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Le pistolet à un coup de Nicolas Sarkozy

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A droite, ceux qui sont engagés dans le « temps du combat » peuvent s’entourer de légitimes précautions et, avec Jean-Pierre Raffarin, attendre « le temps de l’analyse ». Les autres ne sont pas forcés de taire leur inquiétude, et leur amertume. Les premiers sont dans leur rôle, en assurant que « rien n’est plié », les seconds ne sont pas forcés de se nourrir d’illusions. Même si le résultat de l’élection devait me détromper, je garderais cette amertume. On dit que la stratégie de Nicolas Sarkozy serait responsable du score élevé du FN. De nombreux observateurs soulignent que, par la droitisation de l’UMP, il a légitimé le vote FN. Dès les régionales de 2010, on pouvait craindre que le siphon soit bouché, qu’il reflue. Loin de contenir le vote FN, ne faisait-il pas que l’alimenter ?

Cela reste possible. Un cadre du FN convenait d’ailleurs que la proposition d’une présomption de légitime défense pour les policiers « légitimait » leur proposition identique. Mais pour ne pas accuser à la légère, il faut reconnaître que le raisonnement a ses limites : 2007 fait en effet figure d’exception. Le FN avait déjà connu des scores à deux chiffres auparavant, même s’il réalise son meilleur résultat cette fois-ci. En outre, lorsque Jean-Marie Le Pen a obtenu le score historique qui l’a fait parvenir au second tour en 2002, ce n’est pas parce que Jacques Chirac ou Lionel Jospin auraient cajolé l’électeur frontiste. Bref qu’on l’ostracise ou qu’on le draguouille, le FN suit sa voie. De plus, la montée de l’extrême droite est loin d’être une spécificité française. Elle intervient de toutes façons aussi dans de très nombreux pays européens, des Pays-Bas à la Suisse, pour des raisons étrangères à la stratégie de Nicolas Sarkozy.

Il ne peut donc pas être avancé avec une absolue certitude que la stratégie élaborée et vantée par les mauvaises consciences de Nicolas Sarkozy, Buisson et Peltier, ait fait croître le vote FN. Elle ne l’a, à tout le moins, pas contré. Elle n’a pas, comme on l’entendait, « ramené les électeurs du FN dans le giron républicain ». Cette stratégie reste contre-productive et nuisible à la droite. Elle a échoué. Certains se satisfont que le score du FN n’ait pas été plus haut. Si, en cinq ans d’exercice du pouvoir et de stratégie droitière, on en est réduits à se réjouir que Marine Le Pen ne soit pas au second tour, ce n’est qu’une autre façon de caractériser un échec.

Cette stratégie était un pistolet à un coup. Il y a quelques jours, Michaël Darmon rapportait ce propos de Nicolas Sarkozy : : »si c’est le côté protestataire qui explose vous voyez bien que l’appel aux centristes ne sera pas efficace »
Mais comment un président élu, à la tête du « système », peut-il espérer satisfaire un vote protestataire ? Si les électeurs protestent, c’est évidemment contre lui, contre le président élu, contre une situation actuelle dont le président est jugé comptable, un système dont il est le premier représentant. Ce qui a pu fonctionner en 2007 ne pouvait pas se reproduire dès lors que Nicolas Sarkozy a exercé le pouvoir. C’est bien évidemment l’une des meilleures raisons pour lesquelles le FN a toujours prospéré : il n’exerce pas le pouvoir.

Cette stratégie disait-elle vraiment son objectif ? S’agissait-il vraiment de ramener les électeurs du FN ? Nos brillants stratèges Buisson et Peltier – tous deux issus de l’extrême droite ne veulent-ils pas plutôt droitiser l’UMP sous couvert de siphonner l’électorat frontiste ?

Aujourd’hui, en admettant que cette stratégie n’ait pas nourri le vote FN, elle a indéniablement droitisé l’UMP, et ses électeurs. Il n’y a pas à chercher longtemps pour entendre autour de soi – parmi les électeurs d’une droite que l’on dira aujourd’hui modérée mais que l’on disait seulement « de droite », avant – des idées que l’on réservait auparavant aux électeurs du FN.

Nicolas Sarkozy a emmené avec lui une partie de la droite. Qu’en restera-t-il demain ? Déjà, la Droite Populaire sort les couteaux pour réclamer une place plus grande au sein de l’UMP, et dénigrer au passage l’aile humaniste. Thierry Mariani assure que le curseur d’est déplacé à droite depuis 2002.

Son constat est faux : France2 et Valeurs Actuelles nous ont rappelé que le programme de la droite d’il y a vingt ans était plus à droite qu’aujourd’hui. Autrement dit, à supposer que l’électorat se soit droitisé, ce n’est pas de sa propre initiative, mais parce qu’on l’aura droitisé, dans la mesure où les électeurs se soucient moins de la sécurité et de l’immigration que de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Faut-il que l’UMP survive à un éventuel échec de Nicolas Sarkozy ? Faut-il maintenir un simple appareil logistique sans cohérence idéologique ? A supposer que cela soit souhaitable, l’UMP ne pourra survivre que si elle accorde une plus grande représentativité à ses différents courants, afin que soit bien identifié qui fait du saucisson-pinard tout en maniant l’insulte misogyne de comptoir; et qui est humaniste et responsable. Si les humanistes restent inaudibles, nombre d’électeurs quitteront l’UMP, sauf à rompre eux-mêmes avec leurs valeurs.

Aurons-nous pour seul choix, demain, que l’extrême droite ou la droite extrême ?

Entre les Populaires et les Humanistes, ce sont aussi deux conceptions de la politique qui s’opposent. La politique sondagière, qui pelote l’électeur et répond aux symptômes, avec une efficacité électorale temporaire, et celle qui cherche les solutions de fond et les politiques d’avenir.

Vous me trouvez manichéen ? C’est vrai que je m’accroche à l’efficacité de cette seconde conception de la politique. Pour ne pas désespérer de la démocratie.

Pendant la minute de silence, la parole se libère

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Le mardi 20 mars 2012, dans des établissements scolaires de banlieue, des élèves ont protesté contre la minute de silence à la mémoire des enfants et du professeur juifs assassinés par Mohamed Merah, et parfois même, comme ce fut le cas à Saint-Ouen (93), refusé de l’observer. « On ne fait pas de minute de silence pour les enfants de Palestine ! », a-t-on entendu à Saint-Denis comme à Bobigny, ou encore : « Il y a des enfants qui meurent partout dans le monde, comme par hasard, pour ceux-là on fait une minute de silence… », appréciations ponctuées de « Moi, j’aime pas les juifs »[access capability= »lire_inedits »]… Ces commentaires fleurissent aujourd’hui sur Twitter et autres réseaux sociaux. Certains élèves, incapables de prendre conscience de la portée de leurs paroles, ont été jusqu’à affirmer : « Ils étaient juifs, mais c’étaient quand même des enfants… », ce qui est assurément moins terrifiant que « On s’en fout, c’étaient des juifs ».

Ce sont des paroles d’adolescents de France, face à un drame inédit dont la violence, pensait-on, avait bouleversé tout le pays. Bien sûr, est-il besoin de l’écrire, il n’y a pas un assassin qui sommeille en chacun de ces jeunes : juste un antisémitisme si prégnant qu’il aveugle et fait perdre toute capacité d’empathie. Mais pour envisager des réponses cohérentes et coordonnées, il faudrait d’abord accepter de voir cette réalité ; or, les optimistes et les naïfs s’y refusent, préférant mettre ces mots terribles sur le compte de provocations sans lendemain ou y entendre l’expression d’un malaise social, quand ils ne décrètent pas que ce sont-là des élucubrations, surinterprétations et autres fantasmes d’idéologues – tant il est vrai que l’idéologue, c’est toujours l’autre.

En avril 2002, il y a dix ans exactement, Le Monde publiait la lettre d’un professeur d’histoire exerçant en banlieue, titrée « Antisémitisme à l’école ». En octobre de la même année, dans Les Territoires perdus de la République, ouvrage dirigé par Emmanuel Brenner, un collectif d’enseignants témoignait du développement inquiétant, dans les collèges et lycées de certaines banlieues françaises, de l’antisémitisme et, plus largement, d’une vision binaire du monde dans laquelle les harkis sont des traîtres, les homosexuels une aberration, le sexisme une évidence.

L’accueil du livre fut des plus glacials. Pour nombre de commentateurs, d’intellectuels et de journalistes, les situations décrites dans Les Territoires perdus étaient des cas isolés ou des épiphénomènes, voire le fruit des élucubrations tendancieuses de pessimistes ou de paranoïaques – qu’on ne qualifiait pas encore d’« islamophobes ».

Depuis, beaucoup se sont ingéniés à ne rien voir, à ne rien entendre – et, bien entendu, à ne rien dire. En dix ans, les signaux d’alarme n’ont pas manqué, du rapport Obin[1. « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », rapport au ministre de l’Éducation nationale présenté par Jean-Pierre Obin, juin 2004.] à celui du Haut Conseil à l’intégration sur la laïcité à l’école[2. « Les défis de l’intégration à l’école », Recommandations du Haut Conseil à l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les espaces publics de la République, 20 mars 2011.], en passant par de multiples témoignages d’enseignants et l’assassinat d’Ilan Halimi qui paya de sa vie le fait d’être juif.

En mars 2012, des jeunes hommes ont été froidement abattus parce qu’ils étaient des soldats français ; des enfants et un jeune professeur de 30 ans ont été tués à bout portant parce qu’ils étaient juifs. Que faut-il de plus à tous ceux qui s’obstinent à ignorer que certains jeunes Français, rejetant la République et ses valeurs, sont animés par un antisémitisme viscéral ? Combien de morts encore pour éveiller la conscience de ceux qui propagent le même discours lénifiant depuis dix ans ? Il y a dix ans, Mohamed Merah avait 13 ans ; il était élève au collège Ernest-Renan.[/access]

Gross malheur : Sarkozy déshonore la droite française

Les socialistes espéraient si fort en début de campagne que Nicolas Sarkozy ne parviendrait pas à se qualifier pour le second tour, ils souhaitaient tellement qu’il se fasse déculotter par l’ouragan mariniste, qu’ils agissent finalement comme si Sarkozy n’était pas arrivé à un point et demi d’Hollande, et donc comme si Le Pen fille avait réussi le coup de papa, mais aux dépens de l’UMP, cette fois.

C’est ça la magie de la gauche, lorsque la réalité ne lui convient pas, elle la réenchante.

Parce que les socialistes rêvent que leur champion réalise un score à la Chirac, ils font tout ce qu’ils peuvent pour rejouer le scénario de 2002. Ils nous ressortent tout l’attirail antifasciste et nous font revivre les plus belles heures des grands procès staliniens.

Il faut dire que s’enfermer dans l’illusion d’un ennemi commun à abattre est bien plus efficace que de parler aux salauds de pauvres qui ont donné leurs voix au FN. L’enjeu est donc de réactiver la vigilance antifasciste afin que tous les républicains bayrouistes et indécis se rallient à la gauche pour faire barrage au Mal absolu. Et pour cela, Sarkozy doit être perçu comme un affreux frontiste déguisé. C’est la stratégie de dérépublicanisation, mise en scène dès le lendemain du premier tour par la presse militante. Les déclarations gonflées à l’hélium d’Arnaud Montebourg, lors d’une interview donnée au Monde de ce week-end, font écho à cette menace fantôme d’un sarkozysme néopétainiste qui a été agitée toute la semaine dernière.

Avec l’outrance d’un converti de l’avant-dernière heure, il déclare gravement que le candidat de l’UMP « a franchi la ligne rouge » (cette couleur est décidément bien inoubliable) et « déshonore la droite française en faisant tomber les barrières qui, depuis la seconde guerre mondiale, la séparaient de l’extrême droite et que M. Chirac avait su préserver. » Montebourg agite la figure menaçante d’un Sarko extrémisé, lepénisé, démonisé afin de mieux exalter le combat idéologique devenu tellement routinier entre républicain et fasciste, entre Bien et Mal. Et voilà comment le front commun antisarkozyste se mue, par un coup de baguette idéologique, en un front antifasciste fantasmé. Il fallait le faire. Ils l’ont fait…

Rendez-nous Cheminade !

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Pendant la campagne du premier tour, tout particulièrement lors des deux dernières semaines lorsque le conseil constitutionnel avait imposé l’égalité parfaite entre les candidats sur les ondes, on a entendu la plupart des médias se plaindre de devoir donner autant de temps de parole à Jacques Cheminade qu’à Nicolas Sarkozy et François Hollande. Avec la suffisance qui les caractérise souvent, ils se sont plaint de devoir interroger celui qu’ils tenaient au mieux pour un hurluberlu, au pire pour un fou dangereux. On pouvait parfois lire leur embarras, souvent leur agacement. Bien sûr, les liens de Cheminade avec Lyndon LaRouche posaient questions, ce dernier n’ayant pas hésité à comparer Obama à Hitler. Mais nous y reviendrons. Bien sûr, ses projets de colonisation de la Lune et de voyage sur Mars détonnaient dans notre contexte électoral. Mais le candidat de Solidarité et Progrès était bien l’arbre cachant la forêt des petits candidats qui constituaient autant de gêneurs.

Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan et même Eva Joly, une fois passée la barre des 5% dans le sens descendant, agaçaient davantage puisqu’eux n’évoquaient pas de projets spatiaux étonnants et qu’il était donc moins facile de les tourner en dérision. Il fallait même leur donner 10 % du temps de parole chacun. Tout tournés vers la lutte pour la finale et celle, honorifique, pour la troisième place, les grands médias, à quelques exceptions près, déclarèrent ces candidatures inutiles sous prétexte que les intéressés n’avaient aucune chance de devenir président de la République et ne s’en cachaient pas. Comme si une campagne électorale était seulement l’occasion de sélectionner celui qui aurait la charge de devenir chef de l’Etat ! Comme si elle n’avait pas aussi pour but d’éclairer le débat public dans un pays qui compte presque autant de courants politiques que de fromages. Imagine t-on le Tour de France avec seulement une vingtaine de coureurs, c’est-à-dire réduit aux équipes des trois favoris ? Imagine t-on que dans un excès de générosité, on autorise finalement la vingtaine d’équipes à concourir, mais qu’on décide néanmoins que les trois favoris ne partiront pas sur la ligne de départ avec les autres, mais quelques dizaines de kilomètres plus près de l’arrivée, parce que, les autres, on s’en fout ?

Il semble que le Président-sortant, lui, l’imaginait comme ça, puisqu’il s’est longuement lamenté d’avoir dû participer à une émission entre Cheminade et Arthaud. Intervenir entre ces deux manants posait visiblement des problèmes à son ego. Et Sarkozy de chouiner sur le fait qu’ils étaient neuf candidats contre lui, tout seul. Le pauvre ! Tous les autres candidats étaient à un contre neuf. Et s’il était davantage visé dans les diatribes des autres, c’est sans doute qu’il était sortant. Serais-je désobligeant de signaler à Nicolas Sarkozy que la meilleure solution pour éviter ce désagrément fût sans doute de ne point se représenter ? François Hollande fut plus discret sur le sujet mais il semble bien que débattre avec d’autres adversaires que Nicolas Sarkozy ne le motivait guère. Il aurait accepté le principe d’un tel débat que Nicolas Sarkozy aurait été contraint d’y participer aussi. Il a préféré être complice de son futur rival du second tour.

Même sans débat, ces cinq semaines d’égalité – dont les deux dernières de manière stricte – ont été une bénédiction pour notre démocratie. Elles ont permis aux électeurs de se faire une idée en écoutant tous ceux qui avaient été sélectionnés par les élus[1. Sélection dont Dominique de Villepin ou Christine Boutin et même Marine Le Pen savent qu’elle n’est pas facile.]. Alors qu’un mois avant le scrutin, on prévoyait un taux d’abstention proche des 30%, elles ont permis de redonner de l’oxygène à cette campagne qui en manquait singulièrement.

Depuis dimanche soir, les gêneurs enfin éliminés, on n’est pas revenu au combat dans la boue, mais au combat dans la merde. Il est désormais loin, le portrait d’Obama avec une moustache d’Hitler qu’on montrait au pauvre Cheminade pour lui faire honte. En six jours, on a eu droit aux portraits de Pétain, aux références à Staline ou à Pierre Laval. On aussi accusé un site internet de relayer un appel de 700 mosquées alors qu’il avait seulement réalisé une enquête sur le fait qu’un individu tentait de le susciter. Aujourd’hui, c’est le fantôme de Kadhafi qui s’invite à la table et on pressent que le futur face-à-face de mercredi n’atteindra pas des sommets de courtoisie républicaine. Décidément, cette dernière semaine s’annonce très très longue.

Daniel Cohn-Bendit trouvait la campagne du premier tour chiante. Moi, je la regrette en constatant le niveau de celle du second. Rendez-nous Cheminade, parbleu !

Des électeurs très courtisés

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La montée en puissance d’un fort sentiment identitaire hétérosexuel, avivé par les sarcasmes de la majorité morale gay et féministe au pouvoir, pourrait être une des clés de l’élection présidentielle. Reste à savoir qui, des deux candidats, saura le mieux séduire les hétéros.

Un électorat orphelin de son candidat naturel

Un homme – « un vrai », comme ils disent – incarnait jusqu’à l’excès les aspirations des hétérosexuels radicaux : Dominique Strauss-Kahn. Il était le candidat naturel non seulement des mâles dominants, mais aussi des femmes qui se savent « chiennes » ; et ça fait du monde !
Ses mésaventures new-yorkaises et lilloises lui valent, aujourd’hui encore, le respect de beaucoup d’hétéros, par-delà le traditionnel clivage droite-gauche : « Il a fait tout haut ce que beaucoup d’hommes pensent tout bas ! » confie même, sous couvert d’anonymat, un député de la Droite populaire.
N’empêche ! Ces deux affaires pendantes lui ont coupé, au moins provisoirement, la route de l’Élysée. Alors, vers qui les électeurs frustrés par son retrait vont-ils se retourner ?[access capability= »lire_inedits »]
A priori, c’est Nicolas Sarkozy qui semble être dans la meilleure posture : « L’hétérosexualité, il faut avoir le courage de le dire, est une constante, souvent majoritaire, du genre humain ». Cette petite phrase, prononcée à l’inauguration de l’exposition Jean Gabin, n’est pas innocente à quelques semaines du scrutin.
Encore à la peine dans les sondages, le président – candidat s’est avisé de ce réservoir de voix hétéros qui pourrait faire la différence. Est-il donc prêt, pour l’emporter, à flatter les plus bas instincts ? C’est ce dont l’accuse déjà François Hollande, pour qui son rival reprend là « les clichés machistes les plus éculés sur la relation homme-femme ».
Une saillie maladroite, à vrai dire, de la part du candidat socialiste, dont la « normalité » affichée passait déjà, dans l’aile hétéro de son électorat, pour une mollesse ambiguë. Faute d’un rapide redressement de tir, le divorce entre François Hollande et les orphelins de DSK serait consommé, comme le montrent les derniers sondages de l’institut Onionway.

Interview de Marc Dumayot, président de l’association Hétér’Up

On assiste ces derniers mois à une radicalisation des revendications dans les milieux hétéros militants, et, en parallèle, les critiques contre un certain « communautarisme hétéro » se multiplient, émanant de personnalités aussi différentes que, à gauche, Pierre Bergé ou, à droite, Frédéric Mitterrand. Que répondez-vous à ces accusations ?

Marc Dumayot. Que ce n’est pas à deux vieilles tarlouzes de décider de la façon dont de très nombreux Françaises et Français vivent leur sexualité ! Plus sérieusement, l’identité hétéro s’est radicalisée tout simplement parce qu’elle s’est sentie menacée. De l’attitude « gay friendly » imposée par le politiquement correct, on est passé progressivement à un climat d’hétérophobie rampante qui débouche sur une véritable ségrégation sociale. De nos jours, un hétéro normal se voit pratiquement interdire l’accès à certaines professions comme antiquaire, danseur classique, créateur de mode, maire de capitale… On voudrait nous cantonner à des activités de gardiennage, ou liées à la ruralité. C’est totalement contraire à l’esprit des droits de l’homme dont on nous rebat les oreilles. Ou alors, de quel genre d’« homme » s’agit-il ?!

Vous semblez suggérer une « domination gay » sur les élites. Mais le problème ne réside-t-il pas surtout dans la concurrence croissante entre l’homme hétérosexuel et une femme « virilisée » et ambitieuse – cette executive woman qui prend de plus en plus les places de direction ?

L’un n’empêche pas l’autre, malheureusement ! Un demi-siècle de féminisme triomphant – souvent d’origine goudoue d’ailleurs – a fait des ravages.
Aujourd’hui, l’« homo hétéro », au sens d’homo sapiens bien sûr, est pour ainsi dire pris en sandwich entre les pédés d’une part, et d’autre part ces connasses qui se croient en tout l’égale des hommes. Avec les conséquences désastreuses, en termes d’efficacité économique et d’équilibre psychologique, qu’on imagine !

Irez-vous jusqu’à donner des consignes de vote ?

Nous demandons aux deux candidats des engagements écrits sur trois points : le vote rapide d’une loi réprimant l’hétérophobie ; un amendement à la Constitution proclamant solennellement que seule une relation hétérosexuelle est susceptible de donner la vie ; et enfin l’institution d’un PACS spécifiquement hétéro, pour ceux – et celles – qui ne veulent ni « sacraliser » leur relation par le mariage, ni être assimilés pour autant à des pédés ou à des gouines !

À vous écouter, on a un peu l’impression que l’hétérosexualité est d’abord une affaire d’hommes. Les femmes semblent faire de la figuration…

Absolument pas ! Une de mes amies, qui buvait tranquillement son Mojito dans un bar du Marais, s’est fait prendre à partie et traiter de « fendue » par des gays vindicatifs. À Hétér’Up, nous nous battons aussi pour ces femmes-là – sans qui, il faut bien le dire, notre combat perdrait en crédibilité.

Les hétéros, minorité risible ?

Le point de vue de Roland Racol, directeur des enquêtes à l’institut IPNOS

« Il est difficile d’apprécier aujourd’hui l’importance exacte du “vote hétéro”. D’abord parce que les statistiques communautaires sont interdites en France. Ensuite parce que, pour le moment, la communauté hétérosexuelle n’est pas très structurée : il n’y a pas, chez cette grosse minorité, la culture associative qu’on retrouve chez les gays, les féministes et les minorités religieuses. Pour autant, les candidats auraient tort de négliger les revendications d’une association comme Hétér’Up, qui canalise utilement la contestation hétérosexuelle.

Sur le plan électoral, si vous additionnez aux hétéros militants les homosexuels contrariés – qui, selon nos projections, votent souvent avec eux – vous obtenez les quelques pourcent qui pourraient faire la décision le 6 mai. En outre, il serait dangereux pour la démocratie de laisser cet électorat sans représentation, à l’heure où la radicalisation d’une certaine frange de la communauté est un fait nouveau incontestable. Lors de la dernière Gay Pride, des activistes hétérophiles s’en sont pris sans ménagement au char disco de Bareback FM, brandissant leur drapeau aux trois couleurs primaires et scandant des slogans stigmatisants comme “Les pédés à Pékin !” ou “Un homme, une femme, chabadabada !” Qui aurait imaginé un tel spectacle il y a encore un an ? Mais d’un autre côté, vous me direz, qui aurait pu penser, du temps du Général, que Paris serait un jour envahi par une manif’ de cent mille pédés ? »[/access]

La dernière muse d’Alberto

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Même dans leurs longs silences, les vieilles dames de la Baie des Anges nous ouvrent leur cœur. Dans Le dernier modèle, l’écrivain Franck Maubert, auteur de nombreux livres d’art, est parti à la rencontre d’une femme d’âge mûr qui termine sa vie dans un modeste appartement de Nice. Ce n’est pas une riche héritière des mines de phosphate, ni une ex-star de la Victorine, pas même une entraîneuse qui aurait mis le grappin sur un lord anglais, gentleman et anarchiste.

Caroline, de son vrai nom Yvonne, est pourtant bien plus que tout cela. Sa vie flamboyante et sordide, comme tous les grands destins tragiques, dépasse de loin l’entendement. Elle a tutoyé l’un des dieux de la création du XXème siècle. On ne ressort jamais indemne d’une telle rencontre. Fracassante à tous points de vue. Caroline est « le dernier modèle » d’Alberto Giacometti. Leur histoire remonte à novembre 1958. Giacometti aime se perdre dans les bars de Montparnasse, il en aime l’esprit frivole mais aussi la gravité des êtres qui s’exprime dans la nuit. Il aime surtout les prostituées, elles l’obsèdent. Caroline a vingt ans, lui soixante et pourtant, « il est attiré par cette inconnue dont il entraperçoit l’âme. Elle est insaisissable ». Elle fume des cigarettes mentholées, boit du Coca-Cola, n’a pas froid aux yeux et forcément, les hommes tombent sous son charme. Ce qui aurait pu être une banale coucherie est le début d’une romance que les amateurs d’art peuvent admirer sous le nom de « Caroline en larmes » et « Caroline avec une robe rouge », deux huiles sur toile peintes par le maître entre 1962 et 1965. Caroline qui appelle Alberto, « ma Grisaille », découvre un monde inconnu.
Chacun se nourrit de sa singularité, est avide de ses propres errements. Alberto l’interroge sur les hommes, tente en vain de sonder l’âme de cette petite, mélange d’effronterie et de sincérité désarmante. Il n’est dupe de rien et se contrefout de l’argent. Il est déjà immensément célèbre et riche. Elle lui réclame une Ferrari rouge comme un caprice d’enfant, il lui offre une MG de la même couleur. Caroline n’est pas une Sainte, c’est ce qui l’aime chez elle, cette sauvagerie, cet abandon et cette furie que la jeunesse offre. Lui, sera bientôt malade.

Franck Maubert a retrouvé cette Caroline qui, entre non-dits et désir de parler, se livre, exhume ses souvenirs. C’est si loin, les nuits de Montparnasse, les virées en cabriolet, Caroline au volant, Alberto au dessin, croquant la ville, les monuments, les visages, les silhouettes. Elle se demande « comment un tel homme pouvait s’intéresser à une fille comme moi ? ». Il en était fou. Alors, elle se rappelle que la première fois où elle a posé pour lui dans son atelier, Alberto n’y est pas arrivé. Il jurait. La rage du créateur n’avait pas réussi à capter le regard de Caroline, à percer le secret des ses yeux. Il recommencera, dix jours plus tard, pour enfin y parvenir. Elle se souvient d’avoir été éblouie par les sculptures qui se tenaient debout comme des personnes et qui paraissaient si vivantes.

Leur histoire n’est pas simple. Elle s’absente parfois plusieurs jours, il ronge son frein, en souffre, mais ne dit rien. Elle s’est mariée entretemps avec un vieillard de quatre-vingts ans. Leur histoire repart de plus belle. Leur amour est compliqué. Giacometti est marié à Annette et son fidèle frère Diego fait mine d’ignorer cette maîtresse qui roule en grosse américaine et qui porte des talons trop hauts à son goût. Alberto se moque des convenances, car une seule chose compte pour lui : créer. « Qu’est ce que créer ? Faire, faire et refaire. C’est cela créer. Refaire sans cesse. Là où j’en suis » avoue-t-il. Cinquante ans plus tard, entre ses canaris en liberté et un verre de Campari posé sur une table basse, Caroline se confie. Maubert avance à pas feutré face à cette dame âgée qui traverse une mauvaise passe. Il se fait tout petit. Il se glisse dans le moindre des espaces qu’elle laisse, s’y engouffre pour obtenir enfin quelques « révélations » comme ce séjour à Londres et la rencontre avec un Francis Bacon passablement alcoolisé.

Maubert dit de Caroline : « tout en elle n’est que fragilité jusqu’à ses sourires qui ponctuent son mutisme ». Ils descendent ensemble manger une grillade sur une terrasse. Elle picore dans son assiette, non sans avoir préalablement rehaussé ses minces lèvres d’un rouge discret et s’être parfumée d’Heure Bleue. Il remonte dans son appartement. Cette fin d’après-midi ressemble à un film d’Ettore Scola. Il lui lit quelques lignes de Belle du seigneur, lui montre les photos de son amour passé, quelques mots griffonnés de sa main, toute une vie enfouie… Elle aurait aimé avoir un enfant de lui, elle n’aura même pas un dessin. Mais, ces deux-là se sont aimés. Quel plus bel héritage ! Le dernier modèle est un roman pudique et puissant comme un crayonné d’Alberto. A lire au soleil couchant de la Méditerranée.

Franck Maubert, Le dernier modèle (Mille et une nuits)

La Terreur ? Quelle horreur ! Réponse à Isabelle Marchandier

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En rapprochant « Onfray », « Mélenchon » et « Terreur » dans sa brève du 11 avril, Isabelle Marchandier ne pouvait manquer d’attiser ma curiosité historienne et de flatter mon goût pour la pique politique bien sentie dont seul Causeur a le secret. Hélas, je n’ai pas réussi à me réjouir avec elle de l’horreur de la Terreur éprouvée par Michel Onfray.

La Terreur étant un sujet clivant et, pour cette raison, un sujet politique, je serais bien mal avisé de reprocher à Isabelle Marchandier d’avoir joué son rôle de polémiste. Mais j’ai scrupules à ne pas jouer mon modeste rôle d’historien.
Certes, on peut apprécier que Michel Onfray se découvre une âme girondine. Au passage, sa métamorphose n’est pas si récente puisqu’on peut la lire dans son Eloge de Charlotte Corday, publié en 2009. On peut aussi louer qu’il se soit converti à la modération et à la démocratie représentative. Au passage, son Eloge de Charlotte Corday, laisse subsister certains doutes. Soit ! On peut enfin apprécier qu’il dénonce la différence de traitement médiatique réservé aux références culturelles des extrêmes.

Mais que devient la Terreur dans cette histoire ? Un sempiternel topique ! Robespierre et Saint-Just ? « Avec raison », des « massacreurs ». Carrier ? Rien de moins que le « Eichmann de la Révolution ». Ces quelques lignes ne purgerons pas le sujet, mais essayons. La Terreur est un épisode qui relève autant des faits que d’une construction historique liée à des luttes de partis : dès 1794, les Thermidoriens brossent le portrait en noir de Robespierre et de ses amis afin de s’exonérer d’avoir participé à la Terreur. La Convention, dans un contexte particulièrement compliqué, a cherché, autant que faire se pouvait, à canaliser les revendications radicales des sans-culottes et la violence, sans pour autant les maîtriser. La Terreur n’a été théorisée à aucun moment tel qu’on l’entend du terrorisme totalitaire. Ce n’est pas là nier l’existence des victimes ni nier la violence ou la minimiser. C’est simplement tenter de redonner un peu plus de complexité au passé – qui n’est jamais moins complexe que le présent.

A comparer Carrier à Eichmann, on ne comprendra bientôt plus, ni Carrier, ni Eichmann, non plus que la spécificité des événements auxquels ces acteurs renvoient. En creux, l’on devine que Robespierre – puisque, comme de bien entendu, il donnait tous les ordres – sera bientôt notre Hitler national. Que gagnerons-nous à relativiser ainsi sur le même plan des formes si différentes de violence et de pratiques politiques ? Une bonne joute politique peut-être, un peu moins d’intelligibilité sans doute.

Il n’y a pas de Coppola mineur

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A quoi reconnaît-on un génie, que ce soit en peinture, en littérature ou au cinéma ? Sans doute au fait qu’aucune de ses œuvres ne puisse être qualifiée de mineure. Il n’y a pas de petit Monet, de petit Balzac ou de petit Godard. On peut sans doute trouver de petits Chabrol, de petits Simenon ou de petits Balthus. C’est que l’on a affaire à de grands maîtres, pas à des génies.

C’est donc à l’aune d’un film comme Twixt, présenté comme un Coppola mineur, voire un Coppola de transition que l’on pourra interroger le statut de Coppola. Coppola, on le connaît d’abord et surtout comme l’auteur de quelques grands opéras baroques du cinéma hollywoodien dont le souffle impressionnant d’italo-américain dopé à l’outrance somptueuse et à l’hyperbole maniériste ne trouve d’équivalent que chez un Brian De Palma. Même le moins cinéphile des spectateurs a été transporté durablement par Apocalypse Now, Le Parrain ou Dracula, lequel a paradoxalement renouvelé le mythe en collant au roman de Bram Stoker car Coppola sait, comme tout grand créateur, que seule la tradition est révolutionnaire.

Il est parfois arrivé à Coppola de connaître de monumentaux échecs commerciaux. Dans ces cas-là, il accepte des films de commande qui se révèlent tout aussi poignants, subtils et élégants, jusque dans leur économie de moyen. Que l’on songe au délicieux Peggy Sue s’est mariée où Kathleen Turner, trentenaire désabusée des années 80 se retrouve, par on ne sait quel sortilège, projetée dans sa jeunesse au cœur des années 60, quand l’Amérique était encore innocente et que la vie semblait remplie de grandes espérances dansant au rythme du rock, du twist et du doo wop.
Twixt n’est pas un film de commande, c’est pourtant le film tourné par un homme à qui Hollywood ne donne plus les moyens d’antan. Et alors, quelle importance ? Puisqu’au bout du compte on retrouve sa poésie visuelle, la même que celle de Rusty James alliée à une réflexion sur la culpabilité et le deuil, le tout servi sous les allures d’un film gothique d’épouvante qui joue sur tous les codes du cinéma bis et même du « giallo », ces polars horrifiques qui furent une spécialité italienne des années 60 et 70.

L’histoire simple, belle et déchirante de Twixt nous est racontée dès les premiers plans par la voix merveilleusement éraillée de Tom Waits. On commence par une série de clichés transcendés par l’utilisation du numérique que Francis Ford Coppola sait parfaitement dompter.
Nous sommes dans une petite ville américaine perdue, avec son sheriff et son hôtel abandonné où eut lieu un affreux massacre. Un loser à bout de course y arrive un peu par hasard. Ce n’est pas un flic paumé ou un truand en cavale, mais un écrivain alcoolique qui ne vend plus, un spécialiste du récit d’épouvante, un Stephen King à la ramasse qui en est réduit à dédicacer ses livres dans des magasins de bricolage. Il est incarné par un Val Kilmer épaissi et dépressif qui promène sa lourdeur candide entre deux dimensions qui se mélangent dès le début, présent et passé, rêve et réalité, symbolisées par la seule curiosité touristique du lieu : un beffroi à sept faces avec sept horloges dont aucune, évidemment, n’indique la même heure.

Quand le sheriff, qui lui aussi se pique de littérature, lui propose une coopération flicardo-littéraire pour écrire un roman sur des meurtres d’enfants non élucidés, il accepte mollement, défoncé au bourbon et aux médocs. C’est alors à une enquête hypnagogique d’une incroyable beauté plastique que nous convie Coppola. Dans cet hinterland mental et onirique, l’écrivain aura pour guides Edgar Allan Poe lui-même (Ben Chaplin) et une jeune vampire en robe de dentelles blanches avec trop de rouge sur les joues et un appareil dentaire d’adolescente poussée en graine (Ellie Fanning).

Il ne s’agira pas pour l’écrivain, bien entendu, d’élucider autre chose que les raisons de l’immense chagrin qu’il porte en lui : la mort de sa fille décapitée par un filin alors qu’elle faisait du ski nautique, ce qui est arrivé au propre fils de Coppola, exactement dans les mêmes circonstances.
Non, décidément, il n’y a pas de Coppola mineur et Twixt en apporte une preuve à la fois éblouissante et sombre, comme le clair de lune argenté qui baigne ce film mouvant, à la poésie désespérée.

Nos amis les guérilleros

« Le jour où les mots n’auront plus de sens, nous aurons gagné. » : c’est par cette citation glaçante de Goebbels, ministre de la Propagande d’Hitler, que s’ouvre l’Antimanuel de guérilla politique. Co-auteur du livre avec Jean-Laurent Lastelle, Renaud Chenu batifole dans la rédaction de Causeur. Mais c’est en tant qu’animateur du mouvement Gauche avenir, aux côtés de Marie-Noëlle Lienemann, Paul Quilès et d’une flopée d’élus chevènementistes, Verts ou mélenchonistes, qu’il fourbit des « idées de gauche » destinées à torpiller les « mots de droite ». Le but affiché de nos amis guérilleros est en effet de réarmer intellectuellement une gauche qui peine à trouver une alternative à la « social-médiocratie », comme l’appelait cruellement le Ceres.[access capability= »lire_inedits »]

Réenchanter le lexique culturel de la gauche pour partir au combat idéologique, voilà un noble dessein. Soit. Mais nombre d’antilibéraux de droite se retrouveront dans leur programme : « Prendre le parti idéologique du peuple contre l’idée simpliste et autoritaire qu’il n’y aurait qu’une voie possible pour l’humanité : la gloutonnerie capitaliste. » On adhérera sans mal au constat de l’impéritie du politique, qui se fait le petit télégraphiste de la banque et des agences de notation partout en Europe, à tel point que l’élection confine au choix entre deux paquets de lessive : « Qu’ils soient de gauche ou de droite, les impétrants de tous bords partagent une responsabilité commune dans l’abandon progressif de la capacité des États à engager des politiques publiques qui ne soient pas qu’un simple accompagnement des bourrasques financières, bancaires et autres éclatements de bulles. »

Il est plus difficile, en revanche, d’adhérer au mythe d’un peuple pur, dont les élans émancipateurs seraient bridés par l’action subversive de l’oligarchie politico-financière. Comment ignorer que « le malaise est dans l’homme » (Pierre Le Vigan), de plus en plus dégradé anthropologiquement par son immersion consentie dans le grand bain de la modernité industrielle et progressiste ?

Ces socialistes républicains ont le grand mérite de rétablir des vérités occultées, par exemple sur l’imposture du « modèle exportateur allemand », fondé sur la captation des autres marchés européens ou sur l’usage politicien du mot « pragmatisme ». Le lecteur en quête d’alternative à la société lyophilisée attend avec impatience un second tome qui sera l’occasion de dresser le bilan de la gauche au pouvoir, pour peu que la rose de 1981 refleurisse cette année.

Avant que Chenu, Lastelle et leur escouade de jeunes intellectuels prennent le Palais d’Hiver du faubourg Saint-Honoré, on méditera l’une de leurs sentences les mieux aiguisées : « Qui a renoncé au conflit, au langage dur et aux risques qu’il pointe ne peut que se faire piétiner par les puissants. » Ce n’est pas ici qu’on prétendra le contraire ![/access]

Antimanuel de guérilla politique, Jean-Laurent Lastelle et Renaud Chenu (éditions JC Gawséwitch)

Feu sur l’ambulance !

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S’il serait parfaitement absurde d’en nier l’incomparable utilité, il faut bien avouer que les ambulances agacent. Vous êtes à une terrasse de café, absorbé dans la lecture d’une grande œuvre, évoluant dans un univers parallèle, et voilà que l’atroce stridence vous rappelle à la trivialité des ennuis de circulation. La décharge de stress qu’induit la sirène peut soudainement envenimer une controverse jusque là courtoise, et sa prévalence sonore vous ruiner une déclaration d’amour. Il y aurait bien moyen de remédier à ces inconvénients mais l’épaisseur et la vulgarité de notre époque est telle qu’il est à peu près certain que nos suggestions resteraient lettres mortes.

Pourtant, au vu de notre puissance technologique, il ne serait tout de même pas très complexe de substituer, à ce chromatisme exaspérant, de beaux cuivres solennels et grandioses, une complainte de Verdi ou un remix electro-hardcore de Carmina Burana. Et non moins réalisable de commuter la musique d’alarme en Requiem, si le patient venait à rendre l’âme durant son transport, les voitures voisines décélérant alors en signe d’hommage, les piétons se signant ou soulevant leurs couvre-chefs au passage, tandis que les pires porcs consuméristes seraient judicieusement amenés à une méditation sur la fragilité de l’existence.

En attendant, comme ces subtils aménagements ont peu de chance d’être réalisés, on peut comprendre qu’on soit parfois saisi par la pulsion de tirer sur une ambulance. Je m’autoriserai donc à évoquer Stéphane Hessel. L’odieux vieillard, en effet, n’en finit pas de radoter. À cet âge qu’on qualifiât autrefois de « vénérable », on serait censé, à mon avis, s’être un rien détaché des affaires du monde et se préoccuper surtout de préparer sa mort. Mais non, papi Hessel n’en finit pas de gesticuler dans la lumière pour venir postillonner ses navrantes sommations.

Après Indignez-vous ! (qui promouvait donc une attitude habituellement réservée aux vieilles dames), parce que son éditeur espère sans doute refaire le coup du best-seller réalisé sur vingt pages de lieux communs, Hessel titre à présent : Vivez ! Ces mots d’ordre exprimés avec impératif plus point d’exclamation ont vraiment un détestable écho de propagande pubarde et totalitaire. « Vivez ! » Voilà qui vous donne l’envie immédiate de contacter l’Agence Générale du Suicide, que le sémillant Jacques Rigaut avait fondée au temps du Surréalisme. Non, mais ! Je vis, si je veux !

On imagine déjà les prochains articles de ce catéchisme autoritaire post-moderne ; « Luttez ! », « Mélangez-vous ! », « Souriez ! », ou n’importe quel autre ânonnement simpliste destiné aux masses abruties de slogans. Il le rentabilise à mort, en tout cas, Hessel, son quart d’heure warholien, il l’étire dans tous les sens. C’est qu’on a eu droit à ses poèmes préférés, à ses entretiens et même, puisqu’il n’y a plus aucune limite au grotesque : Stéphane Hessel et le Dalaï Lama… Si, si… Le maître ès indignations avec le pape des bouddhistes, ces gens qui justement ne s’indignent jamais mais conservent au contraire un imperturbable sourire ironique devant un monde tenu pour essentiellement illusoire. Il arrive seulement, parfois, qu’ils protestent, les bouddhistes. Auquel cas ils s’immolent.

« Immolez-vous ! » aurait écrit un Stéphane Hessel bouddhiste, et c’eût été autrement plus cocasse. Mais la seule dimension bouddhiste que notre Hessel à nous possède, c’est cette invraisemblable propension à rejoindre la vacuité. Et il faut qu’il la rejoigne avec l’envahissant chahut d’un gyrophare.
Feu sur l’ambulance !

Le pistolet à un coup de Nicolas Sarkozy

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A droite, ceux qui sont engagés dans le « temps du combat » peuvent s’entourer de légitimes précautions et, avec Jean-Pierre Raffarin, attendre « le temps de l’analyse ». Les autres ne sont pas forcés de taire leur inquiétude, et leur amertume. Les premiers sont dans leur rôle, en assurant que « rien n’est plié », les seconds ne sont pas forcés de se nourrir d’illusions. Même si le résultat de l’élection devait me détromper, je garderais cette amertume. On dit que la stratégie de Nicolas Sarkozy serait responsable du score élevé du FN. De nombreux observateurs soulignent que, par la droitisation de l’UMP, il a légitimé le vote FN. Dès les régionales de 2010, on pouvait craindre que le siphon soit bouché, qu’il reflue. Loin de contenir le vote FN, ne faisait-il pas que l’alimenter ?

Cela reste possible. Un cadre du FN convenait d’ailleurs que la proposition d’une présomption de légitime défense pour les policiers « légitimait » leur proposition identique. Mais pour ne pas accuser à la légère, il faut reconnaître que le raisonnement a ses limites : 2007 fait en effet figure d’exception. Le FN avait déjà connu des scores à deux chiffres auparavant, même s’il réalise son meilleur résultat cette fois-ci. En outre, lorsque Jean-Marie Le Pen a obtenu le score historique qui l’a fait parvenir au second tour en 2002, ce n’est pas parce que Jacques Chirac ou Lionel Jospin auraient cajolé l’électeur frontiste. Bref qu’on l’ostracise ou qu’on le draguouille, le FN suit sa voie. De plus, la montée de l’extrême droite est loin d’être une spécificité française. Elle intervient de toutes façons aussi dans de très nombreux pays européens, des Pays-Bas à la Suisse, pour des raisons étrangères à la stratégie de Nicolas Sarkozy.

Il ne peut donc pas être avancé avec une absolue certitude que la stratégie élaborée et vantée par les mauvaises consciences de Nicolas Sarkozy, Buisson et Peltier, ait fait croître le vote FN. Elle ne l’a, à tout le moins, pas contré. Elle n’a pas, comme on l’entendait, « ramené les électeurs du FN dans le giron républicain ». Cette stratégie reste contre-productive et nuisible à la droite. Elle a échoué. Certains se satisfont que le score du FN n’ait pas été plus haut. Si, en cinq ans d’exercice du pouvoir et de stratégie droitière, on en est réduits à se réjouir que Marine Le Pen ne soit pas au second tour, ce n’est qu’une autre façon de caractériser un échec.

Cette stratégie était un pistolet à un coup. Il y a quelques jours, Michaël Darmon rapportait ce propos de Nicolas Sarkozy : : »si c’est le côté protestataire qui explose vous voyez bien que l’appel aux centristes ne sera pas efficace »
Mais comment un président élu, à la tête du « système », peut-il espérer satisfaire un vote protestataire ? Si les électeurs protestent, c’est évidemment contre lui, contre le président élu, contre une situation actuelle dont le président est jugé comptable, un système dont il est le premier représentant. Ce qui a pu fonctionner en 2007 ne pouvait pas se reproduire dès lors que Nicolas Sarkozy a exercé le pouvoir. C’est bien évidemment l’une des meilleures raisons pour lesquelles le FN a toujours prospéré : il n’exerce pas le pouvoir.

Cette stratégie disait-elle vraiment son objectif ? S’agissait-il vraiment de ramener les électeurs du FN ? Nos brillants stratèges Buisson et Peltier – tous deux issus de l’extrême droite ne veulent-ils pas plutôt droitiser l’UMP sous couvert de siphonner l’électorat frontiste ?

Aujourd’hui, en admettant que cette stratégie n’ait pas nourri le vote FN, elle a indéniablement droitisé l’UMP, et ses électeurs. Il n’y a pas à chercher longtemps pour entendre autour de soi – parmi les électeurs d’une droite que l’on dira aujourd’hui modérée mais que l’on disait seulement « de droite », avant – des idées que l’on réservait auparavant aux électeurs du FN.

Nicolas Sarkozy a emmené avec lui une partie de la droite. Qu’en restera-t-il demain ? Déjà, la Droite Populaire sort les couteaux pour réclamer une place plus grande au sein de l’UMP, et dénigrer au passage l’aile humaniste. Thierry Mariani assure que le curseur d’est déplacé à droite depuis 2002.

Son constat est faux : France2 et Valeurs Actuelles nous ont rappelé que le programme de la droite d’il y a vingt ans était plus à droite qu’aujourd’hui. Autrement dit, à supposer que l’électorat se soit droitisé, ce n’est pas de sa propre initiative, mais parce qu’on l’aura droitisé, dans la mesure où les électeurs se soucient moins de la sécurité et de l’immigration que de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Faut-il que l’UMP survive à un éventuel échec de Nicolas Sarkozy ? Faut-il maintenir un simple appareil logistique sans cohérence idéologique ? A supposer que cela soit souhaitable, l’UMP ne pourra survivre que si elle accorde une plus grande représentativité à ses différents courants, afin que soit bien identifié qui fait du saucisson-pinard tout en maniant l’insulte misogyne de comptoir; et qui est humaniste et responsable. Si les humanistes restent inaudibles, nombre d’électeurs quitteront l’UMP, sauf à rompre eux-mêmes avec leurs valeurs.

Aurons-nous pour seul choix, demain, que l’extrême droite ou la droite extrême ?

Entre les Populaires et les Humanistes, ce sont aussi deux conceptions de la politique qui s’opposent. La politique sondagière, qui pelote l’électeur et répond aux symptômes, avec une efficacité électorale temporaire, et celle qui cherche les solutions de fond et les politiques d’avenir.

Vous me trouvez manichéen ? C’est vrai que je m’accroche à l’efficacité de cette seconde conception de la politique. Pour ne pas désespérer de la démocratie.

Pendant la minute de silence, la parole se libère

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Le mardi 20 mars 2012, dans des établissements scolaires de banlieue, des élèves ont protesté contre la minute de silence à la mémoire des enfants et du professeur juifs assassinés par Mohamed Merah, et parfois même, comme ce fut le cas à Saint-Ouen (93), refusé de l’observer. « On ne fait pas de minute de silence pour les enfants de Palestine ! », a-t-on entendu à Saint-Denis comme à Bobigny, ou encore : « Il y a des enfants qui meurent partout dans le monde, comme par hasard, pour ceux-là on fait une minute de silence… », appréciations ponctuées de « Moi, j’aime pas les juifs »[access capability= »lire_inedits »]… Ces commentaires fleurissent aujourd’hui sur Twitter et autres réseaux sociaux. Certains élèves, incapables de prendre conscience de la portée de leurs paroles, ont été jusqu’à affirmer : « Ils étaient juifs, mais c’étaient quand même des enfants… », ce qui est assurément moins terrifiant que « On s’en fout, c’étaient des juifs ».

Ce sont des paroles d’adolescents de France, face à un drame inédit dont la violence, pensait-on, avait bouleversé tout le pays. Bien sûr, est-il besoin de l’écrire, il n’y a pas un assassin qui sommeille en chacun de ces jeunes : juste un antisémitisme si prégnant qu’il aveugle et fait perdre toute capacité d’empathie. Mais pour envisager des réponses cohérentes et coordonnées, il faudrait d’abord accepter de voir cette réalité ; or, les optimistes et les naïfs s’y refusent, préférant mettre ces mots terribles sur le compte de provocations sans lendemain ou y entendre l’expression d’un malaise social, quand ils ne décrètent pas que ce sont-là des élucubrations, surinterprétations et autres fantasmes d’idéologues – tant il est vrai que l’idéologue, c’est toujours l’autre.

En avril 2002, il y a dix ans exactement, Le Monde publiait la lettre d’un professeur d’histoire exerçant en banlieue, titrée « Antisémitisme à l’école ». En octobre de la même année, dans Les Territoires perdus de la République, ouvrage dirigé par Emmanuel Brenner, un collectif d’enseignants témoignait du développement inquiétant, dans les collèges et lycées de certaines banlieues françaises, de l’antisémitisme et, plus largement, d’une vision binaire du monde dans laquelle les harkis sont des traîtres, les homosexuels une aberration, le sexisme une évidence.

L’accueil du livre fut des plus glacials. Pour nombre de commentateurs, d’intellectuels et de journalistes, les situations décrites dans Les Territoires perdus étaient des cas isolés ou des épiphénomènes, voire le fruit des élucubrations tendancieuses de pessimistes ou de paranoïaques – qu’on ne qualifiait pas encore d’« islamophobes ».

Depuis, beaucoup se sont ingéniés à ne rien voir, à ne rien entendre – et, bien entendu, à ne rien dire. En dix ans, les signaux d’alarme n’ont pas manqué, du rapport Obin[1. « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires », rapport au ministre de l’Éducation nationale présenté par Jean-Pierre Obin, juin 2004.] à celui du Haut Conseil à l’intégration sur la laïcité à l’école[2. « Les défis de l’intégration à l’école », Recommandations du Haut Conseil à l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les espaces publics de la République, 20 mars 2011.], en passant par de multiples témoignages d’enseignants et l’assassinat d’Ilan Halimi qui paya de sa vie le fait d’être juif.

En mars 2012, des jeunes hommes ont été froidement abattus parce qu’ils étaient des soldats français ; des enfants et un jeune professeur de 30 ans ont été tués à bout portant parce qu’ils étaient juifs. Que faut-il de plus à tous ceux qui s’obstinent à ignorer que certains jeunes Français, rejetant la République et ses valeurs, sont animés par un antisémitisme viscéral ? Combien de morts encore pour éveiller la conscience de ceux qui propagent le même discours lénifiant depuis dix ans ? Il y a dix ans, Mohamed Merah avait 13 ans ; il était élève au collège Ernest-Renan.[/access]

Gross malheur : Sarkozy déshonore la droite française

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Les socialistes espéraient si fort en début de campagne que Nicolas Sarkozy ne parviendrait pas à se qualifier pour le second tour, ils souhaitaient tellement qu’il se fasse déculotter par l’ouragan mariniste, qu’ils agissent finalement comme si Sarkozy n’était pas arrivé à un point et demi d’Hollande, et donc comme si Le Pen fille avait réussi le coup de papa, mais aux dépens de l’UMP, cette fois.

C’est ça la magie de la gauche, lorsque la réalité ne lui convient pas, elle la réenchante.

Parce que les socialistes rêvent que leur champion réalise un score à la Chirac, ils font tout ce qu’ils peuvent pour rejouer le scénario de 2002. Ils nous ressortent tout l’attirail antifasciste et nous font revivre les plus belles heures des grands procès staliniens.

Il faut dire que s’enfermer dans l’illusion d’un ennemi commun à abattre est bien plus efficace que de parler aux salauds de pauvres qui ont donné leurs voix au FN. L’enjeu est donc de réactiver la vigilance antifasciste afin que tous les républicains bayrouistes et indécis se rallient à la gauche pour faire barrage au Mal absolu. Et pour cela, Sarkozy doit être perçu comme un affreux frontiste déguisé. C’est la stratégie de dérépublicanisation, mise en scène dès le lendemain du premier tour par la presse militante. Les déclarations gonflées à l’hélium d’Arnaud Montebourg, lors d’une interview donnée au Monde de ce week-end, font écho à cette menace fantôme d’un sarkozysme néopétainiste qui a été agitée toute la semaine dernière.

Avec l’outrance d’un converti de l’avant-dernière heure, il déclare gravement que le candidat de l’UMP « a franchi la ligne rouge » (cette couleur est décidément bien inoubliable) et « déshonore la droite française en faisant tomber les barrières qui, depuis la seconde guerre mondiale, la séparaient de l’extrême droite et que M. Chirac avait su préserver. » Montebourg agite la figure menaçante d’un Sarko extrémisé, lepénisé, démonisé afin de mieux exalter le combat idéologique devenu tellement routinier entre républicain et fasciste, entre Bien et Mal. Et voilà comment le front commun antisarkozyste se mue, par un coup de baguette idéologique, en un front antifasciste fantasmé. Il fallait le faire. Ils l’ont fait…

Rendez-nous Cheminade !

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Pendant la campagne du premier tour, tout particulièrement lors des deux dernières semaines lorsque le conseil constitutionnel avait imposé l’égalité parfaite entre les candidats sur les ondes, on a entendu la plupart des médias se plaindre de devoir donner autant de temps de parole à Jacques Cheminade qu’à Nicolas Sarkozy et François Hollande. Avec la suffisance qui les caractérise souvent, ils se sont plaint de devoir interroger celui qu’ils tenaient au mieux pour un hurluberlu, au pire pour un fou dangereux. On pouvait parfois lire leur embarras, souvent leur agacement. Bien sûr, les liens de Cheminade avec Lyndon LaRouche posaient questions, ce dernier n’ayant pas hésité à comparer Obama à Hitler. Mais nous y reviendrons. Bien sûr, ses projets de colonisation de la Lune et de voyage sur Mars détonnaient dans notre contexte électoral. Mais le candidat de Solidarité et Progrès était bien l’arbre cachant la forêt des petits candidats qui constituaient autant de gêneurs.

Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan et même Eva Joly, une fois passée la barre des 5% dans le sens descendant, agaçaient davantage puisqu’eux n’évoquaient pas de projets spatiaux étonnants et qu’il était donc moins facile de les tourner en dérision. Il fallait même leur donner 10 % du temps de parole chacun. Tout tournés vers la lutte pour la finale et celle, honorifique, pour la troisième place, les grands médias, à quelques exceptions près, déclarèrent ces candidatures inutiles sous prétexte que les intéressés n’avaient aucune chance de devenir président de la République et ne s’en cachaient pas. Comme si une campagne électorale était seulement l’occasion de sélectionner celui qui aurait la charge de devenir chef de l’Etat ! Comme si elle n’avait pas aussi pour but d’éclairer le débat public dans un pays qui compte presque autant de courants politiques que de fromages. Imagine t-on le Tour de France avec seulement une vingtaine de coureurs, c’est-à-dire réduit aux équipes des trois favoris ? Imagine t-on que dans un excès de générosité, on autorise finalement la vingtaine d’équipes à concourir, mais qu’on décide néanmoins que les trois favoris ne partiront pas sur la ligne de départ avec les autres, mais quelques dizaines de kilomètres plus près de l’arrivée, parce que, les autres, on s’en fout ?

Il semble que le Président-sortant, lui, l’imaginait comme ça, puisqu’il s’est longuement lamenté d’avoir dû participer à une émission entre Cheminade et Arthaud. Intervenir entre ces deux manants posait visiblement des problèmes à son ego. Et Sarkozy de chouiner sur le fait qu’ils étaient neuf candidats contre lui, tout seul. Le pauvre ! Tous les autres candidats étaient à un contre neuf. Et s’il était davantage visé dans les diatribes des autres, c’est sans doute qu’il était sortant. Serais-je désobligeant de signaler à Nicolas Sarkozy que la meilleure solution pour éviter ce désagrément fût sans doute de ne point se représenter ? François Hollande fut plus discret sur le sujet mais il semble bien que débattre avec d’autres adversaires que Nicolas Sarkozy ne le motivait guère. Il aurait accepté le principe d’un tel débat que Nicolas Sarkozy aurait été contraint d’y participer aussi. Il a préféré être complice de son futur rival du second tour.

Même sans débat, ces cinq semaines d’égalité – dont les deux dernières de manière stricte – ont été une bénédiction pour notre démocratie. Elles ont permis aux électeurs de se faire une idée en écoutant tous ceux qui avaient été sélectionnés par les élus[1. Sélection dont Dominique de Villepin ou Christine Boutin et même Marine Le Pen savent qu’elle n’est pas facile.]. Alors qu’un mois avant le scrutin, on prévoyait un taux d’abstention proche des 30%, elles ont permis de redonner de l’oxygène à cette campagne qui en manquait singulièrement.

Depuis dimanche soir, les gêneurs enfin éliminés, on n’est pas revenu au combat dans la boue, mais au combat dans la merde. Il est désormais loin, le portrait d’Obama avec une moustache d’Hitler qu’on montrait au pauvre Cheminade pour lui faire honte. En six jours, on a eu droit aux portraits de Pétain, aux références à Staline ou à Pierre Laval. On aussi accusé un site internet de relayer un appel de 700 mosquées alors qu’il avait seulement réalisé une enquête sur le fait qu’un individu tentait de le susciter. Aujourd’hui, c’est le fantôme de Kadhafi qui s’invite à la table et on pressent que le futur face-à-face de mercredi n’atteindra pas des sommets de courtoisie républicaine. Décidément, cette dernière semaine s’annonce très très longue.

Daniel Cohn-Bendit trouvait la campagne du premier tour chiante. Moi, je la regrette en constatant le niveau de celle du second. Rendez-nous Cheminade, parbleu !

Des électeurs très courtisés

9

La montée en puissance d’un fort sentiment identitaire hétérosexuel, avivé par les sarcasmes de la majorité morale gay et féministe au pouvoir, pourrait être une des clés de l’élection présidentielle. Reste à savoir qui, des deux candidats, saura le mieux séduire les hétéros.

Un électorat orphelin de son candidat naturel

Un homme – « un vrai », comme ils disent – incarnait jusqu’à l’excès les aspirations des hétérosexuels radicaux : Dominique Strauss-Kahn. Il était le candidat naturel non seulement des mâles dominants, mais aussi des femmes qui se savent « chiennes » ; et ça fait du monde !
Ses mésaventures new-yorkaises et lilloises lui valent, aujourd’hui encore, le respect de beaucoup d’hétéros, par-delà le traditionnel clivage droite-gauche : « Il a fait tout haut ce que beaucoup d’hommes pensent tout bas ! » confie même, sous couvert d’anonymat, un député de la Droite populaire.
N’empêche ! Ces deux affaires pendantes lui ont coupé, au moins provisoirement, la route de l’Élysée. Alors, vers qui les électeurs frustrés par son retrait vont-ils se retourner ?[access capability= »lire_inedits »]
A priori, c’est Nicolas Sarkozy qui semble être dans la meilleure posture : « L’hétérosexualité, il faut avoir le courage de le dire, est une constante, souvent majoritaire, du genre humain ». Cette petite phrase, prononcée à l’inauguration de l’exposition Jean Gabin, n’est pas innocente à quelques semaines du scrutin.
Encore à la peine dans les sondages, le président – candidat s’est avisé de ce réservoir de voix hétéros qui pourrait faire la différence. Est-il donc prêt, pour l’emporter, à flatter les plus bas instincts ? C’est ce dont l’accuse déjà François Hollande, pour qui son rival reprend là « les clichés machistes les plus éculés sur la relation homme-femme ».
Une saillie maladroite, à vrai dire, de la part du candidat socialiste, dont la « normalité » affichée passait déjà, dans l’aile hétéro de son électorat, pour une mollesse ambiguë. Faute d’un rapide redressement de tir, le divorce entre François Hollande et les orphelins de DSK serait consommé, comme le montrent les derniers sondages de l’institut Onionway.

Interview de Marc Dumayot, président de l’association Hétér’Up

On assiste ces derniers mois à une radicalisation des revendications dans les milieux hétéros militants, et, en parallèle, les critiques contre un certain « communautarisme hétéro » se multiplient, émanant de personnalités aussi différentes que, à gauche, Pierre Bergé ou, à droite, Frédéric Mitterrand. Que répondez-vous à ces accusations ?

Marc Dumayot. Que ce n’est pas à deux vieilles tarlouzes de décider de la façon dont de très nombreux Françaises et Français vivent leur sexualité ! Plus sérieusement, l’identité hétéro s’est radicalisée tout simplement parce qu’elle s’est sentie menacée. De l’attitude « gay friendly » imposée par le politiquement correct, on est passé progressivement à un climat d’hétérophobie rampante qui débouche sur une véritable ségrégation sociale. De nos jours, un hétéro normal se voit pratiquement interdire l’accès à certaines professions comme antiquaire, danseur classique, créateur de mode, maire de capitale… On voudrait nous cantonner à des activités de gardiennage, ou liées à la ruralité. C’est totalement contraire à l’esprit des droits de l’homme dont on nous rebat les oreilles. Ou alors, de quel genre d’« homme » s’agit-il ?!

Vous semblez suggérer une « domination gay » sur les élites. Mais le problème ne réside-t-il pas surtout dans la concurrence croissante entre l’homme hétérosexuel et une femme « virilisée » et ambitieuse – cette executive woman qui prend de plus en plus les places de direction ?

L’un n’empêche pas l’autre, malheureusement ! Un demi-siècle de féminisme triomphant – souvent d’origine goudoue d’ailleurs – a fait des ravages.
Aujourd’hui, l’« homo hétéro », au sens d’homo sapiens bien sûr, est pour ainsi dire pris en sandwich entre les pédés d’une part, et d’autre part ces connasses qui se croient en tout l’égale des hommes. Avec les conséquences désastreuses, en termes d’efficacité économique et d’équilibre psychologique, qu’on imagine !

Irez-vous jusqu’à donner des consignes de vote ?

Nous demandons aux deux candidats des engagements écrits sur trois points : le vote rapide d’une loi réprimant l’hétérophobie ; un amendement à la Constitution proclamant solennellement que seule une relation hétérosexuelle est susceptible de donner la vie ; et enfin l’institution d’un PACS spécifiquement hétéro, pour ceux – et celles – qui ne veulent ni « sacraliser » leur relation par le mariage, ni être assimilés pour autant à des pédés ou à des gouines !

À vous écouter, on a un peu l’impression que l’hétérosexualité est d’abord une affaire d’hommes. Les femmes semblent faire de la figuration…

Absolument pas ! Une de mes amies, qui buvait tranquillement son Mojito dans un bar du Marais, s’est fait prendre à partie et traiter de « fendue » par des gays vindicatifs. À Hétér’Up, nous nous battons aussi pour ces femmes-là – sans qui, il faut bien le dire, notre combat perdrait en crédibilité.

Les hétéros, minorité risible ?

Le point de vue de Roland Racol, directeur des enquêtes à l’institut IPNOS

« Il est difficile d’apprécier aujourd’hui l’importance exacte du “vote hétéro”. D’abord parce que les statistiques communautaires sont interdites en France. Ensuite parce que, pour le moment, la communauté hétérosexuelle n’est pas très structurée : il n’y a pas, chez cette grosse minorité, la culture associative qu’on retrouve chez les gays, les féministes et les minorités religieuses. Pour autant, les candidats auraient tort de négliger les revendications d’une association comme Hétér’Up, qui canalise utilement la contestation hétérosexuelle.

Sur le plan électoral, si vous additionnez aux hétéros militants les homosexuels contrariés – qui, selon nos projections, votent souvent avec eux – vous obtenez les quelques pourcent qui pourraient faire la décision le 6 mai. En outre, il serait dangereux pour la démocratie de laisser cet électorat sans représentation, à l’heure où la radicalisation d’une certaine frange de la communauté est un fait nouveau incontestable. Lors de la dernière Gay Pride, des activistes hétérophiles s’en sont pris sans ménagement au char disco de Bareback FM, brandissant leur drapeau aux trois couleurs primaires et scandant des slogans stigmatisants comme “Les pédés à Pékin !” ou “Un homme, une femme, chabadabada !” Qui aurait imaginé un tel spectacle il y a encore un an ? Mais d’un autre côté, vous me direz, qui aurait pu penser, du temps du Général, que Paris serait un jour envahi par une manif’ de cent mille pédés ? »[/access]

La dernière muse d’Alberto

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Même dans leurs longs silences, les vieilles dames de la Baie des Anges nous ouvrent leur cœur. Dans Le dernier modèle, l’écrivain Franck Maubert, auteur de nombreux livres d’art, est parti à la rencontre d’une femme d’âge mûr qui termine sa vie dans un modeste appartement de Nice. Ce n’est pas une riche héritière des mines de phosphate, ni une ex-star de la Victorine, pas même une entraîneuse qui aurait mis le grappin sur un lord anglais, gentleman et anarchiste.

Caroline, de son vrai nom Yvonne, est pourtant bien plus que tout cela. Sa vie flamboyante et sordide, comme tous les grands destins tragiques, dépasse de loin l’entendement. Elle a tutoyé l’un des dieux de la création du XXème siècle. On ne ressort jamais indemne d’une telle rencontre. Fracassante à tous points de vue. Caroline est « le dernier modèle » d’Alberto Giacometti. Leur histoire remonte à novembre 1958. Giacometti aime se perdre dans les bars de Montparnasse, il en aime l’esprit frivole mais aussi la gravité des êtres qui s’exprime dans la nuit. Il aime surtout les prostituées, elles l’obsèdent. Caroline a vingt ans, lui soixante et pourtant, « il est attiré par cette inconnue dont il entraperçoit l’âme. Elle est insaisissable ». Elle fume des cigarettes mentholées, boit du Coca-Cola, n’a pas froid aux yeux et forcément, les hommes tombent sous son charme. Ce qui aurait pu être une banale coucherie est le début d’une romance que les amateurs d’art peuvent admirer sous le nom de « Caroline en larmes » et « Caroline avec une robe rouge », deux huiles sur toile peintes par le maître entre 1962 et 1965. Caroline qui appelle Alberto, « ma Grisaille », découvre un monde inconnu.
Chacun se nourrit de sa singularité, est avide de ses propres errements. Alberto l’interroge sur les hommes, tente en vain de sonder l’âme de cette petite, mélange d’effronterie et de sincérité désarmante. Il n’est dupe de rien et se contrefout de l’argent. Il est déjà immensément célèbre et riche. Elle lui réclame une Ferrari rouge comme un caprice d’enfant, il lui offre une MG de la même couleur. Caroline n’est pas une Sainte, c’est ce qui l’aime chez elle, cette sauvagerie, cet abandon et cette furie que la jeunesse offre. Lui, sera bientôt malade.

Franck Maubert a retrouvé cette Caroline qui, entre non-dits et désir de parler, se livre, exhume ses souvenirs. C’est si loin, les nuits de Montparnasse, les virées en cabriolet, Caroline au volant, Alberto au dessin, croquant la ville, les monuments, les visages, les silhouettes. Elle se demande « comment un tel homme pouvait s’intéresser à une fille comme moi ? ». Il en était fou. Alors, elle se rappelle que la première fois où elle a posé pour lui dans son atelier, Alberto n’y est pas arrivé. Il jurait. La rage du créateur n’avait pas réussi à capter le regard de Caroline, à percer le secret des ses yeux. Il recommencera, dix jours plus tard, pour enfin y parvenir. Elle se souvient d’avoir été éblouie par les sculptures qui se tenaient debout comme des personnes et qui paraissaient si vivantes.

Leur histoire n’est pas simple. Elle s’absente parfois plusieurs jours, il ronge son frein, en souffre, mais ne dit rien. Elle s’est mariée entretemps avec un vieillard de quatre-vingts ans. Leur histoire repart de plus belle. Leur amour est compliqué. Giacometti est marié à Annette et son fidèle frère Diego fait mine d’ignorer cette maîtresse qui roule en grosse américaine et qui porte des talons trop hauts à son goût. Alberto se moque des convenances, car une seule chose compte pour lui : créer. « Qu’est ce que créer ? Faire, faire et refaire. C’est cela créer. Refaire sans cesse. Là où j’en suis » avoue-t-il. Cinquante ans plus tard, entre ses canaris en liberté et un verre de Campari posé sur une table basse, Caroline se confie. Maubert avance à pas feutré face à cette dame âgée qui traverse une mauvaise passe. Il se fait tout petit. Il se glisse dans le moindre des espaces qu’elle laisse, s’y engouffre pour obtenir enfin quelques « révélations » comme ce séjour à Londres et la rencontre avec un Francis Bacon passablement alcoolisé.

Maubert dit de Caroline : « tout en elle n’est que fragilité jusqu’à ses sourires qui ponctuent son mutisme ». Ils descendent ensemble manger une grillade sur une terrasse. Elle picore dans son assiette, non sans avoir préalablement rehaussé ses minces lèvres d’un rouge discret et s’être parfumée d’Heure Bleue. Il remonte dans son appartement. Cette fin d’après-midi ressemble à un film d’Ettore Scola. Il lui lit quelques lignes de Belle du seigneur, lui montre les photos de son amour passé, quelques mots griffonnés de sa main, toute une vie enfouie… Elle aurait aimé avoir un enfant de lui, elle n’aura même pas un dessin. Mais, ces deux-là se sont aimés. Quel plus bel héritage ! Le dernier modèle est un roman pudique et puissant comme un crayonné d’Alberto. A lire au soleil couchant de la Méditerranée.

Franck Maubert, Le dernier modèle (Mille et une nuits)

La Terreur ? Quelle horreur ! Réponse à Isabelle Marchandier

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En rapprochant « Onfray », « Mélenchon » et « Terreur » dans sa brève du 11 avril, Isabelle Marchandier ne pouvait manquer d’attiser ma curiosité historienne et de flatter mon goût pour la pique politique bien sentie dont seul Causeur a le secret. Hélas, je n’ai pas réussi à me réjouir avec elle de l’horreur de la Terreur éprouvée par Michel Onfray.

La Terreur étant un sujet clivant et, pour cette raison, un sujet politique, je serais bien mal avisé de reprocher à Isabelle Marchandier d’avoir joué son rôle de polémiste. Mais j’ai scrupules à ne pas jouer mon modeste rôle d’historien.
Certes, on peut apprécier que Michel Onfray se découvre une âme girondine. Au passage, sa métamorphose n’est pas si récente puisqu’on peut la lire dans son Eloge de Charlotte Corday, publié en 2009. On peut aussi louer qu’il se soit converti à la modération et à la démocratie représentative. Au passage, son Eloge de Charlotte Corday, laisse subsister certains doutes. Soit ! On peut enfin apprécier qu’il dénonce la différence de traitement médiatique réservé aux références culturelles des extrêmes.

Mais que devient la Terreur dans cette histoire ? Un sempiternel topique ! Robespierre et Saint-Just ? « Avec raison », des « massacreurs ». Carrier ? Rien de moins que le « Eichmann de la Révolution ». Ces quelques lignes ne purgerons pas le sujet, mais essayons. La Terreur est un épisode qui relève autant des faits que d’une construction historique liée à des luttes de partis : dès 1794, les Thermidoriens brossent le portrait en noir de Robespierre et de ses amis afin de s’exonérer d’avoir participé à la Terreur. La Convention, dans un contexte particulièrement compliqué, a cherché, autant que faire se pouvait, à canaliser les revendications radicales des sans-culottes et la violence, sans pour autant les maîtriser. La Terreur n’a été théorisée à aucun moment tel qu’on l’entend du terrorisme totalitaire. Ce n’est pas là nier l’existence des victimes ni nier la violence ou la minimiser. C’est simplement tenter de redonner un peu plus de complexité au passé – qui n’est jamais moins complexe que le présent.

A comparer Carrier à Eichmann, on ne comprendra bientôt plus, ni Carrier, ni Eichmann, non plus que la spécificité des événements auxquels ces acteurs renvoient. En creux, l’on devine que Robespierre – puisque, comme de bien entendu, il donnait tous les ordres – sera bientôt notre Hitler national. Que gagnerons-nous à relativiser ainsi sur le même plan des formes si différentes de violence et de pratiques politiques ? Une bonne joute politique peut-être, un peu moins d’intelligibilité sans doute.

Il n’y a pas de Coppola mineur

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A quoi reconnaît-on un génie, que ce soit en peinture, en littérature ou au cinéma ? Sans doute au fait qu’aucune de ses œuvres ne puisse être qualifiée de mineure. Il n’y a pas de petit Monet, de petit Balzac ou de petit Godard. On peut sans doute trouver de petits Chabrol, de petits Simenon ou de petits Balthus. C’est que l’on a affaire à de grands maîtres, pas à des génies.

C’est donc à l’aune d’un film comme Twixt, présenté comme un Coppola mineur, voire un Coppola de transition que l’on pourra interroger le statut de Coppola. Coppola, on le connaît d’abord et surtout comme l’auteur de quelques grands opéras baroques du cinéma hollywoodien dont le souffle impressionnant d’italo-américain dopé à l’outrance somptueuse et à l’hyperbole maniériste ne trouve d’équivalent que chez un Brian De Palma. Même le moins cinéphile des spectateurs a été transporté durablement par Apocalypse Now, Le Parrain ou Dracula, lequel a paradoxalement renouvelé le mythe en collant au roman de Bram Stoker car Coppola sait, comme tout grand créateur, que seule la tradition est révolutionnaire.

Il est parfois arrivé à Coppola de connaître de monumentaux échecs commerciaux. Dans ces cas-là, il accepte des films de commande qui se révèlent tout aussi poignants, subtils et élégants, jusque dans leur économie de moyen. Que l’on songe au délicieux Peggy Sue s’est mariée où Kathleen Turner, trentenaire désabusée des années 80 se retrouve, par on ne sait quel sortilège, projetée dans sa jeunesse au cœur des années 60, quand l’Amérique était encore innocente et que la vie semblait remplie de grandes espérances dansant au rythme du rock, du twist et du doo wop.
Twixt n’est pas un film de commande, c’est pourtant le film tourné par un homme à qui Hollywood ne donne plus les moyens d’antan. Et alors, quelle importance ? Puisqu’au bout du compte on retrouve sa poésie visuelle, la même que celle de Rusty James alliée à une réflexion sur la culpabilité et le deuil, le tout servi sous les allures d’un film gothique d’épouvante qui joue sur tous les codes du cinéma bis et même du « giallo », ces polars horrifiques qui furent une spécialité italienne des années 60 et 70.

L’histoire simple, belle et déchirante de Twixt nous est racontée dès les premiers plans par la voix merveilleusement éraillée de Tom Waits. On commence par une série de clichés transcendés par l’utilisation du numérique que Francis Ford Coppola sait parfaitement dompter.
Nous sommes dans une petite ville américaine perdue, avec son sheriff et son hôtel abandonné où eut lieu un affreux massacre. Un loser à bout de course y arrive un peu par hasard. Ce n’est pas un flic paumé ou un truand en cavale, mais un écrivain alcoolique qui ne vend plus, un spécialiste du récit d’épouvante, un Stephen King à la ramasse qui en est réduit à dédicacer ses livres dans des magasins de bricolage. Il est incarné par un Val Kilmer épaissi et dépressif qui promène sa lourdeur candide entre deux dimensions qui se mélangent dès le début, présent et passé, rêve et réalité, symbolisées par la seule curiosité touristique du lieu : un beffroi à sept faces avec sept horloges dont aucune, évidemment, n’indique la même heure.

Quand le sheriff, qui lui aussi se pique de littérature, lui propose une coopération flicardo-littéraire pour écrire un roman sur des meurtres d’enfants non élucidés, il accepte mollement, défoncé au bourbon et aux médocs. C’est alors à une enquête hypnagogique d’une incroyable beauté plastique que nous convie Coppola. Dans cet hinterland mental et onirique, l’écrivain aura pour guides Edgar Allan Poe lui-même (Ben Chaplin) et une jeune vampire en robe de dentelles blanches avec trop de rouge sur les joues et un appareil dentaire d’adolescente poussée en graine (Ellie Fanning).

Il ne s’agira pas pour l’écrivain, bien entendu, d’élucider autre chose que les raisons de l’immense chagrin qu’il porte en lui : la mort de sa fille décapitée par un filin alors qu’elle faisait du ski nautique, ce qui est arrivé au propre fils de Coppola, exactement dans les mêmes circonstances.
Non, décidément, il n’y a pas de Coppola mineur et Twixt en apporte une preuve à la fois éblouissante et sombre, comme le clair de lune argenté qui baigne ce film mouvant, à la poésie désespérée.

Nos amis les guérilleros

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« Le jour où les mots n’auront plus de sens, nous aurons gagné. » : c’est par cette citation glaçante de Goebbels, ministre de la Propagande d’Hitler, que s’ouvre l’Antimanuel de guérilla politique. Co-auteur du livre avec Jean-Laurent Lastelle, Renaud Chenu batifole dans la rédaction de Causeur. Mais c’est en tant qu’animateur du mouvement Gauche avenir, aux côtés de Marie-Noëlle Lienemann, Paul Quilès et d’une flopée d’élus chevènementistes, Verts ou mélenchonistes, qu’il fourbit des « idées de gauche » destinées à torpiller les « mots de droite ». Le but affiché de nos amis guérilleros est en effet de réarmer intellectuellement une gauche qui peine à trouver une alternative à la « social-médiocratie », comme l’appelait cruellement le Ceres.[access capability= »lire_inedits »]

Réenchanter le lexique culturel de la gauche pour partir au combat idéologique, voilà un noble dessein. Soit. Mais nombre d’antilibéraux de droite se retrouveront dans leur programme : « Prendre le parti idéologique du peuple contre l’idée simpliste et autoritaire qu’il n’y aurait qu’une voie possible pour l’humanité : la gloutonnerie capitaliste. » On adhérera sans mal au constat de l’impéritie du politique, qui se fait le petit télégraphiste de la banque et des agences de notation partout en Europe, à tel point que l’élection confine au choix entre deux paquets de lessive : « Qu’ils soient de gauche ou de droite, les impétrants de tous bords partagent une responsabilité commune dans l’abandon progressif de la capacité des États à engager des politiques publiques qui ne soient pas qu’un simple accompagnement des bourrasques financières, bancaires et autres éclatements de bulles. »

Il est plus difficile, en revanche, d’adhérer au mythe d’un peuple pur, dont les élans émancipateurs seraient bridés par l’action subversive de l’oligarchie politico-financière. Comment ignorer que « le malaise est dans l’homme » (Pierre Le Vigan), de plus en plus dégradé anthropologiquement par son immersion consentie dans le grand bain de la modernité industrielle et progressiste ?

Ces socialistes républicains ont le grand mérite de rétablir des vérités occultées, par exemple sur l’imposture du « modèle exportateur allemand », fondé sur la captation des autres marchés européens ou sur l’usage politicien du mot « pragmatisme ». Le lecteur en quête d’alternative à la société lyophilisée attend avec impatience un second tome qui sera l’occasion de dresser le bilan de la gauche au pouvoir, pour peu que la rose de 1981 refleurisse cette année.

Avant que Chenu, Lastelle et leur escouade de jeunes intellectuels prennent le Palais d’Hiver du faubourg Saint-Honoré, on méditera l’une de leurs sentences les mieux aiguisées : « Qui a renoncé au conflit, au langage dur et aux risques qu’il pointe ne peut que se faire piétiner par les puissants. » Ce n’est pas ici qu’on prétendra le contraire ![/access]

Antimanuel de guérilla politique, Jean-Laurent Lastelle et Renaud Chenu (éditions JC Gawséwitch)

Feu sur l’ambulance !

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S’il serait parfaitement absurde d’en nier l’incomparable utilité, il faut bien avouer que les ambulances agacent. Vous êtes à une terrasse de café, absorbé dans la lecture d’une grande œuvre, évoluant dans un univers parallèle, et voilà que l’atroce stridence vous rappelle à la trivialité des ennuis de circulation. La décharge de stress qu’induit la sirène peut soudainement envenimer une controverse jusque là courtoise, et sa prévalence sonore vous ruiner une déclaration d’amour. Il y aurait bien moyen de remédier à ces inconvénients mais l’épaisseur et la vulgarité de notre époque est telle qu’il est à peu près certain que nos suggestions resteraient lettres mortes.

Pourtant, au vu de notre puissance technologique, il ne serait tout de même pas très complexe de substituer, à ce chromatisme exaspérant, de beaux cuivres solennels et grandioses, une complainte de Verdi ou un remix electro-hardcore de Carmina Burana. Et non moins réalisable de commuter la musique d’alarme en Requiem, si le patient venait à rendre l’âme durant son transport, les voitures voisines décélérant alors en signe d’hommage, les piétons se signant ou soulevant leurs couvre-chefs au passage, tandis que les pires porcs consuméristes seraient judicieusement amenés à une méditation sur la fragilité de l’existence.

En attendant, comme ces subtils aménagements ont peu de chance d’être réalisés, on peut comprendre qu’on soit parfois saisi par la pulsion de tirer sur une ambulance. Je m’autoriserai donc à évoquer Stéphane Hessel. L’odieux vieillard, en effet, n’en finit pas de radoter. À cet âge qu’on qualifiât autrefois de « vénérable », on serait censé, à mon avis, s’être un rien détaché des affaires du monde et se préoccuper surtout de préparer sa mort. Mais non, papi Hessel n’en finit pas de gesticuler dans la lumière pour venir postillonner ses navrantes sommations.

Après Indignez-vous ! (qui promouvait donc une attitude habituellement réservée aux vieilles dames), parce que son éditeur espère sans doute refaire le coup du best-seller réalisé sur vingt pages de lieux communs, Hessel titre à présent : Vivez ! Ces mots d’ordre exprimés avec impératif plus point d’exclamation ont vraiment un détestable écho de propagande pubarde et totalitaire. « Vivez ! » Voilà qui vous donne l’envie immédiate de contacter l’Agence Générale du Suicide, que le sémillant Jacques Rigaut avait fondée au temps du Surréalisme. Non, mais ! Je vis, si je veux !

On imagine déjà les prochains articles de ce catéchisme autoritaire post-moderne ; « Luttez ! », « Mélangez-vous ! », « Souriez ! », ou n’importe quel autre ânonnement simpliste destiné aux masses abruties de slogans. Il le rentabilise à mort, en tout cas, Hessel, son quart d’heure warholien, il l’étire dans tous les sens. C’est qu’on a eu droit à ses poèmes préférés, à ses entretiens et même, puisqu’il n’y a plus aucune limite au grotesque : Stéphane Hessel et le Dalaï Lama… Si, si… Le maître ès indignations avec le pape des bouddhistes, ces gens qui justement ne s’indignent jamais mais conservent au contraire un imperturbable sourire ironique devant un monde tenu pour essentiellement illusoire. Il arrive seulement, parfois, qu’ils protestent, les bouddhistes. Auquel cas ils s’immolent.

« Immolez-vous ! » aurait écrit un Stéphane Hessel bouddhiste, et c’eût été autrement plus cocasse. Mais la seule dimension bouddhiste que notre Hessel à nous possède, c’est cette invraisemblable propension à rejoindre la vacuité. Et il faut qu’il la rejoigne avec l’envahissant chahut d’un gyrophare.
Feu sur l’ambulance !