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De l’allégeance aux petites phrases

Jean-François Copé et Gérard Longuet à la convention UMP sur la Défense. Photo : UMP

Parfois, il faut s’astreindre à des exercices contraignants qui peuvent se révéler amusants. Comme assister aux trois heures de débats de la convention UMP sur la Défense, qui se tenait mardi soir à l’Assemblée nationale. L’exercice m’a été grandement facilité puisque je confesse une passion masochiste pour ce qui porte des galons et ce qui concerne l’Otan. Mais plus sérieusement, le raout organisé par Jean-François Copé et ses amis, pour préparer le scrutin présidentiel, a surtout été l’occasion de mesurer la grande misère du journalisme politique.

Qu’on se rassure, pas question ici de se mettre au-dessus des partis. Comme les confrères, votre serviteuse se délecte des piques, des petites phrases et de l’écume du débat. Et trouve même rigolo de commenter en live un débat (comme ce fut le cas ici avec Marc Cohen lors du premier débat socialiste d’avant les primaires). Comme tout le monde, je préfère dire des saloperies sur les stratégies des uns et des autres plutôt que de plonger dans le dur de la création d’une banque d’investissement pour les PME, ou de la séparation en deux des établissements financiers. Il n’empêche. On ne peut pas sans arrêt pleurnicher entre confrères sur le fait que « on-parle-jamais-du-fond » et, quand on en a l’occasion, préférer se jeter sur des miettes. Sans se poser une seule petite question sur son/notre –osons le mot- travail, surtout à moins de 300 jours de la présidentielle.

Revenons à nos galons. L’UMP fait salle comble pour causer défense, budget, stratégie et on en passe. Dans le document fourni avant la réunion à quelques journalistes privilégiés , figurent des idées aussi sexy que l’organisation d’un soutien étatique aux PME qui travaillent dans le secteur, des pistes de stratégie pour ce qu’on appelle le « secteur des industries de souveraineté », la question de la place des réservistes ou l’affirmation de la volonté de poursuivre « le renforcement de l’influence de la France dans l’Otan ». Somme toute pas de la petite bière quand il y a quelques guerres sur le feu, que la perspective d’une paix universelle s’éloigne (à supposer qu’elle ait jamais existé) et que chacun sait que le budget de la défense va trinquer à l’automne, victime collatérale de la Dette.

Or, qu’avez-vous vu, lu, ou entendu à la radio sur cette convention ? L’allégeance au drapeau, point barre. Et le fait que le ministre de la Défense lui-même, le chargé du programme pour l’UMP ensuite, les militaires et certains députés trouvent l’initiative malheureuse. Autant dire qu’en 48 heures, l’idée forte qui ressort vient d’être enterrée, non sans une petite polémiquette entre la méchante-droite et la gentille-gauche qui a occupé un peu les antennes et les journaux.

A ce propos, notons la grande habileté de Jean-François Copé. Qui, une fois de plus, est parvenu à vendre une fausse idée choc à la presse toute entière, quitte à vider de sa substance la convention qu’il était censé organiser et promouvoir. Il n’est plus chef de parti mais grossiste en polémique. Et c’est tout à son honneur- façon de parler- de trouver à chaque fois matière à indigner la presse.

Journalistes, qui, sauf exception notable (j’ai les noms à disposition) sont restés vingt minutes à l’Assemblée avant de rentrer dans leurs pénates, pensant qu’il n’était sans doute pas nécessaire de s’imposer des débats fastidieux entre l’ancien chef d’état major des armées, le général Georgelin, le directeur général délégué à la stratégie d’EADS, Marwan Lahoud, des députés allemands et anglais qui ont des trucs à dire sur l’Otan ou l’Afghanistan. Ou bien même un discours de Gérard Longuet, le ministre de la Défense qui a bel et bien enterré la jolie chimère d’une défense européenne sous les yeux ravis des militaires dans la salle.

Le seul avantage de ces trois heures de débats, c’est qu’elles permettaient de remettre l’allégeance au drapeau à sa place. Aux oubliettes. Question polémique, il y a d’ailleurs peut-être plus à creuser du côté de l’UMP qui dit vouloir faire de la défense une priorité (pas comme la gauche, antimilitariste)…en essayant de faire oublier qu’elle s’apprête à faire voter les plus grosses annulations de crédit de l’histoire de la Vème République au budget, ben oui, de la Défense…

Alors, je ne jette pas la pierre à mes confrères. L’urgence, un chef qui a vu un truc dans l’AFP et qui veut de l’allégeance au drapeau, le manque de place, la concurrence entre chaînes d’info continue ou entre sites internet, la surcharge de travail, ça existe. Mais de grâce, dans ce cas, il serait temps d’arrêter tous ensemble (je me mets dans le lot) de demander qu’on fasse plus de fond. Et assumons notre goût un peu paresseux et vaguement excitant pour la petite polémique. Acceptons alors de nous faire balader par Jean-François Copé ou un autre, même si la droite semble bien meilleure que la gauche en la matière. Sauf quand DSK fait des siennes, mais c’est autre chose.

Je me souviens d’une tradition de presse, il y a bien longtemps. Avant toutes les grandes campagnes électorales, les chefs de service politique avaient pour habitude de réunir leurs troupes pour annoncer des recrutements de nouveaux journalistes ne venant pas du sérail avec un seul et unique objectif : raconter la politique autrement, pour être à la hauteur des enjeux et jouer pleinement leur rôle démocratique. La première fois, ça fait toujours un truc (parce qu’on fait souvent partie des nouvelles recrues qui pensent pouvoir faire mieux, et autrement, quelle prétention !). La deuxième fois, on ricane. Et si on n’est pas dégoûté, les fois suivantes on se dit qu’on va juste essayer d’aller en reportage le plus possible sans illusion(s), ni volonté messianique de changer le monde. A chaque fois que Copé (ou les députés de la Droite Populaire) lancent une nouvelle polémique, je repense à ses vaines réunions d’état major, je respire un bon coup et je dis une connerie. Dans le fond, je prescrirais volontiers le même régime à mes confrères journalistes.

Ça peut éviter de se jeter sur n’importe quoi. Ça évite surtout de fatiguer sa famille et ses amis sur la misère du journalisme politique. Et ça permet d’assister tranquillement aux conventions de l’UMP en profitant du spectacle (le théâtre aux armées, selon la formule d’un ami vraiment spécialiste de la chose militaire, qui est lui aussi resté dans la salle jusqu’au bout).

La prochaine convention a lieu la semaine prochaine, elle est consacrée à la culture. Je suis prête à prendre les paris sur le débat qui va occuper les antennes pendant une journée. Au pif : moins financer l’art contemporain ou le théâtre qui insulte la culture classique de la France ? Succès garanti sur France Cul et dans Libé. Je commence déjà à respirer un bon coup.

La note de Troy Davis sérieusement dégradée

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Blessés au plus profond de leur orgueil et n’ayant pas supporté, on les comprend, de voir leur note dégradée et de perdre l’été dernier un A, comme une vulgaire Italie, les USA ont décidé de se venger des agences de notation par l’intermédiaire de leur justice. Troy Davis, un noir de 41 ans, était accusé du meurtre d’un policier en 1989 par neuf témoins dont sept se sont rétractés au cours des années, affirmant avoir été l’objet de pressions policières pour accabler l’inculpé.

Depuis le 30 aout 1991, date à laquelle il avait été condamné à mort[1. Troy Davis a été déclaré coupable, il faut le dire, par un jury majoritairement composé d’afro-américains, une info sciemment oubliée par bien des commentateurs, sans doute parce qu’elle cadrait mal avec leur vision d’un monde en noir et blanc.],Troy Davis attendait dans le couloir du même nom au pénitencier de Jackson (Géorgie), en vivant aux frais du contribuable et en contribuant au creusement des déficits publics étasuniens.

Malgré l’ultime tentative de recours de ses avocats, malgré les appels à la clémence de Benoit XVI, Desmond Tutu et Jimmy Carter, malgré la demande de réouverture du procès par de nombreux juristes ou experts, parmi lesquels on trouve même William S. Sessions, grand patron du FBI au moment des faits incriminés, la Cour Suprême a autorisé que l’on dégrade la note de Troy Davis, et qu’on lui retire, par injection létale, les lettres T, R, O, Y, D, A, V, I et S.

Et si on lui lâchait la grappe ?

Photo : FMI

La Française de l’ « extérieur » que je suis, qui s’efforce d’expliquer la France aux Anglo-Saxons et la Grande-Bretagne aux Français, a été fort perplexe de voir les réactions des médias hexagonaux à l’interview de DSK sur TF1 dimanche soir.

France Inter, L’Express, Libération et même Le Parisien, ont piqué en vrille sur DSK. Que lui reprochent-ils exactement ? La « mise-en-scène », « le plan com’ », l’interview « ciselée », « répétée ». L’homme n’a pas dit un mot en public depuis quatre mois et son arrestation à New York, menottes aux poignets, et l’on voudrait qu’il arrive sur le plateau de Claire Chazal la fleur à la bouche pour une petite improvisation devant 13 millions de spectateurs ?

Cela fait quatre mois qu’il pense tous les jours à ce qu’il va nous dire et c’est bien normal. Il a failli, donné au monde une piètre image de la France – je m’efforce depuis le mois mai de convaincre les médias internationaux que séduction à la française ne rime pas avec viol – ; l’homme nous devait une explication. Il s’est d’abord exprimé devant la nation, soyons lui reconnaissants. Lui reprocher d’avoir choisi le journal de 20 heures de TF1 est hypocrite. S’adresser aux Français, cela veut dire apparaître sur la chaîne de télévision la plus regardée, même si on l’apprécie peu. Les bien-pensants auraient voulu qu’il s’exprime à minuit sur Paris Première pour faire la nique à Bouygues ? Soyons sérieux.

On lui reproche de ne pas s’être excusé. Je n’attendais pas une excuse mais une explication. Je l’ai eue et je n’ai pas besoin de connaître les moindres détails sordides pour estimer en savoir suffisamment. Il n’y a pas eu violence, dit-il, et si l’on regarde de près le dossier du procureur, c’est en effet ce qui ressort de l’enquête minutieuse. Pas de violence, pas de délit et encore moins de crime. Le reste est de l’ordre de la psychanalyse. Ou du voyeurisme dégradant. Et pourtant, c’est aussi cela que certains éditorialistes reprochent à DSK : « on n’apprend rien » regrettent-ils, déçus. Ils auraient voulu, à l’américaine, connaître tous les détails graveleux de cette rencontre furtive. Leur vie sexuelle est-elle à ce point morne pour devoir se repaître des travers des autres ?

Ce n’est pas tout. Christophe Barbier de L’Express, qui aurait pu rester silencieux après la remarque agacée de DSK traitant l’hebdomadaire de tabloïd, s’est cru permis de juger l’homme déchu. Lundi matin, il lui écrivait une lettre ouverte commençant par ces mots méprisants : « Monsieur l’ex-directeur général du FMI ». Barbier affirme : « Demeure la relation sexuelle « précipitée », dont vous dites qu’elle n’a pas été tarifée, mais dont la brièveté laisse peu de place à la tendresse et aucune à la dignité ». Qu’en sait-il au juste ? Mais il y a pire. Le journaliste de L’Express finit sa lettre par : « Et puisque l’opinion a entendu dimanche soir que vous souhaitiez emprunter le chemin de la rédemption, afin d’être à nouveau « utile au bien public », puissiez-vous comprendre qu’il faut, pour servir ce « bien public », s’efforcer de faire aussi le bien en privé ». Le Rubicon est franchi, nous sommes devenus américains. Pour servir son pays, il faut être un saint. Les journalistes aussi servent le bien public. J’ai bien peur que seuls quelques confrères de La Vie ne soient les seuls à réussir l’examen de passage.

On a également attaqué l’assurance de DSK. Que l’homme n’apparaisse pas totalement brisé par ce qui lui est arrivé relève de l’exploit, pas de la faute de goût. Aurait-on voulu qu’il éclate en larmes ou se fasse hara-kiri en direct ?

Il a gardé son sang-froid, c’est tout. On a enfin reproché à Chazal d’avoir interrogé l’ancien prisonnier de Rikers Island sur l’euro. C’était pourtant une élégante façon de lui redonner un peu de dignité.

Burqa : deux Belphégor flashées à Meaux

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Deux trentenaires ont été condamnées pour port illégal du voile intégral à Meaux, ville de Jean-François Copé et Bossuet. Si le premier avait été l’initiateur de la loi anti-burqa, le second eût le nez creux il y a déjà quelques siècles, en décrivant le calvaire volontaire des porteuses de niqab : « toute la vue de la foi semble réduite à bien voir qu’on ne voit rien ». Belle parabole !

L’avocat des deux plaignantes, qui devront s’acquitter d’une amende de 80 et 120 euros pour s’être rendues intégralement voilées devant l’hôtel de ville de Meaux, ne partage hélas pas la prescience de l’homme d’Eglise.
A en croire Maître Yann Gré, les deux jeunes femmes se pourvoiront en cassation, révoltées d’être ainsi « assignées à résidence » par une décision de justice. Et oui, en l’an de grâce 2011, l’idiosyncrasie de chacun lui dicte de sortir de chez lui comme bon lui semble, vêtu de haillons, de robes en escalopes de porc ou d’une plus rigoriste burqa. Notons que malgré son féminisme (à moins que ce ne soit à cause de lui…), le même argument fut en son temps utilisé par Martine Aubry pour justifier sa mansuétude à l’égard des créneaux religieux dans les piscines…

Dernière nouvelle du front, Kenza Drider, une autre porteuse de burqa soutien des deux jeunes femmes condamnées, annonce vouloir se présenter à l’élection présidentielle de 2012 pour représenter cette minorité en danger.

Allez, soyons beaux joueurs : à défaut d’un programme, on lui a déjà trouvé son hymne de campagne.

Un routard en Absurdie

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Rangoon, photo : Sam Steiner (Flickr)

« À dix mille kilomètres de ta banlieue nord / Y’a pas de lézard, mon gars, tu vas changer de décor / À Rangoon, sous la pluie, quand les rues sont rivières / Ils ont tous les pieds nus, spécial high-kick qui tue ! »

Depuis que je suis arrivé en Birmanie, en ce début 2011, je suis hanté par les paroles de Rangoon Lhassa, la tuerie raggamuffin de La Souris Déglinguée. Sauf que c’est la saison sèche et que les rues ne sont pas encore noyées sous la mousson. Mais le changement de décor a de quoi ébranler l’Occidental, surtout s’il arrive de la Thaïlande voisine : chaussées éclatées, superbe architecture victorienne plus ou moins laissée à l’abandon, jeunes rockers en treillis avec casque SS sur la tête… on imagine difficilement plus glauque. Mais c’est surtout la torpeur ambiante qui frappe : les habitants vaquent à des taches sous-payées en traînant les pieds – qui leur en voudrait de glander dans un pays dont la devise semble être No future ?
Chaque hameau ou pâté de maisons est placé sous la surveillance d’un agent de renseignement, lui-même chapeauté par un chef de quartier ou de village, et ainsi de suite. Depuis les émeutes de 2007, la plus infime tentation de contestation est écrasée dans l’œuf. Les touristes, eux, ne semblent pas se poser trop de questions. Pour deux semaines, je serai l’un d’eux, routard en Absurdie.[access capability= »lire_inedits »]

Qui se souvient des Karens ?

La dernière fois que je suis entré dans le pays, au début des années 2000, c’était en clandestin via la ville frontalière thaïlandaise de Mae Sot, surnommée « Little Burma » à cause de ses camps de réfugiés karens chassés par l’armée birmane. J’avais eu le privilège de pouvoir rester quelques jours dans le Kawthoolei, cet État semi-virtuel du peuple karen en lutte pour sa liberté. Qui sait que des dizaines de Français se sont engagés auprès de ce petit peuple opprimé et que plusieurs y ont laissé leur peau ?

Aujourd’hui, c’est une autre histoire : j’entre en Birmanie régulièrement, avec visa et tout le toutim. Je suis pourtant moyennement rassuré en arrivant à l’aéroport international de Rangoon, ayant quelques raisons d’être parano… Me voici pourtant en règle, avec mon visa obtenu à l’ambassade birmane de Vientiane. Officiellement, je suis donc « truck driver » grâce à un « certificate of employment » bidon bricolé sous Photoshop. Loin du pays karen, je marche maintenant dans les rues de Rangoon avec en tête, encore, les paroles de La Souris Déglinguée : « Moitié en sarong, moitié en treillis, là bas, au sud-est de l’Asie / Oui, même les filles les plus jolies, elles savent se servir d’un fusil. » Je m’attends à une dictature sévère. Je n’imagine pas qu’elle est aussi cocasse à force d’absurdité.

« La Birmanie en trois mots ? Je dirais : arbitraire, absurde, paranoïaque. » Tristan Mendès-France sait de quoi il parle. En 2009, il a tourné « à l’arrache » un reportage, « Happy World in Birmanie », qui pointe les aspects les plus kafkaïens d’un régime prêt à tout pour conserver le pouvoir.

Le bizarre vous saute vite à la gorge. Il y a d’abord l’exotisme propre à la Birmanie : presque tous les hommes portent une sorte de longue jupe élégante, le longhi, et la quasi-totalité des femmes se barbouillent le visage d’une espèce de pâte cosmétique pas vraiment ragoûtante dont la couleur beige évoque de la boue séchée… Il paraît que c’est un truc de séduction. La mondialisation n’a pas atteint ce pays sous embargo. À mon hôtel, le taulier me promet « the best room », la 306. La « meilleure chambre » est miteuse, la fenêtre donne sur les poubelles et l’eau chaude est en panne, mais 306, c’est « 3 + 0 + 6 = 9 », c’est-à-dire le chiffre porte-bonheur pour les Birmans !

Astrologues au pouvoir

Le hic, c’est qu’au plus haut sommet de l’État, on fonctionne de la même façon, comme me le confie Tristan Mendès-France: « La numérologie est un phénomène très populaire en Birmanie. Ce n’est pas un problème en soi. Ce qui est inquiétant, c’est que l’État cale sa politique sur ces croyances. Ainsi, la date de la répression de la Révolution de safran – le 27 septembre 2007, soit 9/9/9 – semble avoir été choisie selon des critères numérologiques… »

Du jour au lendemain, sur le conseil de son astrologue, le dictateur en chef a décidé de changer le sens de la circulation : désormais, on roule à droite au Myanmar. Seulement, les volants des voitures sont restés à droite, de même que les portes des transports en commun. On descend donc du bus au milieu de la rue et, en voiture, on roule à moitié à l’aveugle. Tristan Mendès-France en a tiré une séquence croquignolette.

Mon taulier ne diffère donc pas des maîtres du pays qu’il sert apparemment avec entrain, comme, j’imagine, tous les patrons d’hôtel. Dès que je sors, il me demande avec insistance où je vais, ce que je vais faire. La touriste hollandaise qui occupe la chambre voisine de la mienne semble heureuse de répondre à toutes ses questions sans comprendre que, derrière son sourire, se cache un supplétif de la police. Le lendemain de mon arrivée, un cousin de l’hôtelier (enfin, c’est comme ça qu’on me le présente) m’offre gentiment une Myanmar Beer et me parle de choses et d’autres. Au moment où il attaque le sujet « mécanique », je me retiens in extremis de lui répondre que je n’y connais rien, me rappelant opportunément que je suis censé être chauffeur de camion. Je lui parle de « big car », histoire de voir à quel point il percute. « Yes, me répond-il : truck driver ». Le « cousin » connaît mot pour mot la formule que j’ai inscrite sur ma demande de visa dans un consulat birman au Laos ! Sa visite amicale n’aura pas de conséquences : j’ai dû réussir le test.

Marché noir officiel

À Pagan, dans le Nord-Ouest du pays, je me lie avec un expatrié suisse, appelons-le Michel, qui me confirme que les étrangers sont sous étroite surveillance : « J’ai épousé une Birmane, je lui ai acheté une maison ; eh bien, je n’ai même pas le droit de dormir dedans ! En tant qu’étranger, j’ai l’obligation de résider la nuit dans un hôtel ou une guesthouse. Donc, je paie une chambre à l’année que j’occupe quand je crains une visite de nuit, pour éviter de me faire racketter ou expulser. Je n’ai pas non plus le droit de rouler en moto ou en voiture : en somme, ils savent toujours où me trouver et je ne peux pas me déplacer sans être accompagné. Triste, non, après sept ans à travailler ici ? » Tout est compliqué pour les « expats ». Pour envoyer quelque chose à l’étranger, il faut faire des faux papiers via Singapour. Bien sûr, il n’y a pas de distributeurs de billets, les banques birmanes étant exclues des circuits internationaux, mais pas moyen non plus de recevoir de l’argent via Western Union. La seule solution est d’arriver avec des dollars ou des euros et, si on a réussi à ne pas se faire voler, d’en changer une partie en monnaie locale en évitant les boutiques de change officielles. À Bogyoke Market, je découvre cependant que des bijouteries officiellement agréées par le gouvernement changent au taux du marché noir. On se retrouve donc avec des liasses de centaines de billets, la plus grosse coupure en kyats n’atteignant pas la valeur d’un euro.

Autant dire que la Birmanie n’est pas la destination à recommander aux amateurs de tourisme pépère. Aux routards qui voudraient venir en Birmanie admirer, par exemple, les incroyables temples de Bagan, Tristan Mendès-France dispense de précieux conseils : « Restez dans les clous et les espaces touristiques balisés, n’amenez pas de caméras trop voyantes. Et surtout, gardez en tête que cette dictature est marquée par l’arbitraire. On peut faire des choses très risquées sans se faire prendre et se faire coincer pour des choses banales. Je pense à ce touriste qui a fait de la taule pour avoir pris, en plein Rangoon, une photo d’une pagode à côté de laquelle il y avait un bâtiment administratif… » Comme Tristan, Tai-Luc, de La Souris Déglinguée, ne peut plus mettre les pieds dans le pays : « Ce n’est pas donné à tout le monde d’aller filer un coup de main à la guérilla, dit-il, alors tenez-vous à carreau, prenez des photos de la pagode Shwedagon et des jolies Birmanes, et ramenez-nous des infos sur la situation sur place. »

La situation sur place ? Rien de neuf sous le soleil : on sait que le généralissime Than Shwe a tiré sa révérence fin mars 2011, que la junte militaire a officiellement été dissoute, mais personne n’est dupe de ce ripolinage. Les mêmes fripouilles continuent de tirer les ficelles en coulisse. Les Karens se battent avec des moyens dérisoires dans leurs forêts, les réfugiés vivotent dans les camps mais leur cause n’émeut plus grand monde en Occident − les volontaires français, dont une certaine gauche aimait ricaner – sont de moins en moins nombreux. À Yangon, la chasse aux moines a bien fonctionné et ils ne sont plus assez nombreux pour constituer une menace. Quant aux étudiants contestataires, leurs universités ont été déplacées à des dizaines de kilomètres des centres-villes. Or, les moines et les étudiants étaient les seuls groupes que la police n’avait pas encore complètement infiltrés.

Dans ces conditions, quel espoir reste-t-il pour la Birmanie ? Le courage d’Aung San Suu Kyi, celle que les Birmans appellent « la Dame » dont le prestige semble inaltérable ? L’Absurdie semble avoir de beaux jours devant elle. On ne voit pas, en effet, ce qui pourrait menacer ce régime qui, dans l’indifférence générale, continue à faire vivre son peuple entre burlesque et tragique. [/access]

Turgot à Bercy !

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Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, dit Turgot

Lorsque, le 24 août 1774, Louis le seizième annonce la nomination de Turgot au poste éminent de contrôleur général, les finances du royaume sont dans une situation des plus critiques. Sur la seule année 1770[1. Les chiffres fiables sont rares ; j’emprunte ceux-ci à l’ouvrage d’Alain Guéry, Les finances de la monarchie française sous l’ancien régime (1978)], les dépenses royales s’élèvent à 277,4 millions de livres tournois pour un revenu net de 164,4 millions; soit un déficit budgétaire de 108 millions largement creusé par les intérêts de la dette.

A l’époque, il n’y avait ni euro, ni mondialisation[2. Des barrières douanières il y en avait même entre les différentes provinces de France… C’est dire !], pas de loi de 1973 et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’économie française était tout sauf libérale. En revanche, la monarchie dépensait sans compter pendant que le peuple de France étouffait sous l’impôt. Le programme de Turgot, tel qu’il le présente lui-même au roi dès le lendemain de sa nomination, se résume en une phrase : « Point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunts ».

« Point de banqueroute » : Turgot sait qu’un Etat annulant sa dette se condamne à se passer de créanciers. L’idée selon laquelle l’Etat serait l’otage des financiers est une imbécilité : si vous deviez décider de ne pas rembourser vos dettes, vous commettriez un acte illégal – un vol – et recevriez la visite de la police. Si un Etat décide de ne pas rembourser sa dette, il ne commet aucun acte illicite puisque c’est justement lui qui fait les lois et commande la police. Les financiers, combien de divisions ? Aucune. L’Etat, par définition, détient le monopole de la violence légitime et peut donc unilatéralement annuler ses dettes. Mais tout a un prix : plus personne ne voudra lui prêter d’argent.

« Point d’augmentation d’impôts » : le peuple de France croule déjà sous le poids des taxes. Au-delà de l’impopularité de l’impôt, c’est tout simplement une question d’efficacité fiscale : Turgot a compris que trop de fiscalité tue la fiscalité. Comme l’augmentation des taxes sur le tabac réduit la consommation de tabac, une hausse des impôts sur les activités créatrices de richesses dissuade les gens à créer de la richesse ou les incite à aller la produire sous des cieux plus cléments.

« Point d’emprunts » : la dette n’est pas gratuite et devra un jour ou l’autre être remboursée par de nouveaux impôts (ce sont les français-contribuables qui paieront), par de l’inflation[3. Quand Saint Louis étend le cours légal de la livre tournois au royaume en 1262, une livre tournois vaut environ 98 grammes d’argent mais sous le règne de Louis XVI, elle ne vaut plus que 4,05 grammes d’argent ; en 5 siècles, la monnaie des rois de France a perdu 96% de sa valeur](ce qui revient au même) ou par un défaut de paiement (ce sont les créanciers qui paieront). En ce bas monde, rien n’est gratuit ; il y a toujours quelqu’un qui paie et si vous ne savez pas qui doit passer à la caisse, c’est probablement vous !

Turgot veut et va réussir à faire baisser la dépense publique. Il a compris que l’Etat ne créé pas de richesses mais se contente de les transférer d’une partie de la population à une autre (en général, au profit de ceux qui le servent). Cette idée vous choque ? Pourtant, c’est la justification même de l’intervention publique dans l’économie : contrairement aux acteurs privés; le but de l’Etat n’est pas de créer de la richesse – n’est ce pas précisément pourquoi vous le plébiscitez ? L’accroissement de la dépense publique n’a jamais eu qu’un seul effet, celui d’inciter le peuple à consacrer ses efforts à la captation de subsides publics – c’est-à-dire de la valeur ajoutée produite par d’autres – plutôt qu’à la production de nouvelles richesses.

Cédant aux pressions de certains membres influents de la cour dont l’entourage de la très dépensière Marie-Antoinette[4. Qui ne supportait pas d’avoir à négocier ses dépenses auprès du ministre], Louis XVI, finira par renvoyer Turgot. Et l’histoire, dans son implacable logique, poursuivra son cours.

Depuis 1975, les gouvernements qui ont présidé aux destinées de ce pays n’ont pas voté un seul budget à l’équilibre. Depuis 36 ans, nous avons dépensé toujours plus et accumulé une dette colossale. Je dis bien « nous » parce qu’à la différence de nos ancêtres « nous » avions le choix. Accuser les marchés financiers, les agences de notation, les paradis fiscaux, la loi de 1973, l’euro, la mondialisation ou que sais-je encore relève de l’aveuglement ou de la démagogie : nous sommes les seuls responsables du marasme. Depuis 1975, nous avons eu à de nombreuses reprises l’occasion de renverser cette tendance mais nous ne l’avons pas fait. Nous en sommes arrivés au point où une légère réduction du déficit est unanimement qualifiée de « politique de rigueur » !

Aujourd’hui, ce système est à bout de souffle et nous allons devoir payer les engagements de ceux qui nous ont précédés. Tâchons seulement, pour le bien de nos enfants, de tirer les leçons du passé.

Va te faire voir chez les Estoniens !

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Pour l’instant, dans le « greek bashing » qui sévit un peu partout en Europe, Marika Tuus-Laul, députée centriste d’opposition du parlement estonien, a pris quelques longueurs d’avance. Alors que l’assemblée débattait sur le renforcement du Fonds européen de stabilité financière et le versement d’une nouvelle aide à la Grèce, elle a déclaré : « Les Grecs dépenseront l’aide en ouzo pour danser ensuite le sirtaki ».

Sans même relever chez Marika son art inégalé du cliché et du mépris, on peut se demander si elle n’est tout de même pas un peu jalouse. D’une part, hormis les spécialistes, qui sur Terre peut dire ce que l’on boit et ce que l’on danse en Estonie, aucun metteur en scène n’ayant jugé bon de tourner un « Zorba l’Estonien » ?

D’autre part, qui sait si elle n’envie pas, au fond, une civilisation qui sait s’amuser malgré la crise en buvant et en dansant sous le ciel bleu, avec l’argent des autres, ce qui doit forcément rajouter au plaisir.

Mais rassurons Marika Tuus-Laul, boire de l’ouzo, danser le sirtaki et même, soyons fou, manger du poulpe grillé, les Grecs le font depuis bien longtemps avant leur entrée dans l’Union Européenne, ces saines activités réclamant, somme toute, assez peu d’argent, juste un certain sens du bonheur.

Des Juifs, des chiens et des cochons

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Ayant tout récemment attiré l’attention des lecteurs de ce salon sur les propos de Mahmoud Abbas accusant les habitants des implantations juives de Cisjordanie d’utiliser des chiens et des cochons pour persécuter les Palestiniens, il m’a paru d’autant plus nécessaire d’effectuer quelques recherches pour découvrir la source de cette surprenante mise en cause.

Et cela d’autant plus que, du côté du Quai d’Orsay et de l’Elysée, on ne semble pas s’émouvoir outre mesure de ces graves accusations lancées par le chef de l’Autorité palestinienne à l’occasion d’un discours qualifié d’historique. À ceux qui viennent aux nouvelles à ce propos, de hauts responsables élyséens répondent qu’il y a bien eu, récemment, des plaintes palestiniennes relatives à des sangliers lâchés par des « colons » pour dévaster les cultures des villageois palestiniens. Ainsi, pour nos brillants diplomates, le chef de l’Autorité palestinienne est parfaitement dans les clous en portant de telles accusations.

Et, en effet, on peut trouver sur divers sites pro-palestiniens ce « rapport » récent qui met en cause les « sangliers sionistes ».

D’emblée le ton est donné : « Les agriculteurs palestiniens ont une grande appréhension de ces sangliers qui menacent leurs biens, des sangliers lâchés par les colons sionistes. » Cela suppose donc que les agriculteurs des implantations élèvent des sangliers pour les lâcher au moment des récoltes dans les champs cultivés par les Palestiniens. Or, on sait que la quasi totalité de ces implantations isolées sont peuplées de Juifs ultra-religieux qui n’hésiteraient pas à prendre un bain rituel purificateur si un tel animal, même par mégarde, était entré en contact avec leur corps.

D’ailleurs, si on continue la lecture de ce « rapport », on peut constater qu’aucune précision n’est donnée sur le nom et la situation de ces implantations qui pratiqueraient l’élevage de sangliers. Mais même si cela ne tient pas la route, nos éminents « rapporteurs » palestiniens ne se démontent pas : si les sangliers sont là, c’est parce qu’ils sont attirés par les égouts des « colons ». Tous les chasseurs connaissent l’intelligence de ces animaux, gibier qui se mérite, mais cela faut-il pour cela les créditer de la capacité de distinguer un égout « sioniste » de son équivalent palestinien ?

Donc, ces sangliers n’ont pas été « envoyés » comme il est affirmé dans la phrase liminaire de ce rapport reprise par Mahmoud Abbas, ils sont venus touts seuls, comme des grands. On devrait donc en conclure que ces colons juifs doivent être blanchis de cette accusation calomnieuse. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

Quelques extraits du texte permettent de se faire une idée plus précise. « Zayd (un agriculteur) confirme que trouver des solutions est presque impossible, à cause des restrictions imposées par les autorités de l’occupation israélienne. La municipalité, ajoute-t-il, nous fournit quelques outils pour installer des pièges. Mais ils ne captent qu’une ou deux bêtes parmi les centaines qui envahissent les terrains. Et on ne peut pas utiliser les poisons à cause de leurs effets nocifs sur tout l’environnement.
La meilleure solution est de les chasser, mais les autorités d’occupation israélienne donnent l’autorisation trop tard, après que les bêtes ont tout dévasté, souligne pour sa part le fermier Hossein Islamiyya.
»

À supposer que ces agriculteurs disent la vérité (la terre, comme chacun sait, ne ment pas), les responsabilités des manquements dans la lutte contre les dégâts commis par les hardes récoltivores sont, de leur propre aveu, au moins partagées : la municipalité (i.e. l’Autorité palestinienne) ne fournit qu’une aide dérisoire aux paysans pour protéger leurs cultures, et l’administration militaire israélienne ne donne pas à temps l’autorisation d’organiser des battues. On se croirait en Haute-Savoie, quand les éleveurs de moutons pestent contre un préfet qui leur interdit de faire un sort aux loups qui dévorent leurs brebis. Et au bout du compte, cela donne, dans un discours de Mahmoud Abbas retransmis en direct sur les télévisions du monde entier, que « l’occupant élève des chiens pour nous attaquer et des cochons sauvages pour déraciner nos arbres ».

Il faut être malveillant comme un juif sioniste pour voir là un clin d’œil lancé à tous les bons lecteurs du Coran qui n’auront pas manqué de noter le rapprochement des signifiants « juif » « chien » et « porc ».

Astérix, national-socialix?

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« Tintin au Congo, BD raciste », on connaissait. Cette blague belge est inscrite dans notre patrimoine indignatoire depuis belle lurette. Ce qu’on savait moins, en revanche, c’est qu’il existe nombre d’autres bandes dessinées nazies. Tour d’horizon :

Il y a quelques mois, un génie trop injustement méconnu publiait un Petit livre bleu dans lequel il livrait la quintessence de sa pensée politique. Pour lui, « la société des Schtroumpfs est un archétype d’utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme ». Le grand Schtroumpf? Une représentation de Marx. La Schtroumpfette? Une potiche blonde dégoulinante d’une niaiserie toute antiféministe. Quant au méchant sorcier, ennemi juré des lutins bleus, il est laid, avare et affublé d’un nez crochu « comme les capitalistes occidentaux dans la propagande communiste, Gargamel est mû par la cupidité, l’intérêt égoïste et aveugle. Il a tout du juif tel que la propagande stalinienne le représente ».

Dimanche dernier, c’était au tour de Michel Serres, d’alimenter l’autodafé. Dans sa chronique du 18 septembre sur France Info, l’homme s’en prenait à Astérix et Obélix, héros d’un « album de revanche et de ressentiment », faisant systématiquement l’apologie de la violence sous stupéfiants (la potion magique) et typiquement fascistoïde dans son « mépris forcené de la culture ». Il est vrai que les libations des intrépides gaulois se passent souvent hors de la présence du barde, dûment attaché et bâillonné. Ni une, ni deux, Serres décèle là l’illustration d’une maxime célèbre, qu’il attribue (à tort, d’ailleurs) à Goering: « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ».

Et l’on se prend à trembler en se rappelant les horreurs qu’on a sans doute offertes à nos enfants. N’avez-vous jamais songé que le monde enchanté de Winnie l’Ourson, peuplé d’animaux interlopes, n’est peut-être qu’une allégorie de cette bestialité froide tapie en nous et qui ne demande qu’à surgir ? N’avez-vous pas entrevu que l’appétence de l’ursidé pour le miel et sa tendance à chaparder ce nectar n’étaient probablement rien d’autre qu’une apologie de la gourmandise et du vol, autrement dit d’un péché doublé d’un crime ?

Heureusement qu’il reste les poupées. A condition bien sûr qu’on évacue la célèbre Barbie, dont on n’a point encore élucidé le mystère de ses liens avec le Klaus éponyme…

Pinocchio chez Claire Chazal

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International Monetary Fund

Dimanche, l’interview de DSK par Claire Chazal m’a amené à relire l’article que j’avais rédigé en mai sur le cas Strauss-Kahn. Aurais-je une virgule à y changer ? Hélas, aucune.

Car la prestation de DSK illustre parfaitement l’arrogance d’une élite qui se sent intouchable et en rajoute. Ses « éléments de langage » étaient soigneusement pesés. De quoi s’agit-il ? De ces mots, expressions et ajustements syntaxiques qui permettent aux consultants en communication de contourner la vérité et d’esquiver les faits pour donner une interprétation favorable à certaines pièces du dossier. Eléments de langage dont DSK savait qu’ils ne seraient pas contredits pour avoir, quinze jours durant, négocié les conditions de l’interview avec Claire Chazal.

Derrière chaque mot, se cache un demi-mensonge, une contradiction ou une indignité. DSK dit avoir commis une « faute ». Mais sans la qualifier. Une faute à l’égard de qui ? De sa femme ou de Nafissatou Diallo ? De la bienséance ou du droit des femmes ? On ne le saura pas. S’excuse-t-il de cette faute ? Non. Sans coup férir, il tire du rapport Vance les phrases qui l’arrangent et se garde bien d’en citer les passages embarrassants.

L’ancien ministre ne dit rien de la nature du rapport sexuel (qui dura 9 minutes, de l’entrée de Nafissatou Diallo dans la chambre à sa sortie), si ce n’est qu’il fut « inapproprié ». Il y a quelques années, il avait employé le même mot pour qualifier sa relation avec sa subordonnée au FMI. Mais « inapproprié » au regard de quoi ? D’une morale puritaine anglo-saxonne ? De la bienséance universelle ? Ou du droit commun ? On n’en saura pas plus. DSK n’apporte qu’une seule précision : il ne s’agissait pas d’un rapport tarifé.

Qu’imaginer ? Qu’en 9 minutes, il drague la femme de ménage, lui propose la botte, qu’elle accepte, se livre à lui, lui fait une petite gâterie et s’en va préparer son mauvais plan judiciaire contre lui ? Chacun appréciera la crédibilité de ce scénario.

Au passage, l’ex directeur général du FMI reprend insidieusement la thèse du complot. Sans aucun élément pour alimenter cette rumeur. Mais il est toujours bon de la laisser courir, voire de l’amplifier.

Pour finir, DSK qualifie le rapport Vance de « non-lieu » le blanchissant définitivement alors que ce document ne fait qu’expliquer pourquoi la personnalité de la victime n’est pas suffisamment crédible pour recueillir l’unanimité des jurés, justifiant ainsi la fin des poursuites judiciaires.

Mais le point d’orgue de cet exercice de communication fut marqué par un mélange de contrition (sans réelles excuses ) et de remontrance. Passant soudainement de Mister Dominique à Docteur Strauss-Kahn, DSK nous a asséné ses prescriptions sur la crise européenne (au demeurant insignifiantes, puisqu’on peut résumer sa pensée à « il faut payer ses dettes », ce qui est loin de ce qu’on peut attendre du docteur en économie dont on nous chante les vertus). En agissant ainsi, DSK marque très bien son arrogance : « bon, nous avons parlé un quart d’heure de la faute vénielle que j’ai commise, je vous ai donné toutes les explications, on ne va tout de même pas passer la soirée la-dessus, hein ? Maintenant que cette affaire est close, j’ai des choses sérieuses à vous dire, veuillez m’écouter » semble-t-il nous marteler doctement. Circulez, il n’y a plus rien à voir.

A travers cette manœuvre, DSK nous dévoile son jeu. Il n’a pas de temps à perdre pour revenir dans l’arène politico-économique. Une crise est en cours et il entend bien peser sur son évolution. Non en jouant les premiers rôles lors de la présidentielle – c’est maintenant impensable – mais tout de suite après. Ou même pendant. Martine Aubry en a d’ailleurs fait les frais puisqu’il a révélé (alors qu’elle le réfutait) l’existence d’un pacte de non-agression entre eux. Désormais,tout le monde sait qu’elle est candidate par défaut. Voilà qui va l’aider…

Au cours des prochains mois, il sera intéressant d’observer quel crédit accordent les Français à cet homme qui a méprisé la vérité et affiché son arrogance envers tous ceux qui – d’une manière ou d’une autre- ont été blessés par son comportement.

A suivre… Malheureusement.

De l’allégeance aux petites phrases

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Jean-François Copé et Gérard Longuet à la convention UMP sur la Défense. Photo : UMP

Parfois, il faut s’astreindre à des exercices contraignants qui peuvent se révéler amusants. Comme assister aux trois heures de débats de la convention UMP sur la Défense, qui se tenait mardi soir à l’Assemblée nationale. L’exercice m’a été grandement facilité puisque je confesse une passion masochiste pour ce qui porte des galons et ce qui concerne l’Otan. Mais plus sérieusement, le raout organisé par Jean-François Copé et ses amis, pour préparer le scrutin présidentiel, a surtout été l’occasion de mesurer la grande misère du journalisme politique.

Qu’on se rassure, pas question ici de se mettre au-dessus des partis. Comme les confrères, votre serviteuse se délecte des piques, des petites phrases et de l’écume du débat. Et trouve même rigolo de commenter en live un débat (comme ce fut le cas ici avec Marc Cohen lors du premier débat socialiste d’avant les primaires). Comme tout le monde, je préfère dire des saloperies sur les stratégies des uns et des autres plutôt que de plonger dans le dur de la création d’une banque d’investissement pour les PME, ou de la séparation en deux des établissements financiers. Il n’empêche. On ne peut pas sans arrêt pleurnicher entre confrères sur le fait que « on-parle-jamais-du-fond » et, quand on en a l’occasion, préférer se jeter sur des miettes. Sans se poser une seule petite question sur son/notre –osons le mot- travail, surtout à moins de 300 jours de la présidentielle.

Revenons à nos galons. L’UMP fait salle comble pour causer défense, budget, stratégie et on en passe. Dans le document fourni avant la réunion à quelques journalistes privilégiés , figurent des idées aussi sexy que l’organisation d’un soutien étatique aux PME qui travaillent dans le secteur, des pistes de stratégie pour ce qu’on appelle le « secteur des industries de souveraineté », la question de la place des réservistes ou l’affirmation de la volonté de poursuivre « le renforcement de l’influence de la France dans l’Otan ». Somme toute pas de la petite bière quand il y a quelques guerres sur le feu, que la perspective d’une paix universelle s’éloigne (à supposer qu’elle ait jamais existé) et que chacun sait que le budget de la défense va trinquer à l’automne, victime collatérale de la Dette.

Or, qu’avez-vous vu, lu, ou entendu à la radio sur cette convention ? L’allégeance au drapeau, point barre. Et le fait que le ministre de la Défense lui-même, le chargé du programme pour l’UMP ensuite, les militaires et certains députés trouvent l’initiative malheureuse. Autant dire qu’en 48 heures, l’idée forte qui ressort vient d’être enterrée, non sans une petite polémiquette entre la méchante-droite et la gentille-gauche qui a occupé un peu les antennes et les journaux.

A ce propos, notons la grande habileté de Jean-François Copé. Qui, une fois de plus, est parvenu à vendre une fausse idée choc à la presse toute entière, quitte à vider de sa substance la convention qu’il était censé organiser et promouvoir. Il n’est plus chef de parti mais grossiste en polémique. Et c’est tout à son honneur- façon de parler- de trouver à chaque fois matière à indigner la presse.

Journalistes, qui, sauf exception notable (j’ai les noms à disposition) sont restés vingt minutes à l’Assemblée avant de rentrer dans leurs pénates, pensant qu’il n’était sans doute pas nécessaire de s’imposer des débats fastidieux entre l’ancien chef d’état major des armées, le général Georgelin, le directeur général délégué à la stratégie d’EADS, Marwan Lahoud, des députés allemands et anglais qui ont des trucs à dire sur l’Otan ou l’Afghanistan. Ou bien même un discours de Gérard Longuet, le ministre de la Défense qui a bel et bien enterré la jolie chimère d’une défense européenne sous les yeux ravis des militaires dans la salle.

Le seul avantage de ces trois heures de débats, c’est qu’elles permettaient de remettre l’allégeance au drapeau à sa place. Aux oubliettes. Question polémique, il y a d’ailleurs peut-être plus à creuser du côté de l’UMP qui dit vouloir faire de la défense une priorité (pas comme la gauche, antimilitariste)…en essayant de faire oublier qu’elle s’apprête à faire voter les plus grosses annulations de crédit de l’histoire de la Vème République au budget, ben oui, de la Défense…

Alors, je ne jette pas la pierre à mes confrères. L’urgence, un chef qui a vu un truc dans l’AFP et qui veut de l’allégeance au drapeau, le manque de place, la concurrence entre chaînes d’info continue ou entre sites internet, la surcharge de travail, ça existe. Mais de grâce, dans ce cas, il serait temps d’arrêter tous ensemble (je me mets dans le lot) de demander qu’on fasse plus de fond. Et assumons notre goût un peu paresseux et vaguement excitant pour la petite polémique. Acceptons alors de nous faire balader par Jean-François Copé ou un autre, même si la droite semble bien meilleure que la gauche en la matière. Sauf quand DSK fait des siennes, mais c’est autre chose.

Je me souviens d’une tradition de presse, il y a bien longtemps. Avant toutes les grandes campagnes électorales, les chefs de service politique avaient pour habitude de réunir leurs troupes pour annoncer des recrutements de nouveaux journalistes ne venant pas du sérail avec un seul et unique objectif : raconter la politique autrement, pour être à la hauteur des enjeux et jouer pleinement leur rôle démocratique. La première fois, ça fait toujours un truc (parce qu’on fait souvent partie des nouvelles recrues qui pensent pouvoir faire mieux, et autrement, quelle prétention !). La deuxième fois, on ricane. Et si on n’est pas dégoûté, les fois suivantes on se dit qu’on va juste essayer d’aller en reportage le plus possible sans illusion(s), ni volonté messianique de changer le monde. A chaque fois que Copé (ou les députés de la Droite Populaire) lancent une nouvelle polémique, je repense à ses vaines réunions d’état major, je respire un bon coup et je dis une connerie. Dans le fond, je prescrirais volontiers le même régime à mes confrères journalistes.

Ça peut éviter de se jeter sur n’importe quoi. Ça évite surtout de fatiguer sa famille et ses amis sur la misère du journalisme politique. Et ça permet d’assister tranquillement aux conventions de l’UMP en profitant du spectacle (le théâtre aux armées, selon la formule d’un ami vraiment spécialiste de la chose militaire, qui est lui aussi resté dans la salle jusqu’au bout).

La prochaine convention a lieu la semaine prochaine, elle est consacrée à la culture. Je suis prête à prendre les paris sur le débat qui va occuper les antennes pendant une journée. Au pif : moins financer l’art contemporain ou le théâtre qui insulte la culture classique de la France ? Succès garanti sur France Cul et dans Libé. Je commence déjà à respirer un bon coup.

La note de Troy Davis sérieusement dégradée

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Blessés au plus profond de leur orgueil et n’ayant pas supporté, on les comprend, de voir leur note dégradée et de perdre l’été dernier un A, comme une vulgaire Italie, les USA ont décidé de se venger des agences de notation par l’intermédiaire de leur justice. Troy Davis, un noir de 41 ans, était accusé du meurtre d’un policier en 1989 par neuf témoins dont sept se sont rétractés au cours des années, affirmant avoir été l’objet de pressions policières pour accabler l’inculpé.

Depuis le 30 aout 1991, date à laquelle il avait été condamné à mort[1. Troy Davis a été déclaré coupable, il faut le dire, par un jury majoritairement composé d’afro-américains, une info sciemment oubliée par bien des commentateurs, sans doute parce qu’elle cadrait mal avec leur vision d’un monde en noir et blanc.],Troy Davis attendait dans le couloir du même nom au pénitencier de Jackson (Géorgie), en vivant aux frais du contribuable et en contribuant au creusement des déficits publics étasuniens.

Malgré l’ultime tentative de recours de ses avocats, malgré les appels à la clémence de Benoit XVI, Desmond Tutu et Jimmy Carter, malgré la demande de réouverture du procès par de nombreux juristes ou experts, parmi lesquels on trouve même William S. Sessions, grand patron du FBI au moment des faits incriminés, la Cour Suprême a autorisé que l’on dégrade la note de Troy Davis, et qu’on lui retire, par injection létale, les lettres T, R, O, Y, D, A, V, I et S.

Et si on lui lâchait la grappe ?

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Photo : FMI

La Française de l’ « extérieur » que je suis, qui s’efforce d’expliquer la France aux Anglo-Saxons et la Grande-Bretagne aux Français, a été fort perplexe de voir les réactions des médias hexagonaux à l’interview de DSK sur TF1 dimanche soir.

France Inter, L’Express, Libération et même Le Parisien, ont piqué en vrille sur DSK. Que lui reprochent-ils exactement ? La « mise-en-scène », « le plan com’ », l’interview « ciselée », « répétée ». L’homme n’a pas dit un mot en public depuis quatre mois et son arrestation à New York, menottes aux poignets, et l’on voudrait qu’il arrive sur le plateau de Claire Chazal la fleur à la bouche pour une petite improvisation devant 13 millions de spectateurs ?

Cela fait quatre mois qu’il pense tous les jours à ce qu’il va nous dire et c’est bien normal. Il a failli, donné au monde une piètre image de la France – je m’efforce depuis le mois mai de convaincre les médias internationaux que séduction à la française ne rime pas avec viol – ; l’homme nous devait une explication. Il s’est d’abord exprimé devant la nation, soyons lui reconnaissants. Lui reprocher d’avoir choisi le journal de 20 heures de TF1 est hypocrite. S’adresser aux Français, cela veut dire apparaître sur la chaîne de télévision la plus regardée, même si on l’apprécie peu. Les bien-pensants auraient voulu qu’il s’exprime à minuit sur Paris Première pour faire la nique à Bouygues ? Soyons sérieux.

On lui reproche de ne pas s’être excusé. Je n’attendais pas une excuse mais une explication. Je l’ai eue et je n’ai pas besoin de connaître les moindres détails sordides pour estimer en savoir suffisamment. Il n’y a pas eu violence, dit-il, et si l’on regarde de près le dossier du procureur, c’est en effet ce qui ressort de l’enquête minutieuse. Pas de violence, pas de délit et encore moins de crime. Le reste est de l’ordre de la psychanalyse. Ou du voyeurisme dégradant. Et pourtant, c’est aussi cela que certains éditorialistes reprochent à DSK : « on n’apprend rien » regrettent-ils, déçus. Ils auraient voulu, à l’américaine, connaître tous les détails graveleux de cette rencontre furtive. Leur vie sexuelle est-elle à ce point morne pour devoir se repaître des travers des autres ?

Ce n’est pas tout. Christophe Barbier de L’Express, qui aurait pu rester silencieux après la remarque agacée de DSK traitant l’hebdomadaire de tabloïd, s’est cru permis de juger l’homme déchu. Lundi matin, il lui écrivait une lettre ouverte commençant par ces mots méprisants : « Monsieur l’ex-directeur général du FMI ». Barbier affirme : « Demeure la relation sexuelle « précipitée », dont vous dites qu’elle n’a pas été tarifée, mais dont la brièveté laisse peu de place à la tendresse et aucune à la dignité ». Qu’en sait-il au juste ? Mais il y a pire. Le journaliste de L’Express finit sa lettre par : « Et puisque l’opinion a entendu dimanche soir que vous souhaitiez emprunter le chemin de la rédemption, afin d’être à nouveau « utile au bien public », puissiez-vous comprendre qu’il faut, pour servir ce « bien public », s’efforcer de faire aussi le bien en privé ». Le Rubicon est franchi, nous sommes devenus américains. Pour servir son pays, il faut être un saint. Les journalistes aussi servent le bien public. J’ai bien peur que seuls quelques confrères de La Vie ne soient les seuls à réussir l’examen de passage.

On a également attaqué l’assurance de DSK. Que l’homme n’apparaisse pas totalement brisé par ce qui lui est arrivé relève de l’exploit, pas de la faute de goût. Aurait-on voulu qu’il éclate en larmes ou se fasse hara-kiri en direct ?

Il a gardé son sang-froid, c’est tout. On a enfin reproché à Chazal d’avoir interrogé l’ancien prisonnier de Rikers Island sur l’euro. C’était pourtant une élégante façon de lui redonner un peu de dignité.

Burqa : deux Belphégor flashées à Meaux

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Deux trentenaires ont été condamnées pour port illégal du voile intégral à Meaux, ville de Jean-François Copé et Bossuet. Si le premier avait été l’initiateur de la loi anti-burqa, le second eût le nez creux il y a déjà quelques siècles, en décrivant le calvaire volontaire des porteuses de niqab : « toute la vue de la foi semble réduite à bien voir qu’on ne voit rien ». Belle parabole !

L’avocat des deux plaignantes, qui devront s’acquitter d’une amende de 80 et 120 euros pour s’être rendues intégralement voilées devant l’hôtel de ville de Meaux, ne partage hélas pas la prescience de l’homme d’Eglise.
A en croire Maître Yann Gré, les deux jeunes femmes se pourvoiront en cassation, révoltées d’être ainsi « assignées à résidence » par une décision de justice. Et oui, en l’an de grâce 2011, l’idiosyncrasie de chacun lui dicte de sortir de chez lui comme bon lui semble, vêtu de haillons, de robes en escalopes de porc ou d’une plus rigoriste burqa. Notons que malgré son féminisme (à moins que ce ne soit à cause de lui…), le même argument fut en son temps utilisé par Martine Aubry pour justifier sa mansuétude à l’égard des créneaux religieux dans les piscines…

Dernière nouvelle du front, Kenza Drider, une autre porteuse de burqa soutien des deux jeunes femmes condamnées, annonce vouloir se présenter à l’élection présidentielle de 2012 pour représenter cette minorité en danger.

Allez, soyons beaux joueurs : à défaut d’un programme, on lui a déjà trouvé son hymne de campagne.

Un routard en Absurdie

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Rangoon, photo : Sam Steiner (Flickr)

« À dix mille kilomètres de ta banlieue nord / Y’a pas de lézard, mon gars, tu vas changer de décor / À Rangoon, sous la pluie, quand les rues sont rivières / Ils ont tous les pieds nus, spécial high-kick qui tue ! »

Depuis que je suis arrivé en Birmanie, en ce début 2011, je suis hanté par les paroles de Rangoon Lhassa, la tuerie raggamuffin de La Souris Déglinguée. Sauf que c’est la saison sèche et que les rues ne sont pas encore noyées sous la mousson. Mais le changement de décor a de quoi ébranler l’Occidental, surtout s’il arrive de la Thaïlande voisine : chaussées éclatées, superbe architecture victorienne plus ou moins laissée à l’abandon, jeunes rockers en treillis avec casque SS sur la tête… on imagine difficilement plus glauque. Mais c’est surtout la torpeur ambiante qui frappe : les habitants vaquent à des taches sous-payées en traînant les pieds – qui leur en voudrait de glander dans un pays dont la devise semble être No future ?
Chaque hameau ou pâté de maisons est placé sous la surveillance d’un agent de renseignement, lui-même chapeauté par un chef de quartier ou de village, et ainsi de suite. Depuis les émeutes de 2007, la plus infime tentation de contestation est écrasée dans l’œuf. Les touristes, eux, ne semblent pas se poser trop de questions. Pour deux semaines, je serai l’un d’eux, routard en Absurdie.[access capability= »lire_inedits »]

Qui se souvient des Karens ?

La dernière fois que je suis entré dans le pays, au début des années 2000, c’était en clandestin via la ville frontalière thaïlandaise de Mae Sot, surnommée « Little Burma » à cause de ses camps de réfugiés karens chassés par l’armée birmane. J’avais eu le privilège de pouvoir rester quelques jours dans le Kawthoolei, cet État semi-virtuel du peuple karen en lutte pour sa liberté. Qui sait que des dizaines de Français se sont engagés auprès de ce petit peuple opprimé et que plusieurs y ont laissé leur peau ?

Aujourd’hui, c’est une autre histoire : j’entre en Birmanie régulièrement, avec visa et tout le toutim. Je suis pourtant moyennement rassuré en arrivant à l’aéroport international de Rangoon, ayant quelques raisons d’être parano… Me voici pourtant en règle, avec mon visa obtenu à l’ambassade birmane de Vientiane. Officiellement, je suis donc « truck driver » grâce à un « certificate of employment » bidon bricolé sous Photoshop. Loin du pays karen, je marche maintenant dans les rues de Rangoon avec en tête, encore, les paroles de La Souris Déglinguée : « Moitié en sarong, moitié en treillis, là bas, au sud-est de l’Asie / Oui, même les filles les plus jolies, elles savent se servir d’un fusil. » Je m’attends à une dictature sévère. Je n’imagine pas qu’elle est aussi cocasse à force d’absurdité.

« La Birmanie en trois mots ? Je dirais : arbitraire, absurde, paranoïaque. » Tristan Mendès-France sait de quoi il parle. En 2009, il a tourné « à l’arrache » un reportage, « Happy World in Birmanie », qui pointe les aspects les plus kafkaïens d’un régime prêt à tout pour conserver le pouvoir.

Le bizarre vous saute vite à la gorge. Il y a d’abord l’exotisme propre à la Birmanie : presque tous les hommes portent une sorte de longue jupe élégante, le longhi, et la quasi-totalité des femmes se barbouillent le visage d’une espèce de pâte cosmétique pas vraiment ragoûtante dont la couleur beige évoque de la boue séchée… Il paraît que c’est un truc de séduction. La mondialisation n’a pas atteint ce pays sous embargo. À mon hôtel, le taulier me promet « the best room », la 306. La « meilleure chambre » est miteuse, la fenêtre donne sur les poubelles et l’eau chaude est en panne, mais 306, c’est « 3 + 0 + 6 = 9 », c’est-à-dire le chiffre porte-bonheur pour les Birmans !

Astrologues au pouvoir

Le hic, c’est qu’au plus haut sommet de l’État, on fonctionne de la même façon, comme me le confie Tristan Mendès-France: « La numérologie est un phénomène très populaire en Birmanie. Ce n’est pas un problème en soi. Ce qui est inquiétant, c’est que l’État cale sa politique sur ces croyances. Ainsi, la date de la répression de la Révolution de safran – le 27 septembre 2007, soit 9/9/9 – semble avoir été choisie selon des critères numérologiques… »

Du jour au lendemain, sur le conseil de son astrologue, le dictateur en chef a décidé de changer le sens de la circulation : désormais, on roule à droite au Myanmar. Seulement, les volants des voitures sont restés à droite, de même que les portes des transports en commun. On descend donc du bus au milieu de la rue et, en voiture, on roule à moitié à l’aveugle. Tristan Mendès-France en a tiré une séquence croquignolette.

Mon taulier ne diffère donc pas des maîtres du pays qu’il sert apparemment avec entrain, comme, j’imagine, tous les patrons d’hôtel. Dès que je sors, il me demande avec insistance où je vais, ce que je vais faire. La touriste hollandaise qui occupe la chambre voisine de la mienne semble heureuse de répondre à toutes ses questions sans comprendre que, derrière son sourire, se cache un supplétif de la police. Le lendemain de mon arrivée, un cousin de l’hôtelier (enfin, c’est comme ça qu’on me le présente) m’offre gentiment une Myanmar Beer et me parle de choses et d’autres. Au moment où il attaque le sujet « mécanique », je me retiens in extremis de lui répondre que je n’y connais rien, me rappelant opportunément que je suis censé être chauffeur de camion. Je lui parle de « big car », histoire de voir à quel point il percute. « Yes, me répond-il : truck driver ». Le « cousin » connaît mot pour mot la formule que j’ai inscrite sur ma demande de visa dans un consulat birman au Laos ! Sa visite amicale n’aura pas de conséquences : j’ai dû réussir le test.

Marché noir officiel

À Pagan, dans le Nord-Ouest du pays, je me lie avec un expatrié suisse, appelons-le Michel, qui me confirme que les étrangers sont sous étroite surveillance : « J’ai épousé une Birmane, je lui ai acheté une maison ; eh bien, je n’ai même pas le droit de dormir dedans ! En tant qu’étranger, j’ai l’obligation de résider la nuit dans un hôtel ou une guesthouse. Donc, je paie une chambre à l’année que j’occupe quand je crains une visite de nuit, pour éviter de me faire racketter ou expulser. Je n’ai pas non plus le droit de rouler en moto ou en voiture : en somme, ils savent toujours où me trouver et je ne peux pas me déplacer sans être accompagné. Triste, non, après sept ans à travailler ici ? » Tout est compliqué pour les « expats ». Pour envoyer quelque chose à l’étranger, il faut faire des faux papiers via Singapour. Bien sûr, il n’y a pas de distributeurs de billets, les banques birmanes étant exclues des circuits internationaux, mais pas moyen non plus de recevoir de l’argent via Western Union. La seule solution est d’arriver avec des dollars ou des euros et, si on a réussi à ne pas se faire voler, d’en changer une partie en monnaie locale en évitant les boutiques de change officielles. À Bogyoke Market, je découvre cependant que des bijouteries officiellement agréées par le gouvernement changent au taux du marché noir. On se retrouve donc avec des liasses de centaines de billets, la plus grosse coupure en kyats n’atteignant pas la valeur d’un euro.

Autant dire que la Birmanie n’est pas la destination à recommander aux amateurs de tourisme pépère. Aux routards qui voudraient venir en Birmanie admirer, par exemple, les incroyables temples de Bagan, Tristan Mendès-France dispense de précieux conseils : « Restez dans les clous et les espaces touristiques balisés, n’amenez pas de caméras trop voyantes. Et surtout, gardez en tête que cette dictature est marquée par l’arbitraire. On peut faire des choses très risquées sans se faire prendre et se faire coincer pour des choses banales. Je pense à ce touriste qui a fait de la taule pour avoir pris, en plein Rangoon, une photo d’une pagode à côté de laquelle il y avait un bâtiment administratif… » Comme Tristan, Tai-Luc, de La Souris Déglinguée, ne peut plus mettre les pieds dans le pays : « Ce n’est pas donné à tout le monde d’aller filer un coup de main à la guérilla, dit-il, alors tenez-vous à carreau, prenez des photos de la pagode Shwedagon et des jolies Birmanes, et ramenez-nous des infos sur la situation sur place. »

La situation sur place ? Rien de neuf sous le soleil : on sait que le généralissime Than Shwe a tiré sa révérence fin mars 2011, que la junte militaire a officiellement été dissoute, mais personne n’est dupe de ce ripolinage. Les mêmes fripouilles continuent de tirer les ficelles en coulisse. Les Karens se battent avec des moyens dérisoires dans leurs forêts, les réfugiés vivotent dans les camps mais leur cause n’émeut plus grand monde en Occident − les volontaires français, dont une certaine gauche aimait ricaner – sont de moins en moins nombreux. À Yangon, la chasse aux moines a bien fonctionné et ils ne sont plus assez nombreux pour constituer une menace. Quant aux étudiants contestataires, leurs universités ont été déplacées à des dizaines de kilomètres des centres-villes. Or, les moines et les étudiants étaient les seuls groupes que la police n’avait pas encore complètement infiltrés.

Dans ces conditions, quel espoir reste-t-il pour la Birmanie ? Le courage d’Aung San Suu Kyi, celle que les Birmans appellent « la Dame » dont le prestige semble inaltérable ? L’Absurdie semble avoir de beaux jours devant elle. On ne voit pas, en effet, ce qui pourrait menacer ce régime qui, dans l’indifférence générale, continue à faire vivre son peuple entre burlesque et tragique. [/access]

Turgot à Bercy !

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Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, dit Turgot

Lorsque, le 24 août 1774, Louis le seizième annonce la nomination de Turgot au poste éminent de contrôleur général, les finances du royaume sont dans une situation des plus critiques. Sur la seule année 1770[1. Les chiffres fiables sont rares ; j’emprunte ceux-ci à l’ouvrage d’Alain Guéry, Les finances de la monarchie française sous l’ancien régime (1978)], les dépenses royales s’élèvent à 277,4 millions de livres tournois pour un revenu net de 164,4 millions; soit un déficit budgétaire de 108 millions largement creusé par les intérêts de la dette.

A l’époque, il n’y avait ni euro, ni mondialisation[2. Des barrières douanières il y en avait même entre les différentes provinces de France… C’est dire !], pas de loi de 1973 et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’économie française était tout sauf libérale. En revanche, la monarchie dépensait sans compter pendant que le peuple de France étouffait sous l’impôt. Le programme de Turgot, tel qu’il le présente lui-même au roi dès le lendemain de sa nomination, se résume en une phrase : « Point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunts ».

« Point de banqueroute » : Turgot sait qu’un Etat annulant sa dette se condamne à se passer de créanciers. L’idée selon laquelle l’Etat serait l’otage des financiers est une imbécilité : si vous deviez décider de ne pas rembourser vos dettes, vous commettriez un acte illégal – un vol – et recevriez la visite de la police. Si un Etat décide de ne pas rembourser sa dette, il ne commet aucun acte illicite puisque c’est justement lui qui fait les lois et commande la police. Les financiers, combien de divisions ? Aucune. L’Etat, par définition, détient le monopole de la violence légitime et peut donc unilatéralement annuler ses dettes. Mais tout a un prix : plus personne ne voudra lui prêter d’argent.

« Point d’augmentation d’impôts » : le peuple de France croule déjà sous le poids des taxes. Au-delà de l’impopularité de l’impôt, c’est tout simplement une question d’efficacité fiscale : Turgot a compris que trop de fiscalité tue la fiscalité. Comme l’augmentation des taxes sur le tabac réduit la consommation de tabac, une hausse des impôts sur les activités créatrices de richesses dissuade les gens à créer de la richesse ou les incite à aller la produire sous des cieux plus cléments.

« Point d’emprunts » : la dette n’est pas gratuite et devra un jour ou l’autre être remboursée par de nouveaux impôts (ce sont les français-contribuables qui paieront), par de l’inflation[3. Quand Saint Louis étend le cours légal de la livre tournois au royaume en 1262, une livre tournois vaut environ 98 grammes d’argent mais sous le règne de Louis XVI, elle ne vaut plus que 4,05 grammes d’argent ; en 5 siècles, la monnaie des rois de France a perdu 96% de sa valeur](ce qui revient au même) ou par un défaut de paiement (ce sont les créanciers qui paieront). En ce bas monde, rien n’est gratuit ; il y a toujours quelqu’un qui paie et si vous ne savez pas qui doit passer à la caisse, c’est probablement vous !

Turgot veut et va réussir à faire baisser la dépense publique. Il a compris que l’Etat ne créé pas de richesses mais se contente de les transférer d’une partie de la population à une autre (en général, au profit de ceux qui le servent). Cette idée vous choque ? Pourtant, c’est la justification même de l’intervention publique dans l’économie : contrairement aux acteurs privés; le but de l’Etat n’est pas de créer de la richesse – n’est ce pas précisément pourquoi vous le plébiscitez ? L’accroissement de la dépense publique n’a jamais eu qu’un seul effet, celui d’inciter le peuple à consacrer ses efforts à la captation de subsides publics – c’est-à-dire de la valeur ajoutée produite par d’autres – plutôt qu’à la production de nouvelles richesses.

Cédant aux pressions de certains membres influents de la cour dont l’entourage de la très dépensière Marie-Antoinette[4. Qui ne supportait pas d’avoir à négocier ses dépenses auprès du ministre], Louis XVI, finira par renvoyer Turgot. Et l’histoire, dans son implacable logique, poursuivra son cours.

Depuis 1975, les gouvernements qui ont présidé aux destinées de ce pays n’ont pas voté un seul budget à l’équilibre. Depuis 36 ans, nous avons dépensé toujours plus et accumulé une dette colossale. Je dis bien « nous » parce qu’à la différence de nos ancêtres « nous » avions le choix. Accuser les marchés financiers, les agences de notation, les paradis fiscaux, la loi de 1973, l’euro, la mondialisation ou que sais-je encore relève de l’aveuglement ou de la démagogie : nous sommes les seuls responsables du marasme. Depuis 1975, nous avons eu à de nombreuses reprises l’occasion de renverser cette tendance mais nous ne l’avons pas fait. Nous en sommes arrivés au point où une légère réduction du déficit est unanimement qualifiée de « politique de rigueur » !

Aujourd’hui, ce système est à bout de souffle et nous allons devoir payer les engagements de ceux qui nous ont précédés. Tâchons seulement, pour le bien de nos enfants, de tirer les leçons du passé.

Va te faire voir chez les Estoniens !

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Pour l’instant, dans le « greek bashing » qui sévit un peu partout en Europe, Marika Tuus-Laul, députée centriste d’opposition du parlement estonien, a pris quelques longueurs d’avance. Alors que l’assemblée débattait sur le renforcement du Fonds européen de stabilité financière et le versement d’une nouvelle aide à la Grèce, elle a déclaré : « Les Grecs dépenseront l’aide en ouzo pour danser ensuite le sirtaki ».

Sans même relever chez Marika son art inégalé du cliché et du mépris, on peut se demander si elle n’est tout de même pas un peu jalouse. D’une part, hormis les spécialistes, qui sur Terre peut dire ce que l’on boit et ce que l’on danse en Estonie, aucun metteur en scène n’ayant jugé bon de tourner un « Zorba l’Estonien » ?

D’autre part, qui sait si elle n’envie pas, au fond, une civilisation qui sait s’amuser malgré la crise en buvant et en dansant sous le ciel bleu, avec l’argent des autres, ce qui doit forcément rajouter au plaisir.

Mais rassurons Marika Tuus-Laul, boire de l’ouzo, danser le sirtaki et même, soyons fou, manger du poulpe grillé, les Grecs le font depuis bien longtemps avant leur entrée dans l’Union Européenne, ces saines activités réclamant, somme toute, assez peu d’argent, juste un certain sens du bonheur.

Des Juifs, des chiens et des cochons

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Ayant tout récemment attiré l’attention des lecteurs de ce salon sur les propos de Mahmoud Abbas accusant les habitants des implantations juives de Cisjordanie d’utiliser des chiens et des cochons pour persécuter les Palestiniens, il m’a paru d’autant plus nécessaire d’effectuer quelques recherches pour découvrir la source de cette surprenante mise en cause.

Et cela d’autant plus que, du côté du Quai d’Orsay et de l’Elysée, on ne semble pas s’émouvoir outre mesure de ces graves accusations lancées par le chef de l’Autorité palestinienne à l’occasion d’un discours qualifié d’historique. À ceux qui viennent aux nouvelles à ce propos, de hauts responsables élyséens répondent qu’il y a bien eu, récemment, des plaintes palestiniennes relatives à des sangliers lâchés par des « colons » pour dévaster les cultures des villageois palestiniens. Ainsi, pour nos brillants diplomates, le chef de l’Autorité palestinienne est parfaitement dans les clous en portant de telles accusations.

Et, en effet, on peut trouver sur divers sites pro-palestiniens ce « rapport » récent qui met en cause les « sangliers sionistes ».

D’emblée le ton est donné : « Les agriculteurs palestiniens ont une grande appréhension de ces sangliers qui menacent leurs biens, des sangliers lâchés par les colons sionistes. » Cela suppose donc que les agriculteurs des implantations élèvent des sangliers pour les lâcher au moment des récoltes dans les champs cultivés par les Palestiniens. Or, on sait que la quasi totalité de ces implantations isolées sont peuplées de Juifs ultra-religieux qui n’hésiteraient pas à prendre un bain rituel purificateur si un tel animal, même par mégarde, était entré en contact avec leur corps.

D’ailleurs, si on continue la lecture de ce « rapport », on peut constater qu’aucune précision n’est donnée sur le nom et la situation de ces implantations qui pratiqueraient l’élevage de sangliers. Mais même si cela ne tient pas la route, nos éminents « rapporteurs » palestiniens ne se démontent pas : si les sangliers sont là, c’est parce qu’ils sont attirés par les égouts des « colons ». Tous les chasseurs connaissent l’intelligence de ces animaux, gibier qui se mérite, mais cela faut-il pour cela les créditer de la capacité de distinguer un égout « sioniste » de son équivalent palestinien ?

Donc, ces sangliers n’ont pas été « envoyés » comme il est affirmé dans la phrase liminaire de ce rapport reprise par Mahmoud Abbas, ils sont venus touts seuls, comme des grands. On devrait donc en conclure que ces colons juifs doivent être blanchis de cette accusation calomnieuse. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

Quelques extraits du texte permettent de se faire une idée plus précise. « Zayd (un agriculteur) confirme que trouver des solutions est presque impossible, à cause des restrictions imposées par les autorités de l’occupation israélienne. La municipalité, ajoute-t-il, nous fournit quelques outils pour installer des pièges. Mais ils ne captent qu’une ou deux bêtes parmi les centaines qui envahissent les terrains. Et on ne peut pas utiliser les poisons à cause de leurs effets nocifs sur tout l’environnement.
La meilleure solution est de les chasser, mais les autorités d’occupation israélienne donnent l’autorisation trop tard, après que les bêtes ont tout dévasté, souligne pour sa part le fermier Hossein Islamiyya.
»

À supposer que ces agriculteurs disent la vérité (la terre, comme chacun sait, ne ment pas), les responsabilités des manquements dans la lutte contre les dégâts commis par les hardes récoltivores sont, de leur propre aveu, au moins partagées : la municipalité (i.e. l’Autorité palestinienne) ne fournit qu’une aide dérisoire aux paysans pour protéger leurs cultures, et l’administration militaire israélienne ne donne pas à temps l’autorisation d’organiser des battues. On se croirait en Haute-Savoie, quand les éleveurs de moutons pestent contre un préfet qui leur interdit de faire un sort aux loups qui dévorent leurs brebis. Et au bout du compte, cela donne, dans un discours de Mahmoud Abbas retransmis en direct sur les télévisions du monde entier, que « l’occupant élève des chiens pour nous attaquer et des cochons sauvages pour déraciner nos arbres ».

Il faut être malveillant comme un juif sioniste pour voir là un clin d’œil lancé à tous les bons lecteurs du Coran qui n’auront pas manqué de noter le rapprochement des signifiants « juif » « chien » et « porc ».

Astérix, national-socialix?

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« Tintin au Congo, BD raciste », on connaissait. Cette blague belge est inscrite dans notre patrimoine indignatoire depuis belle lurette. Ce qu’on savait moins, en revanche, c’est qu’il existe nombre d’autres bandes dessinées nazies. Tour d’horizon :

Il y a quelques mois, un génie trop injustement méconnu publiait un Petit livre bleu dans lequel il livrait la quintessence de sa pensée politique. Pour lui, « la société des Schtroumpfs est un archétype d’utopie totalitaire empreint de stalinisme et de nazisme ». Le grand Schtroumpf? Une représentation de Marx. La Schtroumpfette? Une potiche blonde dégoulinante d’une niaiserie toute antiféministe. Quant au méchant sorcier, ennemi juré des lutins bleus, il est laid, avare et affublé d’un nez crochu « comme les capitalistes occidentaux dans la propagande communiste, Gargamel est mû par la cupidité, l’intérêt égoïste et aveugle. Il a tout du juif tel que la propagande stalinienne le représente ».

Dimanche dernier, c’était au tour de Michel Serres, d’alimenter l’autodafé. Dans sa chronique du 18 septembre sur France Info, l’homme s’en prenait à Astérix et Obélix, héros d’un « album de revanche et de ressentiment », faisant systématiquement l’apologie de la violence sous stupéfiants (la potion magique) et typiquement fascistoïde dans son « mépris forcené de la culture ». Il est vrai que les libations des intrépides gaulois se passent souvent hors de la présence du barde, dûment attaché et bâillonné. Ni une, ni deux, Serres décèle là l’illustration d’une maxime célèbre, qu’il attribue (à tort, d’ailleurs) à Goering: « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ».

Et l’on se prend à trembler en se rappelant les horreurs qu’on a sans doute offertes à nos enfants. N’avez-vous jamais songé que le monde enchanté de Winnie l’Ourson, peuplé d’animaux interlopes, n’est peut-être qu’une allégorie de cette bestialité froide tapie en nous et qui ne demande qu’à surgir ? N’avez-vous pas entrevu que l’appétence de l’ursidé pour le miel et sa tendance à chaparder ce nectar n’étaient probablement rien d’autre qu’une apologie de la gourmandise et du vol, autrement dit d’un péché doublé d’un crime ?

Heureusement qu’il reste les poupées. A condition bien sûr qu’on évacue la célèbre Barbie, dont on n’a point encore élucidé le mystère de ses liens avec le Klaus éponyme…

Pinocchio chez Claire Chazal

25
International Monetary Fund

Dimanche, l’interview de DSK par Claire Chazal m’a amené à relire l’article que j’avais rédigé en mai sur le cas Strauss-Kahn. Aurais-je une virgule à y changer ? Hélas, aucune.

Car la prestation de DSK illustre parfaitement l’arrogance d’une élite qui se sent intouchable et en rajoute. Ses « éléments de langage » étaient soigneusement pesés. De quoi s’agit-il ? De ces mots, expressions et ajustements syntaxiques qui permettent aux consultants en communication de contourner la vérité et d’esquiver les faits pour donner une interprétation favorable à certaines pièces du dossier. Eléments de langage dont DSK savait qu’ils ne seraient pas contredits pour avoir, quinze jours durant, négocié les conditions de l’interview avec Claire Chazal.

Derrière chaque mot, se cache un demi-mensonge, une contradiction ou une indignité. DSK dit avoir commis une « faute ». Mais sans la qualifier. Une faute à l’égard de qui ? De sa femme ou de Nafissatou Diallo ? De la bienséance ou du droit des femmes ? On ne le saura pas. S’excuse-t-il de cette faute ? Non. Sans coup férir, il tire du rapport Vance les phrases qui l’arrangent et se garde bien d’en citer les passages embarrassants.

L’ancien ministre ne dit rien de la nature du rapport sexuel (qui dura 9 minutes, de l’entrée de Nafissatou Diallo dans la chambre à sa sortie), si ce n’est qu’il fut « inapproprié ». Il y a quelques années, il avait employé le même mot pour qualifier sa relation avec sa subordonnée au FMI. Mais « inapproprié » au regard de quoi ? D’une morale puritaine anglo-saxonne ? De la bienséance universelle ? Ou du droit commun ? On n’en saura pas plus. DSK n’apporte qu’une seule précision : il ne s’agissait pas d’un rapport tarifé.

Qu’imaginer ? Qu’en 9 minutes, il drague la femme de ménage, lui propose la botte, qu’elle accepte, se livre à lui, lui fait une petite gâterie et s’en va préparer son mauvais plan judiciaire contre lui ? Chacun appréciera la crédibilité de ce scénario.

Au passage, l’ex directeur général du FMI reprend insidieusement la thèse du complot. Sans aucun élément pour alimenter cette rumeur. Mais il est toujours bon de la laisser courir, voire de l’amplifier.

Pour finir, DSK qualifie le rapport Vance de « non-lieu » le blanchissant définitivement alors que ce document ne fait qu’expliquer pourquoi la personnalité de la victime n’est pas suffisamment crédible pour recueillir l’unanimité des jurés, justifiant ainsi la fin des poursuites judiciaires.

Mais le point d’orgue de cet exercice de communication fut marqué par un mélange de contrition (sans réelles excuses ) et de remontrance. Passant soudainement de Mister Dominique à Docteur Strauss-Kahn, DSK nous a asséné ses prescriptions sur la crise européenne (au demeurant insignifiantes, puisqu’on peut résumer sa pensée à « il faut payer ses dettes », ce qui est loin de ce qu’on peut attendre du docteur en économie dont on nous chante les vertus). En agissant ainsi, DSK marque très bien son arrogance : « bon, nous avons parlé un quart d’heure de la faute vénielle que j’ai commise, je vous ai donné toutes les explications, on ne va tout de même pas passer la soirée la-dessus, hein ? Maintenant que cette affaire est close, j’ai des choses sérieuses à vous dire, veuillez m’écouter » semble-t-il nous marteler doctement. Circulez, il n’y a plus rien à voir.

A travers cette manœuvre, DSK nous dévoile son jeu. Il n’a pas de temps à perdre pour revenir dans l’arène politico-économique. Une crise est en cours et il entend bien peser sur son évolution. Non en jouant les premiers rôles lors de la présidentielle – c’est maintenant impensable – mais tout de suite après. Ou même pendant. Martine Aubry en a d’ailleurs fait les frais puisqu’il a révélé (alors qu’elle le réfutait) l’existence d’un pacte de non-agression entre eux. Désormais,tout le monde sait qu’elle est candidate par défaut. Voilà qui va l’aider…

Au cours des prochains mois, il sera intéressant d’observer quel crédit accordent les Français à cet homme qui a méprisé la vérité et affiché son arrogance envers tous ceux qui – d’une manière ou d’une autre- ont été blessés par son comportement.

A suivre… Malheureusement.