Accueil Site Page 252

Trêve au Liban: l’Iran a perdu la bataille, Israël n’a pas encore gagné la guerre

Alors qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban semble imminent, le Hezbollah reste, malgré de lourdes pertes, la force dominante au Liban. Si les succès militaires israéliens sont indéniables, la mise en œuvre de cet accord et son impact géopolitique soulèvent des questions majeures, notamment sur la capacité à contenir durablement le Hezbollah.


Un accord de cessez-le-feu au Liban semble se profiler, mais il reste difficile de convertir les résultats purement militaires en gains politiques et géostratégiques. Malgré les coups très durs qu’il a subis – tant matériellement que moralement – dans les ruines de l’État libanais, le Hezbollah demeure la force militaire, économique et politique la plus puissante du pays, et surtout la seule à conserver la capacité d’imposer sa volonté par la violence à l’intérieur du pays.

Bien que le projet d’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban n’ait pas encore été publié, plusieurs informations disponibles permettent d’en connaître les grandes lignes. Ce projet inclut un mandat élargi permettant à Israël de mener des frappes le long de la frontière et à l’intérieur du territoire libanais afin de neutraliser les menaces émanant du Hezbollah ou d’autres organisations. Selon cet accord, Israël serait autorisé à intervenir militairement dans tous les cas où des menaces, y compris en profondeur au Liban (par exemple dans la vallée de la Bekaa), seraient identifiées, telles que la production, le stockage ou le transport d’armes lourdes, de missiles balistiques ou de missiles à moyenne et longue portée. Toutefois, de telles interventions seraient conditionnées à l’échec du gouvernement libanais ou d’un organe de supervision placé sous l’égide des États-Unis à éliminer ces menaces.

Côté libanais, une zone spécifique de « légitime défense immédiate »

Par ailleurs, le texte autorise Israël à poursuivre ses vols militaires dans l’espace aérien libanais à des fins de renseignement et de surveillance. De plus, Israël ne libérera pas les membres du Hezbollah capturés dans le sud du Liban, d’autant qu’aucun civil ou militaire israélien n’est actuellement retenu par le Hezbollah.

Le document précise que l’armée libanaise sera la seule force armée, à l’exception de la FINUL, autorisée à opérer sur le territoire libanais. Ce point établit un lien, bien que modeste, avec la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2004, considérée comme plus contraignante que la résolution 1701 adoptée en 2006 après la deuxième guerre du Liban. L’armée libanaise sera également responsable d’empêcher l’entrée non autorisée d’armes et de munitions via les points de passage frontaliers, notamment à la frontière avec la Syrie, ainsi que de démanteler les infrastructures de production d’armement établies par diverses organisations sur le territoire libanais. De plus, l’accord délimite une zone spécifique au Liban, le long de la frontière, où les États-Unis reconnaissent à Israël le droit d’« agir en légitime défense immédiate. »

Ce texte, du point de vue israélien, est sans doute préférable à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et reflète clairement que le rapport de force entre le Hezbollah et Israël s’est nettement amélioré en faveur de ce dernier. Sur le plan militaire, les résultats sont indiscutables. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses dirigeants militaires et politiques, plus de 3 000 de ses combattants ont été tués, et plusieurs milliers ont été blessés, dont beaucoup ne pourront plus retourner au combat. Des centres de commandement, des dépôts de matériel de guerre et une large partie de ses roquettes et missiles (entre un et deux tiers) ont été détruits.

Le 17 septembre 2024, plus de 3000 membres du Hezbollah sont blessés et 42 personnes meurent dans l’explosion de leurs pagers, Beyrouth, Liban © EPN/Newscom/SIPA

Quant aux infrastructures, notamment les tunnels et autres constructions souterraines préparées et déployées le long de la frontière avec Israël pour permettre une attaque surprise comme celle du 7-Octobre, elles ont été largement démantelées. Plusieurs villages frontaliers, transformés depuis 2006 en structures mixtes civiles-militaires au service du Hezbollah, sont aujourd’hui réduits en cendres. Des vergers qui abritaient des bunkers camouflés ont également été systématiquement détruits. La majorité des habitants chiites du sud du Liban ont quitté leurs bourgs et villages, devenant des déplacés souvent sans véritable abri.

Et surtout, tous ces succès israéliens ont été obtenus avec des pertes relativement faibles au front – 70 morts au combat – et des dégâts légers à l’arrière du pays.

Enfin, l’élément le plus marquant est d’ordre psychologique. Après sa victoire de 2006, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah estimaient avoir instauré un équilibre de dissuasion stratégique avec l’État d’Israël, se percevant en quelque sorte comme ses égaux sur le plan militaire. Victorieux, voire invincibles, ils imposaient leur domination au Liban, au service de la communauté chiite, mais surtout de l’Iran. Ce n’est désormais plus le cas. Infiltré par le renseignement israélien, le Hezbollah n’a pas seulement été militairement affaibli, mais aussi profondément humilié – notamment à travers l’opération des « bippers » et les assassinats ciblés de ses dirigeants, y compris Nasrallah lui-même. Aux yeux de nombreux Libanais, cela a mis en lumière une forme de défaite pour une organisation perçue comme exerçant une occupation de facto sur le pays.

Pour illustrer ce changement, on peut citer Walid Joumblatt, leader druze connu pour ses revirements politiques constants. Celui qui, pas plus tard que l’été dernier, relayait encore la propagande du Hezbollah, critique aujourd’hui ouvertement l’Iran et son allié chiite local, signe d’un basculement significatif dans le paysage politique libanais.

Le Dôme de fer a tenu

En Israël, ces succès étaient inespérés. Pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait avant cette guerre, il est essentiel de se pencher sur le « scénario de référence » envisagé par les responsables israéliens. Publiée début février 2024, une étude menée par l’Institut de politique antiterroriste de l’Université Reichman examinait les défis critiques liés à la préparation de Tsahal et de l’arrière à une guerre multi-fronts. Ce travail, conduit sur trois ans par six groupes de réflexion réunissant près de 100 experts en terrorisme, anciens responsables de la sécurité, universitaires et décideurs, avait donné lieu à des conclusions glaçantes.

Selon ce scénario, le conflit devait commencer par des tirs massifs de roquettes du Hezbollah, visant presque l’intégralité du territoire israélien. Ces tirs, estimés à 2 500 à 3 000 projectiles par jour, auraient compris des roquettes non guidées et des missiles précis à longue portée. Les bombardements auraient continué quotidiennement jusqu’à la fin du conflit, prévue environ trois semaines après son déclenchement. Dès les premières phases, des groupes terroristes de toute la région auraient rejoint les hostilités. L’une des principales stratégies du Hezbollah aurait été de saturer les systèmes de défense aérienne israéliens, tels que le Dôme de fer, pour affaiblir la réponse israélienne.

Les réserves de munitions pour le Dôme de fer et la Fronde de David se seraient épuisées en quelques jours, laissant Israël sans défense active contre des milliers de roquettes et de missiles lancés jour et nuit. Parallèlement, le Hezbollah aurait cherché à neutraliser l’armée de l’air israélienne en ciblant ses pistes d’atterrissage et ses hangars, endommageant les avions F-16, F-35 et F-15, qui constituent les piliers de la supériorité aérienne israélienne.

Des missiles précis, équipés de charges explosives lourdes, auraient visé les infrastructures critiques : centrales électriques, installations de dessalement et réseaux de distribution d’eau. Les ports seraient paralysés, bloquant le commerce international.

A lire aussi: Trump, allié de la Russie, vraiment?

Des essaims de drones suicides iraniens tenteraient d’atteindre des cibles stratégiques au cœur d’Israël, comme des usines d’armement, des dépôts militaires et des hôpitaux, déjà surchargés par un afflux massif de blessés. Ces attaques auraient provoqué des destructions considérables en Israël, entraînant des milliers de pertes humaines, tant sur le front qu’à l’arrière.

En parallèle, le Hezbollah aurait envoyé des centaines de combattants de sa force d’élite Radwan pour infiltrer le territoire israélien. Ces forces auraient essayé de prendre le contrôle de localités frontalières et de postes militaires, obligeant Tsahal à se battre sur son propre territoire, ce qui aurait retardé ses opérations en profondeur au Liban.

Après environ trois semaines de violence, les destructions sans précédent en Israël et au Liban, combinées aux pressions internationales, auraient mis fin au conflit dans un sentiment frustrant de « match nul », comme en 2006.

La réalité de cette guerre, bien que grave, s’est avérée moins catastrophique que ce scénario, ce qui souligne d’autant plus la portée des succès israéliens.

Néanmoins, des questions cruciales restent en suspens : le Hezbollah parviendra-t-il à contourner les restrictions qui lui seront imposées ? Comment le mécanisme d’application, complexe et lourd, pourra-t-il réellement fonctionner ?

La résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la fin de la guerre du Liban en 2006, était déjà considérée comme une bonne décision du point de vue israélien. Toutefois, elle n’a jamais été appliquée par les acteurs censés la faire respecter, à commencer par la FINUL. Après quelques tentatives initiales pour remplir leur mission, les forces de la FINUL ont reçu un message clair du Hezbollah. En 2007, six soldats de la FINUL ont été tués dans un attentat à la voiture piégée dans le sud du Liban. Puis, en janvier 2008, un affrontement indirect a éclaté entre la FINUL et des militants du Hezbollah dans une zone contrôlée par l’organisation chiite, près de la frontière israélienne. Cet incident aurait été déclenché par une patrouille de la FINUL tentant d’accéder à une zone suspectée d’abriter des infrastructures militaires non déclarées. Le Hezbollah aurait bloqué l’accès, invoquant la sécurité des habitants locaux. Des rapports décrivent une confrontation tendue, sans affrontements armés directs, mais marquée par des menaces implicites. Les Casques bleus ont rapidement compris : leurs supérieurs onusiens et les gouvernements qui les soutenaient préféraient éviter tout conflit. Ils ont donc adopté une posture passive, feignant que tout allait bien.

Face à cette réalité, les gouvernements israéliens successifs – en particulier ceux dirigés depuis 2009 par Benjamin Netanyahou – ont eux aussi adopté une approche prudente et évité de « faire des vagues », observant sans intervenir l’installation progressive du Hezbollah dans le sud du Liban. Même après le 8 octobre 2023, lorsque la milice chiite a commencé à lancer des roquettes et à provoquer des incidents frontaliers, Israël s’est abstenu de répondre fermement et n’a pas non plus imposé l’application de la célèbre résolution 1701.

Le troisième acteur censé faire respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 était l’armée libanaise. Cependant, même lorsque les forces du Hezbollah ont installé des tours d’observation à quelques mètres de ses positions, elle n’a rien fait. En réalité, le Hezbollah a exercé une pression intimidante sur tous les acteurs locaux. Même lorsque les renseignements israéliens ont transmis des informations détaillées sur l’établissement d’infrastructures militaires du Hezbollah sous couvert d’activités civiles, aucune action concrète n’a été entreprise.

Aujourd’hui, un mécanisme international dirigé par un général américain pourrait-il traiter plus efficacement les violations de l’accord ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que ce mécanisme devra d’abord s’appuyer sur le gouvernement libanais, son armée, et la FINUL pour réagir aux plaintes et aux informations fournies par Israël. Israël conserve le droit de répondre immédiatement si le Hezbollah viole sa souveraineté, que ce soit par des tirs de roquettes, des obus ou des infiltrations. Cependant, ce droit découle déjà du principe de légitime défense. Ce qui manque – et ce qu’il est difficile d’envisager à ce stade – c’est la volonté politique de réagir avec force et de ne plus tolérer de telles violations.

Ainsi, les véritables défis émergeront lorsque le Hezbollah recommencera à reconstruire ses infrastructures civiles-militaires dans les villages chiites proches de la frontière ou dans les zones boisées environnantes. Dans ces conditions complexes sur le terrain, face à une population civile potentiellement hostile, peut-on réellement croire que la FINUL et l’armée libanaise parviendront à empêcher un retour progressif au statu quo ante du 7-Octobre ?

Bien que cet accord – s’il est effectivement signé, ce qui reste incertain – reflète une victoire militaire israélienne, sa valeur politique demeure pour l’instant incertaine. Seules des actions militaires directes – avec ou sans l’approbation de la commission internationale – pourraient transformer cet accord en un outil politique efficace dans la guerre qu’Israël et une partie des Libanais mènent contre le Hezbollah. Enfin, cet accord présente également l’avantage de mettre fin au conflit actuel et d’isoler le Hamas à Gaza. Selon certains observateurs en Israël, il pourrait servir de modèle pour un accord similaire à Gaza, incluant cette fois la libération des otages et l’établissement d’un mécanisme international ou arabo-international pour remplacer le Hamas.

Nutriscore: vous aimez tout ce qui est bon? C’est très mauvais!

Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.


Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…

Un vaste audit

Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).

À lire ensuite: Hécatombe chez les corvidés royaux, boussoles de la monarchie

Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.

La société de défiance n’est pas un progrès

Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.

C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.

Doc : Cour des comptes européenne.

Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.eca.europa.eu/fr/news/NEWS-SR-2024-23

Une conversion presque parfaite

L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam


Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.

Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.

Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !

Trump, allié de la Russie, vraiment?

0

Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.


En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.

Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.

Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.

A lire aussi, Gabriel Robin: Donald Trump 2.0: ce que la nouvelle équipe gouvernementale dit de l’Amérique

Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?

Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.

Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.

Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.

Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.

La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.

Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.

Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Trump élu? Non, les démo-woko bobos battus

Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.  

L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.

Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !


[1] France Inter, le 8 novembre 2024.

[2] Emission « Quelle époque », France Télévisions, le 9 novembre 2024.

Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !


A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.

Les procès de la télévision publique française

C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.

Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.

Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.

Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.

Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux

Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?

Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.

Une trahison

Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?

L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.

Umberto Eco, le jeune homme érudit

0

André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.


Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).

Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.

Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues  (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).

Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.

A lire aussi: Un temps retrouvé

Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »

Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».

À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.


Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.

Portrait d'Umberto Eco en jeune homme: 1932-1962

Price: 26,00 €

9 used & new available from 23,56 €

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Un gynécée pour le jihad

La réalisatrice de “Rabia” Mareike Engelhardt affirme ne pas avoir fait un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse et la frustration d’une jeunesse sans repères.


Jessica (Megan Northam), 19 ans, a la foi du charbonnier : flanquée d’une copine aussi ingénue qu’elle, la fille pas trop fûtée fait son baptême de l’air en vol low cost, sous la protection d’Allah et du Prophète, direction Raqqa, ville centrale d’une Syrie alors tombée pour partie sous le joug de l’EIIL (État Islamique en Irak et au Levant). Comme on pouvait s’y attendre, rien ne se passe comme prévu pour ces idiotes parties pour la charia comme pour une colonie de vacances : privées de smartphone, de bouquins (à part le Coran), réduites à l’état d’esclaves domestiques et sexuels, les voilà séquestrées dans une de ces madafas qui sont au culte mahométan ce que le couvent est au catholicisme – en moins marrant. Car, juste bonne à être engrossée, cette blanche chair fraîche doit essentiellement servir à repeupler la Terre de futurs martyrs, sitôt mariée (de force) au combattant djihadiste qui aura bien voulu convoler – l’affaire de cinq minutes. Baptisée « Madame » (Lubna Azabal, dans le rôle), une ex-juriste fanatisée régente cet aimable gynécée.

Lubna Azabal, sadique au regard de braise

Rabia suit en huis-clos le chemin de croix de Jessica dans ce cloître un peu spécial, depuis le moment où,  dessillée, elle tente en vain de se révolter (punition : fouet, et mitard privé de gamelle), puis de se carapater (sa copine y laisse la vie), jusqu’à celui où l’ancienne victime, ayant fait acte de soumission à « Madame », se change en nervi à sa botte – comme jadis les kapos des camps de la mort. Entre temps, elle aura, de justesse, échappé à un viol, tentative perpétrée par un grand freak blondasse aux yeux d’azur qu’on lui présente comme son futur, et qui, assujettissant son falzar, se rue soudain sur elle après l’avoir charmé de sa voix doucereuse. (Pour camper ce taré l’espace d’une courte séquence, le bel Andranic Manet, ex. rappeur de 27 ans qu’on a pu voir au théâtre incarner…  le jeune Poutine !)

A lire aussi: Tripatouillages en Roumanie rurale

Bref, Rabia trouvera son dénouement, sans surprise, avec le siège de Raqqua, détruite comme l’on sait à 80% en 2017 sous l’assaut de la coalition des mécréants. Morphinomane passablement secouée des méninges, « Madame » rappelle (de loin) Hitler dans son bunker. Saluons au passage la prestation de l’excellente comédienne belge d’origine hispano-marocaine Lubna Azabal, dans ce rôle de sadique au regard de braise.

Pas un film sur l’islam

Evidemment, le parallèle était tentant. Pourtant, s’il faut en croire Mareike Engelhardt, ex. danseuse contemporaine, ex. assistante de mise en scène auprès de Polanski sur Carnage, ou de Volker Schlöndorff sur Diplomatie, entre autres, et dont feu son grand-père sévit dans la SS, secret bien gardé par les géniteurs de la réalisatrice (laquelle dit en garder le traumatisme) : « ma démarche n’est pas de faire des raccourcis entre le terrorisme islamiste et le nazisme, mais le film rappelle que la faille vient de l’intérieur de nos sociétés et qu’il faut l’affronter collectivement au lieu de la fuir. Ce n’est pas un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse, les mécanismes de déshumanisation, et la frustration d’une jeunesse sans repères ». Dont acte.

Mais alors, nécessairement tourné en Jordanie et en France pour fictionner un régime de terreur historiquement avéré, parfaitement identifié dans sa spécificité irréductible, alors de quoi Rabia est-il le film – sinon celui de l’hydre islamiste ?  


Rabia. Film de Mareike Engelhardt. Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief. France, couleur, 2024. Durée: 1h35.

En salles le 27 novembre 2024.

En s’alliant à l’islamisme, la gauche a trahi les Lumières

0

Un peu partout dans le monde occidental, et singulièrement chez nous au sein du parti La France Insoumise, la gauche refuse de voir ce totalitarisme d’un type inédit qu’est l’islamisme.


Les propos de la propagandiste d’origine syrienne Rima Hassan, et les désordres que suscitent ses prises de parole publiques, avaient finalement conduit l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Pô) à interdire sa conférence prévue le vendredi 22 novembre dernier dans les locaux de la Rue Saint-Guillaume. Mais voilà que le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’IEP de reprogrammer cette conférence à une date ultérieure, à charge pour les organisateurs de « Students for Justice in Palestine », de présenter les garanties nécessaires au « bon déroulement » de la rencontre (!).

From the River to the Sea, le vrai slogan “génocidaire”

Cette décision du juge des référés est d’autant plus aberrante que la militante propalestinienne a été visée par une enquête pour apologie du terrorisme pour avoir qualifié « d’action légitime » les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. Rima Hassan incite en effet sans relâche, des universités françaises au Parlement européen, à rayer Israël de la carte. Et en soutenant des manifestants peignant de rouge leurs mains, elle accuse les Israéliens d’avoir les mains rouges du sang des Gazaouis, retournant contre les Juifs l’image glorifiée des assassins palestiniens qui avaient battu à mort des soldats israéliens à Ramallah en 2000.

A lire aussi: Bonnamy/Vermeren: Islamo-gauchisme, bilan d’étape

Mais tout cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de demeurer la nouvelle égérie de cette curieuse idéologie qui s’est développée dans la gauche en général, et tout particulièrement à LFI ou au sein d’une partie bruyante de la jeunesse universitaire, et de continuer à instrumentaliser ladite « cause palestinienne » contre Israël et les Juifs. Car la revendication d’un État palestinien n’est que la couverture de la négation de la légitimité d’Israël à exister, puisque cette Palestine revendiquée est censée s’étendre du Jourdain à la Méditerranée, « From the River to the Sea ». Le propalestinisme n’est que le masque de l’offensive islamiste qui dénie aux Juifs le droit d’avoir un État national, mais qui leur interdit tout autant de vivre en sécurité en France et d’y exercer tous leurs droits de citoyens. Dans cette vision, les Juifs devraient retrouver leur statut de dhimmis (sujets inférieurs en droit, humiliés, rançonnés et maltraités du temps des califats et de l’empire ottoman) faute de quoi ils sont systématiquement assassinés.


La petite faiblesse des islamistes, et nos grandes faiblesses occidentales

Mais les chrétiens, les « mécréants », les laïques, les démocrates, tous les Occidentaux en un mot, sont aussi les cibles des islamistes, même si les Juifs sont toujours leurs victimes de prédilection, d’autant qu’aujourd’hui ils sont considérés comme la pointe avancée de l’Occident au Moyen-Orient, comme des « privilégiés » parmi les privilégiés, comme des « super-blancs ». De Paris au Néguev, de novembre 2015 au 7 octobre 2023, l’islam est ainsi reparti à la conquête de l’Occident, s’attaquant à nos modes de vie et à nos vies tout court, à la fois sournoisement et violemment. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’une stratégie politique expansionniste, trop souvent méconnue ou mésestimée par les Occidentaux, menée principalement par un mouvement salafo-frériste polymorphe, à travers une alliance sunnite-chiite largement manœuvrée par l’Iran des mollahs.

La gauche et plus largement la nébuleuse desdits « progressistes » (partis, intellectuels, agents de la fonction publique, ONG) en France, mais aussi aux États-Unis et jusqu’en Israël, est particulière touchée par le déni de cette réalité ou de la dangerosité de celle-ci, laissant de plus en plus le champ libre aux islamistes. Cela, par conviction idéologique considérant le musulman (nouveau « damné de la terre ») comme la victime de « l’extrême droite » (ennemi principal à combattre), et/ou par lâcheté étant persuadée de l’inéluctabilité de la domination du « Sud global » sur l’Occident décadent. On prône alors comme le claironne Jean-Luc Mélenchon, les insoumis et leurs soumis verts et socialistes, les bienfaits d’une immigration musulmane de masse et d’une créolisation des populations et de la culture française.

A lire aussi: Boualem Sansal: ses propos sur le Sahara que l’Algérie ne digère pas

Dans les administrations françaises, on continue à faire preuve de laxisme et de complaisance coupable à l’égard de la propagande diffusée par des islamistes, et des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils perpétrent. De l’Éducation nationale où le « pas de vague » demeure le mot d’ordre implicite malgré les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et les agressions répétées d’enseignants, aux tribunaux dont les verdicts sont plus cléments à l’égard de menaces de mort (comme l’auteur de l’appel à « brûler vif » le proviseur du lycée Ravel, condamné à une amende de 600 euros et un ridicule stage de citoyenneté) que face aux gestes déplacés d’un Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique et une obligation de soins psychiatriques).

A rebours des luttes libertaires de jadis, les néo-féministes proclament le voilement des femmes comme instrument de leur libération, tandis que des militants LGBTQ++ clament leur soutien à une « Palestine libre » ignorant ou feignant d’ignorer le sort tragique promis aux leurs dans les territoires tenus par le Hamas mais aussi par l’Autorité palestinienne du Fatah, sous la botte islamiste en général (de Daech aux Talibans, du Levant à l’Asie musulmane) et jusqu’en France où en Allemagne : le 18 novembre dernier, la chef de la police de Berlin n’a-t-elle pas conseillé aux Juifs et aux homosexuels d’être prudents dans « certains quartiers » ?

Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que l’on retrouve des attitudes similaires de « dhimmitude volontaire » au sein de la gauche israélienne, essentiellement intellectuelle au demeurant, tant les partis (Travailliste et Meretz malgré leur récente fusion) sont réduits à presque rien dans la représentation nationale israélienne, en grande partie à cause précisément, de leur abandon d’un sionisme de combat.

La gauche oublie l’aspect essentiellement religieux du conflit au Proche-Orient

Comme la gauche française obnubilée par « l’extrême droite » et la montée en puissance du RN, la gauche israélienne n’a de cesse d’attaquer Benjamin Netanyahu et sa stratégie militaire contre le Hamas et le Hezbollah, au motif qu’il est allié à des partis d’extrême droite. Ainsi, le professeur de science politique israélien Denis Charbit dans son récent ouvrage Israël, l’impossible État normal, continue à condamner la « colonisation des territoires occupés en Cisjordanie » (plutôt que de parler des « implantations en Judée-Samarie », territoires « disputés » depuis l’éviction de la Jordanie qui s’en était emparé illégalement en 1949), et persiste dans la croyance que la création d’un État palestinien mettra fin au « conflit du Moyen-Orient » (alors que le cœur du conflit n’est pas territorial mais religieux, et que les leaders palestiniens refusent la coexistence pacifique d’un État palestinien à côté d’Israël). 

A lire aussi, Hillel Neuer: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Or, en s’alliant à l’islamisme, non seulement la gauche apporte ses forces militantes et ses votes à l’entreprise politico-terroriste salafo-frériste, mais elle trahit le fondement même de la pensée progressiste, à savoir la philosophie des Lumières européennes (le mot se décline dans toutes les langues européennes) et l’esprit laïque né en France avec la philosophie du libertinage (du latin libertinus, affranchi, esclave libéré) qui s’est diffusé jusqu’en Amérique latine. Luttant contre l’emprise des croyances religieuses et superstitieuses comme des croyances sécularisées des eschatologies totalitaires et des thèses complotistes de tous poils, le libre penseur s’oppose en effet aux dogmes et aux vérités révélées. La pensée libre s’autorise les interprétations à l’infini, puisant en cela dans la tradition talmudique comme dans l’herméneutique grecque et la disputatio théologique chrétienne, mais en contradiction foncière avec l’intégrisme musulman.

Et c’est bien la démocratie elle-même, tant politique que sociale, que la gauche menace dans son alliance avec l’islamisme. Car la démocratie consiste dans l’agencement d’institutions organisant l’expression du libre choix du plus grand nombre et l’extension au plus grand nombre possible non seulement de la décision politique mais aussi des biens matériels et culturels. L’unité de base de la démocratie est l’individu libre (quel que soit son sexe) : pour qu’il soit toujours plus libre d’exprimer ses choix, il lui faudra partager une égalité de plus en plus grande avec ses semblables, partageant toujours plus équitablement moyens prosaïques et instruments de la pensée et de la parole pour que perdure le débat démocratique et la libre expression.   

Face à ces principes fondateurs de la culture occidentale, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la poussée qui semble irrésistible de l’offensive islamiste. Quand la gauche en prendra-t-elle enfin la vraie mesure ? Quand considérera-t-on enfin que l’ennemi principal, celui qui met en péril tout autant la paix au Proche-Orient que nos acquis démocratiques, égalitaires et libertaires au cœur-même de toutes nos sociétés occidentales c’est aujourd’hui ce totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme ?

Boualem Sansal: ses propos sur le Sahara que l’Algérie ne digère pas

0

L’écrivain franco-algérien a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre pour des motifs encore inconnus.


Les liens historiques et humains qui unissent la France à l’Algérie font souvent sous-estimer la nature dictatoriale du régime politique qui la dirige. L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en est encore la triste confirmation : l’Algérie est une nation en pleine dérive qui ne tient sa population qu’en désignant des boucs-émissaires étrangers et en maniant le bâton avec les récalcitrants.

L’Algérie, une drôle d’Histoire !

Il n’est d’ailleurs qu’à lire la presse officielle algérienne pour s’en convaincre. Dans un communiqué d’une rare virulence, au ton semblable à ce que l’on pourrait trouver dans des régimes aussi aimables que la Corée-du-Nord, l’Agence Presse Service écrit à propos des réactions françaises à la détention arbitraire de l’écrivain binational : « la France prend la défense d’un négationniste, qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’Histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie ».

En cause, les propos tenus par Boualem Sansal au média Frontières. Il a notamment déclaré : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. » Ce propos historiquement exact est jugé « négationniste » dans une Algérie où l’histoire est mythifiée et abondamment utilisée pour souder la population.

À ne pas manquer, Causeur en kiosques: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Le caractère obsidional du régime créé par le FLN s’exprime notamment à l’égard de la France, des juifs, mais aussi du Maroc. La monarchie voisine est régulièrement vilipendée dans les médias algériens, jalousée aussi. Il ne fait donc guère de doutes que les propos de Monsieur Sansal sur la souveraineté marocaine dans la région du Sahara ont dû profondément énerver les autorités militaires algériennes, lesquelles soutiennent les séparatistes armés du Front Polisario depuis de nombreuses années.

De plus, le récent basculement de la France en faveur du plan d’autonomie marocain au Sahara a laissé un goût amer dans la bouche d’Alger. Vu comme un traître, Boualem Sansal est aussi un combattant inlassable des dérives islamistes qu’il a observées dans son pays d’origine, traumatisé comme tant d’autres par la guerre civile des années 1990 et les terroristes du GIA.

Boualem Sansal pourrait être poursuivi

Boualem Sansal est désormais dans une situation particulièrement périlleuse. Son arrestation politique pouvant conduire à la mise en œuvre de poursuites pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des motifs passibles de prison ferme en Algérie. Ces méthodes, visant un homme qui a récemment acquis la nationalité française, s’apparentent à celles des régimes totalitaires.

À lire aussi, Céline Pina: Mobilisation générale pour la libération de Boualem Sansal!

Elles font de l’Algérie un pays qui devrait horrifier nombre de belles âmes bien françaises. On est pourtant bien en peine de trouver des réactions venant d’une grande partie de la gauche, souvent complaisante à l’égard d’Alger. Comme l’explique l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat à La Dépêche du Midi : « Le Printemps arabe n’a qu’effleuré l’Algérie, l’Etat usant à la fois de brutalité et de clientélisme à coup de pétro et de gazodollars pour vite replonger son peuple dans l’apathie et la neurasthénie. Tout le monde le sait. Les Algériens le savent. Il n’y a guère que les immigrés et surtout leurs enfants en France pour chanter les louanges de l’Algérie en se gardant bien d’y vivre, de s’y faire soigner ou de s’y instruire. »

En manifestant clairement son intérêt à l’alliance marocaine, la France a dévoilé le fond de la pensée d’Alger. Revancharde et passéiste, l’Algérie de Monsieur Tebboune ne prend pas le chemin du progrès. Il est temps de lui rappeler qu’un dialogue se construit à deux et sûrement pas par le chantage.

Hécatombe chez les corvidés royaux, boussoles de la monarchie

Une superstition britannique veut que les corbeaux vivant en captivité dans la Tour de Londres soient supposés protéger la Couronne…


« Promis, Judith Godrèche, on te croa ! » DR.

L’annonce du décès d’un troisième corbeau nichant dans la mythique Tour de Londres aurait pu rester une brève parmi d’autres. Mais pour les tabloïds britanniques, il en va autrement : c’est un présage sinistre qui touche la monarchie de très près. Une légende tenace, vieille de deux siècles, affirme que « si les corbeaux de la Tour de Londres sont perdus ou s’envolent, la Couronne tombera et la Grande-Bretagne avec elle ». 

La disparition de Rex, corbeau baptisé en hommage à Charles III, n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Depuis 2022, les corvidés succombent mystérieusement. Parmi eux, Merlina, surnommée la « Reine de la Tour », disparue sans laisser de traces peu de temps avant la mort d’Elizabeth II. Dans l’imaginaire collectif britannique, les corbeaux de la Tour ne sont donc pas de simples oiseaux. Ils sont les gardiens d’une monarchie qui oscille entre tradition et modernité. Depuis l’accession au trône de Charles III, le royaume semble marcher sur une corde raide et fragile. Réformes contestées, scandales royaux, fractures sociales… assez d’éléments pour que les plus pessimistes voient dans ces disparitions un sombre augure. 

A lire ensuite: La Hollande, l’autre pays du halal

L’Historic Royal Palaces (HRP), qui veille sur cette célèbre prison abritant aujourd’hui les joyaux de la couronne, s’est efforcé de rassurer. Michael Chandler, le « Raven Master » en poste depuis deux ans, redouble d’efforts pour maintenir cet équilibre fragile. Nourris de mets macabres – poussins, rats, biscuits imbibés de sang – et soumis à des coupes précautionneuses de leurs plumes pour limiter leurs escapades, les corbeaux sont choyés comme des reliques vivantes et assurés de rester sur leur perchoir. 

Pourtant, silencieux mais omniprésents, ils semblent poser une question lancinante : et si, finalement, leur envol final et énigmatique signalait l’aube d’un bouleversement irréversible, un avertissement que devrait prendre très sérieusement les Windsor ? Honni soit qui mal y pense.

Trêve au Liban: l’Iran a perdu la bataille, Israël n’a pas encore gagné la guerre

0
Tyre, Liban, 26 novembre 2024 © Hussein Malla/AP/SIPA

Alors qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban semble imminent, le Hezbollah reste, malgré de lourdes pertes, la force dominante au Liban. Si les succès militaires israéliens sont indéniables, la mise en œuvre de cet accord et son impact géopolitique soulèvent des questions majeures, notamment sur la capacité à contenir durablement le Hezbollah.


Un accord de cessez-le-feu au Liban semble se profiler, mais il reste difficile de convertir les résultats purement militaires en gains politiques et géostratégiques. Malgré les coups très durs qu’il a subis – tant matériellement que moralement – dans les ruines de l’État libanais, le Hezbollah demeure la force militaire, économique et politique la plus puissante du pays, et surtout la seule à conserver la capacité d’imposer sa volonté par la violence à l’intérieur du pays.

Bien que le projet d’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban n’ait pas encore été publié, plusieurs informations disponibles permettent d’en connaître les grandes lignes. Ce projet inclut un mandat élargi permettant à Israël de mener des frappes le long de la frontière et à l’intérieur du territoire libanais afin de neutraliser les menaces émanant du Hezbollah ou d’autres organisations. Selon cet accord, Israël serait autorisé à intervenir militairement dans tous les cas où des menaces, y compris en profondeur au Liban (par exemple dans la vallée de la Bekaa), seraient identifiées, telles que la production, le stockage ou le transport d’armes lourdes, de missiles balistiques ou de missiles à moyenne et longue portée. Toutefois, de telles interventions seraient conditionnées à l’échec du gouvernement libanais ou d’un organe de supervision placé sous l’égide des États-Unis à éliminer ces menaces.

Côté libanais, une zone spécifique de « légitime défense immédiate »

Par ailleurs, le texte autorise Israël à poursuivre ses vols militaires dans l’espace aérien libanais à des fins de renseignement et de surveillance. De plus, Israël ne libérera pas les membres du Hezbollah capturés dans le sud du Liban, d’autant qu’aucun civil ou militaire israélien n’est actuellement retenu par le Hezbollah.

Le document précise que l’armée libanaise sera la seule force armée, à l’exception de la FINUL, autorisée à opérer sur le territoire libanais. Ce point établit un lien, bien que modeste, avec la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2004, considérée comme plus contraignante que la résolution 1701 adoptée en 2006 après la deuxième guerre du Liban. L’armée libanaise sera également responsable d’empêcher l’entrée non autorisée d’armes et de munitions via les points de passage frontaliers, notamment à la frontière avec la Syrie, ainsi que de démanteler les infrastructures de production d’armement établies par diverses organisations sur le territoire libanais. De plus, l’accord délimite une zone spécifique au Liban, le long de la frontière, où les États-Unis reconnaissent à Israël le droit d’« agir en légitime défense immédiate. »

Ce texte, du point de vue israélien, est sans doute préférable à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et reflète clairement que le rapport de force entre le Hezbollah et Israël s’est nettement amélioré en faveur de ce dernier. Sur le plan militaire, les résultats sont indiscutables. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses dirigeants militaires et politiques, plus de 3 000 de ses combattants ont été tués, et plusieurs milliers ont été blessés, dont beaucoup ne pourront plus retourner au combat. Des centres de commandement, des dépôts de matériel de guerre et une large partie de ses roquettes et missiles (entre un et deux tiers) ont été détruits.

Le 17 septembre 2024, plus de 3000 membres du Hezbollah sont blessés et 42 personnes meurent dans l’explosion de leurs pagers, Beyrouth, Liban © EPN/Newscom/SIPA

Quant aux infrastructures, notamment les tunnels et autres constructions souterraines préparées et déployées le long de la frontière avec Israël pour permettre une attaque surprise comme celle du 7-Octobre, elles ont été largement démantelées. Plusieurs villages frontaliers, transformés depuis 2006 en structures mixtes civiles-militaires au service du Hezbollah, sont aujourd’hui réduits en cendres. Des vergers qui abritaient des bunkers camouflés ont également été systématiquement détruits. La majorité des habitants chiites du sud du Liban ont quitté leurs bourgs et villages, devenant des déplacés souvent sans véritable abri.

Et surtout, tous ces succès israéliens ont été obtenus avec des pertes relativement faibles au front – 70 morts au combat – et des dégâts légers à l’arrière du pays.

Enfin, l’élément le plus marquant est d’ordre psychologique. Après sa victoire de 2006, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah estimaient avoir instauré un équilibre de dissuasion stratégique avec l’État d’Israël, se percevant en quelque sorte comme ses égaux sur le plan militaire. Victorieux, voire invincibles, ils imposaient leur domination au Liban, au service de la communauté chiite, mais surtout de l’Iran. Ce n’est désormais plus le cas. Infiltré par le renseignement israélien, le Hezbollah n’a pas seulement été militairement affaibli, mais aussi profondément humilié – notamment à travers l’opération des « bippers » et les assassinats ciblés de ses dirigeants, y compris Nasrallah lui-même. Aux yeux de nombreux Libanais, cela a mis en lumière une forme de défaite pour une organisation perçue comme exerçant une occupation de facto sur le pays.

Pour illustrer ce changement, on peut citer Walid Joumblatt, leader druze connu pour ses revirements politiques constants. Celui qui, pas plus tard que l’été dernier, relayait encore la propagande du Hezbollah, critique aujourd’hui ouvertement l’Iran et son allié chiite local, signe d’un basculement significatif dans le paysage politique libanais.

Le Dôme de fer a tenu

En Israël, ces succès étaient inespérés. Pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait avant cette guerre, il est essentiel de se pencher sur le « scénario de référence » envisagé par les responsables israéliens. Publiée début février 2024, une étude menée par l’Institut de politique antiterroriste de l’Université Reichman examinait les défis critiques liés à la préparation de Tsahal et de l’arrière à une guerre multi-fronts. Ce travail, conduit sur trois ans par six groupes de réflexion réunissant près de 100 experts en terrorisme, anciens responsables de la sécurité, universitaires et décideurs, avait donné lieu à des conclusions glaçantes.

Selon ce scénario, le conflit devait commencer par des tirs massifs de roquettes du Hezbollah, visant presque l’intégralité du territoire israélien. Ces tirs, estimés à 2 500 à 3 000 projectiles par jour, auraient compris des roquettes non guidées et des missiles précis à longue portée. Les bombardements auraient continué quotidiennement jusqu’à la fin du conflit, prévue environ trois semaines après son déclenchement. Dès les premières phases, des groupes terroristes de toute la région auraient rejoint les hostilités. L’une des principales stratégies du Hezbollah aurait été de saturer les systèmes de défense aérienne israéliens, tels que le Dôme de fer, pour affaiblir la réponse israélienne.

Les réserves de munitions pour le Dôme de fer et la Fronde de David se seraient épuisées en quelques jours, laissant Israël sans défense active contre des milliers de roquettes et de missiles lancés jour et nuit. Parallèlement, le Hezbollah aurait cherché à neutraliser l’armée de l’air israélienne en ciblant ses pistes d’atterrissage et ses hangars, endommageant les avions F-16, F-35 et F-15, qui constituent les piliers de la supériorité aérienne israélienne.

Des missiles précis, équipés de charges explosives lourdes, auraient visé les infrastructures critiques : centrales électriques, installations de dessalement et réseaux de distribution d’eau. Les ports seraient paralysés, bloquant le commerce international.

A lire aussi: Trump, allié de la Russie, vraiment?

Des essaims de drones suicides iraniens tenteraient d’atteindre des cibles stratégiques au cœur d’Israël, comme des usines d’armement, des dépôts militaires et des hôpitaux, déjà surchargés par un afflux massif de blessés. Ces attaques auraient provoqué des destructions considérables en Israël, entraînant des milliers de pertes humaines, tant sur le front qu’à l’arrière.

En parallèle, le Hezbollah aurait envoyé des centaines de combattants de sa force d’élite Radwan pour infiltrer le territoire israélien. Ces forces auraient essayé de prendre le contrôle de localités frontalières et de postes militaires, obligeant Tsahal à se battre sur son propre territoire, ce qui aurait retardé ses opérations en profondeur au Liban.

Après environ trois semaines de violence, les destructions sans précédent en Israël et au Liban, combinées aux pressions internationales, auraient mis fin au conflit dans un sentiment frustrant de « match nul », comme en 2006.

La réalité de cette guerre, bien que grave, s’est avérée moins catastrophique que ce scénario, ce qui souligne d’autant plus la portée des succès israéliens.

Néanmoins, des questions cruciales restent en suspens : le Hezbollah parviendra-t-il à contourner les restrictions qui lui seront imposées ? Comment le mécanisme d’application, complexe et lourd, pourra-t-il réellement fonctionner ?

La résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la fin de la guerre du Liban en 2006, était déjà considérée comme une bonne décision du point de vue israélien. Toutefois, elle n’a jamais été appliquée par les acteurs censés la faire respecter, à commencer par la FINUL. Après quelques tentatives initiales pour remplir leur mission, les forces de la FINUL ont reçu un message clair du Hezbollah. En 2007, six soldats de la FINUL ont été tués dans un attentat à la voiture piégée dans le sud du Liban. Puis, en janvier 2008, un affrontement indirect a éclaté entre la FINUL et des militants du Hezbollah dans une zone contrôlée par l’organisation chiite, près de la frontière israélienne. Cet incident aurait été déclenché par une patrouille de la FINUL tentant d’accéder à une zone suspectée d’abriter des infrastructures militaires non déclarées. Le Hezbollah aurait bloqué l’accès, invoquant la sécurité des habitants locaux. Des rapports décrivent une confrontation tendue, sans affrontements armés directs, mais marquée par des menaces implicites. Les Casques bleus ont rapidement compris : leurs supérieurs onusiens et les gouvernements qui les soutenaient préféraient éviter tout conflit. Ils ont donc adopté une posture passive, feignant que tout allait bien.

Face à cette réalité, les gouvernements israéliens successifs – en particulier ceux dirigés depuis 2009 par Benjamin Netanyahou – ont eux aussi adopté une approche prudente et évité de « faire des vagues », observant sans intervenir l’installation progressive du Hezbollah dans le sud du Liban. Même après le 8 octobre 2023, lorsque la milice chiite a commencé à lancer des roquettes et à provoquer des incidents frontaliers, Israël s’est abstenu de répondre fermement et n’a pas non plus imposé l’application de la célèbre résolution 1701.

Le troisième acteur censé faire respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 était l’armée libanaise. Cependant, même lorsque les forces du Hezbollah ont installé des tours d’observation à quelques mètres de ses positions, elle n’a rien fait. En réalité, le Hezbollah a exercé une pression intimidante sur tous les acteurs locaux. Même lorsque les renseignements israéliens ont transmis des informations détaillées sur l’établissement d’infrastructures militaires du Hezbollah sous couvert d’activités civiles, aucune action concrète n’a été entreprise.

Aujourd’hui, un mécanisme international dirigé par un général américain pourrait-il traiter plus efficacement les violations de l’accord ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que ce mécanisme devra d’abord s’appuyer sur le gouvernement libanais, son armée, et la FINUL pour réagir aux plaintes et aux informations fournies par Israël. Israël conserve le droit de répondre immédiatement si le Hezbollah viole sa souveraineté, que ce soit par des tirs de roquettes, des obus ou des infiltrations. Cependant, ce droit découle déjà du principe de légitime défense. Ce qui manque – et ce qu’il est difficile d’envisager à ce stade – c’est la volonté politique de réagir avec force et de ne plus tolérer de telles violations.

Ainsi, les véritables défis émergeront lorsque le Hezbollah recommencera à reconstruire ses infrastructures civiles-militaires dans les villages chiites proches de la frontière ou dans les zones boisées environnantes. Dans ces conditions complexes sur le terrain, face à une population civile potentiellement hostile, peut-on réellement croire que la FINUL et l’armée libanaise parviendront à empêcher un retour progressif au statu quo ante du 7-Octobre ?

Bien que cet accord – s’il est effectivement signé, ce qui reste incertain – reflète une victoire militaire israélienne, sa valeur politique demeure pour l’instant incertaine. Seules des actions militaires directes – avec ou sans l’approbation de la commission internationale – pourraient transformer cet accord en un outil politique efficace dans la guerre qu’Israël et une partie des Libanais mènent contre le Hezbollah. Enfin, cet accord présente également l’avantage de mettre fin au conflit actuel et d’isoler le Hamas à Gaza. Selon certains observateurs en Israël, il pourrait servir de modèle pour un accord similaire à Gaza, incluant cette fois la libération des otages et l’établissement d’un mécanisme international ou arabo-international pour remplacer le Hamas.

Nutriscore: vous aimez tout ce qui est bon? C’est très mauvais!

0
© Christoph Hardt / Future /SIPA

Alimentation. Il est de plus en plus difficile d’y comprendre quelque chose aux étiquettes quand on va faire ses courses. La Cour des comptes européenne s’est penchée sur la jungle des étiquettes alimentaires. Les consommateurs sont perdus et induits en erreur, déplore l’institution basée au Luxembourg.


Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est pas bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…

Un vaste audit

Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).

À lire ensuite: Hécatombe chez les corvidés royaux, boussoles de la monarchie

Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.

La société de défiance n’est pas un progrès

Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.

C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.

Doc : Cour des comptes européenne.

Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.eca.europa.eu/fr/news/NEWS-SR-2024-23

Une conversion presque parfaite

0
DR.

L’histoire merveilleuse des frères Amin et Arash Yousefijam


Comment se refaire une virginité quand on a été condamné aux États-Unis pour intelligence avec l’Iran ? Les frères Amin et Arash Yousefijam nous montrent l’exemple. Nés en Iran, ils ont pu, grâce à un programme d’accueil pour ouvriers qualifiés, émigrer au Canada, Arash en 2013 et Amin en 2016.

Arash, aujourd’hui âgé de 36 ans, a obtenu la citoyenneté canadienne, mais Amin, 37 ans, a gardé le passeport iranien. Restant fidèles à leur pays d’origine, ils ont créé des sociétés-écrans afin d’exporter en Iran du matériel de fabrication en violation des sanctions imposées à Téhéran par Washington. Arash a été arrêté aux États-Unis en 2020 et Amin à Toronto en 2021. Un tribunal du Michigan a condamné les deux frères à des peines de prison. Une fois libérés, ils ont regagné l’Ontario où ils ont demandé à changer officiellement leur nom de famille. Les autorités ont acquiescé sans faire les vérifications réglementaires des casiers judiciaires des demandeurs. Arash est devenu dentiste et membre du Collège royal des chirurgiens-dentistes, et Amin agent de conformité dans une grande entreprise. Ce n’est que récemment que les autorités ont compris leur erreur et ont engagé des poursuites contre Amin pour l’expulser. Selon nos confrères de Global News, une enquête sera diligentée pour découvrir comment une bavure aussi sérieuse a pu être commise, le Canada imposant ses propres sanctions à l’Iran.

Quel était le nouveau nom de famille choisi par ces agents du régime des mollahs pour faire oublier à la fois leur véritable identité et leur allégeance ? Cohen !

Trump, allié de la Russie, vraiment?

0
Hambourg, 7 juillet 2017 © Evan Vucci/AP/SIPA

Si Trump obtient une cessation des combats en Ukraine, les Européens pourront le remercier de leur retirer une sacrée épine du pied. D’autant que chacun semble vouloir rendre la situation encore plus tendue avant son arrivée.


En Europe, l’heure est à la consternation. Trump, élu, va brader l’Ukraine et faire un deal en deux coups de cuillère à pot avec Poutine, comme on nous le répète depuis des mois. Seules de rares voix, comme Hubert Védrine, ont rappelé que personne ne savait exactement ce que Trump entendait faire et qu’il était prudent d’attendre. Raphaël Glucksmann, lui, n’a pas attendu. Avec son talent pour dramatiser une pensée courte, il n’a pas hésité à considérer qu’avec l’élection de Trump, « l’Europe [pouvait] se retrouver dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938[1] ». Quelques jours plus tard, Léa Salamé, recevant Jordan Bardella, nous servait la version grand public : « Trump va faire une alliance, il y aura un axe Trump-Poutine avec, en Europe, Victor Orban[2]. » Face au simplisme politico-médiatique, il n’est pas interdit de réfléchir.

Cessez-le-feu. Trump ne parviendra pas à un accord global avec la Russie « en vingt-quatre heures », ni en vingt-quatre jours. S’il obtient une cessation des hostilités en quelques semaines, ce sera déjà un très beau résultat. Les exigences de Moscou sont trop élevées pour obtenir plus à court terme. Vladimir Poutine les a rappelées lors de sa conversation téléphonique avec Olaf Scholz, le 15 novembre : accord territorial basé sur la « réalité du terrain » et « traitement des causes du conflit », ce qui signifie la neutralisation de l’Ukraine, une démilitarisation partielle, l’interdiction d’entrer dans l’OTAN et le remplacement (la « dénazification ») des dirigeants à Kiev. On part donc de très loin et les négociations pourraient durer des mois voire des années.

Une alliance, pour quoi faire ? Quel intérêt aurait donc Donald Trump à faire alliance avec Poutine, un dirigeant qui déteste l’Occident ? Aucun. Trump fait simplement un double constat : 1) le conflit en Ukraine est trop coûteux pour les États-Unis, financièrement et en armement ; 2) l’Ukraine n’a aucune chance de l’emporter sur le terrain. Conclusion, il faut arrêter ce conflit. L’intérêt de Trump pour la Russie s’arrête là à ce stade. Car Trump n’a pas varié depuis huit ans. La menace pour l’hégémonie américaine se situe en Chine et non en Russie.

A lire aussi, Gabriel Robin: Donald Trump 2.0: ce que la nouvelle équipe gouvernementale dit de l’Amérique

Ce qui vaut pour Trump vaut également pour Poutine. Ce dernier veut-il une alliance avec les États-Unis ? Rien n’est moins sûr. Poutine n’a plus confiance dans les États-Unis depuis au moins quinze ans. Il sait que la signature d’un président américain n’a de valeur que durant quatre ans. Un successeur peut s’en affranchir du jour au lendemain. N’est-ce pas ce qu’a fait Trump le 1er juin 2017 en annonçant son retrait de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays, ou en mai 2018 en déchirant l’accord international sur le nucléaire iranien négocié par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne durant de longues années ?

Poutine se préoccupe du temps long. Les engagements pris par le Chinois Xi Jinping, l’Indien Modi et les autres membres des Brics sont plus solides à ses yeux qu’un accord avec le président des États-Unis, quel qu’il soit.

Néo-cons, mais Républicains cette fois. Les premières nominations de Trump II devraient rassurer nos partisans du casque lourd. Marco Rubio au département d’État et Pete Hegseth au ministère de la Défense sont tout sauf des pacifistes. Leur vision du monde et du rôle des États-Unis à la tête du « monde libre » n’est guère éloignée de celle des actuels titulaires Antony Blinken et Lloyd Austin : viscéralement pro-israéliens et prêts à montrer les dents face aux ennemis de l’Amérique. Arrêter cette guerre oui, faire des cadeaux à la Russie, non. Ainsi, hors de question de faciliter le retour du gaz russe sur le marché européen, devenu, au détour de cette guerre, un marché captif des fournisseurs américains. Un objectif que Trump avait cherché à obtenir durant tout son premier mandat.

Tête-à-queue à Bruxelles. Les dirigeants européens qui, il y a peu, bombaient le torse et juraient de soutenir l’Ukraine à la vie et à la mort vont être contraints de réviser leur copie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton le reconnaissait platement, sur le plateau de LCI, au lendemain de l’élection : « C’est incroyable, aujourd’hui on est en train de parler des conditions de la fin de la guerre en Ukraine, un sujet sur lequel on ne s’autorisait même pas à réfléchir et sur lequel, à la Commission européenne, on n’avait aucun droit de parole. » Propos qui fait froid dans le dos quand on pense au million de morts et blessés qu’a déjà fait cette guerre de tranchée électronique, mais passons. Une fois Trump installé à la Maison-Blanche, il ne faudra pas longtemps aux dirigeants européens pour caler leur position sur celle de Washington et soutenir la cessation des combats.

Olaf Scholz ne signifie pas autre chose quand il appelle Vladimir Poutine, juste une semaine après l’élection de Donald Trump. Par la même occasion, le chancelier nous rappelle que l’Allemagne n’hésite pas à agir seule quand ses intérêts vitaux sont en jeu. En l’occurrence, la survie de son industrie qui passe nécessairement par une baisse des tensions à l’est de l’Europe et une normalisation à long terme avec la Russie.

La température monte dangereusement avant le départ de Biden. Qu’il s’agisse d’une décision de Joe Biden ou de son entourage, le feu vert donné par Washington, puis Londres et maintenant Paris, de frapper la Russie en profondeur avec des missiles balistiques modifie la nature du conflit. Ces tirs balistiques ne changeront rien à l’issue du conflit, comme Biden l’avait expliqué il y a deux mois pour écarter une demande britannique en ce sens. Mais ils accroissent grandement le risque d’une guerre globale.

Au combat au sol entre Ukrainiens et Russes s’ajoute désormais une bataille de missiles entre puissances nucléaires. La première de l’histoire. Les missiles ATACMS et Storm Shadow sont lancés en Russie de manière conjointe par les Ukrainiens et des militaires américains et britanniques. Les Russes en concluent donc être attaqués par deux puissances occidentales. Il en sera de même de la France si nos soldats frappent la Russie avec des missiles longue portée Scalps depuis l’Ukraine. Le fait que la Russie soit à l’origine de cette guerre n’est plus le sujet. Les Ukrainiens ne sont pas sur la photo. Il s’agit ici d’un tête-à-tête entre puissances nucléaires.

Seule la Russie est touchée sur son sol à ce jour. D’où un déséquilibre de perception considérable et lourd de danger. Les missiles occidentaux tombent-ils inaperçus auprès des Russes et ceux-ci n’attendent-ils pas en toute logique une riposte de leur armée ? En Occident, la menace demeure virtuelle et nous ne savons plus ce qu’est la guerre, à la différence des Russes qui vivent avec. Imagine-t-on la réaction, voire la panique de la population française si un missile russe frappait le site balistique français du plateau d’Albion ?

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Trump élu? Non, les démo-woko bobos battus

Poutine et sa population ne supporteront pas longtemps de recevoir sur leur sol des missiles balistiques tirés par des soldats américains ou britanniques. Il l’a déclaré très clairement la semaine dernière. Poutine s’est contenté, pour l’heure, de lancer en Ukraine le missile Orechnik, capable de porter une charge nucléaire. La prochaine étape pourrait être un tir au-delà de l’Ukraine, en mer Baltique (au hasard) ou sur un site militaire à l’intérieur d’un membre européen de l’OTAN. Cette riposte suffirait à placer toute l’Europe au bord de la guerre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. En France, il est frappant de constater que bien peu de monde n’alerte sur les dangers de la situation et n’appelle à la désescalade et à la retenue de toutes les parties.  

L’Europe devrait remercier Trump de lui ôter une épine du pied s’il obtient une désescalade rapide. Les Européens ont tout à gagner à une cessation rapide des combats obtenue par l’éléphant Trump. Car, l’alternative est intenable.

Sans accord même a minima, l’Europe se trouverait dans la situation impossible de devoir soutenir des échanges de missiles avec la Russie et soutenir militairement l’armée ukrainienne avec des stocks inexistants puisque nous sommes toujours dépourvus d’une production d’armes suffisante et avons été incapables de nous mettre en économie de guerre depuis deux ans. Sans accord, les déclarations de soutien sans faille des Européens passeront donc pour ce qu’elles sont, un vœu pieux ou, pire, un exercice de com’ sans réel contenu. Au moins, un accord à la Trump aura le grand avantage de leur éviter un désagréable embarras publicque. Bonne chance, Donald !


[1] France Inter, le 8 novembre 2024.

[2] Emission « Quelle époque », France Télévisions, le 9 novembre 2024.

Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

0
L'historien Benjamin Stora a reproché à l'écrivain Boualem Sansal de blesser le sentiment national algérien, sur France 5. Capture d'écran.

Un écrivain embastillé ? Des intellectuels de gauche se tiennent aux côtés des bourreaux. Sur le plateau de la télévision publique, dimanche soir, Boualem Sansal a été convaincu d’islamophobie !


A une époque pas si lointaine, lorsqu’on était un humaniste et qu’un écrivain se faisait embastiller pour délit d’opinion par une dictature militaire, se battre pour sa libération était une évidence. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, au contraire, on se joint à ses bourreaux pour lui appuyer sur la tête, on explique qu’il l’a un peu cherché et on est fier de se tenir aux côtés de l’Etat autoritaire qui l’a emprisonné arbitrairement ! On participe même à sa déshumanisation pour laisser entendre que de toute façon, ce ne sera pas une grosse perte.

Les procès de la télévision publique française

C’est en tout cas ce qu’a fait le service public et France 5 dans l’émission C politique du dimanche 24 novembre. Autour de la table, entre autres, Nedjib Sidi Moussa et Benjamin Stora ont été particulièrement méprisables. On a ainsi assisté à une émission tout occupée à faire le procès d’un écrivain qui croupit en prison en se faisant le relais, pour Benjamin Stora, des accusations du régime d’Alger et pour Medjib Sidi Moussa, des éléments de langage islamo-gauchistes. A part la journaliste de Marianne Rachel Binhas, qui a fini par avouer son malaise devant cette instruction à charge, et qui a courageusement tenté de démonter le registre de l’inversion accusatoire dont était victime Boualem Sansal, tous les autres ont participé ou se sont tus face à la dégradation en place publique de l’écrivain par des personnes qui se font quasiment les petits télégraphistes du discours et de la vision du monde des islamistes.

Le biais par lequel ces petits procureurs du nouveau comité de Salut public ont diabolisé Boualem Sansal est un classique du genre : le renvoi à l’extrême-droite, que tout le monde décode comme une assignation au fascisme et qui vous rend indigne de la société de vos compatriotes.

Alors, bien sûr, avant d’instruire en charge contre l’écrivain, tout le monde a ouvert grand son parapluie, indiquant que demander la libération de Boualem Sansal était une question de principe. Résultat : 15 secondes de discours sur les principes à défendre pour s’acheter un totem d’immunité, puis 30 minutes à tirer à vue pour laisser entendre que tout cela n’en vaut peut-être guère la peine, puisque cela revient à se battre pour un fasciste ! Le fait qu’il risque la condamnation à mort pour délit d’opinion n’est visiblement pas un problème pour ces « intellectuels » dits engagés. Tous ces gens, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont aucun principe et sont prêts à sacrifier Boualem Sansal à leur idéologie et à leur relation avec un régime algérien en perdition. S’ils disent le contraire, c’est pour garder leur rond de serviette sur la télévision publique et leur poste d’universitaire. Mais ce n’est qu’un préalable pour se protéger et en arriver à leur vrai message, délivré clairement par Medjib Sidi Moussa : Boualem Sansal mérite ce qui lui arrive car c’est un salaud d’islamophobe.

Benjamin Stora va faire la même chose mais en plus mielleux et cauteleux. Tout sourire, le représentant non officiel du gouvernement algérien va ainsi expliquer que l’écrivain a blessé le « sentiment national algérien » tout en se moquant de son incompétence historique. Le tout sans omettre de faire son autopromotion et la publicité de son dernier livre. Il va justifier son opprobre pour l’écrivain arbitrairement emprisonné en mettant en avant le « débat intellectuel ». Eh oui, pour ce Monsieur, la vie d’un homme ne compte pas face à l’occasion de se faire mousser. Et l’animateur va laisser faire.

Ce que pense Boualem Sansal du fait religieux

Dimanche soir, nos intellectuels de plateau TV ont ainsi enclenché un procès en déshumanisation de Boualem Sansal qui est le prélude à son abandon entre les mains du pouvoir algérien. Ils ont d’ores et déjà montré qu’il n’y avait pas unanimité dans la défense de Boualem Sansal, que la France pouvait se diviser sur ce point et que l’acte arbitraire de l’Algérie était acceptable dans les faits. Le pire dans cette histoire peu glorieuse, c’est que ces personnes ne risquaient rien en faisant leur simple travail d’être humain ! Et pourtant ils choisissent le camp des bourreaux. Imaginez alors, s’il y avait des risques à prendre ?

Or, Boualem Sansal dénonce inlassablement la violence des islamistes, le refus d’accorder l’égalité aux femmes, l’antisémitisme culturel, l’utilisation du blasphème pour bâillonner la liberté de conscience et d’expression. On lui reproche de faire le lien entre islam et islamisme ? Il dit juste que si le discours des islamistes domine aujourd’hui l’islam, c’est qu’il s’appuie sur des traits religieux et culturels auxquels adhèrent la plupart des musulmans dans le monde: le refus d’accorder la liberté de la pratique religieuse, le refus de l’égalité au nom du sexe ou de l’ethnie, la primauté de la charia, la haine des Juifs consacrée dans la liturgie, le refus de la liberté de conscience au nom du combat contre le blasphème, les discours victimaires destinés à légitimer la violence… Boualem Sansal parle d’une société obscurantiste dont il mesure à quel point elle amoindrit ceux qui y vivent et nous exhorte à ne pas renoncer à notre civilisation, celle qui pense l’égale dignité de l’homme, croit en sa créativité, mise sur l’usage de la Raison et sur les capacités créatrices de l’homme pour écrire l’avenir plutôt que sur la soumission à un dogme. Boualem Sansal note aussi que le manque de créativité des sociétés musulmanes vient sans doute de ce surplomb religieux très castrateur.

Une trahison

Boualem Sansal comme Kamel Daoud sont des humanistes ; ils s’inscrivent dans cette longue histoire à laquelle la gauche a participé avant de la trahir aujourd’hui. Ils croient que tout homme peut accéder à l’émancipation, et que si islam et islamisme sont parents, tous les croyants ne sont pas pour autant voués à la violence et à la radicalité. Alors, depuis quand être d’extrême-droite c’est défendre l’égalité, les libertés fondamentales, la fraternité plutôt que la clôture communautaire ? Depuis quand être d’extrême-droite, c’est se battre pour l’émancipation des hommes ? Et inversement, dans le cas de MM. Stora, Moussa ou Snégaroff, depuis quand être de gauche, c’est être l’homme de main de régimes autoritaires ? Depuis quand avoir une conscience, c’est se tenir à leurs côtés pour jeter des pelletées de terre sur un homme embastillé ? Depuis quand être un humaniste, c’est défendre les pires idéologies de la planète ?

L’ambiance était tellement au lynchage médiatique sur le plateau, que Rachel Binhas semblait presque gênée de devoir intervenir pour rappeler quelques évidences. Comme si elle prenait un risque insensé en faisant son devoir d’être humain. Sans doute parce que l’atmosphère sur le plateau faisait passer sa juste réaction comme quelque chose susceptible de lui valoir aussi un procès en extrême-droitisation, prélude à l’exclusion des médias mainstream. Mais apparemment, à France Télévisions cette séquence n’interpelle guère. Quant à l’Arcom, elle doit avoir aqua-poney, comme à chaque fois que le refus de pluralisme du service public est pointé du doigt. Mais peut-être que ce silence révèle un accord sur le fond ou est le moyen délicat qu’ont trouvé les dirigeants de l’audiovisuel public pour éviter que les questions de principe ne polluent un débat intellectuel, selon la posture de Benjamin Stora… En attendant, l’avocat de Boualem Sansal craint lui que celui-ci ne sorte jamais de prison. Mais de cela nos grandes consciences autoproclamées semblent se moquer.

Umberto Eco, le jeune homme érudit

0
© Presses Universitaires de Rennes, détail de la couverture.

André Peyronie livre un « portrait de l’artiste en jeune homme » passionnant et cursif. Une découverte.


Il y a deux catégories de lecteurs (voire de lectrices) destinataires de la somme impeccable qu’André Peyronie, maître de conférences honoraire en Littérature Générale et Comparée à l’université de Nantes, consacre au jeune homme Umberto Eco (de sa naissance 1932 à son éclosion publique au début des années 60).

Ceux qui le détestent, ont leur idée reçue, « petite idée » comme chacun sait, à son propos – ceux-là découvriront un Ogre certes, mais d’une activité, d’une intelligence, d’une fécondité qui laissent pantois.

Et ceux qu’il intéresse, voire qui l’apprécient beaucoup (y compris le romancier parfois un peu « roboratif », voire indigeste) – que Peyronie, avec une intelligence critique et un savoir sans limite, restitue dans chaque étape (surtout les 3 premières) de sa jeune vie : enfance-adolescence (1932-1950) ; études et travail à la RAI (1950-1959) ; « éditeur » chez Bompiani, collaboration à de nombreuses revues  (La NRF et Tel Quel en France), premiers livres, père de famille (1959-1962)).

Le titre – « Portrait d’Umberto Eco en jeune homme » – est bien sûr un clin d’œil à Joyce, cœur du livre (d’Eco) qui le fera définitivement sortir du cénacle universitaire, parfois confiné : cela s’appelait L’Oeuvre ouverte (1962) – Joyce en occupait la place centrale.

A lire aussi: Un temps retrouvé

Par ce livre, acte stratégique, Eco devenait « Umberto Eco », le personnage et le phénomène étaient nés – entérinés, à un tout autre niveau (ou dimension), en 1982, par le succès mondial du Nom de la rose. Anecdote : lassé qu’on lui pose la question du titre (« Pourquoi avez-vous choisi Le Nom de la rose ? »), Eco répond : « Parce que Pinocchio était déjà sous copyright. »

Peyronie, qui prend son temps – 500 pages – sans jamais le perdre (aucune ne pèse) – précise sa démarche : « éclairer le passé par le futur, mais aussi le futur par le passé ». Les années qu’il retrace, années de formation d’Eco, sont constamment éclairées par des perspectives « prospectives » : ce que le passé est devenu dans les livres futurs d’Eco. D’où le sous-titre du livre « Essai de biographie prospective » – ou comment la jeunesse d’Umberto fabrique la genèse d’Umberto Eco, illustration du vers rebattu de Wordsworth : « L’enfant est le père de l’homme ».

À la fin de sa vie (2016), Eco, dont le besoin de reconnaissance inextinguible semblait en partie comblé (42 doctorats honoris causa), apprit, par la lettre d’un chercheur au Vatican, l’origine de son nom : les religieux, dans le cas des enfants trouvés (celui du grand-père d’Eco) avaient l’habitude ancienne de donner au nouveau-né un nom, à partir des premières lettres d’une expression latine : « Ex Coelis Oblatus » (Apporté-Offert par le ciel), abrégé en ECO. CQFD.


Portrait d’Umberto Eco en jeune homme – 1932-1962, d’André Peyronie, Presses Universitaires de Rennes, 512 p.

Portrait d'Umberto Eco en jeune homme: 1932-1962

Price: 26,00 €

9 used & new available from 23,56 €

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Un gynécée pour le jihad

0
© Omar Rammal / Memento

La réalisatrice de “Rabia” Mareike Engelhardt affirme ne pas avoir fait un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse et la frustration d’une jeunesse sans repères.


Jessica (Megan Northam), 19 ans, a la foi du charbonnier : flanquée d’une copine aussi ingénue qu’elle, la fille pas trop fûtée fait son baptême de l’air en vol low cost, sous la protection d’Allah et du Prophète, direction Raqqa, ville centrale d’une Syrie alors tombée pour partie sous le joug de l’EIIL (État Islamique en Irak et au Levant). Comme on pouvait s’y attendre, rien ne se passe comme prévu pour ces idiotes parties pour la charia comme pour une colonie de vacances : privées de smartphone, de bouquins (à part le Coran), réduites à l’état d’esclaves domestiques et sexuels, les voilà séquestrées dans une de ces madafas qui sont au culte mahométan ce que le couvent est au catholicisme – en moins marrant. Car, juste bonne à être engrossée, cette blanche chair fraîche doit essentiellement servir à repeupler la Terre de futurs martyrs, sitôt mariée (de force) au combattant djihadiste qui aura bien voulu convoler – l’affaire de cinq minutes. Baptisée « Madame » (Lubna Azabal, dans le rôle), une ex-juriste fanatisée régente cet aimable gynécée.

Lubna Azabal, sadique au regard de braise

Rabia suit en huis-clos le chemin de croix de Jessica dans ce cloître un peu spécial, depuis le moment où,  dessillée, elle tente en vain de se révolter (punition : fouet, et mitard privé de gamelle), puis de se carapater (sa copine y laisse la vie), jusqu’à celui où l’ancienne victime, ayant fait acte de soumission à « Madame », se change en nervi à sa botte – comme jadis les kapos des camps de la mort. Entre temps, elle aura, de justesse, échappé à un viol, tentative perpétrée par un grand freak blondasse aux yeux d’azur qu’on lui présente comme son futur, et qui, assujettissant son falzar, se rue soudain sur elle après l’avoir charmé de sa voix doucereuse. (Pour camper ce taré l’espace d’une courte séquence, le bel Andranic Manet, ex. rappeur de 27 ans qu’on a pu voir au théâtre incarner…  le jeune Poutine !)

A lire aussi: Tripatouillages en Roumanie rurale

Bref, Rabia trouvera son dénouement, sans surprise, avec le siège de Raqqua, détruite comme l’on sait à 80% en 2017 sous l’assaut de la coalition des mécréants. Morphinomane passablement secouée des méninges, « Madame » rappelle (de loin) Hitler dans son bunker. Saluons au passage la prestation de l’excellente comédienne belge d’origine hispano-marocaine Lubna Azabal, dans ce rôle de sadique au regard de braise.

Pas un film sur l’islam

Evidemment, le parallèle était tentant. Pourtant, s’il faut en croire Mareike Engelhardt, ex. danseuse contemporaine, ex. assistante de mise en scène auprès de Polanski sur Carnage, ou de Volker Schlöndorff sur Diplomatie, entre autres, et dont feu son grand-père sévit dans la SS, secret bien gardé par les géniteurs de la réalisatrice (laquelle dit en garder le traumatisme) : « ma démarche n’est pas de faire des raccourcis entre le terrorisme islamiste et le nazisme, mais le film rappelle que la faille vient de l’intérieur de nos sociétés et qu’il faut l’affronter collectivement au lieu de la fuir. Ce n’est pas un film sur l’islam ni sur le jihad mais sur l’embrigadement de masse, les mécanismes de déshumanisation, et la frustration d’une jeunesse sans repères ». Dont acte.

Mais alors, nécessairement tourné en Jordanie et en France pour fictionner un régime de terreur historiquement avéré, parfaitement identifié dans sa spécificité irréductible, alors de quoi Rabia est-il le film – sinon celui de l’hydre islamiste ?  


Rabia. Film de Mareike Engelhardt. Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief. France, couleur, 2024. Durée: 1h35.

En salles le 27 novembre 2024.

En s’alliant à l’islamisme, la gauche a trahi les Lumières

0
Mathilde Panot et Rima Hassan, de la France Insoumise, Paris, 1er juillet 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Un peu partout dans le monde occidental, et singulièrement chez nous au sein du parti La France Insoumise, la gauche refuse de voir ce totalitarisme d’un type inédit qu’est l’islamisme.


Les propos de la propagandiste d’origine syrienne Rima Hassan, et les désordres que suscitent ses prises de parole publiques, avaient finalement conduit l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Pô) à interdire sa conférence prévue le vendredi 22 novembre dernier dans les locaux de la Rue Saint-Guillaume. Mais voilà que le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’IEP de reprogrammer cette conférence à une date ultérieure, à charge pour les organisateurs de « Students for Justice in Palestine », de présenter les garanties nécessaires au « bon déroulement » de la rencontre (!).

From the River to the Sea, le vrai slogan “génocidaire”

Cette décision du juge des référés est d’autant plus aberrante que la militante propalestinienne a été visée par une enquête pour apologie du terrorisme pour avoir qualifié « d’action légitime » les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. Rima Hassan incite en effet sans relâche, des universités françaises au Parlement européen, à rayer Israël de la carte. Et en soutenant des manifestants peignant de rouge leurs mains, elle accuse les Israéliens d’avoir les mains rouges du sang des Gazaouis, retournant contre les Juifs l’image glorifiée des assassins palestiniens qui avaient battu à mort des soldats israéliens à Ramallah en 2000.

A lire aussi: Bonnamy/Vermeren: Islamo-gauchisme, bilan d’étape

Mais tout cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de demeurer la nouvelle égérie de cette curieuse idéologie qui s’est développée dans la gauche en général, et tout particulièrement à LFI ou au sein d’une partie bruyante de la jeunesse universitaire, et de continuer à instrumentaliser ladite « cause palestinienne » contre Israël et les Juifs. Car la revendication d’un État palestinien n’est que la couverture de la négation de la légitimité d’Israël à exister, puisque cette Palestine revendiquée est censée s’étendre du Jourdain à la Méditerranée, « From the River to the Sea ». Le propalestinisme n’est que le masque de l’offensive islamiste qui dénie aux Juifs le droit d’avoir un État national, mais qui leur interdit tout autant de vivre en sécurité en France et d’y exercer tous leurs droits de citoyens. Dans cette vision, les Juifs devraient retrouver leur statut de dhimmis (sujets inférieurs en droit, humiliés, rançonnés et maltraités du temps des califats et de l’empire ottoman) faute de quoi ils sont systématiquement assassinés.


La petite faiblesse des islamistes, et nos grandes faiblesses occidentales

Mais les chrétiens, les « mécréants », les laïques, les démocrates, tous les Occidentaux en un mot, sont aussi les cibles des islamistes, même si les Juifs sont toujours leurs victimes de prédilection, d’autant qu’aujourd’hui ils sont considérés comme la pointe avancée de l’Occident au Moyen-Orient, comme des « privilégiés » parmi les privilégiés, comme des « super-blancs ». De Paris au Néguev, de novembre 2015 au 7 octobre 2023, l’islam est ainsi reparti à la conquête de l’Occident, s’attaquant à nos modes de vie et à nos vies tout court, à la fois sournoisement et violemment. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’une stratégie politique expansionniste, trop souvent méconnue ou mésestimée par les Occidentaux, menée principalement par un mouvement salafo-frériste polymorphe, à travers une alliance sunnite-chiite largement manœuvrée par l’Iran des mollahs.

La gauche et plus largement la nébuleuse desdits « progressistes » (partis, intellectuels, agents de la fonction publique, ONG) en France, mais aussi aux États-Unis et jusqu’en Israël, est particulière touchée par le déni de cette réalité ou de la dangerosité de celle-ci, laissant de plus en plus le champ libre aux islamistes. Cela, par conviction idéologique considérant le musulman (nouveau « damné de la terre ») comme la victime de « l’extrême droite » (ennemi principal à combattre), et/ou par lâcheté étant persuadée de l’inéluctabilité de la domination du « Sud global » sur l’Occident décadent. On prône alors comme le claironne Jean-Luc Mélenchon, les insoumis et leurs soumis verts et socialistes, les bienfaits d’une immigration musulmane de masse et d’une créolisation des populations et de la culture française.

A lire aussi: Boualem Sansal: ses propos sur le Sahara que l’Algérie ne digère pas

Dans les administrations françaises, on continue à faire preuve de laxisme et de complaisance coupable à l’égard de la propagande diffusée par des islamistes, et des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils perpétrent. De l’Éducation nationale où le « pas de vague » demeure le mot d’ordre implicite malgré les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et les agressions répétées d’enseignants, aux tribunaux dont les verdicts sont plus cléments à l’égard de menaces de mort (comme l’auteur de l’appel à « brûler vif » le proviseur du lycée Ravel, condamné à une amende de 600 euros et un ridicule stage de citoyenneté) que face aux gestes déplacés d’un Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique et une obligation de soins psychiatriques).

A rebours des luttes libertaires de jadis, les néo-féministes proclament le voilement des femmes comme instrument de leur libération, tandis que des militants LGBTQ++ clament leur soutien à une « Palestine libre » ignorant ou feignant d’ignorer le sort tragique promis aux leurs dans les territoires tenus par le Hamas mais aussi par l’Autorité palestinienne du Fatah, sous la botte islamiste en général (de Daech aux Talibans, du Levant à l’Asie musulmane) et jusqu’en France où en Allemagne : le 18 novembre dernier, la chef de la police de Berlin n’a-t-elle pas conseillé aux Juifs et aux homosexuels d’être prudents dans « certains quartiers » ?

Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que l’on retrouve des attitudes similaires de « dhimmitude volontaire » au sein de la gauche israélienne, essentiellement intellectuelle au demeurant, tant les partis (Travailliste et Meretz malgré leur récente fusion) sont réduits à presque rien dans la représentation nationale israélienne, en grande partie à cause précisément, de leur abandon d’un sionisme de combat.

La gauche oublie l’aspect essentiellement religieux du conflit au Proche-Orient

Comme la gauche française obnubilée par « l’extrême droite » et la montée en puissance du RN, la gauche israélienne n’a de cesse d’attaquer Benjamin Netanyahu et sa stratégie militaire contre le Hamas et le Hezbollah, au motif qu’il est allié à des partis d’extrême droite. Ainsi, le professeur de science politique israélien Denis Charbit dans son récent ouvrage Israël, l’impossible État normal, continue à condamner la « colonisation des territoires occupés en Cisjordanie » (plutôt que de parler des « implantations en Judée-Samarie », territoires « disputés » depuis l’éviction de la Jordanie qui s’en était emparé illégalement en 1949), et persiste dans la croyance que la création d’un État palestinien mettra fin au « conflit du Moyen-Orient » (alors que le cœur du conflit n’est pas territorial mais religieux, et que les leaders palestiniens refusent la coexistence pacifique d’un État palestinien à côté d’Israël). 

A lire aussi, Hillel Neuer: «Chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix»

Or, en s’alliant à l’islamisme, non seulement la gauche apporte ses forces militantes et ses votes à l’entreprise politico-terroriste salafo-frériste, mais elle trahit le fondement même de la pensée progressiste, à savoir la philosophie des Lumières européennes (le mot se décline dans toutes les langues européennes) et l’esprit laïque né en France avec la philosophie du libertinage (du latin libertinus, affranchi, esclave libéré) qui s’est diffusé jusqu’en Amérique latine. Luttant contre l’emprise des croyances religieuses et superstitieuses comme des croyances sécularisées des eschatologies totalitaires et des thèses complotistes de tous poils, le libre penseur s’oppose en effet aux dogmes et aux vérités révélées. La pensée libre s’autorise les interprétations à l’infini, puisant en cela dans la tradition talmudique comme dans l’herméneutique grecque et la disputatio théologique chrétienne, mais en contradiction foncière avec l’intégrisme musulman.

Et c’est bien la démocratie elle-même, tant politique que sociale, que la gauche menace dans son alliance avec l’islamisme. Car la démocratie consiste dans l’agencement d’institutions organisant l’expression du libre choix du plus grand nombre et l’extension au plus grand nombre possible non seulement de la décision politique mais aussi des biens matériels et culturels. L’unité de base de la démocratie est l’individu libre (quel que soit son sexe) : pour qu’il soit toujours plus libre d’exprimer ses choix, il lui faudra partager une égalité de plus en plus grande avec ses semblables, partageant toujours plus équitablement moyens prosaïques et instruments de la pensée et de la parole pour que perdure le débat démocratique et la libre expression.   

Face à ces principes fondateurs de la culture occidentale, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la poussée qui semble irrésistible de l’offensive islamiste. Quand la gauche en prendra-t-elle enfin la vraie mesure ? Quand considérera-t-on enfin que l’ennemi principal, celui qui met en péril tout autant la paix au Proche-Orient que nos acquis démocratiques, égalitaires et libertaires au cœur-même de toutes nos sociétés occidentales c’est aujourd’hui ce totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme ?

Israël, l'impossible État normal

Price: 19,90 €

15 used & new available from 10,99 €

Boualem Sansal: ses propos sur le Sahara que l’Algérie ne digère pas

0
Boualem Sansal © Hannah Assouline

L’écrivain franco-algérien a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre pour des motifs encore inconnus.


Les liens historiques et humains qui unissent la France à l’Algérie font souvent sous-estimer la nature dictatoriale du régime politique qui la dirige. L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en est encore la triste confirmation : l’Algérie est une nation en pleine dérive qui ne tient sa population qu’en désignant des boucs-émissaires étrangers et en maniant le bâton avec les récalcitrants.

L’Algérie, une drôle d’Histoire !

Il n’est d’ailleurs qu’à lire la presse officielle algérienne pour s’en convaincre. Dans un communiqué d’une rare virulence, au ton semblable à ce que l’on pourrait trouver dans des régimes aussi aimables que la Corée-du-Nord, l’Agence Presse Service écrit à propos des réactions françaises à la détention arbitraire de l’écrivain binational : « la France prend la défense d’un négationniste, qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’Histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie ».

En cause, les propos tenus par Boualem Sansal au média Frontières. Il a notamment déclaré : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. » Ce propos historiquement exact est jugé « négationniste » dans une Algérie où l’histoire est mythifiée et abondamment utilisée pour souder la population.

À ne pas manquer, Causeur en kiosques: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Le caractère obsidional du régime créé par le FLN s’exprime notamment à l’égard de la France, des juifs, mais aussi du Maroc. La monarchie voisine est régulièrement vilipendée dans les médias algériens, jalousée aussi. Il ne fait donc guère de doutes que les propos de Monsieur Sansal sur la souveraineté marocaine dans la région du Sahara ont dû profondément énerver les autorités militaires algériennes, lesquelles soutiennent les séparatistes armés du Front Polisario depuis de nombreuses années.

De plus, le récent basculement de la France en faveur du plan d’autonomie marocain au Sahara a laissé un goût amer dans la bouche d’Alger. Vu comme un traître, Boualem Sansal est aussi un combattant inlassable des dérives islamistes qu’il a observées dans son pays d’origine, traumatisé comme tant d’autres par la guerre civile des années 1990 et les terroristes du GIA.

Boualem Sansal pourrait être poursuivi

Boualem Sansal est désormais dans une situation particulièrement périlleuse. Son arrestation politique pouvant conduire à la mise en œuvre de poursuites pour « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des motifs passibles de prison ferme en Algérie. Ces méthodes, visant un homme qui a récemment acquis la nationalité française, s’apparentent à celles des régimes totalitaires.

À lire aussi, Céline Pina: Mobilisation générale pour la libération de Boualem Sansal!

Elles font de l’Algérie un pays qui devrait horrifier nombre de belles âmes bien françaises. On est pourtant bien en peine de trouver des réactions venant d’une grande partie de la gauche, souvent complaisante à l’égard d’Alger. Comme l’explique l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat à La Dépêche du Midi : « Le Printemps arabe n’a qu’effleuré l’Algérie, l’Etat usant à la fois de brutalité et de clientélisme à coup de pétro et de gazodollars pour vite replonger son peuple dans l’apathie et la neurasthénie. Tout le monde le sait. Les Algériens le savent. Il n’y a guère que les immigrés et surtout leurs enfants en France pour chanter les louanges de l’Algérie en se gardant bien d’y vivre, de s’y faire soigner ou de s’y instruire. »

En manifestant clairement son intérêt à l’alliance marocaine, la France a dévoilé le fond de la pensée d’Alger. Revancharde et passéiste, l’Algérie de Monsieur Tebboune ne prend pas le chemin du progrès. Il est temps de lui rappeler qu’un dialogue se construit à deux et sûrement pas par le chantage.

Hécatombe chez les corvidés royaux, boussoles de la monarchie

0
Le maitre des corbeaux à la Tour de Londres, 2021 © Kirsty Wigglesworth/AP/SIPA

Une superstition britannique veut que les corbeaux vivant en captivité dans la Tour de Londres soient supposés protéger la Couronne…


« Promis, Judith Godrèche, on te croa ! » DR.

L’annonce du décès d’un troisième corbeau nichant dans la mythique Tour de Londres aurait pu rester une brève parmi d’autres. Mais pour les tabloïds britanniques, il en va autrement : c’est un présage sinistre qui touche la monarchie de très près. Une légende tenace, vieille de deux siècles, affirme que « si les corbeaux de la Tour de Londres sont perdus ou s’envolent, la Couronne tombera et la Grande-Bretagne avec elle ». 

La disparition de Rex, corbeau baptisé en hommage à Charles III, n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Depuis 2022, les corvidés succombent mystérieusement. Parmi eux, Merlina, surnommée la « Reine de la Tour », disparue sans laisser de traces peu de temps avant la mort d’Elizabeth II. Dans l’imaginaire collectif britannique, les corbeaux de la Tour ne sont donc pas de simples oiseaux. Ils sont les gardiens d’une monarchie qui oscille entre tradition et modernité. Depuis l’accession au trône de Charles III, le royaume semble marcher sur une corde raide et fragile. Réformes contestées, scandales royaux, fractures sociales… assez d’éléments pour que les plus pessimistes voient dans ces disparitions un sombre augure. 

A lire ensuite: La Hollande, l’autre pays du halal

L’Historic Royal Palaces (HRP), qui veille sur cette célèbre prison abritant aujourd’hui les joyaux de la couronne, s’est efforcé de rassurer. Michael Chandler, le « Raven Master » en poste depuis deux ans, redouble d’efforts pour maintenir cet équilibre fragile. Nourris de mets macabres – poussins, rats, biscuits imbibés de sang – et soumis à des coupes précautionneuses de leurs plumes pour limiter leurs escapades, les corbeaux sont choyés comme des reliques vivantes et assurés de rester sur leur perchoir. 

Pourtant, silencieux mais omniprésents, ils semblent poser une question lancinante : et si, finalement, leur envol final et énigmatique signalait l’aube d’un bouleversement irréversible, un avertissement que devrait prendre très sérieusement les Windsor ? Honni soit qui mal y pense.