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Faut-il canoniser Charles de Gaulle?

Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.


À Bruxelles le pape François a annoncé qu’il engagerait un processus pour canoniser Baudoin, ex-roi des Belges, qui préféra abdiquer plutôt que de promulguer une loi autorisant l’avortement. Preuve que désormais, le Vatican fait son emblème du refus strict des « droits sociétaux », en même temps d’ailleurs que de la défense de l’immigration, peu importe d’où elle vienne et comment elle vient. Selon ce que le pape donne à voir de sa vision du monde, l’humanité est faite d’individus qui en sont membres directement, dès la conception et avant d’être rattachés à aucune société et à aucune nation. Cet irréalisme dogmatique contribue à la marginalisation du catholicisme, voire à son effacement.

Le pape actuel s’est montré ouvert à la reconnaissance des couples hors norme (homosexuels, ou engageant des divorcés). Il admet des évolutions sociales si elles n’offensent pas la nature, mais il voit aussitôt le meurtre derrière l’avortement. Il n’est pas surprenant qu’il hésite davantage à propos de la condition des femmes. Difficile en effet de rapporter la différence des sexes uniquement à la nature ou seulement à la société, aux mœurs et aux institutions.

Il est vrai que l’avortement peut être jugé comme un meurtre, puisque c’est l’interruption d’une vie qui, pour n’être qu’esquissée, est celle d’un nouvel individu. Mais les choses se compliquent si l’on se rappelle que dans aucun pays, la vie humaine n’est intouchable. En Europe, la peine de mort a été abolie récemment mais nulle part, et selon la morale chrétienne elle-même, la légitime défense n’est proscrite, même si son usage est contrôlé par les tribunaux. Un certain réalisme s’oppose à l’absolutisation des principes, donc à leur rattachement direct à la nature : l’avortement quand on l’a vraiment empêché, a entraîné des abandons d’enfants et leur enrôlement dans des institutions autoritaires et intéressées.

L’annonce de la canonisation royale ne semble pas avoir été reçue favorablement, ni en Belgique ni ailleurs, comme si l’institution n’arrivait plus à communiquer avec le monde ambiant, à produire de l’exemplarité. De cela on voit un signe, une preuve même, dans les canonisations en série de souverains pontifes récemment décédés : on ne sort pas du cercle. Mais c’est le sens même de la canonisation qui est en cause : ne peut-elle pas être autre chose que la désignation par l’autorité d’un modèle pour le peuple chrétien, puis l’implantation de ce modèle, comme un greffon, dans la culture commune ?

D’un fonctionnement différent et même opposé on a un exemple dans le cas de Jeanne d’Arc. Celle-ci a été reconnue et célébrée en dehors de l’Église bien avant d’être béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Condamnée par un tribunal ecclésiastique aux ordres en 1431 « la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen » (François Villon) a été réhabilitée en 1456, après que Charles VII l’eut emporté, puis oubliée par la monarchie. C’est un historien de la Révolution, Michelet, qui dans les années 1840 en a fait une héroïne nationale dans son Histoire de France. Et c’est Péguy qui, à la veille de la Guerre, l’érigea en sainte en méditant sur son action, sur « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc ». Le « succès » de cette canonisation, d’abord laïque puis chrétienne, d’abord externe puis interne à l’institution, tient évidemment à une certaine pertinence historique de cette vie et de cette mort où beaucoup de Français lisaient le sens de leur histoire.

La canonisation de Jeanne d’Arc n’a sans doute pas été beaucoup plus qu’un peu d’eau bénite au bout d’un processus essentiellement national. Il est révélateur que, dans ce cas, l’autorité romaine n’ait pas fait dépendre sa décision, comme c’est en principe la règle, d’un nombre de miracles reconnus, comme si le sens de l’événement Jeanne d’Arc lui échappait, celui d’avoir illustré le rapprochement des deux France et aidé le pays à faire face aux épreuves du « premier xxe siècle ».

La « canonisation à plusieurs voix » de Jeanne d’Arc participait de ce que l’on a appelé la « catho-laïcité » française. Mais, l’ancien conflit étant terminé, il s’agit aujourd’hui, non pas de surmonter une division séculaire, mais de prendre de front une question lancinante : l’hésitation du pays entre l’universalité économique, politique et morale, à quoi il participe et veut participer, et le besoin pour la nation d’avoir non seulement un espace mais aussi une action qui lui soit propre, dont elle détermine elle-même l’orientation, désespérant souvent d’y parvenir. Dans ces conditions, il s’agit, si l’on veut canoniser, moins de célébrer un exploit que de présenter un modèle d’exigence. Dans un monde sécularisé peut s’engager un changement de sens du mot canonisation : il consacrait une fidélité active à la règle, il peut désigner le courage d’affronter la question ultime, celle que pose l’existence même de l’humanité et du monde, en particulier à un de ses points d’émergence, l’appartenance à un peuple, à une nation en même temps qu’à l’humanité en général.

Un personnage peut incarner cette exigence inquiète, Charles de Gaulle que tout le monde invoque rituellement avec plus de nostalgie que de conviction. L’épiscopat français pourrait demander à Rome qu’un « procès informatif » soit engagé qui pourrait aboutir à une béatification. De Gaulle étant le personnage central de notre xxe siècle, il s’agirait d’interroger sa vie et en même temps de nous interroger nous-mêmes. La canonisation à l’horizon du processus ne saurait évoquer une mise au pinacle, la fabrication d’une effigie, d’un fétiche, mais un mouvement vers une représentation plus exigeante de nous-mêmes. La référence chrétienne qui sous-tend le mot canonisation ne peut dans ces conditions renvoyer à une affiliation, mais indiquer qu’il faut aller au bout des questions posées, de l’interrogation à entreprendre sur l’objet historique à quoi nous participons, grâce aux questions sur la vie du héros qui l’a dirigé et qui l’incarne.

Israël, Netanyahou et le harcèlement organisé: quand les ennemis d’Israël jubilent

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Alors que les combats reprennent de plus belle en Syrie, où la seconde ville du pays, Alep, vient d’être reprise par les rebelles, et alors que le cessez-le-feu est déclaré au Liban, les grandes instances internationales comme l’ONU ou la CPI semblent s’acharner à faire de l’État hébreu un paria.


La condamnation judiciaire de Benjamin Netanyahou a offert un prétexte rêvé aux relais des mouvements islamistes en Occident pour afficher une joie triomphante. Mais derrière cette apparente satisfaction, se cache une détermination renouvelée à attaquer Israël et son droit à se défendre et à exister. Cette situation s’inscrit dans un contexte où Israël, seul au monde à devoir justifier sa légitime défense, fait face à des accusations démesurées et à une focalisation injuste, notamment de la part de la Cour pénale internationale.

Une justice à géométrie variable

Alors qu’Israël vient de réduire significativement les capacités militaires de nuisance des mouvements islamistes comme le Hamas, le Hezbollah, et des régimes qui les soutiennent, tels que l’Iran, c’est paradoxalement l’État hébreu qui devient la cible privilégiée des instances internationales.

La CPI, qui n’a jamais condamné les crimes de Bashar el-Assad en Syrie, les exactions des mollahs iraniens, ni celles des talibans afghans, concentre pourtant ses efforts sur Israël. Ce même Israël qui, face à des ennemis jurés prônant sa destruction, s’efforce depuis toujours de limiter les pertes civiles dans des situations de guerre.

Comment expliquer ce traitement à part ? Les actions d’Israël, pourtant justifiées par son droit à la légitime défense, sont systématiquement scrutées, jugées et dénoncées par une coalition informelle composée d’organisations internationales, d’ONG, de personnalités influentes et de mouvements politiques de la gauche extrémiste.

Pendant ce temps, les crimes massifs commis ailleurs, souvent avec une violence inouïe et sans retenue, restent dans l’ombre.

La stratégie des mouvements islamistes : instrumentaliser la justice internationale

Les mouvements islamistes et leurs relais occidentaux exploitent ces condamnations pour alimenter leur propagande. Leur objectif n’est pas la justice ou la défense des droits de l’homme, mais bien de délégitimer Israël et de renforcer l’idée qu’il est un « État paria ».

L’acharnement contre Netanyahou devient alors un moyen de stigmatiser tout un peuple, tout un État, et, par extension, le droit des Juifs à se défendre. Cette campagne est orchestrée avec une efficacité redoutable, combinant des narratifs émotionnels, des appels à la justice sélective et une rhétorique de victimisation manipulée.

L’ONU et les « humanistes » : des complices volontaires ?

L’Organisation des Nations Unies, certaines associations dites « humanitaires », ainsi que de nombreuses personnalités artistiques ou politiques, jouent un rôle actif dans ce harcèlement organisé. Leurs discours et leurs actions, sous couvert de défense des droits humains, servent en réalité une cause idéologique bien précise : celle de l’affaiblissement d’Israël sur la scène internationale. Ces acteurs ignorent délibérément les efforts continus d’Israël pour épargner les civils lors de ses opérations militaires. Ils ferment les yeux sur le fait qu’Israël affronte des adversaires qui, eux, utilisent délibérément des populations civiles comme boucliers humains, violant ainsi toutes les conventions internationales.

Un harcèlement coordonné

Ce que nous observons, c’est une campagne globale, presque une forme de harcèlement en bande organisée. Israël, Benjamin Netanyahou et, par extension, tous les Juifs deviennent des cibles d’une coalition idéologique unie par son opposition à l’État hébreu. Cette campagne associe des institutions internationales, des ONG, des artistes, et des militants politiques, tous alignés pour délégitimer Israël.

A lire aussi, Hillel Neueur: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Et pourtant, cette focalisation est tout sauf normale. Elle révèle une dérive profonde dans l’ordre moral et juridique mondial. Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, se voit traité comme un État voyou, tandis que les régimes autoritaires les plus violents bénéficient d’une relative impunité.

Refuser la normalisation de l’acharnement

Il est temps de dire non à cette normalisation d’un traitement injuste et discriminatoire. Non, il n’est pas acceptable que des institutions internationales soient instrumentalisées pour stigmatiser Israël. Non, il n’est pas acceptable que des personnalités publiques et des organisations prétendument humanistes alimentent une rhétorique de haine déguisée en combat pour la justice.

Ce harcèlement organisé ne vise pas seulement Netanyahou ou Israël. Il attaque les principes mêmes de justice et d’égalité devant le droit. Si nous acceptons ce ciblage systématique, nous abandonnons les valeurs fondamentales de vérité, d’équité et de défense des droits universels.

Israël continuera à se défendre, non seulement sur le champ de bataille, mais aussi sur celui des idées. Et nous devons, à notre tour, dénoncer cette hypocrisie et ce deux poids, deux mesures qui affaiblissent la cause de la paix et de la justice.

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Au cabaret de la chance

Éric Poindron publie Au cabaret des oiseaux et des songes. Cet écrivain sensible nous rappelle que les oiseaux annoncent le soleil, la pluie, et parfois le vent mauvais


En lisant le singulier livre d’Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, édité par Le Passeur, je me suis mis à fredonner la chanson d’Yves Montand, « Au cabaret de la dernière chance » (paroles de Pierre Barouh / musique d’Anita Vallejo) qui commence ainsi : « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts / Et ceux qui vivent les yeux fermés ». Poète, éditeur, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Éric Poindron n’est pas homme à vivre les yeux fermés, bien au contraire. Il ne cesse de voir, mais aussi d’écouter, toucher, goûter, sentir, et cette symphonie des sens nourrit sa réflexion buissonnière, pour notre plus grand plaisir.

Son récit, ponctué d’aphorismes, de citations et d’extraits de poèmes, nous conduisent à quitter la ville et ses acidités, comme eût dit Charles Trenet. On retrouve cette terre miraculeuse, l’enfance, peuplée de rêveries célestes, de vallons verdoyants et de gens heureux parce qu’ils refusent de croire au malheur. Avec Éric Poindron, nous ouvrons la fenêtre et l’air libre électrise nos neurones. Les paysages de France se déploient devant nos yeux d’humains fatigués par la grisaille des idéologues, « contamineurs » de mots séculaires. On finit la soirée dans ce cabaret sans toit, éclairé par les étoiles. Puis on reprend la route au petit matin, frais comme un gardon. On suit Poindron, marcheur rousseauiste infatigable, sur les chemins des Cévennes, de l’Yonne, de la Lozère, de l’Ardèche ; il ne manque aucune conversation entre les oiseaux. Car il les aime, ces oiseaux qui annoncent le soleil, la pluie, le vent parfois mauvais. Poindron note : « Alors, dès mon jeune âge, j’ai décidé d’être un oiseau. Je voulais fuir l’école, raconter des histoires à mon rythme et me baigner dans l’océan jusque tard dans la saison. J’y suis parvenu. Mes rêves sont intacts. » Nous les découvrons avec ses digressions qui irriguent le livre. Comme nous découvrons, dans la préface signée Denis Grozdanovitch, que son ami et éditeur, Jean-Yves Clément, entretient « des rapports cabalistiques avec les pies malicieuses ».

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Vous l’aurez compris, ce livre est un livre de copains, pour de futurs copains. Poindron nous fait découvrir sa bibliothèque. Les morts sont souvent plus vivants que les vivants. Il y a le mage Cocteau, Jean Marais dans son long manteau en poil de chameau, Paul Morand, homme pressé par son talent, l’énigmatique Jules Verne, à propos duquel il écrit : « Ce bourgeois d’Amiens, cet homme casanier comme une huitre et qui dérivait dans ses rêves trompait son homme. » Et d’ajouter : « Jules Verne est un mystère voyageur comme le mystère d’une île. » On rencontre les amis du premier cercle, en pleine forme : Pascal Quignard, Jérôme Leroy, Pierre Michon, ou encore Yves Simon. Poindron n’oublie pas le regretté Gilles Lapouge dont il brosse un exotique portrait. Comme il n’oublie pas Joseph Pontus, terrassé par un cancer à 42 ans, auteur d’un livre unique, À la ligne (Éditions de La Table Ronde ; encore un coup de Jérôme Leroy…). Poindron rappelle : « Un titre astucieux et invendable, À la ligne, et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. » Ce qui n’est pas rien.

Ce livre permet également de mieux connaitre son auteur. C’est un texte autobiographique en forme de puzzle. Sa reconstitution est délicate, à l’image de l’écrivain. J’aime cette phrase qui en dit long sur sa personnalité : « Sur ma table de travail, prête pour l’écriture, une image d’autrefois, esseulée. Sans personne. Seulement une petite gare. »

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des songes ; mais quand il n’y aura plus d’oiseaux, les hommes auront disparu. J’écris cela car, de mon Limousin natal, je guette le retour des hirondelles, au printemps. Or je constate, depuis plusieurs années déjà, que beaucoup de nids restent vides. C’est pour cela qu’il faut pousser la porte du cabaret du poète Poindron pour prendre conscience de la fragile symphonie du monde.

Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, préface de Denis Grozdanovitch, Le Passeur Éditeur. 349 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Céline Pina, Martin Pimentel, Gil Mihaely et Jeremy Stubbs.


Censure du gouvernement, démission du président ? Les islamogauchistes à l’œuvre, en France, en Belgique et au Royaume Uni. Bilan du cessez-le-feu au Moyen Orient.

Les étranges défaites

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Marc Bloch et Boualem Sansal résistent


Mayday, SOS, coquin de sort ! Le Titanic Europe des copains d’abord a heurté l’iceberg Trump. Le présent est angoissant, le futur déprimant. Remplaçante, sur le banc de touche de l’histoire, dans la mauvaise conscience et l’auto-flagellation, la France se console en surjouant les défaites du passé : l’occupation, le vent mauvais, les bêtes immondes, la décolonisation… Pour égayer les fins de parties, les démons des éditions de minuit et les tubes des années de braise (44-54), surpassent ceux des années 80. Après les utopies, les uchronies et dystopies. Destinée… Les années noires font le buzz sur les rezzous sociaux, France Culture. Les débâcles, humiliations nationales, marronniers maléfiques, excitent les zouaves d’UFR, indigénistes indigents, tirailleurs-au-flanc, guérilléros de Collège de France, dé-constructeurs, héraults d’une histoire de France sans Histoire et sans France : la grande armée des rentiers de la repentance, compagnons de la décomposition nationale. Les incendiaires, champions du « vivre ensemble » !

Les tribus de l’émancipation intersectionnelle ont passé un accord de non-agression, un pacte (germanopratin) islamo-wokiste, contre-nature, à l’image de celui du 23 août 1939. À la recherche de la burka bio à visage humain, deux fanatismes – rose et vert – se donnent la main pour abattre l’ennemi commun, l’Occident libéral, blanc, coupable, masculin, maudit. Leur forfait accompli, les règlements de comptes à venir entre barbus et écoféministes misandres ne manqueront pas de ragoût. Sandrine Rousseau et Virginie Despentes (qui aime la kalach des assassins de l’Hyper-Casher) iront plaider la cause queer à Kaboul. Hidjab-Vie-Liberté… Annie Ernaux bientôt docteur « doloris causa » de l’université Al-Azhar ? Boualem a dit Bigeard, comme c’est Bigeard…

Deux pays à la ramasse

Boualem Sansal a été arrêté par les paras de la 10e DP du FLN et déféré au parquet antiterroriste d’Alger pour atteintes à la sûreté de l’État et à l’intégrité nationale. L’Algérie s’iranise. Dans son dernier opus (Le français, parlons-en !), l’écrivain dézingue au MAT 49 les passeurs de valises de billets, la rente mémorielle, les tabous franco-algériens.

A ne pas manquer, Causeur #128 : Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

« Au lendemain de son indépendance, l’Algérie disposait d’un patrimoine unique, moitié fourni par la nature, moitié par la colonisation qui avait bien équipé la demeure en infrastructures diverses, et jouissait d’un immense prestige dans le monde (…) Las, ses dirigeants de plus en plus médiocres et corrompus ont dilapidé le patrimoine et mis l’Algérie sur une ligne de déclin rapide qui a fait d’elle une proie facile pour l’internationale islamiste et les oligarques internationaux. Et depuis… elle s’enfonce et disparaît par petits bouts, par le séparatisme qui se développe en Kabylie et dans le Sahara et par l’émigration massive (…) ; dans le cerveau de l’Algérien on a installé deux logiciels incompatibles, un logiciel ultranationaliste construit sur une base fausse et une vision héroïque du futur, et un logiciel religieux archaïque qui porte une vision apocalyptique du monde. À qui se vouer ? » (Le Figaro).

L’essayiste est lucide sur son pays d’accueil. « La France n’est plus la France ni des Lumières, ni des Trente Glorieuses… mais celle des ennemis de la France et de son peuple… C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées ». La Bérézina aurait trois causes : « (1) L’immense, l’insupportable, la scandaleuse, l’incompréhensible médiocrité de son personnel politique ; (2) le poids gigantesque d’une immigration de très bas niveau qui refuse de s’intégrer par esprit de supériorité religieuse et parce qu’elle n’y voit aucun intérêt, que les Français eux-mêmes ne voient plus ; (3) l’enracinement sur son sol d’un islam profondément archaïque, issu en retour de bâton de ses ex-colonies, dont on ne voit pas où et comment il trouverait les moyens de se réformer et devenir cet islam des Lumières que ses chantres appellent de leurs vœux sans savoir de quoi ils parlent et sans chercher à deviner la suite » (Le Figaro).

Boualem Sansal © Hannah Assouline

Les Barbapapa de Télérama, dé-coloniaux de Sciences Po, s’étouffent. Boualem Sansal après le Goncourt de Kamel Daoud ! Gallimard, officine « Macronito-sioniste » file un mauvais coton Vichy. Les réacs, vipères lubriques, l’OAS, ne passeront pas ! Un bon Algérien ne devrait pas dire ça, ne devrait pas blesser les bons sentiments de Benjamin Stora, l’irénisme d’une gauche à l’Hamas sur l’islamisme, ses décapiteurs d’infidèles, kouffars, écrivains, professeurs, Salman Rushdie, Samuel Paty, Dominique Bernard. Le camp de l’émancipation, du progrès et de la rééducation, n’a jamais manqué de leaders éclairés : Lénine, Staline, Mao, Castro, Pol Pot, Khomeiny, Ortega, Maduro…

A lire ensuite, Dominique Labarrière: La jurisprudence Stora

Marc Bloch est sans filtre sur la déroute de mai 40 et les atavismes hexagonaux. « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par l’odeur de moisi qu’exhalent l’École, le bureau d’état-major du temps de paix ou la caserne. (…) Ce n’est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité ». L’Etrange défaite n’est pas digérée.

Qu’il s’agisse d’éducation, de défense, de finance, d’industrie, depuis trois générations, nous cabriolons dans les dénis, corporatismes, pourtousisme pipeau, une culture de l’excuse, l’idéal victimaire ; sans oublier l’individualisme, la crétinisation numérique, le séparatisme, trois derniers clous du cercueil. L’État, l’Europe, hors sols, impuissants, sans cap ni forces de propositions, bâtissent des termitières de gouvernances, lignes Maginot de trajectoires, directives, normes, règlements, à l’instar de notre état-major en 40. Les chansonnettes des sociologues de France Inter sur « l’en commun », le toutlemondisme, la verticalité élastique et les trémolos de Malraux d’opérette, place du Panthéon, n’abusent personne.  

La France en s’ébattant

La montagne Sainte-Geneviève, c’est la Roche de Solutré d’Emmanuel Macron. Tous les ans il panthéonise. Le bon filon, c’est l’occupation : Joséphine Baker, Simone Veil, Missak et Mélinée Manouchian, bientôt Marc Bloch. Auprès des grands hommes, femmes admirables, Jupiter reconnaissant cherche un deuxième souffle, une aspiration. Dans les années vingt, le Docteur Voronoff garantissait une seconde vigueur en greffant des testicules de grands singes. La Vie des autres, La Vie antérieure d’Emmanuel Macron.

« J’ai longtemps habité sous de vastes principes
Que les soleils malins teignaient de mille feux
Et que de grands piliers, droits et cotonneux,
Rendaient pareils, le soir, aux votes qu’on agrippe.
Les foules, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Mes tout-puissants raccords et sa riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes vœux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu, qui rassure, du vague, des splendeurs
Et des footballeurs nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissait le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui m’avait fait élire ».

(D’après Charles Baudelaire)                     

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Le supplice chinois du RN

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Michel Barnier et la tempête qui vient

Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

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Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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La Cour Pénale Internationale, une belle idée dévoyée

Entre échecs flagrants et décisions controversées, la CPI semble loin de son ambition initiale de combattre les crimes les plus graves de manière impartiale. Grande analyse.


On doit le projet de Cour Pénale Internationale à deux  juristes juifs dont les familles  s’étaient réfugiées aux Etats-Unis dans l’entre deux guerres, Benjamin Ferencz et Robert Woetzel. Les années 1990 ont ressuscité ce projet car la fin de la guerre froide laissait espérer qu’un tribunal pérenne pourrait punir en toute justice les responsables des pires crimes sans créer au cas par cas des tribunaux  tels que ceux nécessités par les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les prédictions de Fukuyama sur l’avènement universel de la démocratie libérale permettaient l’optimisme. 

On sait ce qu’il en est advenu.

Ferencz, qui était hanté par ses souvenirs de procureur principal aux procès des Einsatzgruppen est mort à 103 ans quelques mois avant le 7-Octobre où de nouveau des Juifs, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassiné. Mais ce sont deux Juifs qui depuis la semaine dernière sont portés au pilori par une CPI qui depuis sa création a accumulé les échecs dont certains confinent au grotesque.

Trop aimable, la CPI laisse l’accusation de génocide contre Israël à la CIJ

La CPI a été mise en place en 2002, après que 60 Etats ont ratifié ses statuts. On les appelle « parties au traité de Rome ». Il y en a aujourd’hui 124. On n’y trouve pas les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, ni les Etats du Moyen Orient à une exception près, la Palestine.

Dès qu’elle fut acceptée comme Etat observateur à l’ONU, celle-ci a adhéré à la CPI et  a déposé plainte contre Israël. En mars 2021, Mme Fatou Bensouda, alors Procureur à la CPI, annonçait l’ouverture d’une enquête contre Israël. Cette inculpation permet à l’organisation, et à son procureur actuel Karim Khan, de se donner à bon compte une image «universaliste» alors que la CPI avait été accusée par certains de n’enquêter que contre des dirigeants africains.

On rappelle que Mahmoud Abbas a accusé Israël de génocide à grande échelle dès le 10 octobre 2023, trois jours après le 7-Octobre. On rappelle aussi qu’il pense avoir une certaine expérience dans ce domaine depuis la thèse négationniste qu’il a écrite à Moscou il y a une cinquantaine d’années. Mais la CPI n’accuse pas les dirigeants israéliens de génocide. Elle laisse cette question à la CIJ, qui juge les pays et non les individus et qui est sollicitée comme on le sait par l’Afrique du Sud. La CPI enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. A quoi a-t-elle abouti jusqu’à maintenant?

N’étant pas un juriste et n’ayant aucunement la fibre théorique du droit international, j’ai tenté de  mieux appréhender le fonctionnement – et le dysfonctionnement – de la CPI en me reportant aux années du nazisme et en supposant que la CPI aurait existé dans ses statuts d’aujourd’hui, que les Etats européens y avaient adhéré mais que l’Allemagne hitlérienne s’en était retirée, des suppositions non déraisonnables. 

Trois épisodes parmi d’autres dans cette histoire qui n’est pas entièrement une fiction où une telle CPI aurait pu intervenir: la Nuit de Cristal, les camps d’extermination et les bombardements alliés.

Nuit de Cristal, novembre 1938. 1400 synagogues et 7000 commerces détruits, une centaine de Juifs tués, 30 000 envoyés en camp de concentration. Qu’aurait fait la CPI? 

Réponse: rien, puisque ces crimes se sont déroulés sur le territoire d’une Allemagne souveraine et non signataire. 

La Haye. DR.

Aujourd’hui, c’est pourquoi les Ouïghours en Chine, les femmes afghanes et iraniennes, les victimes de Assad en Syrie, les Kurdes de Turquie et les Yezidis en Irak n’ont rien à espérer de la CPI. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine puis contre Netanyahu parce que les crimes dont ils sont accusés ont eu lieu soit en Ukraine,  dans un pays qui a sollicité spécifiquement la CPI au sujet des enfants ukrainiens enlevés par les Russes, soit par l’Autorité palestinienne au sujet d’actes commis dans un territoire, Gaza, sur lequel elle a une  théorique souveraineté.

En fait, suivant le principe de complémentarité  la CPI pourrait enquêter sur le territoire d’un Etat non signataire si le Conseil de Sécurité lui en donnait le pouvoir. Il faudrait pour cela une large majorité du Conseil et une unanimité des cinq titulaires du veto. Cela met à l’abri tous les pays dont les relations diplomatiques sont suffisamment étoffées et devient impossible dans un monde de plus en plus clivé. 

Des résultats marginaux

En fait, cette situation s’est produite deux fois,  contre Kadhafi dans les dernières semaines de sa vie (son fils également sous le coup du mandat d’arrêt n’a jamais été livré à la CPI) et surtout contre le président soudanais Omar el-Bechir à la suite des massacres au Darfour: un mandat d’arrêt a été émis en 2009 contre lui. Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du soutien des Etats islamiques, de la Russie et de l’Union africaine et de voyager sans risque d’être arrêté dans les pays signataires. S’il est en prison aujourd’hui c’est à cause d’un coup d’Etat qui n’a rien à voir avec la CPI.

D’autres initiatives prises spontanément par le Procureur de la CPI (ce qu’on appelle le «motu proprio») à l’égard de ressortissants de pays signataires, sous le motif que ces pays ne font pas le travail juridique que la CPI juge nécessaire (sous le principe de «complémentarité») ont parfois abouti à des résultats grotesques: le Kenyan Uhuru Kenyatta est mis en accusation par la CPI en 2012 pour des violences qualifiées de crimes contre l’humanité commises à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Cette accusation ne l’empêche pas d’être élu président en 2013 et de se présenter à la convocation de la CPI qui annonce piteusement l’abandon des charges contre lui. 

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Quant à Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire emprisonné par son successeur et livré à la CPI qui le réclamait, il est relâché par la Cour après sept ans de détention préventive, définitivement acquitté après dix ans et est désormais candidat dans son pays pour l’élection présidentielle de 2025. 

De même que en 1938, charbonnier se veut maitre chez soi, la CPI ne peut rien faire à l’intérieur des Etats qui ont rejeté sa juridiction s’ils ont suffisamment de soutiens étrangers et qui peuvent donc exercer des politiques répressives dans leur pays sans interférence de sa part. Elle peut agir à la marge sur des ressortissants d’Etats signataires sans appui international suffisant, situation ne touchant que des Etats faibles et exposant aux échecs pratiques qu’on a vus avec une CPI dénuée de toute possibilité coercitive. Elle peut en revanche à l’occasion d’un conflit considéré comme transfrontalier jeter l’opprobre sur les dirigeants d’un Etat non signataire mis en accusation par son voisin. Comme par hasard Israël est dans cette situation, mais un mandat d’arrêt contre son Premier ministre a un retentissement que n’a pas le même document émis contre un chef d’Etat africain. 

Dans notre schéma d’histoire fiction, que ce serait-il passé si le gouvernement polonais en exil, signataire du traité de l’hypothétique CPI d’avant-guerre avait émis une plainte au sujet du traitement des individus dans les camps placés par l’ennemi allemand sur son territoire? 

Il est aussi à craindre qu’il n’en aurait rien été. La CPI n’avait pas (et n’a pas encore aujourd’hui) les moyens d’effectuer par elle-même une enquête qui aurait été confiée à la Croix Rouge suisse. Etant donné la façon dont celle-ci s’est laissé complaisamment duper à Theresienstadt, elle aurait probablement produit un document anodin et le dossier serait clos.

Si la Croix Rouge suisse avait à l’époque de très solides préjugés à l’égard des Juifs, que peut-on dire, à l’égard d’Israël, des ONG à qui la CPI, dont les moyens propres sont très limités, s’appuie pour émettre ses conclusions?

La CPI ne comprend pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat existentiel

Ce que la CPI reproche avant tout à  MM. Netanyahu et Gallant, c’est la famine à Gaza, plus exactement l’emploi de la famine comme arme de guerre: « war crime of starvation as a method of warfare ». Cette formule est, au mot près, celle qui a été utilisée dès novembre 2023 par une ONG particulièrement virulente à l’égard d’Israel, Human Rights Watch. C’est alors d’ailleurs que le Secrétaire général de l’ONU a pris l’habitude de ses déclarations répétées sur lesquelles l’apocalypse allait frapper Gaza le mois suivant. Or, à l’époque où le Procureur de la CPI clôt son enquête, en mai 2024, la situation alimentaire est plutôt stabilisée, non seulement d’après les services israéliens, mais suivant l’IPC qui est l’organisme de référence mondial en matière d’insécurité alimentaire, et qui admet alors que ses critères de famine ne sont pas présents. 

Dans son document de novembre, la CPI mentionne bien que des camions d’aide alimentaire ont été envoyés à Gaza, mais elle refuse d’en accorder le moindre crédit aux dirigeants israéliens sous prétexte qu’ils ont laissé passer ces camions sous la contrainte des Américains. A aucun moment en outre, la CPI n’évoque les camions pillés par le Hamas et le marché noir qui en résulte, ni les armes cachées dans les camions. Le message unique – et ignoble – qui ressort de son texte est qu’Israël cherche à éliminer la population civile par le biais d’une famine.

Finalement, je m’étais demandé ce qui se serait passé si à l’époque du Débarquement, le gouvernement de Pétain avait déposé plainte devant une CPI pour crimes de guerre contre la population civile normande bombardée par les Alliés. La réponse est simple: elle aurait probablement émis un mandat d’arrêt contre Eisenhower, Churchill et Roosevelt. Une CPI analogue à celle d’aujourd’hui aurait probablement considéré que la guerre contre les nazis n’était justifiable que si elle épargnait les civils. La CPI d’aujourd’hui ne considère en tout cas pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat implacable, existentiel, contre un ennemi qui proclame dans ses textes de base et dans sa propagande quotidienne que sa volonté est de détruire complètement Israël, ce qui en fait un nazisme de notre siècle.

A aucun moment dans son rapport la CPI ne mentionne ni les otages, ni les massacres du 7-Octobre. Ce à quoi on aboutit est la conclusion subliminale que les dirigeants israéliens cherchent avant tout à exterminer la population civile de Gaza et cette abjection est évidemment présentée dans la langue juridique la plus raffinée.

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Aussi infondée qu’elle soit, cette accusation va trouver beaucoup d’oreilles réceptives et détériorer encore l’image, non seulement du Premier ministre israélien. mais celle du pays tout entier. C’est l’objectif réel de ceux qui ont mis en place cette enquête. Il y a aussi les hommes et femmes politiques, qui ont prétendu que l’important était de soutenir la justice internationale et d’appliquer les mandats de la CPI: pas de visites dans nos pays respectueux de leurs engagements internationaux, non seulement pour les accusés, Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, mais peut-être aussi, pour tous ceux que la CPI aurait pu nommer dans des documents gardés secrets: peut-être les chefs militaires israéliens ? Et à ce compte peut-être tous ceux des Israéliens qui ont pu en tant que soldats avoir eu à faire avec ce crime d’extermination d’une population par la famine, qui risqueraient de se faire refouler, voire arrêter dans leurs voyages dans des pays peu favorables à Israël. On ne s’attardera pas sur les messages contradictoires d’Emmanuel Macron tant ils sont désormais banals.

On peut faire beaucoup de reproches aux dirigeants israéliens. On peut ne pas les croire quand ils disent que la situation alimentaire à Gaza est excellente alors qu’il semble établi que la malnutrition progresse dans le nord de Gaza. On ne peut pas cependant croire une seconde que les conclusions de la CPI soient autre chose que des partis pris anti-israéliens, elle qui  n’a incriminé aucun responsable des famines liées à la guerre du Tigré et du Soudan, qui ont fait des centaines de milliers de morts. 

A étudier le minable bilan de la CPI en ses vingt ans d’existence, on se demande s’il faut pleurer devant cet échec flagrant d’un bel espoir, ou rire de ses absurdités. 

Il y a évidemment ce Procureur Général, censé être le parangon des vertus comportementales, empêtré dans une affaire de frasques sexuelles. Il y a aussi, ce qui est encore plus grotesque, ce mandat d’arrêt international délivré contre un cadavre, celui de Mohamed Deif, dont on se doute bien qu’il a été émis pour donner l’hypocrite impression que la justice de la CPI est impartiale: cette mise en équivalence du chef militaire du Hamas et des dirigeants israéliens est obscène.

« Summum jus, summa injuria ». Le droit poussé à l’extrême devient une extrême injustice. Cette phrase célèbre de Cicéron s’applique malheureusement parfaitement  à la CPI, une belle cause dévoyée.

L’étrange limogeage de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide

La prudence d’Alice Wairimu Nderitu face aux accusations de génocide contre Israël est vraisemblablement l’explication la plus plausible.


L’Organisation des Nations Unies a été fondée le 24 octobre 1945 afin de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. On dirait qu’aujourd’hui sa raison d’être principale est de critiquer l’État d’Israël, voire de condamner ce dernier pour le crime de génocide. La dernière action en date allant dans ce sens, c’est le non-renouvellement du contrat de l’actuelle Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu. Cette Kenyane de 56 ans est une experte reconnue dans les domaines des droits humains et de la médiation. Elle est intervenue dans de nombreux pays africains et a travaillé avec le Auschwitz Institute for the Prevention of Genocide and Mass Atrocities (Institut Auschwitz pour la prévention du génocide et des atrocités de masse). Selon le quotidien américain, The Wall Street Journal, dans un article publié le mardi 26 novembre, la Conseillère spéciale, en poste depuis 2020, n’a pas été renouvelée car elle aurait refusé de déclarer que les opérations israéliennes à Gaza constituaient un génocide. Et l’éditorial de poser la question suivante : « Quelqu’un d’intègre peut-il survivre longtemps au sein de l’ONU ? »

Le génocide élusif

L’attitude obstinée d’Alice Nderitu n’aurait pas plu au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ni au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, l’Autrichien Volker Türk. The Wall Street Journal va jusqu’à affirmer que la Conseillère spéciale aurait été « virée », mais les sources officielles de l’ONU maintiennent que son mandat a tout simplement expiré et – comme d’autres mandats d’experts – ne serait pas prolongé. Pourtant, il est bien possible que la décision de se séparer d’Alice Nderitu ait une motivation politique. Car le 7 février, seize organisations propalestiniennes ont envoyé une lettre à António Guterres pour dénoncer « l’inaction flagrante » de Mme Nderitu face aux « atrocités de masse continues » infligées aux Gazaouis, inaction qui soulèverait des doutes sur « sa capacité à exécuter son mandat avec l’efficacité et l’impartialité nécessaires ». À cette date, la Conseillère spéciale n’avait publié qu’une seule déclaration au sujet de la guerre déclenché par le Hamas. Le 15 octobre, elle avait exprimé son inquiétude quant aux répercussions des événements dans d’autres pays « où la prolifération de discours de haine antisémites et antimusulmans hors ligne et en ligne, ainsi que des violences identitaires, qui seraient inspirées par la situation au Moyen-Orient, ont été signalées ». Il est vrai que cette attitude prudente fait contraste avec celle de la plupart des autres rapporteurs spéciaux et experts indépendants de l’ONU qui, en octobre et novembre 2023, ont condamné Israël publiquement en évoquant un possible génocide. On peut bien imaginer que les lobbys propalestiniens soient furieux que, presque seule, la spécialiste des génocides ne soutienne pas les déclarations de ses collègues.

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Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous

La lettre des seize organisations propalestiniennes a bien entendu été publiée après la procédure engagée le 29 décembre auprès de la Cour de justice internationale de l’ONU par l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide. Là aussi, Alice Nderitu est restée très prudente dans ses paroles, se contentant de faire publier par son bureau une déclaration le 29 octobre qui affirme que « son mandat de prévention ne lui permet de prendre position sur la question de savoir si le crime de génocide ou tout autre crime international spécifique a été commis, ce qui ne peut être déterminé que par un tribunal compétent, indépendant et impartial. À cet égard, la Conseillère spéciale réitère son plein respect pour les procédures en cours à la Cour internationale de Justice ». Ce qui a dû faire rager encore plus les propalestiniens – onusiens et autres – c’est que la Conseillère spéciale, elle-même d’origine africaine, a tiré la sonnette d’alarme quant au risque d’un génocide « semblable à celui du Rwanda » (de 1994) au Soudan où sévit actuellement une guerre civile de la plus grande cruauté qui est très loin d’avoir attiré l’attention médiatique du conflit à Gaza. Mme Nderitu a exprimé son inquiétude au mois de mai cette année, et de nouveau en septembre. Il est fort probable que ceux qui veulent absolument voir un génocide des Palestiniens ne supportent pas la concurrence d’un autre génocide possible en Afrique.

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Le sort d’Alice Nderitu fait contraste avec celui réservé à Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Cette dernière est interviewée régulièrement par les médias occidentaux mainstream et, fin octobre, a pu faire une tournée des Etats-Unis, prenant la parole devant l’ONU à New York et sur différents campus américains. Et ce, en dépit d’une dénonciation pour antisémitisme de la part de l’Ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield. Mme Albanese, qui a publié deux rapports accusant Israël de génocide, dont le dernier date du 1er octobre, a déclaré sur Radio Canada que l’on assiste au « premier génocide colonial diffusé en direct qui a lieu à l’égard du peuple palestinien ». L’ONG suisse UN Watch, dont j’ai récemment interviewé le directeur, Hillel Neuer, a publié les résultats d’une enquête sur Mme Albanese dans un document de 60 pages intitulé « A Wolf in sheep’s clothing » (Un loup déguisé en mouton). Pour le moment, cette rapporteuse spéciale peut continuer à exprimer sa haine d’Israël avec impunité, tandis qu’Alice Nderitu, dont le discernement, l’expertise et les valeurs professionnelles sont inégalées, est éconduite par l’ONU.

Elle aura une source de consolation. Hillel Neuer, de UN Watch, se dit tellement impressionné par son courage, que son organisation serait prête à l’embaucher…

https://twitter.com/HillelNeuer/status/1861647973903474859

L’impartialité dangereuse: quand l’évocation des crimes de gauche devient une faute

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Certains historiens voire certains enseignants ne sont pas de gauche. Nous publions ici le témoignage anonymisé d’un professeur d’histoire-géographie ayant eu le grand tort de ne pas penser « dans les clous » alors qu’il tentait de raconter la guerre d’Espagne à ses élèves…


L’enseignement de l’histoire, lorsqu’il est correctement appréhendé, est un merveilleux outil pour affiner les jugements et développer le sens critique des élèves. L’ouverture d’esprit qui doit en découler est généralement synonyme de tolérance autant que d’esprit de finesse. Au-delà de ma passion pour cette discipline, je fais ce métier pour tenter de transmettre ces précieux outils intellectuels à mes élèves.

Mais il y a quelques semaines, j’ai été personnellement confronté à une situation kafkaïenne qui a renforcé ma conviction que l’institution n’est plus toujours, loin s’en faut, au service de cette Histoire qui élève l’esprit en nous libérant du sectarisme et des préjugés.


Une question m’a taraudé pendant plusieurs années à propos d’une thématique historique bien précise : comment faire comprendre à des élèves de terminale – qui n’ont été instruits sur la guerre civile espagnole que par des professeurs de langue étrangère peu ou mal formés d’un point de vue historique – l’adhésion d’une grande partie de la population au combat franquiste ? Ce questionnement à première vue élémentaire prend en réalité tout son sens lorsqu’on constate qu’après leurs cours d’espagnol extrêmement simplistes sur le sujet, les lycéens croient généralement que Franco est un Hitler espagnol, que les fascistes ont vaincu les démocrates, bref, que le mal a vaincu le bien.

Le rôle d’un professeur d’histoire consiste à essayer de dépasser ces jugements moraux pour atteindre une compréhension aussi claire que possible des événements. C’est loin d’être évident, même lorsqu’il s’agit d’adultes instruits, tant nos esprits sont conditionnés, souvent de façon inconsciente, par des ferments idéologiques.

Donner à connaître les persécutions religieuses qui ont eu lieu avant et pendant la guerre civile m’a semblé un angle d’attaque pertinent. Pour ce faire, j’ai utilisé un texte volontairement violent qui décrivait de quelle manière des membres du clergé régulier avaient été torturés et assassinés par des socialistes radicalisés, des communistes et des anarchistes. Je voulais que mes étudiants, eux-mêmes émus par les violences décrites, puissent envisager l’état de sidération de millions d’Espagnols encore fortement attachés aux traditions et pratiques catholiques. Bien entendu j’ai également expliqué les racines philosophiques et matérielles de cet anticléricalisme virulent pour que les élèves comprennent le point de vue des criminels endoctrinés.

Si une moitié au moins de l’Espagne s’est rangée dans le camp dit « national », ce n’est donc pas parce qu’elle adhérait à des idées fascistes et à un régime politique dont elle ne pouvait imaginer l’évolution future, mais surtout parce qu’elle était effrayée par le projet révolutionnaire d’une grande partie de la gauche qui n’était pas, ou plus, républicaine. L’idée que la guerre civile espagnole a vu s’affronter un camp démocrate et un camp fasciste est un mythe qui a la peau dure tant le déficit de formation est grand chez les professeurs de l’Éducation nationale. Certains prétendent, à juste raison, que le manque de culture historique n’explique qu’en partie la persistance du mythe. Il convient d’y ajouter le prisme idéologique d’une majorité d’universitaires peu enclins à instruire contre « leur camp ».

Ce texte a fortement « choqué » plusieurs élèves.

Pour mettre les choses en perspective, chacun peut se procurer ou parcourir sur internet un manuel d’histoire de terminale pour s’apercevoir que de nombreux documents sont particulièrement brutaux : photos d’enfants nus dans des camps d’extermination en 1945, évocations de tortures dans les régimes communistes ou durant la guerre d’Algérie, etc. Le XXe siècle est suffisamment riche en horreurs pour rendre parfois très glauques les manuels de l’Éducation nationale. C’est ainsi, et il faut le rappeler : choquer ou émouvoir ont des vertus pédagogiques. Un élève n’est pas un robot. Nous devons nous adresser au moins autant à ses affects qu’à son intellect si l’on veut lui faire comprendre des choses importantes. Ainsi nombreux sont les professeurs d’histoire qui projettent des extraits du célèbre film documentaire « De Nuremberg à Nuremberg » dont les images servies par la musique glaciale de Vangelis, sont particulièrement bouleversantes.

En somme, il aura suffi qu’une ou deux de ces élèves aillent exprimer leur vive émotion auprès du Proviseur pour que celui-ci, avant même d’entendre mes explications mais après avoir donné à lire le texte à l’Inspecteur, me place en mesure conservatoire.

Toutefois le plus grave, à mes yeux, advint lors des entretiens avec ce dernier qui par son parcours universitaire ne pouvait ignorer les persécutions religieuses perpétrées par la gauche révolutionnaire espagnole durant les années 1930. De fait, ces persécutions sont considérées comme les plus importantes depuis la Révolution française, du moins en Europe occidentale.

Il m’a été vertement reproché d’avoir mis l’accent sur ces faits notoires mais surtout d’avoir tiré l’article d’un site d’information catholique conservateur où l’auteur écrit régulièrement. Ce dernier pourtant recommandé par des universités françaises, lui-même professeur de faculté d’histoire et auteur de nombreux ouvrages, ne serait pas un « historien » au dire de l’Inspecteur. Plus inquiétant encore, il serait ouvertement antiféministe car au début de l’article dont j’ai extrait le texte pour mes élèves, il critiquait la manière sarcastique dont une célèbre féministe espagnole avait évoqué les viols de nonnes au début de la guerre civile. Cela en dit long sur la manière dont le combat idéologique peut finir par priver le combattant de toute logique élémentaire. Lorsque j’ai questionné mon Inspecteur sur l’historicité des faits décrits, celui-ci s’est contenté de répondre que « là n’était pas la question »…


Tirons, pour conclure, les enseignements de cet épisode qui, heureusement pour moi, se termina par une levée sans sanction de la mesure conservatoire.

Doit-on écarter de nos pratiques pédagogiques tel ou tel historien pourtant soucieux des faits au prétexte qu’il serait ouvertement de droite ? Il s’agirait selon moi d’une faute à la fois méthodologique et déontologique en contradiction avec la laïcité républicaine.

Il est tout à fait significatif que les faits pourtant connus que j’ai étudiés en classe soient très peu mis en avant voire laissés de côté par les historiens classés à gauche. Le piège se referme donc sur les enseignants qui voudraient traiter ces événements tout en acceptant le principe tacite d’ostracisation des chercheurs de droite. C’est ainsi que dans l’immense majorité des cas, les élèves français n’entendent jamais parler de ces crimes dans le cadre scolaire.

Il se trouve que l’un des aspects les plus intéressants de l’enseignement de l’histoire au lycée consiste à faire comprendre que les silences disent au moins autant que les éclairages. L’honnêteté intellectuelle impose de se pencher attentivement sur les angles morts de toutes les écoles historiographiques. En priver des élèves quasiment adultes constitue indéniablement un manquement grave à l’éthique de ma profession.

Qu’il soit encore quasiment impossible, dans l’Espagne actuelle, de débattre sereinement de cette tragédie qu’a été la guerre civile peut se comprendre. Mais nous devons aux élèves français un regard dépassionné qui embrasse les divers points de vue pour comprendre ce qui s’est passé tout en évitant, bien entendu, le piège de la justification des violences. C’est le meilleur rempart contre les dérives liées au fanatisme et l’entretien d’une guerre des mémoires à laquelle théoriquement, en tant que Français, nous n’avons pas à prendre part.

« L’historien n’est pas un juge […] il n’a pas de tabou », ont rappelé les illustres historiens et historiennes signataires de la pétition de 2005 qui pointait les dangers de l’immixtion du politique dans les questions historiques. Ces rappels constituent le socle de toute démarche scientifique visant à éclairer le passé. Il est de notre devoir de l’enseigner aux élèves de lycée, notamment en classe de terminale et surtout s’ils n’ont pas vocation à suivre des études d’histoire !

Concernant, enfin, l’antiféminisme supposé de l’historien qui suffirait à le discréditer non seulement moralement mais aussi professionnellement :  devrait-on donc trier les historiens en fonction d’un « certificat de moralité » et ne convoquer que ceux qui correspondent aux standards de l’historiographie de gauche, piétinant au passage nos principes démocratiques les plus élémentaires ? Ces questions aussi vertigineuses que glaçantes rappellent des heures sombres, très sombres, du siècle passé.

Je n’ose évidemment imaginer que tous les inspecteurs soient – par conviction ou par opportunisme – aussi dogmatiques. Toutefois, la décomplexion de celui qui a traité mon cas tend à me laisser penser qu’il n’a pas agi en franc-tireur. Son assurance autant que sa virulence font sens si l’on admet qu’une pensée systémique est à l’œuvre.

Mon intime conviction est que si le texte étudié avait évoqué des violences franquistes, l’émoi des élèves n’aurait pas été traité de la même manière par ma hiérarchie. Sans doute même que mon inspecteur n’aurait pas daigné se déplacer pour m’invectiver.

Ainsi en va-t-il de ceux qui osent parier, sans pour autant se leurrer sur leur propre objectivité personnelle, sur une forme d’impartialité historique dans l’Éducation nationale.

Faut-il canoniser Charles de Gaulle?

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Portrait colorisé de Charles de Gaulle, 1942. Wikimedia.

Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.


À Bruxelles le pape François a annoncé qu’il engagerait un processus pour canoniser Baudoin, ex-roi des Belges, qui préféra abdiquer plutôt que de promulguer une loi autorisant l’avortement. Preuve que désormais, le Vatican fait son emblème du refus strict des « droits sociétaux », en même temps d’ailleurs que de la défense de l’immigration, peu importe d’où elle vienne et comment elle vient. Selon ce que le pape donne à voir de sa vision du monde, l’humanité est faite d’individus qui en sont membres directement, dès la conception et avant d’être rattachés à aucune société et à aucune nation. Cet irréalisme dogmatique contribue à la marginalisation du catholicisme, voire à son effacement.

Le pape actuel s’est montré ouvert à la reconnaissance des couples hors norme (homosexuels, ou engageant des divorcés). Il admet des évolutions sociales si elles n’offensent pas la nature, mais il voit aussitôt le meurtre derrière l’avortement. Il n’est pas surprenant qu’il hésite davantage à propos de la condition des femmes. Difficile en effet de rapporter la différence des sexes uniquement à la nature ou seulement à la société, aux mœurs et aux institutions.

Il est vrai que l’avortement peut être jugé comme un meurtre, puisque c’est l’interruption d’une vie qui, pour n’être qu’esquissée, est celle d’un nouvel individu. Mais les choses se compliquent si l’on se rappelle que dans aucun pays, la vie humaine n’est intouchable. En Europe, la peine de mort a été abolie récemment mais nulle part, et selon la morale chrétienne elle-même, la légitime défense n’est proscrite, même si son usage est contrôlé par les tribunaux. Un certain réalisme s’oppose à l’absolutisation des principes, donc à leur rattachement direct à la nature : l’avortement quand on l’a vraiment empêché, a entraîné des abandons d’enfants et leur enrôlement dans des institutions autoritaires et intéressées.

L’annonce de la canonisation royale ne semble pas avoir été reçue favorablement, ni en Belgique ni ailleurs, comme si l’institution n’arrivait plus à communiquer avec le monde ambiant, à produire de l’exemplarité. De cela on voit un signe, une preuve même, dans les canonisations en série de souverains pontifes récemment décédés : on ne sort pas du cercle. Mais c’est le sens même de la canonisation qui est en cause : ne peut-elle pas être autre chose que la désignation par l’autorité d’un modèle pour le peuple chrétien, puis l’implantation de ce modèle, comme un greffon, dans la culture commune ?

D’un fonctionnement différent et même opposé on a un exemple dans le cas de Jeanne d’Arc. Celle-ci a été reconnue et célébrée en dehors de l’Église bien avant d’être béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Condamnée par un tribunal ecclésiastique aux ordres en 1431 « la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen » (François Villon) a été réhabilitée en 1456, après que Charles VII l’eut emporté, puis oubliée par la monarchie. C’est un historien de la Révolution, Michelet, qui dans les années 1840 en a fait une héroïne nationale dans son Histoire de France. Et c’est Péguy qui, à la veille de la Guerre, l’érigea en sainte en méditant sur son action, sur « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc ». Le « succès » de cette canonisation, d’abord laïque puis chrétienne, d’abord externe puis interne à l’institution, tient évidemment à une certaine pertinence historique de cette vie et de cette mort où beaucoup de Français lisaient le sens de leur histoire.

La canonisation de Jeanne d’Arc n’a sans doute pas été beaucoup plus qu’un peu d’eau bénite au bout d’un processus essentiellement national. Il est révélateur que, dans ce cas, l’autorité romaine n’ait pas fait dépendre sa décision, comme c’est en principe la règle, d’un nombre de miracles reconnus, comme si le sens de l’événement Jeanne d’Arc lui échappait, celui d’avoir illustré le rapprochement des deux France et aidé le pays à faire face aux épreuves du « premier xxe siècle ».

La « canonisation à plusieurs voix » de Jeanne d’Arc participait de ce que l’on a appelé la « catho-laïcité » française. Mais, l’ancien conflit étant terminé, il s’agit aujourd’hui, non pas de surmonter une division séculaire, mais de prendre de front une question lancinante : l’hésitation du pays entre l’universalité économique, politique et morale, à quoi il participe et veut participer, et le besoin pour la nation d’avoir non seulement un espace mais aussi une action qui lui soit propre, dont elle détermine elle-même l’orientation, désespérant souvent d’y parvenir. Dans ces conditions, il s’agit, si l’on veut canoniser, moins de célébrer un exploit que de présenter un modèle d’exigence. Dans un monde sécularisé peut s’engager un changement de sens du mot canonisation : il consacrait une fidélité active à la règle, il peut désigner le courage d’affronter la question ultime, celle que pose l’existence même de l’humanité et du monde, en particulier à un de ses points d’émergence, l’appartenance à un peuple, à une nation en même temps qu’à l’humanité en général.

Un personnage peut incarner cette exigence inquiète, Charles de Gaulle que tout le monde invoque rituellement avec plus de nostalgie que de conviction. L’épiscopat français pourrait demander à Rome qu’un « procès informatif » soit engagé qui pourrait aboutir à une béatification. De Gaulle étant le personnage central de notre xxe siècle, il s’agirait d’interroger sa vie et en même temps de nous interroger nous-mêmes. La canonisation à l’horizon du processus ne saurait évoquer une mise au pinacle, la fabrication d’une effigie, d’un fétiche, mais un mouvement vers une représentation plus exigeante de nous-mêmes. La référence chrétienne qui sous-tend le mot canonisation ne peut dans ces conditions renvoyer à une affiliation, mais indiquer qu’il faut aller au bout des questions posées, de l’interrogation à entreprendre sur l’objet historique à quoi nous participons, grâce aux questions sur la vie du héros qui l’a dirigé et qui l’incarne.

Israël, Netanyahou et le harcèlement organisé: quand les ennemis d’Israël jubilent

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De la fumée et des flammes jaillissent d'un bâtiment touché par une frappe aérienne israélienne à Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, vendredi 22 novembre 2024 © Bilal Hussein/AP/SIPA

Alors que les combats reprennent de plus belle en Syrie, où la seconde ville du pays, Alep, vient d’être reprise par les rebelles, et alors que le cessez-le-feu est déclaré au Liban, les grandes instances internationales comme l’ONU ou la CPI semblent s’acharner à faire de l’État hébreu un paria.


La condamnation judiciaire de Benjamin Netanyahou a offert un prétexte rêvé aux relais des mouvements islamistes en Occident pour afficher une joie triomphante. Mais derrière cette apparente satisfaction, se cache une détermination renouvelée à attaquer Israël et son droit à se défendre et à exister. Cette situation s’inscrit dans un contexte où Israël, seul au monde à devoir justifier sa légitime défense, fait face à des accusations démesurées et à une focalisation injuste, notamment de la part de la Cour pénale internationale.

Une justice à géométrie variable

Alors qu’Israël vient de réduire significativement les capacités militaires de nuisance des mouvements islamistes comme le Hamas, le Hezbollah, et des régimes qui les soutiennent, tels que l’Iran, c’est paradoxalement l’État hébreu qui devient la cible privilégiée des instances internationales.

La CPI, qui n’a jamais condamné les crimes de Bashar el-Assad en Syrie, les exactions des mollahs iraniens, ni celles des talibans afghans, concentre pourtant ses efforts sur Israël. Ce même Israël qui, face à des ennemis jurés prônant sa destruction, s’efforce depuis toujours de limiter les pertes civiles dans des situations de guerre.

Comment expliquer ce traitement à part ? Les actions d’Israël, pourtant justifiées par son droit à la légitime défense, sont systématiquement scrutées, jugées et dénoncées par une coalition informelle composée d’organisations internationales, d’ONG, de personnalités influentes et de mouvements politiques de la gauche extrémiste.

Pendant ce temps, les crimes massifs commis ailleurs, souvent avec une violence inouïe et sans retenue, restent dans l’ombre.

La stratégie des mouvements islamistes : instrumentaliser la justice internationale

Les mouvements islamistes et leurs relais occidentaux exploitent ces condamnations pour alimenter leur propagande. Leur objectif n’est pas la justice ou la défense des droits de l’homme, mais bien de délégitimer Israël et de renforcer l’idée qu’il est un « État paria ».

L’acharnement contre Netanyahou devient alors un moyen de stigmatiser tout un peuple, tout un État, et, par extension, le droit des Juifs à se défendre. Cette campagne est orchestrée avec une efficacité redoutable, combinant des narratifs émotionnels, des appels à la justice sélective et une rhétorique de victimisation manipulée.

L’ONU et les « humanistes » : des complices volontaires ?

L’Organisation des Nations Unies, certaines associations dites « humanitaires », ainsi que de nombreuses personnalités artistiques ou politiques, jouent un rôle actif dans ce harcèlement organisé. Leurs discours et leurs actions, sous couvert de défense des droits humains, servent en réalité une cause idéologique bien précise : celle de l’affaiblissement d’Israël sur la scène internationale. Ces acteurs ignorent délibérément les efforts continus d’Israël pour épargner les civils lors de ses opérations militaires. Ils ferment les yeux sur le fait qu’Israël affronte des adversaires qui, eux, utilisent délibérément des populations civiles comme boucliers humains, violant ainsi toutes les conventions internationales.

Un harcèlement coordonné

Ce que nous observons, c’est une campagne globale, presque une forme de harcèlement en bande organisée. Israël, Benjamin Netanyahou et, par extension, tous les Juifs deviennent des cibles d’une coalition idéologique unie par son opposition à l’État hébreu. Cette campagne associe des institutions internationales, des ONG, des artistes, et des militants politiques, tous alignés pour délégitimer Israël.

A lire aussi, Hillel Neueur: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Et pourtant, cette focalisation est tout sauf normale. Elle révèle une dérive profonde dans l’ordre moral et juridique mondial. Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, se voit traité comme un État voyou, tandis que les régimes autoritaires les plus violents bénéficient d’une relative impunité.

Refuser la normalisation de l’acharnement

Il est temps de dire non à cette normalisation d’un traitement injuste et discriminatoire. Non, il n’est pas acceptable que des institutions internationales soient instrumentalisées pour stigmatiser Israël. Non, il n’est pas acceptable que des personnalités publiques et des organisations prétendument humanistes alimentent une rhétorique de haine déguisée en combat pour la justice.

Ce harcèlement organisé ne vise pas seulement Netanyahou ou Israël. Il attaque les principes mêmes de justice et d’égalité devant le droit. Si nous acceptons ce ciblage systématique, nous abandonnons les valeurs fondamentales de vérité, d’équité et de défense des droits universels.

Israël continuera à se défendre, non seulement sur le champ de bataille, mais aussi sur celui des idées. Et nous devons, à notre tour, dénoncer cette hypocrisie et ce deux poids, deux mesures qui affaiblissent la cause de la paix et de la justice.

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Au cabaret de la chance

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eric poindron topor cevennes
Eric Poindron, éditeur, écrivain et critique littéraire francais © BALTEL/LAMACHERE AURELIE/SIPA

Éric Poindron publie Au cabaret des oiseaux et des songes. Cet écrivain sensible nous rappelle que les oiseaux annoncent le soleil, la pluie, et parfois le vent mauvais


En lisant le singulier livre d’Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, édité par Le Passeur, je me suis mis à fredonner la chanson d’Yves Montand, « Au cabaret de la dernière chance » (paroles de Pierre Barouh / musique d’Anita Vallejo) qui commence ainsi : « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts / Et ceux qui vivent les yeux fermés ». Poète, éditeur, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Éric Poindron n’est pas homme à vivre les yeux fermés, bien au contraire. Il ne cesse de voir, mais aussi d’écouter, toucher, goûter, sentir, et cette symphonie des sens nourrit sa réflexion buissonnière, pour notre plus grand plaisir.

Son récit, ponctué d’aphorismes, de citations et d’extraits de poèmes, nous conduisent à quitter la ville et ses acidités, comme eût dit Charles Trenet. On retrouve cette terre miraculeuse, l’enfance, peuplée de rêveries célestes, de vallons verdoyants et de gens heureux parce qu’ils refusent de croire au malheur. Avec Éric Poindron, nous ouvrons la fenêtre et l’air libre électrise nos neurones. Les paysages de France se déploient devant nos yeux d’humains fatigués par la grisaille des idéologues, « contamineurs » de mots séculaires. On finit la soirée dans ce cabaret sans toit, éclairé par les étoiles. Puis on reprend la route au petit matin, frais comme un gardon. On suit Poindron, marcheur rousseauiste infatigable, sur les chemins des Cévennes, de l’Yonne, de la Lozère, de l’Ardèche ; il ne manque aucune conversation entre les oiseaux. Car il les aime, ces oiseaux qui annoncent le soleil, la pluie, le vent parfois mauvais. Poindron note : « Alors, dès mon jeune âge, j’ai décidé d’être un oiseau. Je voulais fuir l’école, raconter des histoires à mon rythme et me baigner dans l’océan jusque tard dans la saison. J’y suis parvenu. Mes rêves sont intacts. » Nous les découvrons avec ses digressions qui irriguent le livre. Comme nous découvrons, dans la préface signée Denis Grozdanovitch, que son ami et éditeur, Jean-Yves Clément, entretient « des rapports cabalistiques avec les pies malicieuses ».

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Vous l’aurez compris, ce livre est un livre de copains, pour de futurs copains. Poindron nous fait découvrir sa bibliothèque. Les morts sont souvent plus vivants que les vivants. Il y a le mage Cocteau, Jean Marais dans son long manteau en poil de chameau, Paul Morand, homme pressé par son talent, l’énigmatique Jules Verne, à propos duquel il écrit : « Ce bourgeois d’Amiens, cet homme casanier comme une huitre et qui dérivait dans ses rêves trompait son homme. » Et d’ajouter : « Jules Verne est un mystère voyageur comme le mystère d’une île. » On rencontre les amis du premier cercle, en pleine forme : Pascal Quignard, Jérôme Leroy, Pierre Michon, ou encore Yves Simon. Poindron n’oublie pas le regretté Gilles Lapouge dont il brosse un exotique portrait. Comme il n’oublie pas Joseph Pontus, terrassé par un cancer à 42 ans, auteur d’un livre unique, À la ligne (Éditions de La Table Ronde ; encore un coup de Jérôme Leroy…). Poindron rappelle : « Un titre astucieux et invendable, À la ligne, et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. » Ce qui n’est pas rien.

Ce livre permet également de mieux connaitre son auteur. C’est un texte autobiographique en forme de puzzle. Sa reconstitution est délicate, à l’image de l’écrivain. J’aime cette phrase qui en dit long sur sa personnalité : « Sur ma table de travail, prête pour l’écriture, une image d’autrefois, esseulée. Sans personne. Seulement une petite gare. »

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des songes ; mais quand il n’y aura plus d’oiseaux, les hommes auront disparu. J’écris cela car, de mon Limousin natal, je guette le retour des hirondelles, au printemps. Or je constate, depuis plusieurs années déjà, que beaucoup de nids restent vides. C’est pour cela qu’il faut pousser la porte du cabaret du poète Poindron pour prendre conscience de la fragile symphonie du monde.

Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, préface de Denis Grozdanovitch, Le Passeur Éditeur. 349 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Contre-manifestation lors d'une manifestation pro palestinienne à Londres, le 30/11/2024, SOPA Images/SIPA

Avec Céline Pina, Martin Pimentel, Gil Mihaely et Jeremy Stubbs.


Censure du gouvernement, démission du président ? Les islamogauchistes à l’œuvre, en France, en Belgique et au Royaume Uni. Bilan du cessez-le-feu au Moyen Orient.

Les étranges défaites

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L'historien français Marc Bloch (1886-1944) va entrer au Panthéon, a annoncé le président Macron le 23 novembre 2024. DR.

Marc Bloch et Boualem Sansal résistent


Mayday, SOS, coquin de sort ! Le Titanic Europe des copains d’abord a heurté l’iceberg Trump. Le présent est angoissant, le futur déprimant. Remplaçante, sur le banc de touche de l’histoire, dans la mauvaise conscience et l’auto-flagellation, la France se console en surjouant les défaites du passé : l’occupation, le vent mauvais, les bêtes immondes, la décolonisation… Pour égayer les fins de parties, les démons des éditions de minuit et les tubes des années de braise (44-54), surpassent ceux des années 80. Après les utopies, les uchronies et dystopies. Destinée… Les années noires font le buzz sur les rezzous sociaux, France Culture. Les débâcles, humiliations nationales, marronniers maléfiques, excitent les zouaves d’UFR, indigénistes indigents, tirailleurs-au-flanc, guérilléros de Collège de France, dé-constructeurs, héraults d’une histoire de France sans Histoire et sans France : la grande armée des rentiers de la repentance, compagnons de la décomposition nationale. Les incendiaires, champions du « vivre ensemble » !

Les tribus de l’émancipation intersectionnelle ont passé un accord de non-agression, un pacte (germanopratin) islamo-wokiste, contre-nature, à l’image de celui du 23 août 1939. À la recherche de la burka bio à visage humain, deux fanatismes – rose et vert – se donnent la main pour abattre l’ennemi commun, l’Occident libéral, blanc, coupable, masculin, maudit. Leur forfait accompli, les règlements de comptes à venir entre barbus et écoféministes misandres ne manqueront pas de ragoût. Sandrine Rousseau et Virginie Despentes (qui aime la kalach des assassins de l’Hyper-Casher) iront plaider la cause queer à Kaboul. Hidjab-Vie-Liberté… Annie Ernaux bientôt docteur « doloris causa » de l’université Al-Azhar ? Boualem a dit Bigeard, comme c’est Bigeard…

Deux pays à la ramasse

Boualem Sansal a été arrêté par les paras de la 10e DP du FLN et déféré au parquet antiterroriste d’Alger pour atteintes à la sûreté de l’État et à l’intégrité nationale. L’Algérie s’iranise. Dans son dernier opus (Le français, parlons-en !), l’écrivain dézingue au MAT 49 les passeurs de valises de billets, la rente mémorielle, les tabous franco-algériens.

A ne pas manquer, Causeur #128 : Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

« Au lendemain de son indépendance, l’Algérie disposait d’un patrimoine unique, moitié fourni par la nature, moitié par la colonisation qui avait bien équipé la demeure en infrastructures diverses, et jouissait d’un immense prestige dans le monde (…) Las, ses dirigeants de plus en plus médiocres et corrompus ont dilapidé le patrimoine et mis l’Algérie sur une ligne de déclin rapide qui a fait d’elle une proie facile pour l’internationale islamiste et les oligarques internationaux. Et depuis… elle s’enfonce et disparaît par petits bouts, par le séparatisme qui se développe en Kabylie et dans le Sahara et par l’émigration massive (…) ; dans le cerveau de l’Algérien on a installé deux logiciels incompatibles, un logiciel ultranationaliste construit sur une base fausse et une vision héroïque du futur, et un logiciel religieux archaïque qui porte une vision apocalyptique du monde. À qui se vouer ? » (Le Figaro).

L’essayiste est lucide sur son pays d’accueil. « La France n’est plus la France ni des Lumières, ni des Trente Glorieuses… mais celle des ennemis de la France et de son peuple… C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées ». La Bérézina aurait trois causes : « (1) L’immense, l’insupportable, la scandaleuse, l’incompréhensible médiocrité de son personnel politique ; (2) le poids gigantesque d’une immigration de très bas niveau qui refuse de s’intégrer par esprit de supériorité religieuse et parce qu’elle n’y voit aucun intérêt, que les Français eux-mêmes ne voient plus ; (3) l’enracinement sur son sol d’un islam profondément archaïque, issu en retour de bâton de ses ex-colonies, dont on ne voit pas où et comment il trouverait les moyens de se réformer et devenir cet islam des Lumières que ses chantres appellent de leurs vœux sans savoir de quoi ils parlent et sans chercher à deviner la suite » (Le Figaro).

Boualem Sansal © Hannah Assouline

Les Barbapapa de Télérama, dé-coloniaux de Sciences Po, s’étouffent. Boualem Sansal après le Goncourt de Kamel Daoud ! Gallimard, officine « Macronito-sioniste » file un mauvais coton Vichy. Les réacs, vipères lubriques, l’OAS, ne passeront pas ! Un bon Algérien ne devrait pas dire ça, ne devrait pas blesser les bons sentiments de Benjamin Stora, l’irénisme d’une gauche à l’Hamas sur l’islamisme, ses décapiteurs d’infidèles, kouffars, écrivains, professeurs, Salman Rushdie, Samuel Paty, Dominique Bernard. Le camp de l’émancipation, du progrès et de la rééducation, n’a jamais manqué de leaders éclairés : Lénine, Staline, Mao, Castro, Pol Pot, Khomeiny, Ortega, Maduro…

A lire ensuite, Dominique Labarrière: La jurisprudence Stora

Marc Bloch est sans filtre sur la déroute de mai 40 et les atavismes hexagonaux. « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par l’odeur de moisi qu’exhalent l’École, le bureau d’état-major du temps de paix ou la caserne. (…) Ce n’est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité ». L’Etrange défaite n’est pas digérée.

Qu’il s’agisse d’éducation, de défense, de finance, d’industrie, depuis trois générations, nous cabriolons dans les dénis, corporatismes, pourtousisme pipeau, une culture de l’excuse, l’idéal victimaire ; sans oublier l’individualisme, la crétinisation numérique, le séparatisme, trois derniers clous du cercueil. L’État, l’Europe, hors sols, impuissants, sans cap ni forces de propositions, bâtissent des termitières de gouvernances, lignes Maginot de trajectoires, directives, normes, règlements, à l’instar de notre état-major en 40. Les chansonnettes des sociologues de France Inter sur « l’en commun », le toutlemondisme, la verticalité élastique et les trémolos de Malraux d’opérette, place du Panthéon, n’abusent personne.  

La France en s’ébattant

La montagne Sainte-Geneviève, c’est la Roche de Solutré d’Emmanuel Macron. Tous les ans il panthéonise. Le bon filon, c’est l’occupation : Joséphine Baker, Simone Veil, Missak et Mélinée Manouchian, bientôt Marc Bloch. Auprès des grands hommes, femmes admirables, Jupiter reconnaissant cherche un deuxième souffle, une aspiration. Dans les années vingt, le Docteur Voronoff garantissait une seconde vigueur en greffant des testicules de grands singes. La Vie des autres, La Vie antérieure d’Emmanuel Macron.

« J’ai longtemps habité sous de vastes principes
Que les soleils malins teignaient de mille feux
Et que de grands piliers, droits et cotonneux,
Rendaient pareils, le soir, aux votes qu’on agrippe.
Les foules, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Mes tout-puissants raccords et sa riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes vœux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu, qui rassure, du vague, des splendeurs
Et des footballeurs nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissait le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui m’avait fait élire ».

(D’après Charles Baudelaire)                     

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Le supplice chinois du RN

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Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, 28 novembre 2024 © OLIVIER JUSZCZAK/SIPA

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Michel Barnier et la tempête qui vient

Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

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Alexandre Portier et Anne Genetet, Paris, 23 septembre 2024 © J.E.E/SIPA

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

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Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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La Cour Pénale Internationale, une belle idée dévoyée

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Le 21 novembre 2024, la Cour Pénale International a émis un mandat d'ârrêt contre Benyamin Netanyahou (photo) et Yoav Gallant © Yassine Mahjoub/SIPA

Entre échecs flagrants et décisions controversées, la CPI semble loin de son ambition initiale de combattre les crimes les plus graves de manière impartiale. Grande analyse.


On doit le projet de Cour Pénale Internationale à deux  juristes juifs dont les familles  s’étaient réfugiées aux Etats-Unis dans l’entre deux guerres, Benjamin Ferencz et Robert Woetzel. Les années 1990 ont ressuscité ce projet car la fin de la guerre froide laissait espérer qu’un tribunal pérenne pourrait punir en toute justice les responsables des pires crimes sans créer au cas par cas des tribunaux  tels que ceux nécessités par les atrocités commises au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les prédictions de Fukuyama sur l’avènement universel de la démocratie libérale permettaient l’optimisme. 

On sait ce qu’il en est advenu.

Ferencz, qui était hanté par ses souvenirs de procureur principal aux procès des Einsatzgruppen est mort à 103 ans quelques mois avant le 7-Octobre où de nouveau des Juifs, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassiné. Mais ce sont deux Juifs qui depuis la semaine dernière sont portés au pilori par une CPI qui depuis sa création a accumulé les échecs dont certains confinent au grotesque.

Trop aimable, la CPI laisse l’accusation de génocide contre Israël à la CIJ

La CPI a été mise en place en 2002, après que 60 Etats ont ratifié ses statuts. On les appelle « parties au traité de Rome ». Il y en a aujourd’hui 124. On n’y trouve pas les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, ni les Etats du Moyen Orient à une exception près, la Palestine.

Dès qu’elle fut acceptée comme Etat observateur à l’ONU, celle-ci a adhéré à la CPI et  a déposé plainte contre Israël. En mars 2021, Mme Fatou Bensouda, alors Procureur à la CPI, annonçait l’ouverture d’une enquête contre Israël. Cette inculpation permet à l’organisation, et à son procureur actuel Karim Khan, de se donner à bon compte une image «universaliste» alors que la CPI avait été accusée par certains de n’enquêter que contre des dirigeants africains.

On rappelle que Mahmoud Abbas a accusé Israël de génocide à grande échelle dès le 10 octobre 2023, trois jours après le 7-Octobre. On rappelle aussi qu’il pense avoir une certaine expérience dans ce domaine depuis la thèse négationniste qu’il a écrite à Moscou il y a une cinquantaine d’années. Mais la CPI n’accuse pas les dirigeants israéliens de génocide. Elle laisse cette question à la CIJ, qui juge les pays et non les individus et qui est sollicitée comme on le sait par l’Afrique du Sud. La CPI enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. A quoi a-t-elle abouti jusqu’à maintenant?

N’étant pas un juriste et n’ayant aucunement la fibre théorique du droit international, j’ai tenté de  mieux appréhender le fonctionnement – et le dysfonctionnement – de la CPI en me reportant aux années du nazisme et en supposant que la CPI aurait existé dans ses statuts d’aujourd’hui, que les Etats européens y avaient adhéré mais que l’Allemagne hitlérienne s’en était retirée, des suppositions non déraisonnables. 

Trois épisodes parmi d’autres dans cette histoire qui n’est pas entièrement une fiction où une telle CPI aurait pu intervenir: la Nuit de Cristal, les camps d’extermination et les bombardements alliés.

Nuit de Cristal, novembre 1938. 1400 synagogues et 7000 commerces détruits, une centaine de Juifs tués, 30 000 envoyés en camp de concentration. Qu’aurait fait la CPI? 

Réponse: rien, puisque ces crimes se sont déroulés sur le territoire d’une Allemagne souveraine et non signataire. 

La Haye. DR.

Aujourd’hui, c’est pourquoi les Ouïghours en Chine, les femmes afghanes et iraniennes, les victimes de Assad en Syrie, les Kurdes de Turquie et les Yezidis en Irak n’ont rien à espérer de la CPI. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine puis contre Netanyahu parce que les crimes dont ils sont accusés ont eu lieu soit en Ukraine,  dans un pays qui a sollicité spécifiquement la CPI au sujet des enfants ukrainiens enlevés par les Russes, soit par l’Autorité palestinienne au sujet d’actes commis dans un territoire, Gaza, sur lequel elle a une  théorique souveraineté.

En fait, suivant le principe de complémentarité  la CPI pourrait enquêter sur le territoire d’un Etat non signataire si le Conseil de Sécurité lui en donnait le pouvoir. Il faudrait pour cela une large majorité du Conseil et une unanimité des cinq titulaires du veto. Cela met à l’abri tous les pays dont les relations diplomatiques sont suffisamment étoffées et devient impossible dans un monde de plus en plus clivé. 

Des résultats marginaux

En fait, cette situation s’est produite deux fois,  contre Kadhafi dans les dernières semaines de sa vie (son fils également sous le coup du mandat d’arrêt n’a jamais été livré à la CPI) et surtout contre le président soudanais Omar el-Bechir à la suite des massacres au Darfour: un mandat d’arrêt a été émis en 2009 contre lui. Cela ne l’a pas empêché de bénéficier du soutien des Etats islamiques, de la Russie et de l’Union africaine et de voyager sans risque d’être arrêté dans les pays signataires. S’il est en prison aujourd’hui c’est à cause d’un coup d’Etat qui n’a rien à voir avec la CPI.

D’autres initiatives prises spontanément par le Procureur de la CPI (ce qu’on appelle le «motu proprio») à l’égard de ressortissants de pays signataires, sous le motif que ces pays ne font pas le travail juridique que la CPI juge nécessaire (sous le principe de «complémentarité») ont parfois abouti à des résultats grotesques: le Kenyan Uhuru Kenyatta est mis en accusation par la CPI en 2012 pour des violences qualifiées de crimes contre l’humanité commises à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Cette accusation ne l’empêche pas d’être élu président en 2013 et de se présenter à la convocation de la CPI qui annonce piteusement l’abandon des charges contre lui. 

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Quant à Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire emprisonné par son successeur et livré à la CPI qui le réclamait, il est relâché par la Cour après sept ans de détention préventive, définitivement acquitté après dix ans et est désormais candidat dans son pays pour l’élection présidentielle de 2025. 

De même que en 1938, charbonnier se veut maitre chez soi, la CPI ne peut rien faire à l’intérieur des Etats qui ont rejeté sa juridiction s’ils ont suffisamment de soutiens étrangers et qui peuvent donc exercer des politiques répressives dans leur pays sans interférence de sa part. Elle peut agir à la marge sur des ressortissants d’Etats signataires sans appui international suffisant, situation ne touchant que des Etats faibles et exposant aux échecs pratiques qu’on a vus avec une CPI dénuée de toute possibilité coercitive. Elle peut en revanche à l’occasion d’un conflit considéré comme transfrontalier jeter l’opprobre sur les dirigeants d’un Etat non signataire mis en accusation par son voisin. Comme par hasard Israël est dans cette situation, mais un mandat d’arrêt contre son Premier ministre a un retentissement que n’a pas le même document émis contre un chef d’Etat africain. 

Dans notre schéma d’histoire fiction, que ce serait-il passé si le gouvernement polonais en exil, signataire du traité de l’hypothétique CPI d’avant-guerre avait émis une plainte au sujet du traitement des individus dans les camps placés par l’ennemi allemand sur son territoire? 

Il est aussi à craindre qu’il n’en aurait rien été. La CPI n’avait pas (et n’a pas encore aujourd’hui) les moyens d’effectuer par elle-même une enquête qui aurait été confiée à la Croix Rouge suisse. Etant donné la façon dont celle-ci s’est laissé complaisamment duper à Theresienstadt, elle aurait probablement produit un document anodin et le dossier serait clos.

Si la Croix Rouge suisse avait à l’époque de très solides préjugés à l’égard des Juifs, que peut-on dire, à l’égard d’Israël, des ONG à qui la CPI, dont les moyens propres sont très limités, s’appuie pour émettre ses conclusions?

La CPI ne comprend pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat existentiel

Ce que la CPI reproche avant tout à  MM. Netanyahu et Gallant, c’est la famine à Gaza, plus exactement l’emploi de la famine comme arme de guerre: « war crime of starvation as a method of warfare ». Cette formule est, au mot près, celle qui a été utilisée dès novembre 2023 par une ONG particulièrement virulente à l’égard d’Israel, Human Rights Watch. C’est alors d’ailleurs que le Secrétaire général de l’ONU a pris l’habitude de ses déclarations répétées sur lesquelles l’apocalypse allait frapper Gaza le mois suivant. Or, à l’époque où le Procureur de la CPI clôt son enquête, en mai 2024, la situation alimentaire est plutôt stabilisée, non seulement d’après les services israéliens, mais suivant l’IPC qui est l’organisme de référence mondial en matière d’insécurité alimentaire, et qui admet alors que ses critères de famine ne sont pas présents. 

Dans son document de novembre, la CPI mentionne bien que des camions d’aide alimentaire ont été envoyés à Gaza, mais elle refuse d’en accorder le moindre crédit aux dirigeants israéliens sous prétexte qu’ils ont laissé passer ces camions sous la contrainte des Américains. A aucun moment en outre, la CPI n’évoque les camions pillés par le Hamas et le marché noir qui en résulte, ni les armes cachées dans les camions. Le message unique – et ignoble – qui ressort de son texte est qu’Israël cherche à éliminer la population civile par le biais d’une famine.

Finalement, je m’étais demandé ce qui se serait passé si à l’époque du Débarquement, le gouvernement de Pétain avait déposé plainte devant une CPI pour crimes de guerre contre la population civile normande bombardée par les Alliés. La réponse est simple: elle aurait probablement émis un mandat d’arrêt contre Eisenhower, Churchill et Roosevelt. Une CPI analogue à celle d’aujourd’hui aurait probablement considéré que la guerre contre les nazis n’était justifiable que si elle épargnait les civils. La CPI d’aujourd’hui ne considère en tout cas pas qu’Israël mène contre le Hamas un combat implacable, existentiel, contre un ennemi qui proclame dans ses textes de base et dans sa propagande quotidienne que sa volonté est de détruire complètement Israël, ce qui en fait un nazisme de notre siècle.

A aucun moment dans son rapport la CPI ne mentionne ni les otages, ni les massacres du 7-Octobre. Ce à quoi on aboutit est la conclusion subliminale que les dirigeants israéliens cherchent avant tout à exterminer la population civile de Gaza et cette abjection est évidemment présentée dans la langue juridique la plus raffinée.

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Aussi infondée qu’elle soit, cette accusation va trouver beaucoup d’oreilles réceptives et détériorer encore l’image, non seulement du Premier ministre israélien. mais celle du pays tout entier. C’est l’objectif réel de ceux qui ont mis en place cette enquête. Il y a aussi les hommes et femmes politiques, qui ont prétendu que l’important était de soutenir la justice internationale et d’appliquer les mandats de la CPI: pas de visites dans nos pays respectueux de leurs engagements internationaux, non seulement pour les accusés, Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, mais peut-être aussi, pour tous ceux que la CPI aurait pu nommer dans des documents gardés secrets: peut-être les chefs militaires israéliens ? Et à ce compte peut-être tous ceux des Israéliens qui ont pu en tant que soldats avoir eu à faire avec ce crime d’extermination d’une population par la famine, qui risqueraient de se faire refouler, voire arrêter dans leurs voyages dans des pays peu favorables à Israël. On ne s’attardera pas sur les messages contradictoires d’Emmanuel Macron tant ils sont désormais banals.

On peut faire beaucoup de reproches aux dirigeants israéliens. On peut ne pas les croire quand ils disent que la situation alimentaire à Gaza est excellente alors qu’il semble établi que la malnutrition progresse dans le nord de Gaza. On ne peut pas cependant croire une seconde que les conclusions de la CPI soient autre chose que des partis pris anti-israéliens, elle qui  n’a incriminé aucun responsable des famines liées à la guerre du Tigré et du Soudan, qui ont fait des centaines de milliers de morts. 

A étudier le minable bilan de la CPI en ses vingt ans d’existence, on se demande s’il faut pleurer devant cet échec flagrant d’un bel espoir, ou rire de ses absurdités. 

Il y a évidemment ce Procureur Général, censé être le parangon des vertus comportementales, empêtré dans une affaire de frasques sexuelles. Il y a aussi, ce qui est encore plus grotesque, ce mandat d’arrêt international délivré contre un cadavre, celui de Mohamed Deif, dont on se doute bien qu’il a été émis pour donner l’hypocrite impression que la justice de la CPI est impartiale: cette mise en équivalence du chef militaire du Hamas et des dirigeants israéliens est obscène.

« Summum jus, summa injuria ». Le droit poussé à l’extrême devient une extrême injustice. Cette phrase célèbre de Cicéron s’applique malheureusement parfaitement  à la CPI, une belle cause dévoyée.

L’étrange limogeage de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide

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Alice Wairimu Nderitu, ONU, New York, juillet 2024 © Lev Radin/ZUMA Press Wire/Shutte/SIPA

La prudence d’Alice Wairimu Nderitu face aux accusations de génocide contre Israël est vraisemblablement l’explication la plus plausible.


L’Organisation des Nations Unies a été fondée le 24 octobre 1945 afin de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. On dirait qu’aujourd’hui sa raison d’être principale est de critiquer l’État d’Israël, voire de condamner ce dernier pour le crime de génocide. La dernière action en date allant dans ce sens, c’est le non-renouvellement du contrat de l’actuelle Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu. Cette Kenyane de 56 ans est une experte reconnue dans les domaines des droits humains et de la médiation. Elle est intervenue dans de nombreux pays africains et a travaillé avec le Auschwitz Institute for the Prevention of Genocide and Mass Atrocities (Institut Auschwitz pour la prévention du génocide et des atrocités de masse). Selon le quotidien américain, The Wall Street Journal, dans un article publié le mardi 26 novembre, la Conseillère spéciale, en poste depuis 2020, n’a pas été renouvelée car elle aurait refusé de déclarer que les opérations israéliennes à Gaza constituaient un génocide. Et l’éditorial de poser la question suivante : « Quelqu’un d’intègre peut-il survivre longtemps au sein de l’ONU ? »

Le génocide élusif

L’attitude obstinée d’Alice Nderitu n’aurait pas plu au Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ni au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, l’Autrichien Volker Türk. The Wall Street Journal va jusqu’à affirmer que la Conseillère spéciale aurait été « virée », mais les sources officielles de l’ONU maintiennent que son mandat a tout simplement expiré et – comme d’autres mandats d’experts – ne serait pas prolongé. Pourtant, il est bien possible que la décision de se séparer d’Alice Nderitu ait une motivation politique. Car le 7 février, seize organisations propalestiniennes ont envoyé une lettre à António Guterres pour dénoncer « l’inaction flagrante » de Mme Nderitu face aux « atrocités de masse continues » infligées aux Gazaouis, inaction qui soulèverait des doutes sur « sa capacité à exécuter son mandat avec l’efficacité et l’impartialité nécessaires ». À cette date, la Conseillère spéciale n’avait publié qu’une seule déclaration au sujet de la guerre déclenché par le Hamas. Le 15 octobre, elle avait exprimé son inquiétude quant aux répercussions des événements dans d’autres pays « où la prolifération de discours de haine antisémites et antimusulmans hors ligne et en ligne, ainsi que des violences identitaires, qui seraient inspirées par la situation au Moyen-Orient, ont été signalées ». Il est vrai que cette attitude prudente fait contraste avec celle de la plupart des autres rapporteurs spéciaux et experts indépendants de l’ONU qui, en octobre et novembre 2023, ont condamné Israël publiquement en évoquant un possible génocide. On peut bien imaginer que les lobbys propalestiniens soient furieux que, presque seule, la spécialiste des génocides ne soutienne pas les déclarations de ses collègues.

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Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous

La lettre des seize organisations propalestiniennes a bien entendu été publiée après la procédure engagée le 29 décembre auprès de la Cour de justice internationale de l’ONU par l’Afrique du Sud, accusant Israël de génocide. Là aussi, Alice Nderitu est restée très prudente dans ses paroles, se contentant de faire publier par son bureau une déclaration le 29 octobre qui affirme que « son mandat de prévention ne lui permet de prendre position sur la question de savoir si le crime de génocide ou tout autre crime international spécifique a été commis, ce qui ne peut être déterminé que par un tribunal compétent, indépendant et impartial. À cet égard, la Conseillère spéciale réitère son plein respect pour les procédures en cours à la Cour internationale de Justice ». Ce qui a dû faire rager encore plus les propalestiniens – onusiens et autres – c’est que la Conseillère spéciale, elle-même d’origine africaine, a tiré la sonnette d’alarme quant au risque d’un génocide « semblable à celui du Rwanda » (de 1994) au Soudan où sévit actuellement une guerre civile de la plus grande cruauté qui est très loin d’avoir attiré l’attention médiatique du conflit à Gaza. Mme Nderitu a exprimé son inquiétude au mois de mai cette année, et de nouveau en septembre. Il est fort probable que ceux qui veulent absolument voir un génocide des Palestiniens ne supportent pas la concurrence d’un autre génocide possible en Afrique.

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Le sort d’Alice Nderitu fait contraste avec celui réservé à Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Cette dernière est interviewée régulièrement par les médias occidentaux mainstream et, fin octobre, a pu faire une tournée des Etats-Unis, prenant la parole devant l’ONU à New York et sur différents campus américains. Et ce, en dépit d’une dénonciation pour antisémitisme de la part de l’Ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield. Mme Albanese, qui a publié deux rapports accusant Israël de génocide, dont le dernier date du 1er octobre, a déclaré sur Radio Canada que l’on assiste au « premier génocide colonial diffusé en direct qui a lieu à l’égard du peuple palestinien ». L’ONG suisse UN Watch, dont j’ai récemment interviewé le directeur, Hillel Neuer, a publié les résultats d’une enquête sur Mme Albanese dans un document de 60 pages intitulé « A Wolf in sheep’s clothing » (Un loup déguisé en mouton). Pour le moment, cette rapporteuse spéciale peut continuer à exprimer sa haine d’Israël avec impunité, tandis qu’Alice Nderitu, dont le discernement, l’expertise et les valeurs professionnelles sont inégalées, est éconduite par l’ONU.

Elle aura une source de consolation. Hillel Neuer, de UN Watch, se dit tellement impressionné par son courage, que son organisation serait prête à l’embaucher…

https://twitter.com/HillelNeuer/status/1861647973903474859

L’impartialité dangereuse: quand l’évocation des crimes de gauche devient une faute

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Le dictateur espagnol Francisco Franco au chevet de blessés pendant la guerre d'Espagne, Burgos, 1938 © AP/SIPA

Certains historiens voire certains enseignants ne sont pas de gauche. Nous publions ici le témoignage anonymisé d’un professeur d’histoire-géographie ayant eu le grand tort de ne pas penser « dans les clous » alors qu’il tentait de raconter la guerre d’Espagne à ses élèves…


L’enseignement de l’histoire, lorsqu’il est correctement appréhendé, est un merveilleux outil pour affiner les jugements et développer le sens critique des élèves. L’ouverture d’esprit qui doit en découler est généralement synonyme de tolérance autant que d’esprit de finesse. Au-delà de ma passion pour cette discipline, je fais ce métier pour tenter de transmettre ces précieux outils intellectuels à mes élèves.

Mais il y a quelques semaines, j’ai été personnellement confronté à une situation kafkaïenne qui a renforcé ma conviction que l’institution n’est plus toujours, loin s’en faut, au service de cette Histoire qui élève l’esprit en nous libérant du sectarisme et des préjugés.


Une question m’a taraudé pendant plusieurs années à propos d’une thématique historique bien précise : comment faire comprendre à des élèves de terminale – qui n’ont été instruits sur la guerre civile espagnole que par des professeurs de langue étrangère peu ou mal formés d’un point de vue historique – l’adhésion d’une grande partie de la population au combat franquiste ? Ce questionnement à première vue élémentaire prend en réalité tout son sens lorsqu’on constate qu’après leurs cours d’espagnol extrêmement simplistes sur le sujet, les lycéens croient généralement que Franco est un Hitler espagnol, que les fascistes ont vaincu les démocrates, bref, que le mal a vaincu le bien.

Le rôle d’un professeur d’histoire consiste à essayer de dépasser ces jugements moraux pour atteindre une compréhension aussi claire que possible des événements. C’est loin d’être évident, même lorsqu’il s’agit d’adultes instruits, tant nos esprits sont conditionnés, souvent de façon inconsciente, par des ferments idéologiques.

Donner à connaître les persécutions religieuses qui ont eu lieu avant et pendant la guerre civile m’a semblé un angle d’attaque pertinent. Pour ce faire, j’ai utilisé un texte volontairement violent qui décrivait de quelle manière des membres du clergé régulier avaient été torturés et assassinés par des socialistes radicalisés, des communistes et des anarchistes. Je voulais que mes étudiants, eux-mêmes émus par les violences décrites, puissent envisager l’état de sidération de millions d’Espagnols encore fortement attachés aux traditions et pratiques catholiques. Bien entendu j’ai également expliqué les racines philosophiques et matérielles de cet anticléricalisme virulent pour que les élèves comprennent le point de vue des criminels endoctrinés.

Si une moitié au moins de l’Espagne s’est rangée dans le camp dit « national », ce n’est donc pas parce qu’elle adhérait à des idées fascistes et à un régime politique dont elle ne pouvait imaginer l’évolution future, mais surtout parce qu’elle était effrayée par le projet révolutionnaire d’une grande partie de la gauche qui n’était pas, ou plus, républicaine. L’idée que la guerre civile espagnole a vu s’affronter un camp démocrate et un camp fasciste est un mythe qui a la peau dure tant le déficit de formation est grand chez les professeurs de l’Éducation nationale. Certains prétendent, à juste raison, que le manque de culture historique n’explique qu’en partie la persistance du mythe. Il convient d’y ajouter le prisme idéologique d’une majorité d’universitaires peu enclins à instruire contre « leur camp ».

Ce texte a fortement « choqué » plusieurs élèves.

Pour mettre les choses en perspective, chacun peut se procurer ou parcourir sur internet un manuel d’histoire de terminale pour s’apercevoir que de nombreux documents sont particulièrement brutaux : photos d’enfants nus dans des camps d’extermination en 1945, évocations de tortures dans les régimes communistes ou durant la guerre d’Algérie, etc. Le XXe siècle est suffisamment riche en horreurs pour rendre parfois très glauques les manuels de l’Éducation nationale. C’est ainsi, et il faut le rappeler : choquer ou émouvoir ont des vertus pédagogiques. Un élève n’est pas un robot. Nous devons nous adresser au moins autant à ses affects qu’à son intellect si l’on veut lui faire comprendre des choses importantes. Ainsi nombreux sont les professeurs d’histoire qui projettent des extraits du célèbre film documentaire « De Nuremberg à Nuremberg » dont les images servies par la musique glaciale de Vangelis, sont particulièrement bouleversantes.

En somme, il aura suffi qu’une ou deux de ces élèves aillent exprimer leur vive émotion auprès du Proviseur pour que celui-ci, avant même d’entendre mes explications mais après avoir donné à lire le texte à l’Inspecteur, me place en mesure conservatoire.

Toutefois le plus grave, à mes yeux, advint lors des entretiens avec ce dernier qui par son parcours universitaire ne pouvait ignorer les persécutions religieuses perpétrées par la gauche révolutionnaire espagnole durant les années 1930. De fait, ces persécutions sont considérées comme les plus importantes depuis la Révolution française, du moins en Europe occidentale.

Il m’a été vertement reproché d’avoir mis l’accent sur ces faits notoires mais surtout d’avoir tiré l’article d’un site d’information catholique conservateur où l’auteur écrit régulièrement. Ce dernier pourtant recommandé par des universités françaises, lui-même professeur de faculté d’histoire et auteur de nombreux ouvrages, ne serait pas un « historien » au dire de l’Inspecteur. Plus inquiétant encore, il serait ouvertement antiféministe car au début de l’article dont j’ai extrait le texte pour mes élèves, il critiquait la manière sarcastique dont une célèbre féministe espagnole avait évoqué les viols de nonnes au début de la guerre civile. Cela en dit long sur la manière dont le combat idéologique peut finir par priver le combattant de toute logique élémentaire. Lorsque j’ai questionné mon Inspecteur sur l’historicité des faits décrits, celui-ci s’est contenté de répondre que « là n’était pas la question »…


Tirons, pour conclure, les enseignements de cet épisode qui, heureusement pour moi, se termina par une levée sans sanction de la mesure conservatoire.

Doit-on écarter de nos pratiques pédagogiques tel ou tel historien pourtant soucieux des faits au prétexte qu’il serait ouvertement de droite ? Il s’agirait selon moi d’une faute à la fois méthodologique et déontologique en contradiction avec la laïcité républicaine.

Il est tout à fait significatif que les faits pourtant connus que j’ai étudiés en classe soient très peu mis en avant voire laissés de côté par les historiens classés à gauche. Le piège se referme donc sur les enseignants qui voudraient traiter ces événements tout en acceptant le principe tacite d’ostracisation des chercheurs de droite. C’est ainsi que dans l’immense majorité des cas, les élèves français n’entendent jamais parler de ces crimes dans le cadre scolaire.

Il se trouve que l’un des aspects les plus intéressants de l’enseignement de l’histoire au lycée consiste à faire comprendre que les silences disent au moins autant que les éclairages. L’honnêteté intellectuelle impose de se pencher attentivement sur les angles morts de toutes les écoles historiographiques. En priver des élèves quasiment adultes constitue indéniablement un manquement grave à l’éthique de ma profession.

Qu’il soit encore quasiment impossible, dans l’Espagne actuelle, de débattre sereinement de cette tragédie qu’a été la guerre civile peut se comprendre. Mais nous devons aux élèves français un regard dépassionné qui embrasse les divers points de vue pour comprendre ce qui s’est passé tout en évitant, bien entendu, le piège de la justification des violences. C’est le meilleur rempart contre les dérives liées au fanatisme et l’entretien d’une guerre des mémoires à laquelle théoriquement, en tant que Français, nous n’avons pas à prendre part.

« L’historien n’est pas un juge […] il n’a pas de tabou », ont rappelé les illustres historiens et historiennes signataires de la pétition de 2005 qui pointait les dangers de l’immixtion du politique dans les questions historiques. Ces rappels constituent le socle de toute démarche scientifique visant à éclairer le passé. Il est de notre devoir de l’enseigner aux élèves de lycée, notamment en classe de terminale et surtout s’ils n’ont pas vocation à suivre des études d’histoire !

Concernant, enfin, l’antiféminisme supposé de l’historien qui suffirait à le discréditer non seulement moralement mais aussi professionnellement :  devrait-on donc trier les historiens en fonction d’un « certificat de moralité » et ne convoquer que ceux qui correspondent aux standards de l’historiographie de gauche, piétinant au passage nos principes démocratiques les plus élémentaires ? Ces questions aussi vertigineuses que glaçantes rappellent des heures sombres, très sombres, du siècle passé.

Je n’ose évidemment imaginer que tous les inspecteurs soient – par conviction ou par opportunisme – aussi dogmatiques. Toutefois, la décomplexion de celui qui a traité mon cas tend à me laisser penser qu’il n’a pas agi en franc-tireur. Son assurance autant que sa virulence font sens si l’on admet qu’une pensée systémique est à l’œuvre.

Mon intime conviction est que si le texte étudié avait évoqué des violences franquistes, l’émoi des élèves n’aurait pas été traité de la même manière par ma hiérarchie. Sans doute même que mon inspecteur n’aurait pas daigné se déplacer pour m’invectiver.

Ainsi en va-t-il de ceux qui osent parier, sans pour autant se leurrer sur leur propre objectivité personnelle, sur une forme d’impartialité historique dans l’Éducation nationale.