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Divorce en vue à Londres?

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photo : Manic Street Preacher

Il y a tout juste un an, David Cameron et Nick Clegg tenaient leur première conférence de presse commune. Tapes sur l’épaule, confidences susurrées à l’oreille, Cameron et son vice-premier ministre libéral-démocrate rivalisaient de minauderies, trop heureux d’avoir fait son affaire à ce ronchon de Gordon Brown. Good bye le Labour, pourtant traditionnel allié des Libéraux-démocrates. Intronisés couple de l’année, Nick et David semblaient indispensables l’un à l’autre. Issus des mêmes écoles et du même milieu, les deux jeunes loups éclaboussaient les spectateurs de leur beauté so british.

À l’époque, Cameron avait manqué de peu la majorité alors que Clegg voulait faire passer à toute force la réforme du système électoral censée lui ouvrir les portes du pouvoir. Leur marché se voulait avant tout pragmatique : « grâce à moi tu deviens Prime Minister ; en retour tu m’offres sur un plateau le référendum qui renverra aux oubliettes de l’histoire le plus vieux système électoral du monde, le First Past The Post (FPTP) ». Dix candidats, celui qui arrive en tête rafle tout, quel que soit son score. Pas très démocratique, mais diablement efficace. Résultat de ce scrutin ultra-majoritaire : depuis Mathusalem ou presque, deux partis se partagent le pouvoir au Royaume-Uni.

Clegg le trouble-fête

Un an et un mariage princier plus tard, le jardin de roses du Ten Downing street résonne encore des embrassades du tandem gouvernemental. L’exécutif au beau fixe ? Ce serait sans compter avec l’arrivée tonitruante de Nick Clegg, ce roi médiatique à la couronne d’épines.
Pendant la dernière campagne législative, le temps de trois débats télévisés, le sémillant lib-dem avait réussi à brouiller les cartes à coups de sourires cajoleurs, de petites phrases piquées à Barack Obama et de discours simples ponctué de « them ». Eux, les rancis, les produits périmés de la vie politique britannique tranchaient avec « me », mes dents blanches, mon idéalisme de bon aloi et le vent de fraîche folie que je faisais souffler sur l’élection.

Les Brits en avaient fait l’arbitre des élégances. Très habilement, avec un zeste de cynisme bonhomme qui laissait présager un sacré métier derrière l’apparence lisse de gendre idéal, Clegg avait tranquillement fait monter les enchères. En échange du soutien des députés libéraux, le nouveau premier ministre conservateur avait concédé un poste de Deputy Prime Minister[1. Equivalent britannique de vice-premier ministre] à Clegg, des ministères-clés pour ses amis et surtout l’assurance d’un référendum sur le système électoral.

L’annus horribilis de Clegg

Depuis, les roses se sont fanées. Consternés par ses reniements permanents, son aplomb à la limite de l’impudence et ses erreurs de jugement monumentales, les Anglais ont à 70% rejeté le référendum dont Clegg avait fait la clé de son avenir. Autrement dit, il vient de perdre son pari, et d’humiliante façon. Le « vote alternatif » introduisant une forte dose de proportionnelle ne passera pas. Plus qu’un homme, la vox populi britannique a rejeté un texte. À l’instar du Traité Constitutionnel Européen, le projet proposé était lourd, obscur et compliqué à mettre un œuvre. À tel point qu’un esprit chagrin ou mal tourné n’hésiterait pas à accuser David Cameron d’avoir intentionnellement fait rédiger par ses services ce condensé indigeste. Honni soit qui mal y pense, bien sûr. En tout cas, le changement attendra.

Que croyez-vous que fit l’inénarrable Clegg après cette claque monumentale ? Il démissionna ? Vous n’y êtes pas du tout. Whitehall vaut bien une messe. Nick a décidé de se « radicaliser » en s’opposant par tous les moyens à la réforme du système de santé porté par Cameron. Partout Clegg s’effondre, rendant illusoire la pérennisation d’une coalition de centre-droit modéré qui n’a jamais existé ailleurs que dans les rêves du Guardian. Cameron et Clegg n’avaient d’ailleurs pas un seul point d’accord idéologique. Tout les séparait et tout les sépare encore : l’avenir des établissements financiers et la scission entre banques d’affaires et de dépôt, l’environnement (les Lib-dems sont des écolos convaincus), la charte des droits fondamentaux, la réforme cruciale du système de santé où Cameron voudrait introduire une forte dose de choix et de concurrence entre les médecins, le nucléaire, l’immigration, la guerre en Libye…. N’en jetez plus.

Cameron : la force tranquille

On peut apprécier ou non le programme des Conservateurs, mais force est de constater que le chef des tories tient le cap au 10 Downing Street. Tranquillement, il avance ses pions avec une assez redoutable maîtrise. Le Premier ministre n’a pas besoin d’une crise politique en ce moment. Ni d’élections anticipées. Assurés d’être battus ou sérieusement mis en danger, les parlementaires lib-dem n’ont d’autre choix que de le suivre. Bravo Maestro. À cynique, cynique et demi.

David Cameron dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Elu pour assainir les finances et tailler dans les dépenses publiques, il assainit et taille. Bon an mal an, les Anglais suivent, serrant les dents et leur ceinture en silence. Un coup à hue, un coup à dia, Clegg qui avait promis de ne pas toucher aux droits d’inscription à l’université accepte leur triplement au motif « qu’il ne connaissait pas la réalité ». Tout en prononçant une diatribe enflammée contre le nucléaire après Fukushima, alors que Cameron vient de commander de nouvelles centrales à Areva pour assurer l’indépendance énergétique du Royaume-Uni… Finalement, en politique, l’amateurisme et le cynisme peuvent aussi se payer cash.

Et pendant ce temps…

Et le Labour, le grand parti d’opposition ? Favorable à la réforme électorale… mais hostile à Clegg, il peine à trouver place et arguments. Dans son fief écossais, à l’occasion des élections municipales organisées en même temps que le référendum, le Scottish national party d’Alex Salmond a raflé la mise, faisant craindre une sécession dans la foulée des flons-flons nationalistes du mariage royal. Un comble. Certes, le Royaume en a vu d’autres, mais l’opposition travailliste peine à retrouver son assise populaire.

Quand il l’estimera opportun, David Cameron appellera les électeurs aux urnes et se débarrassera facilement de son embarrassant allié. Si… les Brits ont encore un ou deux crans à leur ceinture.

Mirbeau, Buñuel et DSK

Il ne faut jamais laisser l’actualité nous empêcher de relire ou revoir un bon classique. On se reportera donc avec bonheur au Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau (1900), un des grands écorchés de notre littérature de la fin du XIXème siècle, et trop peu lu à notre goût.

Gourmont disait de lui qu’il se réveillait en colère et se couchait furieux, un peu sans doute comme quelqu’un, ces jours-ci, qui aimerait la vie politique comme école de civisme et de dignité. Le roman montrait la propension de la grande bourgeoisie et d’une certaine aristocratie décavée à baiser systématiquement la bonne comme moyen ultime de marquer sa domination de classe, que ce soit pour faire sauter la capsule de l’ainé des garçons ou assurer une manustupration rapide au grand père qui fétichisait sur les bottines cirées.

On pourra compléter cette lecture par le visionnage de son adaptation cinématographique par Luis Buñuel en 1964 avec Jeanne Moreau dans le rôle de la bonne du Sofitel, euh pardon de la femme de chambre d’une gentilhommière normande.

Le Journal d'une femme de chambre

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Soleil vert

« L’environnement, ça commence à bien faire ! » La saillie de Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture 2010 aurait pu servir d’exergue à l’excellent documentaire rediffusé par France 2 en avril − sauf qu’il date de 2008. Mais qu’importe : non seulement cette enquête, intitulée Les Prêcheurs de l’Apocalypse, ne s’est pas biodégradée, mais elle nous en apprend de belles sur les dérives et les délires de l’Église d’Écologie, qui n’a jamais été aussi influente dans notre Occident décadent.

Sous la houlette de Françoise Castro, productrice, Jérôme Lambert et Philippe Picard retracent les glissements progressifs de l’écologie, qui fut une science avant de devenir une idéologie, puis une nouvelle foi dans l’Ouest. Une foi dont le fondamentalisme, avec ses superstitions et ses tabous, constitue désormais une menace pour l’avenir de l’humanité – à commencer par la sécurité alimentaire mondiale.[access capability= »lire_inedits »]

La planète, c’est nous !

Pour autant, ce documentaire ne semble pas avoir été sponsorisé par je ne sais quelle multinationale polluante, voire transgénique. À les en croire, ses auteurs ne veulent que nous rappeler une évidence : « l’impératif écologique » doit lui-même impérativement être concilié avec l’impératif humain… Faute de quoi la planète sera sauvée, mais sans nous.

Qu’on se rassure : Picard et Lambert n’ont pas d’a priori contre la préservation de l’environnement. Simplement, ils s’interrogent sur cette vague verte qui submerge aujourd’hui le monde occidental : d’où vient-elle et, surtout, jusqu’où ira-t-elle ? Au-delà d’un unanimisme aussi récent que suspect, comment démêler dans la doxa écologiste le vrai du faux – et éviter ainsi des remèdes pires que les maux ?

Pour nous y aider, voici une patarafée de spécialistes, d’universitaires et de chercheurs. Magie du petit écran ! Ils sont venus, ils sont tous là, suisses et hollandais, responsables de l’ONU et de la FAO, étasuniens et antipodistes. Chacun nous éclaire de sa science – et tous nous mettent en garde contre le même péril : l’absurdité qui consisterait à sacrifier l’homme sur l’autel de son environnement. C’est pourtant ce qui risque de se passer si nous n’y prenons garde ! Même que ça a déjà commencé…

DDT contre malaria

Historiquement, la première victoire du lobby écologiste fut l’interdiction du DDT, par les États-Unis d’abord (1972) puis par tout ce qui compte dans la communauté internationale[1. 158 pays ont signé la Convention DDTéicide de Stockholm (2001)]. Et dès ce moment-là, souligne notre documentaire décidément engagé, « l’impératif écologique s’est opposé à l’impératif humain ».

En sa qualité d’insecticide, le DDT avait contribué à éradiquer complètement, chez nous, le paludisme ; pour les mêmes raisons, son interdiction a eu pour conséquence, entre autres, une importante recrudescence de la malaria en Afrique. À tel point qu’il fut décidé finalement − non sans débats, et à titre exceptionnel − de lever l’interdit sur le DDT dans les pays dont la survie en dépendait. Trop aimable.

C’est dans des moments comme ça qu’on se demande si, en fait de religion, l’écologisme occidental ne serait pas plutôt, comme le bouddhisme du même métal : un caprice de riche. Rien à voir, direz-vous ! De fait, la lévitation germanopratine n’a jamais tué personne.

À propos, vous la connaissez, celle des biocarburants ? C’est l’histoire des États-Unis et de l’Union Européenne qui ont décidé de les subventionner au nom de leur croisade commune contre le réchauffement climatique. Le gag, c’est que, pour un ou deux milliards d’hommes, « carburant vert » rime avec crise alimentaire.

Biocarburants ou tortillas ?

Trop souvent, on fabrique les carburants « propres » à partir de végétaux qui seraient propres aussi à l’alimentation humaine. L’anecdote drôle, ici, se situe en 2007 : avec l’essor des biocarburants, notamment aux États-Unis, le cours du maïs a tellement augmenté qu’on a eu des « émeutes de la faim » au Mexique, soudain privé de tortillas[2. Mais en fait, si on y réfléchit bien, la blague n’est drôle que parce que ce sont des Mexicains].

C’était le début de la crise alimentaire mondiale − qui, sans rire cette fois, ne fait que commencer. « L’Occident a la mémoire courte », ose le documentaire : notre propre développement s’est appuyé en grande partie sur cette « agriculture moderne » que nous mettons en accusation aujourd’hui. Avons-nous pour autant le droit d’en priver les pays pauvres ? Les Européens ne jurent plus que par l’agriculture biologique, fort bien ; mais ce modèle peut-il nourrir le monde ? « Bientôt, s’indigne un responsable de la FAO, 20 % de la production mondiale de maïs sera retiré de l’alimentation. C’est une folie ! »

En 2050, on sera quand même neuf milliards (enfin, vous). Pour nourrir tout ce petit monde, il faudra augmenter d’au moins 50 % la production alimentaire mondiale – sans pouvoir étendre à proportion la surface des terres cultivables, et en limitant bien sûr l’usage de l’eau – qui risque de manquer en Afrique avant même qu’il y fasse trop chaud.

Comme le résume fort à propos le Dr Guillet, de l’OMS, c’est très bien de vouloir nous protéger, fût-ce à tout hasard ; encore faut-il prendre en considération d’autres populations, qui ont peut-être d’autres priorités que le CO2. Accessoirement, prévient le bonhomme, à la manière d’un Raspail, « si on ne s’occupe pas de ces gens-là, un jour ou l’autre, ils s’occuperont de nous ! »

Qui craint les grands méchants OGM ?

Plus diplomatiquement, disons que l’altruisme peut n’être qu’un égoïsme bien pensé. Pour assurer la sécurité alimentaire aux pays pauvres – c’est à dire la paix chez nous ! –, faisons donc proprement notre boulot de pays surdéveloppés : progressons en matière de biotechnologies ! Sans offenser Dieu, « créons », par croisement et sélection des espèces, des plantes toujours plus résistantes – notamment face aux changements climatiques tant redoutés.

Le problème, c’est qu’on a peur aussi des OGM[3. Moi c’est l’aspartame, et aussi mes deux portables]. Pourtant, observe le Pr Axel Kahn, le génie génétique fait déjà partie de notre vie : un nombre toujours croissant de nos médicaments sont des OGM, sans que personne n’appelle à les boycotter. Et qui songerait à interdire l’insuline aux diabétiques ?

Alors, au nom de quoi bloquer la recherche en matière de plantes transgéniques ? Et si, demain, elles s’avéraient indispensables pour contribuer à nourrir la planète ? Or, depuis vingt ans, la recherche en biotechnologie piétine, s’inquiète Guy Riba de l’INRA. « Le seul résultat, ajoute-t-il avec une ironie amère (à moins que ce ne soit l’inverse), aura été de renforcer les multinationales du secteur. » Bové, Monsanto, même combat ? Sans aller jusque-là, les responsables et porte-parole divers des pays pauvres, notamment africains, semblent passablement horripilés par l’obnubilation écologiste en vogue chez nous, les ravis de la couche.

Bon sens et mauvaises fois

« Entre le DDT et les OGM, qu’est-ce qui est le plus anti-écologique ? » persifle le président de l’Association des producteurs de coton africains. Abdoulaye Wade, président du Sénégal, préfère dramatiser – avec des accents de populisme panafricain qui ne mangent pas de pain, si j’ose dire : « L’Afrique a faim, et vous lui dites de se serrer la ceinture !, balance-t-il à la tribune de la FAO… Je reviendrai peut être vous demander la ceinture ! »

Au-delà du spectacle, le résumé de la situation par le président Wade[4. Et non pas Le Président et Miss Wade.] n’est pas faux. Chez nous, observe Axel Kahn, les OGM sont devenus l’enjeu d’un débat quasi théologique : on doit être pour ou contre – de préférence contre. Mais il ne suffit pas d’avoir choisi le bon camp ; encore faut-il s’y tenir strictement, sous peine d’être traité d’hérétique. Apparemment, Axel Kahn sait de quoi il parle.

En France, les gouvernements successifs ont toujours hésité à adopter, dans cette affaire, une position tranchée ; mais leurs décisions cumulées aboutissent à une interdiction de fait des OGM par précaution (de principe). Absurde autant qu’hypocrite ! s’énerve Guy Riba. Si vraiment les OGM présentent un risque pour la santé publique, alors il faut interdire non seulement leur production, mais leur importation : « 70 % des produits transformés chez nous dérivent de produits transgéniques… Un peu de cohérence ! »

Du risque zéro à la politique zéro

Mais le principe de précaution ne s’embarrasse pas de ce genre de détails : De minimis non curat praetor ! Il a désormais les moyens de sa politique : inscrit dans notre Constitution depuis 2005, il peut conduire demain n’importe quel le pouvoir à interdire n’importe quelle innovation scientifique ou technique au nom de n’importe quel « risque potentiel ». Or, comme chacun sait, le risque zéro n’existe pas. Ça me rappelle l’histoire du sourd : « Si je m’écoutais, je ne ferais jamais rien ! »

Bien sûr, il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas de conneries… Sauf quand ne rien faire est la pire des conneries. Et lorsqu’il s’agit d’agir, c’est-à-dire de trancher, la prise de risque peut s’avérer nécessaire, euphémise le biologiste Pierre Joliot-Curie, professeur au Collège de France – avant d’illustrer joliment sa pensée : « Vu les conditions dans lesquelles Pasteur a fait ses premières vaccinations, aujourd’hui il irait directement en prison. »

La science, hier solution à tous nos problèmes – y compris métaphysiques – est devenue la cause de tous nos maux. Sic transit Chicago authority, comme disaient à peu près nos Anciens. Reste que ce néo-obscurantisme est parfaitement aberrant : sans l’aide de la science, nous ne parviendrons à sauver ni la planète, ni les humains qui, jusqu’à présent, l’habitent. Plus précisément, avertit le Pr Ingo Potrykus (mais oui), biologiste zurichois : « Si nous n’utilisons pas tous les moyens technologiques à notre disposition pour augmenter la production agricole mondiale, nous allons au-devant d’une catastrophe majeure. »

Pompidou, toujours vert !

« Gouverner, c’est choisir entre deux inconvénients », disait le regretté Georges Pompidou[5. Dans une interview (re)diffusée chez Taddeï, le 12 avril, au cours d’une « soirée Pompidou » comme on aimerait en voir plus souvent]. « Inventeur », en 1971, du ministère de l’Environnement, il lui fixait comme objectif d’« organiser le progrès économique d’une manière compatible avec le respect de l’environnement ». Et non pas l’inverse parce que, ajoutait-il avec sa lueur malicieuse dans l’œil, « de toute façon, vous savez, on n’arrête pas le progrès ! »

Brève de comptoir, ou réflexion de chef d’État ? Les deux, mon bougnat ! En fait de présidents de la République, je tiens même que c’est sa mort à lui qui a arrêté le progrès. Mais c’est le pompidolien historique qui parle ici – pas le chroniqueur subtil et pondéré auquel je vous ai habitués. À mes yeux, Pompidou faisait mieux que tous les autres, De Gaulle compris, le départ entre sa personne et sa fonction. C’est d’ailleurs à son propos que Marie-France Garaud[6. Toujours dans le nunéro du 12 avril de « Ce soir ou jamais ! » consacré à Georges Pompidou, après la diffusion du téléfilm Mort d’un président] cite Giscard, pour le contredire bien sûr : « Le président de la République n’est pas un homme comme les autres, tout simplement parce qu’il a la responsabilité des autres ! »

J’aime l’intransigeance courtoise de cette dame – au point de me demander si mon pompidolisme ne serait pas en fait un garaudisme. Il est vrai aussi que Mme Garaud présente l’avantage d’être toujours là – et même plus souvent qu’avant, grâce à Taddeï en particulier.

Utopie irresponsable, ou pessimisme actif ?

Vous me direz : quel rapport avec la choucroute verte ? Mais l’exercice du pouvoir tout simplement, et les responsabilités qu’il impose. Il y a sur cette question essentielle un fossé entre l’irénisme écologiste et le pessimisme actif qui doit guider tout gouvernant – chargé d’éviter le pire plutôt (ou plus tôt) que de se lancer pour la énième fois dans la difficile édification du « meilleur des mondes »[7. Voir par ex., à ce sujet, le XXe siècle].

C’est quand même aux politiques − nom d’un petit bonhomme en bois vert ! − qu’il appartient de veiller aux intérêts du pays et aux besoins du peuple. Sans parler de la nécessaire concertation entre nations sur les sujets d’intérêt commun – et Dieu sait que la sécurité mondiale en est un !
C’est même la raison pour laquelle, au nom de l’intérêt supérieur de tout le monde, j’ai l’honneur d’exiger par la présente la séparation immédiate de l’Église d’Écologie et de l’État.[/access]

DSK divise les Verts

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J’ai suffisamment dit de vilenies par ici sur Cécile Duflot pour ne point la féliciter quand elle souligne, assez isolément, que le droit à la justice, et donc aussi à la présomption d’innocence vaut pour tout le monde dans l’affaire qui nous rive tous à nos ordiradiotélés et que tout le monde, ben, c’est tout le monde et pas seulement DSK.

En effet, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts a fait entendre une voix un rien dissonante en réclamant au micro de RMC « la justice pour la jeune femme qui a porté plainte pour des faits qui, s’ils sont avérés, sont très graves. La justice pour Dominique Strauss Kahn qui bénéficie de la présomption d’innocence ».

On notera au passage que Cécile Duflot, a tout simplement oublié de prononcer le crédo rituel à gauche si justement pointé par Me Rodolphe : « Cela ne ressemble pas au DSK que je connais », ni même un produit dérivé du genre de celui délivré ce matin par sa camarade Eva Joly sur France Info : « C’est un drame, c’est un cauchemar, et j’espère que nous allons nous réveiller de ce cauchemar ».

On notera que cette même interview a donné l’occasion à la primocandidate écolo à la présidentielle de s’exprimer sur les différences entre le système judiciaire américain et le notre : « C’est un système accusatoire où les procureurs réunissent les éléments à charge alors qu’en France, on fait plus attention, on réunit les éléments à charge et à décharge ».

Rien qu’à imaginer Eva Joly et l’ensemble de ses confrères magistrats instructeurs passant leurs nuits à réunir des éléments à décharge, j’en ris encore. Mais peut-être que les innocents emprisonnés d’Outreau et d’ailleurs trouvent ça moins drôle…

« Cela ne ressemble pas au DSK que je connais »

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image : gunthert (Flickr)

Depuis l’affaire dite de la Porsche, le grand-public savait que Dominique Strauss Kahn disposait d’un staff conséquent de conseillers et de communicants – cela fait belle lurette que les journalistes n’en ignorent rien. Les événements de New York ont prouvé à quel point ils étaient compétents. Insensiblement, les « éléments de langage », comme on dit dans ce milieu, ont été diffusés, répétés et amplement relayés. Au-delà de l’incontournable – et néanmoins légitime – référence à la présomption d’innocence, la pierre angulaire du discours choisi par les spin doctors de DSK, c’est l’incrédulité.

Depuis dimanche matin, de Jean-Marie Le Guen à Jean-Christophe Cambadélis en passant par le biographe autorisé Michel Taubmann, combien de proches a-t-on entendu rabâcher la même phrase : « Cela ne ressemble pas au DSK que je connais » ? Techniquement, l’idée est simple mais forte : marteler l’incompatibilité entre le profil psychologique et les faits.

Séducteur oui, violeur non. Une fois ce présupposé acquis, le complot que d’aucuns soupçonnent entre les lignes prend alors un début d’épaisseur. Qui veut faire tomber le patron du FMI? Les Américains, les Allemands, les Russes, les Grecs, l’Elysée ? Quelle que soit la pseudo-piste, l’angle choisi est le bon car il découple la réputation de DSK des faits et le dossier s’en trouve, de ce fait, très allégé.

Seulement voilà, à peine cet axe ébauché, patatras !, un autre dossier sort ou plutôt ressort. Celui de Tristane Banon (journaliste et filleule de la deuxième épouse de DSK) qui se plaint d’une agression sexuelle commise en 2002. En 2007, elle avait évoqué l’épisode sur Paris Première dans le cadre de l’émission « 93, Faubourg Saint-Honoré » animée par Thierry Ardisson sans que le nom de DSK, qu’elle qualifie de « chimpanzé en rut », fût cité à l’antenne (il a été couvert par un bip).

On voit tous les convives réunis par le présentateur autour de sa table écouter Tristane Banon relater sa version des faits sans qu’aucun ne semble surpris, heurté ou gêné par ce déballage, y compris lorsque la jeune femme indique : « Il a voulu que je lui tienne la main pour répondre, puis le bras… On a fini par se battre (…) on sʼest battus au sol (…) jʼai donné des coups de pied, il a dégrafé mon soutien-gorge, il a essayé d’ouvrir mon jean. (…) Quand on se battait, je lui avais dit le mot « viol » pour lui faire peur, ça ne lui a pas fait peur plus que ça, comme quoi apparemment il était habitué. »

Ce dossier englouti est aujourd’hui ramené à la surface par la mère de Tristane Banon, Anne Mansouret, élue socialiste de Haute-Normandie et candidate aux primaires, qui se dit très culpabilisée d’avoir dissuadé sa fille dʼintenter une action en justice à lʼépoque du chef d’agression sexuelle. La description des faits est similaire en tous points à celle de la plaignante américaine.


DSK et Tristane Banon (15/05/2011) par JaneBurgermeister

Thierry Ardisson considère d’ailleurs que le rapport de DSK aux femmes est pathologique ou compulsif, de l’ordre du sex-addict. Anne Mansouret, quant à elle, ne dit pas autre chose: « Pour moi, Dominique Strauss-Kahn est malade. Ce nʼest pas une injure de dire cela, il a un vrai problème: une addiction au sexe, comme dʼautres ont des soucis avec lʼalcool, la drogue ou le jeu. Il est malade. Sur les faits eux- mêmes, je ne peux pas me prononcer, je nʼy étais pas. Mais pour moi, cʼest très plausible que cette femme ait été agressée sexuellement. En revanche, je suis formelle, il a bien tenté dʼabuser de Tristane. »

À bien y réfléchir, le choix d’axer la défense sur le profil psychologique de DSK – décrété par les siens comme incompatible avec les inculpations -, n’est peut-être pas le plus judicieux. Oserait-on dire que les faits sont têtus?

Quand Alep s’éveillera

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étudiants en médecine à Alepo. image : photo d'écran youtube

Sept semaines et autant de centaines de morts après le début de la contestation en Syrie, la liste des villes et localités touchées par le mouvement ne cesse de s’allonger. De Deraa, au sud, à Qamishli au nord-est, d’Abou-Kamal à la frontière irakienne et à Lattaquié sur la côte méditerranéenne en passant par Damas, les foyers de contestation contre le régime s’allument sur la carte de la Syrie comme les boutons d’acné sur le visage d’un adolescent.

Or, plus le mouvement s’étend, plus une absence se fait remarquer : celle d’Alep. La deuxième ville du pays par sa population et la première par sa contribution à l’économie nationale reste en dehors de la mêlée. Etant donné son poids démographique, économique et symbolique, son entrée dans la danse risquerait de porter au pouvoir un coup fatal. Du reste, plusieurs médias ont analysé la manifestation de quelques milliers d’étudiants mercredi dernier comme un événement important, si ce n’est un tournant dans la crise syrienne.

Pour autant, il ne s’agit pas d’aller trop vite en besogne. À y regarder de plus près, rien n’indique pour le moment qu’Alep ait décidé de lâcher Bachar el-Assad. Pour cette ville industrieuse et commerçante, le martyre n’est pas un business-model répertorié. Soyons juste, la contestation du régime n’a pas totalement épargné Alep. Si le président syrien tombe un jour, la cité trouvera sûrement le moyen de tresser des couronnes de laurier et d’ériger des monuments aux combattants pour la liberté. Mais il faut reconnaître que ceux-ci n’ont pas jusque-là constitué de très gros bataillons à en juger par l’affluence observée lors des manifestations: quelques centaines le 13 avril, une poignée le 4 mai. Il faut surtout signaler qu’elles étaient toutes confinées au campus universitaire. La timidité aleppine a aussi été flagrante le 22 avril, lors du « Grand vendredi » qui s’est soldé par la mort d’une centaine de Syriens. Les habitants d’Alep qui tiennent un journal intime auraient pu s’inspirer pour cette journée historique de la phrase rédigée par Louis XVI le 14 juillet 1789 : « Rien ».

Même après le rassemblement estudiantin du 11 mai, la situation à Alep n’a pas changé de façon notable. Comme auparavant, la manifestation est restée circonscrite à l’intérieur du campus, et si les 2000 participants traduisent une mobilisation en hausse, ils ne doivent pas faire oublier que l’écrasante majorité des 65 000 étudiants inscrits à l’université d’Alep n’y ont pas pris part. De plus, le fait que l’essentiel du mouvement se soit déroulé à proximité des dortoirs de la fac et que les principaux slogans aient exigé la levée de l’état de siège à Banias et Homs laisse penser qu’il ne s’agissait probablement pas d’étudiants aleppins. Autrement dit, il serait hâtif d’en conclure qu’Alep est sortie de sa réserve.

L’attitude disons circonspecte des Aleppins depuis le début des troubles rappelle qu’en plus de ses aspects communautaires, confessionnels et politiques, la contestation en Syrie a aussi une dimension socio-économique. Ainsi, le premier foyer de rébellion, Deraa, est une ville pauvre, provinciale et traditionnelle – autrement dit l’absolue opposée de la riche et immense métropole qu’est Alep. Ce sont deux mondes, deux Syries qui n’ont que très peu de choses en commun. L’explosion du Horan, région marginale et marginalisée où se trouve Deraa, est le résultat de mille humiliations dont la moindre n’est pas d’avoir été oubliée et abandonnée dans le développement économique du pays. Ce n’est absolument pas le cas d’Alep, où une large classe moyenne urbanisée vit confortablement au cœur d’une activité industrielle et commerciale relativement prospère, à proximité d’un aéroport international rénové il y a une dizaine d’années et d’une grande université. Rien à voir entre les larges rues commerçantes et le quartier d’affaires de cette métropole du nord de la Syrie, proche de la frontière turque et de ses opportunités, et la misère poussiéreuse de Deraa dont la proximité avec les frontières israélienne et jordanienne ne fait apparemment rêver personne.

Pour l’instant, el-Assad et ses proches peuvent encore contenir Alep en brandissant le spectre d’une « deraïsation » de la Syrie. S’ils ne sont pas tous des bourgeois, les Aleppins, qui pourraient y perdre gros, semblent, dans leur grande majorité, fort sensibles à l’argument. Si on y ajoute un léger mépris pour les provinciaux et la peur que suscite l’attachement excessif de ceux-ci à la mosquée, on comprend qu’Alep ne soit pas prête à lâcher le clan au pouvoir. Cependant, ce choix a un prix économique. La consommation intérieure étant le moteur principal des industries et des commerces locaux, le pourrissement de la crise n’est pas une option très engageante. Même quand ils en ont les moyens, les habitants de Banias, Lattaquié et à Damas n’ont pas la tête à consommer. Le tourisme et les voyages d’affaire connaissent une baise notable, particulièrement sensible pour Alep qui accueille de nombreuses foires. Et si modestes qu’elles soient pour l’instant, les sanctions perturbent sans doute le sommeil de plus d’un honorable commerçant. Focalisés sur l’expérience iranienne, nous guettons le moment où l’armée bascule, convaincus que c’est celui où la contestation devient révolution. Peut-être devrions-nous réviser Marx et Lénine pour nous rappeler que les révolutions sont souvent faites par des bourgeois mécontents. Ceux d’Alep ne semblent pas avoir une vocation particulière pour l’héroïsme sacrificiel, mais s’ils n’ont pas d’autre choix, ils préfèreront encore le martyr à la faillite.

DSK, triviales poursuites

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A propos de qui Hervé Morin a-t-il déclaré : « Ce n’est pas mon ami politique, mais pour autant je revendique pour lui la présomption d’innocence  » ?

De qui Ségolène Royal parlait-elle en martelant à quinze reprises à Jean-Pierre Elkabbach : « Tout reste à vérifier » ?

Dans quelle affaire François Hollande a-t-il ainsi mis les journalistes en garde : «Il faut faire très attention, il n’y a pas de preuve de culpabilité« ?

Quel inculpé le porte-parole du gouvernement s’est-il – fort à propos – refusé à condamner d’avance sans preuves ni jugement en recommandant à tous d’ « être d’une extraordinaire prudence dans l’expression, dans l’analyse, dans les commentaires et dans les conséquences » ?

Si vous avez répondu Laurent Blanc, Eric Woerth ou même Xavier Dupont de Ligonnès, vous avez tout faux. A moins que ce soient les tenants de la présomption d’innocence à géométrie variable qui, en vrai, ont tout faux…

DSK : un feuilleton indécent

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photo : FMI (Flickr)

D’un côté, je suis mort de rire. Des réveils comme ça, j’achète tous les jours. C’est vache, c’est malsain, c’est peu charitable, c’est tout ce que vous voudrez, mais c’est comme ça et vous êtes comme moi.

Une star mondiale, du sexe, des policiers, une chambre d’hôtel à 3000 dollars au cœur de Times Square, une jeune soubrette en larmes, un criminel présumé en fuite, une arrestation en plein ciel ou presque, il ne manquait plus que les menottes, dont hélas pour les caméras, DSK a été dispensé.

Et vous voudriez que je boude mon plaisir ? Pas question, j’en veux, j’en redemande, j’y puise même assez d’énergie pour trouver l’envie d’en dire trois mots au détriment de mon oisiveté du dimanche matin : pas de trêve dominicale pour Dominique !

D’un autre côté, je suis effondré. La messe est dite. Dès 6h30, il était entendu pour l’ensemble des commentateurs que DSK ne pouvait plus être candidat à la présidentielle. Editions spéciales partout, exit la victoire de Lille en Coupe de France et celle de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision.

C’est le bal des faux-culs à tous les étages, et nolens volens, j’y contribue moi aussi : chacun insiste sur la présomption d’innocence du patron du FMI, mais chaque mot consacré à l’affaire, chaque seconde d’antenne, chaque image broadcastée (Ah la la, cette photo devant le Sofitel avec le fourgon de police « Crime Scene Unit ») est un clou de plus planté dans le cercueil de DSK.

Or, les seuls faits avérés sont l’arrestation et la triple inculpation (agression sexuelle, tentative de viol et séquestration) du présumé coupable. Tout le reste n’est que conjectures, et donc viol, incontestable celui-là, de la présomption d’innocence.

Et pour prouver que la présomption d’innocence n’est pas un supplément d’âme ou un luxe dispensable, récapitulons l’histoire : DSK sort nu comme un ver de sa douche, et tombe, si j’ose dire, nez à nez avec la femme de chambre qui, comme d’hab’ a à peine frappé trois petits coups à la porte, avant de s’octroyer sans délai le droit d’entrer dans la suite pour déposer des chocolats sur l’oreiller[1. Note à l’attention de tous mes confères, les femmes de chambre des grands hôtels tiennent mordicus à cette appellation, et détestent être qualifiées de « femmes de ménage »]. Jusque là, les récits convergent[2. Vous ne lisez pas en ce moment le Canard Enchaîné, « convergent » n’est donc pas un jeu de mot pour nonagénaires]. Ensuite, ça se gâte pour cause de prétendue gâterie : l’employée accuse DSK d’avoir voulu la contraindre manu militari à des pratiques sexuelles non consenties. C’est peut-être vrai. Ou peut-être pas. On peut déjà savoir qu’on ne saura jamais.

Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’aux USA, des universitaires de renom ont perdu leurs chaires après des accusations d’étudiantes leur reprochant de les avoir regardées trop fixement durant un cours magistral. Même scénario pour ces PDG virés du jour au lendemain pour avoir complimenté dans l’ascenseur une secrétaire sur sa nouvelle robe. Avec, à la clef pour les plaignantes, la célébrité d’un jour et quelques millions de dollars de dommages et intérêts.

On ne saura donc jamais si DSK a agressé ou pas cette femme de chambre, on sait déjà qu’il y avait pour elle des motifs sonnants et trébuchants de l’alléguer. Et que DSK, même innocent comme l’agneau pascal, même ayant commis pour seul crime de ne pas prendre sa douche tout habillé, avait le cas échéant de bonnes raisons, compte tenu de sa mauvaise réputation, de vouloir changer dare-dare de crèmerie face à cette inconnue qui l’accusait de viol. Un mot sur cette mauvaise réputation : ce n’est pas parce qu’un type qui habite dans ma rue a déjà été pincé douze fois à voler des scooters qu’il a forcément volé le mien. Mais c’est normal que les flics ne le croient pas sur parole quand il clame son innocence. Et c’est normal aussi que le multirécidiviste préfère s’enfuir par la porte au fond du jardin quand la police sonne chez lui, qu’il soit ou non l’auteur de ce larcin-là. Avec le recul, on se dit que la fuite rocambolesque de DSK lui donne l’air, comme disait l’autre, forcément coupable, mais bon, j’aurais probablement fait pareil : que celui qui n’a jamais déraillé sous l’effet de la panique reçoive la première pierre, car c’est un vilain menteur. Enfin, et je suis désolé de vous le dire, mais une condamnation, ou non, en justice ne changera rien à ma certitude qu’on ne connaîtra jamais le fin mot de l’affaire : j’ai encore quelque part dans mes armoires mon T-shirt « Free Mike Tyson Now !»[3. En 1992, Mike Tyson avait été condamné sans trop de preuves à trois ans de prison ferme pour le viol d’une jeune fille de 18 ans, Desiree Washington. Je n’ai déjà pas une confiance aveugle dans la justice de mon pays, alors celle des autres…]

Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il n’y avait absolument aucune obligation de faire tout ce cinéma (je pense notamment à l’arrestation dans l’avion et l’inculpation immédiate). On voit mal DSK se soustraire, façon Oussama Ben Laden, à la justice américaine, mais alors quel manque à gagner pour les attorneys locaux en campagne électorale permanente.

Une fois encore, je ne sais rien des faits, pas plus que vous. Deux personnes sur Terre seulement les connaissent. S’ils ont été commis, cela discrédite moralement DSK pour toute fonction exécutive d’importance. S’ils sont imaginaires, et bien on s’en fout, puisque les jeux sont déjà faits…

C’est la mort dans l’âme que j’aurais voté DSK au second tour de 2012. Une femme de chambre, un proc et mon propre voyeurisme viennent de me priver de ce crève-cœur. Je ne les en remercie pas.

Dominique trousse et cane ?

photo : kacacca (Flickr)

Le privilège de l’insomniaque est de pouvoir annoncer à ses contemporains les nouvelles étonnantes survenues dans la nuit, et de guetter les réactions sur le visage enchifrené de ses proches. « C’est une machination ! ». Telle fut la réaction de la personne avec qui je partage depuis quelques décennies le quotidien et le nocturne, lorsque je l’informai des ennuis tout récents du secrétaire général du Fonds monétaire international.

« Hélas, non !, la détrompé-je. J’aimerais bien qu’il en soit ainsi, mais la probabilité d’un piège tendu par une officine activée par un rival politique ou une quelconque mafia grecque est infinitésimale ». En effet, le scénario de l’affaire décrit par le menu dans le New York Times laisse peu de place au doute. Il rapporte un comportement dont furent victimes nombre de jeunes femmes qui ont été, dans le passé, amenées pour des raisons professionnelles, à se retrouver en tête à tête avec DSK. Ce serial dragueur est de ceux qui entendent « oui » quand elles disent « non », et qui jurent, une fois passé le pic de production hormonale, qu’ils ne repiqueront plus au truc. Jusqu’à la prochaine fois.

Certes, cette constatation ne réduit pas totalement à néant l’hypothèse d’une machination diabolique destinée à tuer politiquement le principal porteur d’espoir de la gauche française pour l’élection présidentielle. Mais son caractère hautement improbable tient au fait qu’elle aurait pu très facilement être déjouée par sa victime. L’hypothèse d’une affabulation complète ne résiste pas très longtemps à l’examen : si la femme de chambre avait tout inventé, pourquoi cette fuite précipitée ? Mais imaginons un instant que la femme de chambre, soudoyée par un homme de main des comploteurs, ait joué les allumeuses dans la suite à 3000$ la nuit occupée par DSK. En bonne logique, une petite lampe rouge aurait dû s’allumer dans les neurones de l’intéressé, qui fait l’objet d’une campagne insidieuse relative à son niveau de vie et l’acceptation d’un trajet dans la Porsche d’un ami. Se livrer à des galipettes ancillaires sur le sol américain après avoir senti, il y a deux ans, passer le vent du boulet dans l’affaire Piroska Nagy relève soit de la pathologie, soit d’un suicide politique dicté par l’inconscient.

Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse. DSK était coincé : les sondages, l’entourage, la force irrésistible du fatum le conduisaient vers une candidature qui était déjà pratiquement actée. Les premières salves d’attaques ad hominem – mise en doute de son ancrage dans le terroir français par Christian Jacob et Laurent Wauquiez, rappel de ses frasques sexuelles récentes, allusions à ses propriétés immobilières et à la fortune de son épouse – laissaient augurer de celles, encore plus violentes, qu’il allait devoir subir au cœur de la bataille. Il serait malvenu de le blâmer de s’être effrayé d’une castagne où les coups bas et la bave antisémite étaient à coup sûr au programme.

Qui ne paniquerait pas dans cette situation ? Un premier signe de nervosité s’est traduit la semaine dernière par la plainte déposée contre France-Soir qui avait prétendu que DSK s’habillait, à Washington, de costumes à 35 000 $ confectionnés par le fameux Georges de Paris. Faire condamner un canard trash, propriété du rejeton débile d’un oligarque russe, ne relève pas de la plus subtile des stratégies de communication politique.

La retraite en bon ordre était impossible : on ne titille pas ainsi la libido politique d’un peuple pour s’éclipser juste avant de conclure.
Le « meilleur-candidat-du-PS » avait donc besoin qu’un événement imprévu lui ouvre une porte de sortie, au besoin, s’il ne survenait pas spontanément, en le provoquant. L’inconscient de DSK a donc éteint la petite lampe rouge qui l’aurait empêché de faire une grosse bêtise.

La suite est lamentable, et le sera encore plus demain. Fuite de l’hôtel par la porte de derrière, sortie de l’avion d’Air France entre deux flics, nuit glauque dans un commissariat de police de Manhattan, comparution pas rasé devant le juge. Liberté sous caution, sans doute, mais perspective pas tout-à-fait exclue d’aller pour quelque temps taper le carton avec Bernard Madoff. Sans compter le « Bienvenue au club ! » que ne manquera pas de lui adresser l’ex-président israélien Moshe Katzav.

À la question rituelle de ma grand-mère « Est-ce que c’est bon pour nous ? », la réponse est « Mémé, tu me prends vraiment pour un idiot ? »

Néonihilisme contre boyscoutisme planétaire

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Ricanements et sarcasmes : telles seraient les armes favorites des « néonihilistes ». C’est l’une des brillantes idées exposées par un supposé spécialiste en communication politique, François Chérix, dans le Temps du 18 avril[1. Cette tribune de notre ami Roland Jaccard a été refusée par le quotidien suisse Le Temps. On comprendra pourquoi à la lecture…]. On ne s’en étonnera qu’à moitié, le quotidien genevois a refusé de publier la présente réponse.

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, « néonihilistes » c’est le mot savant que Chérix a trouvé pour désigner ceux qu’on appelle – tout aussi sottement – les « néo-réactionnaires ». « En France, une cohorte de bateleurs fait grimper l’audimat, à la manière d’Eric Zemmour ou de Robert Ménard », écrit-il, reprenant des formules déjà usées à force d’avoir été ressassées par la presse. Héritiers des ultralibéraux et des néoconservateurs, mais totalement désabusés, ces « néonihilistes » auraient pour seul objectif leur gloriole. Tous les moyens leur sont bons pour l’obtenir depuis la stigmatisation de l’islam jusqu’à leur complaisance à l’égard des populismes. Arborant volontiers une touche de racisme à leur boutonnière, ils jouent habilement aux boutefeux avec une insouciance de sales gosses. Chérix pratique la méthode éprouvée consistant à caricaturer ses adversaires pour ne pas avoir à se donner la peine de leur répondre.

Chérix, lui, appartient à une autre tribu, celle qui se dévoue inlassablement aux nobles causes – et Dieu ou le Diable savent qu’elles ne font jamais défaut. Chérix est un « buoniste », spontanément acquis à la cause des victimes. Il est aussi un citoyen responsable, soucieux de la complexité des problèmes, conscient que ses idéaux sont hors de sa portée, mais cela ne l’empêche pas d’apporter sa part de bonne volonté à l’entreprise de toute la tribu. On les imagine ensemble, le soir, lisant Indignez-vous ! de Stéphane Hessel en hochant la tête. Le printemps arabe réjouit Chérix et, pour marquer sa solidarité, il a sans doute déjà réservé une suite dans un palace de Djerba. Il ne se demande jamais pourquoi les révolutions font fuir les révolutionnaires. J’oubliais : il est de cœur pro-palestinien et se désole de voir la Chine reculer devant les idéaux démocratiques qui lui tiennent tant à cœur.

Il y a dans le vaste monde beaucoup de Chérix qui participent tous plus ou moins de ce que j’appellerai le boyscoutisme planétaire. Je les admire et regrette parfois de ne pas être comme eux. La bonne conscience, quand même, ce n’est pas rien. Mais en dépit de tous mes efforts, je ne parviens pas à m’indigner.

Le boyscoutisme planétaire, chacun sait ce que c’est. Inutile de l’expliquer. Alors que le néonihilisme, Chérix (François) a pris la peine de le définir. Il est même remonté dans un louable souci pédagogique jusqu’à un sophiste du IVème siècle avant J.C, un certain Gorgias qui lui non plus ne s’embarrassait pas de nuances. Car pour Chérix tout est dans la nuance, sauf sur les sujets qui fâchent : les droits de l’Homme, le respect de l’islam, la peine de mort, la colonisation, l’immigration….Il y a des questions qui ne se discutent pas, à moins d’être néonihiliste ou populiste. Sans oublier toute celles qu’il vaut mieux éviter car leur évocation pourrait être blessante pour les uns ou les autres. Certes, Chérix est un ardent défenseur de la liberté d’expression, mais il serait pour que l’on décrète une fois pour toutes que les valeurs qu’il défend font partie de l’héritage spirituel de l’humanité et ne sauraient, à ce titre, être remises en question.

Car Chérix (François) veut aller de l’avant : il croit en l’idée de progrès, pas comme les « néonihilistes » qui considèrent que c’est un attrape-nigauds. Chérix ( François ) est un homme responsable. Il veut sortir du nucléaire. Il veut laisser une planète propre à ses enfants. C’est un homme sympathique par ailleurs qui n’a aucun tabou, car l’idée même du négatif lui est étrangère. Il n’envisage pas que la vertu est le pire des vices et que « vivre » et « être injuste » sont synonymes. Il a combattu les libéraux, style Blair. Il exècre W. Bush, Wolfowitz et les autres néo-cons. Il a été déçu par l’apathie d’Obama qui n’a même pas tenu sa promesse de fermer un des pires symboles de la barbarie américaine : Guantanamo. Chérix, socialiste et spécialiste en communication, désespérait d’Obama bien avant qu’il ne porte le coup fatal à Ben Laden depuis qu’il est au pouvoir. Mais ce qu’il ne supporte vraiment pas, ce qui lui donne des allergies, ce sont ces « néonihilistes » qui font l’apologie du rien. Il les redoute : « Immanquablement, le camp des destructeurs va grandir », écrit-il. Ces hordes sauvages perturbent ses nuits. Il peine à les comprendre, ce qui est regrettable pour un spécialiste en communication, mais plutôt banal chez un boy-scout. Portons-lui secours en lui rappelant qu’il y a cent ans naissait Cioran, le Vandale des Carpathes, et que pour se mettre un peu à la page il ne serait pas inutile qu’il le lise. Cela lui éviterait de caricaturer la pensée qu’il définit comme « néonihiliste » et de considérer ceux qui s’en réclament comme des filous ne rêvant que de passer à la télévision.

Divorce en vue à Londres?

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photo : Manic Street Preacher

Il y a tout juste un an, David Cameron et Nick Clegg tenaient leur première conférence de presse commune. Tapes sur l’épaule, confidences susurrées à l’oreille, Cameron et son vice-premier ministre libéral-démocrate rivalisaient de minauderies, trop heureux d’avoir fait son affaire à ce ronchon de Gordon Brown. Good bye le Labour, pourtant traditionnel allié des Libéraux-démocrates. Intronisés couple de l’année, Nick et David semblaient indispensables l’un à l’autre. Issus des mêmes écoles et du même milieu, les deux jeunes loups éclaboussaient les spectateurs de leur beauté so british.

À l’époque, Cameron avait manqué de peu la majorité alors que Clegg voulait faire passer à toute force la réforme du système électoral censée lui ouvrir les portes du pouvoir. Leur marché se voulait avant tout pragmatique : « grâce à moi tu deviens Prime Minister ; en retour tu m’offres sur un plateau le référendum qui renverra aux oubliettes de l’histoire le plus vieux système électoral du monde, le First Past The Post (FPTP) ». Dix candidats, celui qui arrive en tête rafle tout, quel que soit son score. Pas très démocratique, mais diablement efficace. Résultat de ce scrutin ultra-majoritaire : depuis Mathusalem ou presque, deux partis se partagent le pouvoir au Royaume-Uni.

Clegg le trouble-fête

Un an et un mariage princier plus tard, le jardin de roses du Ten Downing street résonne encore des embrassades du tandem gouvernemental. L’exécutif au beau fixe ? Ce serait sans compter avec l’arrivée tonitruante de Nick Clegg, ce roi médiatique à la couronne d’épines.
Pendant la dernière campagne législative, le temps de trois débats télévisés, le sémillant lib-dem avait réussi à brouiller les cartes à coups de sourires cajoleurs, de petites phrases piquées à Barack Obama et de discours simples ponctué de « them ». Eux, les rancis, les produits périmés de la vie politique britannique tranchaient avec « me », mes dents blanches, mon idéalisme de bon aloi et le vent de fraîche folie que je faisais souffler sur l’élection.

Les Brits en avaient fait l’arbitre des élégances. Très habilement, avec un zeste de cynisme bonhomme qui laissait présager un sacré métier derrière l’apparence lisse de gendre idéal, Clegg avait tranquillement fait monter les enchères. En échange du soutien des députés libéraux, le nouveau premier ministre conservateur avait concédé un poste de Deputy Prime Minister[1. Equivalent britannique de vice-premier ministre] à Clegg, des ministères-clés pour ses amis et surtout l’assurance d’un référendum sur le système électoral.

L’annus horribilis de Clegg

Depuis, les roses se sont fanées. Consternés par ses reniements permanents, son aplomb à la limite de l’impudence et ses erreurs de jugement monumentales, les Anglais ont à 70% rejeté le référendum dont Clegg avait fait la clé de son avenir. Autrement dit, il vient de perdre son pari, et d’humiliante façon. Le « vote alternatif » introduisant une forte dose de proportionnelle ne passera pas. Plus qu’un homme, la vox populi britannique a rejeté un texte. À l’instar du Traité Constitutionnel Européen, le projet proposé était lourd, obscur et compliqué à mettre un œuvre. À tel point qu’un esprit chagrin ou mal tourné n’hésiterait pas à accuser David Cameron d’avoir intentionnellement fait rédiger par ses services ce condensé indigeste. Honni soit qui mal y pense, bien sûr. En tout cas, le changement attendra.

Que croyez-vous que fit l’inénarrable Clegg après cette claque monumentale ? Il démissionna ? Vous n’y êtes pas du tout. Whitehall vaut bien une messe. Nick a décidé de se « radicaliser » en s’opposant par tous les moyens à la réforme du système de santé porté par Cameron. Partout Clegg s’effondre, rendant illusoire la pérennisation d’une coalition de centre-droit modéré qui n’a jamais existé ailleurs que dans les rêves du Guardian. Cameron et Clegg n’avaient d’ailleurs pas un seul point d’accord idéologique. Tout les séparait et tout les sépare encore : l’avenir des établissements financiers et la scission entre banques d’affaires et de dépôt, l’environnement (les Lib-dems sont des écolos convaincus), la charte des droits fondamentaux, la réforme cruciale du système de santé où Cameron voudrait introduire une forte dose de choix et de concurrence entre les médecins, le nucléaire, l’immigration, la guerre en Libye…. N’en jetez plus.

Cameron : la force tranquille

On peut apprécier ou non le programme des Conservateurs, mais force est de constater que le chef des tories tient le cap au 10 Downing Street. Tranquillement, il avance ses pions avec une assez redoutable maîtrise. Le Premier ministre n’a pas besoin d’une crise politique en ce moment. Ni d’élections anticipées. Assurés d’être battus ou sérieusement mis en danger, les parlementaires lib-dem n’ont d’autre choix que de le suivre. Bravo Maestro. À cynique, cynique et demi.

David Cameron dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Elu pour assainir les finances et tailler dans les dépenses publiques, il assainit et taille. Bon an mal an, les Anglais suivent, serrant les dents et leur ceinture en silence. Un coup à hue, un coup à dia, Clegg qui avait promis de ne pas toucher aux droits d’inscription à l’université accepte leur triplement au motif « qu’il ne connaissait pas la réalité ». Tout en prononçant une diatribe enflammée contre le nucléaire après Fukushima, alors que Cameron vient de commander de nouvelles centrales à Areva pour assurer l’indépendance énergétique du Royaume-Uni… Finalement, en politique, l’amateurisme et le cynisme peuvent aussi se payer cash.

Et pendant ce temps…

Et le Labour, le grand parti d’opposition ? Favorable à la réforme électorale… mais hostile à Clegg, il peine à trouver place et arguments. Dans son fief écossais, à l’occasion des élections municipales organisées en même temps que le référendum, le Scottish national party d’Alex Salmond a raflé la mise, faisant craindre une sécession dans la foulée des flons-flons nationalistes du mariage royal. Un comble. Certes, le Royaume en a vu d’autres, mais l’opposition travailliste peine à retrouver son assise populaire.

Quand il l’estimera opportun, David Cameron appellera les électeurs aux urnes et se débarrassera facilement de son embarrassant allié. Si… les Brits ont encore un ou deux crans à leur ceinture.

Mirbeau, Buñuel et DSK

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Il ne faut jamais laisser l’actualité nous empêcher de relire ou revoir un bon classique. On se reportera donc avec bonheur au Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau (1900), un des grands écorchés de notre littérature de la fin du XIXème siècle, et trop peu lu à notre goût.

Gourmont disait de lui qu’il se réveillait en colère et se couchait furieux, un peu sans doute comme quelqu’un, ces jours-ci, qui aimerait la vie politique comme école de civisme et de dignité. Le roman montrait la propension de la grande bourgeoisie et d’une certaine aristocratie décavée à baiser systématiquement la bonne comme moyen ultime de marquer sa domination de classe, que ce soit pour faire sauter la capsule de l’ainé des garçons ou assurer une manustupration rapide au grand père qui fétichisait sur les bottines cirées.

On pourra compléter cette lecture par le visionnage de son adaptation cinématographique par Luis Buñuel en 1964 avec Jeanne Moreau dans le rôle de la bonne du Sofitel, euh pardon de la femme de chambre d’une gentilhommière normande.

Le Journal d'une femme de chambre

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Soleil vert

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« L’environnement, ça commence à bien faire ! » La saillie de Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture 2010 aurait pu servir d’exergue à l’excellent documentaire rediffusé par France 2 en avril − sauf qu’il date de 2008. Mais qu’importe : non seulement cette enquête, intitulée Les Prêcheurs de l’Apocalypse, ne s’est pas biodégradée, mais elle nous en apprend de belles sur les dérives et les délires de l’Église d’Écologie, qui n’a jamais été aussi influente dans notre Occident décadent.

Sous la houlette de Françoise Castro, productrice, Jérôme Lambert et Philippe Picard retracent les glissements progressifs de l’écologie, qui fut une science avant de devenir une idéologie, puis une nouvelle foi dans l’Ouest. Une foi dont le fondamentalisme, avec ses superstitions et ses tabous, constitue désormais une menace pour l’avenir de l’humanité – à commencer par la sécurité alimentaire mondiale.[access capability= »lire_inedits »]

La planète, c’est nous !

Pour autant, ce documentaire ne semble pas avoir été sponsorisé par je ne sais quelle multinationale polluante, voire transgénique. À les en croire, ses auteurs ne veulent que nous rappeler une évidence : « l’impératif écologique » doit lui-même impérativement être concilié avec l’impératif humain… Faute de quoi la planète sera sauvée, mais sans nous.

Qu’on se rassure : Picard et Lambert n’ont pas d’a priori contre la préservation de l’environnement. Simplement, ils s’interrogent sur cette vague verte qui submerge aujourd’hui le monde occidental : d’où vient-elle et, surtout, jusqu’où ira-t-elle ? Au-delà d’un unanimisme aussi récent que suspect, comment démêler dans la doxa écologiste le vrai du faux – et éviter ainsi des remèdes pires que les maux ?

Pour nous y aider, voici une patarafée de spécialistes, d’universitaires et de chercheurs. Magie du petit écran ! Ils sont venus, ils sont tous là, suisses et hollandais, responsables de l’ONU et de la FAO, étasuniens et antipodistes. Chacun nous éclaire de sa science – et tous nous mettent en garde contre le même péril : l’absurdité qui consisterait à sacrifier l’homme sur l’autel de son environnement. C’est pourtant ce qui risque de se passer si nous n’y prenons garde ! Même que ça a déjà commencé…

DDT contre malaria

Historiquement, la première victoire du lobby écologiste fut l’interdiction du DDT, par les États-Unis d’abord (1972) puis par tout ce qui compte dans la communauté internationale[1. 158 pays ont signé la Convention DDTéicide de Stockholm (2001)]. Et dès ce moment-là, souligne notre documentaire décidément engagé, « l’impératif écologique s’est opposé à l’impératif humain ».

En sa qualité d’insecticide, le DDT avait contribué à éradiquer complètement, chez nous, le paludisme ; pour les mêmes raisons, son interdiction a eu pour conséquence, entre autres, une importante recrudescence de la malaria en Afrique. À tel point qu’il fut décidé finalement − non sans débats, et à titre exceptionnel − de lever l’interdit sur le DDT dans les pays dont la survie en dépendait. Trop aimable.

C’est dans des moments comme ça qu’on se demande si, en fait de religion, l’écologisme occidental ne serait pas plutôt, comme le bouddhisme du même métal : un caprice de riche. Rien à voir, direz-vous ! De fait, la lévitation germanopratine n’a jamais tué personne.

À propos, vous la connaissez, celle des biocarburants ? C’est l’histoire des États-Unis et de l’Union Européenne qui ont décidé de les subventionner au nom de leur croisade commune contre le réchauffement climatique. Le gag, c’est que, pour un ou deux milliards d’hommes, « carburant vert » rime avec crise alimentaire.

Biocarburants ou tortillas ?

Trop souvent, on fabrique les carburants « propres » à partir de végétaux qui seraient propres aussi à l’alimentation humaine. L’anecdote drôle, ici, se situe en 2007 : avec l’essor des biocarburants, notamment aux États-Unis, le cours du maïs a tellement augmenté qu’on a eu des « émeutes de la faim » au Mexique, soudain privé de tortillas[2. Mais en fait, si on y réfléchit bien, la blague n’est drôle que parce que ce sont des Mexicains].

C’était le début de la crise alimentaire mondiale − qui, sans rire cette fois, ne fait que commencer. « L’Occident a la mémoire courte », ose le documentaire : notre propre développement s’est appuyé en grande partie sur cette « agriculture moderne » que nous mettons en accusation aujourd’hui. Avons-nous pour autant le droit d’en priver les pays pauvres ? Les Européens ne jurent plus que par l’agriculture biologique, fort bien ; mais ce modèle peut-il nourrir le monde ? « Bientôt, s’indigne un responsable de la FAO, 20 % de la production mondiale de maïs sera retiré de l’alimentation. C’est une folie ! »

En 2050, on sera quand même neuf milliards (enfin, vous). Pour nourrir tout ce petit monde, il faudra augmenter d’au moins 50 % la production alimentaire mondiale – sans pouvoir étendre à proportion la surface des terres cultivables, et en limitant bien sûr l’usage de l’eau – qui risque de manquer en Afrique avant même qu’il y fasse trop chaud.

Comme le résume fort à propos le Dr Guillet, de l’OMS, c’est très bien de vouloir nous protéger, fût-ce à tout hasard ; encore faut-il prendre en considération d’autres populations, qui ont peut-être d’autres priorités que le CO2. Accessoirement, prévient le bonhomme, à la manière d’un Raspail, « si on ne s’occupe pas de ces gens-là, un jour ou l’autre, ils s’occuperont de nous ! »

Qui craint les grands méchants OGM ?

Plus diplomatiquement, disons que l’altruisme peut n’être qu’un égoïsme bien pensé. Pour assurer la sécurité alimentaire aux pays pauvres – c’est à dire la paix chez nous ! –, faisons donc proprement notre boulot de pays surdéveloppés : progressons en matière de biotechnologies ! Sans offenser Dieu, « créons », par croisement et sélection des espèces, des plantes toujours plus résistantes – notamment face aux changements climatiques tant redoutés.

Le problème, c’est qu’on a peur aussi des OGM[3. Moi c’est l’aspartame, et aussi mes deux portables]. Pourtant, observe le Pr Axel Kahn, le génie génétique fait déjà partie de notre vie : un nombre toujours croissant de nos médicaments sont des OGM, sans que personne n’appelle à les boycotter. Et qui songerait à interdire l’insuline aux diabétiques ?

Alors, au nom de quoi bloquer la recherche en matière de plantes transgéniques ? Et si, demain, elles s’avéraient indispensables pour contribuer à nourrir la planète ? Or, depuis vingt ans, la recherche en biotechnologie piétine, s’inquiète Guy Riba de l’INRA. « Le seul résultat, ajoute-t-il avec une ironie amère (à moins que ce ne soit l’inverse), aura été de renforcer les multinationales du secteur. » Bové, Monsanto, même combat ? Sans aller jusque-là, les responsables et porte-parole divers des pays pauvres, notamment africains, semblent passablement horripilés par l’obnubilation écologiste en vogue chez nous, les ravis de la couche.

Bon sens et mauvaises fois

« Entre le DDT et les OGM, qu’est-ce qui est le plus anti-écologique ? » persifle le président de l’Association des producteurs de coton africains. Abdoulaye Wade, président du Sénégal, préfère dramatiser – avec des accents de populisme panafricain qui ne mangent pas de pain, si j’ose dire : « L’Afrique a faim, et vous lui dites de se serrer la ceinture !, balance-t-il à la tribune de la FAO… Je reviendrai peut être vous demander la ceinture ! »

Au-delà du spectacle, le résumé de la situation par le président Wade[4. Et non pas Le Président et Miss Wade.] n’est pas faux. Chez nous, observe Axel Kahn, les OGM sont devenus l’enjeu d’un débat quasi théologique : on doit être pour ou contre – de préférence contre. Mais il ne suffit pas d’avoir choisi le bon camp ; encore faut-il s’y tenir strictement, sous peine d’être traité d’hérétique. Apparemment, Axel Kahn sait de quoi il parle.

En France, les gouvernements successifs ont toujours hésité à adopter, dans cette affaire, une position tranchée ; mais leurs décisions cumulées aboutissent à une interdiction de fait des OGM par précaution (de principe). Absurde autant qu’hypocrite ! s’énerve Guy Riba. Si vraiment les OGM présentent un risque pour la santé publique, alors il faut interdire non seulement leur production, mais leur importation : « 70 % des produits transformés chez nous dérivent de produits transgéniques… Un peu de cohérence ! »

Du risque zéro à la politique zéro

Mais le principe de précaution ne s’embarrasse pas de ce genre de détails : De minimis non curat praetor ! Il a désormais les moyens de sa politique : inscrit dans notre Constitution depuis 2005, il peut conduire demain n’importe quel le pouvoir à interdire n’importe quelle innovation scientifique ou technique au nom de n’importe quel « risque potentiel ». Or, comme chacun sait, le risque zéro n’existe pas. Ça me rappelle l’histoire du sourd : « Si je m’écoutais, je ne ferais jamais rien ! »

Bien sûr, il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas de conneries… Sauf quand ne rien faire est la pire des conneries. Et lorsqu’il s’agit d’agir, c’est-à-dire de trancher, la prise de risque peut s’avérer nécessaire, euphémise le biologiste Pierre Joliot-Curie, professeur au Collège de France – avant d’illustrer joliment sa pensée : « Vu les conditions dans lesquelles Pasteur a fait ses premières vaccinations, aujourd’hui il irait directement en prison. »

La science, hier solution à tous nos problèmes – y compris métaphysiques – est devenue la cause de tous nos maux. Sic transit Chicago authority, comme disaient à peu près nos Anciens. Reste que ce néo-obscurantisme est parfaitement aberrant : sans l’aide de la science, nous ne parviendrons à sauver ni la planète, ni les humains qui, jusqu’à présent, l’habitent. Plus précisément, avertit le Pr Ingo Potrykus (mais oui), biologiste zurichois : « Si nous n’utilisons pas tous les moyens technologiques à notre disposition pour augmenter la production agricole mondiale, nous allons au-devant d’une catastrophe majeure. »

Pompidou, toujours vert !

« Gouverner, c’est choisir entre deux inconvénients », disait le regretté Georges Pompidou[5. Dans une interview (re)diffusée chez Taddeï, le 12 avril, au cours d’une « soirée Pompidou » comme on aimerait en voir plus souvent]. « Inventeur », en 1971, du ministère de l’Environnement, il lui fixait comme objectif d’« organiser le progrès économique d’une manière compatible avec le respect de l’environnement ». Et non pas l’inverse parce que, ajoutait-il avec sa lueur malicieuse dans l’œil, « de toute façon, vous savez, on n’arrête pas le progrès ! »

Brève de comptoir, ou réflexion de chef d’État ? Les deux, mon bougnat ! En fait de présidents de la République, je tiens même que c’est sa mort à lui qui a arrêté le progrès. Mais c’est le pompidolien historique qui parle ici – pas le chroniqueur subtil et pondéré auquel je vous ai habitués. À mes yeux, Pompidou faisait mieux que tous les autres, De Gaulle compris, le départ entre sa personne et sa fonction. C’est d’ailleurs à son propos que Marie-France Garaud[6. Toujours dans le nunéro du 12 avril de « Ce soir ou jamais ! » consacré à Georges Pompidou, après la diffusion du téléfilm Mort d’un président] cite Giscard, pour le contredire bien sûr : « Le président de la République n’est pas un homme comme les autres, tout simplement parce qu’il a la responsabilité des autres ! »

J’aime l’intransigeance courtoise de cette dame – au point de me demander si mon pompidolisme ne serait pas en fait un garaudisme. Il est vrai aussi que Mme Garaud présente l’avantage d’être toujours là – et même plus souvent qu’avant, grâce à Taddeï en particulier.

Utopie irresponsable, ou pessimisme actif ?

Vous me direz : quel rapport avec la choucroute verte ? Mais l’exercice du pouvoir tout simplement, et les responsabilités qu’il impose. Il y a sur cette question essentielle un fossé entre l’irénisme écologiste et le pessimisme actif qui doit guider tout gouvernant – chargé d’éviter le pire plutôt (ou plus tôt) que de se lancer pour la énième fois dans la difficile édification du « meilleur des mondes »[7. Voir par ex., à ce sujet, le XXe siècle].

C’est quand même aux politiques − nom d’un petit bonhomme en bois vert ! − qu’il appartient de veiller aux intérêts du pays et aux besoins du peuple. Sans parler de la nécessaire concertation entre nations sur les sujets d’intérêt commun – et Dieu sait que la sécurité mondiale en est un !
C’est même la raison pour laquelle, au nom de l’intérêt supérieur de tout le monde, j’ai l’honneur d’exiger par la présente la séparation immédiate de l’Église d’Écologie et de l’État.[/access]

DSK divise les Verts

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J’ai suffisamment dit de vilenies par ici sur Cécile Duflot pour ne point la féliciter quand elle souligne, assez isolément, que le droit à la justice, et donc aussi à la présomption d’innocence vaut pour tout le monde dans l’affaire qui nous rive tous à nos ordiradiotélés et que tout le monde, ben, c’est tout le monde et pas seulement DSK.

En effet, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts a fait entendre une voix un rien dissonante en réclamant au micro de RMC « la justice pour la jeune femme qui a porté plainte pour des faits qui, s’ils sont avérés, sont très graves. La justice pour Dominique Strauss Kahn qui bénéficie de la présomption d’innocence ».

On notera au passage que Cécile Duflot, a tout simplement oublié de prononcer le crédo rituel à gauche si justement pointé par Me Rodolphe : « Cela ne ressemble pas au DSK que je connais », ni même un produit dérivé du genre de celui délivré ce matin par sa camarade Eva Joly sur France Info : « C’est un drame, c’est un cauchemar, et j’espère que nous allons nous réveiller de ce cauchemar ».

On notera que cette même interview a donné l’occasion à la primocandidate écolo à la présidentielle de s’exprimer sur les différences entre le système judiciaire américain et le notre : « C’est un système accusatoire où les procureurs réunissent les éléments à charge alors qu’en France, on fait plus attention, on réunit les éléments à charge et à décharge ».

Rien qu’à imaginer Eva Joly et l’ensemble de ses confrères magistrats instructeurs passant leurs nuits à réunir des éléments à décharge, j’en ris encore. Mais peut-être que les innocents emprisonnés d’Outreau et d’ailleurs trouvent ça moins drôle…

« Cela ne ressemble pas au DSK que je connais »

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image : gunthert (Flickr)

Depuis l’affaire dite de la Porsche, le grand-public savait que Dominique Strauss Kahn disposait d’un staff conséquent de conseillers et de communicants – cela fait belle lurette que les journalistes n’en ignorent rien. Les événements de New York ont prouvé à quel point ils étaient compétents. Insensiblement, les « éléments de langage », comme on dit dans ce milieu, ont été diffusés, répétés et amplement relayés. Au-delà de l’incontournable – et néanmoins légitime – référence à la présomption d’innocence, la pierre angulaire du discours choisi par les spin doctors de DSK, c’est l’incrédulité.

Depuis dimanche matin, de Jean-Marie Le Guen à Jean-Christophe Cambadélis en passant par le biographe autorisé Michel Taubmann, combien de proches a-t-on entendu rabâcher la même phrase : « Cela ne ressemble pas au DSK que je connais » ? Techniquement, l’idée est simple mais forte : marteler l’incompatibilité entre le profil psychologique et les faits.

Séducteur oui, violeur non. Une fois ce présupposé acquis, le complot que d’aucuns soupçonnent entre les lignes prend alors un début d’épaisseur. Qui veut faire tomber le patron du FMI? Les Américains, les Allemands, les Russes, les Grecs, l’Elysée ? Quelle que soit la pseudo-piste, l’angle choisi est le bon car il découple la réputation de DSK des faits et le dossier s’en trouve, de ce fait, très allégé.

Seulement voilà, à peine cet axe ébauché, patatras !, un autre dossier sort ou plutôt ressort. Celui de Tristane Banon (journaliste et filleule de la deuxième épouse de DSK) qui se plaint d’une agression sexuelle commise en 2002. En 2007, elle avait évoqué l’épisode sur Paris Première dans le cadre de l’émission « 93, Faubourg Saint-Honoré » animée par Thierry Ardisson sans que le nom de DSK, qu’elle qualifie de « chimpanzé en rut », fût cité à l’antenne (il a été couvert par un bip).

On voit tous les convives réunis par le présentateur autour de sa table écouter Tristane Banon relater sa version des faits sans qu’aucun ne semble surpris, heurté ou gêné par ce déballage, y compris lorsque la jeune femme indique : « Il a voulu que je lui tienne la main pour répondre, puis le bras… On a fini par se battre (…) on sʼest battus au sol (…) jʼai donné des coups de pied, il a dégrafé mon soutien-gorge, il a essayé d’ouvrir mon jean. (…) Quand on se battait, je lui avais dit le mot « viol » pour lui faire peur, ça ne lui a pas fait peur plus que ça, comme quoi apparemment il était habitué. »

Ce dossier englouti est aujourd’hui ramené à la surface par la mère de Tristane Banon, Anne Mansouret, élue socialiste de Haute-Normandie et candidate aux primaires, qui se dit très culpabilisée d’avoir dissuadé sa fille dʼintenter une action en justice à lʼépoque du chef d’agression sexuelle. La description des faits est similaire en tous points à celle de la plaignante américaine.


DSK et Tristane Banon (15/05/2011) par JaneBurgermeister

Thierry Ardisson considère d’ailleurs que le rapport de DSK aux femmes est pathologique ou compulsif, de l’ordre du sex-addict. Anne Mansouret, quant à elle, ne dit pas autre chose: « Pour moi, Dominique Strauss-Kahn est malade. Ce nʼest pas une injure de dire cela, il a un vrai problème: une addiction au sexe, comme dʼautres ont des soucis avec lʼalcool, la drogue ou le jeu. Il est malade. Sur les faits eux- mêmes, je ne peux pas me prononcer, je nʼy étais pas. Mais pour moi, cʼest très plausible que cette femme ait été agressée sexuellement. En revanche, je suis formelle, il a bien tenté dʼabuser de Tristane. »

À bien y réfléchir, le choix d’axer la défense sur le profil psychologique de DSK – décrété par les siens comme incompatible avec les inculpations -, n’est peut-être pas le plus judicieux. Oserait-on dire que les faits sont têtus?

Quand Alep s’éveillera

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étudiants en médecine à Alepo. image : photo d'écran youtube

Sept semaines et autant de centaines de morts après le début de la contestation en Syrie, la liste des villes et localités touchées par le mouvement ne cesse de s’allonger. De Deraa, au sud, à Qamishli au nord-est, d’Abou-Kamal à la frontière irakienne et à Lattaquié sur la côte méditerranéenne en passant par Damas, les foyers de contestation contre le régime s’allument sur la carte de la Syrie comme les boutons d’acné sur le visage d’un adolescent.

Or, plus le mouvement s’étend, plus une absence se fait remarquer : celle d’Alep. La deuxième ville du pays par sa population et la première par sa contribution à l’économie nationale reste en dehors de la mêlée. Etant donné son poids démographique, économique et symbolique, son entrée dans la danse risquerait de porter au pouvoir un coup fatal. Du reste, plusieurs médias ont analysé la manifestation de quelques milliers d’étudiants mercredi dernier comme un événement important, si ce n’est un tournant dans la crise syrienne.

Pour autant, il ne s’agit pas d’aller trop vite en besogne. À y regarder de plus près, rien n’indique pour le moment qu’Alep ait décidé de lâcher Bachar el-Assad. Pour cette ville industrieuse et commerçante, le martyre n’est pas un business-model répertorié. Soyons juste, la contestation du régime n’a pas totalement épargné Alep. Si le président syrien tombe un jour, la cité trouvera sûrement le moyen de tresser des couronnes de laurier et d’ériger des monuments aux combattants pour la liberté. Mais il faut reconnaître que ceux-ci n’ont pas jusque-là constitué de très gros bataillons à en juger par l’affluence observée lors des manifestations: quelques centaines le 13 avril, une poignée le 4 mai. Il faut surtout signaler qu’elles étaient toutes confinées au campus universitaire. La timidité aleppine a aussi été flagrante le 22 avril, lors du « Grand vendredi » qui s’est soldé par la mort d’une centaine de Syriens. Les habitants d’Alep qui tiennent un journal intime auraient pu s’inspirer pour cette journée historique de la phrase rédigée par Louis XVI le 14 juillet 1789 : « Rien ».

Même après le rassemblement estudiantin du 11 mai, la situation à Alep n’a pas changé de façon notable. Comme auparavant, la manifestation est restée circonscrite à l’intérieur du campus, et si les 2000 participants traduisent une mobilisation en hausse, ils ne doivent pas faire oublier que l’écrasante majorité des 65 000 étudiants inscrits à l’université d’Alep n’y ont pas pris part. De plus, le fait que l’essentiel du mouvement se soit déroulé à proximité des dortoirs de la fac et que les principaux slogans aient exigé la levée de l’état de siège à Banias et Homs laisse penser qu’il ne s’agissait probablement pas d’étudiants aleppins. Autrement dit, il serait hâtif d’en conclure qu’Alep est sortie de sa réserve.

L’attitude disons circonspecte des Aleppins depuis le début des troubles rappelle qu’en plus de ses aspects communautaires, confessionnels et politiques, la contestation en Syrie a aussi une dimension socio-économique. Ainsi, le premier foyer de rébellion, Deraa, est une ville pauvre, provinciale et traditionnelle – autrement dit l’absolue opposée de la riche et immense métropole qu’est Alep. Ce sont deux mondes, deux Syries qui n’ont que très peu de choses en commun. L’explosion du Horan, région marginale et marginalisée où se trouve Deraa, est le résultat de mille humiliations dont la moindre n’est pas d’avoir été oubliée et abandonnée dans le développement économique du pays. Ce n’est absolument pas le cas d’Alep, où une large classe moyenne urbanisée vit confortablement au cœur d’une activité industrielle et commerciale relativement prospère, à proximité d’un aéroport international rénové il y a une dizaine d’années et d’une grande université. Rien à voir entre les larges rues commerçantes et le quartier d’affaires de cette métropole du nord de la Syrie, proche de la frontière turque et de ses opportunités, et la misère poussiéreuse de Deraa dont la proximité avec les frontières israélienne et jordanienne ne fait apparemment rêver personne.

Pour l’instant, el-Assad et ses proches peuvent encore contenir Alep en brandissant le spectre d’une « deraïsation » de la Syrie. S’ils ne sont pas tous des bourgeois, les Aleppins, qui pourraient y perdre gros, semblent, dans leur grande majorité, fort sensibles à l’argument. Si on y ajoute un léger mépris pour les provinciaux et la peur que suscite l’attachement excessif de ceux-ci à la mosquée, on comprend qu’Alep ne soit pas prête à lâcher le clan au pouvoir. Cependant, ce choix a un prix économique. La consommation intérieure étant le moteur principal des industries et des commerces locaux, le pourrissement de la crise n’est pas une option très engageante. Même quand ils en ont les moyens, les habitants de Banias, Lattaquié et à Damas n’ont pas la tête à consommer. Le tourisme et les voyages d’affaire connaissent une baise notable, particulièrement sensible pour Alep qui accueille de nombreuses foires. Et si modestes qu’elles soient pour l’instant, les sanctions perturbent sans doute le sommeil de plus d’un honorable commerçant. Focalisés sur l’expérience iranienne, nous guettons le moment où l’armée bascule, convaincus que c’est celui où la contestation devient révolution. Peut-être devrions-nous réviser Marx et Lénine pour nous rappeler que les révolutions sont souvent faites par des bourgeois mécontents. Ceux d’Alep ne semblent pas avoir une vocation particulière pour l’héroïsme sacrificiel, mais s’ils n’ont pas d’autre choix, ils préfèreront encore le martyr à la faillite.

DSK, triviales poursuites

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A propos de qui Hervé Morin a-t-il déclaré : « Ce n’est pas mon ami politique, mais pour autant je revendique pour lui la présomption d’innocence  » ?

De qui Ségolène Royal parlait-elle en martelant à quinze reprises à Jean-Pierre Elkabbach : « Tout reste à vérifier » ?

Dans quelle affaire François Hollande a-t-il ainsi mis les journalistes en garde : «Il faut faire très attention, il n’y a pas de preuve de culpabilité« ?

Quel inculpé le porte-parole du gouvernement s’est-il – fort à propos – refusé à condamner d’avance sans preuves ni jugement en recommandant à tous d’ « être d’une extraordinaire prudence dans l’expression, dans l’analyse, dans les commentaires et dans les conséquences » ?

Si vous avez répondu Laurent Blanc, Eric Woerth ou même Xavier Dupont de Ligonnès, vous avez tout faux. A moins que ce soient les tenants de la présomption d’innocence à géométrie variable qui, en vrai, ont tout faux…

DSK : un feuilleton indécent

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photo : FMI (Flickr)

D’un côté, je suis mort de rire. Des réveils comme ça, j’achète tous les jours. C’est vache, c’est malsain, c’est peu charitable, c’est tout ce que vous voudrez, mais c’est comme ça et vous êtes comme moi.

Une star mondiale, du sexe, des policiers, une chambre d’hôtel à 3000 dollars au cœur de Times Square, une jeune soubrette en larmes, un criminel présumé en fuite, une arrestation en plein ciel ou presque, il ne manquait plus que les menottes, dont hélas pour les caméras, DSK a été dispensé.

Et vous voudriez que je boude mon plaisir ? Pas question, j’en veux, j’en redemande, j’y puise même assez d’énergie pour trouver l’envie d’en dire trois mots au détriment de mon oisiveté du dimanche matin : pas de trêve dominicale pour Dominique !

D’un autre côté, je suis effondré. La messe est dite. Dès 6h30, il était entendu pour l’ensemble des commentateurs que DSK ne pouvait plus être candidat à la présidentielle. Editions spéciales partout, exit la victoire de Lille en Coupe de France et celle de l’Azerbaïdjan à l’Eurovision.

C’est le bal des faux-culs à tous les étages, et nolens volens, j’y contribue moi aussi : chacun insiste sur la présomption d’innocence du patron du FMI, mais chaque mot consacré à l’affaire, chaque seconde d’antenne, chaque image broadcastée (Ah la la, cette photo devant le Sofitel avec le fourgon de police « Crime Scene Unit ») est un clou de plus planté dans le cercueil de DSK.

Or, les seuls faits avérés sont l’arrestation et la triple inculpation (agression sexuelle, tentative de viol et séquestration) du présumé coupable. Tout le reste n’est que conjectures, et donc viol, incontestable celui-là, de la présomption d’innocence.

Et pour prouver que la présomption d’innocence n’est pas un supplément d’âme ou un luxe dispensable, récapitulons l’histoire : DSK sort nu comme un ver de sa douche, et tombe, si j’ose dire, nez à nez avec la femme de chambre qui, comme d’hab’ a à peine frappé trois petits coups à la porte, avant de s’octroyer sans délai le droit d’entrer dans la suite pour déposer des chocolats sur l’oreiller[1. Note à l’attention de tous mes confères, les femmes de chambre des grands hôtels tiennent mordicus à cette appellation, et détestent être qualifiées de « femmes de ménage »]. Jusque là, les récits convergent[2. Vous ne lisez pas en ce moment le Canard Enchaîné, « convergent » n’est donc pas un jeu de mot pour nonagénaires]. Ensuite, ça se gâte pour cause de prétendue gâterie : l’employée accuse DSK d’avoir voulu la contraindre manu militari à des pratiques sexuelles non consenties. C’est peut-être vrai. Ou peut-être pas. On peut déjà savoir qu’on ne saura jamais.

Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’aux USA, des universitaires de renom ont perdu leurs chaires après des accusations d’étudiantes leur reprochant de les avoir regardées trop fixement durant un cours magistral. Même scénario pour ces PDG virés du jour au lendemain pour avoir complimenté dans l’ascenseur une secrétaire sur sa nouvelle robe. Avec, à la clef pour les plaignantes, la célébrité d’un jour et quelques millions de dollars de dommages et intérêts.

On ne saura donc jamais si DSK a agressé ou pas cette femme de chambre, on sait déjà qu’il y avait pour elle des motifs sonnants et trébuchants de l’alléguer. Et que DSK, même innocent comme l’agneau pascal, même ayant commis pour seul crime de ne pas prendre sa douche tout habillé, avait le cas échéant de bonnes raisons, compte tenu de sa mauvaise réputation, de vouloir changer dare-dare de crèmerie face à cette inconnue qui l’accusait de viol. Un mot sur cette mauvaise réputation : ce n’est pas parce qu’un type qui habite dans ma rue a déjà été pincé douze fois à voler des scooters qu’il a forcément volé le mien. Mais c’est normal que les flics ne le croient pas sur parole quand il clame son innocence. Et c’est normal aussi que le multirécidiviste préfère s’enfuir par la porte au fond du jardin quand la police sonne chez lui, qu’il soit ou non l’auteur de ce larcin-là. Avec le recul, on se dit que la fuite rocambolesque de DSK lui donne l’air, comme disait l’autre, forcément coupable, mais bon, j’aurais probablement fait pareil : que celui qui n’a jamais déraillé sous l’effet de la panique reçoive la première pierre, car c’est un vilain menteur. Enfin, et je suis désolé de vous le dire, mais une condamnation, ou non, en justice ne changera rien à ma certitude qu’on ne connaîtra jamais le fin mot de l’affaire : j’ai encore quelque part dans mes armoires mon T-shirt « Free Mike Tyson Now !»[3. En 1992, Mike Tyson avait été condamné sans trop de preuves à trois ans de prison ferme pour le viol d’une jeune fille de 18 ans, Desiree Washington. Je n’ai déjà pas une confiance aveugle dans la justice de mon pays, alors celle des autres…]

Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il n’y avait absolument aucune obligation de faire tout ce cinéma (je pense notamment à l’arrestation dans l’avion et l’inculpation immédiate). On voit mal DSK se soustraire, façon Oussama Ben Laden, à la justice américaine, mais alors quel manque à gagner pour les attorneys locaux en campagne électorale permanente.

Une fois encore, je ne sais rien des faits, pas plus que vous. Deux personnes sur Terre seulement les connaissent. S’ils ont été commis, cela discrédite moralement DSK pour toute fonction exécutive d’importance. S’ils sont imaginaires, et bien on s’en fout, puisque les jeux sont déjà faits…

C’est la mort dans l’âme que j’aurais voté DSK au second tour de 2012. Une femme de chambre, un proc et mon propre voyeurisme viennent de me priver de ce crève-cœur. Je ne les en remercie pas.

Dominique trousse et cane ?

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photo : kacacca (Flickr)

Le privilège de l’insomniaque est de pouvoir annoncer à ses contemporains les nouvelles étonnantes survenues dans la nuit, et de guetter les réactions sur le visage enchifrené de ses proches. « C’est une machination ! ». Telle fut la réaction de la personne avec qui je partage depuis quelques décennies le quotidien et le nocturne, lorsque je l’informai des ennuis tout récents du secrétaire général du Fonds monétaire international.

« Hélas, non !, la détrompé-je. J’aimerais bien qu’il en soit ainsi, mais la probabilité d’un piège tendu par une officine activée par un rival politique ou une quelconque mafia grecque est infinitésimale ». En effet, le scénario de l’affaire décrit par le menu dans le New York Times laisse peu de place au doute. Il rapporte un comportement dont furent victimes nombre de jeunes femmes qui ont été, dans le passé, amenées pour des raisons professionnelles, à se retrouver en tête à tête avec DSK. Ce serial dragueur est de ceux qui entendent « oui » quand elles disent « non », et qui jurent, une fois passé le pic de production hormonale, qu’ils ne repiqueront plus au truc. Jusqu’à la prochaine fois.

Certes, cette constatation ne réduit pas totalement à néant l’hypothèse d’une machination diabolique destinée à tuer politiquement le principal porteur d’espoir de la gauche française pour l’élection présidentielle. Mais son caractère hautement improbable tient au fait qu’elle aurait pu très facilement être déjouée par sa victime. L’hypothèse d’une affabulation complète ne résiste pas très longtemps à l’examen : si la femme de chambre avait tout inventé, pourquoi cette fuite précipitée ? Mais imaginons un instant que la femme de chambre, soudoyée par un homme de main des comploteurs, ait joué les allumeuses dans la suite à 3000$ la nuit occupée par DSK. En bonne logique, une petite lampe rouge aurait dû s’allumer dans les neurones de l’intéressé, qui fait l’objet d’une campagne insidieuse relative à son niveau de vie et l’acceptation d’un trajet dans la Porsche d’un ami. Se livrer à des galipettes ancillaires sur le sol américain après avoir senti, il y a deux ans, passer le vent du boulet dans l’affaire Piroska Nagy relève soit de la pathologie, soit d’un suicide politique dicté par l’inconscient.

Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse. DSK était coincé : les sondages, l’entourage, la force irrésistible du fatum le conduisaient vers une candidature qui était déjà pratiquement actée. Les premières salves d’attaques ad hominem – mise en doute de son ancrage dans le terroir français par Christian Jacob et Laurent Wauquiez, rappel de ses frasques sexuelles récentes, allusions à ses propriétés immobilières et à la fortune de son épouse – laissaient augurer de celles, encore plus violentes, qu’il allait devoir subir au cœur de la bataille. Il serait malvenu de le blâmer de s’être effrayé d’une castagne où les coups bas et la bave antisémite étaient à coup sûr au programme.

Qui ne paniquerait pas dans cette situation ? Un premier signe de nervosité s’est traduit la semaine dernière par la plainte déposée contre France-Soir qui avait prétendu que DSK s’habillait, à Washington, de costumes à 35 000 $ confectionnés par le fameux Georges de Paris. Faire condamner un canard trash, propriété du rejeton débile d’un oligarque russe, ne relève pas de la plus subtile des stratégies de communication politique.

La retraite en bon ordre était impossible : on ne titille pas ainsi la libido politique d’un peuple pour s’éclipser juste avant de conclure.
Le « meilleur-candidat-du-PS » avait donc besoin qu’un événement imprévu lui ouvre une porte de sortie, au besoin, s’il ne survenait pas spontanément, en le provoquant. L’inconscient de DSK a donc éteint la petite lampe rouge qui l’aurait empêché de faire une grosse bêtise.

La suite est lamentable, et le sera encore plus demain. Fuite de l’hôtel par la porte de derrière, sortie de l’avion d’Air France entre deux flics, nuit glauque dans un commissariat de police de Manhattan, comparution pas rasé devant le juge. Liberté sous caution, sans doute, mais perspective pas tout-à-fait exclue d’aller pour quelque temps taper le carton avec Bernard Madoff. Sans compter le « Bienvenue au club ! » que ne manquera pas de lui adresser l’ex-président israélien Moshe Katzav.

À la question rituelle de ma grand-mère « Est-ce que c’est bon pour nous ? », la réponse est « Mémé, tu me prends vraiment pour un idiot ? »

Néonihilisme contre boyscoutisme planétaire

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Ricanements et sarcasmes : telles seraient les armes favorites des « néonihilistes ». C’est l’une des brillantes idées exposées par un supposé spécialiste en communication politique, François Chérix, dans le Temps du 18 avril[1. Cette tribune de notre ami Roland Jaccard a été refusée par le quotidien suisse Le Temps. On comprendra pourquoi à la lecture…]. On ne s’en étonnera qu’à moitié, le quotidien genevois a refusé de publier la présente réponse.

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, « néonihilistes » c’est le mot savant que Chérix a trouvé pour désigner ceux qu’on appelle – tout aussi sottement – les « néo-réactionnaires ». « En France, une cohorte de bateleurs fait grimper l’audimat, à la manière d’Eric Zemmour ou de Robert Ménard », écrit-il, reprenant des formules déjà usées à force d’avoir été ressassées par la presse. Héritiers des ultralibéraux et des néoconservateurs, mais totalement désabusés, ces « néonihilistes » auraient pour seul objectif leur gloriole. Tous les moyens leur sont bons pour l’obtenir depuis la stigmatisation de l’islam jusqu’à leur complaisance à l’égard des populismes. Arborant volontiers une touche de racisme à leur boutonnière, ils jouent habilement aux boutefeux avec une insouciance de sales gosses. Chérix pratique la méthode éprouvée consistant à caricaturer ses adversaires pour ne pas avoir à se donner la peine de leur répondre.

Chérix, lui, appartient à une autre tribu, celle qui se dévoue inlassablement aux nobles causes – et Dieu ou le Diable savent qu’elles ne font jamais défaut. Chérix est un « buoniste », spontanément acquis à la cause des victimes. Il est aussi un citoyen responsable, soucieux de la complexité des problèmes, conscient que ses idéaux sont hors de sa portée, mais cela ne l’empêche pas d’apporter sa part de bonne volonté à l’entreprise de toute la tribu. On les imagine ensemble, le soir, lisant Indignez-vous ! de Stéphane Hessel en hochant la tête. Le printemps arabe réjouit Chérix et, pour marquer sa solidarité, il a sans doute déjà réservé une suite dans un palace de Djerba. Il ne se demande jamais pourquoi les révolutions font fuir les révolutionnaires. J’oubliais : il est de cœur pro-palestinien et se désole de voir la Chine reculer devant les idéaux démocratiques qui lui tiennent tant à cœur.

Il y a dans le vaste monde beaucoup de Chérix qui participent tous plus ou moins de ce que j’appellerai le boyscoutisme planétaire. Je les admire et regrette parfois de ne pas être comme eux. La bonne conscience, quand même, ce n’est pas rien. Mais en dépit de tous mes efforts, je ne parviens pas à m’indigner.

Le boyscoutisme planétaire, chacun sait ce que c’est. Inutile de l’expliquer. Alors que le néonihilisme, Chérix (François) a pris la peine de le définir. Il est même remonté dans un louable souci pédagogique jusqu’à un sophiste du IVème siècle avant J.C, un certain Gorgias qui lui non plus ne s’embarrassait pas de nuances. Car pour Chérix tout est dans la nuance, sauf sur les sujets qui fâchent : les droits de l’Homme, le respect de l’islam, la peine de mort, la colonisation, l’immigration….Il y a des questions qui ne se discutent pas, à moins d’être néonihiliste ou populiste. Sans oublier toute celles qu’il vaut mieux éviter car leur évocation pourrait être blessante pour les uns ou les autres. Certes, Chérix est un ardent défenseur de la liberté d’expression, mais il serait pour que l’on décrète une fois pour toutes que les valeurs qu’il défend font partie de l’héritage spirituel de l’humanité et ne sauraient, à ce titre, être remises en question.

Car Chérix (François) veut aller de l’avant : il croit en l’idée de progrès, pas comme les « néonihilistes » qui considèrent que c’est un attrape-nigauds. Chérix ( François ) est un homme responsable. Il veut sortir du nucléaire. Il veut laisser une planète propre à ses enfants. C’est un homme sympathique par ailleurs qui n’a aucun tabou, car l’idée même du négatif lui est étrangère. Il n’envisage pas que la vertu est le pire des vices et que « vivre » et « être injuste » sont synonymes. Il a combattu les libéraux, style Blair. Il exècre W. Bush, Wolfowitz et les autres néo-cons. Il a été déçu par l’apathie d’Obama qui n’a même pas tenu sa promesse de fermer un des pires symboles de la barbarie américaine : Guantanamo. Chérix, socialiste et spécialiste en communication, désespérait d’Obama bien avant qu’il ne porte le coup fatal à Ben Laden depuis qu’il est au pouvoir. Mais ce qu’il ne supporte vraiment pas, ce qui lui donne des allergies, ce sont ces « néonihilistes » qui font l’apologie du rien. Il les redoute : « Immanquablement, le camp des destructeurs va grandir », écrit-il. Ces hordes sauvages perturbent ses nuits. Il peine à les comprendre, ce qui est regrettable pour un spécialiste en communication, mais plutôt banal chez un boy-scout. Portons-lui secours en lui rappelant qu’il y a cent ans naissait Cioran, le Vandale des Carpathes, et que pour se mettre un peu à la page il ne serait pas inutile qu’il le lise. Cela lui éviterait de caricaturer la pensée qu’il définit comme « néonihiliste » et de considérer ceux qui s’en réclament comme des filous ne rêvant que de passer à la télévision.