroc, un simple coup de fil de Debbouze l’idéologue à son ami le Roi, et hop, l’affaire était réglée…

Fausse alerte à Damas

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Les observateurs et les médias internationaux attendaient beaucoup le discours que le président Bachar el-Assad, devait prononcer hier devant le « Parlement » syrien.

Suite aux manifestations qui, depuis le 15 mars, ont fait au moins 130 morts à Deraa et à Lattaquié, on nous avait annoncé notamment la levée de l’état d’urgence (en vigueur depuis 63 !) et même la libération des prisonniers politique.

Patatras ! De contentant de fustiger « une conspiration contre la Syrie », non seulement Assad n’a rien lâché sur rien mais à la fin de son discours ses « députés » ont longuement scandé : « Par notre sang, par notre âme, nous nous sacrifierons pour toi, Bachar ! »

Ça promet pour la suite…

La menace chrétienne

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Derby, église Saint-Luc.

Depuis le 28 février 2011 et la condamnation par la Haute Cour de justice britannique de Eunice et Owen Johns, le délit d’opinion chrétienne est officiellement et légalement reconnu dans l’un des 27 pays de l’Union Européenne. Habitant Derby, dans le nord ouest de l’Angleterre, monsieur et madame Johns ont été condamnés parce qu’ils ont des opinions chrétiennes, pentecôtistes pour être plus précis. L’information est évidemment passée inaperçue en France, où nous sommes hantés par une « inquiétude majeure » : que l’on reconnaisse les racines chrétiennes de l’Europe ou d’un pays. Obnubilés que nous sommes par cette fausse querelle, nous ne voyons pas ce qui se produit réellement et qui fera date : ce n’est pas la laïcité qui est menacée en Europe, mais le droit au christianisme.

Que s’est-il passé le 28 février dernier ? Le couple Johns comparaissait devant les tribunaux. La Haute Cour a décidé de leur interdire le statut de famille d’accueil pour des enfants en rupture familiale. Les Johns ne sont pourtant pas soupçonnables de mettre en danger le moindre enfant – cela le tribunal le reconnaît, comme il reconnaît qu’on ne peut pas leur reprocher de ne pas savoir éduquer les chérubins. Difficile de faire autrement : les Johns ont élevé quatre enfants, ils en ont recueilli plus d’une quinzaine, garçons et filles indifféremment. Ni délinquants, ni criminels, ni sexistes, ni pédophiles, ni dangereux, parfaitement aptes à l’éducation. Alors quoi ? Les Johns sont chrétiens. Et cela suffit pour que la Haute Cour de justice les juge incapables d’accueillir et d’éduquer des enfants sans parents.

Une loi de 2007, portant sur la tolérance et la diversité, oblige les villes britanniques à s’assurer que les familles d’accueil prônent cette diversité et cette tolérance. Lisons bien : non pas « respectent » mais « prônent ». Du coup, la municipalité de Derby a demandé aux Johns d’inculquer la tolérance vis-à-vis des couples homosexuels, plus précisément de dire aux enfants que « l’homosexualité est une bonne chose ».

Mme Johns était d’accord pour ne pas dire aux enfants que l’homosexualité serait une mauvaise chose. Mais Mme Johns ne veut pas inculquer aux enfants l’idée que l’homosexualité serait particulièrement bienfaisante. Donc, Mme Johns est condamnée et n’a plus le droit d’accueillir des enfants. Elle a perdu son job. Son opinion est pourtant une simple opinion, liée selon elle à ses conceptions chrétiennes. Elle peut avoir raison ou tort sur ce point.

La tolérance exigée par la loi se mue ainsi en intolérance manifeste mais légalisée. Et l’on voit apparaître un délit d’opinion chrétienne, en vertu duquel on ne saurait avoir sur l’homosexualité un point de vue s’écartant tant soit peu de l’approbation enthousiaste. Le 28 février fera date. Peut-être qu’un jour les fonctionnaires de l’Etat britannique devront fournir un certificat d’homosexualité, avec photos à l’appui, pour être autorisés à travailler.

Libye : peu de sang, et encore moins de sang froid…

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Au début de la crise en Libye on parlait de massacres. Plus tard, on a plutôt parlé des massacres à venir qu’il faudrait empêcher. On évoquait les menaces explicites de Kadhafi envers les habitants de Benghazi et le passé chargé du dictateur. Il fallait croire ce qu’il disait et intervenir avant qu’il soit trop tard.

Depuis quelques jours, les allers-retours des forces pro et anti-Kadhafi permettent de voir comment les forces fidèles au Frère guide se comportent dans des villes libérées qui tombent de nouveau entre leurs mains. Pierre Barbancey de l’Humanité l’avait fait. Il s’est rendu à Ajdabiya, une ville côtière située à 150 km à l’ouest de Benghazi et considérée comme un verrou sur la route principale qui mène vers la capitale de la rébellion. Voici son témoignage :
« En entrant dans Ajdabiya, que l’on avait quitté il y a dix jours alors que les troupes kadhafistes y étaient victorieuses, on est surpris par l’état de la ville. Il ne semble pas y avoir eu de « durs » combats et les magasins n’ont pas été pillés, ni détruits par des « soldats enragés », ainsi que le proclame Libya Horia, la radio de la rébellion dont le ton s’islamise de plus en plus. Quelques façades portent des impacts de balles mais ce sont celles situées sur la route principale. Les quartiers n’ont pas été touchés et il n’y a pas eu de forte résistance de la part d’une population qui a préféré se réfugier à Benghazi ou dans les fermes environnantes. »

Plus étonnant encore est un certain délire qui semble s’emparer de quelques têtes rebelles. Selon Pierre Barbancey les insurgés pour leur part voient en Kadhafi un allié d’Israël. « On nous a même demandé, raconte-il, s’il était vrai qu’à Benghazi l’armée israélienne était venue soutenir les forces gouvernementales ! ».
Avec un tel sens du discernement, pas étonnant que les rebelles aient abattu leur propre avion de chasse au-dessus de Benghazi…

Révolutions arabes : l’illusion anti-lyrique

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L’œuvre de Milan Kundera est infiniment plus vivante et vigoureuse que le gâtisme médiatique qui l’a dérisoirement décrétée « d’actualité » pour deux mois. L’actualité de Kundera, comme celle de tout romancier majeur, se vérifie perpétuellement. Elle se manifeste dans les profondeurs de l’âme humaine, à chaque seconde. Chacun sait que ce lieu – que l’épuisant bredouillis médiatique tente en vain de recouvrir et de refermer – est le plus réel et le plus obscur. C’est également en ce lieu que se déploie d’abord l’événement insaisissable et majeur portant le nom de code de « révolutions arabes ».

Toute l’œuvre de Kundera est traversée par la critique du sentimentalisme. Celle-ci culmine dans trois chefs-d’œuvre : dans La vie est ailleurs, exploration cruelle de « l’attitude lyrique » de Jaromil, jeune poète narcissiquement enivré par la révolution ; dans L’Insoutenable légèreté de l’être et ses inoubliables méditations sur le kitsch ; dans l’œuvre de Kundera que j’aime entre toutes enfin, L’Immortalité, voyage dans les profondeurs du mystère de « homo sentimentalis ».

Milan Kundera adresse trois critiques au sentimentalisme. Il critique tout d’abord le fait de considérer les sentiments en tant que tels comme une valeur suprême, de poursuivre indistinctement l’intensité des sentiments comme une fin et un bien en soi. Ses romans déploient de multiples situations où le déchaînement des sentiments et le bien se refusent malignement à coïncider. Sa deuxième critique concerne l’exhibitionnisme de l’âme, l’hystérie sentimentale se donnant en spectacle. Elle ne constitue pas une critique des sentiments en tant que tels mais du narcissisme. Dans Les Testaments trahis, Kundera médite la notation de Kafka : « Sécheresse de cœur dissimulée derrière un style débordant de sentiments. » Sa troisième critique vise enfin à réfuter la confusion entre vérité et exaltation subjective, l’erreur qui consiste à prendre le sentiment pour un gage infaillible de vérité. L’intensité avec laquelle nous sommes attachés à une hypothèse ne prouve en rien, hélas, la vérité de cette hypothèse.

J’éprouve beaucoup de reconnaissance envers Kundera pour ces trois critiques – que j’intègre pour ma part dans un horizon chrétien. Ni les sentiments ni la raison ne constituent un mal en eux-mêmes. Le lieu de l’éthique, c’est le corps dans sa profondeur de temps et d’expérience, soutenant ses actes et ses paroles dans le présent ; c’est le corps non comme extase dans le présent (dénoncée à juste titre dans Les testaments trahis) mais comme extase de l’expérience, communication extatique et vivifiante entre passé et présent. Le lieu de l’éthique, c’est le corps comme unité miraculeusement donnée, à même l’évidence de la chair, unité salvatrice, libératrice, du cœur, de la tête et du sexe. Le mal et le mensonge ne sont pas le cœur, mais le cœur séparé du corps. Cœur tranché, tête tranchée, sexe tranché : la folie est sûre. La critique du sentimentalisme chez Kundera ne procède pas de la tête – encore moins de l’archi-tête de mort nommée idéologie – mais du corps. D’un corps animé par une joie résolue de l’incarnation et une délicatesse de sentiments extrême.

L’anti-lyrisme autonomisé, séparé du corps, peut cependant devenir lui aussi une dogmatique simplificatrice, source non de vérités mais d’erreurs. Ce danger est parfois présent, de manière diffuse, dans Causeur, où l’on se plaît à fouetter les illusions lyriques chaque matin. Ayant fait plus qu’à mon tour l’expérience de ces deux amputations, je le sais : la tête tranchée ne se fait absolument pas moins d’illusions que le cœur tranché.

La raison coupée du corps s’enivre peu à peu d’elle-même et s’abandonne aux mêmes prétentions hégémoniques, à la même toute-puissance illusoire que le cœur tranché. Elle contemple avec satisfaction la froideur implacable de ses observations, sa lucidité distanciée et supérieure. Au narcissisme du cœur répond le narcissisme des glaces. A la haine du cœur coupé envers la tête répond la haine de la tête envers le cœur. Ces deux haines nous éloignent de toute lucidité véritable.

L’anti-lyrisme ne doit pas devenir un dogme mis au service de certitudes idéologiques préétablies, une arme idéologique – ce qui est absolument étranger, du reste, à l’esprit de Kundera. Cela a parfois été le cas dans Causeur concernant les révolutions arabes, même si elles ont aussi donné lieu à des analyses profondes et charnelles. Ne tentons pas d’escamoter les révolutions arabes derrière un paravent anti-lyrique confortable et protecteur. Arrêtons l’anti-lyric pride !

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’espérance les textes de Mehdi Belhaj Kacem parus sur le site de La Règle du jeu et écrits par un corps situé en Tunisie. Mon corps se situe en France. Comme tout le monde, je ne sais rien, strictement rien, des révolutions arabes et de la révolution tunisienne. Je sais seulement qu’elles constituent un événement libérateur qui ouvre une brèche d’espérance pour tous les peuples, y compris le peuple français. Il me semble insensé de prétendre que les démocraties occidentales et les dictatures arabes relèvent d’une seule et même situation éthique, d’une commune et à peu près égale terreur policière, comme l’ont sournoisement suggéré dans Le Monde les inculpés de Tarnac – envers qui les persécutions indignes de l’Etat français n’ont certes toujours pas cessé. Ils ont raison cependant sur un autre point : l’état de dévitalisation extrême de nos vieilles démocraties et leur décomposition en oligarchies de plus en plus obscènes et désorientées. Le corps tranché de toutes parts jusqu’à l’irrespirable, c’est aussi – mais tout autrement que sous les dictatures et en l’absence d’Etat de droit – le vieux corps de nos sociétés démocratiques. Celui-ci a besoin d’une régénérescence qui ne peut venir que des peuples européens – à l’évidence plus dignes de confiance que Marine Le Pen ou Dominique Strauss-Kahn.

Je ne sais pas si les révolutions arabes sont lyriques. J’ai une forte espérance qu’elles ne soient pas l’œuvre du cœur tranché, ni de la tête tranchée, mais du corps, de sa mémoire et de sa justice. Et qu’elles rappellent à d’autres corps qu’il est possible – en dépit de l’avis formel de tous les spécialistes – d’être en vie.

L’événement, comme le répétait Derrida, cela peut toujours être la mort. En dépit de ce risque, il convient de l’accueillir. Avec joie et angoisse. Avec joie et terreur. Sans glisser dans l’extase du présent, en laissant dialoguer présent et passé dans notre chair. Gardons-nous de la joie mauvaise de prétendre ramener l’inconnu au déjà-connu. Renonçons au mensonge de la fausse familiarité tentant de toute force de conjurer et d’abolir l’événement. Les prophéties annonçant doctement que l’inconnu va vite rentrer au bercail du déjà-connu, qu’il ne peut que glisser gentiment dans les ornières du déjà-connu, sont stériles et impuissantes.

Sur la crête entre impuissance et toute-puissance, les peuples arabes nous le rappellent, quelque chose peut advenir.

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Piratage et ratage

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Ce sont les excellents geeks blogueurs de MacBidouille, les majors américaines du disque n’y sont pas allés avec le dos de la cuiller en matière de dommages et intérêts dans le procès qui les oppose a Limewire, un des sites pionniers en matière d’échange de fichier P2P (ce qu’on appelle « piratage », quand on est actionnaire d’Universal, de Sony Music ou de l’UMP et qu’on veut faire peur à votre maman)

D’après la source de MacBidouille, le site informatique US Fudzilla, le préjudice subi est estimé par les victimes supposées quelque part entre « 400 milliards de dollars pour la fourchette basse, la fourchette haute étant, elle, de 75000 milliards de dollars ».

On félicitera donc les statisticiens et les juristes des majors pour la précision de leurs calculs, tout en regrettant que le juge en charge du procès n’ait pas apprécié à sa juste valeur cette comptabilité créative puisque qu’il a jugé « absurdes » les prétentions des pauvres maisons de disques.

Il faut dire, à titre de comparaison, que 75000 milliards de dollars, c’est pile 20 fois plus que le budget fédéral annuel des Etats-Unis…

Faut-il débattre de l’étoile verte ?

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Doit-on vraiment parler de l’étoile verte qu’Abderrrahmane Dahmane, l’ex-conseiller à l’Elysée chargé de la diversité, a appelé tous les musulmans à arborer pour protester contre le débat sur la laïcité ?

Doit-on parler du tollé que cette initiative a provoqué ? Faut-il répondre à ce garçon sur la forme ou bien sur le fond de ce problème sans fond ?
Pour les autres, je ne saurais répondre. Et quant à moi, je ne sais pas non plus.

D’un côté, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. Et d’un autre côté je préférerais faire comme si. Comme si on n’avait pas été confronté à ce précipité de tout ce qui me fatigue sur terre : l’inculture crasse, l’impudence assumée, le relativisme historique, le marketing politique, l’activisme buzziste et autres figures de la modernité moderne dont Abderahmane Dahmane est une émanation chimiquement pure, à l’image d’un Benjamin Lancar, d’un Arthur ou d’un Frank Ribéry.

Ce n’est pas tant l’injure paranégationniste faite aux victimes de la barbarie hitlérienne qui me choque, et dont je n’ai de toute façon pas envie de parler – m’évitant par ce silence de tomber sous le coup de nos lois – que l’injure faite en général au XXème siècle et aux précédents par un décérébré qui relève probablement moins de Mahomet que de Nintendo.

Et ce soir, j’ai de la peine pour les musulmans de France et d’ailleurs, qu’ils soient buveurs de bière, pratiquants occasionnels voire barbus modérés, sur qui rejaillit forcément le coup de pub gogol de leur coreligionnaire.

J’ai de la peine pour l’UMP et la droite institutionnelle dont le mépris affiché pour le débat idéologique et la préférence radicale pour la com’ se trouvent un peu trop sévèrement sanctionnés par la bêtise d’un garçon qu’on avait quand même jugé digne d’être le conseiller direct du Président en matière d’immigration…

J’ai enfin de la peine pour Robert Badinter et tous les intellectuels qu’Abderahmane Dahmane a réquisitionnés pour sa défense, arguant qu’ils avaient établi bien avant lui le parallèle obligé entre l’actuelle « islamophobie » et l’antisémitisme des années 30 – sans jamais s’interroger sur la différence entre ceux à qui on voulait refuser autrefois l’assimilation et ceux qui la refusent aujourd’hui, mais c’est une autre histoire.

Le pire c’est que M. Dahmane n’a pas tout à fait tort. Certes, c’est le dernier des cons, mais aller chercher des immondices bêtes dans des cerveaux féconds, ça reste à la portée du dernier des cons. À l’instar des jeunes socialistes lecteurs de Badiou de je ne sais plus quel coin perdu qui avaient fabriqué des affiches comparant Sarkozy à Hitler, il a d’abord commencé par traiter Jean-François Copé de « néonazi ». Comme cela ne suffisait pas à faire parler du drame personnel qu’il vit, et dont il suppose qu’il frappe aussi tous les fidèles de France, alors Abderahmane Dahmane a lancé, à défaut d’une fatwa qu’il n’est pas habilité à prononcer, son gadget magique de l’étoile verte. Ce faisant, il n’a fait que traduire en langage youtubien les thèses de MM Badinter et Hessel et les résolutions adoptées à l’unanimité par les congressistes du MRAP, de la LICRA et de la Ligue des Droits de l’Homme. Lesquels ne méritaient pas tant d’indignité. Enfin, si, un peu, quand même…

Quand les Inrocks rééduquent Gainsbourg

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L’hebdomadaire Les Inrockuptibles a décidé de rendre lui aussi hommage à Serge Gainsbourg… L’organe humaniste a donc édité un hors-série de très bonne facture… papier glacé, quadrichromie glaçante, photos sublimement choisies, poster « géant » et CD offert. L’hommage est dignement rendu. Les journalistes ont fait le job.

Hélas, l’hebdo fétiche des salles d’attente des dentistes de gauche, a décidé – comme à son habitude – de faire le partage entre le bon grain et l’ivraie (je n’ai pas dit l’ivresse !) à propos de Serge. Sur une double page titrée « Ces petits riens » les grands inquisiteurs à la petite semaine des Inrocks reprochent à l’auteur de La Javanaise d’avoir cramé un billet de 500 francs en direct à la télé… « On peut trouver ça super punk ou super con. Le plus triste dans l’histoire, c’est que ce geste incendiaire n’était qu’une protestation très déplacée contre le fisc ». Ben oui, le fisc… c’est le Bien. Quel chien cet artiste super blindé qui se plaint qu’on lui ponctionne plus de la moitié de ses revenus!

Mais ce n’est pas tout… Serge est aussi – selon les Inrocks – une « pub vivante pour la loi Evin »… Evidemment boire et fumer, c’est mal ! Et puis Serge ne devrait pas non plus s’adonner tant au plagiat ! Et puis, l’homme à la tête de chou n’aurait pas du proposer la botte à Mlle. Houston Whitney… ce qui constitue, selon les inrockeux, un authentique « outrage » au féminisme. Question : que restera t-il dans cent ans de la demoiselle ? Ses obscures chansons ou bien cette séquence télévisée immortelle ?

Ultime reproche – car ce magazine est une vraie rotative à produire des reproches – Serge a eu le tort, le matin de son décès, d’oublier de prendre sa pilule pour le cœur. Ben oui, nous dit-on aux Inrocks, sinon il serait peut-être encore vivant. Vivant comme, disons… Guy Béart ou Hugues Aufray ? Vivement qu’ils publient vite un hors-série sur Georges Brassens – la pipe c’est mal ! – que je meure à mon tour! Gare aux Inrooooocks!

Le protectionnisme ne protège pas

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photo : VERONIQUE ROBERT

Les appels au protectionnisme continuent. Du Front National au Front de Gauche en passant par Emmanuel Todd, Arnaud Montebourg(PS), Julien Landfried (MRC) et jusqu’à mon pourtant très sympathique camarade causeur Laurent Pinsolle, tous appellent à « protéger notre industrie » en rétablissant des barrières douanières. Je ne reviendrai pas sur le caractère profondément inepte du mercantilisme et de la théorie de la balance commerciale – voir Frédéric Bastiat (1845) sur ce point – ni sur l’extrême dangerosité du nationalisme économique pour me concentrer – cette fois-ci tout du moins – sur cette fameuse « désindustrialisation » dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années. Comme souvent, un petit détour par les faits (qui sont têtus) me semble nécessaire.

Ajustée de l’inflation, notre production industrielle a augmenté de 548% depuis 1950, de 114% depuis 1970 et de 31% depuis 1990[1. Chiffres de l’Insee. Est-il utile de préciser qu’ils sont ajustés de l’inflation ?]. En termes de valeur ajoutée, notre secteur industriel a produit 593% plus de richesse qu’en 1950, 99% de plus qu’en 1970 et 21% de plus qu’en 1990. Le très léger recul de notre production industrielle et de sa valeur ajoutée au cours de la dernière décennie (de 2% et 1% respectivement) est intégralement imputable aux années 2008 et 2009 – c’est-à-dire à la crise dite des « subprimes ». Si par « désindustrialisation » on entend une disparition des activités industrielles françaises, du point de vue de la production et de la création de richesse, ce phénomène n’existe pas.

En 1949, l’industrie représentait 32.6% de notre production totale ; cette proportion est montée jusqu’à 34% au début des années 1970 avant de décliner régulièrement pour atteindre 27.2% en 2010. En 1950, l’industrie produisant 15.5% de la valeur ajoutée française ; ce rapport atteint 20% au cours des années 1970 avant de rebaisser pour revenir à 15.7% en 2010 (soit le niveau de 1950). De ces chiffres on peut déduire que si la part de l’industrie dans notre production comme dans la création de richesse de notre économie a baissé depuis les années 70, c’est en raison d’une progression plus rapide des activités de service.

De 1949 à la fin des années 70, l’industrie représentait environ 1 emploi[2. En équivalent temps plein] sur 4. Ce chiffre a commencé à décliner au détour des années 80 pour atteindre 13% en 2009. Entre 1975 et 2009, le nombre d’emplois créés par l’industrie française s’est réduit de 2.3 millions essentiellement en raison du progrès technologique et de l’automatisation des chaînes de production. C’est ce même phénomène qui explique que la valeur ajoutée industrielle progresse plus vite que la production : nos industries sont devenues beaucoup plus efficaces et beaucoup moins intensives en main d’œuvre.

Dernier point sur ce sujet, une usine des années 50 à 70 était un lieu de production situé entre quatre murs au milieu desquels vous trouviez des ouvriers, des ingénieurs et un patron – certes – mais aussi des agents d’entretien, des commerciaux, des comptables, des chauffeurs-livreurs etc… Une des grandes évolutions de nos entreprises depuis cette époque tient en un mot : « externalisation ». Aujourd’hui, les agents d’entretien ne sont plus des salariés de l’entreprises – et ne sont donc plus comptés dans les bataillons des salariés de l’industrie – mais travaillent pour une entreprise de service qui propose ses services aux entreprises industrielles. Or, il se trouve que sur la période 1975-2009, le nombre d’emplois fournis par le secteur des « services aux entreprises » a augmenté de 2.6 millions. La réduction des « emplois industriels » doit être appréciée à cette aune.

Bref, il n’y a pas de « désindustrialisation ». Il y a une croissance plus rapide des industries de services, notamment liée à l’externalisation des fonctions annexes de l’industrie et il y a des progrès technologiques qui nous permettent de réorienter le travail autrefois utilisé pour des tâches répétitives et mécaniques vers des métiers où nous avons besoin d’êtres humains.

Nous ne connaissons pas le bilan net, en termes d’emplois, des délocalisations d’un certain nombre de métiers – et pas d’industries[3. Non, ce n’est pas la même chose] – vers des pays où les salaires sont moins élevés : pour une filature fermée en France, combien d’entreprises ont pu se créer et prospérer chez nous parce qu’elles pouvaient faire assembler les produits fabriqués à moindres coûts là bas? Quand Apple lance la production d’iPhone en 2007 et en confie l’assemblage à une entreprises située à Shenzhen, la firme de Cupertino emploie 23 700 salariés. Au 25 septembre 2010, Apple compte 46 600 employés. Combien d’emplois le simple fait de pouvoir disposer de produits électroménagers moins chers a-t-il créé en France ? Combien de vendeurs, de designers et d’ingénieurs ont trouvé un métier grâce à la hausse de la demande qui en a résulté ? Combien d’emplois les économies que nous avons réalisées en payant notre lave-linge une bouchée de pain ont-elles créé dans d’autres secteurs ? Combien d’emplois les activités d’import et d’export génèrent-elles ?

Einstein disait qu’un préjugé est plus difficile à briser qu’un atome. En voilà un qui ne déroge pas à la règle.

Egalité réelle, le laboratoire belge

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La dernière décision que vient de prendre le gouvernement de la Communauté française de Belgique, sous la forme d’un décret aussitôt surnommé « Robin des Bois » est absolument épatante. Elle oblige les écoles qui ont bien géré leur budget à participer au financement des écoles déficitaires chroniques.

Cette décision ubuesque a au moins un mérite : elle fait l’unanimité. Profs, syndicats d’enseignants, directions d’écoles, pouvoirs organisateurs, associations de parents, tous sont farouchement opposés à cette imbécillité qui sanctionne les meilleurs.

Naturellement, on entend déjà les chœurs des pleureuses et leur litanie misérabiliste, « il y a des écoles dans des quartiers défavorisés qui luttent, gnagnagna ».

Oui, il y a des quartiers défavorisés. Personne ne le nie. Mais cela n’explique pas la disparité entre les écoles. En effet, dans la commune de Saint-Gilles -une des plus pauvres de l’agglomération de Bruxelles- deux écoles, situées non seulement dans la même rue, mais dans le même pâté de maisons, se retrouvent donatrice pour l’une, bénéficiaire pour l’autre.

Il n’y a aucune raison pour que le gouvernement de la Communauté française, et particulièrement le ministère de l’enseignement, s’arrête en si bon chemin. A quand un décret pour une plus juste redistribution des points aux examens ? Elève Théo, vous avez fait un 17 sur 20 en math. Vous êtes donc prié de refiler une partie de vos points à votre camarade Antoine qui n’a récolté qu’un 2 sur 20, le malheureux ! L’égalité, ça ne se négocie pas !