Sans vachette, c’est non ! Plusieurs villes annoncent qu’elles boycotteront « Intervilles » dans sa version modernisée par Nagui. Beaucoup de Français sont nostalgiques de la France d’avant: cette petite polémique vient nous le rappeler.
La guerre de la vachette aura bien lieu et j’entends y prendre ma part. Comme vous le savez, Nagui sera aux commandes de la version relookée d’Intervilles, jeu créé par Guy Lux en 1962, qui sera diffusée sur France Télévisions en 2025. Mi-novembre, Nagui a annoncé la fin des vachettes : « Nous n’avons pas besoin de cela. Il n’y a plus d’animaux dans les émissions de télévision. Car on connaît leur sensibilité au bruit et à la foule, leur inconfort… Sans parler du risque de blessures pour les humains ». Révolte des villes taurines. Les maires de Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan annoncent qu’ils ne participeront pas à cet ersatz d’Intervilles. Une pétition circule. Le DJ Philippe Corti, qui a participé à l’émission comme animateur musical, refuse de reprendre du service sur ce plateau aseptisé. Nagui n’en démord pas. Il compte apporter de la « modernité à cette grande kermesse avec diversité, parité et respect de tous les êtres ». Il y aura donc des bovins de mousse avec quelqu’un à l’intérieur. On ne maltraitera pas d’animaux mais des intermittents du spectacle. On respire.
On dira que toute cette agitation pour un jeu télévisé est un peu excessive. Je ne crois pas. Derrière cette histoire de vachettes, il y a le mépris du bobo parisien, sûr de sa supériorité morale, qui vient expliquer aux « bouseux » qu’ils n’aiment pas leurs bêtes. C’est une totale méconnaissance des traditions locales. La course de vaches landaises, c’est une identité collective dans le Sud-Ouest, un fil qui relie les générations. Les grands esprits parisiens trouvent ça trop populaire, s’énerve Corti. « La vache landaise, elle est sauvage, joueuse, elle s’amuse et c’est typique d’une région, ces espèces vont disparaître à force de normes ! », s’agace-t-il. L’affaire est aussi typique d’une écologie pour citadins peine-à-jouir. Tout divertissement collectif doit désormais satisfaire aux normes du politiquement correct. Le Tour de France est par exemple trop polluant, et les illuminations de Noël sont trop catholiques (souvenez-vous de la polémique à Nantes, avec Johanna Rolland). Les maires se sont fait une spécialité d’interdire ce qui fait plaisir au populo, en particulier quand ils sont écolos. Quant à la télévision publique, on dirait vraiment qu’elle s’emploie à nous rééduquer. Au-delà des vachettes, Intervilles c’était bien sûr aussi la télévision d’une époque où des minorités wokisées n’imposaient pas leurs lubies à tout le monde. Alors, rendez-nous Guy Lux, rendez-nous cette France où l’on pouvait faire une blague sur les blondes sans être sanctionné par l’Arcom, et vive la vachette !
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale (99.9 FM Paris)
Selon le grand historien du XVIIIe siècle, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.
C’est sous l’effet de la peur que l’on prêta serment au Jeu de paume. La Bastille ne fut pas prise, mais s’est rendue aux insurgés. La « machine philosophique » sanctifiée que fut la guillotine ne tarda pas à montrer toute son horreur. Valmy, longtemps célébrée, fut à peine une bataille. Les mythes ont la vie dure. Emmanuel de Waresquiel les dynamite dans un ouvrage captivant. « Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? » et comment l’instrumentalise-t-on aujourd’hui ? L’historien nous répond.
Causeur. Comment le grand historien de la Révolution que vous êtes a-t-il interprété le « tableau » consacré à Marie-Antoinette lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris ?
Emmanuel de Waresquiel. Nous sommes dans les mythes noirs de la Révolution, les mythes révolutionnaires. Le personnage de Marie-Antoinette est probablement l’un des plus clivants de cette période. Avec Marie-Antoinette, on vit encore la Révolution de l’intérieur, et la Contre-Révolution aussi. D’un côté, elle est la perversité absolue faite femme, elle est traîtresse et complotiste et étrangère et reine – ce qui fait beaucoup ! De l’autre, c’est la sainte et martyre du chemin de croix des Tuileries, de la tour du Temple et de la Conciergerie. Si l’on compare les deux procès, celui de Marie-Antoinette et celui de son mari, elle est beaucoup plus absolutiste que le roi. Elle défend l’absolutisme royal, les droits de son fils et l’Ancien Régime tel qu’il était constitué à l’époque – alors même qu’il ne l’est plus en 1793. Elle est beaucoup plus « claire », et dans un certain sens, beaucoup plus courageuse que son mari. Louis XVI se présente à la Convention en dansant d’un pied sur l’autre, entre le roi constitutionnel qu’il fut jusqu’en 1792 et le roi de droit divin. On ne sait plus très bien quel roi il est, et les constitutionnels hésitent avant de le faire comparaître devant la Convention pour le juger. Marie-Antoinette est infiniment plus tranchée.
Et elle a fait son apparition au milieu de la cérémonie d’ouverture des JO dans le tableau que l’on sait… Par rapport aux intentions du Comité olympique qui sont de mettre en avant les femmes, la concorde, la fraternité universelle, montrer l’épisode le plus tragique et le plus clivant de la Révolution, c’est aller à l’encontre même du message olympique.
Qu’est-ce que cela prouve, selon vous ?
Que la Révolution est encore vivante, que nous sommes encore nourris de ses imaginaires, qu’elle divise toujours la société, pas tant les murs dans lesquels nous habitons, c’est-à-dire les droits de l’homme, mais aussi l’esprit dans la maison : une culture politique très particulière, des affrontements de légitimité permanents dont on ne parvient pas à se débarrasser. De ce point de vue, la prégnance psychologique de la Révolution est patente, vécue de façon plus ou moins consciente par les Français. Et cette passion de l’égalitarisme ! L’obsession égalitaire est un héritage de la Révolution.
Vous écrivez, en substance, que l’un des risques, actuellement, est de faire une lecture téléologique de la Révolution, c’est-à-dire de tenter d’en comprendre le but à partir des résultats. LFI ne se prive pas de cette lecture. Comment l’analysez-vous ?
Ce qui me frappe, me trouble, c’est que cette gauche dont vous parlez se réclame de l’universalisme et, surtout, de l’indivisibilité de la nation, de l’unanimité nationale et en même temps, si j’en crois la note de Terra Nova de 2011, ses membres sont des adeptes forcenés du progressisme identitaire, lequel a une vision du monde tellement tranchée entre les dominés et les dominants, les colonisés et les colonisateurs, les Blancs et les Noirs que le simple fait de parler avec les dominants est un acte de compromission. Dans un certain sens, c’est assez intéressant du point de vue des contradictions de la Révolution elle-même qui prône l’universalisme, l’indivisibilité mais qui, en prônant l’indivisibilité, ne peut pas penser l’opposant autrement qu’en traître ou en étranger. Et en ennemi. Et la guillotine est au bout de ce chemin-là ! La culture de l’affrontement est une culture très française, en lieu et place du compromis « anglo-saxon ».
Autrement dit, les Insoumis réactivent une contradiction fondamentale entre l’indivisibilité d’un côté et, de l’autre, l’opposition entre l’humanité et ses ennemis ?
En effet. Ils se réclament de l’indivisibilité de la nation révolutionnaire et en même temps, leur progressisme identitaire et communautariste, articulé autour du schéma opprimé/oppresseur leur interdit le dialogue. Jean-Luc Mélenchon est totalement habité par la marche du peuple, comme l’a montré son grand discours à la Bastille du 18 mars 2012. Comme d’ailleurs le Comité olympique qui, inspiré par Patrick Boucheron, a calqué le parcours du marathon sur celui de la marche des femmes sur Versailles le 5 octobre 1789 ! Les membres du Comité ont oublié ce qui s’est passé au retour… Les têtes des gardes du corps sont sur les piques des sans-culottes. Bref, voilà une sorte de double contradiction en miroir : celle du principe d’indivisibilité posé en 1789 qui, d’une certaine manière conduit à la Terreur, et celle des rapports de La France insoumise avec les grands principes révolutionnaires dont ils se réclament et qu’ils contredisent à longueur de temps dans leur discours identitaire.
Vous lancez une hypothèse dans votre livre : peut-être ne souhaitons-nous plus nous entretenir des cauchemars du passé – comme s’ils ressemblaient trop à ceux du présent. Talleyrand écrivait : « L’âge des illusions est pour les peuples comme pour les individus l’âge du bonheur. » Les mythes de la Révolution ont la vie dure. Pourquoi ressurgissent-ils aujourd’hui et avec une telle force ?
Raymond Aron a très bien expliqué cela. La question de l’unité nationale, donc celle des grands mythes fondateurs, ressurgit à chaque sortie de crise ou à chaque entrée de crise. C’est très prégnant après la Seconde Guerre mondiale quand on tente de retisser le tissu national – on oublie des choses, on en met d’autres en avant, on pardonne. Ce fut la même histoire au début de la Restauration, sous Louis XVIII : le slogan monarchique de l’époque était « Pardon et Oubli ». Le seul problème, et nous sommes d’accord avec la dialectique de Paul Ricoeur, c’est que pour pardonner, il faut ne pas avoir oublié.
La Révolution française est singulière, écrivez-vous, car elle fut « à la fois politique et sociale, unilatérale, égalitaire, amnésique, ombrageuse et totalisante ». Arrêtons-nous sur chacun de ces termes. D’abord politique et sociale ?
1789 est une guerre civile larvée. Il ne faut pas oublier Furet qui parle du « tournant égalitaire ». C’est une guerre sociale entre les ordres (clergé, noblesse, tiers état) qui fait naître la notion d’ordre privilégié. Et puis la notion de complot aristocratique. Elle est déterminante pour expliquer ce qui s’est passé à Versailles en juin et à Paris en juillet 1789.
Unilatérale ?
Les 17 et 20 juin 1789, le tiers état se constitue en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante sans demander son avis ni au roi, ni aux deux autres ordres du royaume qui, par définition, sont exclus de la représentation de la nation ; ce n’est que par la suite qu’ils vont s’y rallier. La Révolution est aussi totalisante, bien que je préfère le terme absolutiste, car la vision que les révolutionnaires ont de la monarchie (vision traversée de beaucoup de fantasmes) est celle d’une monarchie encore absolue, comme si le roi était tout-puissant, à la tête de son armée et de son administration, alors qu’elles ne le suivent plus depuis belle lurette !
Égalitaire ?
Il s’agit d’égalité civile. Ni politique ni sociale. L’égalité est le terme trouvé par les députés du tiers état pour définir, sur fond de table rase, une société qui ne soit plus organique mais fondée, justement, sur l’individu. C’est le principe du droit naturel.
Amnésique ?
Oui. La Révolution, c’est l’homme régénéré, l’homme nouveau. On veut défaire l’homme de ses anciennes croyances, ce qui conduit aux autodafés des signes de la monarchie, de la féodalité… La Révolution introduit un nouveau rapport au temps : rupture avec le passé. Discours de Rabaut Saint-Étienne à l’Assemblée nationale : « L’Histoire n’est pas notre code ».
Enfin, pourquoi écrivez-vous que la Révolution fut ombrageuse ?
Elle n’est pas si printanière que cela. Elle est faite de rancœurs, de rancunes, de jalousies, de haines. Ma théorie, même si je n’en tire pas les mêmes conclusions que Clemenceau, c’est que « la Révolution est un bloc ». Autrement dit, la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés en 1789.
À lire
Il nous fallait des mythes : la Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours, d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 2024.
Pianiste d’une agilité exceptionnelle, très demandé en festivals et sur les scènes internationales, Tanguy Asselin de Williencourt, 34 ans, a été formé au Conservatoire de Paris (où il enseigne). Il ne craint pas de s’attaquer aux œuvres les plus ardues du répertoire romantique. C’était déjà le cas il y a deux ans, avec son interprétation à la fois magistrale et sensible de César Franck (cf. le CD des œuvres solo et avec orchestre, chez Mirare).
Itinéraire amoureux lisztien
L’unique, monumentale, impérissable sonate composée par Franz Liszt en 1852-1853 et dédiée à Schumann exige de l’interprète une virtuosité plus éclatante encore. Sommet de la littérature pianistique, à l’ampleur quasi orchestrale et d’une modernité confondante, c’est là sans aucun doute le morceau de bravoure du récital que donnera Tanguy de Williencourt lundi prochain à Paris, dans l’écrin acoustiquement fabuleux de la petite Salle Cortot. Alliant intériorité et puissance expressive, il n’hésite pas à détacher les notes, à jouer à plein les ralentissements du 2ème mouvement andante sostenudo, à articuler avec véhémence l’allegro energico du 3ème mouvement. Aigus perlés, scintillants, accords plaqués avec une sorte de fougue juvénile, j’allais écrire de rage, rondeur et souplesse dans les guirlandes arpégées où le magma sonore se fond…
Ce concert reprendra l’intégralité du quatrième album publié par le pianiste français, disque dédié à Liszt, donc, et qui vient de paraître sous le titre Muses, pour rappeler les idylles et autres liaisons passionnées qui traversent la très longue vie du compositeur : de la comtesse Marie d’Agoult à la baronne Olga von Meyendorff, en passant par la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, à qui l’on doit précisément la création de la fameuse Sonate en si mineur, ou des si délicates Harmonies Poétiques et Religieuses, dont un des extraits les plus inspirés reste Bénédiction de Dieu dans la Solitude, pièce d’un recueillement à la mélodie inoubliable, écrit dans la maturité du maître devenu abbé… Liebestraum n°3 « rêve d’amour », Au lac de Wallenstadt, Au bord d’une source et Vallée d’Obermann complètent cet itinéraire lisztien au prisme de sa vie amoureuse…
Un nom à retenir
Conseillée par l’immense pianiste Maria João Pires, Tanguy de Williencourt a aussi subi l’influence du pianofortiste Badura-Skoda, et cela se sent dans son phrasé tout à la fois très articulé, comme suspendu et à la sonorité somptueusement colorée. Tenté par la direction d’orchestre, chef assistant à l’Opéra de Paris et au Staatsoper de Vienne en tant que chef de chant sur différentes productions lyriques, Tanguy de Williencourt est également directeur artistique du festival Tempo Le Croisic : le 6 décembre, il en présentera la prochaine édition ( u 29 mai au 1er juin 2025).
Autant le dire, le nom de ce jeune artiste très complet est à retenir : Tanguy de Williencourt, ça ne s’oublie pas.
Récital de piano : Muses. Œuvres de Franz Liszt. Par Tanguy de Williencourt. Salle Cortot, Paris. Lundi 2 décembre, 20h.
Récital donné à l’occasion de la sortie du CD Muses, par Tanguy de Williencourt. Mirare prod.
Thierry Chaunu, chef d’entreprise franco-américain, est établi aux Etats-Unis depuis 1980, il est un ex-Cartier (en tant que Vice-président), Christofle, et Chopard (en tant que président).
Le sujet a été abordé ici et là par le passé. La récente sortie du biopic “The Apprentice”1, et évidemment l’élection retentissante du 5 novembre sont l’occasion d’évoquer quelques réminiscences personnelles de “Donald”, ou “D.J.”, (“Di-Gé” et non pas “Di-Ji”) que j’ai côtoyé pendant ses années d’ascension new yorkaise.
Il est vrai que les parallèles et les ressemblances sont nombreux, et je m’étais déjà fait la réflexion en visionnant le biopic de Bernard Tapie sur un vol Air France il y a déjà plusieurs mois.
Sur la forme, ce qui me frappe d’emblée, chez les deux personnages, c’est leur énergie, leur bagout, leur franc-parler, voire même, mutatis mutandis, leurs itinéraires personnel et professionnel. Avant de sauter au plafond, permettez-moi d’expliquer.
D’abord, en guise de préliminaire, je ne prétends pas être un intime de Donald Trump, même si je l’ai rencontré à de multiples reprises dans son bureau de la Trump Tower, à son golf de Bedford dans le New Jersey, dans son casino d’Atlantic City, et à Mar-a-Lago – la dernière fois en février de l’année dernière lors d’un dîner, qui s’est terminé par une très bonne pâtisserie, un Opéra ornée d’une signature “Trump” en caramel onctueux.
Il y régnait une atmosphère digne du palais de Mitau en Courlande : tel Louis XVIII, lorsque Donald fit son entrée sur la terrasse pour rejoindre sa famille attablée, entouré d’agents du Secret Service, toute la petite assistance se leva d’un seul homme, et un vibrant « Good evening, Mr. President » et des applaudissements nourris retentirent sous le ciel étoilé de Floride.
Donald Trump était dans les années 80 notre “Landlord”, c’est-à-dire notre propriétaire-loueur, lorsque, jeune vice-président en charge du marketing de la filiale américaine de Cartier en 1987, j’allais souvent lui montrer les brochures éditées par notre prestataire et ami commun Jim K. “JBK”: nous avions alors une petite boutique “Must de Cartier” juste à côté du désormais célèbre escalator. Il fit d’ailleurs main basse sur notre directrice Nanci G. qui travailla par la suite une vingtaine d’années à ses côtés, qui me confia en jour en 2019: “He thought he was king, now he thinks he is God”. Landlord encore, lorsqu’il me donna l’autorisation fin 1991 d’ouvrir une autre petite boutique d’alimentation, cette fois pour le compte de l’école culinaire Le Cordon Bleu, et située directement en bas du même escalator. Si la boutique n’avait pas fermé entretemps, Marine Le Pen eût pu prendre bien plus confortablement son café en patientant lors de l’élection de 2016…
How much for this watch ?
Ou encore lorsqu’il déchirait une page de publicité dans un magazine, et écrivait avec son gros feutre et son écriture rageuse toute en majuscules et en forme de radiateur: “HOWMUCHFORTHISWATCH” ? envoyé par sa secrétaire et quasi-cheffe de Cabinet de longue date, la regrettée Norma F. En tant que CEO de la filiale américaine de Chopard dans les années 2000, je me précipitais dès lors dans son bureau, où parfois m’attendait également Melania, sagement debout à ses côtés, et qui me gratifiait d’un large sourire, sans pour autant qu’elle ne pipât un seul mot.
Tout cela pour dire que j’ai pu observer de près le milliardaire pendant toutes ces années où Trump est devenu “Donald”, avant de devenir “45”, et bientôt “47”, ou encore “DJ”. Et Tapie dans tout cela ? Là, j’avoue ne l’avoir jamais vu que sur un téléviseur. C’était, il me semble, en 1986, et je me souviens d’une formidable émission en direct devant un immense public de jeunes. Où sont passés ces spectateurs marseillais depuis, qu’ont-ils fait de leur vie? Peut-être certains sont-ils devenus micro-entrepreneurs, et le sont restés dans les quartiers nord de la ville…
À l’époque, j’avais été frappé par le personnage : avec talent et une énergie débordante, “Nanar” s’évertuait à expliquer les joies intenses et les retours en espèces sonnantes et trébuchantes de l’entrepreneuriat.
Evidemment, rien à voir avec l’émission de télé-réalité The Apprentice. La signature trumpiste “You are fired!” offusquerait bien trop les syndicalistes français, attachés à un sacro-saint et illusoire CDI, comme si un bout de papier pouvait prémunir du manque de talent, d’ardeur et de zèle au travail. D’ailleurs, je ne me souviens plus vraiment du slogan de Tapie. Peut-être un timide “Enrichissez-vous”? réchauffé et à la sauce mitterandiste-affairiste des années 80.
Autre parallèle : les deux personnages ont accumulé les procès et fait la fortune des avocats d’affaires, avant de devoir recourir à des pénalistes. Certes, la culture des deux pays en matière de bagatelle ont fait que Donald a été rattrapé par les #Meetoo. Nanar, autant que l’on sache, n’avait pas son Parc aux Cerfs, comme “DJ” dans les étages de sa tour d’ivoire new-yorkaise.
Autre parallèle encore : la gouaille. Avec ses formules argotiques toutes-faites, nous avons aussitôt l’impression de prendre un express sur le comptoir en compagnie de Nanar et de chauffeurs routiers. Les discours de Donald, eux, sont ceux que l’on entend assis sur un tabouret de “diners”. Et ses meetings n’ont en réalité rien à voir avec ceux de Nüremberg, ils sont plutôt truffés d’expressions entendues autour d’un barbecue de chez « Karen ». La fameuse Karen, l’équivalente américaine de la femme du beauf franchouillard, tant moquée par les Démocrates et les “antifas” de tout poil, et qui aujourd’hui roucoule à plus va. Les invectives de Donald, tout compte fait, sont celles d’un corps de garde, et les Américains apprécient ces formules qui font mouche. Nanar, lui, connaissait par cœur son baratin de vendeur de télévision, mais n’avait pas le coup de mention mussolinien, ce qui le rend bien plus sympathique aux Français.
Le sport : Nanar, son ballon rond et la clameur des supporters du stade de l’OM suffisait à lui donner une aura populaire.
D.J., tout comme Churchill, dont il adore imiter le regard bulldog, ne pratique aucun sport, tant les sueurs malodorantes le répulsent, si ce n’est le golf, sa passion, qui est tout de même bien plus commode à pratiquer en cart électrique. Aux Etats-Unis, on sait que les conversations d’affaires et arrangements politiques au plus haut niveau se conduisent sur les greens, et le petit peuple s’en accommode fort bien. Depuis Eisenhower, la pratique présidentielle du golf est tout naturelle. Pour Mitterrand et le bon maître Kliejman, il y a là pour les Français un dévoiement suspect et une perte de temps manifeste.
Les affaires : brassant les sociétés et les millions, Tapie a eu le mérite de prouver, même si la leçon n’a pas été retenue par les Français, que tout est possible pour celui qui se remue et prend des risques. Et comme de bien entendu, les ennuis financiers servent de démonstration que l’argent est pourri, c’est bien connu, et que la réussite est suspecte, car acquise au détriment des travailleurs. Les “cadeaux” fiscaux aux entreprises, tant flagellées qu’elles ne demandent qu’un verre d’eau, et clouées au pilori, sont ainsi l’objet de vindicte et de quolibets des passants, sur le parvis de la cathédrale cégétiste. Aux Etats-Unis, Trump est le digne héritier des “snake oil salesmen”, vendant au long de sa carrière des steaks, des diplômes d’université bidons, des T-shirts et casquettes, boutons de manchettes, des jeux de Monopoly à son effigie, et, pourquoi se priver, des Bibles. Ceci étant, ses stratagèmes immobiliers lui ont permis d’amasser une petite fortune.
Nanar, de son côté, est condamné en 1981 à un an de prison avec sursis pour avoir fait de la publicité trompeuse en affichant cinq ambulances alors que son entreprise n’en possède que deux… Avouez que l’on joue petit bras. Rien à voir avec les chefs d’accusation aussi longs que la Fifth Avenue portés à l’encontre de Donald ! Certes, les montants en jeu dans l’affaire d’Adidas et du Crédit Lyonnais sont de l’ordre de la Coupe des Champions, et seraient en revanche sans doute de nature à susciter l’estime et l’admiration confraternelle de Donald…
Femmes, je vous aime…
Les femmes : en France, “Nanar” et sa deuxième épouse Dominique ont traversé les années relativement tranquilles. Bien sûr, ce respect tout relatif de la vie privée, et le haussement d’épaules des Français blasés, cela n’existe pas du tout outre-Atlantique. Très curieusement, la “téflonisation” du public américain s’est accélérée depuis les frasques de Clinton. Le sens de la famille de Donald a sans doute joué, et lui a donné une carte de “Free jail” dans son jeu de Monopoly. Proche de sa première épouse Ivanna, je l’avais parée de plusieurs parures de diamants lors de son remariage avec Rossano Rubicondi en avril 2008. Lors de la cérémonie près de la piscine de Mar-a-Lago, alors que les hélicos de paparazzis tournoyaient au-dessus de l’assistance, et que le pauvre Rossano s’évertuait à répéter “I do, I do” au micro, assis sagement sur la gauche des rangées de chaises disposées sur le gazon, je sentis sur ma gauche une présence s’avançant. C’était Donald, venu quelques brefs instants, se tenant droit, curieusement vêtu d’un manteau sombre alors que nous étions tous en smoking blancs. En un éclair, Donald venait de signifier que la scène en cours avait sinon sa bénédiction, du moins son assentiment.
Dernière anecdote. Je ne sais quel était le sens du rythme de Nanar dans les affaires, mais j’imagine qu’il allait vite, et se moquait bien des lenteurs ecclésiastiques de la bureaucratie française.
Pour Donald, j’ai toujours été médusé par son jugement immédiat, et parfois malencontreux. Un ami propriétaire d’un grand cabaret parisien m’appela un jour pour me demander si je pouvais faciliter un rendez-vous. Ayant récemment investi dans un nouveau show, il souhaitait le dédoubler et le proposer pour un casino d’Atlantic City. La chose étant arrangée, nous voilà introduit dans le bureau (étonnamment modeste) de la Trump Tower. Les poignées de main faites, mon ami s’emploie, dans un très bon anglais et avec un dossier illustré “mon truc en plume” aguichant et très professionnellement préparé, à proposer à Donald un deal. Je me souviens très bien avoir observé du coin de l’œil le regard intense du businessman. Au bout de, allons, soyons généreux, 7 minutes, Donald dit “Thank you very much, but this is not for me”. End of the conversation, poignées de main, retour dans l’ascenseur. Très gêné pour mon ami qui venait de traverser l’Atlantique pour ce rendez-vous, je m’attendais à encourir ses reproches et son dépit. Pas du tout. “Ah, quel homme, tu as vu comme il a décidé ? Merci, merci, merci…”
Pour les Américains, qui ignorent qui fut Tapie, Trump est tout simplement “The Donald”, leur défenseur, rédempteur, et pourfendeur, et, les scores de l’élection l’ont prouvé : “Trump, quel homme”. Ce pauvre Tapie n’a pas eu la chance de rencontrer Elon, et n’a pas eu droit à la pilule de longévité.
A ce sujet, relire l’article de Laurent Silvestrini, Causeur.fr, 16 octobre 2024Prêt à tout?↩︎
Le sentiment national, ça sent toujours très mauvais sauf si ce n’est pas français
Céline Pina a – comme toujours au demeurant – magistralement exposé ici même hier ce qu’il convient de penser du festival de lâcheté intellectuelle mis en scène sur France 5 par le service public de télévision autour du sort ignoble, épouvantable, fait à l’écrivain Boualemb Sansal, emprisonné en Algérie pour ne pas partager d’enthousiasme les beautés du régime de corruption, de falsification de l’histoire et d’hystérie anti-française qui sévit dans ce pays depuis des lustres.
Sur le plateau, l’historien de cour – macronienne, la cour – Benjamin Stora, suffisant et goguenard, s’en donne à cœur joie, accablant le prisonnier avec une gourmandise déplacée. « On ne tire pas sur une ambulance », disait fort pertinemment en son temps Françoise Giroud. Dans le nôtre de temps, on peut. C’est même bien vu. En tout cas, personne n’y trouve grand-chose à redire, surtout pas l’atone et servile passeur de plats censé veiller à l’équilibre et à la bonne tenue du débat.
Au détour d’une de ses interventions, d’un de ses doucereux réquisitoires, voilà bien que l’historien charge l’emprisonné d’un crime assez inattendu. Du moins dans sa formulation. Par ses écrits, ses œuvres, ses déclarations, Boualem Sansal aurait blessé « le sentiment national algérien ». Je n’en croyais pas mes oreilles. J’avoue être resté sans voix un bon moment.
Certes, j’espérais fort qu’un jour ou l’autre, proche ou lointain, la notion de « sentiment national » serait réhabilitée, mais je n’attendais pas cela si tôt et surtout pas de ces bouches-là.
Il reste à souhaiter que l’argument assez surprenant de cet émérite historien fasse jurisprudence. Évoquer le sentiment national redeviendrait licite, admis, voire honorable. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple parmi cent autres, nous serions fondés désormais à porter contre M. Macron l’accusation de blesser notre sentiment national lorsqu’il ose affirmer que la colonisation de l’Algérie par la France relève du crime contre l’humanité… Mais voilà que je prends mes rêves pour des réalités. Oublions cela bien vite. Dans l’esprit de M. Stora et de ses compagnons de déroute, il est clair que ce sentiment n’est noble et n’est acceptable que chez les dirigeants de peuples nous ayant en détestation. Chez nous, il ne saurait être qu’ignoblement empuanti de fascisme. On ne connaît que trop bien cette chanson-là, hélas…
En avoir ? Ou pas. Faut-il quitter X-Twitter ? Quoi que vous choisissiez, « la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
Fight ! Fight ! Fight ! L’heure est grave. En France, après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la parole libre refuse de se voir muselée ; on est entré en résistance. Après Ouest-France, le journal Sud-Ouest suspend maintenant sa présence sur le réseau social X, emboitant le pas au quotidien espagnol La Vanguardia et au britannique The Guardian.
Nicolas Sterckx, le directeur du général du groupe Sud-Ouest a annoncé courageusement dans un communiqué que les contenus du quotidien ne seront plus partagés « tant que des garanties sérieuses de lutte contre la désinformation et en faveur de l’équilibre des débats n’auront pas été apportées. » « X a tourné le dos aux médias et n’offre pas les conditions nécessaires à l’exercice serein du journalisme. » C’est entériné.
Les wokes quittent le navire
Dès le rachat de Twitter par Elon Musk, l’alerte avait été lancée ; outre-Atlantique, le dévoiement du réseau social était pointé du doigt. On se le rappelle, plusieurs personnalités du monde libre parmi lesquelles Gigi Hadid, Whoopi Goldberg, Jim Carrey ou Shonda Rhimes n’avaient pas hésité à déserter la plateforme acquise aux suprémacistes blancs, aux climatosceptiques, aux oppresseurs des minorités et autres engeances ennemies de la démocratie. Quelques courageux s’étaient d’emblée désolidarisés d’un réseau qui incitait à la haine et sur lequel on n’hésitait pas à dire que l’homme n’était pas une femme, où l’on invitait même à manger des enfants au petit déjeuner. On avait su, grâce à une étude du Center for Countering Digital Hate qu’un mois après le rachat de Twitter par l’homme de Tesla, les messages d’insultes anti-Noirs Américains avaient bondi de 202%. Le Washington Post avait, lui, résumé un rapport de L’institute for Strategic Dialogue indiquant que le contenu pro-Hitler « atteignait les plus grandes audiences sur X (par rapport aux autres plateformes sociales) et était le plus susceptible d’être recommandé par l’algorithme du site. » On ne s’était pas soulevé en France. On regardait encore ailleurs.
Bien sûr, on savait qu’Elon Musk n’avait racheté Twitter et investi 44 milliards dedans que dans le but de faire la propagande des idées délétères d’un vieux mâle blanc patriarcal désireux de reprendre la Maison-Blanche, mais, on avait détourné la tête. Peut-être, et c’est là un grand tort, avons-nous espéré naïvement le triomphe du Bien ? Toujours est-il qu’autruches que nous sommes, nous n’avons pas voulu voir Satan aux portes de la Maison-Blanche.
Quand Musk a d’emblée viré les employés de Twitter pour y placer ses sbires, on a protesté, un peu, mais mollement. Et puis… la modération des contenus a disparu permettant à l’algorithme de mettre en avant insultes, propos réactionnaires, invectives, menaces et autres incitations à la haine. Les fake news se sont propagées à la vitesse de la lumière. C’en était fait. Le Mâle avait gagné l’Amérique. Maintenant qu’Elon Musk et l’homme aux cheveux jaunes ont racheté les États-Unis, on se réveille, toustes. On marque notre désapprobation et on rallume la lumière.
Pour ceux qui estimeraient que c’est un peu tard, il faut nous pardonner, on n’a pas vraiment vu le truc venir. On est des amateurs, en France. On a juste Vincent Bolloré qui rachète quelques chaînes de télé, un journal et une radio, c’est pas bien méchant. Toujours est-il qu’entre « twittos » (ceux qui restent sur X, anciennement Twitter) et ceux qui abandonnent le réseau, nous les appellerons les « cassos », il y a maintenant débat : « Quitter ou pas X ? » La question se pose. Avant de prendre une décision, on réfléchit. On n’est pas obligé de quitter le navire. Le tout, c’est de combattre le mal.
Les résistants de l’intérieur
Si certains ont déserté X, d’autres, parmi les politiques ou les membres de l’intelligentsia, ont fait le choix difficile d’y rester. C’est donc de l’intérieur qu’ils lutteront. Ainsi Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, et défenderesse incontestée de la liberté d’expression, a appelé les internautes à migrer vers Mastodon ou Bluesky, d’autres réseaux où l’air est encore pur et le débat possible. Elle, toutefois, demeurera sur X pour rester visible, elle l’a précisé sur… X : « Ce réseau social (X/ Twitter) est une souffrance, en tant que politique, en tant que femme, parce que c’est très violent, tout le temps. Il faut le réguler ou le fermer, mais je n’ai pas l’intention de le laisser aux haineux sinon ilsgagnent. » Charline Vanhoenacker, journaliste et humoriste de Radio France a fait un choix identique : « À titre personnel, pour l’instant, j’ai décidé de rester. Aujourd’hui, quand je poste mes chroniques sur X, j’ai l’impression d’injecter une gouttelette de service public dans la vie d’un milliardaire. Un peu comme quand Bernard Arnault contacte la Sécu pour leremboursement de ses frais médicaux. »
En avoir, ou pas ? Partir ? Rester sur X, réseau instrumentalisé à des fins politiques ? La réponse ne va pas de soi et on en débat, abondamment. Mercredi 27 novembre encore, sur France Inter, chez Léa Salamé et Nicolas Demorand, des intellectuels (Frédéric Filloux, responsable numérique aux Échos et Gérald Bronner, professeur de sociologie à Sorbonne Université) nous ont éclairés pour nous aider à trancher. Nous ne sommes pas seuls.
« Certes, nous avons été et nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi… Quoi qu’il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
A la veille de la fin du procès des assistants parlementaires européens du FN, les avocats ont dénoncé un harcèlement judiciaire disproportionné du Parlement européen à l’égard du parti de droite nationale, et un « procès politique, qui [serait] même un procès en sorcellerie »… Me Bosselut devait finalement plaider pour Mme Le Pen, ce mercredi.
Lundi, le public et les journalistes ont déserté les bancs de la salle Victor-Hugo du Tribunal correctionnel de Paris. Même Louise Neyton et Nicolas Barret, les deux procureurs acharnés, sont absents pour écouter les plaidoiries de la défense. Dont acte. Il n’y a plus d’huissier non plus. L’assistance s’autogère et l’ambiance se prête parfois à la détente quand Bénédicte de Perthuis, la magistrate qui préside le tribunal, propose des interruptions de séance. Me Wagner, toujours malicieux, l’œil vif, répond à la volée, non sans charme : « Mais nous sommes tous venus pour cela ! » Les rires parcourent alors la salle d’audience indistinctement liant le temps d’un instant toutes les parties dans un même élan fraternel. Il faut dire que ce procès entre dans sa neuvième et dernière semaine et que chacun commence à trouver le temps long.
Durant trois jours, les avocats de la défense vont se relayer à la barre pour contrer ces réquisitions, disproportionnées et infondées aux dires même de nombreuses personnalités politiques éloignées du Rassemblement national. Ainsi, la veille, François Bayrou – lui-même relaxé dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem – a rappelé dans l’émission C’est pas tous les jours dimanche présentée par Benjamin Duhamel qu’il n’y avait «aucun détournement de fonds publics» dans l’affaire des assistants parlementaires du RN. Et c’est ce que vont de nouveau démontrer, avec talent et justesse, les avocats de la défense.
«Une prévention irrégulièrement étendue »
Me Maxime Delagarde, le conseil de Timothée Houssin qui encourt 10 000 € d’amende, 10 mois de prison avec sursis, 1 an d’inéligibilité avec exécution provisoire pour son contrat d’assistant parlementaire signé avec l’eurodéputé Nicolas Bay du 01/07/2014 au 31/03/2015, rappelle que l’exploitation des « métadonnées démontre qu’il a travaillé même depuis son ordinateur personnel pour Nicolas Bay ». Il y a plus d’un millier d’occurrences en rapport avec le Parlement européen qui apparaissent dans des dizaines de fichiers différents. Ainsi, « Bruxellesapparaît 37 fois dans 15 fichiers différents ; Europarl, 40 fois dans 16 fichiers différents ; Parlement apparaît 291 fois dans 49 fichiers différents, la commission dont fait partie Nicolas Bay apparaît 411 fois dans 9 fichiers différents », etc. À cela s’ajoutent près d’une centaine de communications et SMS qui ont activé les cellules de bornage téléphonique se trouvant à Strasbourg.
Me Delagarde souligne l’irrégularité même de la saisine « aux contours particulièrement mouvants ». En effet, les annexes de l’ordonnance de renvoi (ORTC) présentent de multiples erreurs dont celle sur le montant du salaire de l’assistant qui était alors rémunéré 2300 € net par mois et non 2950 € comme il est écrit dans l’ORTC. L’avocat conteste par ailleurs « la période de prévention irrégulièrement étendue alors que Timothée Houssin n’était pas salarié de Nicolas Bay ». Fort de tous ces arguments, Me Delagarde demande la relaxe de Timothée Houssin, qui, en tant que salarié, ne pouvait avoir connaissance de la réglementation européenne, et ne peut au regard du droit être tenu responsable d’une éventuelle erreur de son employeur.
«Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien »
Me Tristan Simon, l’avocat de Julien Odoul, enchaîne sur «le cas le plus christique, i. e. symptomatique, selon le Parquet» qui a requis à l’encontre du député de l’Yonne, dix mois de prison avec sursis, 20 000 € d’amende et un an d’inéligibilité avec exécution provisoire. Me Simon conteste la lecture partiale du Parquet qui dit que le dossier ne comporte «pas un document, pas une page, pas un post-it, pas le début du commencement d’une preuve » du travail d’assistant de Julien Odoul. On constate que le Parquet est obsédé par les post-it, que chacun devrait donc conserver, quand la nature même d’un post-it est d’être éphémère ! De son côté, la défense liste les preuves de travail de l’assistant Julien Odoul : la rédaction du journal parlementaire de l’eurodéputé, de communiqués de presse, de notes d’actualité comme par exemple sur l’attentat à Charlie Hebdo, la gestion des réseaux sociaux et du site internet de l’eurodéputé, ou encore des recherches en lien avec la commission “Marché intérieur” dont était membre Mylène Troszczynski. Des SMS échangés entre les deux prévenus appuient également leur travail en commun. Julien Odoul écrit à son eurodéputé : «Pourrais-tu me redonner tes codes Twitter?» ou encore «Peux-tu m’ajouter comme administrateur de ta page Facebook?». Mylène Troszczynski lui envoie entre autres messages : «Peux-tu me prendre une clé USB?» ou encore «je suis en plénière, on se voit à 16H30.»
À l’accusation d’un travail de Julien Odoul pour le parti comme “conseiller spécial” à cette même époque, le Parquet n’a rien démontré, selon Me Simon. «Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien.» Au siège du parti, Julien Odoul travaillait «dans un bureau où il y avait écrit assistant parlementaire avec un logo du Parlement européen» sur sa porte, rappelle l’avocat. Il y a aussi des badges d’accès à son nom, comme au salon Euromaritime, qui témoignent bien de son activité d’assistant parlementaire européen. C’est la raison pour laquelle, souligne l’avocat, «le Parquet a dit que c’était de l’abus de langage de parler d’emploi fictif mais que c’est l’imputation (du travail) qui pose problème.» Mais il s’avère que le Parquet a toujours tendance à mettre l’accent sur le travail partisan, à partir de seulement un ou deux échanges montés en épingle, même quand il est fait à titre bénévole, et jamais sur le travail parlementaire effectué…
«Quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux»
Me Solange Doumic, l’avocate de l’imposant Thierry Légier venu s’asseoir sur un strapontin au plus près du tribunal, déroule une chronologie des faits implacable. De la première embauche de Thierry Légier en tant qu’officier de sécurité sous statut de fonctionnaire du Parlement européen en 1992 au dernier contrat de régularisation, contrat qui est un faux contrat réalisé par le Parlement européen lui-même pour régulariser des erreurs de dotation, chaque époque témoigne du fait qu’au contraire des dires du Parquet, le Parlement européen savait pertinemment les doubles fonctions de Thierry Légier incluant celle d’officier de sécurité, auprès de Jean-Marie Le Pen, puis de Marine Le Pen.
Ancien parachutiste d’un corps d’élite, militaire décoré, Thierry Légier a toujours été l’homme de l’ombre. Plus qu’un simple garde du corps, c’est par lui qu’on passe quand on veut échanger en toute discrétion avec les membres du FN. En effet, «quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux», alors les rencontres avec Bernard Tapie, des ambassadeurs, des directeurs de services, des membres d’autres partis, ou même du gouvernement, se font en toute discrétion, et via Thierry Légier, véritable et discrète «courroi de transmission ». Outre que son salaire de 4000 € par mois illustre le fait qu’il était plus qu’un simple garde du corps, de nombreux témoignages attestent de son activité d’assistant au sein même du Parlement européen. De fait, Thierry Légier a toujours exercé ses fonctions d’agent de sécurité en toute transparence. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il déposait son arme à l’entrée du Parlement ? Sous la férule de la peine demandée par le Parquet de 18 mois de prison avec sursis, l’agent de protection rapprochée armé perdrait immédiatement le droit de travailler. En effet, pour exercer cette fonction, le casier judiciaire doit être vierge. Cette inscription serait donc «sa mort professionnelle immédiate». Quant à la peine de deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, elle vient encore une fois rappeler la foire de gros pratiquée par des réquisitions non individualisées, sachant que Thierry Légier n’a aucune ambition politique. Comme le résume clairement Me Solange Doumic, dans ce dossier, «on est sorti du raisonnable.»
«Si on charge Van Houtte, on les charge tous »
Me Laguay pointe lui aussi les conséquences irréparables de ces réquisitions. « Pour M. Van Houtte, c’est sa vie. Vous avez sa vie entre vos mains » argue l’avocat belge de Charles Van Houtte. En effet, l’ancien assistant parlementaire belge est le seul qui risque de faire réellement un an de prison au vu de l’application des peines en Belgique, et cela «en raison d’une décision d’un tribunal français alors qu’il était assistant parlementaire accrédité belge au Parlement européen situé en Belgique». Celui que le Parquet a qualifié d’«interface» ou «Monsieur vases communicants» en raison «d’une quinzaine de mails analysés, disséqués» sur des milliers d’autres, travaillait pourtant en parfaite collaboration avec les fonctionnaires du Parlement européen, comme en témoignent de multiples courriels échangés. Le chef de service chargé de la délégation française au Parlement européen, M. Antoine-Poirel, évoque ainsi les réunions communes et remercie à plusieurs reprises Charles Van Houtte, ainsi que le tiers-payant, pour leur collaboration efficace dans l’enregistrement des contrats des assistants parlementaires et la gestion des dotations afférentes. Au reste, Me Laguay a démontré lui aussi le manque de rigueur de la prévention, élargie au doigt mouillé à des périodes où Charles Van Houtte n’avait pas la gestion administrative desdits contrats. «Mon sentiment, c’est qu’il faut charger Van Houtte, car si on charge Van Houtte, on les charge tous.»
Un «procès politique, qui est même un procès en sorcellerie»
Me Dassa-Deist, avocat du RN et de son trésorier Wallerand de Saint-Just, dénonce à ce titre la partialité du réquisitoire : «J’ai assisté à un manifeste politique». En effet, quoique produise la défense, «c’est suspect.» Un document présenté comme rédigé par un assistant mais SANS sa signature, «c’est suspect». Un autre document rédigé par un assistant AVEC sa signature, «c’est suspect». Un témoignage présenté en faveur du travail d’un assistant, «c’est suspect». Un courriel échangé entre un assistant et son député, «c’est suspect». Un constat d’huissier constatant la communauté de travail entre un député et son assistant, «c’est suspect». Un badge au nom d’un assistant à un salon européen, «c’est suspect». Quoique présente la défense comme preuves de travail, «c’est suspect» ! Tout est suspect peut-être tout simplement parce que pour l’accusation, être nationaliste et s’opposer à la dérive fédérale de l’Union européenne, «c’est suspect ».
Ainsi «ce procès politique, [serait] même un procès en sorcellerie». Tous au goulag ? De fait, même les opposants à Marine Le Pen sont bien obligés d’en convenir. Le dernier en date, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste, en témoigne lui-même dans Le Figaro daté du 25 novembre : « Marine Le Pen subit un harcèlement judiciaire disproportionné ».
Malgré cet acharnement, force est de constater, que plus les européistes veulent bâillonner les élus nationalistes, plus les électeurs leur accordent leur confiance. En démocratie, l’électeur reste in fine le juge suprême.
Censure du gouvernement. Alors que le petit microcosme politico-médiatique s’inquiète des conséquences d’un possible départ de Matignon de Michel Barnier, c’est tout comme s’il feignait d’ignorer la menace russe, autrement plus terrifiante, regrette notre chroniqueur.
Michel Barnier promet « la tempête » s’il devait « tomber ». C’est le message qu’il a fait passer, mardi soir sur TF1, pour mettre en garde contre une motion de censure qui le pousserait à démissionner.
Anomalies
Mais cette perspective est anecdotique à côté de la guerre mondiale contre la Russie et ses alliés qu’attise, dans son coin, Emmanuel Macron. Une politique démente se met en place par le président esseulé, apparemment fasciné par le chaos qu’il a créé depuis le 10 juin et sa dissolution irréfléchie de l’Assemblée nationale. Cette diabolique course à l’abîme, censée replacer le chef de l’État au centre de tout, s’auto-alimente à l’Élysée dans l’indifférence du « microcosme parisien », justement mis en cause par le Premier ministre. Mais lui-même fait partie de cette oligarchie, en dépit de son adresse, hier, au bon sens des Français.
Sa désignation parmi un parti minoritaire (47 députés) a été le résultat d’une anomalie démocratique. Son silence sur l’escalade belliqueuse de Macron confirme son peu d’entrain à « tourner la page » en apportant les « ruptures » qu’il avait promises le 5 septembre. Une excessive prudence a amené Barnier, assurément honnête homme, à assumer une continuité avec le vieux monde politique coupé des gens ordinaires. Son sort est, plus que jamais, entre les mains du RN. Ce parti semble prêt à se joindre notamment à LFI, en dépit de ses outrances pro-djihadistes et antisémites, pour sanctionner le gouvernement sur son budget. Toutefois la question est moins la survie politique de Barnier que celle de Macron. Il est urgent d’empêcher un forcené de continuer à jouer avec des allumettes sur un baril de poudre.
Jean-Noël Barrot mobilisé
Sans aucun débat, ni parlementaire ni médiatique, le président de la République, plus Ubu Roi que jamais, a décidé de mettre les pas de la France dans ceux des néoconservateurs anglo-saxons contre la tyrannie de Vladimir Poutine. Alors que Donald Trump vient de se faire élire sur une promesse de paix entre les deux frères ennemis, Joe Biden et son allié britannique font visiblement tout pour attiser l’irrémédiable avant le 20 janvier, date d’entrée en fonction de Trump. Poutine n’est pas le dernier à jeter de l’huile sur le feu, en menaçant d’une 3ème guerre mondiale nucléaire. Dès à présent, certains pays européens (Allemagne, Suède, Finlande, etc.) s’inquiètent de l’état de leurs abris antiatomiques et des protections civiles à apporter aux populations, en cas de montée en puissance du conflit. La France reste, elle, indifférente à ces inquiétudes. Samedi, sur la BBC, Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, a donné son feu vert à l’Ukraine pour l’usage de missiles français à longue portée afin de frapper le territoire russe. Il a également confirmé la possibilité d’une mobilisation de troupes françaises sur le sol ukrainien. L’ombre de la guerre ne cesse de grandir sur une France désarmée (la défense ne pourrait tenir que quelques jours), qui se laisse de surcroit envahir par l’islam conquérant et le narcotrafic, deux menaces qualifiées d’ « existentielles », ce mercredi matin sur Europe 1, par la magistrate Béatrice Brugère. Un va-t-en-guerre désœuvré et, semble-t-il, psychologiquement fragile est à l’Elysée. La tempête, que redoute Barnier, est déjà là. C’est pourquoi Macron doit partir.
MeToo a libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. Mais la lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice.
À la fin du réquisitoire, tous les journalistes sont sortis de la salle d’audience du tribunal de Paris. Il était 22 heures, ce 26 septembre, leur religion était faite, leur sentence, prête. L’avocate de Nicolas Bedos a donc plaidé dans une salle désertée par les médias. Il y a là plus qu’un symbole, une métonymie, un détail qui raconte l’ensemble du tableau. À l’âge MeToo, la parole d’un homme accusé ne vaut rien. Pire, le type qui se défend est un salaud. Ainsi quand Julien Bayou, ex-étoile montante des Verts persécuté par une meute d’ex, furieuses d’avoir été quittées, trompées ou négligées, porte plainte contre une de ses accusatrices, Sandrine Rousseau dénonce « un climat très fort d’intimidation ». Quand une femme porte plainte, elle libère sa parole, quand un homme porte plainte, il intimide. La parole des hommes, on l’a entendue des siècles durant. Alors maintenant fermez-là et demandez pardon.
Nicolas BedosJulien BayouJoey StarrGérard DepardieuSYSPEO/SIPA – Jacques Witt/SIPA – Daina Le Lardic/ /SIPA – Laurent Vu/SIPA
À charge et à décharge : c’est le principe cardinal d’une justice équitable. On se demande parfois si la défense intéresse vraiment les magistrats, prompts à balayer, dans l’affaire Bedos et d’autres, tout ce qui pourrait bénéficier au prévenu, singulièrement le doute. De toute façon, cette défense est par avance discréditée, méprisée, ignorée par les véritables juges, ceux qui peuvent condamner à la peine de mort sociale et le font à tour de bras, avec une jubilation suspecte. Avec ses imperfections et ses garanties, la vieille justice démocratique préfère (préférait ?) un coupable en liberté à un innocent embastillé. La justice révolutionnaire de MeToo fonctionne selon des principes strictement inverses : présomption de culpabilité, enquêtes à charge, instruction à ciel ouvert. Or, la justice médiatique contamine celle des prétoires. Les juges ne sont pas connus pour leur anticonformisme. Ils épousent volontiers la cause des femmes, pas seulement parce que la plupart des juges sont des femmes, mais aussi parce que cette cause avance drapée dans des considérations compassionnelles qui promettent des témoignages bouleversants, des salles d’audience où on entend voler les mouches, des récits douloureux, des procès pour série Netflix. Le matin du procès pour agressions sexuelles de Gérard Depardieu (finalement renvoyé), entre autres délicatesses, L’Est républicain publiait un édito titré « Le procès d’un monstrueux malade ». Quel tribunal oserait laisser en liberté un « monstrueux malade » ?
Une petite nébuleuse de journalistes (au féminin pour l’essentiel) qui constituent le commandement invisible et informel de la Révolution néo-féministe se fait un devoir de fouiner, de traquer les petits travers et les grands manquements dans les vies privées d’hommes trop puissants, trop talentueux, trop fanfarons, trop décontractés du gland. Le succès est une insolence, l’errance sexuelle, une insulte aux femmes et un outrage à la morale publique. Elles recourent à la délation, sanctifiée en libération de la parole, de sorte qu’une accusation en suscite dix autres – Moi aussi, je souffre ! Le plaisir évident que ces dames-patronnesses prennent à faire chuter des idoles et détruire des existences, leur absence totale de compassion pour le pécheur à terre, restent un mystère. On pense à ces apparatchiks capables d’envoyer leur voisin ou leur frère au goulag sans sourciller ou aux inquisiteurs convaincus de faire le bien des hérétiques qu’ils torturaient. La souffrance des femmes, réelle, inventée ou exagérée, semble absorber toute leur capacité d’empathie. Tout de même, la sollicitude dégoulinante dont ces meutes justicières accablent les plaignantes, les persuadant qu’elles ont subi un traumatisme irréparable et les condamnant au statut éternel de victime, contraste singulièrement avec leurs babines retroussées devant un homme à terre. Comment pouvez-vous plaindre ces puissants face à de pauvres créatures rescapées du patriarcat, traumatisées par une vie d’humiliation ? Ils ont bonne mine les puissants, à tourner en rond chez eux, désemparés ou terrorisés. D’après un ami qui a assisté à l’audience Bedos, le cinéaste et son entourage paraissaient accablés, pendant que les deux plaignantes et une troisième femme qui témoignait en leur faveur riaient et faisaient les belles, visiblement enchantées d’être le centre de tant d’attentions.
Le 22 octobre, tout ce petit monde, galvanisé par une meute de tricoteuses numériques, ne cache pas sa joie à l’annonce du jugement. Jamais un tribunal n’a eu la main aussi lourde pour des faits aussi dérisoires. Le comédien est condamné à un an de prison, dont six sous bracelet électronique ainsi qu’à une obligation de soin – il a reconnu boire plus que de raison. Preuve qu’on veut vraiment l’humilier, le jugement est exécutoire, ce qui n’arrive jamais pour les primo-délinquants. Quand tous les jours, des petits anges autrement plus dangereux sortent du tribunal libres et vierges de toute condamnation, il y avait urgence à embastiller l’auteur de La Belle Epoque. C’est que c’est grave. Il y a eu un soir de 2023 un baiser non consenti dans le cou à une serveuse et, un autre soir, au cours d’une bousculade dans la même boite de nuit, un attouchement de quelques secondes sur un entrejambe féminin (par-dessus un jean) dont il n’existe pas la moindre preuve. Des incidents qui auraient dû se solder par une paire de baffes et/ou des fleurs et des excuses. Un baiser volé dans une boite de nuit, ça peut être énervant, déplaisant, dégoûtant même. Mais humiliant, terrifiant au point de ne pas en dormir la nuit ? À l’époque, la serveuse avait commencé un mail à Bedos. Elle lui disait que, pour elle, ça allait mais qu’il devait se méfier de ses excès, avec d’autres ça pourrait faire des histoires. Elle voulait qu’il continue à faire du cinéma. Le brouillon de ce mail, qu’elle n’a jamais envoyé, a été lu à l’audience. Aujourd’hui, elle est traumatisée par ce baiser volé. Et tout le monde feint de la croire. On n’a pas fait le procès d’un agresseur sexuel, mais celui d’un « gros con », d’un mufle de compétition, ce qui n’est pas un délit pénal. Ou on finira aussi par créer un délit d’infidélité conjugale. Il boit trop, il parle trop, il touche trop, ça ne fait pas de lui un agresseur sexuel. « Nicolas peut être pathétique mais quand il a bu, si on le touche, il tombe », résume un de ses amis. On attend que le cinéma, l’art et les boites de nuit soient réservés à des premiers prix de vertu, sans fêlure et sans excès. La plupart des êtres humains, heureusement, cachent quelques cadavres dans leurs tiroirs intimes. C’est précisément avec quoi que la Révolution néo-féministe veut en finir. Elle veut nous délivrer du mal et du mâle. Puisque la chair est sale et, pire encore, inégalitaire, finissons-en avec ses tourments. Revenons au paradis perdu, quand les hommes et les femmes n’avaient pas encore découvert qu’ils aimaient faire des cochonneries. D’où la réaction un brin drama queen de certaines femmes, comme si en les touchant, même accidentellement, un homme souillait un temple inviolable.
Pour le chœur des vierges médiatiques, « Femmes, on vous croit ! » signifie « Hommes, vous mentez ! » Certains avocats de la glorieuse libération MeToo, comme Caroline Fourest, dénoncent aujourd’hui ses dérives, et sont pour cela accusés des pires péchés, comme celui d’être de droite (voir l’article de Yannis Ezziadi). Pour ma part, j’attends toujours qu’on me montre les rives riantes que l’on aurait accidentellement quittées. Tout incline plutôt à penser que MeToo est un bloc et que la mutation terroriste actuelle était programmée dès le premier tweet appelant à la délation. Bedos a d’ailleurs écrit en 2017 un texte prémonitoire à ce sujet, sans toutefois en tirer toutes les conséquences puisqu’il a continué à adorer publiquement la grande avancée de la parole libérée[1]. Il raconte dans ce texte qu’une journaliste de sa connaissance lui demande sur Facebook s’il n’aurait pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». Il lui répond : « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non ». Elle insiste : « Même pas un dérapage? Vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, un pelotage de nichons, une grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte… ». Il lui faut quelque chose : « Votre nom ne sera pas cité… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira. ». Un seul nom suffira. Un nom n’a pas suffi. Les dieux de ce féminisme sinistre et revanchard ont soif. Il leur faut sans cesse du sang neuf. Les charrettes se succèdent, la liste noire s’allonge. Tout épisode de drague peut être remonté en agression sexuelle, tout coup d’un soir, relooké en viol. Toutes les chapelles et toutes les générations du spectacle sont touchées, même les morts. C’est maintenant aux sportifs d’y passer. Deux joueurs de rugby français accusés de viol en Argentine sont immédiatement lâchés par la Fédération et par L’Equipe. On ne connait pas le dossier, il n’y a aucune preuve mais ils sont forcément coupables. Quand il s’avère qu’ils ont été piégés, tout ce beau monde change de pied : tout de même, ce n’est pas bien de se saouler en boite quand on représente la France. Voilà nos gars promus ambassadeurs. Un puritanisme peut en cacher un autre : comme on ne peut sans doute pas inscrire l’interdiction de forniquer dans leur contrat (ce serait contraire à la dignité humaine, non ?), on va leur interdire de picoler. La troisième mi-temps, désormais, ce sera une tisane et au lit. Remarquez, ils ont de la chance, ils pourront rejouer au rugby.
Dans l’industrie du rêve, comme dans la politique, ça ne marche pas comme ça. Toute inconduite, réelle ou supposée, peut valoir perpète. Dans le cas Bayou, le comité d’épuration du Parti ayant fait chou-blanc, les Verts ont confié le dossier à un cabinet privé qui n’a pas trouvé de preuve de « violences psychologiques ». «L’enquête n’a manifestement pas été un cadre permettant de faire avancer suffisamment l’enquête», a bredouillé Rousseau. Mais rien n’est perdu, il y a encore des plaintes en justice, des militantes pas contentes. Elle trouvera autre chose mais elle ne lâchera pas avant de piétiner le cadavre. Pour Bayou, la politique, c’est fini. Tant mieux pour lui.
Dans le cinéma, le bannissement est immédiat et automatique. Avant d’embaucher un comédien, on mène des enquêtes sur son passé, pour être sûr que le souvenir d’une soirée de débauche ne viendra pas gâcher la promotion du film, alors une plainte même classée, on ne peut pas prendre le risque. Dans la liste de proscription, certains ont été condamnés, d’autres relaxés, et d’autres encore, comme Edouard Baer n’ont jamais été poursuivis. Il y a peut-être dans le lot, quelques vrais prédateurs, à l’image de ce prisonnier connu dans toute la Kolyma parce qu’il avait vraiment conspiré contre le Parti. Le féminisme révolutionnaire ne s’embarrasse pas de distinction. Qu’ils aient effleuré un sein ou agressé une stagiaire, le tarif est le même : tous leurs projets s’arrêtent du jour au lendemain, les messages gênés affluent sur leur écran. Leur nom devient radioactif. « Si on avait su, on aurait vraiment violé », ironise l’un deux. On parle de bannissement et de mort sociale. Ces mots peinent à dire ce que ressent un homme en pleine possession de ses moyens quand il n’a plus le droit de faire son métier, soit parce qu’il a commis une peccadille soit parce qu’il a été faussement accusé. Ce sont aussi une famille, des proches, des enfants qui se retrouvent piégés dans une prison invisible. Le plus dur, c’est de ne pas savoir si la peine finira un jour, si on sera un jour réintégré dans le monde des vivants. En d’autres temps, on pouvait fuir le scandale, partir refaire sa vie aux colonies ou ailleurs. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ailleurs. Internet réalise un rêve policier : un fichage éternel et planétaire. Cette injustice féroce d’une mise au ban qui peut frapper n’importe qui devrait provoquer une vague de colère et de protestation. Elle prospère sur la lâcheté. Tout le monde savait que le communisme mentait mais il a tenu par la peur. C’est la même chose avec MeToo. La plupart des gens ordinaires savent que la vie n’a rien à voir avec les histoires de petites filles et de vampires qu’affectionnent les vestales militantes. Dans le public et dans le métier, la condamnation de Nicolas Bedos a fait l’effet d’une bombe. Sa compagne Pauline Desmonts et lui ont reçu des centaines de messages de soutien, d’anonymes, de de gens du métier, de politiques. Aucun ou presque n’a osé s’exprimer publiquement. Il est vrai qu’ils ne risquent pas seulement de ne plus être persona grata sur France Inter, mais d’être à leur tour la cible d’accusations, comme l’ont été les signataires de la tribune Depardieu, de froisser les plates-formes (Amazon, Netflix etc) qui financent leurs films ou de voir des comédiens les lâcher. Je suis de ton côté, mais tu comprends, c’est compliqué. Oui, j’ai peur de comprendre. C’est humain. Le totalitarisme aussi, c’est humain.
[1]« Un seul nom me suffira », quand la libération de la parole vire à la guerre des sexes, Huffington Post, 2 novembre 2017.
Le quotidien de gauche se fait l’écho des inquiétudes de clandestins sous OQTF, mais passe sous silence bien d’autres angoisses hexagonales.
Cela ne se sait sans doute pas assez, mais les journalistes de Libération sont des modèles vivants de compassion. Ils en ont récemment administré une preuve supplémentaire dans un papier-enquête intitulé « La vie sous OQTF », article signé Rachid Laïrech, publié le 10 novembre[1]. La vie évoquée est celle de Sylla, Malien sans papiers en France depuis dix ans « qui charbonne dans la restauration, loue une chambre à son oncle en Seine-et-Marne. » Et qui très certainement ne doit son classement OQTF qu’à la malveillance raciste des autorités. « Sylla a peur », écrit le journaliste. Cela sonne à nos oreilles un peu comme le glaçant « La France a peur » de Roger Gicquel ouvrant par ces mots le vingt-heures de TF1 le 18 février 1976 après l’assassinat du petit Philippe Bertrand. Sylla a peur, donc. « Il pose ses deux mains sur son visage. Un geste qui raconte un tas de sentiments ». (Les sentiments, en tas, rien de plus oppressant, faut-il reconnaître). Il est épuisé. Il doute aussi, le commis de cuisine. Lui revient en mémoire une scène qui « a bousillé son quotidien ». Qu’on en juge. Depuis les exactions de la Gestapo on n’avait jamais connu pareille cruauté, semblable arbitraire. « Un soir de printemps, à Paris, après une longue journée de turbin (Serait-il un brin sur-exploité notre travailleur malien ?) le sans-papiers fume une clope devant la gare du Nord. Trois policiers se tiennent devant lui. Contrôle d’identité. » Trois bousilleurs de quotidien d’OQTF ayant probablement aux lèvres l’écume de la haine la plus féroce. L’horreur, la barbarie d’État dans toute sa fureur. Comment se relever d’un tel traumatisme ? Comment surmonter cette agression sans nom : se faire contrôler son identité, à Paris en plein XXIème siècle ? Depuis, nous conte Libération, le longiligne trentenaire « a la trouille au ventre » chaque fois qu’il croise une patrouille de gestapistes – pardon de policiers français, je me suis laissé emporter. « La peur d’être rattrapé par une politique migratoire forcenée ». Forcenée, autrement dit démente, pathologique, obsessionnelle, névrotique. Lisant ces lignes, la gorge se serre, les larmes ne sont pas loin. D’autant plus qu’il s’agirait d’un « bon gars, toujours à l’heure, efficace et qui met une bonne ambiance dans la cuisine », plaide son employeur qui ne comprend décidément pas pourquoi « on fait chier des types comme lui. » C’est vrai, ça ! Pourquoi aller demander des papiers à ceux qui n’en ont pas ? On ne fait pas pire en matière de persécution.
Bouleversé par tant de sollicitude journalistique, je me suis mis à guetter les livraisons suivantes du quotidien. J’attendais une enquête digne de ce nom, une série d’articles sur la peur. Je me disais, demain peut-être, lirai-je un papier lui aussi débordant d’émotion sur la frayeur des étudiantes de l’université Dauphine s’en revenant de leurs cours, tout près du Bois de Boulogne ? Ces jeunes filles, condisciples de Philippine, violée, assassinée par un OQTF récidiviste. Peut-être évoquera-t-on dans un numéro prochain la peur qui étreint désormais le Juif de France se rendant à la synagogue ou vaquant à ses occupations. La peur des parents dont le gamin est de sortie pour une fête, un bal le samedi soir du côté de Crépol ou de Saint-Péray ou partout ailleurs en France. La frayeur de la secrétaire qui quitte son travail à la nuit tombée pour gagner à pied sa station de bus. La peur quotidienne, permanente des désargentés condamnés à affronter des cages d’escalier coupe-gorge pour, tout simplement, rentrer chez soi. La sourde appréhension encore du commerçant qui ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand il ouvre son tiroir-caisse. L’angoisse sourde, elle aussi permanente, des policiers, des gendarmes, de leur famille, de leurs proches, lorsqu’ils bouclent leur ceinturon pour aller assurer – ou tenter d’assurer – notre sécurité.
Ai-je besoin de préciser que je n’ai pas trouvé une ligne, un mot dans Libération sur ces peurs-là, pourtant si largement répandues aujourd’hui chez nous ?! Peurs blanches… Trop blanches, sans doute.
Sans vachette, c’est non ! Plusieurs villes annoncent qu’elles boycotteront « Intervilles » dans sa version modernisée par Nagui. Beaucoup de Français sont nostalgiques de la France d’avant: cette petite polémique vient nous le rappeler.
La guerre de la vachette aura bien lieu et j’entends y prendre ma part. Comme vous le savez, Nagui sera aux commandes de la version relookée d’Intervilles, jeu créé par Guy Lux en 1962, qui sera diffusée sur France Télévisions en 2025. Mi-novembre, Nagui a annoncé la fin des vachettes : « Nous n’avons pas besoin de cela. Il n’y a plus d’animaux dans les émissions de télévision. Car on connaît leur sensibilité au bruit et à la foule, leur inconfort… Sans parler du risque de blessures pour les humains ». Révolte des villes taurines. Les maires de Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan annoncent qu’ils ne participeront pas à cet ersatz d’Intervilles. Une pétition circule. Le DJ Philippe Corti, qui a participé à l’émission comme animateur musical, refuse de reprendre du service sur ce plateau aseptisé. Nagui n’en démord pas. Il compte apporter de la « modernité à cette grande kermesse avec diversité, parité et respect de tous les êtres ». Il y aura donc des bovins de mousse avec quelqu’un à l’intérieur. On ne maltraitera pas d’animaux mais des intermittents du spectacle. On respire.
On dira que toute cette agitation pour un jeu télévisé est un peu excessive. Je ne crois pas. Derrière cette histoire de vachettes, il y a le mépris du bobo parisien, sûr de sa supériorité morale, qui vient expliquer aux « bouseux » qu’ils n’aiment pas leurs bêtes. C’est une totale méconnaissance des traditions locales. La course de vaches landaises, c’est une identité collective dans le Sud-Ouest, un fil qui relie les générations. Les grands esprits parisiens trouvent ça trop populaire, s’énerve Corti. « La vache landaise, elle est sauvage, joueuse, elle s’amuse et c’est typique d’une région, ces espèces vont disparaître à force de normes ! », s’agace-t-il. L’affaire est aussi typique d’une écologie pour citadins peine-à-jouir. Tout divertissement collectif doit désormais satisfaire aux normes du politiquement correct. Le Tour de France est par exemple trop polluant, et les illuminations de Noël sont trop catholiques (souvenez-vous de la polémique à Nantes, avec Johanna Rolland). Les maires se sont fait une spécialité d’interdire ce qui fait plaisir au populo, en particulier quand ils sont écolos. Quant à la télévision publique, on dirait vraiment qu’elle s’emploie à nous rééduquer. Au-delà des vachettes, Intervilles c’était bien sûr aussi la télévision d’une époque où des minorités wokisées n’imposaient pas leurs lubies à tout le monde. Alors, rendez-nous Guy Lux, rendez-nous cette France où l’on pouvait faire une blague sur les blondes sans être sanctionné par l’Arcom, et vive la vachette !
Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale (99.9 FM Paris)
Selon le grand historien du XVIIIe siècle, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.
C’est sous l’effet de la peur que l’on prêta serment au Jeu de paume. La Bastille ne fut pas prise, mais s’est rendue aux insurgés. La « machine philosophique » sanctifiée que fut la guillotine ne tarda pas à montrer toute son horreur. Valmy, longtemps célébrée, fut à peine une bataille. Les mythes ont la vie dure. Emmanuel de Waresquiel les dynamite dans un ouvrage captivant. « Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? » et comment l’instrumentalise-t-on aujourd’hui ? L’historien nous répond.
Causeur. Comment le grand historien de la Révolution que vous êtes a-t-il interprété le « tableau » consacré à Marie-Antoinette lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris ?
Emmanuel de Waresquiel. Nous sommes dans les mythes noirs de la Révolution, les mythes révolutionnaires. Le personnage de Marie-Antoinette est probablement l’un des plus clivants de cette période. Avec Marie-Antoinette, on vit encore la Révolution de l’intérieur, et la Contre-Révolution aussi. D’un côté, elle est la perversité absolue faite femme, elle est traîtresse et complotiste et étrangère et reine – ce qui fait beaucoup ! De l’autre, c’est la sainte et martyre du chemin de croix des Tuileries, de la tour du Temple et de la Conciergerie. Si l’on compare les deux procès, celui de Marie-Antoinette et celui de son mari, elle est beaucoup plus absolutiste que le roi. Elle défend l’absolutisme royal, les droits de son fils et l’Ancien Régime tel qu’il était constitué à l’époque – alors même qu’il ne l’est plus en 1793. Elle est beaucoup plus « claire », et dans un certain sens, beaucoup plus courageuse que son mari. Louis XVI se présente à la Convention en dansant d’un pied sur l’autre, entre le roi constitutionnel qu’il fut jusqu’en 1792 et le roi de droit divin. On ne sait plus très bien quel roi il est, et les constitutionnels hésitent avant de le faire comparaître devant la Convention pour le juger. Marie-Antoinette est infiniment plus tranchée.
Et elle a fait son apparition au milieu de la cérémonie d’ouverture des JO dans le tableau que l’on sait… Par rapport aux intentions du Comité olympique qui sont de mettre en avant les femmes, la concorde, la fraternité universelle, montrer l’épisode le plus tragique et le plus clivant de la Révolution, c’est aller à l’encontre même du message olympique.
Qu’est-ce que cela prouve, selon vous ?
Que la Révolution est encore vivante, que nous sommes encore nourris de ses imaginaires, qu’elle divise toujours la société, pas tant les murs dans lesquels nous habitons, c’est-à-dire les droits de l’homme, mais aussi l’esprit dans la maison : une culture politique très particulière, des affrontements de légitimité permanents dont on ne parvient pas à se débarrasser. De ce point de vue, la prégnance psychologique de la Révolution est patente, vécue de façon plus ou moins consciente par les Français. Et cette passion de l’égalitarisme ! L’obsession égalitaire est un héritage de la Révolution.
Vous écrivez, en substance, que l’un des risques, actuellement, est de faire une lecture téléologique de la Révolution, c’est-à-dire de tenter d’en comprendre le but à partir des résultats. LFI ne se prive pas de cette lecture. Comment l’analysez-vous ?
Ce qui me frappe, me trouble, c’est que cette gauche dont vous parlez se réclame de l’universalisme et, surtout, de l’indivisibilité de la nation, de l’unanimité nationale et en même temps, si j’en crois la note de Terra Nova de 2011, ses membres sont des adeptes forcenés du progressisme identitaire, lequel a une vision du monde tellement tranchée entre les dominés et les dominants, les colonisés et les colonisateurs, les Blancs et les Noirs que le simple fait de parler avec les dominants est un acte de compromission. Dans un certain sens, c’est assez intéressant du point de vue des contradictions de la Révolution elle-même qui prône l’universalisme, l’indivisibilité mais qui, en prônant l’indivisibilité, ne peut pas penser l’opposant autrement qu’en traître ou en étranger. Et en ennemi. Et la guillotine est au bout de ce chemin-là ! La culture de l’affrontement est une culture très française, en lieu et place du compromis « anglo-saxon ».
Autrement dit, les Insoumis réactivent une contradiction fondamentale entre l’indivisibilité d’un côté et, de l’autre, l’opposition entre l’humanité et ses ennemis ?
En effet. Ils se réclament de l’indivisibilité de la nation révolutionnaire et en même temps, leur progressisme identitaire et communautariste, articulé autour du schéma opprimé/oppresseur leur interdit le dialogue. Jean-Luc Mélenchon est totalement habité par la marche du peuple, comme l’a montré son grand discours à la Bastille du 18 mars 2012. Comme d’ailleurs le Comité olympique qui, inspiré par Patrick Boucheron, a calqué le parcours du marathon sur celui de la marche des femmes sur Versailles le 5 octobre 1789 ! Les membres du Comité ont oublié ce qui s’est passé au retour… Les têtes des gardes du corps sont sur les piques des sans-culottes. Bref, voilà une sorte de double contradiction en miroir : celle du principe d’indivisibilité posé en 1789 qui, d’une certaine manière conduit à la Terreur, et celle des rapports de La France insoumise avec les grands principes révolutionnaires dont ils se réclament et qu’ils contredisent à longueur de temps dans leur discours identitaire.
Vous lancez une hypothèse dans votre livre : peut-être ne souhaitons-nous plus nous entretenir des cauchemars du passé – comme s’ils ressemblaient trop à ceux du présent. Talleyrand écrivait : « L’âge des illusions est pour les peuples comme pour les individus l’âge du bonheur. » Les mythes de la Révolution ont la vie dure. Pourquoi ressurgissent-ils aujourd’hui et avec une telle force ?
Raymond Aron a très bien expliqué cela. La question de l’unité nationale, donc celle des grands mythes fondateurs, ressurgit à chaque sortie de crise ou à chaque entrée de crise. C’est très prégnant après la Seconde Guerre mondiale quand on tente de retisser le tissu national – on oublie des choses, on en met d’autres en avant, on pardonne. Ce fut la même histoire au début de la Restauration, sous Louis XVIII : le slogan monarchique de l’époque était « Pardon et Oubli ». Le seul problème, et nous sommes d’accord avec la dialectique de Paul Ricoeur, c’est que pour pardonner, il faut ne pas avoir oublié.
La Révolution française est singulière, écrivez-vous, car elle fut « à la fois politique et sociale, unilatérale, égalitaire, amnésique, ombrageuse et totalisante ». Arrêtons-nous sur chacun de ces termes. D’abord politique et sociale ?
1789 est une guerre civile larvée. Il ne faut pas oublier Furet qui parle du « tournant égalitaire ». C’est une guerre sociale entre les ordres (clergé, noblesse, tiers état) qui fait naître la notion d’ordre privilégié. Et puis la notion de complot aristocratique. Elle est déterminante pour expliquer ce qui s’est passé à Versailles en juin et à Paris en juillet 1789.
Unilatérale ?
Les 17 et 20 juin 1789, le tiers état se constitue en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante sans demander son avis ni au roi, ni aux deux autres ordres du royaume qui, par définition, sont exclus de la représentation de la nation ; ce n’est que par la suite qu’ils vont s’y rallier. La Révolution est aussi totalisante, bien que je préfère le terme absolutiste, car la vision que les révolutionnaires ont de la monarchie (vision traversée de beaucoup de fantasmes) est celle d’une monarchie encore absolue, comme si le roi était tout-puissant, à la tête de son armée et de son administration, alors qu’elles ne le suivent plus depuis belle lurette !
Égalitaire ?
Il s’agit d’égalité civile. Ni politique ni sociale. L’égalité est le terme trouvé par les députés du tiers état pour définir, sur fond de table rase, une société qui ne soit plus organique mais fondée, justement, sur l’individu. C’est le principe du droit naturel.
Amnésique ?
Oui. La Révolution, c’est l’homme régénéré, l’homme nouveau. On veut défaire l’homme de ses anciennes croyances, ce qui conduit aux autodafés des signes de la monarchie, de la féodalité… La Révolution introduit un nouveau rapport au temps : rupture avec le passé. Discours de Rabaut Saint-Étienne à l’Assemblée nationale : « L’Histoire n’est pas notre code ».
Enfin, pourquoi écrivez-vous que la Révolution fut ombrageuse ?
Elle n’est pas si printanière que cela. Elle est faite de rancœurs, de rancunes, de jalousies, de haines. Ma théorie, même si je n’en tire pas les mêmes conclusions que Clemenceau, c’est que « la Révolution est un bloc ». Autrement dit, la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés en 1789.
À lire
Il nous fallait des mythes : la Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours, d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 2024.
Pianiste d’une agilité exceptionnelle, très demandé en festivals et sur les scènes internationales, Tanguy Asselin de Williencourt, 34 ans, a été formé au Conservatoire de Paris (où il enseigne). Il ne craint pas de s’attaquer aux œuvres les plus ardues du répertoire romantique. C’était déjà le cas il y a deux ans, avec son interprétation à la fois magistrale et sensible de César Franck (cf. le CD des œuvres solo et avec orchestre, chez Mirare).
Itinéraire amoureux lisztien
L’unique, monumentale, impérissable sonate composée par Franz Liszt en 1852-1853 et dédiée à Schumann exige de l’interprète une virtuosité plus éclatante encore. Sommet de la littérature pianistique, à l’ampleur quasi orchestrale et d’une modernité confondante, c’est là sans aucun doute le morceau de bravoure du récital que donnera Tanguy de Williencourt lundi prochain à Paris, dans l’écrin acoustiquement fabuleux de la petite Salle Cortot. Alliant intériorité et puissance expressive, il n’hésite pas à détacher les notes, à jouer à plein les ralentissements du 2ème mouvement andante sostenudo, à articuler avec véhémence l’allegro energico du 3ème mouvement. Aigus perlés, scintillants, accords plaqués avec une sorte de fougue juvénile, j’allais écrire de rage, rondeur et souplesse dans les guirlandes arpégées où le magma sonore se fond…
Ce concert reprendra l’intégralité du quatrième album publié par le pianiste français, disque dédié à Liszt, donc, et qui vient de paraître sous le titre Muses, pour rappeler les idylles et autres liaisons passionnées qui traversent la très longue vie du compositeur : de la comtesse Marie d’Agoult à la baronne Olga von Meyendorff, en passant par la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, à qui l’on doit précisément la création de la fameuse Sonate en si mineur, ou des si délicates Harmonies Poétiques et Religieuses, dont un des extraits les plus inspirés reste Bénédiction de Dieu dans la Solitude, pièce d’un recueillement à la mélodie inoubliable, écrit dans la maturité du maître devenu abbé… Liebestraum n°3 « rêve d’amour », Au lac de Wallenstadt, Au bord d’une source et Vallée d’Obermann complètent cet itinéraire lisztien au prisme de sa vie amoureuse…
Un nom à retenir
Conseillée par l’immense pianiste Maria João Pires, Tanguy de Williencourt a aussi subi l’influence du pianofortiste Badura-Skoda, et cela se sent dans son phrasé tout à la fois très articulé, comme suspendu et à la sonorité somptueusement colorée. Tenté par la direction d’orchestre, chef assistant à l’Opéra de Paris et au Staatsoper de Vienne en tant que chef de chant sur différentes productions lyriques, Tanguy de Williencourt est également directeur artistique du festival Tempo Le Croisic : le 6 décembre, il en présentera la prochaine édition ( u 29 mai au 1er juin 2025).
Autant le dire, le nom de ce jeune artiste très complet est à retenir : Tanguy de Williencourt, ça ne s’oublie pas.
Récital de piano : Muses. Œuvres de Franz Liszt. Par Tanguy de Williencourt. Salle Cortot, Paris. Lundi 2 décembre, 20h.
Récital donné à l’occasion de la sortie du CD Muses, par Tanguy de Williencourt. Mirare prod.
Thierry Chaunu, chef d’entreprise franco-américain, est établi aux Etats-Unis depuis 1980, il est un ex-Cartier (en tant que Vice-président), Christofle, et Chopard (en tant que président).
Le sujet a été abordé ici et là par le passé. La récente sortie du biopic “The Apprentice”1, et évidemment l’élection retentissante du 5 novembre sont l’occasion d’évoquer quelques réminiscences personnelles de “Donald”, ou “D.J.”, (“Di-Gé” et non pas “Di-Ji”) que j’ai côtoyé pendant ses années d’ascension new yorkaise.
Il est vrai que les parallèles et les ressemblances sont nombreux, et je m’étais déjà fait la réflexion en visionnant le biopic de Bernard Tapie sur un vol Air France il y a déjà plusieurs mois.
Sur la forme, ce qui me frappe d’emblée, chez les deux personnages, c’est leur énergie, leur bagout, leur franc-parler, voire même, mutatis mutandis, leurs itinéraires personnel et professionnel. Avant de sauter au plafond, permettez-moi d’expliquer.
D’abord, en guise de préliminaire, je ne prétends pas être un intime de Donald Trump, même si je l’ai rencontré à de multiples reprises dans son bureau de la Trump Tower, à son golf de Bedford dans le New Jersey, dans son casino d’Atlantic City, et à Mar-a-Lago – la dernière fois en février de l’année dernière lors d’un dîner, qui s’est terminé par une très bonne pâtisserie, un Opéra ornée d’une signature “Trump” en caramel onctueux.
Il y régnait une atmosphère digne du palais de Mitau en Courlande : tel Louis XVIII, lorsque Donald fit son entrée sur la terrasse pour rejoindre sa famille attablée, entouré d’agents du Secret Service, toute la petite assistance se leva d’un seul homme, et un vibrant « Good evening, Mr. President » et des applaudissements nourris retentirent sous le ciel étoilé de Floride.
Donald Trump était dans les années 80 notre “Landlord”, c’est-à-dire notre propriétaire-loueur, lorsque, jeune vice-président en charge du marketing de la filiale américaine de Cartier en 1987, j’allais souvent lui montrer les brochures éditées par notre prestataire et ami commun Jim K. “JBK”: nous avions alors une petite boutique “Must de Cartier” juste à côté du désormais célèbre escalator. Il fit d’ailleurs main basse sur notre directrice Nanci G. qui travailla par la suite une vingtaine d’années à ses côtés, qui me confia en jour en 2019: “He thought he was king, now he thinks he is God”. Landlord encore, lorsqu’il me donna l’autorisation fin 1991 d’ouvrir une autre petite boutique d’alimentation, cette fois pour le compte de l’école culinaire Le Cordon Bleu, et située directement en bas du même escalator. Si la boutique n’avait pas fermé entretemps, Marine Le Pen eût pu prendre bien plus confortablement son café en patientant lors de l’élection de 2016…
How much for this watch ?
Ou encore lorsqu’il déchirait une page de publicité dans un magazine, et écrivait avec son gros feutre et son écriture rageuse toute en majuscules et en forme de radiateur: “HOWMUCHFORTHISWATCH” ? envoyé par sa secrétaire et quasi-cheffe de Cabinet de longue date, la regrettée Norma F. En tant que CEO de la filiale américaine de Chopard dans les années 2000, je me précipitais dès lors dans son bureau, où parfois m’attendait également Melania, sagement debout à ses côtés, et qui me gratifiait d’un large sourire, sans pour autant qu’elle ne pipât un seul mot.
Tout cela pour dire que j’ai pu observer de près le milliardaire pendant toutes ces années où Trump est devenu “Donald”, avant de devenir “45”, et bientôt “47”, ou encore “DJ”. Et Tapie dans tout cela ? Là, j’avoue ne l’avoir jamais vu que sur un téléviseur. C’était, il me semble, en 1986, et je me souviens d’une formidable émission en direct devant un immense public de jeunes. Où sont passés ces spectateurs marseillais depuis, qu’ont-ils fait de leur vie? Peut-être certains sont-ils devenus micro-entrepreneurs, et le sont restés dans les quartiers nord de la ville…
À l’époque, j’avais été frappé par le personnage : avec talent et une énergie débordante, “Nanar” s’évertuait à expliquer les joies intenses et les retours en espèces sonnantes et trébuchantes de l’entrepreneuriat.
Evidemment, rien à voir avec l’émission de télé-réalité The Apprentice. La signature trumpiste “You are fired!” offusquerait bien trop les syndicalistes français, attachés à un sacro-saint et illusoire CDI, comme si un bout de papier pouvait prémunir du manque de talent, d’ardeur et de zèle au travail. D’ailleurs, je ne me souviens plus vraiment du slogan de Tapie. Peut-être un timide “Enrichissez-vous”? réchauffé et à la sauce mitterandiste-affairiste des années 80.
Autre parallèle : les deux personnages ont accumulé les procès et fait la fortune des avocats d’affaires, avant de devoir recourir à des pénalistes. Certes, la culture des deux pays en matière de bagatelle ont fait que Donald a été rattrapé par les #Meetoo. Nanar, autant que l’on sache, n’avait pas son Parc aux Cerfs, comme “DJ” dans les étages de sa tour d’ivoire new-yorkaise.
Autre parallèle encore : la gouaille. Avec ses formules argotiques toutes-faites, nous avons aussitôt l’impression de prendre un express sur le comptoir en compagnie de Nanar et de chauffeurs routiers. Les discours de Donald, eux, sont ceux que l’on entend assis sur un tabouret de “diners”. Et ses meetings n’ont en réalité rien à voir avec ceux de Nüremberg, ils sont plutôt truffés d’expressions entendues autour d’un barbecue de chez « Karen ». La fameuse Karen, l’équivalente américaine de la femme du beauf franchouillard, tant moquée par les Démocrates et les “antifas” de tout poil, et qui aujourd’hui roucoule à plus va. Les invectives de Donald, tout compte fait, sont celles d’un corps de garde, et les Américains apprécient ces formules qui font mouche. Nanar, lui, connaissait par cœur son baratin de vendeur de télévision, mais n’avait pas le coup de mention mussolinien, ce qui le rend bien plus sympathique aux Français.
Le sport : Nanar, son ballon rond et la clameur des supporters du stade de l’OM suffisait à lui donner une aura populaire.
D.J., tout comme Churchill, dont il adore imiter le regard bulldog, ne pratique aucun sport, tant les sueurs malodorantes le répulsent, si ce n’est le golf, sa passion, qui est tout de même bien plus commode à pratiquer en cart électrique. Aux Etats-Unis, on sait que les conversations d’affaires et arrangements politiques au plus haut niveau se conduisent sur les greens, et le petit peuple s’en accommode fort bien. Depuis Eisenhower, la pratique présidentielle du golf est tout naturelle. Pour Mitterrand et le bon maître Kliejman, il y a là pour les Français un dévoiement suspect et une perte de temps manifeste.
Les affaires : brassant les sociétés et les millions, Tapie a eu le mérite de prouver, même si la leçon n’a pas été retenue par les Français, que tout est possible pour celui qui se remue et prend des risques. Et comme de bien entendu, les ennuis financiers servent de démonstration que l’argent est pourri, c’est bien connu, et que la réussite est suspecte, car acquise au détriment des travailleurs. Les “cadeaux” fiscaux aux entreprises, tant flagellées qu’elles ne demandent qu’un verre d’eau, et clouées au pilori, sont ainsi l’objet de vindicte et de quolibets des passants, sur le parvis de la cathédrale cégétiste. Aux Etats-Unis, Trump est le digne héritier des “snake oil salesmen”, vendant au long de sa carrière des steaks, des diplômes d’université bidons, des T-shirts et casquettes, boutons de manchettes, des jeux de Monopoly à son effigie, et, pourquoi se priver, des Bibles. Ceci étant, ses stratagèmes immobiliers lui ont permis d’amasser une petite fortune.
Nanar, de son côté, est condamné en 1981 à un an de prison avec sursis pour avoir fait de la publicité trompeuse en affichant cinq ambulances alors que son entreprise n’en possède que deux… Avouez que l’on joue petit bras. Rien à voir avec les chefs d’accusation aussi longs que la Fifth Avenue portés à l’encontre de Donald ! Certes, les montants en jeu dans l’affaire d’Adidas et du Crédit Lyonnais sont de l’ordre de la Coupe des Champions, et seraient en revanche sans doute de nature à susciter l’estime et l’admiration confraternelle de Donald…
Femmes, je vous aime…
Les femmes : en France, “Nanar” et sa deuxième épouse Dominique ont traversé les années relativement tranquilles. Bien sûr, ce respect tout relatif de la vie privée, et le haussement d’épaules des Français blasés, cela n’existe pas du tout outre-Atlantique. Très curieusement, la “téflonisation” du public américain s’est accélérée depuis les frasques de Clinton. Le sens de la famille de Donald a sans doute joué, et lui a donné une carte de “Free jail” dans son jeu de Monopoly. Proche de sa première épouse Ivanna, je l’avais parée de plusieurs parures de diamants lors de son remariage avec Rossano Rubicondi en avril 2008. Lors de la cérémonie près de la piscine de Mar-a-Lago, alors que les hélicos de paparazzis tournoyaient au-dessus de l’assistance, et que le pauvre Rossano s’évertuait à répéter “I do, I do” au micro, assis sagement sur la gauche des rangées de chaises disposées sur le gazon, je sentis sur ma gauche une présence s’avançant. C’était Donald, venu quelques brefs instants, se tenant droit, curieusement vêtu d’un manteau sombre alors que nous étions tous en smoking blancs. En un éclair, Donald venait de signifier que la scène en cours avait sinon sa bénédiction, du moins son assentiment.
Dernière anecdote. Je ne sais quel était le sens du rythme de Nanar dans les affaires, mais j’imagine qu’il allait vite, et se moquait bien des lenteurs ecclésiastiques de la bureaucratie française.
Pour Donald, j’ai toujours été médusé par son jugement immédiat, et parfois malencontreux. Un ami propriétaire d’un grand cabaret parisien m’appela un jour pour me demander si je pouvais faciliter un rendez-vous. Ayant récemment investi dans un nouveau show, il souhaitait le dédoubler et le proposer pour un casino d’Atlantic City. La chose étant arrangée, nous voilà introduit dans le bureau (étonnamment modeste) de la Trump Tower. Les poignées de main faites, mon ami s’emploie, dans un très bon anglais et avec un dossier illustré “mon truc en plume” aguichant et très professionnellement préparé, à proposer à Donald un deal. Je me souviens très bien avoir observé du coin de l’œil le regard intense du businessman. Au bout de, allons, soyons généreux, 7 minutes, Donald dit “Thank you very much, but this is not for me”. End of the conversation, poignées de main, retour dans l’ascenseur. Très gêné pour mon ami qui venait de traverser l’Atlantique pour ce rendez-vous, je m’attendais à encourir ses reproches et son dépit. Pas du tout. “Ah, quel homme, tu as vu comme il a décidé ? Merci, merci, merci…”
Pour les Américains, qui ignorent qui fut Tapie, Trump est tout simplement “The Donald”, leur défenseur, rédempteur, et pourfendeur, et, les scores de l’élection l’ont prouvé : “Trump, quel homme”. Ce pauvre Tapie n’a pas eu la chance de rencontrer Elon, et n’a pas eu droit à la pilule de longévité.
A ce sujet, relire l’article de Laurent Silvestrini, Causeur.fr, 16 octobre 2024Prêt à tout?↩︎
Le sentiment national, ça sent toujours très mauvais sauf si ce n’est pas français
Céline Pina a – comme toujours au demeurant – magistralement exposé ici même hier ce qu’il convient de penser du festival de lâcheté intellectuelle mis en scène sur France 5 par le service public de télévision autour du sort ignoble, épouvantable, fait à l’écrivain Boualemb Sansal, emprisonné en Algérie pour ne pas partager d’enthousiasme les beautés du régime de corruption, de falsification de l’histoire et d’hystérie anti-française qui sévit dans ce pays depuis des lustres.
Sur le plateau, l’historien de cour – macronienne, la cour – Benjamin Stora, suffisant et goguenard, s’en donne à cœur joie, accablant le prisonnier avec une gourmandise déplacée. « On ne tire pas sur une ambulance », disait fort pertinemment en son temps Françoise Giroud. Dans le nôtre de temps, on peut. C’est même bien vu. En tout cas, personne n’y trouve grand-chose à redire, surtout pas l’atone et servile passeur de plats censé veiller à l’équilibre et à la bonne tenue du débat.
Au détour d’une de ses interventions, d’un de ses doucereux réquisitoires, voilà bien que l’historien charge l’emprisonné d’un crime assez inattendu. Du moins dans sa formulation. Par ses écrits, ses œuvres, ses déclarations, Boualem Sansal aurait blessé « le sentiment national algérien ». Je n’en croyais pas mes oreilles. J’avoue être resté sans voix un bon moment.
Certes, j’espérais fort qu’un jour ou l’autre, proche ou lointain, la notion de « sentiment national » serait réhabilitée, mais je n’attendais pas cela si tôt et surtout pas de ces bouches-là.
Il reste à souhaiter que l’argument assez surprenant de cet émérite historien fasse jurisprudence. Évoquer le sentiment national redeviendrait licite, admis, voire honorable. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple parmi cent autres, nous serions fondés désormais à porter contre M. Macron l’accusation de blesser notre sentiment national lorsqu’il ose affirmer que la colonisation de l’Algérie par la France relève du crime contre l’humanité… Mais voilà que je prends mes rêves pour des réalités. Oublions cela bien vite. Dans l’esprit de M. Stora et de ses compagnons de déroute, il est clair que ce sentiment n’est noble et n’est acceptable que chez les dirigeants de peuples nous ayant en détestation. Chez nous, il ne saurait être qu’ignoblement empuanti de fascisme. On ne connaît que trop bien cette chanson-là, hélas…
En avoir ? Ou pas. Faut-il quitter X-Twitter ? Quoi que vous choisissiez, « la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
Fight ! Fight ! Fight ! L’heure est grave. En France, après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la parole libre refuse de se voir muselée ; on est entré en résistance. Après Ouest-France, le journal Sud-Ouest suspend maintenant sa présence sur le réseau social X, emboitant le pas au quotidien espagnol La Vanguardia et au britannique The Guardian.
Nicolas Sterckx, le directeur du général du groupe Sud-Ouest a annoncé courageusement dans un communiqué que les contenus du quotidien ne seront plus partagés « tant que des garanties sérieuses de lutte contre la désinformation et en faveur de l’équilibre des débats n’auront pas été apportées. » « X a tourné le dos aux médias et n’offre pas les conditions nécessaires à l’exercice serein du journalisme. » C’est entériné.
Les wokes quittent le navire
Dès le rachat de Twitter par Elon Musk, l’alerte avait été lancée ; outre-Atlantique, le dévoiement du réseau social était pointé du doigt. On se le rappelle, plusieurs personnalités du monde libre parmi lesquelles Gigi Hadid, Whoopi Goldberg, Jim Carrey ou Shonda Rhimes n’avaient pas hésité à déserter la plateforme acquise aux suprémacistes blancs, aux climatosceptiques, aux oppresseurs des minorités et autres engeances ennemies de la démocratie. Quelques courageux s’étaient d’emblée désolidarisés d’un réseau qui incitait à la haine et sur lequel on n’hésitait pas à dire que l’homme n’était pas une femme, où l’on invitait même à manger des enfants au petit déjeuner. On avait su, grâce à une étude du Center for Countering Digital Hate qu’un mois après le rachat de Twitter par l’homme de Tesla, les messages d’insultes anti-Noirs Américains avaient bondi de 202%. Le Washington Post avait, lui, résumé un rapport de L’institute for Strategic Dialogue indiquant que le contenu pro-Hitler « atteignait les plus grandes audiences sur X (par rapport aux autres plateformes sociales) et était le plus susceptible d’être recommandé par l’algorithme du site. » On ne s’était pas soulevé en France. On regardait encore ailleurs.
Bien sûr, on savait qu’Elon Musk n’avait racheté Twitter et investi 44 milliards dedans que dans le but de faire la propagande des idées délétères d’un vieux mâle blanc patriarcal désireux de reprendre la Maison-Blanche, mais, on avait détourné la tête. Peut-être, et c’est là un grand tort, avons-nous espéré naïvement le triomphe du Bien ? Toujours est-il qu’autruches que nous sommes, nous n’avons pas voulu voir Satan aux portes de la Maison-Blanche.
Quand Musk a d’emblée viré les employés de Twitter pour y placer ses sbires, on a protesté, un peu, mais mollement. Et puis… la modération des contenus a disparu permettant à l’algorithme de mettre en avant insultes, propos réactionnaires, invectives, menaces et autres incitations à la haine. Les fake news se sont propagées à la vitesse de la lumière. C’en était fait. Le Mâle avait gagné l’Amérique. Maintenant qu’Elon Musk et l’homme aux cheveux jaunes ont racheté les États-Unis, on se réveille, toustes. On marque notre désapprobation et on rallume la lumière.
Pour ceux qui estimeraient que c’est un peu tard, il faut nous pardonner, on n’a pas vraiment vu le truc venir. On est des amateurs, en France. On a juste Vincent Bolloré qui rachète quelques chaînes de télé, un journal et une radio, c’est pas bien méchant. Toujours est-il qu’entre « twittos » (ceux qui restent sur X, anciennement Twitter) et ceux qui abandonnent le réseau, nous les appellerons les « cassos », il y a maintenant débat : « Quitter ou pas X ? » La question se pose. Avant de prendre une décision, on réfléchit. On n’est pas obligé de quitter le navire. Le tout, c’est de combattre le mal.
Les résistants de l’intérieur
Si certains ont déserté X, d’autres, parmi les politiques ou les membres de l’intelligentsia, ont fait le choix difficile d’y rester. C’est donc de l’intérieur qu’ils lutteront. Ainsi Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, et défenderesse incontestée de la liberté d’expression, a appelé les internautes à migrer vers Mastodon ou Bluesky, d’autres réseaux où l’air est encore pur et le débat possible. Elle, toutefois, demeurera sur X pour rester visible, elle l’a précisé sur… X : « Ce réseau social (X/ Twitter) est une souffrance, en tant que politique, en tant que femme, parce que c’est très violent, tout le temps. Il faut le réguler ou le fermer, mais je n’ai pas l’intention de le laisser aux haineux sinon ilsgagnent. » Charline Vanhoenacker, journaliste et humoriste de Radio France a fait un choix identique : « À titre personnel, pour l’instant, j’ai décidé de rester. Aujourd’hui, quand je poste mes chroniques sur X, j’ai l’impression d’injecter une gouttelette de service public dans la vie d’un milliardaire. Un peu comme quand Bernard Arnault contacte la Sécu pour leremboursement de ses frais médicaux. »
En avoir, ou pas ? Partir ? Rester sur X, réseau instrumentalisé à des fins politiques ? La réponse ne va pas de soi et on en débat, abondamment. Mercredi 27 novembre encore, sur France Inter, chez Léa Salamé et Nicolas Demorand, des intellectuels (Frédéric Filloux, responsable numérique aux Échos et Gérald Bronner, professeur de sociologie à Sorbonne Université) nous ont éclairés pour nous aider à trancher. Nous ne sommes pas seuls.
« Certes, nous avons été et nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi… Quoi qu’il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
A la veille de la fin du procès des assistants parlementaires européens du FN, les avocats ont dénoncé un harcèlement judiciaire disproportionné du Parlement européen à l’égard du parti de droite nationale, et un « procès politique, qui [serait] même un procès en sorcellerie »… Me Bosselut devait finalement plaider pour Mme Le Pen, ce mercredi.
Lundi, le public et les journalistes ont déserté les bancs de la salle Victor-Hugo du Tribunal correctionnel de Paris. Même Louise Neyton et Nicolas Barret, les deux procureurs acharnés, sont absents pour écouter les plaidoiries de la défense. Dont acte. Il n’y a plus d’huissier non plus. L’assistance s’autogère et l’ambiance se prête parfois à la détente quand Bénédicte de Perthuis, la magistrate qui préside le tribunal, propose des interruptions de séance. Me Wagner, toujours malicieux, l’œil vif, répond à la volée, non sans charme : « Mais nous sommes tous venus pour cela ! » Les rires parcourent alors la salle d’audience indistinctement liant le temps d’un instant toutes les parties dans un même élan fraternel. Il faut dire que ce procès entre dans sa neuvième et dernière semaine et que chacun commence à trouver le temps long.
Durant trois jours, les avocats de la défense vont se relayer à la barre pour contrer ces réquisitions, disproportionnées et infondées aux dires même de nombreuses personnalités politiques éloignées du Rassemblement national. Ainsi, la veille, François Bayrou – lui-même relaxé dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem – a rappelé dans l’émission C’est pas tous les jours dimanche présentée par Benjamin Duhamel qu’il n’y avait «aucun détournement de fonds publics» dans l’affaire des assistants parlementaires du RN. Et c’est ce que vont de nouveau démontrer, avec talent et justesse, les avocats de la défense.
«Une prévention irrégulièrement étendue »
Me Maxime Delagarde, le conseil de Timothée Houssin qui encourt 10 000 € d’amende, 10 mois de prison avec sursis, 1 an d’inéligibilité avec exécution provisoire pour son contrat d’assistant parlementaire signé avec l’eurodéputé Nicolas Bay du 01/07/2014 au 31/03/2015, rappelle que l’exploitation des « métadonnées démontre qu’il a travaillé même depuis son ordinateur personnel pour Nicolas Bay ». Il y a plus d’un millier d’occurrences en rapport avec le Parlement européen qui apparaissent dans des dizaines de fichiers différents. Ainsi, « Bruxellesapparaît 37 fois dans 15 fichiers différents ; Europarl, 40 fois dans 16 fichiers différents ; Parlement apparaît 291 fois dans 49 fichiers différents, la commission dont fait partie Nicolas Bay apparaît 411 fois dans 9 fichiers différents », etc. À cela s’ajoutent près d’une centaine de communications et SMS qui ont activé les cellules de bornage téléphonique se trouvant à Strasbourg.
Me Delagarde souligne l’irrégularité même de la saisine « aux contours particulièrement mouvants ». En effet, les annexes de l’ordonnance de renvoi (ORTC) présentent de multiples erreurs dont celle sur le montant du salaire de l’assistant qui était alors rémunéré 2300 € net par mois et non 2950 € comme il est écrit dans l’ORTC. L’avocat conteste par ailleurs « la période de prévention irrégulièrement étendue alors que Timothée Houssin n’était pas salarié de Nicolas Bay ». Fort de tous ces arguments, Me Delagarde demande la relaxe de Timothée Houssin, qui, en tant que salarié, ne pouvait avoir connaissance de la réglementation européenne, et ne peut au regard du droit être tenu responsable d’une éventuelle erreur de son employeur.
«Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien »
Me Tristan Simon, l’avocat de Julien Odoul, enchaîne sur «le cas le plus christique, i. e. symptomatique, selon le Parquet» qui a requis à l’encontre du député de l’Yonne, dix mois de prison avec sursis, 20 000 € d’amende et un an d’inéligibilité avec exécution provisoire. Me Simon conteste la lecture partiale du Parquet qui dit que le dossier ne comporte «pas un document, pas une page, pas un post-it, pas le début du commencement d’une preuve » du travail d’assistant de Julien Odoul. On constate que le Parquet est obsédé par les post-it, que chacun devrait donc conserver, quand la nature même d’un post-it est d’être éphémère ! De son côté, la défense liste les preuves de travail de l’assistant Julien Odoul : la rédaction du journal parlementaire de l’eurodéputé, de communiqués de presse, de notes d’actualité comme par exemple sur l’attentat à Charlie Hebdo, la gestion des réseaux sociaux et du site internet de l’eurodéputé, ou encore des recherches en lien avec la commission “Marché intérieur” dont était membre Mylène Troszczynski. Des SMS échangés entre les deux prévenus appuient également leur travail en commun. Julien Odoul écrit à son eurodéputé : «Pourrais-tu me redonner tes codes Twitter?» ou encore «Peux-tu m’ajouter comme administrateur de ta page Facebook?». Mylène Troszczynski lui envoie entre autres messages : «Peux-tu me prendre une clé USB?» ou encore «je suis en plénière, on se voit à 16H30.»
À l’accusation d’un travail de Julien Odoul pour le parti comme “conseiller spécial” à cette même époque, le Parquet n’a rien démontré, selon Me Simon. «Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien.» Au siège du parti, Julien Odoul travaillait «dans un bureau où il y avait écrit assistant parlementaire avec un logo du Parlement européen» sur sa porte, rappelle l’avocat. Il y a aussi des badges d’accès à son nom, comme au salon Euromaritime, qui témoignent bien de son activité d’assistant parlementaire européen. C’est la raison pour laquelle, souligne l’avocat, «le Parquet a dit que c’était de l’abus de langage de parler d’emploi fictif mais que c’est l’imputation (du travail) qui pose problème.» Mais il s’avère que le Parquet a toujours tendance à mettre l’accent sur le travail partisan, à partir de seulement un ou deux échanges montés en épingle, même quand il est fait à titre bénévole, et jamais sur le travail parlementaire effectué…
«Quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux»
Me Solange Doumic, l’avocate de l’imposant Thierry Légier venu s’asseoir sur un strapontin au plus près du tribunal, déroule une chronologie des faits implacable. De la première embauche de Thierry Légier en tant qu’officier de sécurité sous statut de fonctionnaire du Parlement européen en 1992 au dernier contrat de régularisation, contrat qui est un faux contrat réalisé par le Parlement européen lui-même pour régulariser des erreurs de dotation, chaque époque témoigne du fait qu’au contraire des dires du Parquet, le Parlement européen savait pertinemment les doubles fonctions de Thierry Légier incluant celle d’officier de sécurité, auprès de Jean-Marie Le Pen, puis de Marine Le Pen.
Ancien parachutiste d’un corps d’élite, militaire décoré, Thierry Légier a toujours été l’homme de l’ombre. Plus qu’un simple garde du corps, c’est par lui qu’on passe quand on veut échanger en toute discrétion avec les membres du FN. En effet, «quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux», alors les rencontres avec Bernard Tapie, des ambassadeurs, des directeurs de services, des membres d’autres partis, ou même du gouvernement, se font en toute discrétion, et via Thierry Légier, véritable et discrète «courroi de transmission ». Outre que son salaire de 4000 € par mois illustre le fait qu’il était plus qu’un simple garde du corps, de nombreux témoignages attestent de son activité d’assistant au sein même du Parlement européen. De fait, Thierry Légier a toujours exercé ses fonctions d’agent de sécurité en toute transparence. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il déposait son arme à l’entrée du Parlement ? Sous la férule de la peine demandée par le Parquet de 18 mois de prison avec sursis, l’agent de protection rapprochée armé perdrait immédiatement le droit de travailler. En effet, pour exercer cette fonction, le casier judiciaire doit être vierge. Cette inscription serait donc «sa mort professionnelle immédiate». Quant à la peine de deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, elle vient encore une fois rappeler la foire de gros pratiquée par des réquisitions non individualisées, sachant que Thierry Légier n’a aucune ambition politique. Comme le résume clairement Me Solange Doumic, dans ce dossier, «on est sorti du raisonnable.»
«Si on charge Van Houtte, on les charge tous »
Me Laguay pointe lui aussi les conséquences irréparables de ces réquisitions. « Pour M. Van Houtte, c’est sa vie. Vous avez sa vie entre vos mains » argue l’avocat belge de Charles Van Houtte. En effet, l’ancien assistant parlementaire belge est le seul qui risque de faire réellement un an de prison au vu de l’application des peines en Belgique, et cela «en raison d’une décision d’un tribunal français alors qu’il était assistant parlementaire accrédité belge au Parlement européen situé en Belgique». Celui que le Parquet a qualifié d’«interface» ou «Monsieur vases communicants» en raison «d’une quinzaine de mails analysés, disséqués» sur des milliers d’autres, travaillait pourtant en parfaite collaboration avec les fonctionnaires du Parlement européen, comme en témoignent de multiples courriels échangés. Le chef de service chargé de la délégation française au Parlement européen, M. Antoine-Poirel, évoque ainsi les réunions communes et remercie à plusieurs reprises Charles Van Houtte, ainsi que le tiers-payant, pour leur collaboration efficace dans l’enregistrement des contrats des assistants parlementaires et la gestion des dotations afférentes. Au reste, Me Laguay a démontré lui aussi le manque de rigueur de la prévention, élargie au doigt mouillé à des périodes où Charles Van Houtte n’avait pas la gestion administrative desdits contrats. «Mon sentiment, c’est qu’il faut charger Van Houtte, car si on charge Van Houtte, on les charge tous.»
Un «procès politique, qui est même un procès en sorcellerie»
Me Dassa-Deist, avocat du RN et de son trésorier Wallerand de Saint-Just, dénonce à ce titre la partialité du réquisitoire : «J’ai assisté à un manifeste politique». En effet, quoique produise la défense, «c’est suspect.» Un document présenté comme rédigé par un assistant mais SANS sa signature, «c’est suspect». Un autre document rédigé par un assistant AVEC sa signature, «c’est suspect». Un témoignage présenté en faveur du travail d’un assistant, «c’est suspect». Un courriel échangé entre un assistant et son député, «c’est suspect». Un constat d’huissier constatant la communauté de travail entre un député et son assistant, «c’est suspect». Un badge au nom d’un assistant à un salon européen, «c’est suspect». Quoique présente la défense comme preuves de travail, «c’est suspect» ! Tout est suspect peut-être tout simplement parce que pour l’accusation, être nationaliste et s’opposer à la dérive fédérale de l’Union européenne, «c’est suspect ».
Ainsi «ce procès politique, [serait] même un procès en sorcellerie». Tous au goulag ? De fait, même les opposants à Marine Le Pen sont bien obligés d’en convenir. Le dernier en date, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste, en témoigne lui-même dans Le Figaro daté du 25 novembre : « Marine Le Pen subit un harcèlement judiciaire disproportionné ».
Malgré cet acharnement, force est de constater, que plus les européistes veulent bâillonner les élus nationalistes, plus les électeurs leur accordent leur confiance. En démocratie, l’électeur reste in fine le juge suprême.
Censure du gouvernement. Alors que le petit microcosme politico-médiatique s’inquiète des conséquences d’un possible départ de Matignon de Michel Barnier, c’est tout comme s’il feignait d’ignorer la menace russe, autrement plus terrifiante, regrette notre chroniqueur.
Michel Barnier promet « la tempête » s’il devait « tomber ». C’est le message qu’il a fait passer, mardi soir sur TF1, pour mettre en garde contre une motion de censure qui le pousserait à démissionner.
Anomalies
Mais cette perspective est anecdotique à côté de la guerre mondiale contre la Russie et ses alliés qu’attise, dans son coin, Emmanuel Macron. Une politique démente se met en place par le président esseulé, apparemment fasciné par le chaos qu’il a créé depuis le 10 juin et sa dissolution irréfléchie de l’Assemblée nationale. Cette diabolique course à l’abîme, censée replacer le chef de l’État au centre de tout, s’auto-alimente à l’Élysée dans l’indifférence du « microcosme parisien », justement mis en cause par le Premier ministre. Mais lui-même fait partie de cette oligarchie, en dépit de son adresse, hier, au bon sens des Français.
Sa désignation parmi un parti minoritaire (47 députés) a été le résultat d’une anomalie démocratique. Son silence sur l’escalade belliqueuse de Macron confirme son peu d’entrain à « tourner la page » en apportant les « ruptures » qu’il avait promises le 5 septembre. Une excessive prudence a amené Barnier, assurément honnête homme, à assumer une continuité avec le vieux monde politique coupé des gens ordinaires. Son sort est, plus que jamais, entre les mains du RN. Ce parti semble prêt à se joindre notamment à LFI, en dépit de ses outrances pro-djihadistes et antisémites, pour sanctionner le gouvernement sur son budget. Toutefois la question est moins la survie politique de Barnier que celle de Macron. Il est urgent d’empêcher un forcené de continuer à jouer avec des allumettes sur un baril de poudre.
Jean-Noël Barrot mobilisé
Sans aucun débat, ni parlementaire ni médiatique, le président de la République, plus Ubu Roi que jamais, a décidé de mettre les pas de la France dans ceux des néoconservateurs anglo-saxons contre la tyrannie de Vladimir Poutine. Alors que Donald Trump vient de se faire élire sur une promesse de paix entre les deux frères ennemis, Joe Biden et son allié britannique font visiblement tout pour attiser l’irrémédiable avant le 20 janvier, date d’entrée en fonction de Trump. Poutine n’est pas le dernier à jeter de l’huile sur le feu, en menaçant d’une 3ème guerre mondiale nucléaire. Dès à présent, certains pays européens (Allemagne, Suède, Finlande, etc.) s’inquiètent de l’état de leurs abris antiatomiques et des protections civiles à apporter aux populations, en cas de montée en puissance du conflit. La France reste, elle, indifférente à ces inquiétudes. Samedi, sur la BBC, Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, a donné son feu vert à l’Ukraine pour l’usage de missiles français à longue portée afin de frapper le territoire russe. Il a également confirmé la possibilité d’une mobilisation de troupes françaises sur le sol ukrainien. L’ombre de la guerre ne cesse de grandir sur une France désarmée (la défense ne pourrait tenir que quelques jours), qui se laisse de surcroit envahir par l’islam conquérant et le narcotrafic, deux menaces qualifiées d’ « existentielles », ce mercredi matin sur Europe 1, par la magistrate Béatrice Brugère. Un va-t-en-guerre désœuvré et, semble-t-il, psychologiquement fragile est à l’Elysée. La tempête, que redoute Barnier, est déjà là. C’est pourquoi Macron doit partir.
MeToo a libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. Mais la lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice.
À la fin du réquisitoire, tous les journalistes sont sortis de la salle d’audience du tribunal de Paris. Il était 22 heures, ce 26 septembre, leur religion était faite, leur sentence, prête. L’avocate de Nicolas Bedos a donc plaidé dans une salle désertée par les médias. Il y a là plus qu’un symbole, une métonymie, un détail qui raconte l’ensemble du tableau. À l’âge MeToo, la parole d’un homme accusé ne vaut rien. Pire, le type qui se défend est un salaud. Ainsi quand Julien Bayou, ex-étoile montante des Verts persécuté par une meute d’ex, furieuses d’avoir été quittées, trompées ou négligées, porte plainte contre une de ses accusatrices, Sandrine Rousseau dénonce « un climat très fort d’intimidation ». Quand une femme porte plainte, elle libère sa parole, quand un homme porte plainte, il intimide. La parole des hommes, on l’a entendue des siècles durant. Alors maintenant fermez-là et demandez pardon.
Nicolas BedosJulien BayouJoey StarrGérard DepardieuSYSPEO/SIPA – Jacques Witt/SIPA – Daina Le Lardic/ /SIPA – Laurent Vu/SIPA
À charge et à décharge : c’est le principe cardinal d’une justice équitable. On se demande parfois si la défense intéresse vraiment les magistrats, prompts à balayer, dans l’affaire Bedos et d’autres, tout ce qui pourrait bénéficier au prévenu, singulièrement le doute. De toute façon, cette défense est par avance discréditée, méprisée, ignorée par les véritables juges, ceux qui peuvent condamner à la peine de mort sociale et le font à tour de bras, avec une jubilation suspecte. Avec ses imperfections et ses garanties, la vieille justice démocratique préfère (préférait ?) un coupable en liberté à un innocent embastillé. La justice révolutionnaire de MeToo fonctionne selon des principes strictement inverses : présomption de culpabilité, enquêtes à charge, instruction à ciel ouvert. Or, la justice médiatique contamine celle des prétoires. Les juges ne sont pas connus pour leur anticonformisme. Ils épousent volontiers la cause des femmes, pas seulement parce que la plupart des juges sont des femmes, mais aussi parce que cette cause avance drapée dans des considérations compassionnelles qui promettent des témoignages bouleversants, des salles d’audience où on entend voler les mouches, des récits douloureux, des procès pour série Netflix. Le matin du procès pour agressions sexuelles de Gérard Depardieu (finalement renvoyé), entre autres délicatesses, L’Est républicain publiait un édito titré « Le procès d’un monstrueux malade ». Quel tribunal oserait laisser en liberté un « monstrueux malade » ?
Une petite nébuleuse de journalistes (au féminin pour l’essentiel) qui constituent le commandement invisible et informel de la Révolution néo-féministe se fait un devoir de fouiner, de traquer les petits travers et les grands manquements dans les vies privées d’hommes trop puissants, trop talentueux, trop fanfarons, trop décontractés du gland. Le succès est une insolence, l’errance sexuelle, une insulte aux femmes et un outrage à la morale publique. Elles recourent à la délation, sanctifiée en libération de la parole, de sorte qu’une accusation en suscite dix autres – Moi aussi, je souffre ! Le plaisir évident que ces dames-patronnesses prennent à faire chuter des idoles et détruire des existences, leur absence totale de compassion pour le pécheur à terre, restent un mystère. On pense à ces apparatchiks capables d’envoyer leur voisin ou leur frère au goulag sans sourciller ou aux inquisiteurs convaincus de faire le bien des hérétiques qu’ils torturaient. La souffrance des femmes, réelle, inventée ou exagérée, semble absorber toute leur capacité d’empathie. Tout de même, la sollicitude dégoulinante dont ces meutes justicières accablent les plaignantes, les persuadant qu’elles ont subi un traumatisme irréparable et les condamnant au statut éternel de victime, contraste singulièrement avec leurs babines retroussées devant un homme à terre. Comment pouvez-vous plaindre ces puissants face à de pauvres créatures rescapées du patriarcat, traumatisées par une vie d’humiliation ? Ils ont bonne mine les puissants, à tourner en rond chez eux, désemparés ou terrorisés. D’après un ami qui a assisté à l’audience Bedos, le cinéaste et son entourage paraissaient accablés, pendant que les deux plaignantes et une troisième femme qui témoignait en leur faveur riaient et faisaient les belles, visiblement enchantées d’être le centre de tant d’attentions.
Le 22 octobre, tout ce petit monde, galvanisé par une meute de tricoteuses numériques, ne cache pas sa joie à l’annonce du jugement. Jamais un tribunal n’a eu la main aussi lourde pour des faits aussi dérisoires. Le comédien est condamné à un an de prison, dont six sous bracelet électronique ainsi qu’à une obligation de soin – il a reconnu boire plus que de raison. Preuve qu’on veut vraiment l’humilier, le jugement est exécutoire, ce qui n’arrive jamais pour les primo-délinquants. Quand tous les jours, des petits anges autrement plus dangereux sortent du tribunal libres et vierges de toute condamnation, il y avait urgence à embastiller l’auteur de La Belle Epoque. C’est que c’est grave. Il y a eu un soir de 2023 un baiser non consenti dans le cou à une serveuse et, un autre soir, au cours d’une bousculade dans la même boite de nuit, un attouchement de quelques secondes sur un entrejambe féminin (par-dessus un jean) dont il n’existe pas la moindre preuve. Des incidents qui auraient dû se solder par une paire de baffes et/ou des fleurs et des excuses. Un baiser volé dans une boite de nuit, ça peut être énervant, déplaisant, dégoûtant même. Mais humiliant, terrifiant au point de ne pas en dormir la nuit ? À l’époque, la serveuse avait commencé un mail à Bedos. Elle lui disait que, pour elle, ça allait mais qu’il devait se méfier de ses excès, avec d’autres ça pourrait faire des histoires. Elle voulait qu’il continue à faire du cinéma. Le brouillon de ce mail, qu’elle n’a jamais envoyé, a été lu à l’audience. Aujourd’hui, elle est traumatisée par ce baiser volé. Et tout le monde feint de la croire. On n’a pas fait le procès d’un agresseur sexuel, mais celui d’un « gros con », d’un mufle de compétition, ce qui n’est pas un délit pénal. Ou on finira aussi par créer un délit d’infidélité conjugale. Il boit trop, il parle trop, il touche trop, ça ne fait pas de lui un agresseur sexuel. « Nicolas peut être pathétique mais quand il a bu, si on le touche, il tombe », résume un de ses amis. On attend que le cinéma, l’art et les boites de nuit soient réservés à des premiers prix de vertu, sans fêlure et sans excès. La plupart des êtres humains, heureusement, cachent quelques cadavres dans leurs tiroirs intimes. C’est précisément avec quoi que la Révolution néo-féministe veut en finir. Elle veut nous délivrer du mal et du mâle. Puisque la chair est sale et, pire encore, inégalitaire, finissons-en avec ses tourments. Revenons au paradis perdu, quand les hommes et les femmes n’avaient pas encore découvert qu’ils aimaient faire des cochonneries. D’où la réaction un brin drama queen de certaines femmes, comme si en les touchant, même accidentellement, un homme souillait un temple inviolable.
Pour le chœur des vierges médiatiques, « Femmes, on vous croit ! » signifie « Hommes, vous mentez ! » Certains avocats de la glorieuse libération MeToo, comme Caroline Fourest, dénoncent aujourd’hui ses dérives, et sont pour cela accusés des pires péchés, comme celui d’être de droite (voir l’article de Yannis Ezziadi). Pour ma part, j’attends toujours qu’on me montre les rives riantes que l’on aurait accidentellement quittées. Tout incline plutôt à penser que MeToo est un bloc et que la mutation terroriste actuelle était programmée dès le premier tweet appelant à la délation. Bedos a d’ailleurs écrit en 2017 un texte prémonitoire à ce sujet, sans toutefois en tirer toutes les conséquences puisqu’il a continué à adorer publiquement la grande avancée de la parole libérée[1]. Il raconte dans ce texte qu’une journaliste de sa connaissance lui demande sur Facebook s’il n’aurait pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». Il lui répond : « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non ». Elle insiste : « Même pas un dérapage? Vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, un pelotage de nichons, une grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte… ». Il lui faut quelque chose : « Votre nom ne sera pas cité… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira. ». Un seul nom suffira. Un nom n’a pas suffi. Les dieux de ce féminisme sinistre et revanchard ont soif. Il leur faut sans cesse du sang neuf. Les charrettes se succèdent, la liste noire s’allonge. Tout épisode de drague peut être remonté en agression sexuelle, tout coup d’un soir, relooké en viol. Toutes les chapelles et toutes les générations du spectacle sont touchées, même les morts. C’est maintenant aux sportifs d’y passer. Deux joueurs de rugby français accusés de viol en Argentine sont immédiatement lâchés par la Fédération et par L’Equipe. On ne connait pas le dossier, il n’y a aucune preuve mais ils sont forcément coupables. Quand il s’avère qu’ils ont été piégés, tout ce beau monde change de pied : tout de même, ce n’est pas bien de se saouler en boite quand on représente la France. Voilà nos gars promus ambassadeurs. Un puritanisme peut en cacher un autre : comme on ne peut sans doute pas inscrire l’interdiction de forniquer dans leur contrat (ce serait contraire à la dignité humaine, non ?), on va leur interdire de picoler. La troisième mi-temps, désormais, ce sera une tisane et au lit. Remarquez, ils ont de la chance, ils pourront rejouer au rugby.
Dans l’industrie du rêve, comme dans la politique, ça ne marche pas comme ça. Toute inconduite, réelle ou supposée, peut valoir perpète. Dans le cas Bayou, le comité d’épuration du Parti ayant fait chou-blanc, les Verts ont confié le dossier à un cabinet privé qui n’a pas trouvé de preuve de « violences psychologiques ». «L’enquête n’a manifestement pas été un cadre permettant de faire avancer suffisamment l’enquête», a bredouillé Rousseau. Mais rien n’est perdu, il y a encore des plaintes en justice, des militantes pas contentes. Elle trouvera autre chose mais elle ne lâchera pas avant de piétiner le cadavre. Pour Bayou, la politique, c’est fini. Tant mieux pour lui.
Dans le cinéma, le bannissement est immédiat et automatique. Avant d’embaucher un comédien, on mène des enquêtes sur son passé, pour être sûr que le souvenir d’une soirée de débauche ne viendra pas gâcher la promotion du film, alors une plainte même classée, on ne peut pas prendre le risque. Dans la liste de proscription, certains ont été condamnés, d’autres relaxés, et d’autres encore, comme Edouard Baer n’ont jamais été poursuivis. Il y a peut-être dans le lot, quelques vrais prédateurs, à l’image de ce prisonnier connu dans toute la Kolyma parce qu’il avait vraiment conspiré contre le Parti. Le féminisme révolutionnaire ne s’embarrasse pas de distinction. Qu’ils aient effleuré un sein ou agressé une stagiaire, le tarif est le même : tous leurs projets s’arrêtent du jour au lendemain, les messages gênés affluent sur leur écran. Leur nom devient radioactif. « Si on avait su, on aurait vraiment violé », ironise l’un deux. On parle de bannissement et de mort sociale. Ces mots peinent à dire ce que ressent un homme en pleine possession de ses moyens quand il n’a plus le droit de faire son métier, soit parce qu’il a commis une peccadille soit parce qu’il a été faussement accusé. Ce sont aussi une famille, des proches, des enfants qui se retrouvent piégés dans une prison invisible. Le plus dur, c’est de ne pas savoir si la peine finira un jour, si on sera un jour réintégré dans le monde des vivants. En d’autres temps, on pouvait fuir le scandale, partir refaire sa vie aux colonies ou ailleurs. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ailleurs. Internet réalise un rêve policier : un fichage éternel et planétaire. Cette injustice féroce d’une mise au ban qui peut frapper n’importe qui devrait provoquer une vague de colère et de protestation. Elle prospère sur la lâcheté. Tout le monde savait que le communisme mentait mais il a tenu par la peur. C’est la même chose avec MeToo. La plupart des gens ordinaires savent que la vie n’a rien à voir avec les histoires de petites filles et de vampires qu’affectionnent les vestales militantes. Dans le public et dans le métier, la condamnation de Nicolas Bedos a fait l’effet d’une bombe. Sa compagne Pauline Desmonts et lui ont reçu des centaines de messages de soutien, d’anonymes, de de gens du métier, de politiques. Aucun ou presque n’a osé s’exprimer publiquement. Il est vrai qu’ils ne risquent pas seulement de ne plus être persona grata sur France Inter, mais d’être à leur tour la cible d’accusations, comme l’ont été les signataires de la tribune Depardieu, de froisser les plates-formes (Amazon, Netflix etc) qui financent leurs films ou de voir des comédiens les lâcher. Je suis de ton côté, mais tu comprends, c’est compliqué. Oui, j’ai peur de comprendre. C’est humain. Le totalitarisme aussi, c’est humain.
[1]« Un seul nom me suffira », quand la libération de la parole vire à la guerre des sexes, Huffington Post, 2 novembre 2017.
Le quotidien de gauche se fait l’écho des inquiétudes de clandestins sous OQTF, mais passe sous silence bien d’autres angoisses hexagonales.
Cela ne se sait sans doute pas assez, mais les journalistes de Libération sont des modèles vivants de compassion. Ils en ont récemment administré une preuve supplémentaire dans un papier-enquête intitulé « La vie sous OQTF », article signé Rachid Laïrech, publié le 10 novembre[1]. La vie évoquée est celle de Sylla, Malien sans papiers en France depuis dix ans « qui charbonne dans la restauration, loue une chambre à son oncle en Seine-et-Marne. » Et qui très certainement ne doit son classement OQTF qu’à la malveillance raciste des autorités. « Sylla a peur », écrit le journaliste. Cela sonne à nos oreilles un peu comme le glaçant « La France a peur » de Roger Gicquel ouvrant par ces mots le vingt-heures de TF1 le 18 février 1976 après l’assassinat du petit Philippe Bertrand. Sylla a peur, donc. « Il pose ses deux mains sur son visage. Un geste qui raconte un tas de sentiments ». (Les sentiments, en tas, rien de plus oppressant, faut-il reconnaître). Il est épuisé. Il doute aussi, le commis de cuisine. Lui revient en mémoire une scène qui « a bousillé son quotidien ». Qu’on en juge. Depuis les exactions de la Gestapo on n’avait jamais connu pareille cruauté, semblable arbitraire. « Un soir de printemps, à Paris, après une longue journée de turbin (Serait-il un brin sur-exploité notre travailleur malien ?) le sans-papiers fume une clope devant la gare du Nord. Trois policiers se tiennent devant lui. Contrôle d’identité. » Trois bousilleurs de quotidien d’OQTF ayant probablement aux lèvres l’écume de la haine la plus féroce. L’horreur, la barbarie d’État dans toute sa fureur. Comment se relever d’un tel traumatisme ? Comment surmonter cette agression sans nom : se faire contrôler son identité, à Paris en plein XXIème siècle ? Depuis, nous conte Libération, le longiligne trentenaire « a la trouille au ventre » chaque fois qu’il croise une patrouille de gestapistes – pardon de policiers français, je me suis laissé emporter. « La peur d’être rattrapé par une politique migratoire forcenée ». Forcenée, autrement dit démente, pathologique, obsessionnelle, névrotique. Lisant ces lignes, la gorge se serre, les larmes ne sont pas loin. D’autant plus qu’il s’agirait d’un « bon gars, toujours à l’heure, efficace et qui met une bonne ambiance dans la cuisine », plaide son employeur qui ne comprend décidément pas pourquoi « on fait chier des types comme lui. » C’est vrai, ça ! Pourquoi aller demander des papiers à ceux qui n’en ont pas ? On ne fait pas pire en matière de persécution.
Bouleversé par tant de sollicitude journalistique, je me suis mis à guetter les livraisons suivantes du quotidien. J’attendais une enquête digne de ce nom, une série d’articles sur la peur. Je me disais, demain peut-être, lirai-je un papier lui aussi débordant d’émotion sur la frayeur des étudiantes de l’université Dauphine s’en revenant de leurs cours, tout près du Bois de Boulogne ? Ces jeunes filles, condisciples de Philippine, violée, assassinée par un OQTF récidiviste. Peut-être évoquera-t-on dans un numéro prochain la peur qui étreint désormais le Juif de France se rendant à la synagogue ou vaquant à ses occupations. La peur des parents dont le gamin est de sortie pour une fête, un bal le samedi soir du côté de Crépol ou de Saint-Péray ou partout ailleurs en France. La frayeur de la secrétaire qui quitte son travail à la nuit tombée pour gagner à pied sa station de bus. La peur quotidienne, permanente des désargentés condamnés à affronter des cages d’escalier coupe-gorge pour, tout simplement, rentrer chez soi. La sourde appréhension encore du commerçant qui ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand il ouvre son tiroir-caisse. L’angoisse sourde, elle aussi permanente, des policiers, des gendarmes, de leur famille, de leurs proches, lorsqu’ils bouclent leur ceinturon pour aller assurer – ou tenter d’assurer – notre sécurité.
Ai-je besoin de préciser que je n’ai pas trouvé une ligne, un mot dans Libération sur ces peurs-là, pourtant si largement répandues aujourd’hui chez nous ?! Peurs blanches… Trop blanches, sans doute.