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De l’allégeance aux petites phrases


Jean-François Copé et Gérard Longuet à la convention UMP sur la Défense. Photo : UMP

Parfois, il faut s’astreindre à des exercices contraignants qui peuvent se révéler amusants. Comme assister aux trois heures de débats de la convention UMP sur la Défense, qui se tenait mardi soir à l’Assemblée nationale. L’exercice m’a été grandement facilité puisque je confesse une passion masochiste pour ce qui porte des galons et ce qui concerne l’Otan. Mais plus sérieusement, le raout organisé par Jean-François Copé et ses amis, pour préparer le scrutin présidentiel, a surtout été l’occasion de mesurer la grande misère du journalisme politique.

Qu’on se rassure, pas question ici de se mettre au-dessus des partis. Comme les confrères, votre serviteuse se délecte des piques, des petites phrases et de l’écume du débat. Et trouve même rigolo de commenter en live un débat (comme ce fut le cas ici avec Marc Cohen lors du premier débat socialiste d’avant les primaires). Comme tout le monde, je préfère dire des saloperies sur les stratégies des uns et des autres plutôt que de plonger dans le dur de la création d’une banque d’investissement pour les PME, ou de la séparation en deux des établissements financiers. Il n’empêche. On ne peut pas sans arrêt pleurnicher entre confrères sur le fait que « on-parle-jamais-du-fond » et, quand on en a l’occasion, préférer se jeter sur des miettes. Sans se poser une seule petite question sur son/notre –osons le mot- travail, surtout à moins de 300 jours de la présidentielle.

Revenons à nos galons. L’UMP fait salle comble pour causer défense, budget, stratégie et on en passe. Dans le document fourni avant la réunion à quelques journalistes privilégiés , figurent des idées aussi sexy que l’organisation d’un soutien étatique aux PME qui travaillent dans le secteur, des pistes de stratégie pour ce qu’on appelle le « secteur des industries de souveraineté », la question de la place des réservistes ou l’affirmation de la volonté de poursuivre « le renforcement de l’influence de la France dans l’Otan ». Somme toute pas de la petite bière quand il y a quelques guerres sur le feu, que la perspective d’une paix universelle s’éloigne (à supposer qu’elle ait jamais existé) et que chacun sait que le budget de la défense va trinquer à l’automne, victime collatérale de la Dette.

Or, qu’avez-vous vu, lu, ou entendu à la radio sur cette convention ? L’allégeance au drapeau, point barre. Et le fait que le ministre de la Défense lui-même, le chargé du programme pour l’UMP ensuite, les militaires et certains députés trouvent l’initiative malheureuse. Autant dire qu’en 48 heures, l’idée forte qui ressort vient d’être enterrée, non sans une petite polémiquette entre la méchante-droite et la gentille-gauche qui a occupé un peu les antennes et les journaux.

A ce propos, notons la grande habileté de Jean-François Copé. Qui, une fois de plus, est parvenu à vendre une fausse idée choc à la presse toute entière, quitte à vider de sa substance la convention qu’il était censé organiser et promouvoir. Il n’est plus chef de parti mais grossiste en polémique. Et c’est tout à son honneur- façon de parler- de trouver à chaque fois matière à indigner la presse.

Journalistes, qui, sauf exception notable (j’ai les noms à disposition) sont restés vingt minutes à l’Assemblée avant de rentrer dans leurs pénates, pensant qu’il n’était sans doute pas nécessaire de s’imposer des débats fastidieux entre l’ancien chef d’état major des armées, le général Georgelin, le directeur général délégué à la stratégie d’EADS, Marwan Lahoud, des députés allemands et anglais qui ont des trucs à dire sur l’Otan ou l’Afghanistan. Ou bien même un discours de Gérard Longuet, le ministre de la Défense qui a bel et bien enterré la jolie chimère d’une défense européenne sous les yeux ravis des militaires dans la salle.

Le seul avantage de ces trois heures de débats, c’est qu’elles permettaient de remettre l’allégeance au drapeau à sa place. Aux oubliettes. Question polémique, il y a d’ailleurs peut-être plus à creuser du côté de l’UMP qui dit vouloir faire de la défense une priorité (pas comme la gauche, antimilitariste)…en essayant de faire oublier qu’elle s’apprête à faire voter les plus grosses annulations de crédit de l’histoire de la Vème République au budget, ben oui, de la Défense…

Alors, je ne jette pas la pierre à mes confrères. L’urgence, un chef qui a vu un truc dans l’AFP et qui veut de l’allégeance au drapeau, le manque de place, la concurrence entre chaînes d’info continue ou entre sites internet, la surcharge de travail, ça existe. Mais de grâce, dans ce cas, il serait temps d’arrêter tous ensemble (je me mets dans le lot) de demander qu’on fasse plus de fond. Et assumons notre goût un peu paresseux et vaguement excitant pour la petite polémique. Acceptons alors de nous faire balader par Jean-François Copé ou un autre, même si la droite semble bien meilleure que la gauche en la matière. Sauf quand DSK fait des siennes, mais c’est autre chose.

Je me souviens d’une tradition de presse, il y a bien longtemps. Avant toutes les grandes campagnes électorales, les chefs de service politique avaient pour habitude de réunir leurs troupes pour annoncer des recrutements de nouveaux journalistes ne venant pas du sérail avec un seul et unique objectif : raconter la politique autrement, pour être à la hauteur des enjeux et jouer pleinement leur rôle démocratique. La première fois, ça fait toujours un truc (parce qu’on fait souvent partie des nouvelles recrues qui pensent pouvoir faire mieux, et autrement, quelle prétention !). La deuxième fois, on ricane. Et si on n’est pas dégoûté, les fois suivantes on se dit qu’on va juste essayer d’aller en reportage le plus possible sans illusion(s), ni volonté messianique de changer le monde. A chaque fois que Copé (ou les députés de la Droite Populaire) lancent une nouvelle polémique, je repense à ses vaines réunions d’état major, je respire un bon coup et je dis une connerie. Dans le fond, je prescrirais volontiers le même régime à mes confrères journalistes.

Ça peut éviter de se jeter sur n’importe quoi. Ça évite surtout de fatiguer sa famille et ses amis sur la misère du journalisme politique. Et ça permet d’assister tranquillement aux conventions de l’UMP en profitant du spectacle (le théâtre aux armées, selon la formule d’un ami vraiment spécialiste de la chose militaire, qui est lui aussi resté dans la salle jusqu’au bout).

La prochaine convention a lieu la semaine prochaine, elle est consacrée à la culture. Je suis prête à prendre les paris sur le débat qui va occuper les antennes pendant une journée. Au pif : moins financer l’art contemporain ou le théâtre qui insulte la culture classique de la France ? Succès garanti sur France Cul et dans Libé. Je commence déjà à respirer un bon coup.



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est journaliste

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