Gilles-William Goldnadel ébauche un petit dictionnaire contemporain de la partialité médiatique et judiciaire en Occident
J’aurai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle et professionnelle à vitupérer notre époque du « deux poids, deux mesures », du privilège rouge et de la morale à sens inique. Bien évidemment, j’ai désigné l’extrême gauche médiatique, politique et judiciaire comme responsable de cette immoralité.
Mon lecteur voudra bien trouver ci-après, pour son usage pratique et didactique, quelques exemples par ordre alphabétique.
Justice française
Dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national, le parquet requiert l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité réclamées aux juges du premier degré. Un appel n’empêcherait donc pas de priver les électeurs de leur droit le plus sacré. Mieux encore, dans la même affaire, le procureur reconnaît que, s’agissant de l’un des prévenus, contre lequel il n’a aucune preuve, une relaxe lui ferait « trop mal ». Pour éviter des poursuites disciplinaires, je m’abstiendrai de commentaires.
Justice internationale
Le Premier ministre d’un pays pogromisé est visé, mais pas le dictateur Assad (bourreau de 600 000 morts). Il est vrai que le chef du Hamas est également poursuivi par la Cour pénale internationale… sauf qu’il est mort. D’ailleurs l’organisation terroriste est la première à se réjouir. Elle n’a pas tort. Son succès est grand de voir un petit État démocratique désigné à la vindicte mondiale ès qualités de bouc génocidaire pour avoir réagi militairement brutalement à la brutalité de brutes terroristes se cachant lâchement derrière des femmes et des enfants.
Liberté d’expression
La gauche fait depuis toujours commerce de ce terme sans modération. Il était même interdit d’interdire. Pourtant, 80 librairies « progressistes » viennent d’annoncer qu’elles ne vendraient plus de livres venant du groupe Bolloré. Torquemada vote LFI ou pour les prétendus représentants de la Sainte Écologie.
L’enfer sur terre n’arrivera pas à France Inter. Celle-ci se signe quand elle entend prononcer le vilain mot de pluralisme et se réjouit quand la chaîne C8 est brûlée sur le bûcher de l’Inquisition. Logiquement, elle tient les bilans du Hamas pour une source pure et les ONG proches de lui (MSF, Amnesty ou l’UNRWA de l’ONU) pour des témoins de moralité.
Trouble à l’ordre public
Le tribunal administratif de Paris vient d’annuler l’interdiction faite à une certaine Rima de participer à une réunion de Science-Po. Le juge n’y a pas vu un trouble suffisant à l’ordre public que la police ne pourrait empêcher. Un certain Éric et une certaine Marine n’ayant pas bénéficié de la même vision, un esprit chagrin pourrait y percevoir un strabisme à sens inique.
X (ex-Twitter)
La maison Musk, dans le sillage d’un ouragan nommé Donald, vient de faire l’objet d’un avis de tempête. Il paraît qu’elle serait un lieu de perdition pour cause de désinformation. Ce sont pourtant les grands médias gauchisants qui ont été le lieu du Grand Mensonge occultant. Leurs journalistes déni oui-oui ont nié avec effronterie la force irrésistible de l’immigration illégale et ses conséquences en matière de criminalité. Pour eux, le racisme antiblanc, l’antisémitisme musulman, l’islamo-gauchisme n’étaient que fantasmes obscènes de l’extrême droite fascisante. Il aura fallu les vilains gueux de la fâcheuse sphère des réseaux sociaux pour empêcher les autorités d’occultation de dissimuler le réel disgracieux. Curieusement, l’américain X subit un désir de mise à l’index majeur, tandis que le chinois TikTok, riche en sites islamistes extrémistes, est épargné du rouge courroux. Nul n’est révulsé par la haine de l’Occident chez ceux qui préfèrent le jaune au blanc.
Cette morale chromatique à sens inique est une morale pathologique.
Très attendu depuis Cannes où il était en compétition, voilà enfin en salles le dernier opus de l’intraitable transfuge russo-ukrainien en exil à Berlin Kirill Serebrennikov (cf. Leto, La Fièvre de Petrov, La femme de Tchaïkovski…). Ce long métrage de plus de deux heures aurait pu se contenter de reprendre le titre littéral du roman d’Emmanuel Carrère Limonov, paru chez P.O.L en 2011 dont il se veut l’adaptation.
Mais le film s’intitule Limonov, La ballade. Dans le dictionnaire, le mot ‘’ballade’’ (avec deux ll), appelle la définition suivante : 1, petit poème de forme régulière, composé de trois couplets ou plus, avec un refrain et un envoi (cf. La Ballade des pendus, de Villon) ; 2, poème de forme libre, d’un genre familier ou légendaire. De fait, Serebrennikov, autant metteur en scène d’opéra que réalisateur, nous emporte bien moins dans une biographie linéaire que dans un kaléidoscope rhapsodique sur grand écran. À l’amorce du film (dans un noir et blanc très sinistrose « années Brejnev »), on se prenait pourtant à redouter le pire : encore un biopic académique à la con ? Mais le seul nom de Serebrennikov restait de bon augure…
Dans l’entretien qui figure dans le dossier de presse, le cinéaste tient d’ailleurs à souligner que son film « n’est en aucun cas une biographie de Limonov ou un biopic, mais une adaptation cinématographique du livre de Carrère ». À l’acteur Ben Whishaw, il a confié le rôle-titre de cette évocation épique, haute en couleur, infusée d’une bande-son tonitruante signée Massimo Pupillo (dans laquelle résonnent les échos de Tom Waits, de Lou Reed ou du Velvet Underground).
La fresque urbaine vagabonde depuis les années 70 en URSS à la décennie 90 à Paris, du New-York crasseux des seventies au Berlin en ébullition des années 80, restituant ainsi, sous l’ombrelle de l’écrivain Carrère, la folie furieuse du personnage né à Kharkov Edouard Veniaminovich Savenko, alias Edouard Limonov (1943-2020) : tour à tour voyou, reître et milicien, clodo et majordome, hétéro et homo, raciste et négrophile, bourlingueur ivre d’amour et aventurier politique, chef de gang et garçon passablement fêlé, poète obscur et romancier prolixe, roublard et provocateur, orthodoxe et blasphématoire – personnage solitaire démesurément assoiffé de reconnaissance, clamant son génie incompris à la face aveugle du monde ! (Pour en avoir le cœur net vous pouvez toujours lire Le poète russe préfère les grands nègres, Journal d’un raté, Autoportrait d’un bandit dans son adolescence ou Mes prisons : tout Limonov est traduit en français).
Reste que dans cette ballade, il est beaucoup moins question de littérature que d’illustrer les improbables métamorphoses (au physique, Ben Whishaw y réussit très bien) de cette figure de rebelle qui avait fasciné Emmanuel Carrère au point d’en faire un livre. L’auteur de Un roman russe fait d’ailleurs une apparition dans le film, séquence narquoise où il campe l’Intellectuel face au Grand auteur. Dans une autre scène de plateau radiophonique où « Eddie » Limonov /Ben Whishaw est confronté à une journaliste idiote (Sandrine Bonnaire) et un intello bon teint (Louis-Do de Lencquesaing), l’interview tourne au pugilat, occasion pour Serebrennikov de railler sans ménagement l’intelligentsia hexagonale.
Œuvre de longue haleine (la pandémie a eu raison du tournage, qui a dû s’interrompre de longs mois, pour reprendre l’été 2022… en Lettonie !), Limonov, La Ballade, film produit en Italie d’après un roman français, tourné par un Russe et joué par un comédien britannique flanqué d’un casting international, se ressent de ce cosmopolitisme. Avouons que le parti pris qui consiste à faire dire à « Eddie » ses répliques en anglais avec un fond d’accent slave, rappelle le ridicule gentillet propre aux vieux films de guerre américains non doublés, où les « nazis » campés par des acteurs américains parlaient dans leur propre langue, mais en mimant la rigidité supposée de l’idiome teuton en uniforme, façon « nouz-afon-les-moyans-te-fu-fairr-pârrhler ». Un peu daté, non ?
L’incontestable génie de Kirill Serebrennikov se déploie de façon plus constante dans le domaine lyrique. On se souvient de l’admirable Parsifal de Wagner donné à Vienne en 2021, puis de sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, Lohengrin, l’an passé en septembre-octobre. Les amateurs ont la chance de voir, en accès libre sur Arte.tv jusqu’à la presque fin décembre, sa régie décapante du Don Carlo de Verdi, dirigée par Philippe Jordan, spectacle donné cette année même au Staatoper de Vienne.
Limonov La ballade. Film de Kirill Serebrennikov. Avec Ben Whishaw, Sandrine Bonnaire, Céline Sallette, Louis-Do de Lenquestang… Durée : 2h18. En salles.
A voir sur Arte TV : opéra Don Carlo, de Verdi. Mise en scène : Kirill Serebrennikov. Direction : Philippe Jordan. Staatoper Wien (Opéra de Vienne). Visionnage en accès libre jusqu’au 28 décembre 2024.
Mercredi soir, Emmanuel Macron a tenté de lancer un appel à l’union nationale. Un appel de ce genre peut marcher quand les institutions de l’Etat sont menacées par une crise très sévère, comme une guerre ou des troubles civils. Dans ces situations, les options sont réduites, ce qui permet aux différents acteurs de se mettre d’accord sur le chemin à suivre. Or, tel n’est pas du tout le cas. La crise actuelle n’est pas celle des institutions mais celle de la médiocrité des décisions politiques prises depuis le printemps. Pour Céline Pina, Emmanuel Macron n’a qu’à se demander ce qu’aurait face à sa place le fondateur de la Ve République, le Général de Gaulle – et à imiter son exemple!
En Syrie, les rebelles gagnent du terrain face à l’armée de Bachar el-Assad. Mais qui sont ces rebelles ? Gil Mihaely nous explique les tenants et aboutissants de la coalition créée par le leader djihadiste, Abou Mohammed al-Joulani. Certes, il a les convictions d’un islamiste, mais il est d’abord et surtout un nationaliste, de la même façon que Hô Chi Minh était peut-être marxiste mais son action visait par-dessus tout à libérer son pays de toute influence étrangère. Il se peut que, comme le leader vietnamien, al-Joulani mette l’intérêt national avant l’idéologie.
Les autorités regrettent amèrement d’avoir tenté de rallier ce mouvement violent au projet d’accord entre l’État et les distributeurs pour faire baisser les prix.
Nous écrivions en octobre dernier que la situation en Martinique était préoccupante pour les habitants de l’île et l’activité économique. Malheureusement, rien ne s’est arrangé depuis lors. L’accord, historique, trouvé entre l’État et les distributeurs pour baisser de 20% les prix de l’alimentaire en moyenne sur l’île n’a pas été approuvé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens mené par Rodrigue Petitot dit « Le R ». Son application est désormais suspendue par la censure – votée par une majorité de députés ultramarins – du gouvernement Barnier et le départ de François-Noël Buffet, ministre démissionnaire des outre-mers. Pendant ce temps, le bilan matériel des protestations ne cesse de s’alourdir, menaçant la survie de nombreuses entreprises et terrifiant les acteurs du secteur du tourisme qui craignent un rejet de l’île par les visiteurs venus de métropole. État des lieux.
Le RPPRAC va toujours plus loin
Le 11 novembre, Rodrigue Petitot s’est introduit au domicile du préfet de Martinique. Un geste d’une telle soudaineté et d’une telle violence qu’il a pu faire craindre le pire. Dès le lendemain, Monsieur Petitot était logiquement placé en garde-à-vue ce qui a provoqué le courroux de ses partisans littéralement fanatisés. Ces derniers ont ainsi pris d’assaut le commissariat de Fort-de-France, tirant au mortier et même à l’arme à feu sur les forces de l’ordre, selon l’AFP… C’est dire si ce mouvement, souvent complaisamment présenté dans les médias, semble ne plus vouloir faire machine arrière. Violent, le RPPRAC l’est au moins dans ses déclarations publiques. Sa radicalité fait d’ailleurs craindre le pire dans une île au bord du précipice économique.
Est-ce que la mise en détention provisoire de Monsieur Petitot le 5 décembre sera suffisante pour offrir un répit aux Martiniquais pris en otages ? S’il faut l’espérer, les premières déclarations des proches de Monsieur Petitot inquiètent. Son avocat Georges-Emmanuel Germany a ainsi dénoncé à l’issue de l’audience de jeudi 5 que la décision de l’enfermement pouvait avoir été « commandée par des motifs politiques ». Des propos de nature à exciter encore un peu plus les émeutiers… Maître Germany a-t-il omis de noter que son client a aussi été reconnu coupable lundi 2 décembre pour des faits « d’intimidations à l’encontre des maires de Martinique » et condamné pour cela à dix mois de prison ferme aménageables ? Une énième condamnation à ajouter à la collection de Monsieur Petitot, connu auparavant pour sa participation à diverses affaires de droit commun (dont une pour trafic de drogue).
Les dockers du port de Fort-de-France ont décidé de suspendre toutes les réceptions de conteneurs, en témoignage de solidarité à Monsieur Petitot… Notons que 36 kilogrammes de cocaïne ont été saisis entre 2017 et 2020 dans le cadre d’un trafic de drogue entre les Antilles et la métropole.
Un bilan matériel de plus en plus lourd
Depuis le 1er septembre, 298 véhicules, 33 bâtiments privés et six bâtiments publics ont été incendiés et 174 locaux commerciaux ont été cambriolés, selon la préfecture. Il faut ajouter à cela les 1200 demandes de chômage technique déposées selon la Direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS), ainsi que les 134 plaintes déposées pour violence rapportées par la procureure de la République… Cité par France TV Info, l’entrepreneur Emmanuel de Reynal se désole de la situation, plaidant pour « que changent les relations entre les communautés martiniquaises qui doivent enfin s’appuyer résolument sur ce qui les rassemble plutôt que sur ce qui les divise ». Sa voix est intéressante, car elle fustige le poison du racisme et du populisme propagé par les mouvements radicaux tout en appelant l’État à prendre conscience des difficultés sociales ultramarines, plaidant pour qu’enfin la métropole daigne se pencher sérieusement sur le problème.
Il n’est d’ailleurs pas inexact d’affirmer que ce qui se passe sur l’île n’intéresse que trop peu la sphère médiatique française. Les actualités nationales et internationales sont certes chargées, mais il est désolant que la Martinique ne semble intéresser que les célébrités qui en sont originaires, à l’image de Teddy Riner ou de Thierry Henry qui se sont exprimés. C’est aussi notre affaire. La France a le privilège d’être présente sur tous les fuseaux horaires grâce à ses territoires extra-métropolitains, mais ce privilège s’accompagne de devoirs et de responsabilités.
Dans une tribune très engagée, Jean-Marie Nol s’inquiète notamment de la faiblesse de l’État face aux mouvements violents : « Les autorités, en intégrant le RPPRAC dans les négociations, ont involontairement renforcé la position de ce mouvement populiste. Leur incapacité à anticiper le refus du RPPRAC de signer l’accord avec les acteurs économiques a amplifié les tensions, conduisant à des émeutes et à des actes de pillage. La Collectivité Territoriale a également aggravé la situation en demandant le retrait des renforts de sécurité, affaiblissant les dispositifs d’ordre public et encourageant l’impunité. Ce serait cette gestion erronée qui aurait transformé Petitot en martyr aux yeux de certains, accentuant la défiance envers les institutions. Alors que la crise révèle des problèmes structurels : une dépendance économique envers l’Hexagone, une fiscalité élevée et un coût de la vie supérieur à celui de la métropole. Les solutions proposées, limitées à des mesures temporaires, ne résolvent pas les causes profondes de la précarité et de l’inflation. »
À Paris et à Fort-de-France, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Beaucoup ont vu dans l’incendie de Notre-Dame de Paris un suicide civilisationnel. La batiment emblématique ressurgit enfin de ses cendres. Mystère sacré ? Prouesse nationale ? Le président Macron aurait bien aimé y faire son show, mais même lui sait qu’ici foi et humilité sont les vraies vedettes…
Cathédrale ou musée? Les deux, serait-on tenté de répondre. Ou du moins, patrimoine. Avant tout, patrimoine – historique, culturel, architectural, artistique…. Pensez donc, les crèches de santons font polémique chaque année, d’aucuns trouvent les calendriers de l’Avent indésirables, on ose de moins en moins souhaiter « joyeux Noël » et dans certaines villes même l’insipide « bonnes fêtes » est remplacé par « bon hiver », alors dire qu’une cathédrale est avant tout chrétienne, lieu de culte et espace sacré, on frôle le blasphème !
Une réouverture sous haute sécurité
Assurément, Notre-Dame de Paris est plus que sa fonction religieuse. Mais peut-être ne l’est-elle, justement, parce que sa fonction religieuse est de pointer vers plus qu’elle-même, et que l’un ne va pas sans l’autre…
On peut sincèrement se réjouir, sans aucune arrière-pensée, de voir Notre-Dame restaurée. D’autres ont pointé, non sans raison, le revers de la médaille de cette célérité. Qu’on me permette malgré tout de trouver que ce fut une bonne chose : les délais contraints ont coupé court à l’idée délirante d’un « geste architectural » qui aurait défiguré l’édifice. Cela en valait donc la peine.
Je l’avoue, de toutes les cathédrales de France, ce n’est pas, à la base, celle qui me parle le plus. Que voulez-vous, j’aime la province. Mais le feu, la cendre, l’émotion largement partagée (mais pas par tous : feindre de croire à l’unanimité serait hypocrite, donc irrespectueux, et si la réouverture nécessite un dispositif de sécurité hors du commun, c’est bien parce qu’il y a une menace), vaste et sincère émotion néanmoins, même au-delà de nos frontières, la générosité des dons, l’engagement et le talent des artisans du présent prolongeant la longue chaîne de leurs devanciers dans le respect de leur art, font de Notre-Dame de Paris aujourd’hui plus encore que ce qu’elle était hier. Ceux-là même qui s’acharnent à démanteler la France se sentent obligés de lui rendre hommage : hommage du vice à la vertu, certes, mais qui reconnaît donc la vertu pour ce qu’elle est. Petits miracles venant couronner cet accomplissement, on n’y chantera finalement pas « Imagine there’s no heaven (….) and no religion », et l’enfant-roi qui préside à la République n’aura pas eu gain de cause pour son caprice théâtral. Bien sûr, il s’est mis en scène dans la cathédrale quelques jours plus tôt, mais pour la réouverture au moins il doit se résoudre à ne pas transformer intégralement Notre-Dame en faire-valoir, et à ne pas discourir dans un lieu conçu pour affirmer qu’il est des mystères devant lesquels même les rois s’agenouillent en silence.
Imprégnation
C’est bien là l’essentiel. Sans ces mystères (ces Mystères) la restauration serait vaine. Non qu’il faille nécessairement y croire pour être pleinement chez soi dans ce lieu sacré, loin de là. Mais, à tout le moins, croire en ceux qui y ont cru, et ont sculpté de leurs mains cette vaste prière de pierre, de vitrail, de pénombre et de clarté. Les respecter assez pour respecter le sens qu’ils ont donné à leur œuvre. Nous le savons d’expérience, nombre d’incroyants savent se laisser toucher par ce don qui traverse les siècles – alors qu’il est des croyants qui jugent bon de dédaigner, au nom de Dieu, les réalisations que la foi permet aux hommes. Allez comprendre…
Ce serait passer totalement à côté de ce qu’est Notre-Dame que de ne célébrer sa restauration que comme un triomphe du génie national, ou pire encore républicain, ou un tour de force, ou un vague « succès collectif ». Comme le sanctuaire de Delphes ou celui d’Ise, comme les chemins de ronde des anciens châteaux où des générations ont monté la garde dans le froid des nuits d’hiver, la cathédrale est un lieu que l’on ne comprend que lorsqu’on accepte d’y entrer en pèlerin et non en touriste. Y compris quand on est président de la République… ou Pape ! Ce sont des lieux où nul ne doit pontifier, mais tendre l’oreille humblement. « Souviens-toi que tu es mortel » disaient les Romains aux triomphateurs. Henri d’Anselme parle d’« œuvre de civilisation »[1] : oui, c’est un calice – ou un creuset – dans lequel se rassemblent et s’incarnent toutes les dimensions de ce qui fait qu’une civilisation est civilisée. L’évocation, au-delà de toute description, de la rencontre entre l’élan vers la noblesse qui jaillit du plus profond de l’Homme, et l’appel à cette noblesse qui retentit pour l’Homme et lui vient d’au-delà de lui-même.
La France peut être fière de ses cathédrales, et fière d’avoir restauré – malgré tous les maux qui nous rongent – celle qui est devenue la plus emblématique de toutes. À condition que cette fierté ne soit pas un satisfecit prétentieux, mais la redécouverte de ce que nous nous devons d’être. L’espérance, c’est-à-dire la conviction que ce devoir de dignité et de transmission a un sens. Et un hommage rendu au Mystère, à ce qui inspire la soif de grandeur, la capacité d’admirer, le besoin de créer des merveilles et d’en accomplir.
Ne reste plus, alors, qu’à contempler, se laisser imprégner de l’esprit du lieu, et s’incliner avec gratitude.
Alain Herriau sort son premier disque, avec deux reprises de Charles Aznavour. Découverte.
Je ne le connaissais pas, du moins je le croyais. J’ai écouté son album Je reviendrai, et sa voix de baryton m’a transporté hors les murs de la maison, loin de la ville grise, vers un horizon de larmes et de sourires. Alain Herriau est originaire d’un petit village de la Mayenne. C’est un frondeur qui tient tête à son père médecin. Pas question de faire médecine comme lui. Il sera chanteur ! Il intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il obtient son prix de chant. Démarre pour lui une carrière de chanteur lyrique. Mais il décide d’arrêter l’opéra pour préparer l’album Je reviendrai, avec la complicité de Sabrina Le Cravier et Xavier Durot ; album de 12 chansons de facture classique, entraînantes, mélancoliques, intemporelles, dans la lignée de celles de Brel, Ferrat, Guidoni, et Aznavour – il y a deux reprises du « grand » Charles. Les textes, dont les mots racontent des tranches de vie, à la manière de Delpech, sont servis par des musiques variées, où l’accordéon, le piano, les violons ouvrent les portes de notre mémoire. Les souvenirs affluent comme les alluvions les jours de forte marée. Ça souffle, ça électrice, ça fait du bien, même si parfois, ça nous rappelle de douloureux moments. Alain Herriau, le pudique et l’intranquille, n’hésite pas à nous parler de son parcours chaotique dans la très autobiographique chanson « Je n’suis pas mort » qui ouvre l’album :
« …et je les salue, Ceux qui m’auront cru Je les compte sur quelques doigts Ils n’m’auront pas trahi Je leur dis ‘’merci’’ C’est pour eux aussi que je suis là… »
Dans le studio d’enregistrement, du haut de ses 1m88, il pointe du doigt une lune imaginaire, tel un personnage de Shakespeare réchappé de l’Achéron. On aime aussi « À Paris », capitale où l’on ne s’arrête plus que pour y travailler, même si ses taxis peuvent réserver de belles surprises ; on a le cœur qui se sert en écoutant « Comme un dimanche » : les amours délaissées ressurgissent sans crier gare. Il faut faire le tri, vite, vite. Et puis, il y a le « prince charmant », venu de Suède à l’âge de 20 ans, avec ses cheveux soyeux, prince du trottoir, de la nuit, du froid, pour les galants, les « sales gueules », les taulards, les vieillards, les jeunes filles, toujours pour le fric. Le violon, comme le violon d’Ivry Gitlis des « Étrangers », chanson interprétée par Léo Ferré, vous bouleverse.
Les mélodies s’installent, les paroles restent, ça nous entraîne dans les replis de la mémoire, ça fait tourner la tête grâce à l’accordéon de la chanson « Le manège », celui de notre enfance, avec auprès de soi, la silhouette de notre mère. L’album s’achève sur « Je reviendrai ». C’est ce qu’on espère, qu’il revienne Alain Herriau. En attendant, c’est Noël, le temps des cadeaux. Son album en est un !
L’album Je reviendrai est en ligne sur toutes les plateformes de streaming, téléchargeable également sur iTunes ou Amazon music.
Et si vous désirez acheter le cd ou le vinyle, écrivez à l’adresse suivante : alainherriau2@gmail.com (cd :12 euros ; vinyle 20 euros + frais d’envoi) • PL.
Le wokisme, selon Libération ou France inter, c’est un peu comme un coloc trop engagé qui vous reproche de respirer parce que « ça prend de l’air aux autres ». D’un côté, Luc Le Vaillant crie au scandale liberticide, de l’autre, Clémence Mary lui rétorque qu’il est juste coincé dans le siècle dernier. Pendant ce temps, dans les écoles, d’affreux réactionnaires s’offusquent qu’on apprenne aux élèves à débattre de leurs pronoms avant même de savoir conjuguer un verbe.
Pour une surprise, c’est une surprise. Le 19 novembre, paraissait dans les colonnes de Libération un article de Luc Le Vaillant intitulé “Lettre au wokisme qui existe bel et bien”. S’adressant directement à ce « cher wokisme », l’auteur écrivait : « Tu prétendséveiller les consciences aux discriminations diverses et aux stigmatisations endémiques. Selon toi, celles-ci prospèrent en une viralité apocalyptique, quand je continue à penser que nos contrées n’ont jamais été aussi civilisées »[1]. Et de dénoncer certains de ses effets concrets et délétères: l’invention des « sensitivity readers » dans les maisons d’édition et des « coordinateurs d’intimité » dans le cinéma ; la surveillance liberticide dans les milieux médiatiques, artistiques et universitaires ; la censure d’anciens artistes au nom d’une nouvelle morale inquisitoriale ; ainsi qu’un compagnonnage « parfois exagérément inclusif avec les barbus les plus fondamentalistes ». « Cher wokisme, je ne serai jamais ton meilleur pote », écrivait alors Luc Le Vaillant en s’étonnant que ses serviteurs les plus zélés prétendent qu’il n’existe pas. Bien sûr, assurait-il, certaines luttes progressistes sont légitimes et verser dans un anti-wokisme primaire ferait le jeu de qui vous savez. Toutefois, concluait-il, il serait souhaitable que le wokisme « évite de reproduire à sa manière les aberrations de Saint-Just ». Il paraît qu’à la lecture de ce papier, Thomas Legrand, chroniqueur politique de Libé, est tombé de sa chaise.
Clémence Mary se perd quai de Conti
Trois jours plus tard, la journaliste de Libération Clémence Mary rectifie le tir et présente le wokisme sous un tout autre jour[2], celui qui plaît tant à Thomas Legrand et nimbe cette idéologie de couleurs radieuses. Mme Mary signale avec amertume que, si l’Académie française a fait entrer les mots « woke » et « wokisme » dans son dernier Dictionnaire récemment paru, le mot « féminicide » n’y figure toujours pas. Elle ignore visiblement le fonctionnement de la mise à jour des définitions, apparitions ou retraits des mots dans ledit Dictionnaire : le premier tome de cette 9e édition a été publié en… 1992, et concernait les mots de A à E. Les mots commençant par la lettre F ont été étudiés dans le tome 2, élaboré entre 2000 et 2011, à un moment où le mot « féminicide » restait d’un usage extrêmement confidentiel en France. Le quatrième et dernier tome (de R à Z), commencé en 2012, vient de paraître et inclut, en plus de « wokisme », des mots comme… « télétravail » ou « vegan ». « La 9e édition du Dictionnaire propose plus de 53 000 entrées, dont 21 000 entrées nouvelles par rapport à la 8e édition, ce qui représente un quasi doublement du volume de son contenu », est-il précisé sur le site de l’Académie française.
Plutôt que de se renseigner sur l’élaboration du Dictionnaire de l’Académie française, la journaliste de Libé préfère nous donner un cours dérisoire sur « l’apport universitaire (sic) des gender studies et des études post-coloniales » puis sur la disqualification de ces « études » qui ne peut venir, selon elle, que de l’extrême droite. Mme Mary n’a apparemment pas connaissance de l’existence d’intellectuels classés plutôt à gauche et ne goûtant guère ces « études » idéologiques et militantes à mille lieues de la véritable recherche universitaire – à moins que, suivant un processus mental très en vogue dans les milieux dits progressistes, elle ait décidé que toute personne critiquant ces bidules-studies est fasciste, raciste, réac, homophobe, transphobe, bidulophobe, bref… d’extrême droite. Pour conforter son point de vue, elle se tourne vers une pointure de Paris VIII, un agrégé d’anglais auto-proclamé sociologue, soi-disant « spécialiste des études de genre », représentant officiel en France de la firme Judith Butler, j’ai nommé Éric Fassin. Le propos, simplissime, pastiche celui de la journaliste de Libé : « Actuellement, le danger vient de l’extrême droite, pas du supposé wokisme. Rendre les revendications minoritaires responsables de la haine des minorités est une victoire idéologique du trumpisme et de l’extrême droite. » M. Fassin vient d’écrire un essai dans lequel il a jeté toutes ses modestes forces intellectuelles pour dénoncer ce qu’il appelle la Misère de l’anti-intellectualisme : Du procès en wokisme à celui en antisémitisme. Ce militant « intersectionnel » aimerait bien passer pour un intellectuel universitaire de haut vol – malheureusement, ses rares et faméliques écrits, ses besogneux travaux sur le genre (resucée indigeste de la soupe butlérienne indigente) et ses discours répétitifs et insignifiants sur les sempiternels sujets « sociétaux » ne jouent pas en sa faveur. « Le militantisme académique attire en priorité les plus médiocres (qui sont souvent aussi des apparatchiks, à la production plus que mince), ne connaissant guère que le morne confort de la langue de bois mais pas la joie pure de la découverte », rappelle justement la sociologue Nathalie Heinich[3]. Dans unentretien donné à l’inénarrable Pascal Boniface, le fascinant Fassin ose affirmer: « Au nom de la lutte contre le wokisme et l’antisémitisme, la droite radicalisée s’en prend à la liberté d’expression et de manifestation. On exclut du débat public les figures qui tiennent un discours dissonant, dès lors qu’il vient de la gauche ; en revanche, la radicalité droitière a antenne ouverte dans les médias. On a voulu nous faire croire que la culture de l’annulation, c’était la gauche ; or c’est la droite. Et que la censure, ce seraient les minorités ; pourtant, ce sont elles que l’on interdit de parole »[4]. Cette phrase hallucinante, de bout en bout mensongère, inverse tout simplement la réalité.
Patrick Cohen tombe dans les pièges sémantiques du wokisme
2 décembre 2024. Théorie du genre, encore. C’était prévisible : le journaliste Patrick Cohen n’a pas suivi mon conseil – se documenter sur le wokisme avant que d’en parler (voir mon article du 15 novembre) – et s’est par conséquent livré, sur France Inter, à un nouvel exercice de dénonciation systématique de « l’extrême droite » pour dissimuler son ignorance. Le motif de ce courroux facilité par une profonde méconnaissance du sujet abordé ? La détermination du ministre délégué à l’Éducation nationale, Alexandre Portier, qui a déclaré vouloir revoir entièrement le projet, « inacceptableen l’état », de programme d’éducation sexuelle à l’école. Parmi ses critiques : la manière d’aborder le sujet, en particulier chez les enfants dès la maternelle ; les ruses sémantiques pour laisser pénétrer dans l’école une théorie du genre qui, d’après Patrick Cohen & Co, n’existe pas, mais dont les termes et les notions apparaissent pourtant à de nombreuses reprises dans le projet en question ; les « ressources pédagogiques » étrangement orientées de l’Éducation nationale et d’associations militantes, dont le Planning familial et les associations LGBT les plus furieusement activistes – OUTrans, par exemple, s’était fait remarquer à l’École alsacienne en traitant de « transphobe »tout élève refusant de croire qu’un homme peut être «enceint » et en encourageant fortement chaque collégien à faire sa « transition », c’est-à-dire à « façonner son corps et son identité comme iel l’entend, c’est-à-dire avec ou sans modifications corporelles », expliquait-on sur le site de l’association.
Furieux, l’éditorialiste france-intérien s’époumone : « Il s’est trouvé un ministre délégué pour promettre de faire barrage à la “théorie du genre”, épouvantail des réactionnaires, qui n’a pas plus de réalité qu’il y a 10 ans. » La théorie du genre n’existe pas ; pourtant M. Cohen se réjouit de ce que « la question du genre » sera abordée à partir du collège. Le journaliste ne perçoit par ailleurs aucun problème dans le fait qu’en maternelle et en primaire « le programme [soit] centré sur la vie affective et relationnelle » en abordant une notion sur le consentement pour le moins problématique. « En matière de sexualité, l’enfant n’a pas à consentir, il n’y a que des interdits », est-il rappelé avec fermeté dans L’éducation sexuelle à l’école, l’excellent essai co-écrit et dirigé par Sophie Audugé[5]. Cette spécialiste des politiques éducatives souligne que « le cadre actuel de l’éducation à la sexualité dans nos écoles est une copie consciencieuse des standards de l’OMS », lesquels s’appuient sur des notions d’ « auto-détermination de genre », de « sexualité citoyenne » et d’« éco-sexo-citoyenneté » dans le but d’imposer un modèle normatif et d’opérer un contrôle total sur les individus tout en « déconstruisant » les structures familiales. Je conseille à M. Cohen de lire cet ouvrage. Il y trouvera de nombreux témoignages d’élèves, de parents ou de professeurs confrontés malgré eux à l’idéologie du genre. Dans le Loiret, apprendra-t-il entre autres, les parents d’un enfant de trois ans ont découvert que, dans sa classe de maternelle, « les lectures et les activités associées se rattachent toutes à des livres sur la théorie du genre, les stéréotypes fille/garçon et l’importance de les dépasser notamment pour les garçons en se travestissant ». Ils se tournent alors vers les enseignants pour leur demander les raisons de ce choix. « Ils nous ont seulement dit qu’ils étaient fiers (sic) d’avoir choisi ce genre de livres. » Ces parents attentifs retireront finalement leur enfant de cette école – mais nombreux sont ceux qui, peu au fait du militantisme woke qui gangrène certains établissements, continuent de faire aveuglément confiance à l’Éducation nationale. Ce en quoi ils ont tort – ce qu’un court rappel des faits leur prouvera.
Le genre et nos petites têtes blondes
La diffusion du genre à l’école a débuté en 2010. Luc Châtel, ministre à l’époque, mettait alors ses pas dans ceux de Richard Descoings qui avait introduit cet enseignement à Sciences Po l’année précédente. Dans son Enquête sur la théorie du genre[6], la polytechnicienne Esther Pivet alertait quelques années plus tard sur les contenus de certains livres scolaires. Deux exemples parmi cent : Hachette proposait, dans ses manuels Sciences de la vie et de la Terre, un chapitre intitulé « Le genre, une construction sociale », dans lequel il était affirmé que « la société construit en nous, à notre naissance, une idée des caractéristiques de notre sexe » (manuel SVT 1ère ES et L). Les éditions Magnard, elles, attiraient l’attention sur le fait que les comportements des parents avec leurs enfants « contribuent à forger peu à peu des identités qui, pour n’avoir rien de naturel, finissent par coller à la peau des garçons et des filles comme une seconde nature. » L’illustration accompagnant ce texte était le dessin d’un homme en jupe. Si ça, ce n’est pas de l’endoctrinement…
En 2013, Mme Vallaud-Belkacem lançait son programme ABCD de l’égalité, programme dans lequel se glissaient des références explicites à la théorie du genre – qui n’existait pourtant pas, selon elle. Ainsi pouvait-on lire sur le site de l’Education nationale que « le programme ABCD de l’égalité, qui s’adresse à l’ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, vise à déconstruire les stéréotypes de genre ». Dans sa lettre de mission à l’IGAS, Mme Vallaud-Belkacem précisait : « Le féminin et le masculin sont avant tout des constructions sociales. […] La cible des enfants de moins de trois ans se doit d’être au cœur des préoccupations des politiques publiques dans la mesure où les assignations à des identités sexuées se jouent très précocement. » Ce qui est au cœur des préoccupations publiques n’est donc pas d’apprendre la lecture et l’écriture à nos enfants, mais de leur désapprendre les fameux stéréotypes de genre dès la sortie du berceau. Si les ressources pédagogiques proposées aux enseignants pour mener à bien cette propagande woke feront tiquer quelques inspecteurs regrettant que « les fondamentaux de la psychologie de l’enfant soient peu mobilisés » et que « l’approche privilégiée est celle de la sociologie, ce qui est limité même si cette approche est essentielle », rien n’y fera et la folie déconstructiviste gagnera toutes les académies tandis que les futurs enseignants subiront lors de leur formation les conférences de représentants butlériens. Plus tard, Jean-Michel Blanquer pondra une circulaire demandant à la communauté éducative d’appliquer de nouvelles « mesures d’accompagnement pour les jeunes transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre ». Le ministre se dira très sensible à certaines recommandations du Rapport sur les « stéréotypes de genre » écrit par la Délégation des droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour l’Assemblée nationale, parmi lesquelles : « repenser l’aménagement des cours de récréation », « créer un label égalité pour les manuels scolaires et inciter les éditeurs à poursuivre leurs efforts dans la lutte contre les stéréotypes de genre », « prévoirun module de formation obligatoire de sensibilisation aux stéréotypes de genre » pour les enseignants, et, enfin, « faire de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire un enseignement obligatoire spécifique dispensé dès la maternelle »,et prévoir, dès la classe de 6ème, « l’intervention d’associations sensibilisant les jeunes aux droits des LGBTQIA + ». Le projet actuel de programme d’éducation à la sexualité n’est que l’aboutissement administratif d’une réalité qui a pris ses quartiers dans l’école depuis longtemps. Pourtant, Patrick Cohen continue d’affirmer que cette réalité n’existe pas.
Les idéologies wokes (du néo-féminisme à la théorie du genre en passant par l’antiracisme racialiste) et la propagande écologiste (sous la férule d’un GIEC idolâtré, responsable pourtant, en grande partie, de notre déchéance économique actuelle) existent. Elles ont fait leurs nids dans les écoles françaises. L’Éducation nationale n’instruit plus. Elle éduque et elle dresse. Elle n’apprend pas à nos enfants à penser – elle leur apprend ce qu’il faut penser. Participant au contrôle social, elle sait pouvoir s’appuyer sur des médias acquis aux dérives du pouvoir progressiste en place, en particulier la réduction au silence de médias indépendants remettant en cause la propagande woke, européiste, immigrationniste et écologiste, inculquée dès le plus jeune âge. L’Éducation nationale fabrique ainsi des crétins en masse. « L’École de la transmission des savoirs, l’École de la formation des citoyens est morte », écrivait Jean-Paul Brighelli en 2022[7], tout en espérant un sursaut.
La nomination de Jean-Michel Blanquer à la tête de l’Education nationale avait tiré une grimace à Mme Vallaud-Belkacem, ce qui était bon signe. Mais le ministre Blanquer, confronté aux apparatchiks de la rue de Grenelle et aux puissants syndicats de gauche, n’a ni su ni pu enrayer le déclin. Et ne parlons pas de ses successeurs, plus mauvais les uns que les autres.
Résultats ? Le Bac est, plus que jamais, une mascarade. L’illettrisme gagne du terrain tous les jours. Nos élèves sont nuls en mathématiques. Les nouveaux professeurs en savent parfois à peine plus que leurs élèves. À ce désolant constat, il faut ajouter le problème de l’immigration et, conjointement, celui de l’entrisme islamiste dans nos écoles, sujet que Jean-Paul Brighelli aborde avec clairvoyance dans son dernier livre[8]. Mais sans doute les journalistes de Libération et France inter considèrent-t-ils que cette alarmante réalité est, elle aussi, une vue de l’esprit ou, pour le dire à leur manière rabâchée, un délire des milieux réactionnaires, ultra-conservateurs, racistes et islamophobes…
Selon l’ONG Kizuna Child-Parent Reunion, 150 000 enfants sont enlevés chaque année par un parent au Japon, dans le cadre d’une séparation. Comment l’expliquer ?
Ce phénomène des enfants enlevés au Japon, qui concerne de nombreux pères français, a inspiré « Une part manquante », le nouveau film de Guillaume Senez mettant en scène Romain Duris, sorti le 13 novembre dernier.
« Ce qui pousse les enlèvements des enfants au Japon, c’est une règle qui dit que le premier qui part avec l’enfant obtient la garde et peut bloquer l’accès à l’autre jusqu’à la majorité » expliquait très bien Vincent Fichot, au micro de France Bleu, le 27 novembre. Son fils de trois ans et sa fille de 11 mois ont été enlevés par sa compagne japonaise en 2018. « C’est seulement le premier enlèvement qui compte. En revanche, si vous essayez de retrouver vos enfants et de les enlever à votre tour, là par contre vous serez arrêté pour tentative d’enlèvement. »Selon une enquête de 2021 demandée par le gouvernement japonais, un enfant de parents divorcés sur trois finit par perdre tout contact avec le parent non gardien.
Ces situations dramatiques découlent principalement de l’application de la législation nippone en matière de droit de la famille , qui ne reconnaissait, avant mai 2024, ni le partage de l’autorité parentale, ni la garde alternée. De plus, les juges appliquent le principe non écrit de « continuité », qui les conduit à attribuer systématiquement l’autorité parentale et la garde exclusive de l’enfant au parent ravisseur. Quant au droit de visite, il est toujours laissé à l’appréciation du juge aux affaires familiales, et son exercice dépend du bon vouloir du parent auquel a été attribuée l’autorité parentale.
Le 17 mai 2024, le Parlement japonais a adopté un Code civil modifié dont le principal pilier est l’introduction de l’autorité parentale conjointe sur les enfants en cas de divorce. Bien que les médias japonais aient rapporté que « en principe, l’autorité parentale est partagée », en réalité, contrairement à d’autres pays, la modification visait à permettre l’option de l’autorité parentale conjointe ou, selon les cas, le maintien de la garde exclusive. Pourquoi le Japon est-il si réticent à ouvrir la voie à l’autorité parentale partagée ? Cela s’explique moins par des raisons idéologiques que par la combinaison de trois groupes d’acteurs : les avocats, les tribunaux et certains partis politiques.
Concurrence exacerbée entre avocats
Il convient tout d’abord de relever que le nombre d’avocats japonais a augmenté rapidement ces dernières années. En 2001, le gouvernement japonais a adopté une loi sur la réforme du système judiciaire, qui visait, entre autres, à rendre le système juridique plus accessible à ceux qui en ont besoin. Garantir l’accessibilité nécessite naturellement une augmentation du nombre d’avocats, des juges et d’autres personnels juridiques. Dans ce contexte, selon les données de la Fédération japonaise des barreaux, Nichibenren, le nombre d’avocats est passé de 18 243 en 2001 à 45 826 en 2024. Par ailleurs, selon le Court Databook 2023 publié par la cour japonaise, le nombre de nouvelles affaires reçues par l’ensemble des tribunaux a diminué, passant de 5 632 117 en 2001 à 3 577 916 en 2024. Cela se traduit par un renversement complet de l’équilibre entre l’offre et la demande dans le domaine judiciaire. Il est raisonnable de penser que cette situation d’offre supérieure à la demande a porté un coup dur aux avocats. Résultat logique : une extrême concurrence entre avocats, pour obtenir une part réduite du gâteau… En vue de survivre dans la concurrence féroce qui règne au sein du barreau, certains avocats se sont donc tournés peu à peu vers le « business » de l’enlèvement d’enfants.
Avocats peu scrupuleux
Au Japon, où l’autorité parentale exclusive est encore maintenue, dans la majorité des cas de divorce d’un couple avec enfants, c’est la mère qui obtient l’autorité parentale des enfants. Cependant, dans certains cas, les maris obtiennent l’autorité parentale, mais il existe certaines femmes qui enlèvent alors leurs enfants sans le dire à leur mari, dans le but de s’assurer que celui-ci n’obtiendra jamais l’autorité parentale.
De tels enlèvements peuvent bien sûr également tomber sous le coup de l’infraction d’enlèvement d’un mineur telle que définie par le Code pénal du Japon. Mais, le principe de continuité s’applique également lorsque l’enfant d’un couple séparé vit avec l’un de ses parents pendant un certain temps et mène une vie stable, le maintien de ce statu quo étant dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, il est plus probable que le parent qui a emmené l’enfant obtienne l’autorité parentale de ce dernier. Cependant, l’accomplissement seul de ces actes dangereux comporte forcément des risques, qui peuvent être contraires au Code pénal. C’est là qu’interviennent des avocats peu scrupuleux dans le but de profiter du parent qui a enlevé ses enfants en vue de gagner l’autorité parentale et de se faire rémunérer pour leurs services.
Par exemple, une avocate japonaise écrit sur son X (Twitter) : « Vous pouvez vous séparer avec vos enfants. Votre mari peut dire qu’il s’agit d’un enlèvement, mais je vous défendrai en tant qu’avocate. Il y a des avocats similaires dans différentes parties du Japon. N’hésitez pas à nous contacter ». De telles déclarations d’avocats peuvent être trouvées non seulement sur X et sur des sites web, mais aussi lors d’événements de consultation sur le divorce organisés ici et là dans le pays. Certains de ces avocats conseillent carrément aux femmes d’inventer des histoires sur des violences domestiques qu’elles subiraient de la part de leur mari.
Sous-effectif dans les tribunaux, doublement des affaires familiales en 20 ans
Cette épineuse question de l’enlèvement d’enfants relève aussi naturellement des problèmes des tribunaux de la famille au Japon, lesquels traitent ces questions familiales telles que l’autorité parentale des enfants. Il a été expliqué précédemment que le nombre de nouvelles affaires reçues par l’ensemble des juridictions est en baisse, ce qui est principalement dû à une diminution du nombre d’affaires civiles et administratives, pénales ou concernant les mineurs. Par exemple, selon le Court Databook 2023, le nombre d’affaires civiles et administratives traitées par l’ensemble des juridictions est passé de 3 098 011 en 2001 à 1 477 567 en 2023. En revanche, la même base de données indique que le nombre d’affaires familiales traitées par l’ensemble des tribunaux a doublé, passant de 596 478 en 2001 à 1 182 687 en 2023.
Cependant, l’augmentation du nombre de juges n’a pas suivi le rythme de celle des affaires domestiques. Selon les données de Nichibenren, en 2001, il y avait 2243 juges, mais malgré la mise en œuvre de la réforme judiciaire, ce nombre n’est passé qu’à 2770 en 2023. Dans ces conditions, il est tout à fait logique que la charge qui pèse sur les juges aux affaires familiales soit un peu lourde. Les juges aux affaires familiales ne sont en outre pas les seuls à être de plus en plus sollicités. Il y a également une pénurie d’enquêteurs familiaux, lequels travaillent avec les juges sur les affaires domestiques. Leurs tâches principales consistent à évaluer l’environnement familial lors d’une procédure de divorce, ainsi qu’à vérifier les souhaits de l’enfant et à faire un rapport au juge. Les enquêteurs familiaux sont des fonctionnaires du tribunal, dont le nombre est déterminé par la loi. Ils sont en même temps des fonctionnaires nationaux, et il n’a donc pas été facile pour les parlementaires d’apprécier le nombre nécessaire de ces agents localement sur la période que nous évoquons.
En raison de cette situation, le ministère japonais de la Justice, bien conscient de la situation désastreuse des tribunaux de la famille, a été très réticent à établir ce principe de l’autorité parentale conjointe, ignorant les sentiments des parents et des enfants. Mais ce sous-effectif des juges aux affaires familiales et des enquêteurs, conjugué à l’augmentation du nombre d’affaires familiales, n’est pas le seul obstacle à l’instauration de l’autorité parentale partagée par défaut. En arrière-plan de cette question, on constate également une collaboration étroite entre les tribunaux, les cabinets d’avocats et les organisations apparentées. Par exemple, il a été constaté que des juges ayant pris des décisions en faveur du maintien de l’autorité parentale exclusive sont devenus, après avoir quitté leurs fonctions… avocats dans des cabinets d’avocats qui tentent également de l’obtenir !
De surcroît, non seulement des juges, mais aussi des enquêteurs familiaux, travaillent, après leur retraite, dans des organisations s’occupant des visites entre les parents et les enfants qui ne peuvent pas se voir. Les parents dont les enfants ont été emmenés sont souvent obligés de passer par ce type d’organisation afin de voir leurs enfants grandir. Lorsque les parents rencontrent leurs enfants avec le personnel de ces organisations en tant que chaperons, le coût est d’environ 20 000 yens (environ 125 €) ; mais de telles visites ne sont autorisées que pour une durée maximale de trois heures, une fois par mois. Si le Japon mettait en place un système d’autorité parentale conjointe, comme la France, tous ces intermédiaires perdraient toute leur valeur. Cela signifierait aussi que les juges et les enquêteurs familiaux auraient moins de possibilités de trouver un nouvel emploi après leur départ à la retraite.
Les politiques peinent à prendre position
Outre les problèmes des avocats et des tribunaux mentionnés ci-dessus, il ne faut pas oublier que certains partis politiques s’opposent à la création de l’autorité parentale conjointe. Parmi les partis qui s’y opposent, il convient de mentionner le Parti démocrate constitutionnel du Japon (libéral, opposition), dont le nombre de sièges a considérablement augmenté lors des élections législatives qui se sont tenues le 27 octobre. Yukio Edano, l’actuel conseiller principal du parti et député à la Chambre des représentants (l’équivalent de l’Assemblée nationale française) avait exprimé son soutien à l’autorité parentale conjointe en 2008 de la manière suivante : « Dans de nombreux pays développés, l’autorité parentale partagée après un divorce est considérée comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et la séparation d’un enfant de ses parents est considérée comme une maltraitance, à moins qu’il n’y ait des raisons particulières ». Pour finalement se rétracter, suite à l’opposition de certains activistes.
L’approche du Parti démocrate constitutionnel en la matière, même si elle ne modifie pas son insistance sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », met en avant le danger de mélanger les cas de violence domestique, d’abus et de conflits graves entre parents. En outre, ce parti libéral continue de préconiser qu’elle ne soit pas accordée en l’absence d’accord entre les deux parents, et insiste sur le fait qu’elle n’est pas un principe. Ce premier parti d’opposition compte également quelques avocats et anciens conseillers municipaux qui s’opposent à l’autorité parentale conjointe. Bien évidemment, le parti n’est pas le seul à s’opposer à sa mise en place, certains membres du parti libéral-démocrate (actuellement au pouvoir) et du parti communiste s’y opposant également.
Priorité à l’intérêt de l’enfant!
Les victimes d’enlèvements d’enfants ne sont pas seulement des Français, mais aussi nombre d’étrangers et évidemment de Japonais. En réponse à cette modification du Code civil, certaines personnes qui espéraient la mise en place de l’autorité parentale partagée, comme dans des pays tels que la France, ont exprimé leur déception. Par exemple, un résident français a fait le commentaire suivant : « Alors qu’on parle de rendre la garde alternée automatique en France, le débat japonais est étonnant ». Un autre résident français au Japon a estimé de son côté que « c’était déjà mieux que rien ».
Il importe enfin d’éviter à tout prix que l’enjeu de l’enlèvement d’enfants ne vienne compromettre les relations d’amitié et de coopération franco-japonaises, qui sont d’une grande importance. Il convient également de souligner pour terminer que tous les hommes politiques, partis, avocats et citoyens japonais ne sont pas opposés à la garde partagée. Par exemple, de nombreux partis et élus politiques, comme le Parti conservateur du Japon, qui est devenu un parti politique national lors de la dernière élection législative, préconisent l’introduction d’un système d’autorité parentale partagée.
Il est clair que l’autorité parentale conjointe par défaut conduirait au bien-être de nombreux parents et enfants, sans distinction de nationalité, au détriment de quelques lobbies qui perdraient certains de leurs intérêts. Il ne faut jamais oublier non plus que les sentiments des enfants pour leurs parents et des parents pour leurs enfants sont sans frontières. Le gouvernement japonais devrait prendre au sérieux les voix des enfants et des victimes d’enlèvements et agir rapidement.
Notre démocratie représentative est en crise. Le rabaissement de la fonction présidentielle, déjà banalisée par le quinquennat, et le réveil du multipartisme anarchique, semblent désormais caractériser notre Vème République – un régime politique jusqu’alors stable et accepté par plus de 82% des Français en 1958. Comment s’en sortir ? Analysons…
C’est à craindre : le régime parlementaire qu’incarnait la Ve République est en passe de dégénérer en régime d’assemblée.
La séquence ouverte par la Loi de financement de la Sécurité sociale montre que le RN est devenu un acteur décisif du jeu parlementaire. A moyen terme, il conviendra de trancher le nœud gordien par un choc de légitimité qui exige le recours au référendum et invite – pourquoi pas – à expérimenter le scrutin uninominal à un tour plutôt que de placer quelque espoir dans le scrutin proportionnel.
L’adoption du quinquennat en 2000 a précipité le régime sur sa pente actuelle. Pourquoi ? Dans les régimes parlementaires, le pouvoir exécutif est bicéphale mais non dyarchique. Le président ne peut donc, sans créer de confusion, être un « super Premier ministre » au risque de reléguer ce dernier au rang des collaborateurs. Le président devient alors le chef de la majorité et n’est plus le garant de l’unité nationale et de la continuité de l’Etat, qui donne les « impulsions fondamentales » et les « directions essentielles » (Pompidou, conf. de presse 10 juillet 1969). Son action n’est plus circonscrite au « domaine réservé » qui confère la hauteur nécessaire à une vision à long terme. Le quinquennat, voulu par Lionel Jospin alors Premier ministre, et auquel le président Chirac s’est résolu, était perçu comme un progrès démocratique, qui présentait le mérite d’éviter les cohabitations en faisant coïncider le mandant présidentiel et la législature. Mais, les élections présidentielles de 2022 ont anéanti cette conjecture ! En descendant dans l’arène politique, le président a perdu de son éloignement et, ce faisant, comme le prévenait le Général de Gaulle, de son prestige et de son autorité (“L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement”). En charge de tout, le président est devenu un paratonnerre qui, prenant directement la foudre, n’est plus préservé par le Premier ministre simple fusible ! En exerçant les pouvoirs normalement dévolus au gouvernement et à son Premier ministre, il perd de son autorité. Or, c’est cette dernière (auctoritas) qui augmente (augere) le pouvoir (potestas), et non l’inverse (Hannah Arendt, La crise de la culture, 1972).
Le réveil du multipartisme anarchique
Le fait majoritaire, amplifié par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours (institué par l’ordonnance du 13 octobre 1958), excepté la parenthèse de 1986, devait inoculer, au régime de la Vème République, la stabilité gouvernementale, contrastant avec la valse endémique des gouvernements sous la IVe République (24 gouvernements en 12 ans de régime).
La IVe République laissait le champ libre aux coalitions ayant pour pivot soit la SFIO (1946-1951) soit le MRP (1952-1955). Les communistes en étaient exclus en raison de leur allégeance à l’Union soviétique, tandis que les gaullistes (RPF) affichaient leur défiance à l’égard du « régime des partis ». La guerre d’Algérie révéla l’incurie du système… Le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale accordait l’investiture au Général de Gaulle qui devenait le dernier Premier ministre de la IVème République. C’est dans ce contexte institutionnel que fut adoptée par référendum du 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution à 80% des suffrages exprimés. Après 65 années de règne, le régime de la Vème République semble à bout de souffle, prêt à être emporté par une crise de régime amorcée par la dissolution et menacé par les motions de censure mêlant « l’alliance des contraires ».
On assiste au réveil d’un multipartisme anarchique, que la constitution de la Vème République, modèle singulier de rationalisation du parlementarisme, échoue aujourd’hui à endiguer. Il apparaît sous la forme d’un tripartisme constitué, à gauche et au centre, de cartels de partis, alliés au second tour, pour mettre en déroute le RN arrivé en tête au premier. Sans autre « raison sociale » que de faire barrage, aucun des partis des deux cartels n’est susceptible de jouer le rôle d’un parti pivot pour constituer une majorité. La crise politique est donc consommée. Elle pourrait dégénérer en crise de régime si ce dernier se révélait impuissant à résoudre la crise financière. Pour l’adoption du projet de Loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS), Michel Barnier n’était pas tenu d’engager la responsabilité du gouvernement sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Constatant que le délai de 50 jours était expiré au 2 décembre, le Premier ministre pouvait dessaisir le Parlement et, en vertu de l’article 47-1 de la Constitution, mettre la loi en œuvre par ordonnance. Il préféra céder au RN le destin de son gouvernement !
Risques et péril de l’usage du 49 alinéa 3 de la Constitution
L’article 49 alinéa 3 est un instrument de rationalisation du parlementarisme. Mais son usage, à l’instar du droit de dissolution, est à manier avec parcimonie. Il peut servir à discipliner une majorité erratique. En l’absence de majorité, il devient une roulette russe !
Son usage, qui induit la possibilité d’une motion de censure, n’est pas un coup de force, mais un coup de droit : un acte politique fondé en droit constitutionnel.
Le RN obtint satisfaction sur au moins deux de ses « lignes rouges » : le prix de l’électricité et l’engagement du gouvernement à ne pas prévoir de « déremboursement » de médicaments. Comment s’est-il résolu à voter la motion de censure déposée par son adversaire politique le plus déterminé qui reprochait au gouvernement Barnier de céder à ses plus « viles obsessions » ? Parce qu’il a mêlé ses voix à celles du NFP, on lui intente le procès d’avoir précipité la France dans l’inconnu d’une crise financière déjà à l’œuvre. Mais ceux qui tirent à boulets rouges contre lui sont les mêmes qui ont scellé hier une alliance avec le NFP, y compris avec LFI, par le jeu des désistements au second tour des élections législatives. Défiant la réalité, les accusateurs mettent en réalité en scène le « théâtre antifasciste » en faisant jouer au RN le rôle antirépublicain (Le RN est-il vraiment d’extrême droite ? Le Figaro, 20 juin 2024).
Le RN aurait-il fait le pari d’une élection présidentielle anticipée ? Cette hypothèse ne semble pas recevable sans la possibilité d’une dissolution. La question aura donc une acuité nouvelle dans six mois, à la première date anniversaire (article 12 de la Constitution). Une seconde dissolution ratée risquerait de faire écho à la formule comminatoire de Gambetta à l’adresse de Mac Mahon, « se soumettre », en cas de majorité cohérente hostile, « ou se démettre », pour déverrouiller le blocage institutionnel. Le président Macron n’aura pas l’espoir d’une majorité que les élections législatives de 1962 avaient conféré au Général de Gaulle qui, dans la foulée, put renommer Georges Pompidou, son Premier ministre démissionnaire à la suite de l’adoption d’une motion de censure.
Le gouvernement Barnier fut renversé faute d’indexation des retraites sur l’inflation. Il lui suffisait de céder sur cette revendication pour obtenir un sursis. Certainement que le coût de cette mesure eut été inférieur à celui du rejet du Budget… Le prochain Premier ministre est donc prévenu. Après cette séquence tribunicienne et contestataire, le RN ne tardera pas à réinvestir la posture d’un parti d’alternance.
Trancher le nœud gordien pour un choc de légitimité
Le recours au référendum
Faut-il rappeler que l’article 3 de la Constitution énonce que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ? Ce dernier focalise la suspicion des élites à l’endroit des « Gaulois réfractaires », dont il conviendrait de forcer le destin… Sur la nature des contestations de la classe moyenne, il faut relire Les dépossédés de Christophe Guilluy (Flammarion, 2022). Prévu par les articles 11 et 89 de la Constitution, le référendum verserait dans le césarisme démocratique, détournerait l’objet de la question posée en raison de sa dérive plébiscitaire. Il n’en demeure pas moins un outil de démocratie directe, ou semi-directe, puisque le peuple n’en a pas l’initiative. Il charge la loi d’un surcroit de légitimité politique. Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois référendaires (Cons const. n°62-20 DC du 6 novembre 1962), et ce, à l’exception du référendum d’initiative partagée.
Le recours au référendum constitutionnel est plus complexe dans la mesure où l’article 89 de la Constitution impose que le projet ou la proposition de révision soit votée par les deux assemblées en termes identiques. C’est la raison pour laquelle le Général de Gaulle a eu recours à l’article 11 en 1962 pour modifier la Constitution au titre de « l’organisation des pouvoirs publics », en instituant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Il neutralisait ainsi l’opposition du Sénat.
Et le scrutin uninominal majoritaire à un tour ?
Le scrutin proportionnel aux élections législatives est fréquemment proposé de part et d’autre du spectre politique, de LFI au RN en passant par le MoDem. Pour quelle planche de salut ? On assisterait, dans ce contexte de multipartisme anarchique, à la consécration de la IVème en pire (!), à l’avènement du « régime des partis » et des combinaisons incessantes qui échappent au suffrage universel.
Peut-être est-il temps d’expérimenter le scrutin uninominal majoritaire à un tour, adopté par exemple par la Chambre des communes au Royaume-Uni ? Le candidat arrivé en tête est élu même s’il n’obtient pas la majorité absolue des suffrages exprimés. Dans un tel système électoral, les alliances politiques se concluent donc ab initio. Ce mode de scrutin favorise, outre-Manche, le bipartisme, et pourrait en France, contribuer à restaurer un « quadrille bipolaire» que décrivait le professeur Maurice Duverger (PC-PS / UDF-RPR). La comédie antifasciste serait alors plus difficile à jouer, car le corps électoral ne serait plus surpris par l’impromptu des alliances de second tour…
Nous nous souvenons du 15 avril 2019 comme si c’était hier, lorsque l’entame du crépuscule se transforma en un brasier de désolation. Notre-Dame, joyau architectural et lieu de culte, prenait feu dans la stupeur générale, avant que la chute de sa flèche ne lui fit perdre en hauteur. Heureusement, la structure du bâtiment le plus prestigieux de Paris se fut trouvée intacte et la France commence à célébrer la réouverture de celle dont l’aura fut renforcée par Victor Hugo. La cathédrale, avec laquelle chacun a noué un lien intime, nous rappelle l’exigence de verticalité. Pendant longtemps, notre société, qui assistait aux offices religieux, était verticale par le simple fait de sa foi partagée. L’espérance d’un au-delà allégeait les souffrances, ancrait le passage terrestre dans une éternité céleste, promettait la justice, fût-elle dans un autre monde. Dans cet univers de pensée, tout convergeait vers Dieu, de l’architecture aux prières. Las, il ne demeure aujourd’hui à nos pieds que les décombres accumulés par le wokisme. L’absence actuelle de verticalité découle aussi de la dévalorisation de l’enracinement, à l’heure où le nomadisme – celui des migrations et du tourisme de masse – est porté aux nues, avec pour conséquence de voir les individus souffrir de ne pouvoir encore être de quelque part et d’être considérés comme suspects lorsqu’ils veulent s’inscrire dans une lignée historique. N’est-ce pas d’ailleurs dans cette absence d’ancrage et de sédimentation qu’il faut trouver la cause de l’état de dépression généralisée de la société ? Rien n’est en effet plus beau que d’imprimer ses pas dans ceux de ses aïeux et ancêtres.
Le morne paysage offert par les post-modernes est par trop horizontal à ne plus vouloir répandre que le bruit et la cacophonie, celle des élus de La France Insoumise, des klaxons et de la mauvaise musique, alors que les notes de Bach s’élevaient vers l’immortalité – ce n’est pas un hasard si Cioran disait de ce dernier que Dieu lui devait tout. En entreprise, on vante aujourd’hui le bonheur au travail, l’absence de hiérarchie, les open spaces, l’inclusivité – sorte de communisme ludique -, tout sauf le travail, la mission collective ou la vision d’un chef. Tel un symbole, il n’est qu’à observer le manque de hauteur de beaucoup d’hommes qui ne se tiennent plus droit, comme s’ils souffraient d’une carence en légitimité et en fierté. Il reste du travail aux ostéopathes et aux kinésithérapeutes pour les redresser afin qu’ils portent le poids du monde plutôt que de se faire écraser par celui-ci. Signe qui ne trompe pas, il y a bien longtemps que nombre d’entre eux ont laissé tomber la très verticale cravate. L’horizontalisme est un des synonymes de l’égalitarisme ambiant au nom duquel tout est nivelé, forcément par le bas, pour ne pas dire le très-bas. À l’aune de ce relativisme, il est désormais difficile d’encore dénicher la beauté seule à même de sauver le monde, de bâtir des cathédrales et d’établir une hiérarchie entre un borborygme et une symphonie, une copie truffée d’approximations syntaxiques et un roman de Stendhal, le chahut d’un étudiant et le savoir professoral. Or, une civilisation qui tranche ce qui dépasse, qui considère que tout se vaut et qui refuse de prendre de la hauteur est condamnée à mourir sans panache. Alors, renouons avec la verticalité et prenons les pierres jonchant le sol pour bâtir les édifices qui perpétueront notre héritage commun. La réouverture de Notre-Dame devrait en cela profondément nous inspirer.
Gilles-William Goldnadel ébauche un petit dictionnaire contemporain de la partialité médiatique et judiciaire en Occident
J’aurai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle et professionnelle à vitupérer notre époque du « deux poids, deux mesures », du privilège rouge et de la morale à sens inique. Bien évidemment, j’ai désigné l’extrême gauche médiatique, politique et judiciaire comme responsable de cette immoralité.
Mon lecteur voudra bien trouver ci-après, pour son usage pratique et didactique, quelques exemples par ordre alphabétique.
Justice française
Dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national, le parquet requiert l’exécution provisoire des peines d’inéligibilité réclamées aux juges du premier degré. Un appel n’empêcherait donc pas de priver les électeurs de leur droit le plus sacré. Mieux encore, dans la même affaire, le procureur reconnaît que, s’agissant de l’un des prévenus, contre lequel il n’a aucune preuve, une relaxe lui ferait « trop mal ». Pour éviter des poursuites disciplinaires, je m’abstiendrai de commentaires.
Justice internationale
Le Premier ministre d’un pays pogromisé est visé, mais pas le dictateur Assad (bourreau de 600 000 morts). Il est vrai que le chef du Hamas est également poursuivi par la Cour pénale internationale… sauf qu’il est mort. D’ailleurs l’organisation terroriste est la première à se réjouir. Elle n’a pas tort. Son succès est grand de voir un petit État démocratique désigné à la vindicte mondiale ès qualités de bouc génocidaire pour avoir réagi militairement brutalement à la brutalité de brutes terroristes se cachant lâchement derrière des femmes et des enfants.
Liberté d’expression
La gauche fait depuis toujours commerce de ce terme sans modération. Il était même interdit d’interdire. Pourtant, 80 librairies « progressistes » viennent d’annoncer qu’elles ne vendraient plus de livres venant du groupe Bolloré. Torquemada vote LFI ou pour les prétendus représentants de la Sainte Écologie.
L’enfer sur terre n’arrivera pas à France Inter. Celle-ci se signe quand elle entend prononcer le vilain mot de pluralisme et se réjouit quand la chaîne C8 est brûlée sur le bûcher de l’Inquisition. Logiquement, elle tient les bilans du Hamas pour une source pure et les ONG proches de lui (MSF, Amnesty ou l’UNRWA de l’ONU) pour des témoins de moralité.
Trouble à l’ordre public
Le tribunal administratif de Paris vient d’annuler l’interdiction faite à une certaine Rima de participer à une réunion de Science-Po. Le juge n’y a pas vu un trouble suffisant à l’ordre public que la police ne pourrait empêcher. Un certain Éric et une certaine Marine n’ayant pas bénéficié de la même vision, un esprit chagrin pourrait y percevoir un strabisme à sens inique.
X (ex-Twitter)
La maison Musk, dans le sillage d’un ouragan nommé Donald, vient de faire l’objet d’un avis de tempête. Il paraît qu’elle serait un lieu de perdition pour cause de désinformation. Ce sont pourtant les grands médias gauchisants qui ont été le lieu du Grand Mensonge occultant. Leurs journalistes déni oui-oui ont nié avec effronterie la force irrésistible de l’immigration illégale et ses conséquences en matière de criminalité. Pour eux, le racisme antiblanc, l’antisémitisme musulman, l’islamo-gauchisme n’étaient que fantasmes obscènes de l’extrême droite fascisante. Il aura fallu les vilains gueux de la fâcheuse sphère des réseaux sociaux pour empêcher les autorités d’occultation de dissimuler le réel disgracieux. Curieusement, l’américain X subit un désir de mise à l’index majeur, tandis que le chinois TikTok, riche en sites islamistes extrémistes, est épargné du rouge courroux. Nul n’est révulsé par la haine de l’Occident chez ceux qui préfèrent le jaune au blanc.
Cette morale chromatique à sens inique est une morale pathologique.
Très attendu depuis Cannes où il était en compétition, voilà enfin en salles le dernier opus de l’intraitable transfuge russo-ukrainien en exil à Berlin Kirill Serebrennikov (cf. Leto, La Fièvre de Petrov, La femme de Tchaïkovski…). Ce long métrage de plus de deux heures aurait pu se contenter de reprendre le titre littéral du roman d’Emmanuel Carrère Limonov, paru chez P.O.L en 2011 dont il se veut l’adaptation.
Mais le film s’intitule Limonov, La ballade. Dans le dictionnaire, le mot ‘’ballade’’ (avec deux ll), appelle la définition suivante : 1, petit poème de forme régulière, composé de trois couplets ou plus, avec un refrain et un envoi (cf. La Ballade des pendus, de Villon) ; 2, poème de forme libre, d’un genre familier ou légendaire. De fait, Serebrennikov, autant metteur en scène d’opéra que réalisateur, nous emporte bien moins dans une biographie linéaire que dans un kaléidoscope rhapsodique sur grand écran. À l’amorce du film (dans un noir et blanc très sinistrose « années Brejnev »), on se prenait pourtant à redouter le pire : encore un biopic académique à la con ? Mais le seul nom de Serebrennikov restait de bon augure…
Dans l’entretien qui figure dans le dossier de presse, le cinéaste tient d’ailleurs à souligner que son film « n’est en aucun cas une biographie de Limonov ou un biopic, mais une adaptation cinématographique du livre de Carrère ». À l’acteur Ben Whishaw, il a confié le rôle-titre de cette évocation épique, haute en couleur, infusée d’une bande-son tonitruante signée Massimo Pupillo (dans laquelle résonnent les échos de Tom Waits, de Lou Reed ou du Velvet Underground).
La fresque urbaine vagabonde depuis les années 70 en URSS à la décennie 90 à Paris, du New-York crasseux des seventies au Berlin en ébullition des années 80, restituant ainsi, sous l’ombrelle de l’écrivain Carrère, la folie furieuse du personnage né à Kharkov Edouard Veniaminovich Savenko, alias Edouard Limonov (1943-2020) : tour à tour voyou, reître et milicien, clodo et majordome, hétéro et homo, raciste et négrophile, bourlingueur ivre d’amour et aventurier politique, chef de gang et garçon passablement fêlé, poète obscur et romancier prolixe, roublard et provocateur, orthodoxe et blasphématoire – personnage solitaire démesurément assoiffé de reconnaissance, clamant son génie incompris à la face aveugle du monde ! (Pour en avoir le cœur net vous pouvez toujours lire Le poète russe préfère les grands nègres, Journal d’un raté, Autoportrait d’un bandit dans son adolescence ou Mes prisons : tout Limonov est traduit en français).
Reste que dans cette ballade, il est beaucoup moins question de littérature que d’illustrer les improbables métamorphoses (au physique, Ben Whishaw y réussit très bien) de cette figure de rebelle qui avait fasciné Emmanuel Carrère au point d’en faire un livre. L’auteur de Un roman russe fait d’ailleurs une apparition dans le film, séquence narquoise où il campe l’Intellectuel face au Grand auteur. Dans une autre scène de plateau radiophonique où « Eddie » Limonov /Ben Whishaw est confronté à une journaliste idiote (Sandrine Bonnaire) et un intello bon teint (Louis-Do de Lencquesaing), l’interview tourne au pugilat, occasion pour Serebrennikov de railler sans ménagement l’intelligentsia hexagonale.
Œuvre de longue haleine (la pandémie a eu raison du tournage, qui a dû s’interrompre de longs mois, pour reprendre l’été 2022… en Lettonie !), Limonov, La Ballade, film produit en Italie d’après un roman français, tourné par un Russe et joué par un comédien britannique flanqué d’un casting international, se ressent de ce cosmopolitisme. Avouons que le parti pris qui consiste à faire dire à « Eddie » ses répliques en anglais avec un fond d’accent slave, rappelle le ridicule gentillet propre aux vieux films de guerre américains non doublés, où les « nazis » campés par des acteurs américains parlaient dans leur propre langue, mais en mimant la rigidité supposée de l’idiome teuton en uniforme, façon « nouz-afon-les-moyans-te-fu-fairr-pârrhler ». Un peu daté, non ?
L’incontestable génie de Kirill Serebrennikov se déploie de façon plus constante dans le domaine lyrique. On se souvient de l’admirable Parsifal de Wagner donné à Vienne en 2021, puis de sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, Lohengrin, l’an passé en septembre-octobre. Les amateurs ont la chance de voir, en accès libre sur Arte.tv jusqu’à la presque fin décembre, sa régie décapante du Don Carlo de Verdi, dirigée par Philippe Jordan, spectacle donné cette année même au Staatoper de Vienne.
Limonov La ballade. Film de Kirill Serebrennikov. Avec Ben Whishaw, Sandrine Bonnaire, Céline Sallette, Louis-Do de Lenquestang… Durée : 2h18. En salles.
A voir sur Arte TV : opéra Don Carlo, de Verdi. Mise en scène : Kirill Serebrennikov. Direction : Philippe Jordan. Staatoper Wien (Opéra de Vienne). Visionnage en accès libre jusqu’au 28 décembre 2024.
Des combattants rebelles syriens fêtent la prise par leurs forces de la ville de Hama, Hama en Syrie, le 6 décembre 2024. Omar Albam/AP/SIPA
Avec Céline Pina, Gil Mihaely et Jeremy Stubbs.
Mercredi soir, Emmanuel Macron a tenté de lancer un appel à l’union nationale. Un appel de ce genre peut marcher quand les institutions de l’Etat sont menacées par une crise très sévère, comme une guerre ou des troubles civils. Dans ces situations, les options sont réduites, ce qui permet aux différents acteurs de se mettre d’accord sur le chemin à suivre. Or, tel n’est pas du tout le cas. La crise actuelle n’est pas celle des institutions mais celle de la médiocrité des décisions politiques prises depuis le printemps. Pour Céline Pina, Emmanuel Macron n’a qu’à se demander ce qu’aurait face à sa place le fondateur de la Ve République, le Général de Gaulle – et à imiter son exemple!
En Syrie, les rebelles gagnent du terrain face à l’armée de Bachar el-Assad. Mais qui sont ces rebelles ? Gil Mihaely nous explique les tenants et aboutissants de la coalition créée par le leader djihadiste, Abou Mohammed al-Joulani. Certes, il a les convictions d’un islamiste, mais il est d’abord et surtout un nationaliste, de la même façon que Hô Chi Minh était peut-être marxiste mais son action visait par-dessus tout à libérer son pays de toute influence étrangère. Il se peut que, comme le leader vietnamien, al-Joulani mette l’intérêt national avant l’idéologie.
Les autorités regrettent amèrement d’avoir tenté de rallier ce mouvement violent au projet d’accord entre l’État et les distributeurs pour faire baisser les prix.
Nous écrivions en octobre dernier que la situation en Martinique était préoccupante pour les habitants de l’île et l’activité économique. Malheureusement, rien ne s’est arrangé depuis lors. L’accord, historique, trouvé entre l’État et les distributeurs pour baisser de 20% les prix de l’alimentaire en moyenne sur l’île n’a pas été approuvé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens mené par Rodrigue Petitot dit « Le R ». Son application est désormais suspendue par la censure – votée par une majorité de députés ultramarins – du gouvernement Barnier et le départ de François-Noël Buffet, ministre démissionnaire des outre-mers. Pendant ce temps, le bilan matériel des protestations ne cesse de s’alourdir, menaçant la survie de nombreuses entreprises et terrifiant les acteurs du secteur du tourisme qui craignent un rejet de l’île par les visiteurs venus de métropole. État des lieux.
Le RPPRAC va toujours plus loin
Le 11 novembre, Rodrigue Petitot s’est introduit au domicile du préfet de Martinique. Un geste d’une telle soudaineté et d’une telle violence qu’il a pu faire craindre le pire. Dès le lendemain, Monsieur Petitot était logiquement placé en garde-à-vue ce qui a provoqué le courroux de ses partisans littéralement fanatisés. Ces derniers ont ainsi pris d’assaut le commissariat de Fort-de-France, tirant au mortier et même à l’arme à feu sur les forces de l’ordre, selon l’AFP… C’est dire si ce mouvement, souvent complaisamment présenté dans les médias, semble ne plus vouloir faire machine arrière. Violent, le RPPRAC l’est au moins dans ses déclarations publiques. Sa radicalité fait d’ailleurs craindre le pire dans une île au bord du précipice économique.
Est-ce que la mise en détention provisoire de Monsieur Petitot le 5 décembre sera suffisante pour offrir un répit aux Martiniquais pris en otages ? S’il faut l’espérer, les premières déclarations des proches de Monsieur Petitot inquiètent. Son avocat Georges-Emmanuel Germany a ainsi dénoncé à l’issue de l’audience de jeudi 5 que la décision de l’enfermement pouvait avoir été « commandée par des motifs politiques ». Des propos de nature à exciter encore un peu plus les émeutiers… Maître Germany a-t-il omis de noter que son client a aussi été reconnu coupable lundi 2 décembre pour des faits « d’intimidations à l’encontre des maires de Martinique » et condamné pour cela à dix mois de prison ferme aménageables ? Une énième condamnation à ajouter à la collection de Monsieur Petitot, connu auparavant pour sa participation à diverses affaires de droit commun (dont une pour trafic de drogue).
Les dockers du port de Fort-de-France ont décidé de suspendre toutes les réceptions de conteneurs, en témoignage de solidarité à Monsieur Petitot… Notons que 36 kilogrammes de cocaïne ont été saisis entre 2017 et 2020 dans le cadre d’un trafic de drogue entre les Antilles et la métropole.
Un bilan matériel de plus en plus lourd
Depuis le 1er septembre, 298 véhicules, 33 bâtiments privés et six bâtiments publics ont été incendiés et 174 locaux commerciaux ont été cambriolés, selon la préfecture. Il faut ajouter à cela les 1200 demandes de chômage technique déposées selon la Direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS), ainsi que les 134 plaintes déposées pour violence rapportées par la procureure de la République… Cité par France TV Info, l’entrepreneur Emmanuel de Reynal se désole de la situation, plaidant pour « que changent les relations entre les communautés martiniquaises qui doivent enfin s’appuyer résolument sur ce qui les rassemble plutôt que sur ce qui les divise ». Sa voix est intéressante, car elle fustige le poison du racisme et du populisme propagé par les mouvements radicaux tout en appelant l’État à prendre conscience des difficultés sociales ultramarines, plaidant pour qu’enfin la métropole daigne se pencher sérieusement sur le problème.
Il n’est d’ailleurs pas inexact d’affirmer que ce qui se passe sur l’île n’intéresse que trop peu la sphère médiatique française. Les actualités nationales et internationales sont certes chargées, mais il est désolant que la Martinique ne semble intéresser que les célébrités qui en sont originaires, à l’image de Teddy Riner ou de Thierry Henry qui se sont exprimés. C’est aussi notre affaire. La France a le privilège d’être présente sur tous les fuseaux horaires grâce à ses territoires extra-métropolitains, mais ce privilège s’accompagne de devoirs et de responsabilités.
Dans une tribune très engagée, Jean-Marie Nol s’inquiète notamment de la faiblesse de l’État face aux mouvements violents : « Les autorités, en intégrant le RPPRAC dans les négociations, ont involontairement renforcé la position de ce mouvement populiste. Leur incapacité à anticiper le refus du RPPRAC de signer l’accord avec les acteurs économiques a amplifié les tensions, conduisant à des émeutes et à des actes de pillage. La Collectivité Territoriale a également aggravé la situation en demandant le retrait des renforts de sécurité, affaiblissant les dispositifs d’ordre public et encourageant l’impunité. Ce serait cette gestion erronée qui aurait transformé Petitot en martyr aux yeux de certains, accentuant la défiance envers les institutions. Alors que la crise révèle des problèmes structurels : une dépendance économique envers l’Hexagone, une fiscalité élevée et un coût de la vie supérieur à celui de la métropole. Les solutions proposées, limitées à des mesures temporaires, ne résolvent pas les causes profondes de la précarité et de l’inflation. »
À Paris et à Fort-de-France, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Beaucoup ont vu dans l’incendie de Notre-Dame de Paris un suicide civilisationnel. La batiment emblématique ressurgit enfin de ses cendres. Mystère sacré ? Prouesse nationale ? Le président Macron aurait bien aimé y faire son show, mais même lui sait qu’ici foi et humilité sont les vraies vedettes…
Cathédrale ou musée? Les deux, serait-on tenté de répondre. Ou du moins, patrimoine. Avant tout, patrimoine – historique, culturel, architectural, artistique…. Pensez donc, les crèches de santons font polémique chaque année, d’aucuns trouvent les calendriers de l’Avent indésirables, on ose de moins en moins souhaiter « joyeux Noël » et dans certaines villes même l’insipide « bonnes fêtes » est remplacé par « bon hiver », alors dire qu’une cathédrale est avant tout chrétienne, lieu de culte et espace sacré, on frôle le blasphème !
Une réouverture sous haute sécurité
Assurément, Notre-Dame de Paris est plus que sa fonction religieuse. Mais peut-être ne l’est-elle, justement, parce que sa fonction religieuse est de pointer vers plus qu’elle-même, et que l’un ne va pas sans l’autre…
On peut sincèrement se réjouir, sans aucune arrière-pensée, de voir Notre-Dame restaurée. D’autres ont pointé, non sans raison, le revers de la médaille de cette célérité. Qu’on me permette malgré tout de trouver que ce fut une bonne chose : les délais contraints ont coupé court à l’idée délirante d’un « geste architectural » qui aurait défiguré l’édifice. Cela en valait donc la peine.
Je l’avoue, de toutes les cathédrales de France, ce n’est pas, à la base, celle qui me parle le plus. Que voulez-vous, j’aime la province. Mais le feu, la cendre, l’émotion largement partagée (mais pas par tous : feindre de croire à l’unanimité serait hypocrite, donc irrespectueux, et si la réouverture nécessite un dispositif de sécurité hors du commun, c’est bien parce qu’il y a une menace), vaste et sincère émotion néanmoins, même au-delà de nos frontières, la générosité des dons, l’engagement et le talent des artisans du présent prolongeant la longue chaîne de leurs devanciers dans le respect de leur art, font de Notre-Dame de Paris aujourd’hui plus encore que ce qu’elle était hier. Ceux-là même qui s’acharnent à démanteler la France se sentent obligés de lui rendre hommage : hommage du vice à la vertu, certes, mais qui reconnaît donc la vertu pour ce qu’elle est. Petits miracles venant couronner cet accomplissement, on n’y chantera finalement pas « Imagine there’s no heaven (….) and no religion », et l’enfant-roi qui préside à la République n’aura pas eu gain de cause pour son caprice théâtral. Bien sûr, il s’est mis en scène dans la cathédrale quelques jours plus tôt, mais pour la réouverture au moins il doit se résoudre à ne pas transformer intégralement Notre-Dame en faire-valoir, et à ne pas discourir dans un lieu conçu pour affirmer qu’il est des mystères devant lesquels même les rois s’agenouillent en silence.
Imprégnation
C’est bien là l’essentiel. Sans ces mystères (ces Mystères) la restauration serait vaine. Non qu’il faille nécessairement y croire pour être pleinement chez soi dans ce lieu sacré, loin de là. Mais, à tout le moins, croire en ceux qui y ont cru, et ont sculpté de leurs mains cette vaste prière de pierre, de vitrail, de pénombre et de clarté. Les respecter assez pour respecter le sens qu’ils ont donné à leur œuvre. Nous le savons d’expérience, nombre d’incroyants savent se laisser toucher par ce don qui traverse les siècles – alors qu’il est des croyants qui jugent bon de dédaigner, au nom de Dieu, les réalisations que la foi permet aux hommes. Allez comprendre…
Ce serait passer totalement à côté de ce qu’est Notre-Dame que de ne célébrer sa restauration que comme un triomphe du génie national, ou pire encore républicain, ou un tour de force, ou un vague « succès collectif ». Comme le sanctuaire de Delphes ou celui d’Ise, comme les chemins de ronde des anciens châteaux où des générations ont monté la garde dans le froid des nuits d’hiver, la cathédrale est un lieu que l’on ne comprend que lorsqu’on accepte d’y entrer en pèlerin et non en touriste. Y compris quand on est président de la République… ou Pape ! Ce sont des lieux où nul ne doit pontifier, mais tendre l’oreille humblement. « Souviens-toi que tu es mortel » disaient les Romains aux triomphateurs. Henri d’Anselme parle d’« œuvre de civilisation »[1] : oui, c’est un calice – ou un creuset – dans lequel se rassemblent et s’incarnent toutes les dimensions de ce qui fait qu’une civilisation est civilisée. L’évocation, au-delà de toute description, de la rencontre entre l’élan vers la noblesse qui jaillit du plus profond de l’Homme, et l’appel à cette noblesse qui retentit pour l’Homme et lui vient d’au-delà de lui-même.
La France peut être fière de ses cathédrales, et fière d’avoir restauré – malgré tous les maux qui nous rongent – celle qui est devenue la plus emblématique de toutes. À condition que cette fierté ne soit pas un satisfecit prétentieux, mais la redécouverte de ce que nous nous devons d’être. L’espérance, c’est-à-dire la conviction que ce devoir de dignité et de transmission a un sens. Et un hommage rendu au Mystère, à ce qui inspire la soif de grandeur, la capacité d’admirer, le besoin de créer des merveilles et d’en accomplir.
Ne reste plus, alors, qu’à contempler, se laisser imprégner de l’esprit du lieu, et s’incliner avec gratitude.
Alain Herriau sort son premier disque, avec deux reprises de Charles Aznavour. Découverte.
Je ne le connaissais pas, du moins je le croyais. J’ai écouté son album Je reviendrai, et sa voix de baryton m’a transporté hors les murs de la maison, loin de la ville grise, vers un horizon de larmes et de sourires. Alain Herriau est originaire d’un petit village de la Mayenne. C’est un frondeur qui tient tête à son père médecin. Pas question de faire médecine comme lui. Il sera chanteur ! Il intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il obtient son prix de chant. Démarre pour lui une carrière de chanteur lyrique. Mais il décide d’arrêter l’opéra pour préparer l’album Je reviendrai, avec la complicité de Sabrina Le Cravier et Xavier Durot ; album de 12 chansons de facture classique, entraînantes, mélancoliques, intemporelles, dans la lignée de celles de Brel, Ferrat, Guidoni, et Aznavour – il y a deux reprises du « grand » Charles. Les textes, dont les mots racontent des tranches de vie, à la manière de Delpech, sont servis par des musiques variées, où l’accordéon, le piano, les violons ouvrent les portes de notre mémoire. Les souvenirs affluent comme les alluvions les jours de forte marée. Ça souffle, ça électrice, ça fait du bien, même si parfois, ça nous rappelle de douloureux moments. Alain Herriau, le pudique et l’intranquille, n’hésite pas à nous parler de son parcours chaotique dans la très autobiographique chanson « Je n’suis pas mort » qui ouvre l’album :
« …et je les salue, Ceux qui m’auront cru Je les compte sur quelques doigts Ils n’m’auront pas trahi Je leur dis ‘’merci’’ C’est pour eux aussi que je suis là… »
Dans le studio d’enregistrement, du haut de ses 1m88, il pointe du doigt une lune imaginaire, tel un personnage de Shakespeare réchappé de l’Achéron. On aime aussi « À Paris », capitale où l’on ne s’arrête plus que pour y travailler, même si ses taxis peuvent réserver de belles surprises ; on a le cœur qui se sert en écoutant « Comme un dimanche » : les amours délaissées ressurgissent sans crier gare. Il faut faire le tri, vite, vite. Et puis, il y a le « prince charmant », venu de Suède à l’âge de 20 ans, avec ses cheveux soyeux, prince du trottoir, de la nuit, du froid, pour les galants, les « sales gueules », les taulards, les vieillards, les jeunes filles, toujours pour le fric. Le violon, comme le violon d’Ivry Gitlis des « Étrangers », chanson interprétée par Léo Ferré, vous bouleverse.
Les mélodies s’installent, les paroles restent, ça nous entraîne dans les replis de la mémoire, ça fait tourner la tête grâce à l’accordéon de la chanson « Le manège », celui de notre enfance, avec auprès de soi, la silhouette de notre mère. L’album s’achève sur « Je reviendrai ». C’est ce qu’on espère, qu’il revienne Alain Herriau. En attendant, c’est Noël, le temps des cadeaux. Son album en est un !
L’album Je reviendrai est en ligne sur toutes les plateformes de streaming, téléchargeable également sur iTunes ou Amazon music.
Et si vous désirez acheter le cd ou le vinyle, écrivez à l’adresse suivante : alainherriau2@gmail.com (cd :12 euros ; vinyle 20 euros + frais d’envoi) • PL.
Le wokisme, selon Libération ou France inter, c’est un peu comme un coloc trop engagé qui vous reproche de respirer parce que « ça prend de l’air aux autres ». D’un côté, Luc Le Vaillant crie au scandale liberticide, de l’autre, Clémence Mary lui rétorque qu’il est juste coincé dans le siècle dernier. Pendant ce temps, dans les écoles, d’affreux réactionnaires s’offusquent qu’on apprenne aux élèves à débattre de leurs pronoms avant même de savoir conjuguer un verbe.
Pour une surprise, c’est une surprise. Le 19 novembre, paraissait dans les colonnes de Libération un article de Luc Le Vaillant intitulé “Lettre au wokisme qui existe bel et bien”. S’adressant directement à ce « cher wokisme », l’auteur écrivait : « Tu prétendséveiller les consciences aux discriminations diverses et aux stigmatisations endémiques. Selon toi, celles-ci prospèrent en une viralité apocalyptique, quand je continue à penser que nos contrées n’ont jamais été aussi civilisées »[1]. Et de dénoncer certains de ses effets concrets et délétères: l’invention des « sensitivity readers » dans les maisons d’édition et des « coordinateurs d’intimité » dans le cinéma ; la surveillance liberticide dans les milieux médiatiques, artistiques et universitaires ; la censure d’anciens artistes au nom d’une nouvelle morale inquisitoriale ; ainsi qu’un compagnonnage « parfois exagérément inclusif avec les barbus les plus fondamentalistes ». « Cher wokisme, je ne serai jamais ton meilleur pote », écrivait alors Luc Le Vaillant en s’étonnant que ses serviteurs les plus zélés prétendent qu’il n’existe pas. Bien sûr, assurait-il, certaines luttes progressistes sont légitimes et verser dans un anti-wokisme primaire ferait le jeu de qui vous savez. Toutefois, concluait-il, il serait souhaitable que le wokisme « évite de reproduire à sa manière les aberrations de Saint-Just ». Il paraît qu’à la lecture de ce papier, Thomas Legrand, chroniqueur politique de Libé, est tombé de sa chaise.
Clémence Mary se perd quai de Conti
Trois jours plus tard, la journaliste de Libération Clémence Mary rectifie le tir et présente le wokisme sous un tout autre jour[2], celui qui plaît tant à Thomas Legrand et nimbe cette idéologie de couleurs radieuses. Mme Mary signale avec amertume que, si l’Académie française a fait entrer les mots « woke » et « wokisme » dans son dernier Dictionnaire récemment paru, le mot « féminicide » n’y figure toujours pas. Elle ignore visiblement le fonctionnement de la mise à jour des définitions, apparitions ou retraits des mots dans ledit Dictionnaire : le premier tome de cette 9e édition a été publié en… 1992, et concernait les mots de A à E. Les mots commençant par la lettre F ont été étudiés dans le tome 2, élaboré entre 2000 et 2011, à un moment où le mot « féminicide » restait d’un usage extrêmement confidentiel en France. Le quatrième et dernier tome (de R à Z), commencé en 2012, vient de paraître et inclut, en plus de « wokisme », des mots comme… « télétravail » ou « vegan ». « La 9e édition du Dictionnaire propose plus de 53 000 entrées, dont 21 000 entrées nouvelles par rapport à la 8e édition, ce qui représente un quasi doublement du volume de son contenu », est-il précisé sur le site de l’Académie française.
Plutôt que de se renseigner sur l’élaboration du Dictionnaire de l’Académie française, la journaliste de Libé préfère nous donner un cours dérisoire sur « l’apport universitaire (sic) des gender studies et des études post-coloniales » puis sur la disqualification de ces « études » qui ne peut venir, selon elle, que de l’extrême droite. Mme Mary n’a apparemment pas connaissance de l’existence d’intellectuels classés plutôt à gauche et ne goûtant guère ces « études » idéologiques et militantes à mille lieues de la véritable recherche universitaire – à moins que, suivant un processus mental très en vogue dans les milieux dits progressistes, elle ait décidé que toute personne critiquant ces bidules-studies est fasciste, raciste, réac, homophobe, transphobe, bidulophobe, bref… d’extrême droite. Pour conforter son point de vue, elle se tourne vers une pointure de Paris VIII, un agrégé d’anglais auto-proclamé sociologue, soi-disant « spécialiste des études de genre », représentant officiel en France de la firme Judith Butler, j’ai nommé Éric Fassin. Le propos, simplissime, pastiche celui de la journaliste de Libé : « Actuellement, le danger vient de l’extrême droite, pas du supposé wokisme. Rendre les revendications minoritaires responsables de la haine des minorités est une victoire idéologique du trumpisme et de l’extrême droite. » M. Fassin vient d’écrire un essai dans lequel il a jeté toutes ses modestes forces intellectuelles pour dénoncer ce qu’il appelle la Misère de l’anti-intellectualisme : Du procès en wokisme à celui en antisémitisme. Ce militant « intersectionnel » aimerait bien passer pour un intellectuel universitaire de haut vol – malheureusement, ses rares et faméliques écrits, ses besogneux travaux sur le genre (resucée indigeste de la soupe butlérienne indigente) et ses discours répétitifs et insignifiants sur les sempiternels sujets « sociétaux » ne jouent pas en sa faveur. « Le militantisme académique attire en priorité les plus médiocres (qui sont souvent aussi des apparatchiks, à la production plus que mince), ne connaissant guère que le morne confort de la langue de bois mais pas la joie pure de la découverte », rappelle justement la sociologue Nathalie Heinich[3]. Dans unentretien donné à l’inénarrable Pascal Boniface, le fascinant Fassin ose affirmer: « Au nom de la lutte contre le wokisme et l’antisémitisme, la droite radicalisée s’en prend à la liberté d’expression et de manifestation. On exclut du débat public les figures qui tiennent un discours dissonant, dès lors qu’il vient de la gauche ; en revanche, la radicalité droitière a antenne ouverte dans les médias. On a voulu nous faire croire que la culture de l’annulation, c’était la gauche ; or c’est la droite. Et que la censure, ce seraient les minorités ; pourtant, ce sont elles que l’on interdit de parole »[4]. Cette phrase hallucinante, de bout en bout mensongère, inverse tout simplement la réalité.
Patrick Cohen tombe dans les pièges sémantiques du wokisme
2 décembre 2024. Théorie du genre, encore. C’était prévisible : le journaliste Patrick Cohen n’a pas suivi mon conseil – se documenter sur le wokisme avant que d’en parler (voir mon article du 15 novembre) – et s’est par conséquent livré, sur France Inter, à un nouvel exercice de dénonciation systématique de « l’extrême droite » pour dissimuler son ignorance. Le motif de ce courroux facilité par une profonde méconnaissance du sujet abordé ? La détermination du ministre délégué à l’Éducation nationale, Alexandre Portier, qui a déclaré vouloir revoir entièrement le projet, « inacceptableen l’état », de programme d’éducation sexuelle à l’école. Parmi ses critiques : la manière d’aborder le sujet, en particulier chez les enfants dès la maternelle ; les ruses sémantiques pour laisser pénétrer dans l’école une théorie du genre qui, d’après Patrick Cohen & Co, n’existe pas, mais dont les termes et les notions apparaissent pourtant à de nombreuses reprises dans le projet en question ; les « ressources pédagogiques » étrangement orientées de l’Éducation nationale et d’associations militantes, dont le Planning familial et les associations LGBT les plus furieusement activistes – OUTrans, par exemple, s’était fait remarquer à l’École alsacienne en traitant de « transphobe »tout élève refusant de croire qu’un homme peut être «enceint » et en encourageant fortement chaque collégien à faire sa « transition », c’est-à-dire à « façonner son corps et son identité comme iel l’entend, c’est-à-dire avec ou sans modifications corporelles », expliquait-on sur le site de l’association.
Furieux, l’éditorialiste france-intérien s’époumone : « Il s’est trouvé un ministre délégué pour promettre de faire barrage à la “théorie du genre”, épouvantail des réactionnaires, qui n’a pas plus de réalité qu’il y a 10 ans. » La théorie du genre n’existe pas ; pourtant M. Cohen se réjouit de ce que « la question du genre » sera abordée à partir du collège. Le journaliste ne perçoit par ailleurs aucun problème dans le fait qu’en maternelle et en primaire « le programme [soit] centré sur la vie affective et relationnelle » en abordant une notion sur le consentement pour le moins problématique. « En matière de sexualité, l’enfant n’a pas à consentir, il n’y a que des interdits », est-il rappelé avec fermeté dans L’éducation sexuelle à l’école, l’excellent essai co-écrit et dirigé par Sophie Audugé[5]. Cette spécialiste des politiques éducatives souligne que « le cadre actuel de l’éducation à la sexualité dans nos écoles est une copie consciencieuse des standards de l’OMS », lesquels s’appuient sur des notions d’ « auto-détermination de genre », de « sexualité citoyenne » et d’« éco-sexo-citoyenneté » dans le but d’imposer un modèle normatif et d’opérer un contrôle total sur les individus tout en « déconstruisant » les structures familiales. Je conseille à M. Cohen de lire cet ouvrage. Il y trouvera de nombreux témoignages d’élèves, de parents ou de professeurs confrontés malgré eux à l’idéologie du genre. Dans le Loiret, apprendra-t-il entre autres, les parents d’un enfant de trois ans ont découvert que, dans sa classe de maternelle, « les lectures et les activités associées se rattachent toutes à des livres sur la théorie du genre, les stéréotypes fille/garçon et l’importance de les dépasser notamment pour les garçons en se travestissant ». Ils se tournent alors vers les enseignants pour leur demander les raisons de ce choix. « Ils nous ont seulement dit qu’ils étaient fiers (sic) d’avoir choisi ce genre de livres. » Ces parents attentifs retireront finalement leur enfant de cette école – mais nombreux sont ceux qui, peu au fait du militantisme woke qui gangrène certains établissements, continuent de faire aveuglément confiance à l’Éducation nationale. Ce en quoi ils ont tort – ce qu’un court rappel des faits leur prouvera.
Le genre et nos petites têtes blondes
La diffusion du genre à l’école a débuté en 2010. Luc Châtel, ministre à l’époque, mettait alors ses pas dans ceux de Richard Descoings qui avait introduit cet enseignement à Sciences Po l’année précédente. Dans son Enquête sur la théorie du genre[6], la polytechnicienne Esther Pivet alertait quelques années plus tard sur les contenus de certains livres scolaires. Deux exemples parmi cent : Hachette proposait, dans ses manuels Sciences de la vie et de la Terre, un chapitre intitulé « Le genre, une construction sociale », dans lequel il était affirmé que « la société construit en nous, à notre naissance, une idée des caractéristiques de notre sexe » (manuel SVT 1ère ES et L). Les éditions Magnard, elles, attiraient l’attention sur le fait que les comportements des parents avec leurs enfants « contribuent à forger peu à peu des identités qui, pour n’avoir rien de naturel, finissent par coller à la peau des garçons et des filles comme une seconde nature. » L’illustration accompagnant ce texte était le dessin d’un homme en jupe. Si ça, ce n’est pas de l’endoctrinement…
En 2013, Mme Vallaud-Belkacem lançait son programme ABCD de l’égalité, programme dans lequel se glissaient des références explicites à la théorie du genre – qui n’existait pourtant pas, selon elle. Ainsi pouvait-on lire sur le site de l’Education nationale que « le programme ABCD de l’égalité, qui s’adresse à l’ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, vise à déconstruire les stéréotypes de genre ». Dans sa lettre de mission à l’IGAS, Mme Vallaud-Belkacem précisait : « Le féminin et le masculin sont avant tout des constructions sociales. […] La cible des enfants de moins de trois ans se doit d’être au cœur des préoccupations des politiques publiques dans la mesure où les assignations à des identités sexuées se jouent très précocement. » Ce qui est au cœur des préoccupations publiques n’est donc pas d’apprendre la lecture et l’écriture à nos enfants, mais de leur désapprendre les fameux stéréotypes de genre dès la sortie du berceau. Si les ressources pédagogiques proposées aux enseignants pour mener à bien cette propagande woke feront tiquer quelques inspecteurs regrettant que « les fondamentaux de la psychologie de l’enfant soient peu mobilisés » et que « l’approche privilégiée est celle de la sociologie, ce qui est limité même si cette approche est essentielle », rien n’y fera et la folie déconstructiviste gagnera toutes les académies tandis que les futurs enseignants subiront lors de leur formation les conférences de représentants butlériens. Plus tard, Jean-Michel Blanquer pondra une circulaire demandant à la communauté éducative d’appliquer de nouvelles « mesures d’accompagnement pour les jeunes transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre ». Le ministre se dira très sensible à certaines recommandations du Rapport sur les « stéréotypes de genre » écrit par la Délégation des droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour l’Assemblée nationale, parmi lesquelles : « repenser l’aménagement des cours de récréation », « créer un label égalité pour les manuels scolaires et inciter les éditeurs à poursuivre leurs efforts dans la lutte contre les stéréotypes de genre », « prévoirun module de formation obligatoire de sensibilisation aux stéréotypes de genre » pour les enseignants, et, enfin, « faire de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire un enseignement obligatoire spécifique dispensé dès la maternelle »,et prévoir, dès la classe de 6ème, « l’intervention d’associations sensibilisant les jeunes aux droits des LGBTQIA + ». Le projet actuel de programme d’éducation à la sexualité n’est que l’aboutissement administratif d’une réalité qui a pris ses quartiers dans l’école depuis longtemps. Pourtant, Patrick Cohen continue d’affirmer que cette réalité n’existe pas.
Les idéologies wokes (du néo-féminisme à la théorie du genre en passant par l’antiracisme racialiste) et la propagande écologiste (sous la férule d’un GIEC idolâtré, responsable pourtant, en grande partie, de notre déchéance économique actuelle) existent. Elles ont fait leurs nids dans les écoles françaises. L’Éducation nationale n’instruit plus. Elle éduque et elle dresse. Elle n’apprend pas à nos enfants à penser – elle leur apprend ce qu’il faut penser. Participant au contrôle social, elle sait pouvoir s’appuyer sur des médias acquis aux dérives du pouvoir progressiste en place, en particulier la réduction au silence de médias indépendants remettant en cause la propagande woke, européiste, immigrationniste et écologiste, inculquée dès le plus jeune âge. L’Éducation nationale fabrique ainsi des crétins en masse. « L’École de la transmission des savoirs, l’École de la formation des citoyens est morte », écrivait Jean-Paul Brighelli en 2022[7], tout en espérant un sursaut.
La nomination de Jean-Michel Blanquer à la tête de l’Education nationale avait tiré une grimace à Mme Vallaud-Belkacem, ce qui était bon signe. Mais le ministre Blanquer, confronté aux apparatchiks de la rue de Grenelle et aux puissants syndicats de gauche, n’a ni su ni pu enrayer le déclin. Et ne parlons pas de ses successeurs, plus mauvais les uns que les autres.
Résultats ? Le Bac est, plus que jamais, une mascarade. L’illettrisme gagne du terrain tous les jours. Nos élèves sont nuls en mathématiques. Les nouveaux professeurs en savent parfois à peine plus que leurs élèves. À ce désolant constat, il faut ajouter le problème de l’immigration et, conjointement, celui de l’entrisme islamiste dans nos écoles, sujet que Jean-Paul Brighelli aborde avec clairvoyance dans son dernier livre[8]. Mais sans doute les journalistes de Libération et France inter considèrent-t-ils que cette alarmante réalité est, elle aussi, une vue de l’esprit ou, pour le dire à leur manière rabâchée, un délire des milieux réactionnaires, ultra-conservateurs, racistes et islamophobes…
Selon l’ONG Kizuna Child-Parent Reunion, 150 000 enfants sont enlevés chaque année par un parent au Japon, dans le cadre d’une séparation. Comment l’expliquer ?
Ce phénomène des enfants enlevés au Japon, qui concerne de nombreux pères français, a inspiré « Une part manquante », le nouveau film de Guillaume Senez mettant en scène Romain Duris, sorti le 13 novembre dernier.
« Ce qui pousse les enlèvements des enfants au Japon, c’est une règle qui dit que le premier qui part avec l’enfant obtient la garde et peut bloquer l’accès à l’autre jusqu’à la majorité » expliquait très bien Vincent Fichot, au micro de France Bleu, le 27 novembre. Son fils de trois ans et sa fille de 11 mois ont été enlevés par sa compagne japonaise en 2018. « C’est seulement le premier enlèvement qui compte. En revanche, si vous essayez de retrouver vos enfants et de les enlever à votre tour, là par contre vous serez arrêté pour tentative d’enlèvement. »Selon une enquête de 2021 demandée par le gouvernement japonais, un enfant de parents divorcés sur trois finit par perdre tout contact avec le parent non gardien.
Ces situations dramatiques découlent principalement de l’application de la législation nippone en matière de droit de la famille , qui ne reconnaissait, avant mai 2024, ni le partage de l’autorité parentale, ni la garde alternée. De plus, les juges appliquent le principe non écrit de « continuité », qui les conduit à attribuer systématiquement l’autorité parentale et la garde exclusive de l’enfant au parent ravisseur. Quant au droit de visite, il est toujours laissé à l’appréciation du juge aux affaires familiales, et son exercice dépend du bon vouloir du parent auquel a été attribuée l’autorité parentale.
Le 17 mai 2024, le Parlement japonais a adopté un Code civil modifié dont le principal pilier est l’introduction de l’autorité parentale conjointe sur les enfants en cas de divorce. Bien que les médias japonais aient rapporté que « en principe, l’autorité parentale est partagée », en réalité, contrairement à d’autres pays, la modification visait à permettre l’option de l’autorité parentale conjointe ou, selon les cas, le maintien de la garde exclusive. Pourquoi le Japon est-il si réticent à ouvrir la voie à l’autorité parentale partagée ? Cela s’explique moins par des raisons idéologiques que par la combinaison de trois groupes d’acteurs : les avocats, les tribunaux et certains partis politiques.
Concurrence exacerbée entre avocats
Il convient tout d’abord de relever que le nombre d’avocats japonais a augmenté rapidement ces dernières années. En 2001, le gouvernement japonais a adopté une loi sur la réforme du système judiciaire, qui visait, entre autres, à rendre le système juridique plus accessible à ceux qui en ont besoin. Garantir l’accessibilité nécessite naturellement une augmentation du nombre d’avocats, des juges et d’autres personnels juridiques. Dans ce contexte, selon les données de la Fédération japonaise des barreaux, Nichibenren, le nombre d’avocats est passé de 18 243 en 2001 à 45 826 en 2024. Par ailleurs, selon le Court Databook 2023 publié par la cour japonaise, le nombre de nouvelles affaires reçues par l’ensemble des tribunaux a diminué, passant de 5 632 117 en 2001 à 3 577 916 en 2024. Cela se traduit par un renversement complet de l’équilibre entre l’offre et la demande dans le domaine judiciaire. Il est raisonnable de penser que cette situation d’offre supérieure à la demande a porté un coup dur aux avocats. Résultat logique : une extrême concurrence entre avocats, pour obtenir une part réduite du gâteau… En vue de survivre dans la concurrence féroce qui règne au sein du barreau, certains avocats se sont donc tournés peu à peu vers le « business » de l’enlèvement d’enfants.
Avocats peu scrupuleux
Au Japon, où l’autorité parentale exclusive est encore maintenue, dans la majorité des cas de divorce d’un couple avec enfants, c’est la mère qui obtient l’autorité parentale des enfants. Cependant, dans certains cas, les maris obtiennent l’autorité parentale, mais il existe certaines femmes qui enlèvent alors leurs enfants sans le dire à leur mari, dans le but de s’assurer que celui-ci n’obtiendra jamais l’autorité parentale.
De tels enlèvements peuvent bien sûr également tomber sous le coup de l’infraction d’enlèvement d’un mineur telle que définie par le Code pénal du Japon. Mais, le principe de continuité s’applique également lorsque l’enfant d’un couple séparé vit avec l’un de ses parents pendant un certain temps et mène une vie stable, le maintien de ce statu quo étant dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, il est plus probable que le parent qui a emmené l’enfant obtienne l’autorité parentale de ce dernier. Cependant, l’accomplissement seul de ces actes dangereux comporte forcément des risques, qui peuvent être contraires au Code pénal. C’est là qu’interviennent des avocats peu scrupuleux dans le but de profiter du parent qui a enlevé ses enfants en vue de gagner l’autorité parentale et de se faire rémunérer pour leurs services.
Par exemple, une avocate japonaise écrit sur son X (Twitter) : « Vous pouvez vous séparer avec vos enfants. Votre mari peut dire qu’il s’agit d’un enlèvement, mais je vous défendrai en tant qu’avocate. Il y a des avocats similaires dans différentes parties du Japon. N’hésitez pas à nous contacter ». De telles déclarations d’avocats peuvent être trouvées non seulement sur X et sur des sites web, mais aussi lors d’événements de consultation sur le divorce organisés ici et là dans le pays. Certains de ces avocats conseillent carrément aux femmes d’inventer des histoires sur des violences domestiques qu’elles subiraient de la part de leur mari.
Sous-effectif dans les tribunaux, doublement des affaires familiales en 20 ans
Cette épineuse question de l’enlèvement d’enfants relève aussi naturellement des problèmes des tribunaux de la famille au Japon, lesquels traitent ces questions familiales telles que l’autorité parentale des enfants. Il a été expliqué précédemment que le nombre de nouvelles affaires reçues par l’ensemble des juridictions est en baisse, ce qui est principalement dû à une diminution du nombre d’affaires civiles et administratives, pénales ou concernant les mineurs. Par exemple, selon le Court Databook 2023, le nombre d’affaires civiles et administratives traitées par l’ensemble des juridictions est passé de 3 098 011 en 2001 à 1 477 567 en 2023. En revanche, la même base de données indique que le nombre d’affaires familiales traitées par l’ensemble des tribunaux a doublé, passant de 596 478 en 2001 à 1 182 687 en 2023.
Cependant, l’augmentation du nombre de juges n’a pas suivi le rythme de celle des affaires domestiques. Selon les données de Nichibenren, en 2001, il y avait 2243 juges, mais malgré la mise en œuvre de la réforme judiciaire, ce nombre n’est passé qu’à 2770 en 2023. Dans ces conditions, il est tout à fait logique que la charge qui pèse sur les juges aux affaires familiales soit un peu lourde. Les juges aux affaires familiales ne sont en outre pas les seuls à être de plus en plus sollicités. Il y a également une pénurie d’enquêteurs familiaux, lequels travaillent avec les juges sur les affaires domestiques. Leurs tâches principales consistent à évaluer l’environnement familial lors d’une procédure de divorce, ainsi qu’à vérifier les souhaits de l’enfant et à faire un rapport au juge. Les enquêteurs familiaux sont des fonctionnaires du tribunal, dont le nombre est déterminé par la loi. Ils sont en même temps des fonctionnaires nationaux, et il n’a donc pas été facile pour les parlementaires d’apprécier le nombre nécessaire de ces agents localement sur la période que nous évoquons.
En raison de cette situation, le ministère japonais de la Justice, bien conscient de la situation désastreuse des tribunaux de la famille, a été très réticent à établir ce principe de l’autorité parentale conjointe, ignorant les sentiments des parents et des enfants. Mais ce sous-effectif des juges aux affaires familiales et des enquêteurs, conjugué à l’augmentation du nombre d’affaires familiales, n’est pas le seul obstacle à l’instauration de l’autorité parentale partagée par défaut. En arrière-plan de cette question, on constate également une collaboration étroite entre les tribunaux, les cabinets d’avocats et les organisations apparentées. Par exemple, il a été constaté que des juges ayant pris des décisions en faveur du maintien de l’autorité parentale exclusive sont devenus, après avoir quitté leurs fonctions… avocats dans des cabinets d’avocats qui tentent également de l’obtenir !
De surcroît, non seulement des juges, mais aussi des enquêteurs familiaux, travaillent, après leur retraite, dans des organisations s’occupant des visites entre les parents et les enfants qui ne peuvent pas se voir. Les parents dont les enfants ont été emmenés sont souvent obligés de passer par ce type d’organisation afin de voir leurs enfants grandir. Lorsque les parents rencontrent leurs enfants avec le personnel de ces organisations en tant que chaperons, le coût est d’environ 20 000 yens (environ 125 €) ; mais de telles visites ne sont autorisées que pour une durée maximale de trois heures, une fois par mois. Si le Japon mettait en place un système d’autorité parentale conjointe, comme la France, tous ces intermédiaires perdraient toute leur valeur. Cela signifierait aussi que les juges et les enquêteurs familiaux auraient moins de possibilités de trouver un nouvel emploi après leur départ à la retraite.
Les politiques peinent à prendre position
Outre les problèmes des avocats et des tribunaux mentionnés ci-dessus, il ne faut pas oublier que certains partis politiques s’opposent à la création de l’autorité parentale conjointe. Parmi les partis qui s’y opposent, il convient de mentionner le Parti démocrate constitutionnel du Japon (libéral, opposition), dont le nombre de sièges a considérablement augmenté lors des élections législatives qui se sont tenues le 27 octobre. Yukio Edano, l’actuel conseiller principal du parti et député à la Chambre des représentants (l’équivalent de l’Assemblée nationale française) avait exprimé son soutien à l’autorité parentale conjointe en 2008 de la manière suivante : « Dans de nombreux pays développés, l’autorité parentale partagée après un divorce est considérée comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et la séparation d’un enfant de ses parents est considérée comme une maltraitance, à moins qu’il n’y ait des raisons particulières ». Pour finalement se rétracter, suite à l’opposition de certains activistes.
L’approche du Parti démocrate constitutionnel en la matière, même si elle ne modifie pas son insistance sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », met en avant le danger de mélanger les cas de violence domestique, d’abus et de conflits graves entre parents. En outre, ce parti libéral continue de préconiser qu’elle ne soit pas accordée en l’absence d’accord entre les deux parents, et insiste sur le fait qu’elle n’est pas un principe. Ce premier parti d’opposition compte également quelques avocats et anciens conseillers municipaux qui s’opposent à l’autorité parentale conjointe. Bien évidemment, le parti n’est pas le seul à s’opposer à sa mise en place, certains membres du parti libéral-démocrate (actuellement au pouvoir) et du parti communiste s’y opposant également.
Priorité à l’intérêt de l’enfant!
Les victimes d’enlèvements d’enfants ne sont pas seulement des Français, mais aussi nombre d’étrangers et évidemment de Japonais. En réponse à cette modification du Code civil, certaines personnes qui espéraient la mise en place de l’autorité parentale partagée, comme dans des pays tels que la France, ont exprimé leur déception. Par exemple, un résident français a fait le commentaire suivant : « Alors qu’on parle de rendre la garde alternée automatique en France, le débat japonais est étonnant ». Un autre résident français au Japon a estimé de son côté que « c’était déjà mieux que rien ».
Il importe enfin d’éviter à tout prix que l’enjeu de l’enlèvement d’enfants ne vienne compromettre les relations d’amitié et de coopération franco-japonaises, qui sont d’une grande importance. Il convient également de souligner pour terminer que tous les hommes politiques, partis, avocats et citoyens japonais ne sont pas opposés à la garde partagée. Par exemple, de nombreux partis et élus politiques, comme le Parti conservateur du Japon, qui est devenu un parti politique national lors de la dernière élection législative, préconisent l’introduction d’un système d’autorité parentale partagée.
Il est clair que l’autorité parentale conjointe par défaut conduirait au bien-être de nombreux parents et enfants, sans distinction de nationalité, au détriment de quelques lobbies qui perdraient certains de leurs intérêts. Il ne faut jamais oublier non plus que les sentiments des enfants pour leurs parents et des parents pour leurs enfants sont sans frontières. Le gouvernement japonais devrait prendre au sérieux les voix des enfants et des victimes d’enlèvements et agir rapidement.
Notre démocratie représentative est en crise. Le rabaissement de la fonction présidentielle, déjà banalisée par le quinquennat, et le réveil du multipartisme anarchique, semblent désormais caractériser notre Vème République – un régime politique jusqu’alors stable et accepté par plus de 82% des Français en 1958. Comment s’en sortir ? Analysons…
C’est à craindre : le régime parlementaire qu’incarnait la Ve République est en passe de dégénérer en régime d’assemblée.
La séquence ouverte par la Loi de financement de la Sécurité sociale montre que le RN est devenu un acteur décisif du jeu parlementaire. A moyen terme, il conviendra de trancher le nœud gordien par un choc de légitimité qui exige le recours au référendum et invite – pourquoi pas – à expérimenter le scrutin uninominal à un tour plutôt que de placer quelque espoir dans le scrutin proportionnel.
L’adoption du quinquennat en 2000 a précipité le régime sur sa pente actuelle. Pourquoi ? Dans les régimes parlementaires, le pouvoir exécutif est bicéphale mais non dyarchique. Le président ne peut donc, sans créer de confusion, être un « super Premier ministre » au risque de reléguer ce dernier au rang des collaborateurs. Le président devient alors le chef de la majorité et n’est plus le garant de l’unité nationale et de la continuité de l’Etat, qui donne les « impulsions fondamentales » et les « directions essentielles » (Pompidou, conf. de presse 10 juillet 1969). Son action n’est plus circonscrite au « domaine réservé » qui confère la hauteur nécessaire à une vision à long terme. Le quinquennat, voulu par Lionel Jospin alors Premier ministre, et auquel le président Chirac s’est résolu, était perçu comme un progrès démocratique, qui présentait le mérite d’éviter les cohabitations en faisant coïncider le mandant présidentiel et la législature. Mais, les élections présidentielles de 2022 ont anéanti cette conjecture ! En descendant dans l’arène politique, le président a perdu de son éloignement et, ce faisant, comme le prévenait le Général de Gaulle, de son prestige et de son autorité (“L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement”). En charge de tout, le président est devenu un paratonnerre qui, prenant directement la foudre, n’est plus préservé par le Premier ministre simple fusible ! En exerçant les pouvoirs normalement dévolus au gouvernement et à son Premier ministre, il perd de son autorité. Or, c’est cette dernière (auctoritas) qui augmente (augere) le pouvoir (potestas), et non l’inverse (Hannah Arendt, La crise de la culture, 1972).
Le réveil du multipartisme anarchique
Le fait majoritaire, amplifié par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours (institué par l’ordonnance du 13 octobre 1958), excepté la parenthèse de 1986, devait inoculer, au régime de la Vème République, la stabilité gouvernementale, contrastant avec la valse endémique des gouvernements sous la IVe République (24 gouvernements en 12 ans de régime).
La IVe République laissait le champ libre aux coalitions ayant pour pivot soit la SFIO (1946-1951) soit le MRP (1952-1955). Les communistes en étaient exclus en raison de leur allégeance à l’Union soviétique, tandis que les gaullistes (RPF) affichaient leur défiance à l’égard du « régime des partis ». La guerre d’Algérie révéla l’incurie du système… Le 1er juin 1958, l’Assemblée nationale accordait l’investiture au Général de Gaulle qui devenait le dernier Premier ministre de la IVème République. C’est dans ce contexte institutionnel que fut adoptée par référendum du 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution à 80% des suffrages exprimés. Après 65 années de règne, le régime de la Vème République semble à bout de souffle, prêt à être emporté par une crise de régime amorcée par la dissolution et menacé par les motions de censure mêlant « l’alliance des contraires ».
On assiste au réveil d’un multipartisme anarchique, que la constitution de la Vème République, modèle singulier de rationalisation du parlementarisme, échoue aujourd’hui à endiguer. Il apparaît sous la forme d’un tripartisme constitué, à gauche et au centre, de cartels de partis, alliés au second tour, pour mettre en déroute le RN arrivé en tête au premier. Sans autre « raison sociale » que de faire barrage, aucun des partis des deux cartels n’est susceptible de jouer le rôle d’un parti pivot pour constituer une majorité. La crise politique est donc consommée. Elle pourrait dégénérer en crise de régime si ce dernier se révélait impuissant à résoudre la crise financière. Pour l’adoption du projet de Loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS), Michel Barnier n’était pas tenu d’engager la responsabilité du gouvernement sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Constatant que le délai de 50 jours était expiré au 2 décembre, le Premier ministre pouvait dessaisir le Parlement et, en vertu de l’article 47-1 de la Constitution, mettre la loi en œuvre par ordonnance. Il préféra céder au RN le destin de son gouvernement !
Risques et péril de l’usage du 49 alinéa 3 de la Constitution
L’article 49 alinéa 3 est un instrument de rationalisation du parlementarisme. Mais son usage, à l’instar du droit de dissolution, est à manier avec parcimonie. Il peut servir à discipliner une majorité erratique. En l’absence de majorité, il devient une roulette russe !
Son usage, qui induit la possibilité d’une motion de censure, n’est pas un coup de force, mais un coup de droit : un acte politique fondé en droit constitutionnel.
Le RN obtint satisfaction sur au moins deux de ses « lignes rouges » : le prix de l’électricité et l’engagement du gouvernement à ne pas prévoir de « déremboursement » de médicaments. Comment s’est-il résolu à voter la motion de censure déposée par son adversaire politique le plus déterminé qui reprochait au gouvernement Barnier de céder à ses plus « viles obsessions » ? Parce qu’il a mêlé ses voix à celles du NFP, on lui intente le procès d’avoir précipité la France dans l’inconnu d’une crise financière déjà à l’œuvre. Mais ceux qui tirent à boulets rouges contre lui sont les mêmes qui ont scellé hier une alliance avec le NFP, y compris avec LFI, par le jeu des désistements au second tour des élections législatives. Défiant la réalité, les accusateurs mettent en réalité en scène le « théâtre antifasciste » en faisant jouer au RN le rôle antirépublicain (Le RN est-il vraiment d’extrême droite ? Le Figaro, 20 juin 2024).
Le RN aurait-il fait le pari d’une élection présidentielle anticipée ? Cette hypothèse ne semble pas recevable sans la possibilité d’une dissolution. La question aura donc une acuité nouvelle dans six mois, à la première date anniversaire (article 12 de la Constitution). Une seconde dissolution ratée risquerait de faire écho à la formule comminatoire de Gambetta à l’adresse de Mac Mahon, « se soumettre », en cas de majorité cohérente hostile, « ou se démettre », pour déverrouiller le blocage institutionnel. Le président Macron n’aura pas l’espoir d’une majorité que les élections législatives de 1962 avaient conféré au Général de Gaulle qui, dans la foulée, put renommer Georges Pompidou, son Premier ministre démissionnaire à la suite de l’adoption d’une motion de censure.
Le gouvernement Barnier fut renversé faute d’indexation des retraites sur l’inflation. Il lui suffisait de céder sur cette revendication pour obtenir un sursis. Certainement que le coût de cette mesure eut été inférieur à celui du rejet du Budget… Le prochain Premier ministre est donc prévenu. Après cette séquence tribunicienne et contestataire, le RN ne tardera pas à réinvestir la posture d’un parti d’alternance.
Trancher le nœud gordien pour un choc de légitimité
Le recours au référendum
Faut-il rappeler que l’article 3 de la Constitution énonce que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ? Ce dernier focalise la suspicion des élites à l’endroit des « Gaulois réfractaires », dont il conviendrait de forcer le destin… Sur la nature des contestations de la classe moyenne, il faut relire Les dépossédés de Christophe Guilluy (Flammarion, 2022). Prévu par les articles 11 et 89 de la Constitution, le référendum verserait dans le césarisme démocratique, détournerait l’objet de la question posée en raison de sa dérive plébiscitaire. Il n’en demeure pas moins un outil de démocratie directe, ou semi-directe, puisque le peuple n’en a pas l’initiative. Il charge la loi d’un surcroit de légitimité politique. Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois référendaires (Cons const. n°62-20 DC du 6 novembre 1962), et ce, à l’exception du référendum d’initiative partagée.
Le recours au référendum constitutionnel est plus complexe dans la mesure où l’article 89 de la Constitution impose que le projet ou la proposition de révision soit votée par les deux assemblées en termes identiques. C’est la raison pour laquelle le Général de Gaulle a eu recours à l’article 11 en 1962 pour modifier la Constitution au titre de « l’organisation des pouvoirs publics », en instituant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Il neutralisait ainsi l’opposition du Sénat.
Et le scrutin uninominal majoritaire à un tour ?
Le scrutin proportionnel aux élections législatives est fréquemment proposé de part et d’autre du spectre politique, de LFI au RN en passant par le MoDem. Pour quelle planche de salut ? On assisterait, dans ce contexte de multipartisme anarchique, à la consécration de la IVème en pire (!), à l’avènement du « régime des partis » et des combinaisons incessantes qui échappent au suffrage universel.
Peut-être est-il temps d’expérimenter le scrutin uninominal majoritaire à un tour, adopté par exemple par la Chambre des communes au Royaume-Uni ? Le candidat arrivé en tête est élu même s’il n’obtient pas la majorité absolue des suffrages exprimés. Dans un tel système électoral, les alliances politiques se concluent donc ab initio. Ce mode de scrutin favorise, outre-Manche, le bipartisme, et pourrait en France, contribuer à restaurer un « quadrille bipolaire» que décrivait le professeur Maurice Duverger (PC-PS / UDF-RPR). La comédie antifasciste serait alors plus difficile à jouer, car le corps électoral ne serait plus surpris par l’impromptu des alliances de second tour…
Nous nous souvenons du 15 avril 2019 comme si c’était hier, lorsque l’entame du crépuscule se transforma en un brasier de désolation. Notre-Dame, joyau architectural et lieu de culte, prenait feu dans la stupeur générale, avant que la chute de sa flèche ne lui fit perdre en hauteur. Heureusement, la structure du bâtiment le plus prestigieux de Paris se fut trouvée intacte et la France commence à célébrer la réouverture de celle dont l’aura fut renforcée par Victor Hugo. La cathédrale, avec laquelle chacun a noué un lien intime, nous rappelle l’exigence de verticalité. Pendant longtemps, notre société, qui assistait aux offices religieux, était verticale par le simple fait de sa foi partagée. L’espérance d’un au-delà allégeait les souffrances, ancrait le passage terrestre dans une éternité céleste, promettait la justice, fût-elle dans un autre monde. Dans cet univers de pensée, tout convergeait vers Dieu, de l’architecture aux prières. Las, il ne demeure aujourd’hui à nos pieds que les décombres accumulés par le wokisme. L’absence actuelle de verticalité découle aussi de la dévalorisation de l’enracinement, à l’heure où le nomadisme – celui des migrations et du tourisme de masse – est porté aux nues, avec pour conséquence de voir les individus souffrir de ne pouvoir encore être de quelque part et d’être considérés comme suspects lorsqu’ils veulent s’inscrire dans une lignée historique. N’est-ce pas d’ailleurs dans cette absence d’ancrage et de sédimentation qu’il faut trouver la cause de l’état de dépression généralisée de la société ? Rien n’est en effet plus beau que d’imprimer ses pas dans ceux de ses aïeux et ancêtres.
Le morne paysage offert par les post-modernes est par trop horizontal à ne plus vouloir répandre que le bruit et la cacophonie, celle des élus de La France Insoumise, des klaxons et de la mauvaise musique, alors que les notes de Bach s’élevaient vers l’immortalité – ce n’est pas un hasard si Cioran disait de ce dernier que Dieu lui devait tout. En entreprise, on vante aujourd’hui le bonheur au travail, l’absence de hiérarchie, les open spaces, l’inclusivité – sorte de communisme ludique -, tout sauf le travail, la mission collective ou la vision d’un chef. Tel un symbole, il n’est qu’à observer le manque de hauteur de beaucoup d’hommes qui ne se tiennent plus droit, comme s’ils souffraient d’une carence en légitimité et en fierté. Il reste du travail aux ostéopathes et aux kinésithérapeutes pour les redresser afin qu’ils portent le poids du monde plutôt que de se faire écraser par celui-ci. Signe qui ne trompe pas, il y a bien longtemps que nombre d’entre eux ont laissé tomber la très verticale cravate. L’horizontalisme est un des synonymes de l’égalitarisme ambiant au nom duquel tout est nivelé, forcément par le bas, pour ne pas dire le très-bas. À l’aune de ce relativisme, il est désormais difficile d’encore dénicher la beauté seule à même de sauver le monde, de bâtir des cathédrales et d’établir une hiérarchie entre un borborygme et une symphonie, une copie truffée d’approximations syntaxiques et un roman de Stendhal, le chahut d’un étudiant et le savoir professoral. Or, une civilisation qui tranche ce qui dépasse, qui considère que tout se vaut et qui refuse de prendre de la hauteur est condamnée à mourir sans panache. Alors, renouons avec la verticalité et prenons les pierres jonchant le sol pour bâtir les édifices qui perpétueront notre héritage commun. La réouverture de Notre-Dame devrait en cela profondément nous inspirer.