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Qui a osé humilier Christine Ockrent ?

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photo : rsepulveda

Miracle ! Christine Ockrent s’est laissé convaincre par Benoît Hamon des bienfaits de l’égalité réelle. La voilà qui, comme n’importe quelle caissière à temps partiel imposé traquée sans relâche par un chef de rayon, porte plainte contre X pour harcèlement moral, X étant plus ou moins, tout de même, le PDG de l’audiovisuel extérieur de la France.

L’histoire est savoureuse comme une fable de La Fontaine: il est en effet intéressant de se souvenir de qui était Christine Ockrent de retrouver le sens de la lutte des classes et de la dignité au travail. Pendant des années, elle a animé une émission politique le dimanche soir pour une chaîne du Service public. On peut se demander si ces débats à sens unique servaient l’intérêt général ou plutôt ce qu’Alain Minc, d’ailleurs invité récurrent appelait, avec cette arrogance élitiste qui est l’une des explications du score de Marine Le Pen, « le cercle de la raison ». Ce « cercle de la raison » dont Christine était la reine, était celui des hommes politiques, politologues, sociologues et économistes qui estimaient que le libre-échange, l’Europe de Bruxelles, la fin de l’Etat-providence, n’étaient même pas sujet à discussion, ce qui est un comble dans une émission de débats, si on y songe cinq minutes.

Mais Christine Ockrent savait y faire et ses questions demeuraient passionnantes et ouvertes. Dans les années 1993/95, on s’empaillait sur des sujets douloureux : « Edouard Balladur est-il un bon candidat pour la droite ou le plus grand premier ministre que la France ait connu ? » ou « Le parti socialiste doit-il se moderniser ou arrêter d’être socialiste ? » Ensuite, Serge July livrait ensuite son analyse. Serge July venait ou était sur le point de quitter Libération. En même temps comme Libération avait quitté Libération depuis le milieu des années 80, ce n’était plus très grave.

Bien sûr, pour ceux qui n’avaient pas lu la Lettre à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary de Guy Hocquenghem (1986) ou Chronique d’une liquidation politique de Frédéric Fajardie(1993), deux ex-maoïstes qui l’avaient bien connu, Serge July pouvait faire illusion dans le rôle de chroniqueur de gauche. De gauche, mais dans le cercle de la raison, bien entendu. Pas de gauche avec des gros mots comme, « taxation des flux financiers », « fiscalité redistributive », voire « relance de la consommation par l’augmentation du pouvoir d’achat ».

Je crois me souvenir qu’à un moment l’émission de Christine Ockrent s’est appelée France Europe Express et se passait dans un décor de wagon. Enfin, un wagon tel que l’imaginent Christine Ockrent et ses amis du cercle de la raison : une super première classe sans « carré enfant », sans portables qui sonnent, sans le bourdonnement furieux de l’Ipod de votre voisin qui se fait exploser les oreilles, ce qui est son affaire mais qui vous empêche de lire parce que vous avez l’impression qu’une nuée de mouches vole autour de votre livre.

En tout cas, la métaphore était parlante. On était tous embarqués de gré ou de force, destination Bruxelles, sa Commission, ses déréglementations.
Dans France Europe Express, on invitait en duplex un député européen d’un autre pays pour discuter avec l’invité politique français. Qu’il fût italien, anglais, letton ou polonais, socialiste libéral ou libéral socialiste (il n’y a plus que ça ou presque au Parlement Européen), le député nous disait avec le sourire et un accent charmant à quel point nous serions un pays formidable si seulement nous comprenions que la protection sociale, le droit du travail et toutes sortes d’autres vieilles lunes étaient obsolètes et que nos syndicats nous faisaient beaucoup de mal avec leur corporatisme.
Et sous le regard aigu de Christine Ockrent, l’homme politique français faisait acte de contrition, remerciait l’ami étranger du bon exemple qu’il donnait.

Dire qu’il a fallu que je supporte cela pendant des années avant d’atteindre enfin les rivages heureux du Ciné Club, son générique avec baisers de stars hollywoodiennes se superposant en fondu enchainé et le débit si particulier de Patrick Brion m’annonçant que j’allais enfin revoir, et tant pis si c’était pour la dixième fois, Le fanfaron (1964) de Dino Risi avec la toute divine Catherine Spaak. C’est pour cela que je m’en souviens de manière un peu floue : l’heure feutrait les propos des invités qui étaient tous d’accord et il est dur de se passionner pour des robinets d’eau tiède. J’aurai néanmoins appris, avec Christine Ockrent, le mépris, voire l’agressivité froide dont peut faire preuve une « grande professionnelle » avec les politiques qui ne rentrent pas dans le moule. Elle a dû par la suite transmettre son savoir-faire à Arlette Chabot. Ces deux-là ont réussi à rendre Olivier Besancenot sympathique à force de lui rentrer dans le lard, ce qui est un exploit assez remarquable. À moins que rendre populaire un leader d’extrême gauche qui ne veut pas du pouvoir ait été une stratégie concertée pour réduire comme peau de chagrin l’espace politique d’une autre gauche de rupture prête à prendre ses responsabilités, mais ça, je n’ose le penser.

J’ai assez peu suivi par la suite la carrière de Christine Ockrent qui est devenue patronne d’un machin appelé « Audiovisuel extérieur de la France » avec une chaîne qui serait la CNN à la française[1. Sur laquelle on a au moins la chance de tomber sur Gil Mihaely qui y commente brillamment l’actualité internationale, en français ou en anglais. EL]. En même temps, elle était l’épouse du ministre des Affaires étrangères mais tout cela n’est qu’un détail dans la France de Sarkozy. On ne va tout de même pas soupçonner des consciences morales aussi élevées que celles de Bernard Kouchner et la parangonne du journalisme d’élite de vulgaires conflits d’intérêt.

Dans son nouveau job, à la tête de l’audiovisuel extérieur, loin des caméras, ça s’est très mal passé apparemment. Elle n’était pas toute seule à commander. Et elle a été victime d’une plainte pour espionnage informatique de l’autre chef. Alors voilà ce qu’elle déclare au Monde : « Depuis quatre mois, je n’ai plus accès à aucun dossier et je vis dans un climat de violence, d’humiliation et de souffrance intolérables. Je ne peux plus jouer mon rôle, surtout au moment où s’accélère le projet de fusion entre les différents médias du groupe. C’est une véritable torture morale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé de réagir. »

Ces propos pourraient être tenus par des milliers de travailleurs français, ouvriers ou cadres. Ils sont parfaitement révélateurs de ce que sont devenus les rapports sociaux dans le monde du travail. Avec une petite différence : la victime lambda n’est pas invitée à s’exprimer dans un quotidien national et il y a beaucoup mais alors beaucoup moins de zéros sur ses fiches de paie.

Pour le reste, sans défendre la pédagogie par la punition, on serait tout de même tenté de lui dire : « Ça t’apprendra. » Mais ce serait stérile. Proposons plutôt à Christine Ockrent de se syndiquer pour défendre ses droits. Ca ne fait pas tellement « cercle de la raison », le syndicalisme, les prud’hommes, c’est même franchement archaïque comme disaient si souvent ses invités mais bon, quand nécessité fait loi…

Un plan Chavez pour la Libye ? Où ça ?

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Je ne sais pas si le président Hugo Chavez n’a rien compris aux actuels bouleversements géopolitiques qui secouent le monde arabe comme le dit ironiquement l’ami Gil Mihaely. Mais encore une fois, quand on parle du leader bolivarien en France, il semble bien que l’on soit davantage dans le procès d’intention que dans les faits. En effet, les media français, qui décidément ne l’aiment pas ont soit présenté de manière biaisée soit complètement passé sous silence la proposition d’une médiation faite par Chavez alors que se votait la résolution 1973 à l’ONU préconisant des frappes aériennes et dont il est manifeste qu’elle est aujourd’hui l’objet d’une OPA de l’OTAN devant le désengagement étasunien.

Que proposait le monstrueux Chavez dès le début mars ? Tout simplement de mettre rebelles et kadhafistes autour du table où se seraient également trouvés diplomates latino-américians de l’Alba (Venezuela, Equateur, Bolivie, Nicaragua) et, last but not least, des représentants de la Ligue arabe, ceux-là mêmes qui se demandent aujourd’hui si l’intervention occidentale, toujours sur le point de dépasser son mandat, est une aussi bonne idée que ça.

Le secrétaire de la Ligue arabe, Monsieur Amr Moussa avait même applaudi des deux mains à l’initiative de Chavez. Celui-ci voulait-il tenter de sauver Kadhafi ou tenter de sauver la paix ? On ne sonde pas les cœurs et les reins en diplomatie. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il a essayé de proposer une solution alternative, appuyée par la Ligue arabe, pour sauver les insurgés de Benghazi. Et le rappeler aujourd’hui tient simplement d’un minimum d’objectivité.

Non, le FN n’a pas fait 11% !

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Disons le tout net, on s’est massivement fichu de vous hier soir, et sur toutes les chaînes: dans un scrutin cantonal ou législatif, les scores des partis au second tour n’ont aucun sens au niveau national. Les publier sans avertissement, comme l’a fait le ministère de l’Intérieur, ou les commenter ad libitum, comme nombre de confrères ainsi que la plupart des dirigeants de l’UMP ou du PS présents sur les plateaux, relève de l’escroquerie en bande organisée. Qui dit escroquerie dit victimes, ce soir c’était au tour des écologistes, du Front de Gauche et surtout du FN d’être dépouillés après les dépouillements

L’arithmétique étant moins populaire dans ce pays que l’Euromillions ou le régime Dukan, les spoliés ont eu un peu de mal à se défendre : la règle de trois, personne ne s’est aventuré à l’expliciter au peuple français et il est vrai que l’exercice était casse-gueule, surtout en deux minutes à l’oral sans rattrapage.

N’étant pas soumis aux mêmes contraintes, je vais tenter, à chaud et donc avec des informations partielles, remettre les pendules à l’heure. C’est de saison.

Pourquoi le score national de chaque parti n’a-t-il aucun sens au deuxième tour ? Tout simplement, parce qu’il n’y a pas une mais des centaines d’élections et que seuls les deux ou trois candidats arrivés en tête reviennent en deuxième semaine. Je ne vous refais pas le feuilleton du ni-ni et du front républicain, des pactes signés par les chefs sur les plateaux de télé et ignorés par la piétaille au nom de mille embrouilles locales. Pour apprécier l’entourloupe, il faut juste se rappeler que tous les partis ne sont pas en lice dans tous les cantons.

Seul le premier tour peut donner une estimation exacte des forces en présence (sauf torsion ministérielle, mais ça, nul n’ose l’imaginer). La semaine dernière, à l’issue du scrutin, on savait ce que pesaient le Front de gauche, le PS, le FN. C’était un peu plus compliqué pour l’UMP, à cause du flou induit par les divers droite et pour les Verts, qui étaient souvent co-investis par le PS. N’empêche, la photo, le « sondage grandeur nature », c’était dimanche dernier.

Les scores d’hier, à l’inverse, n’avaient aucun sens. Tout d’abord, environ un quart des cantons avaient été pourvus au premier tour, et ça change beaucoup de choses. Une séance de travaux pratiques pour vous expliquer, on se réveille au fond de la classe ! Pour plus de clarté, cet exercice sera ultra simplifié.
Imaginons qu’il y a deux cantons -d’égale population, disons 1000 votants – à pourvoir dans un département X où trois partis sont en présence.
Au premier tour dans le canton Nord, le parti A fait 600 voix (60%) le parti B, 300 voix (30% ) et le C 100 voix (10%) : le A aurait été élu dès dimanche dernier, il n’y aurait donc pas eu de second tour.

Dans le canton Sud, le rapport de forces est plus équilibré avec respectivement pour les parti A, B et C 360 , 440 et 200 voix . Au soir du premier tour, le candidat C se désiste en faveur du candidat B., et au second tour le candidat A obtient 400 voix, et le candidat B, 600 voix.
Selon la logique ministérielle en vigueur, les scores de second tour donnent donc le parti B largement majoritaire dans le département après le second tour avec 60% (600 voix) contre 40% au parti A. Le parti C, lui, a disparu de la couverture radar.

Résultat, le parti A se trouve pénalisé d’avoir fait un trop bon score dans le canton nord ! La photo finish est truquée la seule qui valait était celle du premier tour en agrégeant les cantons Nord et Sud
Au faux score façon Guéant second tour ( B= 60%, A=40%, C=0%) on préféra donc le vrai, issu du dimanche précédent A = 600 voix sur le canton Nord+ 360 sur le Sud= 48% des 2000 exprimés ; B= 300+ 440 =37% ; C = 100+ 200=15%. En tout, ça fait bien 100 %, ouf, je ne me suis pas planté ! Et de tête, s’il vous plait, mais je ne vous interdis pas de refaire ce décompte avec une calculette, les résultats risquent de coïncider. En clair, on s’est foutu de nous

Si cet exemple simplifié vous a paru rédhibitoire, allez donc vous faire une injection de Red Bull avant la suite, où on l’étendra à 2000 cantons et une huitaine de partis.

Non, non, c’était juste pour vous faire peur, et parlons plutôt immédiatement de ce qui fâche : le score du FN qu’on nous donne à 11% et des poussières donc. Foutaises ! Ce score est en fait celui du FN rapporté à l’ensemble des cantons, alors que ce dimanche, il était absent, contrairement au PS et à l’UMP, d’une grande majorité d’entre eux. En réalité dans les 400 cantons (environ un quart du total) où il restait en lice pour le second tour, le FN se situerait autour de 38 à 40% à l’heure où j’écris ces lignes. Et même si lundi on n’apprend que finalement il n’a réalisé que 35 %, c’est toujours 3 fois plus que l’estimation officielle, sur laquelle ont brodé tous les commentateurs télé ou presque (on exclura notamment du lot les implacables duettistes Zemmour et Domenach).

Le cas de figure assez standard dans ces cantons-là, c’est un candidat FN qui a fait 25 points au premier tour, et qui en gagne 10 à 15 de plus au second. Pas assez donc, pour dégager une majorité, dans la quasi-totalité des cas, et cet élément est significatif : il ne s’est trouvé pratiquement pas un coin de France pour donner une majorité à un candidat frontiste. Mais ces candidats arrivent néanmoins à séduire entre les deux tours plus d’électeurs -notamment UMP- que lors des scrutins comparables qui ont précédé ; et ça aussi, c’est significatif : le FN fait toujours peur, mais il fait moins peur que jamais

À une moindre échelle, le Front de gauche et EELV sont victimes de la même distorsion, si ce n’est qu’elle est encore un peu plus opacifiée du fait que nombre de leurs candidats s’étaient désistés après le premier tour, et que ceux qui restaient bénéficiaient le plus souvent d’un désistement du PS. Mais même si on n’aime pas les Verts, personne n’ira penser, comme on l’a laissé croire, qu’ils ne pèsent plus que 2%…

Voilà pour les correctifs arithmétiques qui s’imposaient, mais à la réflexion ça aurait pu être encore plus rigolo. Comme le FN n’a eu, semble-t-il, que deux élus sur 2000 conseillers généraux renouvelables, Claude Guéant aurait pu nous expliquer que le FN ne pesait plus que 2 divisé par 2000 soit 0,1% …

Syrie, Libye : Hugo Chavez a tout compris

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Le président vénézuélien Hugo Chavez a livré samedi dernier au monde son analyse géopolitique sur les événements en Syrie. Lors d’une cérémonie commémorant sa sortie de prison il y a 17 ans, Chavez déclarait « Voilà qu’a commencé l’attaque contre la Syrie, voilà que commencent des mouvements de manifestations prétendument pacifiques, qu’il y a des morts et voilà qu’ils accusent le président d’être en train de massacrer son peuple ».

Après l’analyse du présent, un pronostic lucide de l‘avenir : « Ensuite viendraient les Américains, qui veulent bombarder ce peuple pour le sauver. Quel cynisme que celui de l’Empire ! ». Chavez n’est pas dupe ! On a déjà essayé de lui faire le coup en Libye : « C’est la même chose. On provoque des conflits violents et sanglants dans un pays pour ensuite y intervenir, s’emparer de ses ressources naturelles et le transformer en colonie ». Décidément, rien n’échappe à la lecture bolivarienne de l’histoire !

Et pour joindre des actes à ces belles paroles le président Chavez s’est entretenu au téléphone avec M. Assad pour apporter son soutien à ce « président arabe socialiste, humaniste, frère, un homme doté d’une grande sensibilité humaine qui n’est en aucune manière un extrémiste ».

Après un siège pour la Syrie au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, bientôt le Prix Nobel de la Paix à Bachar el-Assad ?

Françoise Cachin, l’intransigeante

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Le jour même où Françoise Cachin nous quittait, le « Livre blanc sur l’état des musées de France », rédigé par l’Association générale des conservateurs des collections publiques, qui réunit un millier de membres, était rendu public dans la presse. Il dénonce pour la première fois, à haute voix, ce qu’elle avait, dans les dernières années de son mandat, dénoncé seule, dans l’indifférence quasi générale de ses confrères, suscitant l’irritation de sa hiérarchie et très vite l’hostilité du ministère, jusqu’à ce qu’elle fût en effet remerciée du Conseil artistique des musées auquel elle appartenait de droit, et démise de la présidence de FRAME, l’association des musées franco-américains qu’elle avait cependant créée. Par la suite, elle n’a jamais cessé de batailler, toujours dans un silence embarrassé puis hostile, contre la dérive mercantile des musées qui les voit assimiler les œuvres patrimoniales qu’ils ont la charge de conserver, d’étudier et de faire connaître, à de simples marchandises que l’on peut vendre ou bien louer, comme s’il s’agissait de réserves naturelles de pétrole ou de champs de patates.

L’arrogance des nouveaux maîtres de la finance et de la communication

En écrivant ce texte, à la veille des obsèques de mon amie, je suis tombé, au hasard de Google, sur la fiche technique éditée par le ministère de la Culture décrivant la profession de conservateur de musée des collections publiques. Elle commence par ces lignes : « L’image ancienne et poussiéreuse du conservateur a volé en éclats : d’un rôle de responsable scientifique, le conservateur est devenu, avec la mutation du monde des musées, un gestionnaire, parfois un véritable chef d’entreprise. »

Quel mépris de la science et des scientifiques, ces personnages pittoresques et poussiéreux dont on aimerait se passer, mais aussi quelle arrogance des nouveaux maîtres de la finance et de la communication ! Et dans ce « véritable chef d’entreprise » tendu en modèle au futur conservateur, quelle triste ambition de remettre la direction des musées à des gens étrangers au monde de la culture, mais très proches en revanche de celui du business et des médias !

Désormais, dans les textes officiels encadrant les contrats entre musées, quand vous lirez le mot « prêter », comprenez « louer ». Hier, on prêtait, à titre gratuit par définition, dans un but éducatif et pour des expositions à caractère scientifique, des œuvres tirées des collections publiques. Aujourd’hui, on les loue, dans le cadre d’un échange commercial, pour des expositions bavardes et inutiles, parfois installées dans des lieux privés, dans le seul but de « générer des profits considérables qui vont de 1 à 3,5 millions d’euros par an », comme l’écrit ingénument, dans la novlangue du « véritable chef d’entreprise », qui a peu à voir avec celle de Focillon ou d’André Chastel, l’actuel directeur du musée Picasso[1. Anne Baldassari : « Nos expositions ne sont ni cyniques ni mercantiles », Le Monde, 8 février 2011] dans un article publié deux jours après la mort de Françoise.

J’ai parfois entendu dire de Françoise Cachin qu’elle était une femme « dure », « autoritaire », « intransigeante ». Elle l’était, en effet. Elle ne pouvait que l’être dans l’exercice de ses fonctions. Première femme directeur des Musées de France, poste auquel elle fut nommée en 1994 par Jacques Toubon, elle venait de l’Université, pas du monde des affaires ni de la haute administration. Dans un milieu où on est peu sensible à la présence féminine et dont le courage n’est pas la qualité première, il lui fallait s’imposer comme femme et comme patronne. Elle s’est imposée, en durcissant des traits qu’au naturel elle avait des plus agréables et souriants.

Françoise aura été l’honneur de cette génération qui a fait des musées ce qu’ils sont devenus.

Elle n’était pas fonctionnaire à l’origine, mais avait été reçue, en 1966, au concours national de recrutement des conservateurs des collections publiques, créé l’année précédente. Elle rappelait souvent gaiement que nous l’avions passé ensemble, ainsi qu’avec Irène Bizot. En ces temps lointains, on craignait encore l’usage excessif de l’électricité pour éclairer les musées. Ensuite, nous avons longtemps roulé nos bosses, chacun sur nos chemins, avant de revenir secouer la poussière ensemble. Car poussière il y avait. Françoise Cachin aura été l’honneur de cette génération qui en trente ans, a fait des musées ce qu’ils sont devenus.

Dure à l’occasion, mais surtout courageuse. Le fonctionnaire est là pour tenir et maintenir quand les ministres passent. J’ai compté, pendant la quarantaine d’années que Françoise a consacrée aux musées, plus de trente ministres de la Culture, les pires et les meilleurs. Je me souviens d’un épisode très significatif. Le ministre d’alors nous avait réunis pour nous annoncer la dissolution du Comité d’acquisition des musées de France. Aussi ancien que les musées, ce Comité en était le symbole. Chaque mois nous étions une cinquantaine de conservateurs à nous réunir, de la France entière, petits et grands musées de tous les temps et de tous les espaces, du musée des Eyzies au musée Picasso et de Guimet au Louvre. Nous examinions les projets d’acquisition, qui étaient alors financés par la Réunion des musées nationaux : c’était la garantie du principe que nous croyions inaliénable, de la mutualité des musées : les petits sont nourris par les gros, puisque le patrimoine, national par essence, est celui de tous, qu’il s’agisse des trésors de la Grande Galerie ou de la petite collection de céramiques d’un lointain musée de région. C’était l’occasion, pour chacun d’entre nous, de se livrer à de grands morceaux d’éloquence et d’érudition pour convaincre ses confrères de la nécessité de tel ou tel achat, une formation permanente pour tous. Surtout, c’était une opportunité de se rencontrer, de se connaître –on avait assez peu l’occasion d’aller à Pau, ou même à Fontainebleau −, d’échanger, de prendre connaissance des problèmes et éventuellement de faire front ensemble. Et voilà que cette communauté allait disparaître. Chacun mourrait de son côté, seul, abandonné et sans le sou désormais, seuls les très grands musées étant assurés de grandir jusqu’à devenir des monstres d’autosuffisance.

Interdits, stupéfaits, nul d’entre nous n’osa répondre à ce ministre. Alors Françoise se leva, monta sur l’estrade et prit le micro. De sa voix tranquille mais indignée, elle souligna le désastre que cela serait ; elle avait vu clairement la manœuvre : c’était non seulement renoncer à la mutualité des musées, donc à l’unité et à l’indivisibilité du patrimoine, mais encore diviser le corps des conservateurs, le rendre impuissant et muet, de sorte à pouvoir, entre soi, entre « véritables chefs d’entreprise », préparer les mauvais coups, dont le contrat privé passé avec un émirat fut l’exemple le plus éclatant.

J’ai beaucoup admiré Françoise ce jour-là, malgré sa dureté souriante et inflexible, ou plutôt à cause d’elle.

Un autre épisode, autrement pénible, fut celui des MNR, les « Musées nationaux récupération », l’indication que portaient les œuvres d’art spoliées par les nazis et inventoriées par les musées. Françoise avait courageusement entrepris de rouvrir le débat et de régler le problème qu’on avait enterré depuis trop longtemps. Mal lui en prit. Elle fut l’objet d’insinuations et de lâchetés indignes, adressées qu’elles étaient à la petite-fille d’un militant communiste et d’un vieux peintre anarchiste – Marcel Cachin et Paul Signac.

Une autre nouvelle a été publiée dans la presse, deux jours après sa mort, qui l’aurait autant réjouie, je crois, que l’annonce de la parution du Livre blanc des conservateurs le jour de sa disparition : la nouvelle que, grâce au combat de quelques-uns, en particulier Pierre Nora, le ministère de la Marine ne serait sans doute pas transformé, comme cela avait été prévu, en un hôtel de luxe avec galeries marchandes[2. « Le sort de l’Hôtel de la Marine », Le Monde, 8 février 2011] .

Le ministère de la Marine, pour moi, c’est la gravure de Charles Meryon, où le monument est attaqué de profil par une escadrille d’oiseaux de proie griffus et monstrueux. Meryon, ce fut le graveur du Paris de Charles Baudelaire : le Pont au Change, la Morgue, le chevet de Notre-Dame de Paris, le Pont Neuf, c’est-à-dire le Paris même que Françoise a chéri, et au centre duquel elle vivait, dans l’île Saint-Louis, derrière l’Hôtel de Lauzun.

Elle avait, au début de sa carrière, écrit un bel essai, publié dans la collection des Lieux de mémoire de Pierre Nora sur le paysage français, des miniatures de Pol de Limbourg aux vues de la Seine de Bonnard et de Jean Fouquet à Corot. Analyse érudite et sensible, dont certains passages seraient sans doute aujourd’hui soumis à la censure puisque elle ose y parler d’un « sentiment d’identité nationale » « lié structurellement à l’art du paysage »[3. « Le Paysage du peintre » in La Nation II, Gallimard, Les Lieux de mémoire, 1986 , p. 439]. Elle écrivait en conclusion que ces paysages peints qui survivent à l’art du peintre et nous aident aujourd’hui à revoir des lieux et des instants sont aussi des « memento mori implacables »[4. Ibid, p. 463].

« Les impressionnistes à Paris » : une nouvelle image de la ville

Or, cet art du paysage, paysage rural, paysage mélancolique, paysage de la mort et de la vanité dont elle devait longtemps scruter les traits de la Bretagne à la Méditerranée, elle devait l’enrichir, à la fin de sa vie, par un autre art du paysage, cette fois de la ville, dans une magnifique exposition qui s’est tenue, non à Paris mais au musée Folkwang d’Essen, dans la Ruhr, Images d’une métropole : les Impressionnistes à Paris[5. Bilder eine Metropole : Die Impressionisten in Paris, musée Folkwang , Essen , octobre 2010 – janvier 2011].

Il s’agissait de plus, bien sûr, que des Impressionnistes : elle commence, là aussi, avec Corot, pour finir avec Matisse. Mais surtout, elle montre, mêlées aux maîtres, de Manet à Caillebotte, des œuvres peu connues, de Maximilien Luce à Devambez, d’Adler à Louis Anquetin, ou d’étrangers, de Menzel à Evenepoel, qui donnent de Paris une image bien éloignée de la vision traditionnelle de la « Ville-lumière ». Cette ville industrielle et pauvre, avec les cheminées d’usines, les fumées des locomotives et les gazomètres, avec les foules en fureur, les défilés, les émeutes ouvrières, me fait penser que le conflit qui l’avait opposée, lors de la conception du musée d’Orsay, à Madeleine Rebérioux, n’avait peut-être pas été aussi définitif qu’on l’avait dit[6. Jean-François Revel a parfaitement résumé cet épisode en évoquant la « politique culturelle » inventée par les socialistes en 1981 : « L’ère de la culture comme pédagogie commence (…). L’art sera rendu à sa fonction qui est d’illustrer l’histoire du mouvement ouvrier. Par exemple, le ministre de la Culture, Jack Lang, a dépêché une historienne des mouvements sociaux auprès des historiens d’art qui se consacraient impunément depuis trois années à l’installation du futur musée d’Orsay où sera exposée la peinture française du XIXe et du début du XXe siècles. La mission de cette personne est de faire rayonner sur les conservateurs des musées nationaux une surveillance sanctifiante pour les empêcher de céder à la tentation picturale. » La Grâce de l’Etat, Grasset, 1981, pages 157-158]. La dureté ou l’intransigeance supposée de Françoise n’étaient pas aveuglement ni suffisance, mais plutôt réserve et réflexion en attendant la décision.

À mesure que le temps a coulé et que la politique culturelle en France s’est infléchie vers un ultra-libéralisme désastreux pour le patrimoine, elle n’aurait plus eu à choisir, peut-être, entre ses deux grands-pères, celui qui croyait au ciel de la réflexion politique et celui qu’elle chérissait, qui avait choisi la solution esthétique dans la lumière pure du ton décomposé. C’est, je crois, les deux, le politique et l’artiste, qu’elle aurait fini par appeler à l’aide.

Conservateur des musées de France, ancien directeur du musée Picasso, directeur de la Biennale de Venise du Centenaire, Jean Clair est l’auteur de très grandes expositions comme « Vienne, 1880-1938, naissance d’un siècle » (1986, Centre Georges-Pompidou, Paris), « L’Ame au corps, arts et sciences, 1793-1993 » (avec Jean-Pierre Changeux, Grand Palais, Paris, 1993), « Mélancolie : Génie et folie en Occident », (2005, Grand Palais, Paris), « Crime et châtiment », (avec Robert Badinter, 2010, musée d’Orsay, Paris). Il a également publié de très nombreux ouvrages, essais, pamphlets, journaux, dont certains ont suscité des polémiques féroces. Paraissent prochainement deux livres, L’Hiver de la culture, (Flammarion) et Dialogue avec les morts (Gallimard).

Taux trop bas, prix trop hauts

photo : immotoo

La chambre des notaires d’Île de France a récemment publié son estimation du prix de vente moyen du mètre carré à Paris au quatrième trimestre 2010 : 7 330 euros soit une hausse de 17,5% sur l’année. Cette nouvelle intervient alors que Benoist Apparu, le responsable social-démocrate-conservateur des problèmes de logements des Français, s’apprête à recevoir les professionnels de l’immobilier pour chercher un moyen de freiner la hausse des loyers et que Martine Aubry et ses amis sociaux-démocrates-progressistes nous promettent une « autre politique du logement » (avec plus de « care » à l’intérieur). Comme tout ce petit monde semble complètement désemparé par la hausse des prix et ne comprend visiblement pas grand-chose aux mécanismes qui la provoquent, une petite explication s’impose.

Si les prix parisiens sont si élevés et montent à une telle vitesse, c’est parce que la demande y est très forte et en augmentation constante alors que les logements à vendre y sont rares et qu’on n’en construit pas assez de nouveaux. Si l’offre ne suit pas, me direz-vous, c’est parce qu’il n’y a plus de place pour construire. Oui, vous rétorquerai-je, mais c’est aussi parce que la réglementation interdit de construire en hauteur (pas plus de 37 mètres). Bertrand Delanoë qui, bien que social-démocrate-progressiste, est capable d’une étincelle de lucidité de temps à autres, l’a bien compris est essaye depuis quelque temps déjà d’assouplir cette règlementation. Il se heurte dans cette entreprise salutaire aux sociaux-démocrates-conservateurs de l’UMP qui s’y opposent parce que Delanoë est « de gauche » et aux écologistes qui avancent l’argument surréaliste selon lequel des tours ne seraient pas « compatibles avec le plan climat » (Denis Baupin ®). En attendant, bien sûr, plus les prix grimpent, plus les franciliens s’éloignent pour acheter des pavillons de banlieue aux bilans énergétiques calamiteux et plus ils passent de temps dans les bouchons.

Voilà pour l’offre, passons à la demande. Elle est, de l’avis des professionnels, tirée par trois facteurs : une génération de retraités « baby-boomers » qui, encouragés par les promesses fiscales des lois Robien et Scellier, investissent massivement dans la pierre ; des dispositifs d’aide à l’accession à la propriété, comme le prêt à taux zéro et le Prêt Paris Logement qui bénéficient aux « primo accédants » ; enfin et surtout, des taux d’intérêt historiquement bas qui décuplent la capacité de financement des acheteurs. Rappelons à toutes fins utiles que si les taux sont bas, ce n’est pas parce que les banques sont subitement devenues des entreprises philanthropiques mais parce que la Banque Centrale Européenne a fait en sorte qu’il en soit ainsi : on appelle ça une « politique monétaire accommodante ».

Résumons donc : nos politiciens ont créé une rareté artificielle sur le marché immobilier parisien. Et cela ne leur suffit pas : voilà qu’on entend reparler d’encadrement du prix des loyers par la loi, mesure maintes fois essayée et qui a toujours fini en catastrophe.

La conclusion qui s’impose, c’est que s’il y a bien une bulle immobilière, elle n’a rien à voir avec un prétendu dysfonctionnement du marché ; au contraire, le marché fonctionne très bien et réagit tout à fait logiquement aux impulsions politiques décrites ci-dessus (c’est ce qu’on appelle des « effets inattendus ») à tel point que si la BCE devait décider de faire remonter les taux, il est plus que vraisemblable que les prix du marché parisien dégonflerait dans les mois qui suivent. C’est là qu’il y a un hic. Si nos banquiers centraux ont compris qu’une politique monétaire trop laxiste ne risque pas seulement de créer de l’inflation mais aussi des bulles, la petite expérience menée par la Fed entre 2004 et 2007 a démontré qu’essayer de dégonfler une bulle en faisant remonter les taux pouvait s’avérer plutôt acrobatique. C’est là tout le dilemme : la BCE devra, tôt ou tard durcir sa politique monétaire. Avec de fortes probabilités de provoquer une nouvelle crise immobilière. Autant dire que nous allons tous en baver.

PS/ Cher Georges, au moment d’envoyer ton texte auquel je n’aurai malheureusement pas le temps de répondre parce qu’il faudrait que je potasse durant des jours, de multiples objections qui me brûlent les lèvres. Je t’en livre deux à l’arrache.
Une ville doit-elle être le résultat d’équations marchandes et de calculs économiques rationnels ? Si je comprends bien, le crime des politiciens est de s’être ligués contre les tours qui sont selon toi la seule solution. « Puisqu’il n’y a pas de place, construisons en hauteur » : avons-nous envie de vivre dans un paysage de tours ? Dans des tours ? Peut-être, d’ailleurs, je n’ai pas de religion à ce sujet, mais je n’ai pas la moindre envie que cela soit décidé par des contrôleurs de gestion.
Quant à la politique accommodante de « nos » banquiers centraux, d’abord, nous en avons un seul et ensuite, je me demande si tu ne te fais pas un peu enfariner par la propagande des euro-technos.
Pardonne-moi d’avoir abusé de mon pouvoir en m’octroyant un droit de réponse. Disons que c’est une façon de lancer la discussion ! EL

Mécène d’horreur

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Heider Heydrich, 76 ans, fils de Reinhard Heydrich, « Protecteur » nazi de la Bohème-Moravie souhaiterait participer à la rénovation du château de Panenské Břežany, non loin de Prague, où la famille a habité pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a récemment proposé au maire de la commune, lors d’une visite sur place d’aider à trouver des fonds pour sa rénovation, notamment des fonds européens. Reinhard Heydrich, l’un des concepteurs de la « Solution finale », est mort des suites de ses blessures après l’attaque de sa voiture le 27 mai 1942 à Prague par deux parachutistes tchécoslovaques. Sa veuve et ses enfants ont vécu dans ce château jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques à Prague. Cette madeleine-là est tout de même un peu grosse à avaler…

Baroque n’roll

photo : Dunechaser

Quand on a toujours soutenu, devant des publics qui, pour être intimes, n’en étaient pas moins dubitatifs, que la pop music, sous ses oripeaux électriques, est une musique éminemment traditionnelle et n’était pas née par hasard dans cette Angleterre qui n’a jamais coupé (au rebours de notre France, qui fut révolutionnaire à cet égard aussi) avec ses racines musicales, et qui a fait honneur à Purcell comme à Dowland et à Tallis avec une constance inébranlable, un enregistrement comme celui d’Anders Danman arrive comme une miraculeuse confirmation.[access capability= »lire_inedits »] Je confesse avoir tout ignoré de ce claveciniste suédois de 52 ans jusqu’à ce que lui vienne l’idée baroque − indeed ! − de transposer quarante chansons des Beatles en deux suites pour clavecin, dans le plus pur style de la musique française du début du XVIIIe. Et de transformer les tignasses coupe au bol des quatre de Liverpool en perruques poudrées qui n’auraient pas dépareillé à la cour de Louis XV.

Anders Danman a voulu imaginer ce que François Couperin, Jean-François Dandrieu, Rameau ou Forqueray, ayant attrapé au vol les mélodies des Beatles en marchant dans les rues de Paris, en auraient fait une fois rentrés chez eux, devant leur clavecin. Et s’il explique que l’expérience n’a pas marché à tous les coups − « Eight Days a Week faisait une pauvre allemande, et je n’ai jamais pu transformer Being For the Benefit of Mr Kite en courante » – ce qu’il nous en livre s’avère plus que convaincant. Si plusieurs chansons ont nécessité un travail d’harmonisation tel qu’on les reconnaît difficilement à la première écoute (Nowhere Man métamorphosé en tambourin endiablé, ou cette fusion Yellow Submarine-Eleanor Rigby en musette aux sonorités curieusement orientales), c’est avec une immédiate jubilation qu’on identifie Ob-La-Di, Ob-La-Da transformée en gigue, ou la voluptueuse version de Here, There and Everywhere en courante.

Si l’on n’est pas surpris de constater que les compositions de McCartney se prêtent le plus facilement à la transposition (la gavotte All My Loving, ou un Your Mother Should Know plus Ancien régime que nature), entendre celles de Lennon, a priori moins propices à l’exercice, se fondre dans le moule achève de convaincre de sa pertinence, au point qu’il est difficile d’imaginer, après avoir entendu les versions d’Anders Danman, que The Continuing Story of Bungalow Bill ait jamais été autre chose qu’une gigue, Strawberry Fields un entraînement passepied, ou que Norwegian Wood n’ait pas été, de toute éternité, une musette qui faisait swinguer la noblesse du temps de la Régence. Qui se serait aussi régalée, bien sûr, de la version bouffonne d’une chanson qui n’aurait pas manqué de faire fureur, quelques années plus tard, à la cour de Versailles : Revolution. On attend maintenant d’Anders Danman qu’il se livre à une autre métamorphose miraculeuse : révéler le disciple de Bach qui se masquait sous la mine joufflue et les chemises de surfeur de Brian Wilson, le compositeur des Beach Boys.[/access]

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Libye, l’autre pays des droits de l’Homme

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Au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU c’est pas triste ! Ainsi, au moment même où la Libye allait en être suspendue, cette estimable instance était sur le point d’adopter un rapport saluant les succès de Tripoli dans le domaine des droits de l’homme. Dans ce texte édifiant on trouve des perles comme : « L’Algérie note les efforts de la Libye dans la promotion des droits de l’homme » ou « Le Qatar fait l’éloge du cadre légal assurant la protection des droits de l’homme [en Libye]. » Mais la meilleure est sans doute les félicitations que la Syrie et la Corée du Nord ont décernées à la Libye pour ses réussites dans ce domaine…

C’est probablement pourquoi le candidat favori pour occuper le fauteuil abandonné par Kadhafi dans cette respectable assemblée n’est autre que la Syrie! Maintenant on comprend mieux les récents événements en Syrie : Assad est tout simplement en train de réviser ses travaux pratiques pour son examen d’entrée !

Iegor Gran recycle les Verts

photo : Michael Urban

Il y a des jours où l’on ressent l’infinie tristesse de voir son crédit-temps de présence sur cette Terre en voie d’épuisement, sans être totalement persuadé d’être capable d’observer, depuis l’au-delà, les agissements de nos survivants.

Cette tristesse surgit entre deux éclats de rire que ne manque pas de provoquer la lecture du dernier livre de Iegor Gran, L’Écologie en bas de chez moi (POL), un pamphlet alerte et jubilatoire contre les écolos, version bobo, qui sévissent à Paris et dans sa banlieue proche.

En effet, on vendrait son âme au diable pour voir, mettons dans cinquante ans, nos prêcheurs d’apocalypse, décroissants comme la lune, gardes-chiourme du tri sélectif, défenseurs autoproclamés des générations futures, constater que cette bonne vieille humanité aura trouvé le moyen de faire face aux catastrophes annoncées. Catastrophes, d’ailleurs, qui ne seront peut-être même pas survenues en dépit des prophéties des Philippulus surdiplômés.

La moutarde est montée au nez de Iegor Gran le jour où il vit, scotchée sur le panneau d’affichage du hall de son immeuble, une affichette où l’on pouvait lire : « Ne manquez pas ! Le 5 juin, projection du film Home, de Yann Arthus-Bertrand. Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la planète. Ensemble, nous pouvons faire la différence ! »

Fin d’une amitié sur fond d’incompatibilité écologique

Cette injonction produit chez l’écrivain l’inverse de l’effet escompté. Le 4 juin 2009, la veille de la diffusion du film en question, Libération publie une tribune de Gran sobrement intitulée : « Home, ou l’opportunisme vu du ciel ». À l’origine, ce texte commençait par la phrase suivante : « Leni Riefenstahl en avait rêvé, Yann-Dieu l’a fait ! » On ne saurait totalement désapprouver la censure opérée sur cette phrase par la rédaction de Libé, car elle aurait submergé sous les points Godwin un propos musclé, certes, mais à la mesure du matraquage culpabilisateur asséné par l’ancien photographe officiel du Paris-Dakar reconverti dans l’écolo-business modèle Al Gore.

Comme on peut s’en douter, cette tribune suscita plusieurs centaines de posts dont l’écrasante majorité fustigeait l’irresponsabilité quasi criminelle de son auteur. Sa publication eut également pour conséquence la rupture, lente, mais inexorable, de l’amitié entre Iegor Gran et Vincent, avec lequel il était très étroitement lié depuis leurs études communes à l’École centrale. Scientifiques défroqués, Iegor et Vincent s’étaient aménagés une douce vie de bohème chic, le premier dans la littérature, le second dans les arts graphiques. C’est le récit de cet éloignement sur fond d’incompatibilité écologique qui constitue la trame du livre, enrichie de scènes de genre vécues dans le local poubelles de son immeuble où veillent la mémé recycleuse du 3e escalier B et le médecin généraliste débile qui martyrise son fils de 10 ans au prétexte qu’il fait souffrir le laurier-rose du hall en lui arrachant quelques feuilles…

Gran, lui, n’est pas sûr d’avoir totalement raison

Leurs épouses respectives tentent bien de recoller les morceaux après quelques repas agités, mais sans succès. L’argumentation prétendue sérieuse de Gran est exposée sous forme d’une pléthore de notes en bas de page, dont l’auteur lui-même n’est pas dupe : il n’est pas sûr d’avoir totalement raison, ce qui le différencie radicalement de ses contradicteurs. Il pousse le masochisme jusqu’à fréquenter les innombrables salons consacrés à la bouffe bio et au développement durable pour en montrer le côté dérisoire et récupérateur.

Iegor Gran n’est pas un adepte de l’autofiction, bien au contraire. Il s’inscrit plutôt dans la lignée d’un Georges Perec et des forçats de l’écriture sous contrainte. S’il se laisse entraîner dans ce genre infra-littéraire, c’est pour s’en moquer au passage en le comparant au recyclage des déchets de la vie réelle pour produire une infâme bouillie aussi insipide que la nourriture macrobiotique.

Iegor Gran a passé les dix premières années de sa vie dans l’URSS brejnévienne. Il est le fils de l’écrivain dissident Andreï Siniavski, qui fut autorisé à émigrer en France en 1974. Cela lui donne un sixième sens pour détecter ab ovo les signes du surgissement d’un contrôle social généralisé des comportements individuels au nom d’une idéologie prétendument émancipatrice. Pourtant, il n’a rien d’un imprécateur et ne revendique que le droit à l’indifférence raisonnée face aux injonctions sectaires des sauveurs de la planète.

Il est symptomatique que ce soit un Russe d’âme et de cœur qui vienne nous signaler, avec humour et talent, que la France laisse péricliter cet art de la conversation dont l’historien anglais Theodore Zeldin[1. Theodore Zeldin, De la conversation, Fayard 1999] démontra naguère le caractère unique dans le monde civilisé.

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Qui a osé humilier Christine Ockrent ?

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photo : rsepulveda

Miracle ! Christine Ockrent s’est laissé convaincre par Benoît Hamon des bienfaits de l’égalité réelle. La voilà qui, comme n’importe quelle caissière à temps partiel imposé traquée sans relâche par un chef de rayon, porte plainte contre X pour harcèlement moral, X étant plus ou moins, tout de même, le PDG de l’audiovisuel extérieur de la France.

L’histoire est savoureuse comme une fable de La Fontaine: il est en effet intéressant de se souvenir de qui était Christine Ockrent de retrouver le sens de la lutte des classes et de la dignité au travail. Pendant des années, elle a animé une émission politique le dimanche soir pour une chaîne du Service public. On peut se demander si ces débats à sens unique servaient l’intérêt général ou plutôt ce qu’Alain Minc, d’ailleurs invité récurrent appelait, avec cette arrogance élitiste qui est l’une des explications du score de Marine Le Pen, « le cercle de la raison ». Ce « cercle de la raison » dont Christine était la reine, était celui des hommes politiques, politologues, sociologues et économistes qui estimaient que le libre-échange, l’Europe de Bruxelles, la fin de l’Etat-providence, n’étaient même pas sujet à discussion, ce qui est un comble dans une émission de débats, si on y songe cinq minutes.

Mais Christine Ockrent savait y faire et ses questions demeuraient passionnantes et ouvertes. Dans les années 1993/95, on s’empaillait sur des sujets douloureux : « Edouard Balladur est-il un bon candidat pour la droite ou le plus grand premier ministre que la France ait connu ? » ou « Le parti socialiste doit-il se moderniser ou arrêter d’être socialiste ? » Ensuite, Serge July livrait ensuite son analyse. Serge July venait ou était sur le point de quitter Libération. En même temps comme Libération avait quitté Libération depuis le milieu des années 80, ce n’était plus très grave.

Bien sûr, pour ceux qui n’avaient pas lu la Lettre à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary de Guy Hocquenghem (1986) ou Chronique d’une liquidation politique de Frédéric Fajardie(1993), deux ex-maoïstes qui l’avaient bien connu, Serge July pouvait faire illusion dans le rôle de chroniqueur de gauche. De gauche, mais dans le cercle de la raison, bien entendu. Pas de gauche avec des gros mots comme, « taxation des flux financiers », « fiscalité redistributive », voire « relance de la consommation par l’augmentation du pouvoir d’achat ».

Je crois me souvenir qu’à un moment l’émission de Christine Ockrent s’est appelée France Europe Express et se passait dans un décor de wagon. Enfin, un wagon tel que l’imaginent Christine Ockrent et ses amis du cercle de la raison : une super première classe sans « carré enfant », sans portables qui sonnent, sans le bourdonnement furieux de l’Ipod de votre voisin qui se fait exploser les oreilles, ce qui est son affaire mais qui vous empêche de lire parce que vous avez l’impression qu’une nuée de mouches vole autour de votre livre.

En tout cas, la métaphore était parlante. On était tous embarqués de gré ou de force, destination Bruxelles, sa Commission, ses déréglementations.
Dans France Europe Express, on invitait en duplex un député européen d’un autre pays pour discuter avec l’invité politique français. Qu’il fût italien, anglais, letton ou polonais, socialiste libéral ou libéral socialiste (il n’y a plus que ça ou presque au Parlement Européen), le député nous disait avec le sourire et un accent charmant à quel point nous serions un pays formidable si seulement nous comprenions que la protection sociale, le droit du travail et toutes sortes d’autres vieilles lunes étaient obsolètes et que nos syndicats nous faisaient beaucoup de mal avec leur corporatisme.
Et sous le regard aigu de Christine Ockrent, l’homme politique français faisait acte de contrition, remerciait l’ami étranger du bon exemple qu’il donnait.

Dire qu’il a fallu que je supporte cela pendant des années avant d’atteindre enfin les rivages heureux du Ciné Club, son générique avec baisers de stars hollywoodiennes se superposant en fondu enchainé et le débit si particulier de Patrick Brion m’annonçant que j’allais enfin revoir, et tant pis si c’était pour la dixième fois, Le fanfaron (1964) de Dino Risi avec la toute divine Catherine Spaak. C’est pour cela que je m’en souviens de manière un peu floue : l’heure feutrait les propos des invités qui étaient tous d’accord et il est dur de se passionner pour des robinets d’eau tiède. J’aurai néanmoins appris, avec Christine Ockrent, le mépris, voire l’agressivité froide dont peut faire preuve une « grande professionnelle » avec les politiques qui ne rentrent pas dans le moule. Elle a dû par la suite transmettre son savoir-faire à Arlette Chabot. Ces deux-là ont réussi à rendre Olivier Besancenot sympathique à force de lui rentrer dans le lard, ce qui est un exploit assez remarquable. À moins que rendre populaire un leader d’extrême gauche qui ne veut pas du pouvoir ait été une stratégie concertée pour réduire comme peau de chagrin l’espace politique d’une autre gauche de rupture prête à prendre ses responsabilités, mais ça, je n’ose le penser.

J’ai assez peu suivi par la suite la carrière de Christine Ockrent qui est devenue patronne d’un machin appelé « Audiovisuel extérieur de la France » avec une chaîne qui serait la CNN à la française[1. Sur laquelle on a au moins la chance de tomber sur Gil Mihaely qui y commente brillamment l’actualité internationale, en français ou en anglais. EL]. En même temps, elle était l’épouse du ministre des Affaires étrangères mais tout cela n’est qu’un détail dans la France de Sarkozy. On ne va tout de même pas soupçonner des consciences morales aussi élevées que celles de Bernard Kouchner et la parangonne du journalisme d’élite de vulgaires conflits d’intérêt.

Dans son nouveau job, à la tête de l’audiovisuel extérieur, loin des caméras, ça s’est très mal passé apparemment. Elle n’était pas toute seule à commander. Et elle a été victime d’une plainte pour espionnage informatique de l’autre chef. Alors voilà ce qu’elle déclare au Monde : « Depuis quatre mois, je n’ai plus accès à aucun dossier et je vis dans un climat de violence, d’humiliation et de souffrance intolérables. Je ne peux plus jouer mon rôle, surtout au moment où s’accélère le projet de fusion entre les différents médias du groupe. C’est une véritable torture morale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé de réagir. »

Ces propos pourraient être tenus par des milliers de travailleurs français, ouvriers ou cadres. Ils sont parfaitement révélateurs de ce que sont devenus les rapports sociaux dans le monde du travail. Avec une petite différence : la victime lambda n’est pas invitée à s’exprimer dans un quotidien national et il y a beaucoup mais alors beaucoup moins de zéros sur ses fiches de paie.

Pour le reste, sans défendre la pédagogie par la punition, on serait tout de même tenté de lui dire : « Ça t’apprendra. » Mais ce serait stérile. Proposons plutôt à Christine Ockrent de se syndiquer pour défendre ses droits. Ca ne fait pas tellement « cercle de la raison », le syndicalisme, les prud’hommes, c’est même franchement archaïque comme disaient si souvent ses invités mais bon, quand nécessité fait loi…

Un plan Chavez pour la Libye ? Où ça ?

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Je ne sais pas si le président Hugo Chavez n’a rien compris aux actuels bouleversements géopolitiques qui secouent le monde arabe comme le dit ironiquement l’ami Gil Mihaely. Mais encore une fois, quand on parle du leader bolivarien en France, il semble bien que l’on soit davantage dans le procès d’intention que dans les faits. En effet, les media français, qui décidément ne l’aiment pas ont soit présenté de manière biaisée soit complètement passé sous silence la proposition d’une médiation faite par Chavez alors que se votait la résolution 1973 à l’ONU préconisant des frappes aériennes et dont il est manifeste qu’elle est aujourd’hui l’objet d’une OPA de l’OTAN devant le désengagement étasunien.

Que proposait le monstrueux Chavez dès le début mars ? Tout simplement de mettre rebelles et kadhafistes autour du table où se seraient également trouvés diplomates latino-américians de l’Alba (Venezuela, Equateur, Bolivie, Nicaragua) et, last but not least, des représentants de la Ligue arabe, ceux-là mêmes qui se demandent aujourd’hui si l’intervention occidentale, toujours sur le point de dépasser son mandat, est une aussi bonne idée que ça.

Le secrétaire de la Ligue arabe, Monsieur Amr Moussa avait même applaudi des deux mains à l’initiative de Chavez. Celui-ci voulait-il tenter de sauver Kadhafi ou tenter de sauver la paix ? On ne sonde pas les cœurs et les reins en diplomatie. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il a essayé de proposer une solution alternative, appuyée par la Ligue arabe, pour sauver les insurgés de Benghazi. Et le rappeler aujourd’hui tient simplement d’un minimum d’objectivité.

Non, le FN n’a pas fait 11% !

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Disons le tout net, on s’est massivement fichu de vous hier soir, et sur toutes les chaînes: dans un scrutin cantonal ou législatif, les scores des partis au second tour n’ont aucun sens au niveau national. Les publier sans avertissement, comme l’a fait le ministère de l’Intérieur, ou les commenter ad libitum, comme nombre de confrères ainsi que la plupart des dirigeants de l’UMP ou du PS présents sur les plateaux, relève de l’escroquerie en bande organisée. Qui dit escroquerie dit victimes, ce soir c’était au tour des écologistes, du Front de Gauche et surtout du FN d’être dépouillés après les dépouillements

L’arithmétique étant moins populaire dans ce pays que l’Euromillions ou le régime Dukan, les spoliés ont eu un peu de mal à se défendre : la règle de trois, personne ne s’est aventuré à l’expliciter au peuple français et il est vrai que l’exercice était casse-gueule, surtout en deux minutes à l’oral sans rattrapage.

N’étant pas soumis aux mêmes contraintes, je vais tenter, à chaud et donc avec des informations partielles, remettre les pendules à l’heure. C’est de saison.

Pourquoi le score national de chaque parti n’a-t-il aucun sens au deuxième tour ? Tout simplement, parce qu’il n’y a pas une mais des centaines d’élections et que seuls les deux ou trois candidats arrivés en tête reviennent en deuxième semaine. Je ne vous refais pas le feuilleton du ni-ni et du front républicain, des pactes signés par les chefs sur les plateaux de télé et ignorés par la piétaille au nom de mille embrouilles locales. Pour apprécier l’entourloupe, il faut juste se rappeler que tous les partis ne sont pas en lice dans tous les cantons.

Seul le premier tour peut donner une estimation exacte des forces en présence (sauf torsion ministérielle, mais ça, nul n’ose l’imaginer). La semaine dernière, à l’issue du scrutin, on savait ce que pesaient le Front de gauche, le PS, le FN. C’était un peu plus compliqué pour l’UMP, à cause du flou induit par les divers droite et pour les Verts, qui étaient souvent co-investis par le PS. N’empêche, la photo, le « sondage grandeur nature », c’était dimanche dernier.

Les scores d’hier, à l’inverse, n’avaient aucun sens. Tout d’abord, environ un quart des cantons avaient été pourvus au premier tour, et ça change beaucoup de choses. Une séance de travaux pratiques pour vous expliquer, on se réveille au fond de la classe ! Pour plus de clarté, cet exercice sera ultra simplifié.
Imaginons qu’il y a deux cantons -d’égale population, disons 1000 votants – à pourvoir dans un département X où trois partis sont en présence.
Au premier tour dans le canton Nord, le parti A fait 600 voix (60%) le parti B, 300 voix (30% ) et le C 100 voix (10%) : le A aurait été élu dès dimanche dernier, il n’y aurait donc pas eu de second tour.

Dans le canton Sud, le rapport de forces est plus équilibré avec respectivement pour les parti A, B et C 360 , 440 et 200 voix . Au soir du premier tour, le candidat C se désiste en faveur du candidat B., et au second tour le candidat A obtient 400 voix, et le candidat B, 600 voix.
Selon la logique ministérielle en vigueur, les scores de second tour donnent donc le parti B largement majoritaire dans le département après le second tour avec 60% (600 voix) contre 40% au parti A. Le parti C, lui, a disparu de la couverture radar.

Résultat, le parti A se trouve pénalisé d’avoir fait un trop bon score dans le canton nord ! La photo finish est truquée la seule qui valait était celle du premier tour en agrégeant les cantons Nord et Sud
Au faux score façon Guéant second tour ( B= 60%, A=40%, C=0%) on préféra donc le vrai, issu du dimanche précédent A = 600 voix sur le canton Nord+ 360 sur le Sud= 48% des 2000 exprimés ; B= 300+ 440 =37% ; C = 100+ 200=15%. En tout, ça fait bien 100 %, ouf, je ne me suis pas planté ! Et de tête, s’il vous plait, mais je ne vous interdis pas de refaire ce décompte avec une calculette, les résultats risquent de coïncider. En clair, on s’est foutu de nous

Si cet exemple simplifié vous a paru rédhibitoire, allez donc vous faire une injection de Red Bull avant la suite, où on l’étendra à 2000 cantons et une huitaine de partis.

Non, non, c’était juste pour vous faire peur, et parlons plutôt immédiatement de ce qui fâche : le score du FN qu’on nous donne à 11% et des poussières donc. Foutaises ! Ce score est en fait celui du FN rapporté à l’ensemble des cantons, alors que ce dimanche, il était absent, contrairement au PS et à l’UMP, d’une grande majorité d’entre eux. En réalité dans les 400 cantons (environ un quart du total) où il restait en lice pour le second tour, le FN se situerait autour de 38 à 40% à l’heure où j’écris ces lignes. Et même si lundi on n’apprend que finalement il n’a réalisé que 35 %, c’est toujours 3 fois plus que l’estimation officielle, sur laquelle ont brodé tous les commentateurs télé ou presque (on exclura notamment du lot les implacables duettistes Zemmour et Domenach).

Le cas de figure assez standard dans ces cantons-là, c’est un candidat FN qui a fait 25 points au premier tour, et qui en gagne 10 à 15 de plus au second. Pas assez donc, pour dégager une majorité, dans la quasi-totalité des cas, et cet élément est significatif : il ne s’est trouvé pratiquement pas un coin de France pour donner une majorité à un candidat frontiste. Mais ces candidats arrivent néanmoins à séduire entre les deux tours plus d’électeurs -notamment UMP- que lors des scrutins comparables qui ont précédé ; et ça aussi, c’est significatif : le FN fait toujours peur, mais il fait moins peur que jamais

À une moindre échelle, le Front de gauche et EELV sont victimes de la même distorsion, si ce n’est qu’elle est encore un peu plus opacifiée du fait que nombre de leurs candidats s’étaient désistés après le premier tour, et que ceux qui restaient bénéficiaient le plus souvent d’un désistement du PS. Mais même si on n’aime pas les Verts, personne n’ira penser, comme on l’a laissé croire, qu’ils ne pèsent plus que 2%…

Voilà pour les correctifs arithmétiques qui s’imposaient, mais à la réflexion ça aurait pu être encore plus rigolo. Comme le FN n’a eu, semble-t-il, que deux élus sur 2000 conseillers généraux renouvelables, Claude Guéant aurait pu nous expliquer que le FN ne pesait plus que 2 divisé par 2000 soit 0,1% …

Syrie, Libye : Hugo Chavez a tout compris

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Le président vénézuélien Hugo Chavez a livré samedi dernier au monde son analyse géopolitique sur les événements en Syrie. Lors d’une cérémonie commémorant sa sortie de prison il y a 17 ans, Chavez déclarait « Voilà qu’a commencé l’attaque contre la Syrie, voilà que commencent des mouvements de manifestations prétendument pacifiques, qu’il y a des morts et voilà qu’ils accusent le président d’être en train de massacrer son peuple ».

Après l’analyse du présent, un pronostic lucide de l‘avenir : « Ensuite viendraient les Américains, qui veulent bombarder ce peuple pour le sauver. Quel cynisme que celui de l’Empire ! ». Chavez n’est pas dupe ! On a déjà essayé de lui faire le coup en Libye : « C’est la même chose. On provoque des conflits violents et sanglants dans un pays pour ensuite y intervenir, s’emparer de ses ressources naturelles et le transformer en colonie ». Décidément, rien n’échappe à la lecture bolivarienne de l’histoire !

Et pour joindre des actes à ces belles paroles le président Chavez s’est entretenu au téléphone avec M. Assad pour apporter son soutien à ce « président arabe socialiste, humaniste, frère, un homme doté d’une grande sensibilité humaine qui n’est en aucune manière un extrémiste ».

Après un siège pour la Syrie au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, bientôt le Prix Nobel de la Paix à Bachar el-Assad ?

Françoise Cachin, l’intransigeante

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Le jour même où Françoise Cachin nous quittait, le « Livre blanc sur l’état des musées de France », rédigé par l’Association générale des conservateurs des collections publiques, qui réunit un millier de membres, était rendu public dans la presse. Il dénonce pour la première fois, à haute voix, ce qu’elle avait, dans les dernières années de son mandat, dénoncé seule, dans l’indifférence quasi générale de ses confrères, suscitant l’irritation de sa hiérarchie et très vite l’hostilité du ministère, jusqu’à ce qu’elle fût en effet remerciée du Conseil artistique des musées auquel elle appartenait de droit, et démise de la présidence de FRAME, l’association des musées franco-américains qu’elle avait cependant créée. Par la suite, elle n’a jamais cessé de batailler, toujours dans un silence embarrassé puis hostile, contre la dérive mercantile des musées qui les voit assimiler les œuvres patrimoniales qu’ils ont la charge de conserver, d’étudier et de faire connaître, à de simples marchandises que l’on peut vendre ou bien louer, comme s’il s’agissait de réserves naturelles de pétrole ou de champs de patates.

L’arrogance des nouveaux maîtres de la finance et de la communication

En écrivant ce texte, à la veille des obsèques de mon amie, je suis tombé, au hasard de Google, sur la fiche technique éditée par le ministère de la Culture décrivant la profession de conservateur de musée des collections publiques. Elle commence par ces lignes : « L’image ancienne et poussiéreuse du conservateur a volé en éclats : d’un rôle de responsable scientifique, le conservateur est devenu, avec la mutation du monde des musées, un gestionnaire, parfois un véritable chef d’entreprise. »

Quel mépris de la science et des scientifiques, ces personnages pittoresques et poussiéreux dont on aimerait se passer, mais aussi quelle arrogance des nouveaux maîtres de la finance et de la communication ! Et dans ce « véritable chef d’entreprise » tendu en modèle au futur conservateur, quelle triste ambition de remettre la direction des musées à des gens étrangers au monde de la culture, mais très proches en revanche de celui du business et des médias !

Désormais, dans les textes officiels encadrant les contrats entre musées, quand vous lirez le mot « prêter », comprenez « louer ». Hier, on prêtait, à titre gratuit par définition, dans un but éducatif et pour des expositions à caractère scientifique, des œuvres tirées des collections publiques. Aujourd’hui, on les loue, dans le cadre d’un échange commercial, pour des expositions bavardes et inutiles, parfois installées dans des lieux privés, dans le seul but de « générer des profits considérables qui vont de 1 à 3,5 millions d’euros par an », comme l’écrit ingénument, dans la novlangue du « véritable chef d’entreprise », qui a peu à voir avec celle de Focillon ou d’André Chastel, l’actuel directeur du musée Picasso[1. Anne Baldassari : « Nos expositions ne sont ni cyniques ni mercantiles », Le Monde, 8 février 2011] dans un article publié deux jours après la mort de Françoise.

J’ai parfois entendu dire de Françoise Cachin qu’elle était une femme « dure », « autoritaire », « intransigeante ». Elle l’était, en effet. Elle ne pouvait que l’être dans l’exercice de ses fonctions. Première femme directeur des Musées de France, poste auquel elle fut nommée en 1994 par Jacques Toubon, elle venait de l’Université, pas du monde des affaires ni de la haute administration. Dans un milieu où on est peu sensible à la présence féminine et dont le courage n’est pas la qualité première, il lui fallait s’imposer comme femme et comme patronne. Elle s’est imposée, en durcissant des traits qu’au naturel elle avait des plus agréables et souriants.

Françoise aura été l’honneur de cette génération qui a fait des musées ce qu’ils sont devenus.

Elle n’était pas fonctionnaire à l’origine, mais avait été reçue, en 1966, au concours national de recrutement des conservateurs des collections publiques, créé l’année précédente. Elle rappelait souvent gaiement que nous l’avions passé ensemble, ainsi qu’avec Irène Bizot. En ces temps lointains, on craignait encore l’usage excessif de l’électricité pour éclairer les musées. Ensuite, nous avons longtemps roulé nos bosses, chacun sur nos chemins, avant de revenir secouer la poussière ensemble. Car poussière il y avait. Françoise Cachin aura été l’honneur de cette génération qui en trente ans, a fait des musées ce qu’ils sont devenus.

Dure à l’occasion, mais surtout courageuse. Le fonctionnaire est là pour tenir et maintenir quand les ministres passent. J’ai compté, pendant la quarantaine d’années que Françoise a consacrée aux musées, plus de trente ministres de la Culture, les pires et les meilleurs. Je me souviens d’un épisode très significatif. Le ministre d’alors nous avait réunis pour nous annoncer la dissolution du Comité d’acquisition des musées de France. Aussi ancien que les musées, ce Comité en était le symbole. Chaque mois nous étions une cinquantaine de conservateurs à nous réunir, de la France entière, petits et grands musées de tous les temps et de tous les espaces, du musée des Eyzies au musée Picasso et de Guimet au Louvre. Nous examinions les projets d’acquisition, qui étaient alors financés par la Réunion des musées nationaux : c’était la garantie du principe que nous croyions inaliénable, de la mutualité des musées : les petits sont nourris par les gros, puisque le patrimoine, national par essence, est celui de tous, qu’il s’agisse des trésors de la Grande Galerie ou de la petite collection de céramiques d’un lointain musée de région. C’était l’occasion, pour chacun d’entre nous, de se livrer à de grands morceaux d’éloquence et d’érudition pour convaincre ses confrères de la nécessité de tel ou tel achat, une formation permanente pour tous. Surtout, c’était une opportunité de se rencontrer, de se connaître –on avait assez peu l’occasion d’aller à Pau, ou même à Fontainebleau −, d’échanger, de prendre connaissance des problèmes et éventuellement de faire front ensemble. Et voilà que cette communauté allait disparaître. Chacun mourrait de son côté, seul, abandonné et sans le sou désormais, seuls les très grands musées étant assurés de grandir jusqu’à devenir des monstres d’autosuffisance.

Interdits, stupéfaits, nul d’entre nous n’osa répondre à ce ministre. Alors Françoise se leva, monta sur l’estrade et prit le micro. De sa voix tranquille mais indignée, elle souligna le désastre que cela serait ; elle avait vu clairement la manœuvre : c’était non seulement renoncer à la mutualité des musées, donc à l’unité et à l’indivisibilité du patrimoine, mais encore diviser le corps des conservateurs, le rendre impuissant et muet, de sorte à pouvoir, entre soi, entre « véritables chefs d’entreprise », préparer les mauvais coups, dont le contrat privé passé avec un émirat fut l’exemple le plus éclatant.

J’ai beaucoup admiré Françoise ce jour-là, malgré sa dureté souriante et inflexible, ou plutôt à cause d’elle.

Un autre épisode, autrement pénible, fut celui des MNR, les « Musées nationaux récupération », l’indication que portaient les œuvres d’art spoliées par les nazis et inventoriées par les musées. Françoise avait courageusement entrepris de rouvrir le débat et de régler le problème qu’on avait enterré depuis trop longtemps. Mal lui en prit. Elle fut l’objet d’insinuations et de lâchetés indignes, adressées qu’elles étaient à la petite-fille d’un militant communiste et d’un vieux peintre anarchiste – Marcel Cachin et Paul Signac.

Une autre nouvelle a été publiée dans la presse, deux jours après sa mort, qui l’aurait autant réjouie, je crois, que l’annonce de la parution du Livre blanc des conservateurs le jour de sa disparition : la nouvelle que, grâce au combat de quelques-uns, en particulier Pierre Nora, le ministère de la Marine ne serait sans doute pas transformé, comme cela avait été prévu, en un hôtel de luxe avec galeries marchandes[2. « Le sort de l’Hôtel de la Marine », Le Monde, 8 février 2011] .

Le ministère de la Marine, pour moi, c’est la gravure de Charles Meryon, où le monument est attaqué de profil par une escadrille d’oiseaux de proie griffus et monstrueux. Meryon, ce fut le graveur du Paris de Charles Baudelaire : le Pont au Change, la Morgue, le chevet de Notre-Dame de Paris, le Pont Neuf, c’est-à-dire le Paris même que Françoise a chéri, et au centre duquel elle vivait, dans l’île Saint-Louis, derrière l’Hôtel de Lauzun.

Elle avait, au début de sa carrière, écrit un bel essai, publié dans la collection des Lieux de mémoire de Pierre Nora sur le paysage français, des miniatures de Pol de Limbourg aux vues de la Seine de Bonnard et de Jean Fouquet à Corot. Analyse érudite et sensible, dont certains passages seraient sans doute aujourd’hui soumis à la censure puisque elle ose y parler d’un « sentiment d’identité nationale » « lié structurellement à l’art du paysage »[3. « Le Paysage du peintre » in La Nation II, Gallimard, Les Lieux de mémoire, 1986 , p. 439]. Elle écrivait en conclusion que ces paysages peints qui survivent à l’art du peintre et nous aident aujourd’hui à revoir des lieux et des instants sont aussi des « memento mori implacables »[4. Ibid, p. 463].

« Les impressionnistes à Paris » : une nouvelle image de la ville

Or, cet art du paysage, paysage rural, paysage mélancolique, paysage de la mort et de la vanité dont elle devait longtemps scruter les traits de la Bretagne à la Méditerranée, elle devait l’enrichir, à la fin de sa vie, par un autre art du paysage, cette fois de la ville, dans une magnifique exposition qui s’est tenue, non à Paris mais au musée Folkwang d’Essen, dans la Ruhr, Images d’une métropole : les Impressionnistes à Paris[5. Bilder eine Metropole : Die Impressionisten in Paris, musée Folkwang , Essen , octobre 2010 – janvier 2011].

Il s’agissait de plus, bien sûr, que des Impressionnistes : elle commence, là aussi, avec Corot, pour finir avec Matisse. Mais surtout, elle montre, mêlées aux maîtres, de Manet à Caillebotte, des œuvres peu connues, de Maximilien Luce à Devambez, d’Adler à Louis Anquetin, ou d’étrangers, de Menzel à Evenepoel, qui donnent de Paris une image bien éloignée de la vision traditionnelle de la « Ville-lumière ». Cette ville industrielle et pauvre, avec les cheminées d’usines, les fumées des locomotives et les gazomètres, avec les foules en fureur, les défilés, les émeutes ouvrières, me fait penser que le conflit qui l’avait opposée, lors de la conception du musée d’Orsay, à Madeleine Rebérioux, n’avait peut-être pas été aussi définitif qu’on l’avait dit[6. Jean-François Revel a parfaitement résumé cet épisode en évoquant la « politique culturelle » inventée par les socialistes en 1981 : « L’ère de la culture comme pédagogie commence (…). L’art sera rendu à sa fonction qui est d’illustrer l’histoire du mouvement ouvrier. Par exemple, le ministre de la Culture, Jack Lang, a dépêché une historienne des mouvements sociaux auprès des historiens d’art qui se consacraient impunément depuis trois années à l’installation du futur musée d’Orsay où sera exposée la peinture française du XIXe et du début du XXe siècles. La mission de cette personne est de faire rayonner sur les conservateurs des musées nationaux une surveillance sanctifiante pour les empêcher de céder à la tentation picturale. » La Grâce de l’Etat, Grasset, 1981, pages 157-158]. La dureté ou l’intransigeance supposée de Françoise n’étaient pas aveuglement ni suffisance, mais plutôt réserve et réflexion en attendant la décision.

À mesure que le temps a coulé et que la politique culturelle en France s’est infléchie vers un ultra-libéralisme désastreux pour le patrimoine, elle n’aurait plus eu à choisir, peut-être, entre ses deux grands-pères, celui qui croyait au ciel de la réflexion politique et celui qu’elle chérissait, qui avait choisi la solution esthétique dans la lumière pure du ton décomposé. C’est, je crois, les deux, le politique et l’artiste, qu’elle aurait fini par appeler à l’aide.

Conservateur des musées de France, ancien directeur du musée Picasso, directeur de la Biennale de Venise du Centenaire, Jean Clair est l’auteur de très grandes expositions comme « Vienne, 1880-1938, naissance d’un siècle » (1986, Centre Georges-Pompidou, Paris), « L’Ame au corps, arts et sciences, 1793-1993 » (avec Jean-Pierre Changeux, Grand Palais, Paris, 1993), « Mélancolie : Génie et folie en Occident », (2005, Grand Palais, Paris), « Crime et châtiment », (avec Robert Badinter, 2010, musée d’Orsay, Paris). Il a également publié de très nombreux ouvrages, essais, pamphlets, journaux, dont certains ont suscité des polémiques féroces. Paraissent prochainement deux livres, L’Hiver de la culture, (Flammarion) et Dialogue avec les morts (Gallimard).

Taux trop bas, prix trop hauts

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photo : immotoo

La chambre des notaires d’Île de France a récemment publié son estimation du prix de vente moyen du mètre carré à Paris au quatrième trimestre 2010 : 7 330 euros soit une hausse de 17,5% sur l’année. Cette nouvelle intervient alors que Benoist Apparu, le responsable social-démocrate-conservateur des problèmes de logements des Français, s’apprête à recevoir les professionnels de l’immobilier pour chercher un moyen de freiner la hausse des loyers et que Martine Aubry et ses amis sociaux-démocrates-progressistes nous promettent une « autre politique du logement » (avec plus de « care » à l’intérieur). Comme tout ce petit monde semble complètement désemparé par la hausse des prix et ne comprend visiblement pas grand-chose aux mécanismes qui la provoquent, une petite explication s’impose.

Si les prix parisiens sont si élevés et montent à une telle vitesse, c’est parce que la demande y est très forte et en augmentation constante alors que les logements à vendre y sont rares et qu’on n’en construit pas assez de nouveaux. Si l’offre ne suit pas, me direz-vous, c’est parce qu’il n’y a plus de place pour construire. Oui, vous rétorquerai-je, mais c’est aussi parce que la réglementation interdit de construire en hauteur (pas plus de 37 mètres). Bertrand Delanoë qui, bien que social-démocrate-progressiste, est capable d’une étincelle de lucidité de temps à autres, l’a bien compris est essaye depuis quelque temps déjà d’assouplir cette règlementation. Il se heurte dans cette entreprise salutaire aux sociaux-démocrates-conservateurs de l’UMP qui s’y opposent parce que Delanoë est « de gauche » et aux écologistes qui avancent l’argument surréaliste selon lequel des tours ne seraient pas « compatibles avec le plan climat » (Denis Baupin ®). En attendant, bien sûr, plus les prix grimpent, plus les franciliens s’éloignent pour acheter des pavillons de banlieue aux bilans énergétiques calamiteux et plus ils passent de temps dans les bouchons.

Voilà pour l’offre, passons à la demande. Elle est, de l’avis des professionnels, tirée par trois facteurs : une génération de retraités « baby-boomers » qui, encouragés par les promesses fiscales des lois Robien et Scellier, investissent massivement dans la pierre ; des dispositifs d’aide à l’accession à la propriété, comme le prêt à taux zéro et le Prêt Paris Logement qui bénéficient aux « primo accédants » ; enfin et surtout, des taux d’intérêt historiquement bas qui décuplent la capacité de financement des acheteurs. Rappelons à toutes fins utiles que si les taux sont bas, ce n’est pas parce que les banques sont subitement devenues des entreprises philanthropiques mais parce que la Banque Centrale Européenne a fait en sorte qu’il en soit ainsi : on appelle ça une « politique monétaire accommodante ».

Résumons donc : nos politiciens ont créé une rareté artificielle sur le marché immobilier parisien. Et cela ne leur suffit pas : voilà qu’on entend reparler d’encadrement du prix des loyers par la loi, mesure maintes fois essayée et qui a toujours fini en catastrophe.

La conclusion qui s’impose, c’est que s’il y a bien une bulle immobilière, elle n’a rien à voir avec un prétendu dysfonctionnement du marché ; au contraire, le marché fonctionne très bien et réagit tout à fait logiquement aux impulsions politiques décrites ci-dessus (c’est ce qu’on appelle des « effets inattendus ») à tel point que si la BCE devait décider de faire remonter les taux, il est plus que vraisemblable que les prix du marché parisien dégonflerait dans les mois qui suivent. C’est là qu’il y a un hic. Si nos banquiers centraux ont compris qu’une politique monétaire trop laxiste ne risque pas seulement de créer de l’inflation mais aussi des bulles, la petite expérience menée par la Fed entre 2004 et 2007 a démontré qu’essayer de dégonfler une bulle en faisant remonter les taux pouvait s’avérer plutôt acrobatique. C’est là tout le dilemme : la BCE devra, tôt ou tard durcir sa politique monétaire. Avec de fortes probabilités de provoquer une nouvelle crise immobilière. Autant dire que nous allons tous en baver.

PS/ Cher Georges, au moment d’envoyer ton texte auquel je n’aurai malheureusement pas le temps de répondre parce qu’il faudrait que je potasse durant des jours, de multiples objections qui me brûlent les lèvres. Je t’en livre deux à l’arrache.
Une ville doit-elle être le résultat d’équations marchandes et de calculs économiques rationnels ? Si je comprends bien, le crime des politiciens est de s’être ligués contre les tours qui sont selon toi la seule solution. « Puisqu’il n’y a pas de place, construisons en hauteur » : avons-nous envie de vivre dans un paysage de tours ? Dans des tours ? Peut-être, d’ailleurs, je n’ai pas de religion à ce sujet, mais je n’ai pas la moindre envie que cela soit décidé par des contrôleurs de gestion.
Quant à la politique accommodante de « nos » banquiers centraux, d’abord, nous en avons un seul et ensuite, je me demande si tu ne te fais pas un peu enfariner par la propagande des euro-technos.
Pardonne-moi d’avoir abusé de mon pouvoir en m’octroyant un droit de réponse. Disons que c’est une façon de lancer la discussion ! EL

Mécène d’horreur

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Heider Heydrich, 76 ans, fils de Reinhard Heydrich, « Protecteur » nazi de la Bohème-Moravie souhaiterait participer à la rénovation du château de Panenské Břežany, non loin de Prague, où la famille a habité pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a récemment proposé au maire de la commune, lors d’une visite sur place d’aider à trouver des fonds pour sa rénovation, notamment des fonds européens. Reinhard Heydrich, l’un des concepteurs de la « Solution finale », est mort des suites de ses blessures après l’attaque de sa voiture le 27 mai 1942 à Prague par deux parachutistes tchécoslovaques. Sa veuve et ses enfants ont vécu dans ce château jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques à Prague. Cette madeleine-là est tout de même un peu grosse à avaler…

Baroque n’roll

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photo : Dunechaser

Quand on a toujours soutenu, devant des publics qui, pour être intimes, n’en étaient pas moins dubitatifs, que la pop music, sous ses oripeaux électriques, est une musique éminemment traditionnelle et n’était pas née par hasard dans cette Angleterre qui n’a jamais coupé (au rebours de notre France, qui fut révolutionnaire à cet égard aussi) avec ses racines musicales, et qui a fait honneur à Purcell comme à Dowland et à Tallis avec une constance inébranlable, un enregistrement comme celui d’Anders Danman arrive comme une miraculeuse confirmation.[access capability= »lire_inedits »] Je confesse avoir tout ignoré de ce claveciniste suédois de 52 ans jusqu’à ce que lui vienne l’idée baroque − indeed ! − de transposer quarante chansons des Beatles en deux suites pour clavecin, dans le plus pur style de la musique française du début du XVIIIe. Et de transformer les tignasses coupe au bol des quatre de Liverpool en perruques poudrées qui n’auraient pas dépareillé à la cour de Louis XV.

Anders Danman a voulu imaginer ce que François Couperin, Jean-François Dandrieu, Rameau ou Forqueray, ayant attrapé au vol les mélodies des Beatles en marchant dans les rues de Paris, en auraient fait une fois rentrés chez eux, devant leur clavecin. Et s’il explique que l’expérience n’a pas marché à tous les coups − « Eight Days a Week faisait une pauvre allemande, et je n’ai jamais pu transformer Being For the Benefit of Mr Kite en courante » – ce qu’il nous en livre s’avère plus que convaincant. Si plusieurs chansons ont nécessité un travail d’harmonisation tel qu’on les reconnaît difficilement à la première écoute (Nowhere Man métamorphosé en tambourin endiablé, ou cette fusion Yellow Submarine-Eleanor Rigby en musette aux sonorités curieusement orientales), c’est avec une immédiate jubilation qu’on identifie Ob-La-Di, Ob-La-Da transformée en gigue, ou la voluptueuse version de Here, There and Everywhere en courante.

Si l’on n’est pas surpris de constater que les compositions de McCartney se prêtent le plus facilement à la transposition (la gavotte All My Loving, ou un Your Mother Should Know plus Ancien régime que nature), entendre celles de Lennon, a priori moins propices à l’exercice, se fondre dans le moule achève de convaincre de sa pertinence, au point qu’il est difficile d’imaginer, après avoir entendu les versions d’Anders Danman, que The Continuing Story of Bungalow Bill ait jamais été autre chose qu’une gigue, Strawberry Fields un entraînement passepied, ou que Norwegian Wood n’ait pas été, de toute éternité, une musette qui faisait swinguer la noblesse du temps de la Régence. Qui se serait aussi régalée, bien sûr, de la version bouffonne d’une chanson qui n’aurait pas manqué de faire fureur, quelques années plus tard, à la cour de Versailles : Revolution. On attend maintenant d’Anders Danman qu’il se livre à une autre métamorphose miraculeuse : révéler le disciple de Bach qui se masquait sous la mine joufflue et les chemises de surfeur de Brian Wilson, le compositeur des Beach Boys.[/access]

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Libye, l’autre pays des droits de l’Homme

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Au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU c’est pas triste ! Ainsi, au moment même où la Libye allait en être suspendue, cette estimable instance était sur le point d’adopter un rapport saluant les succès de Tripoli dans le domaine des droits de l’homme. Dans ce texte édifiant on trouve des perles comme : « L’Algérie note les efforts de la Libye dans la promotion des droits de l’homme » ou « Le Qatar fait l’éloge du cadre légal assurant la protection des droits de l’homme [en Libye]. » Mais la meilleure est sans doute les félicitations que la Syrie et la Corée du Nord ont décernées à la Libye pour ses réussites dans ce domaine…

C’est probablement pourquoi le candidat favori pour occuper le fauteuil abandonné par Kadhafi dans cette respectable assemblée n’est autre que la Syrie! Maintenant on comprend mieux les récents événements en Syrie : Assad est tout simplement en train de réviser ses travaux pratiques pour son examen d’entrée !

Iegor Gran recycle les Verts

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photo : Michael Urban

Il y a des jours où l’on ressent l’infinie tristesse de voir son crédit-temps de présence sur cette Terre en voie d’épuisement, sans être totalement persuadé d’être capable d’observer, depuis l’au-delà, les agissements de nos survivants.

Cette tristesse surgit entre deux éclats de rire que ne manque pas de provoquer la lecture du dernier livre de Iegor Gran, L’Écologie en bas de chez moi (POL), un pamphlet alerte et jubilatoire contre les écolos, version bobo, qui sévissent à Paris et dans sa banlieue proche.

En effet, on vendrait son âme au diable pour voir, mettons dans cinquante ans, nos prêcheurs d’apocalypse, décroissants comme la lune, gardes-chiourme du tri sélectif, défenseurs autoproclamés des générations futures, constater que cette bonne vieille humanité aura trouvé le moyen de faire face aux catastrophes annoncées. Catastrophes, d’ailleurs, qui ne seront peut-être même pas survenues en dépit des prophéties des Philippulus surdiplômés.

La moutarde est montée au nez de Iegor Gran le jour où il vit, scotchée sur le panneau d’affichage du hall de son immeuble, une affichette où l’on pouvait lire : « Ne manquez pas ! Le 5 juin, projection du film Home, de Yann Arthus-Bertrand. Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la planète. Ensemble, nous pouvons faire la différence ! »

Fin d’une amitié sur fond d’incompatibilité écologique

Cette injonction produit chez l’écrivain l’inverse de l’effet escompté. Le 4 juin 2009, la veille de la diffusion du film en question, Libération publie une tribune de Gran sobrement intitulée : « Home, ou l’opportunisme vu du ciel ». À l’origine, ce texte commençait par la phrase suivante : « Leni Riefenstahl en avait rêvé, Yann-Dieu l’a fait ! » On ne saurait totalement désapprouver la censure opérée sur cette phrase par la rédaction de Libé, car elle aurait submergé sous les points Godwin un propos musclé, certes, mais à la mesure du matraquage culpabilisateur asséné par l’ancien photographe officiel du Paris-Dakar reconverti dans l’écolo-business modèle Al Gore.

Comme on peut s’en douter, cette tribune suscita plusieurs centaines de posts dont l’écrasante majorité fustigeait l’irresponsabilité quasi criminelle de son auteur. Sa publication eut également pour conséquence la rupture, lente, mais inexorable, de l’amitié entre Iegor Gran et Vincent, avec lequel il était très étroitement lié depuis leurs études communes à l’École centrale. Scientifiques défroqués, Iegor et Vincent s’étaient aménagés une douce vie de bohème chic, le premier dans la littérature, le second dans les arts graphiques. C’est le récit de cet éloignement sur fond d’incompatibilité écologique qui constitue la trame du livre, enrichie de scènes de genre vécues dans le local poubelles de son immeuble où veillent la mémé recycleuse du 3e escalier B et le médecin généraliste débile qui martyrise son fils de 10 ans au prétexte qu’il fait souffrir le laurier-rose du hall en lui arrachant quelques feuilles…

Gran, lui, n’est pas sûr d’avoir totalement raison

Leurs épouses respectives tentent bien de recoller les morceaux après quelques repas agités, mais sans succès. L’argumentation prétendue sérieuse de Gran est exposée sous forme d’une pléthore de notes en bas de page, dont l’auteur lui-même n’est pas dupe : il n’est pas sûr d’avoir totalement raison, ce qui le différencie radicalement de ses contradicteurs. Il pousse le masochisme jusqu’à fréquenter les innombrables salons consacrés à la bouffe bio et au développement durable pour en montrer le côté dérisoire et récupérateur.

Iegor Gran n’est pas un adepte de l’autofiction, bien au contraire. Il s’inscrit plutôt dans la lignée d’un Georges Perec et des forçats de l’écriture sous contrainte. S’il se laisse entraîner dans ce genre infra-littéraire, c’est pour s’en moquer au passage en le comparant au recyclage des déchets de la vie réelle pour produire une infâme bouillie aussi insipide que la nourriture macrobiotique.

Iegor Gran a passé les dix premières années de sa vie dans l’URSS brejnévienne. Il est le fils de l’écrivain dissident Andreï Siniavski, qui fut autorisé à émigrer en France en 1974. Cela lui donne un sixième sens pour détecter ab ovo les signes du surgissement d’un contrôle social généralisé des comportements individuels au nom d’une idéologie prétendument émancipatrice. Pourtant, il n’a rien d’un imprécateur et ne revendique que le droit à l’indifférence raisonnée face aux injonctions sectaires des sauveurs de la planète.

Il est symptomatique que ce soit un Russe d’âme et de cœur qui vienne nous signaler, avec humour et talent, que la France laisse péricliter cet art de la conversation dont l’historien anglais Theodore Zeldin[1. Theodore Zeldin, De la conversation, Fayard 1999] démontra naguère le caractère unique dans le monde civilisé.

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