Accueil Site Page 2805

La Légion ridiculise les Navy Seal

Pendant ce temps là, à Castelnaudary… Au moment même où un commando de soldats américains est parvenu à neutraliser le ridicule prédicateur barbu Oussama Ben Laden, la Dépêche du Midi nous apprenait – dans son édition de l’Aude – qu’avait lieu le week-end dernier, à Castelnaudary, l’élection de « Miss Képi Blanc 2011 », égérie de la Légion étrangère, corps d’élite de notre armée française bien aimée. La Dépêche consigne : « Le lieutenant Pritschkad, grand ordonnateur de l’élection de Miss Képi blanc 2011, avait bien fait les choses. Le deuxième passage des candidates, en uniforme, sous forme de tableaux représentant les divers régiments ou les diverses spécialités de la légion étrangère, fut une grande réussite. Une future miss en parachutiste, une autre en plongeur, une autre en médecin, etc. Une belle mise en scène, des accessoires, des figurants, il ne manquait rien. » Bravo les amis! Mais quand la fête sera terminée pensez à faire un petit crochet par la Libye. Les américains nous ont doublé sur Ben Laden, essayons quand même d’avoir Kadhafi !

Comment épouser un moudjahidin ? Nous avions appris l’été dernier que la femme musulmane très pratiquante pouvait affronter la plage dans un « burkini » islamique, saillant maillot de bain intégral dernier cri, avec des morceaux de burqa et de bikini dedans. Afin de ne rien rater de ce genre de soubresauts de la mode musulmane, on pourra désormais faire confiance au magazine féminin Al Shamikha, que le quotidien britannique The Independent (qui rapporte l’information) propose de traduire par « La femme majestueuse ». Le magazine en papier glaçant balaie à sa façon tous les sujets abordés par la presse féminine impie. L’amour : « Comment épouser un moudjahidin ? ». L’éducation des enfants : « Comment élever ses enfants dans la tradition du djihad ? » Et les traditionnelles rubriques beauté et mode. « L’islam a besoin de femmes qui connaissent la vérité sur leur religion et la lutte et qui savent ce qu’on attend d’elles », a expliqué le porte-parole d’Al Shamikha à The Independent. Elle savent aussi désormais qu’épouser un moudjahidin, fut-il riche célèbre et même pas abonné au téléphone, n’est pas forcément une partie de plaisir…

Ben Laden, plus gênant mort que vivant ?

image : Uosama, Flickr

« The game is over », aurait dit George W. Bush. Non moins sentencieux, son successeur à la Maison Blanche a officialisé la mort d’Oussama Ben Laden avec un poil de morgue et la sobriété qui seyaient à l’événement[1. « We got him », Obama aurait-il simplement confié à ses proches conseillers].

L’ennemi public numéro un des Etats-Unis n’aura pas survécu à dix ans de traque dans la zone AfPak. L’histoire ne nous dit pas encore si un heureux quidam a décroché la timbale des 25 millions de dollars mis sa sur tête. Visiblement, les indics qui ont lancé la CIA sur la trace du fameux messager de Ben Laden resteront nourris, logés et blanchis dans un vaste complexe caribéen où les G.O initient leurs hôtes à la plongée sous-marine en tenue orange. Un séjour ad vitam à Guantanamo comme retraite dorée des vétérans de la multinationale Al Qaïda : de quoi impressionner n’importe quel djihadiste jaloux de la villa cossue d’Abbottabad !

À la tête d’une nébuleuse mondiale, le chef spirituel de la Base (Al Qaïda) incarne si bien notre temps : une ère d’hypocrisie crasse où l’on entre en guerre au nom de la paix mondiale pour pourchasser un ennemi réticulaire. Une époque bénie des dieux où la morale est partout et les principes nulle part. Preuve en est, la vague de satisfaction qui se déverse sur la scène politique. PS et UMP se félicitent de concert du tour pris par la traque de Ben Laden. Qu’il s’agisse d’une mort accidentelle ou d’un assassinat sommaire, on serait néanmoins en droit d’attendre le début d’un regret de la part du parti qui a aboli la peine de mort ou de celui qui a inscrit cette interdiction dans la Constitution.

Certes, Ben Laden était un immonde salaud. Mais Patrick Henry l’était-il moins ? Au moins trois mille fois moins selon la comptabilité macabre des victimes du terrorisme salafiste. A titre personnel, la mort brutale de la figure charismatique du djihadisme ne m’émeut pas. Mais venant de pères la morale à l’indignation quotidienne, l’acceptation pleine et entière de cette condamnation à mort a quelque chose de choquant. Qu’on l’attribue aux reliques françaises de l’Obamania ou au délit de sale gueule d’un Ben Laden aux mains sanguinolentes, ce « deux poids deux mesures » fait mauvaise impression au pays de Badinter. À quand le discours larmoyant d’un Kouchner fan de l’ingérence « humanitaire » déplorant la mort de Ben Laden la voix éraillée ? Bizarrement, les inconditionnels de la Cour Pénale Internationale se font discrets sur le sujet.

« Justice est faite », a commenté Barack Obama avant que son homologue français reprenne l’expression telle quelle. Une mésaventure de plus pour Nicolas Sarkozy qui confirme son statut de Papayé du département d’Etat. Au sein de l’OTAN, diplomatie rime plus que jamais avec ventriloquie.

Mondialisation du terrorisme

Chacun gagnerait à désacraliser l’image honnie du parfait salaud qu’était Ben Laden. Dans sa Théorie du partisan, Carl Schmitt distinguait deux idéaux-types : la figure du combattant classique et celle du révolutionnaire moderne. Précisons d’emblée que ces catégories échappent à toute notion morale. En l’espèce, il n’y a pas lieu de juger la justesse de la cause défendue. Aussi monstrueuse soit-elle, la spécificité benladenienne, c’est d’avoir inauguré l’ère du cyber-terrorisme en passant de la première figure du combattant à la deuxième. De djihadiste antirouge (freedom figfhter en américain) dans l’Afghanistan des années 1980 envahi par l’URSS, Ben Laden s’est mué en combattant obsessionnel « des Juifs et des croisés » à la décennie suivante.

À moins de dix ans de distance, le même terrain d’action, Tora Bora et ses grottes, a vu passer des légions de barbus aux motivations différentes. Peu à Peu, influencée par les madrasas déobandies[2. Nom d’une école coranique basée en Inde dont se réclament notamment les talibans afghans] du Pakistan, est née une nouvelle Somalie agrégeant les féodalités et les allégeances au profit de caudillos locaux. Après les attentats au Kenya et en Tanzanie de 1998, Oussama Ben Laden apparaissait médiatiquement dans la version numérisée du Vieux de la Montagne.

Al-Qaïda formait la nouvelle secte d’Assassins prêts à déferler sur le monde libre, le cutter entre les dents, soigneusement emmaillotés pour permettre à leurs parties génitales d’ensemencer les houris du Paradis promis aux martyrs. Sortis des meilleures écoles occidentales, Mohamed Atta et ses comparses incarnaient le combattant révolutionnaire moderne déterritorialisé. Des élites mondialisées version hallal, à la différence d’un Nasrallah cantonné au djihad local contre son ennemi israélien. Le benladeniste ne connaît pas plus les frontières terrestres que le trader moyen qui jongle entre les warrants de Wall Street, la City et Singapour. Rien d’étonnant à ce qu’il excommunie à satiété et use du takfir comme Savonarole du bûcher. A tout saigneur tout honneur ; l’ennemi absolu requérait un châtiment absolu : l’absence de sépulture. Comme le releva Marc-Edouard Nabe chez Taddéi lundi, la conformité islamique de son immersion est une farce. Même inutile et hors d’usage, le corps de Ben Laden nageant en haute mer inonde les consciences de ses exécuteurs. Triste ironie du sort !

Nabe porte-voix de la rue arabe

Lundi, Ce soir ou jamais consacrait une heure de débat à « l’après-Ben Laden ». À intervalles réguliers, l’émission de Frédéric Taddéi a la grande vertu de purger le bébé télévisuel gavé à la pensée automatique.
Nabe, revenant de Tunisie, paraît avoir mangé du lion avec double dose de harissa. Il pousse ses contradicteurs à penser hic et nunc le moment Ben Laden. Autour d’un parterre d’invités chauffés à blanc par sa simple présence, Zannini-Nabe détonne. Sa capacité de réaction n’en fait certes pas le meilleur analyste imaginable mais un crédible porte-parole de la rue arabe. Ni tout à fait soulagée de la mort de Ben Laden, ni chagrinée par l’élimination de ce meurtrier de masse. En un mot : circonspecte et quelque peu indignée par le service mortuaire de l’US Navy ! Nabe pérore : « Croyant tuer Ben Laden ils renforcent son mythe ». Par sa puissance mythologique, le milliardaire saoudien pourrait devenir plus gênant mort que vivant ! Si l’on ajoute le pourrissement du conflit israélo-arabe, le risque d’une escalade islamiste est réel dans ces pays en pleine démocratisation. Au nom de la France – mais de laquelle ?- Villepin en tire le devoir de mener une politique méditerranéenne indépendante des intérêts américains. Zannini opine du chef mais n’y croit pas. Trop tragiquement pessimiste pour cela.

Il interrompt, éructe, s’exalte, s’énerve. Excessif, majestueux, flamboyant, Marc-Edouard Nabe fustige la politique étrangère de « l’administration Obabush » – bien que l’aventurisme bushien ne soit pas l’exact précurseur du néo-réalisme d’Obama si peu prompt à intervenir en Libye. A-t-il raison de prédire un avenir où tout se passera « mal, très mal » en Cassandre des désillusions arabes ? Sommes-nous bien à la fin du moment Ben Laden ? Jour après jour, l’écume du temps érodera ces mystères.

Reste une certitude : quelque part dans l’Océan Indien, flotte un ready-made cinétique dont le mouvement se balance au rythme des flots. Y gît Oussama Ben Laden, insigne représentant de la férocité contemporaine.

Ivre à Ivry ?

Les 7 et 8 mai, à Ivry, à la Ginguette du Monde, la Cave d’Ivry[1. Pour tout renseignement : La cave d’Ivry, 40 rue Marat 94200 Ivry-sur-Seine 01 46 58 33 28] de Paco Mora, dont le frère est libraire dans la même ville (sympathique famille !) organise un premier salon des vins, Les papilles résistent !, dont l’affiche donne déjà soif puisqu’elle est composée de 14 vignerons qui produisent du vin naturel ou en sont très près.

Rappelons que le vignerons travaillant de cette façon sont immoraux et antimodernes : ils refusent la standardisation du goût en redonnant sa chance à la typicité de chaque terroir et surtout, dans la mesure du possible, ils limitent au minimum l’adjonction de souffre tout en utilisant des levures endogènes. Cela permet ainsi de boire excessivement sans avoir mal à la tête contrairement à ce qui arrive quand on abuse des quilles de bordeaux parkérisées et hors de prix.

On sera reconnaissant à Paco Mora de refuser l’idée que le vin naturel soit réservé à la nouvelle bourgeoisie de Paname intra-muros et d’avoir invité, entre autres grandes pointures, Emile Heredia (l’arrière petit-neveu du poète). Son domaine de Montrieux (coteaux du Vendômois) a redonné depuis 1999 ses lettres de noblesse à un cépage presque oublié, le pineau d’Aunis. Il m’a laissé, à chaque fois que j’en ai bu, un souvenir plus qu’ému et l’impression de parler directement avec Ronsard. Comme quoi, on peut très bien vouloir protéger la biodiversité et ne pas avoir pour autant le teint couleur de tofu d’un militant décroissant.

Un « Clásico » ? Où ça ?

photo : EduardoDuarte

Clásico ! Késaco ? Une demi-finale de la Ligue des Champions opposait les 27 avril et 3 mai le Real Madrid au FC Barcelone. Les deux équipes les plus célèbres d’Espagne s’étaient affrontées à deux autres reprises en avril, en Liga et en finale de la coupe du Roi. En quelques semaines, cinq authentiques Clásicos qui ont dû faire monter en flèche la production d’adrénaline ibérique.[access capability= »lire_inedits »]

À entendre les commentateurs sportifs de ce côté des Pyrénées, la France connaîtrait elle aussi ces affrontements à haute tension dans lesquels la compétition sportive décuple ou sublime d’antiques querelles de clocher ou de solides rivalités politiques. Clásico sans frontières ! Bien que notre pays n’ait pas été annexé par l’Espagne de José Luis Zapatero, les amateurs français de football ont bien dû entendre des centaines de fois ce mot espagnol pour désigner un match entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain. Le problème, c’est que les deux situations n’ont rien à voir. Si le contentieux entre Madrid et Barcelone prend ses racines dans une histoire tourmentée, l’inimitié, voire la haine, entre supporteurs parisiens et marseillais a été fabriquée puis entretenue par des dirigeants plus soucieux de profit que de beau jeu.

Entre le Real Madrid et le Barça, le club du Roi et l’emblème sportif d’une Catalogne aux velléités indépendantistes, ce n’est pas seulement une affaire de foot. La centralisation franquiste est passée par là. Les supporters se haïssent pour de bon. Il faut dire qu’en Espagne comme en Italie, en Grèce et en Turquie, le football est une religion qui cristallise bien des passions identitaires. Les rivalités entre le Torino et la Juve, le Panathinaïkos et l’Olympiakos à Athènes ou entre Galatararay et Fenerbahce[1. Petite anecdote : lors de mon voyage de noces, il y a dix ans, j’ai acheté les maillots des trois équipes stambouliotes au Grand Bazar. Un conseil amical : ne tentez pas d’entrer dans un bus avec un maillot de Fenerbahce si, comme moi, vous avez un guide supporter de Galatasaray] de part et d’autre du Bosphore turc n’ont rien d’artificiel. Même en Grande-Bretagne, loin des passions méditerranéennes pour rejoindre la Grande-Bretagne, la guerre des clubs ne fait guère dans le style british. À Glasgow, les catholiques du Celtic disputent le titre aux Rangers protestants depuis que le championnat écossais existe. À Londres, une bonne demi-douzaine de clubs participe à la Premier League. Les supporters boivent leur pinte de bière dans des pubs affichant l’étendard de leur équipe où il n’est pas conseillé de s’aventurer avec le maillot d’un club ennemi. Un de mes amis m’a juré avoir remarqué un panneau à l’entrée d’un pub aux couleurs d’Arsenal : « Interdit aux chiens et aux supporters de Tottenham. » Cela doit être l’humour hooligan.

La France, à côté, semble bien plus raisonnable. On y aime le foot, mais on n’y est pas prêt à s’étriper durant des générations autour du ballon rond. Certes, il y a l’exception Lyon/Saint-Etienne mais, dans ce cas, la rivalité sportive prend racine dans la vieille haine de classe entre la cité bourgeoise et la ville ouvrière. Je me souviens, par exemple, d’une banderole déployée par les Lyonnais pour accueillir les supporters stéphanois, qui proclamait en substance : « Pendant que vos pères crevaient à la mine, les nôtres inventaient le cinéma »[2. Á un degré moindre, on peut également citer Lille-Lens et Nancy-Metz].

Mais revenons à Marseille et à Paris. Jusqu’au début des années 1990, période au cours de laquelle le club provençal domine le football français, il n’y a aucune rivalité entre les deux clubs, ni de haine particulière entre leurs supporters, juste la dose de chauvinisme local qui pimente les rencontres. Or, dans un ouvrage paru en 2007, Daniel Riolo et Jean-François Pérès expliquent que c’est la prise de contrôle du club parisien par Canal+ qui déclenche la guerre des tribunes[3. OM-PSG, PSG-OM : les meilleurs ennemis, enquête sur une rivalité, Mango éditions. ]. Détentrice des droits de diffusion audiovisuels, la chaîne cryptée veut vendre des abonnements.

Elle investit donc dans le club de la capitale et place à sa tête Michel Denisot, actuel présentateur du « Grand Journal ». Tapie et Denisot, expliquent les auteurs, vont donc, dans une logique « gagnant-gagnant » davantage sonnante et trébuchante que sportive, se mettre d’accord pour employer un vocabulaire guerrier et adopter une stratégie de la tension, bref pour chauffer à blanc les joueurs, ce qui, très vite, déteindra sur les supporters. La détestation que se vouent les joueurs du PSG et ceux de l’OM aura des répercussions sur la sélection nationale, coûtant à notre pays sa qualification pour la Coupe du monde aux Etats-Unis : l’atmosphère entre parisiens et marseillais au sein des « Bleus » était encore plus irrespirable que l’air sud-africain l’été dernier.

Plus tard, Tapie et Denisot quittent le football. Les joueurs se calment. Mais pas les supporters. Dépourvue de tout ancrage politique, culturel ou social, la haine réciproque qui les aveugle est le fruit pourri de la volonté de vendre des décodeurs. Et elle continue à gâcher la fête, la « magie du sport » dégénérant régulièrement en batailles rangées. Bus caillassés, quartiers mis à sac : après chaque confrontation entre les deux clubs ou presque, on compte les blessés plutôt que les buts. Cet affrontement insensé qui stupéfie la France et désespère les supporters « normaux » bilan perdure dix-huit ans, jusqu’à ce que les successeurs de Tapie et Denisot, Jean-Claude Dassier et Robin Leproux, décident de supprimer tout déplacement organisé des supporters. Puisqu’ils ne se rencontrent plus, ils ne se castagnent plus.

Alors, à chaque fois que je vois Tapie et Denisot parader sur les plateaux de télévision, je me dis qu’on pourrait leur demander de rembourser les sommes que le contribuable a dû débourser pour mobiliser des bataillons de CRS, ou celles que chacun d’entre nous a payées en surcroît de primes d’assurances, etc…Pour la tristesse qu’ils ont infligée aux amateurs et le coup qu’ils ont porté aux « valeurs du sport », il n’y a malheureusement rien à faire. Voilà pourquoi, quand j’entends un journaliste parler de Clásico à propos d’OM-PSG, j’ai envie de sortir mon revolver. Et même de tirer, si c’est un journaliste de Canal +. Pas d’inquiétude, je n’ai pas de revolver. Et je ne suis pas un marchand de foot dopé à l’avidité maquillée en passion sportive.
[/access]

OM PSG LES MEILLEURS ENNEMIS

Price: 4,36 €

9 used & new available from

Pas de point Godwin pour Barak

11

A l’occasion de la fête nationale israélienne qui aura lieu la semaine prochaine, les dirigeants politiques et militaires du pays accordent des longues interviews aux suppléments spéciaux des quotidiens, dans ce pays bizarre où les hebdos n’ont jamais pu se développer. Ehud Barak, le ministre de la Défense, ex-secrétaire général du parti travailliste et ancien chef d’état-major, s’est prêté lui aussi a ce rituel dans les colonnes d’Haaretz et en a profité pour livrer quelques réflexions sur la situation dans la région.

Question : le premier ministre Benyamin Netanyahu a plusieurs fois comparé la course aux armements iranienne au comportement de l’Allemagne nazie pendant les années 1930. Récemment, il a même dit que face à Téhéran, nous sommes aujourd’hui en 1938. Que pensez-vous de cette analogie historique ?

Ehoud Barak : Je n’aime pas la comparaison avec 1938, la situation n’est pas semblable. Si on suivait cette logique, quelle conclusion en tirer ? Rétrospectivement, un Juif allemand en 1938 aurait sans doute dû fuir son pays, or ici, en Israël c’est le contraire ! Je n’ai nullement l’intention de m’en aller d’ici !

Q: Et si l’Iran obtenait la bombe atomique, l’utilisera-t-il contre Israël ?

EB : Non ! Il ne la larguera pas ni sur nous ni sur aucun de nos voisins. En revanche, personne ne sait si on peut faire confiance à des ayatollahs armés des bombes nucléaires. Aussi longtemps qu’ils se sentent en sécurité on peut s’attendre à un comportement rationnel de leur part mais personne ne sait comment les leaders iraniens réagiront si un beau jour, dans leur bunker à Téhéran, ils croient que leurs jours au pouvoir sont comptés. Dans de telles circonstances, pourraient-ils décider d’utiliser l’arme atomique? Je ne pourrai pas répondre avec certitude à cette question.

Il ne faut pas céder à la panique. Même si un jour le Pakistan, en plein effondrement politique, se désintègre et que les Iraniens arrivent à mettre la main sur quatre bombes nucléaires. Et alors ? On se précipite tous vers l’aéroport Ben Gourion ? On ferme l’Etat d’Israël tout simplement parce que Téhéran a trouvé un raccourci dans sa course à l’arme atomique ? Absolument pas ! Même dans des telles circonstances Israël restera la puissance militaire la plus importante de la région.
Quant à l’avenir du régime des ayatollahs, le ministre israélien de la Défense estime qu’il finira par tomber. « Nous assistons aujourd’hui au début de la fin des dictatures arabes et celle de l’Iran suivra ».

Et puisqu’il s’agit d’une interview dans un contexte plutôt festif, Ehud Barak ne se prive pas – et ne prive pas les lecteurs non plus – d’une petite vacherie à l’encontre du président, l’inoxydable Shimon Peres. A propos de l’idée de ce dernier de laisser, dans le cadre d’un accord de paix, certaines colonies dans le territoire de l’Etat palestinien, Barak ne mâche pas ses mots : « Il a déjà commencé à réfléchir sur la possibilité qu’une partie des implantations restent. Pourquoi? Parce que ce serait une idée brillante ? Non, parce que c’est Peres, et qu’il lui paraît en ce moment que c’est ce qui l’aide à naviguer dans le besoin de toujours surfer sur la vague. Ce n’est pas réaliste. »

Zemmour, Ménard, Rioufol : au bûcher !

image : Grazia

Grazia, l’hebdomadaire voué à « la mode, la beauté, les people et le luxe » vient d’apporter sa pierre – précieuse – à la chasse aux néo-réacs du PAF. Comme ils sont pas beaux, pas bien habillés et pas people, on suppose qu’ils émargent à la rubrique « luxe » – catégorie « poule de ». Il était temps que la presse féminine contribue à cette œuvre de salubrité publique en s’emparant de ce marronnier de saison, qui rivalise en ce printemps, avec le salaire des cadres dans l’immobilier et le régime-miracle des francs-macs.

Bon, le confrère a de la bonne volonté, mais on ne peut pas dire qu’il se soit épuisé. Il est vrai que l’iconographie est plutôt inventive puisque, pour dénoncer ces « snipers de la haine » et, en attendant l’organisation de la minute du même nom, leur effigie est délicatement livrée aux flammes. L’argumentaire du papier commence à être connu, pour ne pas dire qu’il est un peu réchauffé mais je ne voudrais pas être désagréable. Comme je suis bonne fille, je vous fais un petit résumé.

Les néo-réacs ? Ils sont méchants. Ils sont puissants. Ils sont omniprésents. « On n’entend qu’eux ! » proclame d’une seule voix la planète médiatique. Comme dirait l’ami Basile, j’ai mis tous mes hommes sur le coup et je confirme : ces gens-là parlent trop, Gringo ! Si ça se trouve, le malheureux journaliste de Grazia officie sur une chaîne de télé et personne ne l’entend – ou ne se rappelle l’avoir entendu. En tout cas, ce fin limier affirme que « la chronique de Robert Ménard est le seul moment où i Télé dépasse BFM TV, sa concurrente directe ». Et vous savez quoi ? Ces patrons de médias qui pensent rien qu’à « la sacro-sainte audience », c’est tous des « hypocrites » (là coco, chez iTélé t’es tricard).

Il fallait s’y attendre, à force de laisser parler ces salopards, le résultat est là : « La menace Marine Le Pen plane. Et personne ne veut porter la responsabilité de son envolée dans les sondages. » Ben si, camarade, on est là pour ça ! Sinon, à quoi ça servirait que les néo-réacs se décarcassent ? (Bon sang, ça faisait longtemps que je n’avais pas eu entre les mains une illustration aussi éclatante de la débilité journaleuse.)

Je reconnais que c’est très injuste. Trente ans de leçons de morale et de sermons compassionnels délivrés par des centaines d’éminences ont échoué à convertir le peuple aux beautés de la World Ideology. Et voilà qu’à moins d’une dizaine et en deux ou trois ans seulement, ces squatteurs d’ondes et d’écrans (faudrait savoir, on est grassement payés ou on squatte ?) ont réussi à pervertir l’opinion à coups de « propos rances et irresponsables ». Résultat, ce peuple qui a une cervelle d’oiseau se droitise, ce qui devrait être interdit par la loi, voire s’extrême-droitise. Des beaufs qui écoutent des salauds.

C’est pas pour me vanter, mais on est forts. J’ai oublié de vous le dire, puisque ça va sans dire, qu’outre votre servante, le commando démasqué par Grazia comprend les suspects habituels : Eric Zemmour, Robert Ménard, Ivan Rioufol et Eric Brunet. Nous bénéficions de salaires « plus que confortables » – pas assez en ce qui me concerne, à bon entendeur… – et des « bonnes grâces du pouvoir en place » – certainement, mais qu’on me file son numéro, à ce pouvoir-en-place, que je fasse sauter mes PV. Quand je pense à l’auteur de cette admirable enquête qui écrit bénévolement pour sauver la France pendant qu’on s’en fout plein les poches, je vous le dis, j’ai honte.

Ces « populistes de Café du commerce » ont un point commun : non seulement ils parlent des sujets trop sensibles pour être confiés au peuple, comme l’immigration, l’Europe ou l’identité nationale, mais ils défendent des points de vue non approuvés par le comité des idées correctes. Comme il faut bien mâcher le boulot du public, dont on ne vous dira jamais assez qu’il est bouché, s’ils prônent la réduction de l’immigration, ils sont forcément racistes et s’ils ont des doutes sur le mariage gay, c’est qu’ils sont homophobes. Selon Grazia, l’un d’eux aurait même osé « dire des vacheries sur la peste verte Eva Joly ». Merde, j’espère que c’est pas moi, le coup de la « peste verte ». De tels propos me semblent en effet incompatibles avec la possession d’une carte de presse. Vous croyez que j’exagère ? Même pas.

Les mous du genou du Nouvel Obs ou du Monde s’étaient contentés de désapprouver ; le confrère de Grazia (dont je dirais, si j’étais impolie, qu’il est quand même plus « con » que « frère ») réclame courageusement des têtes, avec un titre sans équivoque : « Faites-les taire ! » Je signale à la profession que « Foutez-les dehors ! » est encore disponible. Après, il restera « À mort les réacs ! » L’ennui c’est que comme ces gens sont de grands humanistes, ils sont contre la peine de mort (moi aussi d’ailleurs), mais peut-être seraient-ils prêts à tolérer une minuscule exception : après tout, les Israéliens ont pendu Eichmann.

« Je ne partage pas vos idées et je me battrai pour que vous ne puissiez pas les exprimer. » Etrange conception du pluralisme mais, après tout, le débat entre gens du même avis, c’est plus marrant. Notre Jean Moulin d’opérette explique finaud que RTL (qui emploie quatre des membres du « quintette » maudit) « se préoccupe de savoir si son célèbre slogan« Vivre Ensemble », n’est pas en train de virer au nauséabond « Vivre entre nous » ». (Et lui, il pourrait peut-être se préoccuper de savoir causer la France, non ?) L’ennui, c’est qu’il ne comprend même pas ce qu’il écrit, ce pauvre garçon : après avoir expliqué sur deux pages que c’était mieux avant, quand des gens comme nous ne cassaient pas l’ambiance, il en conclut que « nous » voulons « vivre entre nous » ? Je renonce. Il y a des jours où je me dis que, plutôt que d’avoir à répondre à de telles buses, je ferais mieux de rester avec mes copains. Même ceux qui ne sont pas réacs.

Ben Laden : qui sera le prochain Goldstein?

photo : Olivier Douliery/Abaca Press/MCT

Dans 1984 de George Orwell, qui reste décidément le livre essentiel pour comprendre notre modernité, l’archétype du traître, le génie du mal, le grain de sable dans les rouages de l’Angsoc de Big Brother s’appelle Goldstein. Il a été l’un des principaux compagnons de Big Brother dans la conduite de la Révolution avant de se retourner contre lui et de lui livrer une guerre sans pitié, menant des opérations de déstabilisation depuis l’étranger, organisant des attentats au cœur de Londres et exhortant les citoyens pourtant si heureux d’Oceania à la révolte.

Le lecteur se demande d’ailleurs si Goldstein, tout comme Big Brother, existe vraiment en tant que personne ou si c’est l’incarnation fictive de celui qu’il faut détester collectivement pour assurer la cohésion aléatoire d’une société elle-même minée par des contradictions intenables. Autrement dit Orwell montre, à travers ce personnage de Goldstein, opposant à la fois radical et complètement instrumentalisé par le pouvoir, la façon dont nos sociétés savent intégrer leur part de négatif pour continuer à avancer dans la bonne conscience la plus totale.

La Minute de la Haine

Dans 1984, Goldstein est la vedette d’une cérémonie bien particulière qui est la Minute de la Haine. Chaque jour, chaque citoyen sur son lieu de travail est prié de se rendre dans une salle de projection où il va exprimer en groupe sa détestation absolue de la figure honnie en hurlant des slogans haineux et en crachant sur l’écran. Cette Minute de la Haine est d’ailleurs un moyen pour la Police de la Pensée de détecter ceux qui ne communient pas suffisamment dans la détestation de ce qu’il faut détester.

Goldstein est aussi un opposant très utile parce que sa haine du système de Big Brother est telle, ses propos et ses actes tellement effroyables, qu’il rend impossible toute critique car critiquer reviendrait à adhérer à ses
thèses monstrueuses.
Ces dernières années, nous avons connu de nombreux Goldstein

En France, Goldstein s’est longtemps appelé Jean-Marie Le Pen. Jean-Marie Le Pen avait été inventé par Mitterrand puis entretenu par le discours sécuritaire de la droite pour empêcher de penser toute alternative crédible à l’ensemble RPR-UDF puis UMP ou au Parti Socialiste. Ce dispositif a permis d’éliminer tous ceux qui pouvaient incarner le « troisième homme ». On faisait monter en puissance Goldstein dans les sondages et c’est ainsi que Chevènement ou Bayrou perdaient tout espoir d’incarner une alternative crédible. Le Pen, Goldstein, même combat. Quand, au soir du 21 avril 2002, le scénario a failli déraper et que Goldstein s’est retrouvé au second tour, on a, comme dans le roman d’Orwell d’ailleurs, transformé la Minute de la Haine en Semaine de la Haine et ce fut la fameuse « quinzaine antifasciste » qui vit l’électeur de gauche se précipiter vers les urnes pour faire barrage à la Bête Immonde.

Sur le plan international, les Goldstein furent légion, notamment lors de la guerre en Yougoslavie. On se souvient évidemment de Karadzic et de Mladic (ce dernier court toujours mais n’intéresse plus grand monde, dirait-on) chez les Serbes de Bosnie. Leurs exactions avérées rendaient absolument impossible toute réflexion sur les vraies raisons de l’explosion de la Yougoslavie ou sur les horreurs commis par d’autres, comme les Croates quand ils chassèrent les Serbes de Krajina. De même, au moment de la guerre du Kosovo, l’intervention de l’Otan fut en partie motivée par l’épuration ethnique privée que menait le Goldstein du moment, Arkan, un super-méchant que l’on aurait pu croire sorti d’un SAS avec sa femme chanteuse et les supporters de son club de foot transformés en Tigres noirs avec fusils d’assaut et gros 4X4.

Une des caractéristiques de Goldstein est qu’il connaît une mort violente ou suspecte. Arkan est mort assassiné devant un grand hôtel tandis que Milosevic lui-même, président de la Yougoslavie avec lequel on négociait avant qu’il ne devienne un criminel de guerre, est mort en prison à la Haye, d’une crise d’hypertension. Dommage pour la fin d’un procès pourtant bien intéressant.

Que dire aussi d’un Goldstein particulièrement réussi, Saddam Hussein, qui après avoir été traité, pendant la guerre Iran/Irak des années 1980 comme la pointe avancée de la lutte de l’Occident contre l’obscurantisme chiite, a fini vingt ans plus tard pendu par les mêmes chiites dans une exécution complaisamment filmée.

Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête

Ben Laden fut évidemment le Goldstein le plus réussi des dernières décennies. Depuis 1998, date à laquelle il fit exploser deux ambassades américaines en Afrique de l’Est, et encore plus depuis le 11 Septembre, il était devenu l’ennemi absolu. Il y avait de quoi, direz-vous et vous aurez raison. En même temps avec un ennemi tel que lui, il devenait absolument impossible de penser les rapports entre le Nord et le Sud, l’Occident et le monde arabo-musulman, Israël et la Palestine autrement qu’en termes de choc des civilisations, ce qui arrangeait bien les idéologues néoconservateurs du temps de Bush.

Le « Printemps arabe » a changé la donne, et c’est tant mieux. Ben Laden est mort et c’est tant mieux aussi. Même si on aurait préféré pour lui le sort d’Eichmann et un procès exemplaire qui aurait dissipé les fantasmes que ne manqueront pas d’entretenir les conditions rocambolesques de sa mort et de la cérémonie funèbre et maritime qui s’en est ensuivie. Même si on aurait préféré, également, ne pas voir les scènes de liesse dans la rue américaine qui ne sont jamais que le reflet symétrique des scènes de liesse qui eurent lieu dans certains pays arabes après le 11 septembre. Je ne sache pas qu’on ait dansé dans les rues de Tel-Aviv ou de Haïfa après la pendaison d’Eichmann.
Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête.

En ce qui concerne Ben Laden, et c’est là aussi une des caractéristiques du Goldstein d’Orwell, on lui accorde d’autant plus d’importance qu’il a de moins en moins de puissance. On a peut-être tué un symbole mais certainement pas un chef de guerre enfermé dans un QG et donnant ses ordres à ses troupes à travers une chaine de commandement clairement définie. Penser que la mort de Ben Laden signe l’acte de décès d’Al Qaïda, c’est un peu comme croire que tuer le clown Ronald Mc Donald entrainerait la fermeture de tous les fast-foods de la marque à travers le monde.

Celui que les Américains avaient équipé en missiles Stinger contre les Soviétiques, celui dont la famille entretenait de cordiales relations d’affaires avec la famille Bush, était devenu le Génie du Mal officiel. Il n’est plus là. Un seul Goldstein vous manque et tout est dépeuplé.

La succession est donc ouverte au bal des Affreux. De l’Iran à la Corée du Nord, les prétendants ne manquent pas. Et comme nous avons a terriblement besoin d’eux pour éviter de nous regarder en face, on ne devrait plus tarder à connaître le nom du successeur.

Printemps arabe, hiver des chrétiens

photo : The Catholic Sun

Le serial-prophète Emmanuel Todd triomphait il y a quelques semaines sur France Culture en déclarant que les révolutions arabes étaient une catastrophe pour les islamophobes. C’est parfaitement faux, à moins qu’il ait voulu dire que ceux qui redoutaient de voir l’islam politique des islamistes prendre trop d’importance dans le processus de démocratisation des pays arabes risquaient de voir leurs pires craintes se confirmer. À vrai dire, on préférerait que les révolutions arabes soient une catastrophe pour les islamistophiles, mais elles n’en prennent guère le chemin. C’est bien autour de l’islam que paraissent s’organiser les forces politiques les plus dynamiques dans les pays arabes touchés par ce Printemps tant célébré de ce côté-ci de la Méditerranée[1. Au passage, notons que selon un sondage réalisé pour Nouvelobs.com les Français, malgré la vague d’islamophobie qui paraît-il submerge notre pays, se montrent dans leur grande majorité (63%) emballés par ce printemps arabe, les enthousiastes étant particulièrement nombreux à gauche et dans les classes les plus éduquées].

Les chrétiens d’Orient, bien qu’ils soient dans l’ensemble eux aussi plus éduqués que leurs compatriotes, sont plus circonspects. Selon Georges El-Choueifati, un chrétien maronite libanais, fondateur de l’association du Frère Estephan Nehme[2. Qui vise à rapprocher paroisses françaises et paroisses du Proche et du Moyen-Orient], « si les chrétiens d’Orient, plus occidentalisés que leur compatriotes, aspirent pour la plupart à la liberté politique que promettent ces mouvements populaires, ils redoutent aussi l’avènement de régimes dont les leaders afficheraient ouvertement leurs convictions islamistes ».

Le dilemme politique auquel sont confrontés les pays arabes abritant des minorités religieuses est à la fois simple et cruel : alors que la tyrannie protège généralement les minorités, la liberté est souvent accompagnée de leur persécution. La démocratie arabe naissante semble fondée sur une union nationale cimentée par une religion dominante et identitaire (à l’image de ce que fut longtemps l’orthodoxie en Grèce) tandis que la dictature encourageait un certain pluralisme qui lui valait la reconnaissance, la loyauté et le soutien des protégés du régime.

C’est notamment le cas en Syrie où le régime alaouite, incontestablement tyrannique, protège néanmoins les chrétiens qui pour la plupart ne redoutent rien tant que l’arrivée au pouvoir d’une majorité sunnite vindicative. Selon certains témoignages difficiles à confirmer, des églises seraient menacées et l’un des slogans les plus populaires des manifestants serait : « Alaouites au cimetière, chrétiens à Beyrouth. »

Si, au sujet de la Syrie, on en est aux suppositions, en Egypte, les problèmes sont malheureusement avérés : aujourd’hui, seule l’armée paraît être en mesure de protéger plus ou moins bien les Coptes contre les exactions des islamistes.

On a récemment vu des Egyptiens musulmans de la région de Qena manifester avec succès pour refuser la nomination d’un gouverneur chrétien pour succéder à l’ancien gouverneur de l’ère Moubarak, également chrétien. On a d’abord reproché au nouveau gouverneur sa proximité avec l’ancien régime, puis les accusations se sont focalisées sur sa confession chrétienne : on l’accusait préventivement d’être porté sur la boisson. Au nom de la toute nouvelle toute belle démocratie égyptienne, la majorité musulmane locale exigeait un gouverneur qui lui ressemble, c’est-à-dire musulman.

Dans un article intitulé « À Qena, malgré la « révolution » la peur demeure pour les Coptes », La Croix développe la thèse selon laquelle ce n’est pas malgré, mais de plus en plus à cause de cette révolution printanière que les Coptes, toujours suspects aux yeux de leurs compatriotes de compromission avec l’Occident, ont aujourd’hui peur. Ce ne sont pas les manifestations de salafistes devant les églises, plus massives chaque vendredi, qui vont les rassurer. Et encore moins la recrudescence de la violence. Il y a quelques semaines, des Coptes ont été tués par balles par des gens qui ne supportaient pas que des chrétiens aient manifesté après l’incendie criminel d’une de leurs églises. Les Frères musulmans, qui viennent de créer leur parti politique (Liberté et Justice), ont oublié leur promesse de ne pas présenter de candidats dans plus d’un tiers des circonscriptions. Désormais ils visent la moitié des sièges disponibles aux prochaines élections législatives[3. pour donner une idée de leur plateforme politique, l’un de ses dirigeants a récemment déclaré qu’il prônait l’application de la Charia et des châtiments divins pour la nouvelle Egypte, avant de se rétracter d’une façon bien peu convaincante].

Dans un dialogue avec Abdelwahab Meddeb publié récemment dans Le Monde, Tariq Ramadan explique que « [dans le monde arabe] la sécularisation est historiquement associée à la colonisation ou à la dictature ». Inversement, le droit de pratiquer dans l’espace public et la possibilité, pour la religion, de jouer un rôle politique, peuvent être considérés comme émancipateurs. Ce qui explique que le discours religieux soit le plus crédible politiquement de la Tunisie à la Syrie en passant par la Libye.

L’exclusion des chrétiens des nations arabes au moment même où elles semblent arriver à maturité, serait l’issue tragique d’une longue histoire. Au XIXème siècle, en raison notamment de l’existence parmi eux d’une bourgeoisie, acteur majeur et nécessaire des cristallisations nationales partout dans le monde, les chrétiens jouent un rôle essentiel dans le nationalisme arabe, organisant alors les forces politiques visant à affranchir les peuples arabes, non pas de la tutelle occidentale, mais de la tutelle ottomane. Ainsi, c’est un catholique libanais, Ibrahim al-Yazigi, qui écrivit « Arabes, réveillez-vous », chant autrefois célèbre qui aurait pu servir d’hymne aux révolutions arabes en cours.

Pour les promoteurs du nationalisme arabe, les nations occidentales font office de modèles. Les chrétiens espèrent alors que le sentiment d’appartenance arabe fortifié par la création d’une langue commune (qui donnera naissance à l’arabe standard moderne), constituera un ciment unificateur pour les citoyens de confessions différentes. Aujourd’hui, c’est une Turquie formellement laïque mais massivement musulmane qui est mise en avant comme un modèle possible pour les nouveaux régimes, et seuls quelques intellectuels arabes résidant en Occident tentent d’inciter les peuples arabes à s’inspirer des démocraties libérales à l’européenne, sans susciter beaucoup d’écho ailleurs. Rappelons qu’en un siècle, la Turquie, aujourd’hui dirigée par un parti islamiste démocratiquement élu, a presque complètement éradiqué le quart chrétien de sa population. Que l’on puisse, sans se poser de questions, s’enflammer pour le modèle turc, surtout lorsqu’il est appliqué à des pays qui abritent des minorités religieuse, laisse songeur.

Aujourd’hui, au Moyen-Orient, les chrétiens ne sont plus des acteurs de l’histoire. Même au Liban ils ne sont plus qu’une force d’appoint – d’ailleurs divisée – pour les chiites ou les sunnites. Finalement, ce printemps arabe n’aura fait que hâter le processus de liquidation du rôle politique des chrétiens. Aujourd’hui ceux-ci voient se réaliser leur pire cauchemar : l’avènement d’un islam politique par le moyen – le réveil des peuples arabes – sur lequel ils comptaient autrefois pour l’éviter !

La France qui joua dans son histoire le rôle éminent de puissance protectrice des chrétiens d’Orient doit-elle ici encore faire l’autruche et se désintéresser de leur sort ? Il ne s’agit pas bien sûr de défendre en quelque manière que ce soit la légitimité de dictateurs qui font tirer sur leur population, mais de constater que le sens de l’Histoire est souvent obscur et alambiqué, et d’en tirer les conséquences. A priori et en elles-mêmes, les révolutions ne sont annonciatrices d’aucun lendemain qui chante. L’Histoire occidentale fut un long cauchemar dont nous ne sommes pas sûrs de nous être éveillés. Il y a peu de chances qu’il en aille autrement pour les peuples non-occidentaux.

Voir Abbottabad et mourir

Abbottabad
Abbottabad, son World Trade Center.

Le 2 mai, sur les coups de 1 h 30 du matin, la petite ville pakistanaise d’Abbottabad a connu la nuit la plus agitée de son histoire. Je ne veux pas détruire une réputation mais, la plupart du temps, il ne se passe pas grand chose à Abbottabad. Il y a bien une garnison et une académie militaire – l’une des toutes premières du pays. Mais, comme là-bas le troufion pakistanais picole encore moins que l’élève officier, l’Abbottabadais moyen ne court pas le risque d’être réveillé en pleine nuit par des grappes de bidasses en bordée, pissant tout leur saoul et braillant à tue-tête la version ourdoue du Curé de Camaret – qui doit, là-bas, faire imam à Shekhupura ou à Bahawalpur, enfin curé d’un bled paumé qui trompe son ennui en comptant ses Bretons, ses menhirs et son port de pêche. On s’emmerde ferme à Abbottabad.

Et puis, le 2 mai, en pleine nuit, tout a basculé. Des hélicos, des tirs. En moins d’une heure, tout était plié : Abbottabad se retrouvait, sans même être sortie de son sommeil, au centre de l’actualité mondiale. Il y a des municipalités, partout dans le monde, qui tentent, par tous les moyens, de faire parler d’elles. Elles organisent kermesses bio, festivals d’art contemporain, vide-grenier et courses en sac – souvent les trois en même temps –, attendant la consécration de l’entrefilet placé ailleurs que dans les pages nécrologiques du canard du coin. Quand on songe ce qu’il faut d’efforts et de ténacité au moindre patelin pour bénéficier d’une couverture médiatique de niveau cantonal, on se dit qu’à Abbottabad on a le cul bordé de nouilles. Bertrand Delanoë se serait trouvé maire d’Abbottabad qu’il n’aurait pas manqué l’occasion. Une djihad pride, peut-être. Un Abbottabad-Plages, sans doute – le sable ne manque pas. Ce qu’il faut, c’est accompagner le mouvement avec de l’événementiel et ne pas trop se poser de questions.

Des questions, Washington ne s’en pose pas beaucoup en ce moment. Enfin si, la Maison Blanche s’en pose justement trop pour qu’elles soient totalement honnêtes. Tout a commencé lorsque l’Administration Obama a dépêché son porte-parole pour expliquer quel soin l’US Navy avait pris à respecter scrupuleusement les prescriptions musulmanes en matière d’obsèques. On s’assied sur le cinquième Commandement (« Tu ne tueras point »), mais on a ses scrupules de chaisières : et vas-y que je te toilettemortuairise le mort, que je te l’enlinceule et que je te le balance par-dessus bord. Manque de bol, le cadavre musulman, comme son homologue juif et chrétien, n’aime pas nager. Il préfère la terre. Plates excuses : on ne savait pas, vous savez, nos boys ont beau être américains, ça reste des militaires.

Puis, voilà qu’on en vient à annoncer que l’Administration va prochainement rendre publique une photo du mort. On serait même en train de la choisir. On hésite, on tergiverse. Jay Carney, porte-parole de la Maison Blanche, va jusqu’à déclarer que la photo de la dépouille est « atroce ». Du coup, on est moins scrupuleux sur l’islam et ses réticences à la photographie et à la représentation du vivant, fût-il un peu mort d’ailleurs… Puis, Barack Obama intervient himself et décide de ne pas montrer les photos, tandis que Sarah Palin réclame de voir le trophée.

Soins mortuaires, choix de la photo du macchabée, les précisions apportées par Washington peuvent paraître étranges, pour ne pas dire saugrenues. Mais là n’est pas l’essentiel. Elles occultent une autre question qu’on ose à peine se poser : pourquoi avoir exécuté aussi expéditivement Ben Laden ?

On comprend volontiers que l’opinion publique américaine ait voulu se payer la peau de ce salaud commanditaire de la tragédie du 11 septembre 2001. La vengeance est un sentiment naturel, et la mort appelle la mort. Mais la légitimité de la vengeance populaire n’est pas la légitimité des Etats. Les Etats ont précisément été institués à une fin : que la vendetta ne soit pas la règle et que ne règne pas universellement la loi de la guerre de tous contre tous.

Ainsi le procès de Nuremberg a-t-il représenté le summum de l’idée suivant laquelle le droit doit toujours l’emporter sur la barbarie. Quelques années plus tard, le procès de Tokyo a jugé, de mai 1946 à novembre 1948, les criminels de guerre nippons – Hiro-Hito et la famille impériale en étant exemptés par Douglas MacArthur pour des raisons de realpolitik. Dans l’un et l’autre cas, l’Administration américaine aurait pu procéder comme elle vient de le faire au Pakistan : nul n’aurait versé une seule larme pour le maréchal Goering ou le général Yamashita. Le tribut du sang payé par les Etats-Unis dans la guerre contre les Allemands et contre les Japonais était sans commune mesure avec les attentats du 11 septembre 2001, aussi effroyables furent-ils. Or, dans l’immédiate après-guerre, ce fut réellement la force des Etats-Unis de ne pas céder à la vengeance, mais de réclamer justice. Toute la justice, rien que la justice.

Si l’on comprend bien ce qui vient de se passer au Pakistan, Barack Obama vient d’adresser au monde un message : la page ouverte lors du procès de Nuremberg est, désormais, tournée. Le président américain a eu beau pleurnicher, pendant sa campagne, sur le sort que G.W. Bush réservait aux prisonniers de Guantanamo, il ne fait pas mieux aujourd’hui. Il sonne le glas de la justice pénale internationale et porte un coup décisif à l’idée que les droits de l’Homme sont incompatibles avec l’action directe.

Evidemment, les droits de l’Homme, Oussama Ben Laden s’en moquait comme de sa première djellaba ; il n’était pas le dernier à en refuser les avantages à ses innombrables victimes. C’est justement parce qu’il les niait et les réfutait qu’il fallait lui en faire pleinement bénéficier. Cela s’appelle le triomphe de la civilisation sur la barbarie.

On dira, bien entendu, que ce ne sont là que des questions de grands principes. Et l’on aura raison, parce que ce sont des questions de principes.

Parlons donc renseignement, raison d’Etat et autres utilités. Quand on met la main sur l’ennemi public n° 1, on n’a rien à lui demander ? On n’a pas une petite discute à se taper avec lui, en poussant la convivialité à trinquer avec lui au penthotal, dans une cave à peine éclairée par une gégène dont la frêle lueur invite à la confidence ? On n’a pas à lui extorquer, par tous les moyens, des informations qui seraient utiles, par exemple, au démantèlement de son organisation ou à la prévention d’actes terroristes à venir ?

Visiblement, la priorité de l’opération menée le 2 mai au Pakistan ne concernait donc ni le renseignement ni la lutte antiterroriste. Abattre Ben Laden était un objectif politique et militaire en soi. Ce que l’on peut donc juste savoir, c’est que Barack Obama a satisfait la soif de vengeance de son opinion publique. Cela valait bien un détour par Abbottabad, charmante bourgade, un peu ennuyeuse.

Causeur n°35 : On a retrouvé la fracture sociale !

11

Ce numéro 35, c’est la classe ! Et pas n’importe laquelle, la classe ouvrière, s’il vous plaît. Les ouvriers existent-ils encore ? Et si oui, pourquoi tout le monde les oublie-t-ils entre deux campagnes présidentielles? Quid des prolos déçus du sarkozysme, de ceux qui sont tentés par Marine, de ceux qui votent toujours rouge pour que ça bouge? En quoi les flux migratoires et la mondialisation marchande ont-ils bouleversé la classe ouvrière, d’un point de vue économique politique ou encore symbolique? Autant de sujets abordés à fond dans le dossier de ce numéro 35, introduit par un éditorial d’Elisabeth Levy qui annonce la couleur -Classes populaires, classes populistes- et enrichi d’un long entretien où l’étonnant géographe Christophe Guilluy explique à Gil Mihaely et Isabelle Marchandier que si le prolo façon Gabin n’est plus, les classes populaires, elles, n’ont pas dit leur dernier mot.

A part ça ? Et bien toujours 100% d’articles inédits dans un éventail de thématiques qui va de la religion écologique à Stanley Kubrick en passant la guéguerre OM-PSG, et le tout, encore et toujours sur 48 pages bien remplies et exquisément maquettées.

Pour avoir accès à tout ça – ainsi qu’aux articles verrouillés sur le site – il faudra bien sûr vous abonner ou, si besoin est, vous réabonner. Et si vous le faites d’ici samedi soir, nous nous engageons à ce que vous receviez Causeur dès ce numéro 35 dans votre boîte aux lettres. Rappelons en outre qu’il est désormais possible de s’abonner à uniquement à l’édition en ligne (avec bien sûr l’accès aux papiers verrouillés).

Bref, comme qui dirait, Pro-Causeur de tous les pays, abonnez-vous !

La Légion ridiculise les Navy Seal

11

Pendant ce temps là, à Castelnaudary… Au moment même où un commando de soldats américains est parvenu à neutraliser le ridicule prédicateur barbu Oussama Ben Laden, la Dépêche du Midi nous apprenait – dans son édition de l’Aude – qu’avait lieu le week-end dernier, à Castelnaudary, l’élection de « Miss Képi Blanc 2011 », égérie de la Légion étrangère, corps d’élite de notre armée française bien aimée. La Dépêche consigne : « Le lieutenant Pritschkad, grand ordonnateur de l’élection de Miss Képi blanc 2011, avait bien fait les choses. Le deuxième passage des candidates, en uniforme, sous forme de tableaux représentant les divers régiments ou les diverses spécialités de la légion étrangère, fut une grande réussite. Une future miss en parachutiste, une autre en plongeur, une autre en médecin, etc. Une belle mise en scène, des accessoires, des figurants, il ne manquait rien. » Bravo les amis! Mais quand la fête sera terminée pensez à faire un petit crochet par la Libye. Les américains nous ont doublé sur Ben Laden, essayons quand même d’avoir Kadhafi !

Comment épouser un moudjahidin ? Nous avions appris l’été dernier que la femme musulmane très pratiquante pouvait affronter la plage dans un « burkini » islamique, saillant maillot de bain intégral dernier cri, avec des morceaux de burqa et de bikini dedans. Afin de ne rien rater de ce genre de soubresauts de la mode musulmane, on pourra désormais faire confiance au magazine féminin Al Shamikha, que le quotidien britannique The Independent (qui rapporte l’information) propose de traduire par « La femme majestueuse ». Le magazine en papier glaçant balaie à sa façon tous les sujets abordés par la presse féminine impie. L’amour : « Comment épouser un moudjahidin ? ». L’éducation des enfants : « Comment élever ses enfants dans la tradition du djihad ? » Et les traditionnelles rubriques beauté et mode. « L’islam a besoin de femmes qui connaissent la vérité sur leur religion et la lutte et qui savent ce qu’on attend d’elles », a expliqué le porte-parole d’Al Shamikha à The Independent. Elle savent aussi désormais qu’épouser un moudjahidin, fut-il riche célèbre et même pas abonné au téléphone, n’est pas forcément une partie de plaisir…

Ben Laden, plus gênant mort que vivant ?

21
image : Uosama, Flickr

« The game is over », aurait dit George W. Bush. Non moins sentencieux, son successeur à la Maison Blanche a officialisé la mort d’Oussama Ben Laden avec un poil de morgue et la sobriété qui seyaient à l’événement[1. « We got him », Obama aurait-il simplement confié à ses proches conseillers].

L’ennemi public numéro un des Etats-Unis n’aura pas survécu à dix ans de traque dans la zone AfPak. L’histoire ne nous dit pas encore si un heureux quidam a décroché la timbale des 25 millions de dollars mis sa sur tête. Visiblement, les indics qui ont lancé la CIA sur la trace du fameux messager de Ben Laden resteront nourris, logés et blanchis dans un vaste complexe caribéen où les G.O initient leurs hôtes à la plongée sous-marine en tenue orange. Un séjour ad vitam à Guantanamo comme retraite dorée des vétérans de la multinationale Al Qaïda : de quoi impressionner n’importe quel djihadiste jaloux de la villa cossue d’Abbottabad !

À la tête d’une nébuleuse mondiale, le chef spirituel de la Base (Al Qaïda) incarne si bien notre temps : une ère d’hypocrisie crasse où l’on entre en guerre au nom de la paix mondiale pour pourchasser un ennemi réticulaire. Une époque bénie des dieux où la morale est partout et les principes nulle part. Preuve en est, la vague de satisfaction qui se déverse sur la scène politique. PS et UMP se félicitent de concert du tour pris par la traque de Ben Laden. Qu’il s’agisse d’une mort accidentelle ou d’un assassinat sommaire, on serait néanmoins en droit d’attendre le début d’un regret de la part du parti qui a aboli la peine de mort ou de celui qui a inscrit cette interdiction dans la Constitution.

Certes, Ben Laden était un immonde salaud. Mais Patrick Henry l’était-il moins ? Au moins trois mille fois moins selon la comptabilité macabre des victimes du terrorisme salafiste. A titre personnel, la mort brutale de la figure charismatique du djihadisme ne m’émeut pas. Mais venant de pères la morale à l’indignation quotidienne, l’acceptation pleine et entière de cette condamnation à mort a quelque chose de choquant. Qu’on l’attribue aux reliques françaises de l’Obamania ou au délit de sale gueule d’un Ben Laden aux mains sanguinolentes, ce « deux poids deux mesures » fait mauvaise impression au pays de Badinter. À quand le discours larmoyant d’un Kouchner fan de l’ingérence « humanitaire » déplorant la mort de Ben Laden la voix éraillée ? Bizarrement, les inconditionnels de la Cour Pénale Internationale se font discrets sur le sujet.

« Justice est faite », a commenté Barack Obama avant que son homologue français reprenne l’expression telle quelle. Une mésaventure de plus pour Nicolas Sarkozy qui confirme son statut de Papayé du département d’Etat. Au sein de l’OTAN, diplomatie rime plus que jamais avec ventriloquie.

Mondialisation du terrorisme

Chacun gagnerait à désacraliser l’image honnie du parfait salaud qu’était Ben Laden. Dans sa Théorie du partisan, Carl Schmitt distinguait deux idéaux-types : la figure du combattant classique et celle du révolutionnaire moderne. Précisons d’emblée que ces catégories échappent à toute notion morale. En l’espèce, il n’y a pas lieu de juger la justesse de la cause défendue. Aussi monstrueuse soit-elle, la spécificité benladenienne, c’est d’avoir inauguré l’ère du cyber-terrorisme en passant de la première figure du combattant à la deuxième. De djihadiste antirouge (freedom figfhter en américain) dans l’Afghanistan des années 1980 envahi par l’URSS, Ben Laden s’est mué en combattant obsessionnel « des Juifs et des croisés » à la décennie suivante.

À moins de dix ans de distance, le même terrain d’action, Tora Bora et ses grottes, a vu passer des légions de barbus aux motivations différentes. Peu à Peu, influencée par les madrasas déobandies[2. Nom d’une école coranique basée en Inde dont se réclament notamment les talibans afghans] du Pakistan, est née une nouvelle Somalie agrégeant les féodalités et les allégeances au profit de caudillos locaux. Après les attentats au Kenya et en Tanzanie de 1998, Oussama Ben Laden apparaissait médiatiquement dans la version numérisée du Vieux de la Montagne.

Al-Qaïda formait la nouvelle secte d’Assassins prêts à déferler sur le monde libre, le cutter entre les dents, soigneusement emmaillotés pour permettre à leurs parties génitales d’ensemencer les houris du Paradis promis aux martyrs. Sortis des meilleures écoles occidentales, Mohamed Atta et ses comparses incarnaient le combattant révolutionnaire moderne déterritorialisé. Des élites mondialisées version hallal, à la différence d’un Nasrallah cantonné au djihad local contre son ennemi israélien. Le benladeniste ne connaît pas plus les frontières terrestres que le trader moyen qui jongle entre les warrants de Wall Street, la City et Singapour. Rien d’étonnant à ce qu’il excommunie à satiété et use du takfir comme Savonarole du bûcher. A tout saigneur tout honneur ; l’ennemi absolu requérait un châtiment absolu : l’absence de sépulture. Comme le releva Marc-Edouard Nabe chez Taddéi lundi, la conformité islamique de son immersion est une farce. Même inutile et hors d’usage, le corps de Ben Laden nageant en haute mer inonde les consciences de ses exécuteurs. Triste ironie du sort !

Nabe porte-voix de la rue arabe

Lundi, Ce soir ou jamais consacrait une heure de débat à « l’après-Ben Laden ». À intervalles réguliers, l’émission de Frédéric Taddéi a la grande vertu de purger le bébé télévisuel gavé à la pensée automatique.
Nabe, revenant de Tunisie, paraît avoir mangé du lion avec double dose de harissa. Il pousse ses contradicteurs à penser hic et nunc le moment Ben Laden. Autour d’un parterre d’invités chauffés à blanc par sa simple présence, Zannini-Nabe détonne. Sa capacité de réaction n’en fait certes pas le meilleur analyste imaginable mais un crédible porte-parole de la rue arabe. Ni tout à fait soulagée de la mort de Ben Laden, ni chagrinée par l’élimination de ce meurtrier de masse. En un mot : circonspecte et quelque peu indignée par le service mortuaire de l’US Navy ! Nabe pérore : « Croyant tuer Ben Laden ils renforcent son mythe ». Par sa puissance mythologique, le milliardaire saoudien pourrait devenir plus gênant mort que vivant ! Si l’on ajoute le pourrissement du conflit israélo-arabe, le risque d’une escalade islamiste est réel dans ces pays en pleine démocratisation. Au nom de la France – mais de laquelle ?- Villepin en tire le devoir de mener une politique méditerranéenne indépendante des intérêts américains. Zannini opine du chef mais n’y croit pas. Trop tragiquement pessimiste pour cela.

Il interrompt, éructe, s’exalte, s’énerve. Excessif, majestueux, flamboyant, Marc-Edouard Nabe fustige la politique étrangère de « l’administration Obabush » – bien que l’aventurisme bushien ne soit pas l’exact précurseur du néo-réalisme d’Obama si peu prompt à intervenir en Libye. A-t-il raison de prédire un avenir où tout se passera « mal, très mal » en Cassandre des désillusions arabes ? Sommes-nous bien à la fin du moment Ben Laden ? Jour après jour, l’écume du temps érodera ces mystères.

Reste une certitude : quelque part dans l’Océan Indien, flotte un ready-made cinétique dont le mouvement se balance au rythme des flots. Y gît Oussama Ben Laden, insigne représentant de la férocité contemporaine.

Ivre à Ivry ?

18

Les 7 et 8 mai, à Ivry, à la Ginguette du Monde, la Cave d’Ivry[1. Pour tout renseignement : La cave d’Ivry, 40 rue Marat 94200 Ivry-sur-Seine 01 46 58 33 28] de Paco Mora, dont le frère est libraire dans la même ville (sympathique famille !) organise un premier salon des vins, Les papilles résistent !, dont l’affiche donne déjà soif puisqu’elle est composée de 14 vignerons qui produisent du vin naturel ou en sont très près.

Rappelons que le vignerons travaillant de cette façon sont immoraux et antimodernes : ils refusent la standardisation du goût en redonnant sa chance à la typicité de chaque terroir et surtout, dans la mesure du possible, ils limitent au minimum l’adjonction de souffre tout en utilisant des levures endogènes. Cela permet ainsi de boire excessivement sans avoir mal à la tête contrairement à ce qui arrive quand on abuse des quilles de bordeaux parkérisées et hors de prix.

On sera reconnaissant à Paco Mora de refuser l’idée que le vin naturel soit réservé à la nouvelle bourgeoisie de Paname intra-muros et d’avoir invité, entre autres grandes pointures, Emile Heredia (l’arrière petit-neveu du poète). Son domaine de Montrieux (coteaux du Vendômois) a redonné depuis 1999 ses lettres de noblesse à un cépage presque oublié, le pineau d’Aunis. Il m’a laissé, à chaque fois que j’en ai bu, un souvenir plus qu’ému et l’impression de parler directement avec Ronsard. Comme quoi, on peut très bien vouloir protéger la biodiversité et ne pas avoir pour autant le teint couleur de tofu d’un militant décroissant.

Un « Clásico » ? Où ça ?

28
photo : EduardoDuarte

Clásico ! Késaco ? Une demi-finale de la Ligue des Champions opposait les 27 avril et 3 mai le Real Madrid au FC Barcelone. Les deux équipes les plus célèbres d’Espagne s’étaient affrontées à deux autres reprises en avril, en Liga et en finale de la coupe du Roi. En quelques semaines, cinq authentiques Clásicos qui ont dû faire monter en flèche la production d’adrénaline ibérique.[access capability= »lire_inedits »]

À entendre les commentateurs sportifs de ce côté des Pyrénées, la France connaîtrait elle aussi ces affrontements à haute tension dans lesquels la compétition sportive décuple ou sublime d’antiques querelles de clocher ou de solides rivalités politiques. Clásico sans frontières ! Bien que notre pays n’ait pas été annexé par l’Espagne de José Luis Zapatero, les amateurs français de football ont bien dû entendre des centaines de fois ce mot espagnol pour désigner un match entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain. Le problème, c’est que les deux situations n’ont rien à voir. Si le contentieux entre Madrid et Barcelone prend ses racines dans une histoire tourmentée, l’inimitié, voire la haine, entre supporteurs parisiens et marseillais a été fabriquée puis entretenue par des dirigeants plus soucieux de profit que de beau jeu.

Entre le Real Madrid et le Barça, le club du Roi et l’emblème sportif d’une Catalogne aux velléités indépendantistes, ce n’est pas seulement une affaire de foot. La centralisation franquiste est passée par là. Les supporters se haïssent pour de bon. Il faut dire qu’en Espagne comme en Italie, en Grèce et en Turquie, le football est une religion qui cristallise bien des passions identitaires. Les rivalités entre le Torino et la Juve, le Panathinaïkos et l’Olympiakos à Athènes ou entre Galatararay et Fenerbahce[1. Petite anecdote : lors de mon voyage de noces, il y a dix ans, j’ai acheté les maillots des trois équipes stambouliotes au Grand Bazar. Un conseil amical : ne tentez pas d’entrer dans un bus avec un maillot de Fenerbahce si, comme moi, vous avez un guide supporter de Galatasaray] de part et d’autre du Bosphore turc n’ont rien d’artificiel. Même en Grande-Bretagne, loin des passions méditerranéennes pour rejoindre la Grande-Bretagne, la guerre des clubs ne fait guère dans le style british. À Glasgow, les catholiques du Celtic disputent le titre aux Rangers protestants depuis que le championnat écossais existe. À Londres, une bonne demi-douzaine de clubs participe à la Premier League. Les supporters boivent leur pinte de bière dans des pubs affichant l’étendard de leur équipe où il n’est pas conseillé de s’aventurer avec le maillot d’un club ennemi. Un de mes amis m’a juré avoir remarqué un panneau à l’entrée d’un pub aux couleurs d’Arsenal : « Interdit aux chiens et aux supporters de Tottenham. » Cela doit être l’humour hooligan.

La France, à côté, semble bien plus raisonnable. On y aime le foot, mais on n’y est pas prêt à s’étriper durant des générations autour du ballon rond. Certes, il y a l’exception Lyon/Saint-Etienne mais, dans ce cas, la rivalité sportive prend racine dans la vieille haine de classe entre la cité bourgeoise et la ville ouvrière. Je me souviens, par exemple, d’une banderole déployée par les Lyonnais pour accueillir les supporters stéphanois, qui proclamait en substance : « Pendant que vos pères crevaient à la mine, les nôtres inventaient le cinéma »[2. Á un degré moindre, on peut également citer Lille-Lens et Nancy-Metz].

Mais revenons à Marseille et à Paris. Jusqu’au début des années 1990, période au cours de laquelle le club provençal domine le football français, il n’y a aucune rivalité entre les deux clubs, ni de haine particulière entre leurs supporters, juste la dose de chauvinisme local qui pimente les rencontres. Or, dans un ouvrage paru en 2007, Daniel Riolo et Jean-François Pérès expliquent que c’est la prise de contrôle du club parisien par Canal+ qui déclenche la guerre des tribunes[3. OM-PSG, PSG-OM : les meilleurs ennemis, enquête sur une rivalité, Mango éditions. ]. Détentrice des droits de diffusion audiovisuels, la chaîne cryptée veut vendre des abonnements.

Elle investit donc dans le club de la capitale et place à sa tête Michel Denisot, actuel présentateur du « Grand Journal ». Tapie et Denisot, expliquent les auteurs, vont donc, dans une logique « gagnant-gagnant » davantage sonnante et trébuchante que sportive, se mettre d’accord pour employer un vocabulaire guerrier et adopter une stratégie de la tension, bref pour chauffer à blanc les joueurs, ce qui, très vite, déteindra sur les supporters. La détestation que se vouent les joueurs du PSG et ceux de l’OM aura des répercussions sur la sélection nationale, coûtant à notre pays sa qualification pour la Coupe du monde aux Etats-Unis : l’atmosphère entre parisiens et marseillais au sein des « Bleus » était encore plus irrespirable que l’air sud-africain l’été dernier.

Plus tard, Tapie et Denisot quittent le football. Les joueurs se calment. Mais pas les supporters. Dépourvue de tout ancrage politique, culturel ou social, la haine réciproque qui les aveugle est le fruit pourri de la volonté de vendre des décodeurs. Et elle continue à gâcher la fête, la « magie du sport » dégénérant régulièrement en batailles rangées. Bus caillassés, quartiers mis à sac : après chaque confrontation entre les deux clubs ou presque, on compte les blessés plutôt que les buts. Cet affrontement insensé qui stupéfie la France et désespère les supporters « normaux » bilan perdure dix-huit ans, jusqu’à ce que les successeurs de Tapie et Denisot, Jean-Claude Dassier et Robin Leproux, décident de supprimer tout déplacement organisé des supporters. Puisqu’ils ne se rencontrent plus, ils ne se castagnent plus.

Alors, à chaque fois que je vois Tapie et Denisot parader sur les plateaux de télévision, je me dis qu’on pourrait leur demander de rembourser les sommes que le contribuable a dû débourser pour mobiliser des bataillons de CRS, ou celles que chacun d’entre nous a payées en surcroît de primes d’assurances, etc…Pour la tristesse qu’ils ont infligée aux amateurs et le coup qu’ils ont porté aux « valeurs du sport », il n’y a malheureusement rien à faire. Voilà pourquoi, quand j’entends un journaliste parler de Clásico à propos d’OM-PSG, j’ai envie de sortir mon revolver. Et même de tirer, si c’est un journaliste de Canal +. Pas d’inquiétude, je n’ai pas de revolver. Et je ne suis pas un marchand de foot dopé à l’avidité maquillée en passion sportive.
[/access]

OM PSG LES MEILLEURS ENNEMIS

Price: 4,36 €

9 used & new available from

Pas de point Godwin pour Barak

11

A l’occasion de la fête nationale israélienne qui aura lieu la semaine prochaine, les dirigeants politiques et militaires du pays accordent des longues interviews aux suppléments spéciaux des quotidiens, dans ce pays bizarre où les hebdos n’ont jamais pu se développer. Ehud Barak, le ministre de la Défense, ex-secrétaire général du parti travailliste et ancien chef d’état-major, s’est prêté lui aussi a ce rituel dans les colonnes d’Haaretz et en a profité pour livrer quelques réflexions sur la situation dans la région.

Question : le premier ministre Benyamin Netanyahu a plusieurs fois comparé la course aux armements iranienne au comportement de l’Allemagne nazie pendant les années 1930. Récemment, il a même dit que face à Téhéran, nous sommes aujourd’hui en 1938. Que pensez-vous de cette analogie historique ?

Ehoud Barak : Je n’aime pas la comparaison avec 1938, la situation n’est pas semblable. Si on suivait cette logique, quelle conclusion en tirer ? Rétrospectivement, un Juif allemand en 1938 aurait sans doute dû fuir son pays, or ici, en Israël c’est le contraire ! Je n’ai nullement l’intention de m’en aller d’ici !

Q: Et si l’Iran obtenait la bombe atomique, l’utilisera-t-il contre Israël ?

EB : Non ! Il ne la larguera pas ni sur nous ni sur aucun de nos voisins. En revanche, personne ne sait si on peut faire confiance à des ayatollahs armés des bombes nucléaires. Aussi longtemps qu’ils se sentent en sécurité on peut s’attendre à un comportement rationnel de leur part mais personne ne sait comment les leaders iraniens réagiront si un beau jour, dans leur bunker à Téhéran, ils croient que leurs jours au pouvoir sont comptés. Dans de telles circonstances, pourraient-ils décider d’utiliser l’arme atomique? Je ne pourrai pas répondre avec certitude à cette question.

Il ne faut pas céder à la panique. Même si un jour le Pakistan, en plein effondrement politique, se désintègre et que les Iraniens arrivent à mettre la main sur quatre bombes nucléaires. Et alors ? On se précipite tous vers l’aéroport Ben Gourion ? On ferme l’Etat d’Israël tout simplement parce que Téhéran a trouvé un raccourci dans sa course à l’arme atomique ? Absolument pas ! Même dans des telles circonstances Israël restera la puissance militaire la plus importante de la région.
Quant à l’avenir du régime des ayatollahs, le ministre israélien de la Défense estime qu’il finira par tomber. « Nous assistons aujourd’hui au début de la fin des dictatures arabes et celle de l’Iran suivra ».

Et puisqu’il s’agit d’une interview dans un contexte plutôt festif, Ehud Barak ne se prive pas – et ne prive pas les lecteurs non plus – d’une petite vacherie à l’encontre du président, l’inoxydable Shimon Peres. A propos de l’idée de ce dernier de laisser, dans le cadre d’un accord de paix, certaines colonies dans le territoire de l’Etat palestinien, Barak ne mâche pas ses mots : « Il a déjà commencé à réfléchir sur la possibilité qu’une partie des implantations restent. Pourquoi? Parce que ce serait une idée brillante ? Non, parce que c’est Peres, et qu’il lui paraît en ce moment que c’est ce qui l’aide à naviguer dans le besoin de toujours surfer sur la vague. Ce n’est pas réaliste. »

Zemmour, Ménard, Rioufol : au bûcher !

113
image : Grazia

Grazia, l’hebdomadaire voué à « la mode, la beauté, les people et le luxe » vient d’apporter sa pierre – précieuse – à la chasse aux néo-réacs du PAF. Comme ils sont pas beaux, pas bien habillés et pas people, on suppose qu’ils émargent à la rubrique « luxe » – catégorie « poule de ». Il était temps que la presse féminine contribue à cette œuvre de salubrité publique en s’emparant de ce marronnier de saison, qui rivalise en ce printemps, avec le salaire des cadres dans l’immobilier et le régime-miracle des francs-macs.

Bon, le confrère a de la bonne volonté, mais on ne peut pas dire qu’il se soit épuisé. Il est vrai que l’iconographie est plutôt inventive puisque, pour dénoncer ces « snipers de la haine » et, en attendant l’organisation de la minute du même nom, leur effigie est délicatement livrée aux flammes. L’argumentaire du papier commence à être connu, pour ne pas dire qu’il est un peu réchauffé mais je ne voudrais pas être désagréable. Comme je suis bonne fille, je vous fais un petit résumé.

Les néo-réacs ? Ils sont méchants. Ils sont puissants. Ils sont omniprésents. « On n’entend qu’eux ! » proclame d’une seule voix la planète médiatique. Comme dirait l’ami Basile, j’ai mis tous mes hommes sur le coup et je confirme : ces gens-là parlent trop, Gringo ! Si ça se trouve, le malheureux journaliste de Grazia officie sur une chaîne de télé et personne ne l’entend – ou ne se rappelle l’avoir entendu. En tout cas, ce fin limier affirme que « la chronique de Robert Ménard est le seul moment où i Télé dépasse BFM TV, sa concurrente directe ». Et vous savez quoi ? Ces patrons de médias qui pensent rien qu’à « la sacro-sainte audience », c’est tous des « hypocrites » (là coco, chez iTélé t’es tricard).

Il fallait s’y attendre, à force de laisser parler ces salopards, le résultat est là : « La menace Marine Le Pen plane. Et personne ne veut porter la responsabilité de son envolée dans les sondages. » Ben si, camarade, on est là pour ça ! Sinon, à quoi ça servirait que les néo-réacs se décarcassent ? (Bon sang, ça faisait longtemps que je n’avais pas eu entre les mains une illustration aussi éclatante de la débilité journaleuse.)

Je reconnais que c’est très injuste. Trente ans de leçons de morale et de sermons compassionnels délivrés par des centaines d’éminences ont échoué à convertir le peuple aux beautés de la World Ideology. Et voilà qu’à moins d’une dizaine et en deux ou trois ans seulement, ces squatteurs d’ondes et d’écrans (faudrait savoir, on est grassement payés ou on squatte ?) ont réussi à pervertir l’opinion à coups de « propos rances et irresponsables ». Résultat, ce peuple qui a une cervelle d’oiseau se droitise, ce qui devrait être interdit par la loi, voire s’extrême-droitise. Des beaufs qui écoutent des salauds.

C’est pas pour me vanter, mais on est forts. J’ai oublié de vous le dire, puisque ça va sans dire, qu’outre votre servante, le commando démasqué par Grazia comprend les suspects habituels : Eric Zemmour, Robert Ménard, Ivan Rioufol et Eric Brunet. Nous bénéficions de salaires « plus que confortables » – pas assez en ce qui me concerne, à bon entendeur… – et des « bonnes grâces du pouvoir en place » – certainement, mais qu’on me file son numéro, à ce pouvoir-en-place, que je fasse sauter mes PV. Quand je pense à l’auteur de cette admirable enquête qui écrit bénévolement pour sauver la France pendant qu’on s’en fout plein les poches, je vous le dis, j’ai honte.

Ces « populistes de Café du commerce » ont un point commun : non seulement ils parlent des sujets trop sensibles pour être confiés au peuple, comme l’immigration, l’Europe ou l’identité nationale, mais ils défendent des points de vue non approuvés par le comité des idées correctes. Comme il faut bien mâcher le boulot du public, dont on ne vous dira jamais assez qu’il est bouché, s’ils prônent la réduction de l’immigration, ils sont forcément racistes et s’ils ont des doutes sur le mariage gay, c’est qu’ils sont homophobes. Selon Grazia, l’un d’eux aurait même osé « dire des vacheries sur la peste verte Eva Joly ». Merde, j’espère que c’est pas moi, le coup de la « peste verte ». De tels propos me semblent en effet incompatibles avec la possession d’une carte de presse. Vous croyez que j’exagère ? Même pas.

Les mous du genou du Nouvel Obs ou du Monde s’étaient contentés de désapprouver ; le confrère de Grazia (dont je dirais, si j’étais impolie, qu’il est quand même plus « con » que « frère ») réclame courageusement des têtes, avec un titre sans équivoque : « Faites-les taire ! » Je signale à la profession que « Foutez-les dehors ! » est encore disponible. Après, il restera « À mort les réacs ! » L’ennui c’est que comme ces gens sont de grands humanistes, ils sont contre la peine de mort (moi aussi d’ailleurs), mais peut-être seraient-ils prêts à tolérer une minuscule exception : après tout, les Israéliens ont pendu Eichmann.

« Je ne partage pas vos idées et je me battrai pour que vous ne puissiez pas les exprimer. » Etrange conception du pluralisme mais, après tout, le débat entre gens du même avis, c’est plus marrant. Notre Jean Moulin d’opérette explique finaud que RTL (qui emploie quatre des membres du « quintette » maudit) « se préoccupe de savoir si son célèbre slogan« Vivre Ensemble », n’est pas en train de virer au nauséabond « Vivre entre nous » ». (Et lui, il pourrait peut-être se préoccuper de savoir causer la France, non ?) L’ennui, c’est qu’il ne comprend même pas ce qu’il écrit, ce pauvre garçon : après avoir expliqué sur deux pages que c’était mieux avant, quand des gens comme nous ne cassaient pas l’ambiance, il en conclut que « nous » voulons « vivre entre nous » ? Je renonce. Il y a des jours où je me dis que, plutôt que d’avoir à répondre à de telles buses, je ferais mieux de rester avec mes copains. Même ceux qui ne sont pas réacs.

Ben Laden : qui sera le prochain Goldstein?

111
photo : Olivier Douliery/Abaca Press/MCT

Dans 1984 de George Orwell, qui reste décidément le livre essentiel pour comprendre notre modernité, l’archétype du traître, le génie du mal, le grain de sable dans les rouages de l’Angsoc de Big Brother s’appelle Goldstein. Il a été l’un des principaux compagnons de Big Brother dans la conduite de la Révolution avant de se retourner contre lui et de lui livrer une guerre sans pitié, menant des opérations de déstabilisation depuis l’étranger, organisant des attentats au cœur de Londres et exhortant les citoyens pourtant si heureux d’Oceania à la révolte.

Le lecteur se demande d’ailleurs si Goldstein, tout comme Big Brother, existe vraiment en tant que personne ou si c’est l’incarnation fictive de celui qu’il faut détester collectivement pour assurer la cohésion aléatoire d’une société elle-même minée par des contradictions intenables. Autrement dit Orwell montre, à travers ce personnage de Goldstein, opposant à la fois radical et complètement instrumentalisé par le pouvoir, la façon dont nos sociétés savent intégrer leur part de négatif pour continuer à avancer dans la bonne conscience la plus totale.

La Minute de la Haine

Dans 1984, Goldstein est la vedette d’une cérémonie bien particulière qui est la Minute de la Haine. Chaque jour, chaque citoyen sur son lieu de travail est prié de se rendre dans une salle de projection où il va exprimer en groupe sa détestation absolue de la figure honnie en hurlant des slogans haineux et en crachant sur l’écran. Cette Minute de la Haine est d’ailleurs un moyen pour la Police de la Pensée de détecter ceux qui ne communient pas suffisamment dans la détestation de ce qu’il faut détester.

Goldstein est aussi un opposant très utile parce que sa haine du système de Big Brother est telle, ses propos et ses actes tellement effroyables, qu’il rend impossible toute critique car critiquer reviendrait à adhérer à ses
thèses monstrueuses.
Ces dernières années, nous avons connu de nombreux Goldstein

En France, Goldstein s’est longtemps appelé Jean-Marie Le Pen. Jean-Marie Le Pen avait été inventé par Mitterrand puis entretenu par le discours sécuritaire de la droite pour empêcher de penser toute alternative crédible à l’ensemble RPR-UDF puis UMP ou au Parti Socialiste. Ce dispositif a permis d’éliminer tous ceux qui pouvaient incarner le « troisième homme ». On faisait monter en puissance Goldstein dans les sondages et c’est ainsi que Chevènement ou Bayrou perdaient tout espoir d’incarner une alternative crédible. Le Pen, Goldstein, même combat. Quand, au soir du 21 avril 2002, le scénario a failli déraper et que Goldstein s’est retrouvé au second tour, on a, comme dans le roman d’Orwell d’ailleurs, transformé la Minute de la Haine en Semaine de la Haine et ce fut la fameuse « quinzaine antifasciste » qui vit l’électeur de gauche se précipiter vers les urnes pour faire barrage à la Bête Immonde.

Sur le plan international, les Goldstein furent légion, notamment lors de la guerre en Yougoslavie. On se souvient évidemment de Karadzic et de Mladic (ce dernier court toujours mais n’intéresse plus grand monde, dirait-on) chez les Serbes de Bosnie. Leurs exactions avérées rendaient absolument impossible toute réflexion sur les vraies raisons de l’explosion de la Yougoslavie ou sur les horreurs commis par d’autres, comme les Croates quand ils chassèrent les Serbes de Krajina. De même, au moment de la guerre du Kosovo, l’intervention de l’Otan fut en partie motivée par l’épuration ethnique privée que menait le Goldstein du moment, Arkan, un super-méchant que l’on aurait pu croire sorti d’un SAS avec sa femme chanteuse et les supporters de son club de foot transformés en Tigres noirs avec fusils d’assaut et gros 4X4.

Une des caractéristiques de Goldstein est qu’il connaît une mort violente ou suspecte. Arkan est mort assassiné devant un grand hôtel tandis que Milosevic lui-même, président de la Yougoslavie avec lequel on négociait avant qu’il ne devienne un criminel de guerre, est mort en prison à la Haye, d’une crise d’hypertension. Dommage pour la fin d’un procès pourtant bien intéressant.

Que dire aussi d’un Goldstein particulièrement réussi, Saddam Hussein, qui après avoir été traité, pendant la guerre Iran/Irak des années 1980 comme la pointe avancée de la lutte de l’Occident contre l’obscurantisme chiite, a fini vingt ans plus tard pendu par les mêmes chiites dans une exécution complaisamment filmée.

Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête

Ben Laden fut évidemment le Goldstein le plus réussi des dernières décennies. Depuis 1998, date à laquelle il fit exploser deux ambassades américaines en Afrique de l’Est, et encore plus depuis le 11 Septembre, il était devenu l’ennemi absolu. Il y avait de quoi, direz-vous et vous aurez raison. En même temps avec un ennemi tel que lui, il devenait absolument impossible de penser les rapports entre le Nord et le Sud, l’Occident et le monde arabo-musulman, Israël et la Palestine autrement qu’en termes de choc des civilisations, ce qui arrangeait bien les idéologues néoconservateurs du temps de Bush.

Le « Printemps arabe » a changé la donne, et c’est tant mieux. Ben Laden est mort et c’est tant mieux aussi. Même si on aurait préféré pour lui le sort d’Eichmann et un procès exemplaire qui aurait dissipé les fantasmes que ne manqueront pas d’entretenir les conditions rocambolesques de sa mort et de la cérémonie funèbre et maritime qui s’en est ensuivie. Même si on aurait préféré, également, ne pas voir les scènes de liesse dans la rue américaine qui ne sont jamais que le reflet symétrique des scènes de liesse qui eurent lieu dans certains pays arabes après le 11 septembre. Je ne sache pas qu’on ait dansé dans les rues de Tel-Aviv ou de Haïfa après la pendaison d’Eichmann.
Tuer un ennemi est une victoire, pas une fête.

En ce qui concerne Ben Laden, et c’est là aussi une des caractéristiques du Goldstein d’Orwell, on lui accorde d’autant plus d’importance qu’il a de moins en moins de puissance. On a peut-être tué un symbole mais certainement pas un chef de guerre enfermé dans un QG et donnant ses ordres à ses troupes à travers une chaine de commandement clairement définie. Penser que la mort de Ben Laden signe l’acte de décès d’Al Qaïda, c’est un peu comme croire que tuer le clown Ronald Mc Donald entrainerait la fermeture de tous les fast-foods de la marque à travers le monde.

Celui que les Américains avaient équipé en missiles Stinger contre les Soviétiques, celui dont la famille entretenait de cordiales relations d’affaires avec la famille Bush, était devenu le Génie du Mal officiel. Il n’est plus là. Un seul Goldstein vous manque et tout est dépeuplé.

La succession est donc ouverte au bal des Affreux. De l’Iran à la Corée du Nord, les prétendants ne manquent pas. Et comme nous avons a terriblement besoin d’eux pour éviter de nous regarder en face, on ne devrait plus tarder à connaître le nom du successeur.

Printemps arabe, hiver des chrétiens

29
photo : The Catholic Sun

Le serial-prophète Emmanuel Todd triomphait il y a quelques semaines sur France Culture en déclarant que les révolutions arabes étaient une catastrophe pour les islamophobes. C’est parfaitement faux, à moins qu’il ait voulu dire que ceux qui redoutaient de voir l’islam politique des islamistes prendre trop d’importance dans le processus de démocratisation des pays arabes risquaient de voir leurs pires craintes se confirmer. À vrai dire, on préférerait que les révolutions arabes soient une catastrophe pour les islamistophiles, mais elles n’en prennent guère le chemin. C’est bien autour de l’islam que paraissent s’organiser les forces politiques les plus dynamiques dans les pays arabes touchés par ce Printemps tant célébré de ce côté-ci de la Méditerranée[1. Au passage, notons que selon un sondage réalisé pour Nouvelobs.com les Français, malgré la vague d’islamophobie qui paraît-il submerge notre pays, se montrent dans leur grande majorité (63%) emballés par ce printemps arabe, les enthousiastes étant particulièrement nombreux à gauche et dans les classes les plus éduquées].

Les chrétiens d’Orient, bien qu’ils soient dans l’ensemble eux aussi plus éduqués que leurs compatriotes, sont plus circonspects. Selon Georges El-Choueifati, un chrétien maronite libanais, fondateur de l’association du Frère Estephan Nehme[2. Qui vise à rapprocher paroisses françaises et paroisses du Proche et du Moyen-Orient], « si les chrétiens d’Orient, plus occidentalisés que leur compatriotes, aspirent pour la plupart à la liberté politique que promettent ces mouvements populaires, ils redoutent aussi l’avènement de régimes dont les leaders afficheraient ouvertement leurs convictions islamistes ».

Le dilemme politique auquel sont confrontés les pays arabes abritant des minorités religieuses est à la fois simple et cruel : alors que la tyrannie protège généralement les minorités, la liberté est souvent accompagnée de leur persécution. La démocratie arabe naissante semble fondée sur une union nationale cimentée par une religion dominante et identitaire (à l’image de ce que fut longtemps l’orthodoxie en Grèce) tandis que la dictature encourageait un certain pluralisme qui lui valait la reconnaissance, la loyauté et le soutien des protégés du régime.

C’est notamment le cas en Syrie où le régime alaouite, incontestablement tyrannique, protège néanmoins les chrétiens qui pour la plupart ne redoutent rien tant que l’arrivée au pouvoir d’une majorité sunnite vindicative. Selon certains témoignages difficiles à confirmer, des églises seraient menacées et l’un des slogans les plus populaires des manifestants serait : « Alaouites au cimetière, chrétiens à Beyrouth. »

Si, au sujet de la Syrie, on en est aux suppositions, en Egypte, les problèmes sont malheureusement avérés : aujourd’hui, seule l’armée paraît être en mesure de protéger plus ou moins bien les Coptes contre les exactions des islamistes.

On a récemment vu des Egyptiens musulmans de la région de Qena manifester avec succès pour refuser la nomination d’un gouverneur chrétien pour succéder à l’ancien gouverneur de l’ère Moubarak, également chrétien. On a d’abord reproché au nouveau gouverneur sa proximité avec l’ancien régime, puis les accusations se sont focalisées sur sa confession chrétienne : on l’accusait préventivement d’être porté sur la boisson. Au nom de la toute nouvelle toute belle démocratie égyptienne, la majorité musulmane locale exigeait un gouverneur qui lui ressemble, c’est-à-dire musulman.

Dans un article intitulé « À Qena, malgré la « révolution » la peur demeure pour les Coptes », La Croix développe la thèse selon laquelle ce n’est pas malgré, mais de plus en plus à cause de cette révolution printanière que les Coptes, toujours suspects aux yeux de leurs compatriotes de compromission avec l’Occident, ont aujourd’hui peur. Ce ne sont pas les manifestations de salafistes devant les églises, plus massives chaque vendredi, qui vont les rassurer. Et encore moins la recrudescence de la violence. Il y a quelques semaines, des Coptes ont été tués par balles par des gens qui ne supportaient pas que des chrétiens aient manifesté après l’incendie criminel d’une de leurs églises. Les Frères musulmans, qui viennent de créer leur parti politique (Liberté et Justice), ont oublié leur promesse de ne pas présenter de candidats dans plus d’un tiers des circonscriptions. Désormais ils visent la moitié des sièges disponibles aux prochaines élections législatives[3. pour donner une idée de leur plateforme politique, l’un de ses dirigeants a récemment déclaré qu’il prônait l’application de la Charia et des châtiments divins pour la nouvelle Egypte, avant de se rétracter d’une façon bien peu convaincante].

Dans un dialogue avec Abdelwahab Meddeb publié récemment dans Le Monde, Tariq Ramadan explique que « [dans le monde arabe] la sécularisation est historiquement associée à la colonisation ou à la dictature ». Inversement, le droit de pratiquer dans l’espace public et la possibilité, pour la religion, de jouer un rôle politique, peuvent être considérés comme émancipateurs. Ce qui explique que le discours religieux soit le plus crédible politiquement de la Tunisie à la Syrie en passant par la Libye.

L’exclusion des chrétiens des nations arabes au moment même où elles semblent arriver à maturité, serait l’issue tragique d’une longue histoire. Au XIXème siècle, en raison notamment de l’existence parmi eux d’une bourgeoisie, acteur majeur et nécessaire des cristallisations nationales partout dans le monde, les chrétiens jouent un rôle essentiel dans le nationalisme arabe, organisant alors les forces politiques visant à affranchir les peuples arabes, non pas de la tutelle occidentale, mais de la tutelle ottomane. Ainsi, c’est un catholique libanais, Ibrahim al-Yazigi, qui écrivit « Arabes, réveillez-vous », chant autrefois célèbre qui aurait pu servir d’hymne aux révolutions arabes en cours.

Pour les promoteurs du nationalisme arabe, les nations occidentales font office de modèles. Les chrétiens espèrent alors que le sentiment d’appartenance arabe fortifié par la création d’une langue commune (qui donnera naissance à l’arabe standard moderne), constituera un ciment unificateur pour les citoyens de confessions différentes. Aujourd’hui, c’est une Turquie formellement laïque mais massivement musulmane qui est mise en avant comme un modèle possible pour les nouveaux régimes, et seuls quelques intellectuels arabes résidant en Occident tentent d’inciter les peuples arabes à s’inspirer des démocraties libérales à l’européenne, sans susciter beaucoup d’écho ailleurs. Rappelons qu’en un siècle, la Turquie, aujourd’hui dirigée par un parti islamiste démocratiquement élu, a presque complètement éradiqué le quart chrétien de sa population. Que l’on puisse, sans se poser de questions, s’enflammer pour le modèle turc, surtout lorsqu’il est appliqué à des pays qui abritent des minorités religieuse, laisse songeur.

Aujourd’hui, au Moyen-Orient, les chrétiens ne sont plus des acteurs de l’histoire. Même au Liban ils ne sont plus qu’une force d’appoint – d’ailleurs divisée – pour les chiites ou les sunnites. Finalement, ce printemps arabe n’aura fait que hâter le processus de liquidation du rôle politique des chrétiens. Aujourd’hui ceux-ci voient se réaliser leur pire cauchemar : l’avènement d’un islam politique par le moyen – le réveil des peuples arabes – sur lequel ils comptaient autrefois pour l’éviter !

La France qui joua dans son histoire le rôle éminent de puissance protectrice des chrétiens d’Orient doit-elle ici encore faire l’autruche et se désintéresser de leur sort ? Il ne s’agit pas bien sûr de défendre en quelque manière que ce soit la légitimité de dictateurs qui font tirer sur leur population, mais de constater que le sens de l’Histoire est souvent obscur et alambiqué, et d’en tirer les conséquences. A priori et en elles-mêmes, les révolutions ne sont annonciatrices d’aucun lendemain qui chante. L’Histoire occidentale fut un long cauchemar dont nous ne sommes pas sûrs de nous être éveillés. Il y a peu de chances qu’il en aille autrement pour les peuples non-occidentaux.

Voir Abbottabad et mourir

211
Abbottabad
Abbottabad, son World Trade Center.

Le 2 mai, sur les coups de 1 h 30 du matin, la petite ville pakistanaise d’Abbottabad a connu la nuit la plus agitée de son histoire. Je ne veux pas détruire une réputation mais, la plupart du temps, il ne se passe pas grand chose à Abbottabad. Il y a bien une garnison et une académie militaire – l’une des toutes premières du pays. Mais, comme là-bas le troufion pakistanais picole encore moins que l’élève officier, l’Abbottabadais moyen ne court pas le risque d’être réveillé en pleine nuit par des grappes de bidasses en bordée, pissant tout leur saoul et braillant à tue-tête la version ourdoue du Curé de Camaret – qui doit, là-bas, faire imam à Shekhupura ou à Bahawalpur, enfin curé d’un bled paumé qui trompe son ennui en comptant ses Bretons, ses menhirs et son port de pêche. On s’emmerde ferme à Abbottabad.

Et puis, le 2 mai, en pleine nuit, tout a basculé. Des hélicos, des tirs. En moins d’une heure, tout était plié : Abbottabad se retrouvait, sans même être sortie de son sommeil, au centre de l’actualité mondiale. Il y a des municipalités, partout dans le monde, qui tentent, par tous les moyens, de faire parler d’elles. Elles organisent kermesses bio, festivals d’art contemporain, vide-grenier et courses en sac – souvent les trois en même temps –, attendant la consécration de l’entrefilet placé ailleurs que dans les pages nécrologiques du canard du coin. Quand on songe ce qu’il faut d’efforts et de ténacité au moindre patelin pour bénéficier d’une couverture médiatique de niveau cantonal, on se dit qu’à Abbottabad on a le cul bordé de nouilles. Bertrand Delanoë se serait trouvé maire d’Abbottabad qu’il n’aurait pas manqué l’occasion. Une djihad pride, peut-être. Un Abbottabad-Plages, sans doute – le sable ne manque pas. Ce qu’il faut, c’est accompagner le mouvement avec de l’événementiel et ne pas trop se poser de questions.

Des questions, Washington ne s’en pose pas beaucoup en ce moment. Enfin si, la Maison Blanche s’en pose justement trop pour qu’elles soient totalement honnêtes. Tout a commencé lorsque l’Administration Obama a dépêché son porte-parole pour expliquer quel soin l’US Navy avait pris à respecter scrupuleusement les prescriptions musulmanes en matière d’obsèques. On s’assied sur le cinquième Commandement (« Tu ne tueras point »), mais on a ses scrupules de chaisières : et vas-y que je te toilettemortuairise le mort, que je te l’enlinceule et que je te le balance par-dessus bord. Manque de bol, le cadavre musulman, comme son homologue juif et chrétien, n’aime pas nager. Il préfère la terre. Plates excuses : on ne savait pas, vous savez, nos boys ont beau être américains, ça reste des militaires.

Puis, voilà qu’on en vient à annoncer que l’Administration va prochainement rendre publique une photo du mort. On serait même en train de la choisir. On hésite, on tergiverse. Jay Carney, porte-parole de la Maison Blanche, va jusqu’à déclarer que la photo de la dépouille est « atroce ». Du coup, on est moins scrupuleux sur l’islam et ses réticences à la photographie et à la représentation du vivant, fût-il un peu mort d’ailleurs… Puis, Barack Obama intervient himself et décide de ne pas montrer les photos, tandis que Sarah Palin réclame de voir le trophée.

Soins mortuaires, choix de la photo du macchabée, les précisions apportées par Washington peuvent paraître étranges, pour ne pas dire saugrenues. Mais là n’est pas l’essentiel. Elles occultent une autre question qu’on ose à peine se poser : pourquoi avoir exécuté aussi expéditivement Ben Laden ?

On comprend volontiers que l’opinion publique américaine ait voulu se payer la peau de ce salaud commanditaire de la tragédie du 11 septembre 2001. La vengeance est un sentiment naturel, et la mort appelle la mort. Mais la légitimité de la vengeance populaire n’est pas la légitimité des Etats. Les Etats ont précisément été institués à une fin : que la vendetta ne soit pas la règle et que ne règne pas universellement la loi de la guerre de tous contre tous.

Ainsi le procès de Nuremberg a-t-il représenté le summum de l’idée suivant laquelle le droit doit toujours l’emporter sur la barbarie. Quelques années plus tard, le procès de Tokyo a jugé, de mai 1946 à novembre 1948, les criminels de guerre nippons – Hiro-Hito et la famille impériale en étant exemptés par Douglas MacArthur pour des raisons de realpolitik. Dans l’un et l’autre cas, l’Administration américaine aurait pu procéder comme elle vient de le faire au Pakistan : nul n’aurait versé une seule larme pour le maréchal Goering ou le général Yamashita. Le tribut du sang payé par les Etats-Unis dans la guerre contre les Allemands et contre les Japonais était sans commune mesure avec les attentats du 11 septembre 2001, aussi effroyables furent-ils. Or, dans l’immédiate après-guerre, ce fut réellement la force des Etats-Unis de ne pas céder à la vengeance, mais de réclamer justice. Toute la justice, rien que la justice.

Si l’on comprend bien ce qui vient de se passer au Pakistan, Barack Obama vient d’adresser au monde un message : la page ouverte lors du procès de Nuremberg est, désormais, tournée. Le président américain a eu beau pleurnicher, pendant sa campagne, sur le sort que G.W. Bush réservait aux prisonniers de Guantanamo, il ne fait pas mieux aujourd’hui. Il sonne le glas de la justice pénale internationale et porte un coup décisif à l’idée que les droits de l’Homme sont incompatibles avec l’action directe.

Evidemment, les droits de l’Homme, Oussama Ben Laden s’en moquait comme de sa première djellaba ; il n’était pas le dernier à en refuser les avantages à ses innombrables victimes. C’est justement parce qu’il les niait et les réfutait qu’il fallait lui en faire pleinement bénéficier. Cela s’appelle le triomphe de la civilisation sur la barbarie.

On dira, bien entendu, que ce ne sont là que des questions de grands principes. Et l’on aura raison, parce que ce sont des questions de principes.

Parlons donc renseignement, raison d’Etat et autres utilités. Quand on met la main sur l’ennemi public n° 1, on n’a rien à lui demander ? On n’a pas une petite discute à se taper avec lui, en poussant la convivialité à trinquer avec lui au penthotal, dans une cave à peine éclairée par une gégène dont la frêle lueur invite à la confidence ? On n’a pas à lui extorquer, par tous les moyens, des informations qui seraient utiles, par exemple, au démantèlement de son organisation ou à la prévention d’actes terroristes à venir ?

Visiblement, la priorité de l’opération menée le 2 mai au Pakistan ne concernait donc ni le renseignement ni la lutte antiterroriste. Abattre Ben Laden était un objectif politique et militaire en soi. Ce que l’on peut donc juste savoir, c’est que Barack Obama a satisfait la soif de vengeance de son opinion publique. Cela valait bien un détour par Abbottabad, charmante bourgade, un peu ennuyeuse.

Causeur n°35 : On a retrouvé la fracture sociale !

11

Ce numéro 35, c’est la classe ! Et pas n’importe laquelle, la classe ouvrière, s’il vous plaît. Les ouvriers existent-ils encore ? Et si oui, pourquoi tout le monde les oublie-t-ils entre deux campagnes présidentielles? Quid des prolos déçus du sarkozysme, de ceux qui sont tentés par Marine, de ceux qui votent toujours rouge pour que ça bouge? En quoi les flux migratoires et la mondialisation marchande ont-ils bouleversé la classe ouvrière, d’un point de vue économique politique ou encore symbolique? Autant de sujets abordés à fond dans le dossier de ce numéro 35, introduit par un éditorial d’Elisabeth Levy qui annonce la couleur -Classes populaires, classes populistes- et enrichi d’un long entretien où l’étonnant géographe Christophe Guilluy explique à Gil Mihaely et Isabelle Marchandier que si le prolo façon Gabin n’est plus, les classes populaires, elles, n’ont pas dit leur dernier mot.

A part ça ? Et bien toujours 100% d’articles inédits dans un éventail de thématiques qui va de la religion écologique à Stanley Kubrick en passant la guéguerre OM-PSG, et le tout, encore et toujours sur 48 pages bien remplies et exquisément maquettées.

Pour avoir accès à tout ça – ainsi qu’aux articles verrouillés sur le site – il faudra bien sûr vous abonner ou, si besoin est, vous réabonner. Et si vous le faites d’ici samedi soir, nous nous engageons à ce que vous receviez Causeur dès ce numéro 35 dans votre boîte aux lettres. Rappelons en outre qu’il est désormais possible de s’abonner à uniquement à l’édition en ligne (avec bien sûr l’accès aux papiers verrouillés).

Bref, comme qui dirait, Pro-Causeur de tous les pays, abonnez-vous !