Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.
Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…
Un vaste audit
Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).
Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.
La société de défiance n’est pas un progrès
Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.
C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.
Doc : Cour des comptes européenne.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio
L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam
Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.
Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.
Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !
Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.
En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.
Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.
Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.
Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?
Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.
Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.
Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.
Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.
La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.
Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.
Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?
Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.
L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.
Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !
Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !
A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.
Les procès de la télévision publique française
C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.
Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.
Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.
Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.
Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux
Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?
Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.
Une trahison
Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?
L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.
André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.
Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).
Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.
Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).
Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.
Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »
Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».
À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.
Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.
Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.
La réalisatrice de “Rabia” Mareike Engelhardt affirme ne pas avoir fait un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse et la frustration d’une jeunesse sans repères.
Jessica (Megan Northam), 19 ans, a la foi du charbonnier : flanquée d’une copine aussi ingénue qu’elle, la fille pas trop fûtée fait son baptême de l’air en vol low cost, sous la protection d’Allah et du Prophète, direction Raqqa, ville centrale d’une Syrie alors tombée pour partie sous le joug de l’EIIL (État Islamique en Irak et au Levant). Comme on pouvait s’y attendre, rien ne se passe comme prévu pour ces idiotes parties pour la charia comme pour une colonie de vacances : privées de smartphone, de bouquins (à part le Coran), réduites à l’état d’esclaves domestiques et sexuels, les voilà séquestrées dans une de ces madafas qui sont au culte mahométan ce que le couvent est au catholicisme – en moins marrant. Car, juste bonne à être engrossée, cette blanche chair fraîche doit essentiellement servir à repeupler la Terre de futurs martyrs, sitôt mariée (de force) au combattant djihadiste qui aura bien voulu convoler – l’affaire de cinq minutes. Baptisée « Madame » (Lubna Azabal, dans le rôle), une ex-juriste fanatisée régente cet aimable gynécée.
Lubna Azabal, sadique au regard de braise
Rabia suit en huis-clos le chemin de croix de Jessica dans ce cloître un peu spécial, depuis le moment où, dessillée, elle tente en vain de se révolter (punition : fouet, et mitard privé de gamelle), puis de se carapater (sa copine y laisse la vie), jusqu’à celui où l’ancienne victime, ayant fait acte de soumission à « Madame », se change en nervi à sa botte – comme jadis les kapos des camps de la mort. Entre temps, elle aura, de justesse, échappé à un viol, tentative perpétrée par un grand freak blondasse aux yeux d’azur qu’on lui présente comme son futur, et qui, assujettissant son falzar, se rue soudain sur elle après l’avoir charmé de sa voix doucereuse. (Pour camper ce taré l’espace d’une courte séquence, le bel Andranic Manet, ex. rappeur de 27 ans qu’on a pu voir au théâtre incarner… le jeune Poutine !)
Bref, Rabia trouvera son dénouement, sans surprise, avec le siège de Raqqua, détruite comme l’on sait à 80% en 2017 sous l’assaut de la coalition des mécréants. Morphinomane passablement secouée des méninges, « Madame » rappelle (de loin) Hitler dans son bunker. Saluons au passage la prestation de l’excellente comédienne belge d’origine hispano-marocaine Lubna Azabal, dans ce rôle de sadique au regard de braise.
Pas un film sur l’islam
Evidemment, le parallèle était tentant. Pourtant, s’il faut en croire Mareike Engelhardt, ex. danseuse contemporaine, ex. assistante de mise en scène auprès de Polanski sur Carnage, ou de Volker Schlöndorff sur Diplomatie, entre autres, et dont feu son grand-père sévit dans la SS, secret bien gardé par les géniteurs de la réalisatrice (laquelle dit en garder le traumatisme) : « ma démarchen’est pas de faire des raccourcis entre le terrorisme islamiste et le nazisme, mais le film rappelle que la faille vient de l’intérieur de nos sociétés et qu’il faut l’affronter collectivement au lieu de la fuir. Ce n’est pas un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse, les mécanismes de déshumanisation, et la frustration d’une jeunesse sans repères ». Dont acte.
Mais alors, nécessairement tourné en Jordanie et en France pour fictionner un régime de terreur historiquement avéré, parfaitement identifié dans sa spécificité irréductible, alors de quoi Rabia est-il le film – sinon celui de l’hydre islamiste ?
Rabia. Film de Mareike Engelhardt. Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief. France, couleur, 2024. Durée: 1h35.
Un peu partout dans le monde occidental, et singulièrement chez nous au sein du parti La France Insoumise, la gauche refuse de voir ce totalitarisme d’un type inédit qu’est l’islamisme.
Les propos de la propagandiste d’origine syrienne Rima Hassan, et les désordres que suscitent ses prises de parole publiques, avaient finalement conduit l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Pô) à interdire sa conférence prévue le vendredi 22 novembre dernier dans les locaux de la Rue Saint-Guillaume. Mais voilà que le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’IEP de reprogrammer cette conférence à une date ultérieure, à charge pour les organisateurs de « Students for Justice in Palestine », de présenter les garanties nécessaires au « bon déroulement » de la rencontre (!).
From the River to the Sea, le vrai slogan “génocidaire”
Cette décision du juge des référés est d’autant plus aberrante que la militante propalestinienne a été visée par une enquête pour apologie du terrorisme pour avoir qualifié « d’action légitime » les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. Rima Hassan incite en effet sans relâche, des universités françaises au Parlement européen, à rayer Israël de la carte. Et en soutenant des manifestants peignant de rouge leurs mains, elle accuse les Israéliens d’avoir les mains rouges du sang des Gazaouis, retournant contre les Juifs l’image glorifiée des assassins palestiniens qui avaient battu à mort des soldats israéliens à Ramallah en 2000.
Mais tout cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de demeurer la nouvelle égérie de cette curieuse idéologie qui s’est développée dans la gauche en général, et tout particulièrement à LFI ou au sein d’une partie bruyante de la jeunesse universitaire, et de continuer à instrumentaliser ladite « cause palestinienne » contre Israël et les Juifs. Car la revendication d’un État palestinien n’est que la couverture de la négation de la légitimité d’Israël à exister, puisque cette Palestine revendiquée est censée s’étendre du Jourdain à la Méditerranée, « From the River to the Sea ». Le propalestinisme n’est que le masque de l’offensive islamiste qui dénie aux Juifs le droit d’avoir un État national, mais qui leur interdit tout autant de vivre en sécurité en France et d’y exercer tous leurs droits de citoyens. Dans cette vision, les Juifs devraient retrouver leur statut de dhimmis (sujets inférieurs en droit, humiliés, rançonnés et maltraités du temps des califats et de l’empire ottoman) faute de quoi ils sont systématiquement assassinés.
La petite faiblesse des islamistes, et nos grandes faiblesses occidentales
Mais les chrétiens, les « mécréants », les laïques, les démocrates, tous les Occidentaux en un mot, sont aussi les cibles des islamistes, même si les Juifs sont toujours leurs victimes de prédilection, d’autant qu’aujourd’hui ils sont considérés comme la pointe avancée de l’Occident au Moyen-Orient, comme des « privilégiés » parmi les privilégiés, comme des « super-blancs ». De Paris au Néguev, de novembre 2015 au 7 octobre 2023, l’islam est ainsi reparti à la conquête de l’Occident, s’attaquant à nos modes de vie et à nos vies tout court, à la fois sournoisement et violemment. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’une stratégie politique expansionniste, trop souvent méconnue ou mésestimée par les Occidentaux, menée principalement par un mouvement salafo-frériste polymorphe, à travers une alliance sunnite-chiite largement manœuvrée par l’Iran des mollahs.
La gauche et plus largement la nébuleuse desdits « progressistes » (partis, intellectuels, agents de la fonction publique, ONG) en France, mais aussi aux États-Unis et jusqu’en Israël, est particulière touchée par le déni de cette réalité ou de la dangerosité de celle-ci, laissant de plus en plus le champ libre aux islamistes. Cela, par conviction idéologique considérant le musulman (nouveau « damné de la terre ») comme la victime de « l’extrême droite » (ennemi principal à combattre), et/ou par lâcheté étant persuadée de l’inéluctabilité de la domination du « Sud global » sur l’Occident décadent. On prône alors comme le claironne Jean-Luc Mélenchon, les insoumis et leurs soumis verts et socialistes, les bienfaits d’une immigration musulmane de masse et d’une créolisation des populations et de la culture française.
Dans les administrations françaises, on continue à faire preuve de laxisme et de complaisance coupable à l’égard de la propagande diffusée par des islamistes, et des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils perpétrent. De l’Éducation nationale où le « pas de vague » demeure le mot d’ordre implicite malgré les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et les agressions répétées d’enseignants, aux tribunaux dont les verdicts sont plus cléments à l’égard de menaces de mort (comme l’auteur de l’appel à « brûler vif » le proviseur du lycée Ravel, condamné à une amende de 600 euros et un ridicule stage de citoyenneté) que face aux gestes déplacés d’un Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique et une obligation de soins psychiatriques).
En plein procès de l’assassinat de Samuel Paty, un homme qui a appelé à brûler vif le Proviseur du lycée Maurice Ravel (coupable d’avoir demandé à des élèves d’enlever leur voile, conformément à la loi) est condamné à un stage de citoyenneté et à 600 € d’amende. Ma main droite…
A rebours des luttes libertaires de jadis, les néo-féministes proclament le voilement des femmes comme instrument de leur libération, tandis que des militants LGBTQ++ clament leur soutien à une « Palestine libre » ignorant ou feignant d’ignorer le sort tragique promis aux leurs dans les territoires tenus par le Hamas mais aussi par l’Autorité palestinienne du Fatah, sous la botte islamiste en général (de Daech aux Talibans, du Levant à l’Asie musulmane) et jusqu’en France où en Allemagne : le 18 novembre dernier, la chef de la police de Berlin n’a-t-elle pas conseillé aux Juifs et aux homosexuels d’être prudents dans « certains quartiers » ?
Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que l’on retrouve des attitudes similaires de « dhimmitude volontaire » au sein de la gauche israélienne, essentiellement intellectuelle au demeurant, tant les partis (Travailliste et Meretz malgré leur récente fusion) sont réduits à presque rien dans la représentation nationale israélienne, en grande partie à cause précisément, de leur abandon d’un sionisme de combat.
La gauche oublie l’aspect essentiellement religieux du conflit au Proche-Orient
Comme la gauche française obnubilée par « l’extrême droite » et la montée en puissance du RN, la gauche israélienne n’a de cesse d’attaquer Benjamin Netanyahu et sa stratégie militaire contre le Hamas et le Hezbollah, au motif qu’il est allié à des partis d’extrême droite. Ainsi, le professeur de science politique israélien Denis Charbit dans son récent ouvrage Israël, l’impossible État normal, continue à condamner la « colonisation des territoires occupés en Cisjordanie » (plutôt que de parler des « implantations en Judée-Samarie », territoires « disputés » depuis l’éviction de la Jordanie qui s’en était emparé illégalement en 1949), et persiste dans la croyance que la création d’un État palestinien mettra fin au « conflit du Moyen-Orient » (alors que le cœur du conflit n’est pas territorial mais religieux, et que les leaders palestiniens refusent la coexistence pacifique d’un État palestinien à côté d’Israël).
Or, en s’alliant à l’islamisme, non seulement la gauche apporte ses forces militantes et ses votes à l’entreprise politico-terroriste salafo-frériste, mais elle trahit le fondement même de la pensée progressiste, à savoir la philosophie des Lumières européennes (le mot se décline dans toutes les langues européennes) et l’esprit laïque né en France avec la philosophie du libertinage (du latin libertinus, affranchi, esclave libéré) qui s’est diffusé jusqu’en Amérique latine. Luttant contre l’emprise des croyances religieuses et superstitieuses comme des croyances sécularisées des eschatologies totalitaires et des thèses complotistes de tous poils, le libre penseur s’oppose en effet aux dogmes et aux vérités révélées. La pensée libre s’autorise les interprétations à l’infini, puisant en cela dans la tradition talmudique comme dans l’herméneutique grecque et la disputatio théologique chrétienne, mais en contradiction foncière avec l’intégrisme musulman.
Et c’est bien la démocratie elle-même, tant politique que sociale, que la gauche menace dans son alliance avec l’islamisme. Car la démocratie consiste dans l’agencement d’institutions organisant l’expression du libre choix du plus grand nombre et l’extension au plus grand nombre possible non seulement de la décision politique mais aussi des biens matériels et culturels. L’unité de base de la démocratie est l’individu libre (quel que soit son sexe) : pour qu’il soit toujours plus libre d’exprimer ses choix, il lui faudra partager une égalité de plus en plus grande avec ses semblables, partageant toujours plus équitablement moyens prosaïques et instruments de la pensée et de la parole pour que perdure le débat démocratique et la libre expression.
Face à ces principes fondateurs de la culture occidentale, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la poussée qui semble irrésistible de l’offensive islamiste. Quand la gauche en prendra-t-elle enfin la vraie mesure ? Quand considérera-t-on enfin que l’ennemi principal, celui qui met en péril tout autant la paix au Proche-Orient que nos acquis démocratiques, égalitaires et libertaires au cœur-même de toutes nos sociétés occidentales c’est aujourd’hui ce totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme ?
L’écrivain franco-algérien a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre pour des motifs encore inconnus.
Les liens historiques et humains qui unissent la France à l’Algérie font souvent sous-estimer la nature dictatoriale du régime politique qui la dirige. L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en est encore la triste confirmation : l’Algérie est une nation en pleine dérive qui ne tient sa population qu’en désignant des boucs-émissaires étrangers et en maniant le bâton avec les récalcitrants.
L’Algérie, une drôle d’Histoire !
Il n’est d’ailleurs qu’à lire la presse officielle algérienne pour s’en convaincre. Dans un communiqué d’une rare virulence, au ton semblable à ce que l’on pourrait trouver dans des régimes aussi aimables que la Corée-du-Nord, l’Agence Presse Service écrit à propos des réactions françaises à la détention arbitraire de l’écrivain binational : « la France prend la défense d’un négationniste, qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’Histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie ».
En cause, les propos tenus par Boualem Sansal au média Frontières. Il a notamment déclaré : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. » Ce propos historiquement exact est jugé « négationniste » dans une Algérie où l’histoire est mythifiée et abondamment utilisée pour souder la population.
Le caractère obsidional du régime créé par le FLN s’exprime notamment à l’égard de la France, des juifs, mais aussi du Maroc. La monarchie voisine est régulièrement vilipendée dans les médias algériens, jalousée aussi. Il ne fait donc guère de doutes que les propos de Monsieur Sansal sur la souveraineté marocaine dans la région du Sahara ont dû profondément énerver les autorités militaires algériennes, lesquelles soutiennent les séparatistes armés du Front Polisario depuis de nombreuses années.
De plus, le récent basculement de la France en faveur du plan d’autonomie marocain au Sahara a laissé un goût amer dans la bouche d’Alger. Vu comme un traître, Boualem Sansal est aussi un combattant inlassable des dérives islamistes qu’il a observées dans son pays d’origine, traumatisé comme tant d’autres par la guerre civile des années 1990 et les terroristes du GIA.
Boualem Sansal pourrait être poursuivi
Boualem Sansal est désormais dans une situation particulièrement périlleuse. Son arrestation politique pouvant conduire à la mise en œuvre de poursuites pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des motifs passibles de prison ferme en Algérie. Ces méthodes, visant un homme qui a récemment acquis la nationalité française, s’apparentent à celles des régimes totalitaires.
Elles font de l’Algérie un pays qui devrait horrifier nombre de belles âmes bien françaises. On est pourtant bien en peine de trouver des réactions venant d’une grande partie de la gauche, souvent complaisante à l’égard d’Alger. Comme l’explique l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat à La Dépêche du Midi : « Le Printemps arabe n’a qu’effleuré l’Algérie, l’Etat usant à la fois de brutalité et de clientélisme à coup de pétro et de gazodollars pour vite replonger son peuple dans l’apathie et la neurasthénie. Tout le monde le sait. Les Algériens le savent. Il n’y a guère que les immigrés et surtout leurs enfants en France pour chanter les louanges de l’Algérie en se gardant bien d’y vivre, de s’y faire soigner ou de s’y instruire. »
En manifestant clairement son intérêt à l’alliance marocaine, la France a dévoilé le fond de la pensée d’Alger. Revancharde et passéiste, l’Algérie de Monsieur Tebboune ne prend pas le chemin du progrès. Il est temps de lui rappeler qu’un dialogue se construit à deux et sûrement pas par le chantage.
Une superstition britannique veut que les corbeaux vivant en captivité dans la Tour de Londres soient supposés protéger la Couronne…
« Promis, Judith Godrèche, on te croa ! » DR.
L’annonce du décès d’un troisième corbeau nichant dans la mythique Tour de Londres aurait pu rester une brève parmi d’autres. Mais pour les tabloïds britanniques, il en va autrement : c’est un présage sinistre qui touche la monarchie de très près. Une légende tenace, vieille de deux siècles, affirme que « si les corbeaux de la Tour de Londres sont perdus ou s’envolent, la Couronne tombera et la Grande-Bretagne avec elle ».
La disparition de Rex, corbeau baptisé en hommage à Charles III, n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Depuis 2022, les corvidés succombent mystérieusement. Parmi eux, Merlina, surnommée la « Reine de la Tour », disparue sans laisser de traces peu de temps avant la mort d’Elizabeth II. Dans l’imaginaire collectif britannique, les corbeaux de la Tour ne sont donc pas de simples oiseaux. Ils sont les gardiens d’une monarchie qui oscille entre tradition et modernité. Depuis l’accession au trône de Charles III, le royaume semble marcher sur une corde raide et fragile. Réformes contestées, scandales royaux, fractures sociales… assez d’éléments pour que les plus pessimistes voient dans ces disparitions un sombre augure.
L’Historic Royal Palaces (HRP), qui veille sur cette célèbre prison abritant aujourd’hui les joyaux de la couronne, s’est efforcé de rassurer. Michael Chandler, le « Raven Master » en poste depuis deux ans, redouble d’efforts pour maintenir cet équilibre fragile. Nourris de mets macabres – poussins, rats, biscuits imbibés de sang – et soumis à des coupes précautionneuses de leurs plumes pour limiter leurs escapades, les corbeaux sont choyés comme des reliques vivantes et assurés de rester sur leur perchoir.
Pourtant, silencieux mais omniprésents, ils semblent poser une question lancinante : et si, finalement, leur envol final et énigmatique signalait l’aube d’un bouleversement irréversible, un avertissement que devrait prendre très sérieusement les Windsor ? Honni soit qui mal y pense.
En se rendant au chevet de la France profonde qui refuse de disparaitre, Emmanuel Courcol réussit à faire vibrer la corde sensible sans sombrer dans la guimauve ou le prêche social. Mercredi en salles.
Thibaud (Benjamin Lavernhe), fils de bonne famille provinciale, est devenu, talent et travail aidant, un jeune chef d’orchestre de renommée mondiale – il enseigne à Cleveland et se produit partout sur la planète. Le maestro apprend qu’atteint d’une leucémie, seul un donneur de moelle épinière pourra le sauver ; il a bien une sœur qui sacrifierait pour lui ce morceau de chair, mais les examens révèlent qu’elle n’a pas le même ADN. Thibaud découvre alors le pot aux roses, un secret bien gardé par ses parents : celui de son adoption. Tout comme celui de l’existence cachée d’un frère cadet de même sang, élevé quant à lui à Roubaix par une nourrice, dans un milieu populaire, comme on dit. Et voilà notre Thibaud parti faire connaissance avec son Jimmy (Pierre Lottin), cantinier et tromboniste à ses heures : avec lui, la greffe peut prendre. Encore faut-il qu’il soit donneur.
Prolégomènes d’une intrigue toute en fantaisie, en émotion et en fanfare, selon le titre du film, porté d’un bout à l’autre par des répliques senties et des comédiens impeccables – à commencer par le photogénique Pierre Lottin, 35 ans, dans le rôle de Jimmy, comédien découvert dans Les Tuches 1, 2 et 3, d’Olivier Baroux, et qui jouait déjà il y a quatre ans dans Un triomphe, le film précédent d’Emmanuel Courcol, cet ancien acteur de théâtre passé sur le tard à la réalisation…
Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin (c) Agat films
Il faut s’en réjouir. Comédie douce-amère menée avec brio, En fanfare fait vibrer la corde sensible, tout en esquivant le triple écueil de la farce, de la guimauve et du prêche social. Sous le signe de la musique et dans le paysage de cette France profonde pas encore tout à fait disparue, se noue la rencontre miraculeuse de deux âmes tendres, de cultures apparemment dissonantes, de destins sensément irréductibles, de galaxies sociales séparées par un gouffre économique, mental, anthropologique : d’un côté, arrimé à cette communauté ouvrière paupérisée du Nord dont l’usine est en sursis, et courtisé par une cégétiste au grand cœur (Sarah Suco), le Jimmy, prolo et jeune père divorcé en souffrance affective, discret collectionneur de vinyles, connaisseur de jazz et modeste joueur de trombone ; de l’autre Thibaud l’esthète ambitieux, l’érudit raffiné à l’article de la mort, et qui passe du clavier au pupitre, de Schubert à Verdi, et bientôt de l’orchestre classique au flonflon…
Conte de fée bien ancré dans le réel, En fanfare prend appui sur un casting d’excellente facture pour chanter, avec beaucoup de délicatesse, l’hymne nostalgique et rêveur de la réconciliation des contraires. Pour liant, quelques morceaux choisis, – de ces must du répertoire musical dont on ne se lasse jamais.
En fanfare. Film d’Emmanuel Courcol. Avec Benjamin Lavernhe, Pierre Lottier, Sarah Suco. France, couleur, 2024. Durée : 1h43
Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.
Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…
Un vaste audit
Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).
Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.
La société de défiance n’est pas un progrès
Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.
C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.
Doc : Cour des comptes européenne.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio
L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam
Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.
Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.
Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !
Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.
En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.
Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.
Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.
Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?
Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.
Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.
Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.
Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.
La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.
Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.
Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?
Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.
L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.
Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !
L'historien Benjamin Stora a reproché à l'écrivain Boualem Sansal de blesser le sentiment national algérien, sur France 5. Capture d'écran.
Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !
A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.
Les procès de la télévision publique française
C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.
Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.
Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.
Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.
Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux
Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?
Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.
Une trahison
Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?
L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.
André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.
Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).
Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.
Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).
Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.
Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »
Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».
À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.
Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.
Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.
La réalisatrice de “Rabia” Mareike Engelhardt affirme ne pas avoir fait un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse et la frustration d’une jeunesse sans repères.
Jessica (Megan Northam), 19 ans, a la foi du charbonnier : flanquée d’une copine aussi ingénue qu’elle, la fille pas trop fûtée fait son baptême de l’air en vol low cost, sous la protection d’Allah et du Prophète, direction Raqqa, ville centrale d’une Syrie alors tombée pour partie sous le joug de l’EIIL (État Islamique en Irak et au Levant). Comme on pouvait s’y attendre, rien ne se passe comme prévu pour ces idiotes parties pour la charia comme pour une colonie de vacances : privées de smartphone, de bouquins (à part le Coran), réduites à l’état d’esclaves domestiques et sexuels, les voilà séquestrées dans une de ces madafas qui sont au culte mahométan ce que le couvent est au catholicisme – en moins marrant. Car, juste bonne à être engrossée, cette blanche chair fraîche doit essentiellement servir à repeupler la Terre de futurs martyrs, sitôt mariée (de force) au combattant djihadiste qui aura bien voulu convoler – l’affaire de cinq minutes. Baptisée « Madame » (Lubna Azabal, dans le rôle), une ex-juriste fanatisée régente cet aimable gynécée.
Lubna Azabal, sadique au regard de braise
Rabia suit en huis-clos le chemin de croix de Jessica dans ce cloître un peu spécial, depuis le moment où, dessillée, elle tente en vain de se révolter (punition : fouet, et mitard privé de gamelle), puis de se carapater (sa copine y laisse la vie), jusqu’à celui où l’ancienne victime, ayant fait acte de soumission à « Madame », se change en nervi à sa botte – comme jadis les kapos des camps de la mort. Entre temps, elle aura, de justesse, échappé à un viol, tentative perpétrée par un grand freak blondasse aux yeux d’azur qu’on lui présente comme son futur, et qui, assujettissant son falzar, se rue soudain sur elle après l’avoir charmé de sa voix doucereuse. (Pour camper ce taré l’espace d’une courte séquence, le bel Andranic Manet, ex. rappeur de 27 ans qu’on a pu voir au théâtre incarner… le jeune Poutine !)
Bref, Rabia trouvera son dénouement, sans surprise, avec le siège de Raqqua, détruite comme l’on sait à 80% en 2017 sous l’assaut de la coalition des mécréants. Morphinomane passablement secouée des méninges, « Madame » rappelle (de loin) Hitler dans son bunker. Saluons au passage la prestation de l’excellente comédienne belge d’origine hispano-marocaine Lubna Azabal, dans ce rôle de sadique au regard de braise.
Pas un film sur l’islam
Evidemment, le parallèle était tentant. Pourtant, s’il faut en croire Mareike Engelhardt, ex. danseuse contemporaine, ex. assistante de mise en scène auprès de Polanski sur Carnage, ou de Volker Schlöndorff sur Diplomatie, entre autres, et dont feu son grand-père sévit dans la SS, secret bien gardé par les géniteurs de la réalisatrice (laquelle dit en garder le traumatisme) : « ma démarchen’est pas de faire des raccourcis entre le terrorisme islamiste et le nazisme, mais le film rappelle que la faille vient de l’intérieur de nos sociétés et qu’il faut l’affronter collectivement au lieu de la fuir. Ce n’est pas un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse, les mécanismes de déshumanisation, et la frustration d’une jeunesse sans repères ». Dont acte.
Mais alors, nécessairement tourné en Jordanie et en France pour fictionner un régime de terreur historiquement avéré, parfaitement identifié dans sa spécificité irréductible, alors de quoi Rabia est-il le film – sinon celui de l’hydre islamiste ?
Rabia. Film de Mareike Engelhardt. Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief. France, couleur, 2024. Durée: 1h35.
Un peu partout dans le monde occidental, et singulièrement chez nous au sein du parti La France Insoumise, la gauche refuse de voir ce totalitarisme d’un type inédit qu’est l’islamisme.
Les propos de la propagandiste d’origine syrienne Rima Hassan, et les désordres que suscitent ses prises de parole publiques, avaient finalement conduit l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Pô) à interdire sa conférence prévue le vendredi 22 novembre dernier dans les locaux de la Rue Saint-Guillaume. Mais voilà que le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’IEP de reprogrammer cette conférence à une date ultérieure, à charge pour les organisateurs de « Students for Justice in Palestine », de présenter les garanties nécessaires au « bon déroulement » de la rencontre (!).
From the River to the Sea, le vrai slogan “génocidaire”
Cette décision du juge des référés est d’autant plus aberrante que la militante propalestinienne a été visée par une enquête pour apologie du terrorisme pour avoir qualifié « d’action légitime » les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. Rima Hassan incite en effet sans relâche, des universités françaises au Parlement européen, à rayer Israël de la carte. Et en soutenant des manifestants peignant de rouge leurs mains, elle accuse les Israéliens d’avoir les mains rouges du sang des Gazaouis, retournant contre les Juifs l’image glorifiée des assassins palestiniens qui avaient battu à mort des soldats israéliens à Ramallah en 2000.
Mais tout cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de demeurer la nouvelle égérie de cette curieuse idéologie qui s’est développée dans la gauche en général, et tout particulièrement à LFI ou au sein d’une partie bruyante de la jeunesse universitaire, et de continuer à instrumentaliser ladite « cause palestinienne » contre Israël et les Juifs. Car la revendication d’un État palestinien n’est que la couverture de la négation de la légitimité d’Israël à exister, puisque cette Palestine revendiquée est censée s’étendre du Jourdain à la Méditerranée, « From the River to the Sea ». Le propalestinisme n’est que le masque de l’offensive islamiste qui dénie aux Juifs le droit d’avoir un État national, mais qui leur interdit tout autant de vivre en sécurité en France et d’y exercer tous leurs droits de citoyens. Dans cette vision, les Juifs devraient retrouver leur statut de dhimmis (sujets inférieurs en droit, humiliés, rançonnés et maltraités du temps des califats et de l’empire ottoman) faute de quoi ils sont systématiquement assassinés.
La petite faiblesse des islamistes, et nos grandes faiblesses occidentales
Mais les chrétiens, les « mécréants », les laïques, les démocrates, tous les Occidentaux en un mot, sont aussi les cibles des islamistes, même si les Juifs sont toujours leurs victimes de prédilection, d’autant qu’aujourd’hui ils sont considérés comme la pointe avancée de l’Occident au Moyen-Orient, comme des « privilégiés » parmi les privilégiés, comme des « super-blancs ». De Paris au Néguev, de novembre 2015 au 7 octobre 2023, l’islam est ainsi reparti à la conquête de l’Occident, s’attaquant à nos modes de vie et à nos vies tout court, à la fois sournoisement et violemment. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’une stratégie politique expansionniste, trop souvent méconnue ou mésestimée par les Occidentaux, menée principalement par un mouvement salafo-frériste polymorphe, à travers une alliance sunnite-chiite largement manœuvrée par l’Iran des mollahs.
La gauche et plus largement la nébuleuse desdits « progressistes » (partis, intellectuels, agents de la fonction publique, ONG) en France, mais aussi aux États-Unis et jusqu’en Israël, est particulière touchée par le déni de cette réalité ou de la dangerosité de celle-ci, laissant de plus en plus le champ libre aux islamistes. Cela, par conviction idéologique considérant le musulman (nouveau « damné de la terre ») comme la victime de « l’extrême droite » (ennemi principal à combattre), et/ou par lâcheté étant persuadée de l’inéluctabilité de la domination du « Sud global » sur l’Occident décadent. On prône alors comme le claironne Jean-Luc Mélenchon, les insoumis et leurs soumis verts et socialistes, les bienfaits d’une immigration musulmane de masse et d’une créolisation des populations et de la culture française.
Dans les administrations françaises, on continue à faire preuve de laxisme et de complaisance coupable à l’égard de la propagande diffusée par des islamistes, et des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils perpétrent. De l’Éducation nationale où le « pas de vague » demeure le mot d’ordre implicite malgré les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et les agressions répétées d’enseignants, aux tribunaux dont les verdicts sont plus cléments à l’égard de menaces de mort (comme l’auteur de l’appel à « brûler vif » le proviseur du lycée Ravel, condamné à une amende de 600 euros et un ridicule stage de citoyenneté) que face aux gestes déplacés d’un Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique et une obligation de soins psychiatriques).
En plein procès de l’assassinat de Samuel Paty, un homme qui a appelé à brûler vif le Proviseur du lycée Maurice Ravel (coupable d’avoir demandé à des élèves d’enlever leur voile, conformément à la loi) est condamné à un stage de citoyenneté et à 600 € d’amende. Ma main droite…
A rebours des luttes libertaires de jadis, les néo-féministes proclament le voilement des femmes comme instrument de leur libération, tandis que des militants LGBTQ++ clament leur soutien à une « Palestine libre » ignorant ou feignant d’ignorer le sort tragique promis aux leurs dans les territoires tenus par le Hamas mais aussi par l’Autorité palestinienne du Fatah, sous la botte islamiste en général (de Daech aux Talibans, du Levant à l’Asie musulmane) et jusqu’en France où en Allemagne : le 18 novembre dernier, la chef de la police de Berlin n’a-t-elle pas conseillé aux Juifs et aux homosexuels d’être prudents dans « certains quartiers » ?
Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que l’on retrouve des attitudes similaires de « dhimmitude volontaire » au sein de la gauche israélienne, essentiellement intellectuelle au demeurant, tant les partis (Travailliste et Meretz malgré leur récente fusion) sont réduits à presque rien dans la représentation nationale israélienne, en grande partie à cause précisément, de leur abandon d’un sionisme de combat.
La gauche oublie l’aspect essentiellement religieux du conflit au Proche-Orient
Comme la gauche française obnubilée par « l’extrême droite » et la montée en puissance du RN, la gauche israélienne n’a de cesse d’attaquer Benjamin Netanyahu et sa stratégie militaire contre le Hamas et le Hezbollah, au motif qu’il est allié à des partis d’extrême droite. Ainsi, le professeur de science politique israélien Denis Charbit dans son récent ouvrage Israël, l’impossible État normal, continue à condamner la « colonisation des territoires occupés en Cisjordanie » (plutôt que de parler des « implantations en Judée-Samarie », territoires « disputés » depuis l’éviction de la Jordanie qui s’en était emparé illégalement en 1949), et persiste dans la croyance que la création d’un État palestinien mettra fin au « conflit du Moyen-Orient » (alors que le cœur du conflit n’est pas territorial mais religieux, et que les leaders palestiniens refusent la coexistence pacifique d’un État palestinien à côté d’Israël).
Or, en s’alliant à l’islamisme, non seulement la gauche apporte ses forces militantes et ses votes à l’entreprise politico-terroriste salafo-frériste, mais elle trahit le fondement même de la pensée progressiste, à savoir la philosophie des Lumières européennes (le mot se décline dans toutes les langues européennes) et l’esprit laïque né en France avec la philosophie du libertinage (du latin libertinus, affranchi, esclave libéré) qui s’est diffusé jusqu’en Amérique latine. Luttant contre l’emprise des croyances religieuses et superstitieuses comme des croyances sécularisées des eschatologies totalitaires et des thèses complotistes de tous poils, le libre penseur s’oppose en effet aux dogmes et aux vérités révélées. La pensée libre s’autorise les interprétations à l’infini, puisant en cela dans la tradition talmudique comme dans l’herméneutique grecque et la disputatio théologique chrétienne, mais en contradiction foncière avec l’intégrisme musulman.
Et c’est bien la démocratie elle-même, tant politique que sociale, que la gauche menace dans son alliance avec l’islamisme. Car la démocratie consiste dans l’agencement d’institutions organisant l’expression du libre choix du plus grand nombre et l’extension au plus grand nombre possible non seulement de la décision politique mais aussi des biens matériels et culturels. L’unité de base de la démocratie est l’individu libre (quel que soit son sexe) : pour qu’il soit toujours plus libre d’exprimer ses choix, il lui faudra partager une égalité de plus en plus grande avec ses semblables, partageant toujours plus équitablement moyens prosaïques et instruments de la pensée et de la parole pour que perdure le débat démocratique et la libre expression.
Face à ces principes fondateurs de la culture occidentale, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la poussée qui semble irrésistible de l’offensive islamiste. Quand la gauche en prendra-t-elle enfin la vraie mesure ? Quand considérera-t-on enfin que l’ennemi principal, celui qui met en péril tout autant la paix au Proche-Orient que nos acquis démocratiques, égalitaires et libertaires au cœur-même de toutes nos sociétés occidentales c’est aujourd’hui ce totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme ?
L’écrivain franco-algérien a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre pour des motifs encore inconnus.
Les liens historiques et humains qui unissent la France à l’Algérie font souvent sous-estimer la nature dictatoriale du régime politique qui la dirige. L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en est encore la triste confirmation : l’Algérie est une nation en pleine dérive qui ne tient sa population qu’en désignant des boucs-émissaires étrangers et en maniant le bâton avec les récalcitrants.
L’Algérie, une drôle d’Histoire !
Il n’est d’ailleurs qu’à lire la presse officielle algérienne pour s’en convaincre. Dans un communiqué d’une rare virulence, au ton semblable à ce que l’on pourrait trouver dans des régimes aussi aimables que la Corée-du-Nord, l’Agence Presse Service écrit à propos des réactions françaises à la détention arbitraire de l’écrivain binational : « la France prend la défense d’un négationniste, qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’Histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie ».
En cause, les propos tenus par Boualem Sansal au média Frontières. Il a notamment déclaré : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. » Ce propos historiquement exact est jugé « négationniste » dans une Algérie où l’histoire est mythifiée et abondamment utilisée pour souder la population.
Le caractère obsidional du régime créé par le FLN s’exprime notamment à l’égard de la France, des juifs, mais aussi du Maroc. La monarchie voisine est régulièrement vilipendée dans les médias algériens, jalousée aussi. Il ne fait donc guère de doutes que les propos de Monsieur Sansal sur la souveraineté marocaine dans la région du Sahara ont dû profondément énerver les autorités militaires algériennes, lesquelles soutiennent les séparatistes armés du Front Polisario depuis de nombreuses années.
De plus, le récent basculement de la France en faveur du plan d’autonomie marocain au Sahara a laissé un goût amer dans la bouche d’Alger. Vu comme un traître, Boualem Sansal est aussi un combattant inlassable des dérives islamistes qu’il a observées dans son pays d’origine, traumatisé comme tant d’autres par la guerre civile des années 1990 et les terroristes du GIA.
Boualem Sansal pourrait être poursuivi
Boualem Sansal est désormais dans une situation particulièrement périlleuse. Son arrestation politique pouvant conduire à la mise en œuvre de poursuites pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des motifs passibles de prison ferme en Algérie. Ces méthodes, visant un homme qui a récemment acquis la nationalité française, s’apparentent à celles des régimes totalitaires.
Elles font de l’Algérie un pays qui devrait horrifier nombre de belles âmes bien françaises. On est pourtant bien en peine de trouver des réactions venant d’une grande partie de la gauche, souvent complaisante à l’égard d’Alger. Comme l’explique l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat à La Dépêche du Midi : « Le Printemps arabe n’a qu’effleuré l’Algérie, l’Etat usant à la fois de brutalité et de clientélisme à coup de pétro et de gazodollars pour vite replonger son peuple dans l’apathie et la neurasthénie. Tout le monde le sait. Les Algériens le savent. Il n’y a guère que les immigrés et surtout leurs enfants en France pour chanter les louanges de l’Algérie en se gardant bien d’y vivre, de s’y faire soigner ou de s’y instruire. »
En manifestant clairement son intérêt à l’alliance marocaine, la France a dévoilé le fond de la pensée d’Alger. Revancharde et passéiste, l’Algérie de Monsieur Tebboune ne prend pas le chemin du progrès. Il est temps de lui rappeler qu’un dialogue se construit à deux et sûrement pas par le chantage.
Une superstition britannique veut que les corbeaux vivant en captivité dans la Tour de Londres soient supposés protéger la Couronne…
« Promis, Judith Godrèche, on te croa ! » DR.
L’annonce du décès d’un troisième corbeau nichant dans la mythique Tour de Londres aurait pu rester une brève parmi d’autres. Mais pour les tabloïds britanniques, il en va autrement : c’est un présage sinistre qui touche la monarchie de très près. Une légende tenace, vieille de deux siècles, affirme que « si les corbeaux de la Tour de Londres sont perdus ou s’envolent, la Couronne tombera et la Grande-Bretagne avec elle ».
La disparition de Rex, corbeau baptisé en hommage à Charles III, n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Depuis 2022, les corvidés succombent mystérieusement. Parmi eux, Merlina, surnommée la « Reine de la Tour », disparue sans laisser de traces peu de temps avant la mort d’Elizabeth II. Dans l’imaginaire collectif britannique, les corbeaux de la Tour ne sont donc pas de simples oiseaux. Ils sont les gardiens d’une monarchie qui oscille entre tradition et modernité. Depuis l’accession au trône de Charles III, le royaume semble marcher sur une corde raide et fragile. Réformes contestées, scandales royaux, fractures sociales… assez d’éléments pour que les plus pessimistes voient dans ces disparitions un sombre augure.
L’Historic Royal Palaces (HRP), qui veille sur cette célèbre prison abritant aujourd’hui les joyaux de la couronne, s’est efforcé de rassurer. Michael Chandler, le « Raven Master » en poste depuis deux ans, redouble d’efforts pour maintenir cet équilibre fragile. Nourris de mets macabres – poussins, rats, biscuits imbibés de sang – et soumis à des coupes précautionneuses de leurs plumes pour limiter leurs escapades, les corbeaux sont choyés comme des reliques vivantes et assurés de rester sur leur perchoir.
Pourtant, silencieux mais omniprésents, ils semblent poser une question lancinante : et si, finalement, leur envol final et énigmatique signalait l’aube d’un bouleversement irréversible, un avertissement que devrait prendre très sérieusement les Windsor ? Honni soit qui mal y pense.
En se rendant au chevet de la France profonde qui refuse de disparaitre, Emmanuel Courcol réussit à faire vibrer la corde sensible sans sombrer dans la guimauve ou le prêche social. Mercredi en salles.
Thibaud (Benjamin Lavernhe), fils de bonne famille provinciale, est devenu, talent et travail aidant, un jeune chef d’orchestre de renommée mondiale – il enseigne à Cleveland et se produit partout sur la planète. Le maestro apprend qu’atteint d’une leucémie, seul un donneur de moelle épinière pourra le sauver ; il a bien une sœur qui sacrifierait pour lui ce morceau de chair, mais les examens révèlent qu’elle n’a pas le même ADN. Thibaud découvre alors le pot aux roses, un secret bien gardé par ses parents : celui de son adoption. Tout comme celui de l’existence cachée d’un frère cadet de même sang, élevé quant à lui à Roubaix par une nourrice, dans un milieu populaire, comme on dit. Et voilà notre Thibaud parti faire connaissance avec son Jimmy (Pierre Lottin), cantinier et tromboniste à ses heures : avec lui, la greffe peut prendre. Encore faut-il qu’il soit donneur.
Prolégomènes d’une intrigue toute en fantaisie, en émotion et en fanfare, selon le titre du film, porté d’un bout à l’autre par des répliques senties et des comédiens impeccables – à commencer par le photogénique Pierre Lottin, 35 ans, dans le rôle de Jimmy, comédien découvert dans Les Tuches 1, 2 et 3, d’Olivier Baroux, et qui jouait déjà il y a quatre ans dans Un triomphe, le film précédent d’Emmanuel Courcol, cet ancien acteur de théâtre passé sur le tard à la réalisation…
Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin (c) Agat films
Il faut s’en réjouir. Comédie douce-amère menée avec brio, En fanfare fait vibrer la corde sensible, tout en esquivant le triple écueil de la farce, de la guimauve et du prêche social. Sous le signe de la musique et dans le paysage de cette France profonde pas encore tout à fait disparue, se noue la rencontre miraculeuse de deux âmes tendres, de cultures apparemment dissonantes, de destins sensément irréductibles, de galaxies sociales séparées par un gouffre économique, mental, anthropologique : d’un côté, arrimé à cette communauté ouvrière paupérisée du Nord dont l’usine est en sursis, et courtisé par une cégétiste au grand cœur (Sarah Suco), le Jimmy, prolo et jeune père divorcé en souffrance affective, discret collectionneur de vinyles, connaisseur de jazz et modeste joueur de trombone ; de l’autre Thibaud l’esthète ambitieux, l’érudit raffiné à l’article de la mort, et qui passe du clavier au pupitre, de Schubert à Verdi, et bientôt de l’orchestre classique au flonflon…
Conte de fée bien ancré dans le réel, En fanfare prend appui sur un casting d’excellente facture pour chanter, avec beaucoup de délicatesse, l’hymne nostalgique et rêveur de la réconciliation des contraires. Pour liant, quelques morceaux choisis, – de ces must du répertoire musical dont on ne se lasse jamais.
En fanfare. Film d’Emmanuel Courcol. Avec Benjamin Lavernhe, Pierre Lottier, Sarah Suco. France, couleur, 2024. Durée : 1h43