La bourse au mérite, qui récompensait les élèves ayant obtenu mention Très Bien au bac dont les parents ne sont pas imposables, sera abolie dès la rentrée prochaine, a annoncé l’extraordinaire Geneviève Fioraso. Au nom de la courageuse réduction des déficits publics, et sous le prétexte vaseux d’un « redéploiement de moyens », le gouvernement choisit de supprimer une mesure plus symbolique que coûteuse (50 millions par an contre 2.5 milliards pour les bourses sociales), qui incarnait pourtant une certaine idée de l’école. Un idéal méritocratique qui permit notamment au petit Charles, fils d’une rempailleuse de chaises, et au petit Albert, fils d’une femme de ménage analphabète, de devenir les grands Péguy et Camus (et oui, sachez-le, sans les bourses au mérite les deux écrivains auraient fini respectivement curé de campagne et gardien de chèvres, et on aurait été bien embêté).
Mais la gauche bourdieusienne a vite oublié cette idée que le talent pouvait être un levier pour s’émanciper de la misère sociale. Aux chiottes l’idée darwinienne – pour ne pas dire raciste – selon laquelle les meilleurs devraient être récompensés : du social, et puis c’est tout ! Au nom de l’œuvre irréfutable du sociologue, elle considère le mérite comme un privilège, et regarde ceux qui réussissent avec un œil suspicieux et envieux – ce que Nietzsche appelait le « ressentiment du rachitique ». L’école étant désormais le « lieu de reproduction des inégalités sociales » (Bourdieu), elle doit nécessairement devenir celui de l’assistanat. Résultat : elle devient de plus en plus le lieu de production du nivellement intellectuel, et la bourse au mérite était l’un des derniers garde-fous qui permettait de juguler cette égalitarisation par le bas.
Pour poursuivre ce beau travail de rabotage, je propose d’attribuer une bourse d’excellence à ceux qui réussissent encore à rater leur bac. En vérité, je vous le dis, ceux là sont les vrais méritants, car échouer à cette réussite programmée par le laxisme bienveillant de l’éducation nationale, c’est un peu comme gagner le tour de France sans stéroïdes anabolisants. Sachons les récompenser.
Fioraso lutte contre les inégalités intellectuelles
Les infortunes du réel
Le réel a disparu. Il a été kidnappé. Après tout, qui s’en plaindra, à part quelques réacs patentés – et quelques électeurs grognons qui subissent leur déplorable influence ? On se demande ce qu’ils lui trouvent, à leur réel, qu’ils appellent aussi Histoire. Le côté rétro sans doute. Au cinéma, ça a son charme. En trois dimensions, c’est moins reluisant : beaucoup de bruit, et je ne vous parle pas des odeurs. Le réel, ça pue. Et les ravisseurs ont la narine délicate.
Bon débarras. Dans ce réel de triste mémoire, les États avaient des ennemis, à qui ils faisaient la guerre, et des alliés, qu’ils espionnaient. Ce n’était pas très gentil. Il fallait que cela cesse, notre Président ne le lui a pas envoyé dire, à Obama. Désormais, ou c’est imminent, les gentils pays ont de gentils amis avec lesquels ils négocient de gentils accords, quoi qu’il n’y ait plus rien à négocier : ce qui est à nous est à eux et ce qui est à eux est à nous. Il faudrait songer à prévenir les Américains, les Chinois et les autres, parce qu’ils semblent avoir zappé une partie de ce gentil programme. Ce n’est pas faute de se mettre en quatre pour leur être agréables : chez nous, les jeunes du monde entier pourront étudier en anglais. Il serait discourtois de les inviter à apprendre notre langue, avec ses chichis et affèteries. Ainsi, ils auront l’impression d’être chez eux, la Tour Eiffel en plus.
Ah, il a bonne mine, votre réel : division compétition, confrontation. Des gens qui n’aiment pas vivre ensemble. Des cultures qui se regardent en chiens de faïence. Des différences parfois irréconciliables – au XXIe siècle, il faut oser. Et des fous du réel qui brandissent une règle commune, ils l’appellent laïcité. À les entendre, elle est menacée tous les quatre matins. Sauf que, pour eux, toutes les menaces ne se valent pas. Ils se disent gênés de ne croiser que des femmes voilées au supermarché, mais trouvent normal que, dans tous les villages de France, il y ait une église, et pas de synagogue ni de mosquée.
Le réel ment. En tout cas, il exagère beaucoup. C’est Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, qui le dit. Dans un rapport remis le 25 juin au Premier ministre, il est formel : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité. » Le problème, ce sont les laïques qui se livrent à « une dramatisation politique de ces sujets ». Et la « montée évidente de l’islamophobie dans le pays ».[access capability= »lire_inedits »]
Pourtant, un autre réel est possible. Avec les bonnes lunettes, on voit que toutes les religions, toutes les cultures, toutes les civilisations se donnent la main ; que les peuples sont frères et les nations en couple ; que les électeurs socialistes ne votent jamais pour le Front national. Certes, il reste quelques réglages à faire pour effacer toute trace du monde ancien. À commencer par ces gens, sans doute un peu simples, qui voient du réel partout, et qui n’en sont guère satisfaits. Pourtant, quand on leur dit que leur réel n’existe pas, c’est pire, ils deviennent dingues. À leur décharge, ils aimeraient bien, eux aussi, faire partie de la France des rappeurs et des webdesigners[1. Cette heureuse synthèse sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]et vivre un multiculturalisme apaisé dans du Haussmann starckisé. Las, dans la néo-réalité, il n’y a pas de place pour eux.
En attendant, le réel n’est pas perdu pour tout le monde. Il faudrait arrêter de la prendre pour une blonde, la blonde ! Elle a compris qu’il lui suffisait de dire aux gens qu’elle voit ce qu’ils voient pour qu’ils la suivent. On essaye de lui coller un procès en nazisme pour avoir parlé de l’occupation de rues par des musulmans qui priaient, mais si ça se trouve, le juge dira que, quand on occupe des rues, c’est une occupation. Et puis tous ces gens simples, ils n’aiment pas trop ça, les prières de rue – islamophobes, vous dis-je. Quand on accuse leur Marine d’« incitation à la haine raciale[2. Quelques heures après la levée, par le Parlement européen, de l’immunité parlementaire de Marine le Pen, dans le cadre d’une enquête pour « incitation à la haine raciale », plus de 20 000 personnes avaient signé une pétition en sa faveur.] », ils pensent, eux, qu’il n’y a dans ses propos ni haine, ni incitation, ni race[3. Que Cyril Bennasar soit remercié pour ce raccourci].C’est ballot.
Alors je me demande si, à force de taper sur le réel, il ne va pas finir par tomber dans de mauvaises mains. C’est ce que pensent mes amis réactionnaires (oui, j’ai des amis réactionnaires). Ils disent que le réel, c’est la nuance, la complexité, la dialectique. Qu’il faut en parler avec délicatesse. Et que Marine Le Pen manque de délicatesse. Que c’est une chose d’entendre ce que les gens disent, et une autre de leur dire ce qu’ils veulent entendre, une chose de comprendre la langue des bistrots, une autre de la parler. Mes amis réacs se sont étranglés quand, sur France Inter, elle a expliqué à un étranger installé depuis vingt ans en France que, s’il perdait son boulot, il perdrait son titre de séjour quelques mois plus tard. Pour la présidente du FN, il y a un ticket-retour : on vient en France pour travailler ; quand on n’a plus de travail, on rentre chez soi. Mes amis réacs pensent qu’il faut arrêter ou réduire drastiquement les flux migratoires, sans doute restreindre le regroupement familial. Pour eux, il y a un seul domaine où la préférence nationale est légitime: la définition des règles. Mais ils ne veulent pas d’un monde où chacun devrait rentrer « chez soi » après le boulot. Parce que, disent-ils, si on n’a qu’une patrie, on peut avoir de multiples chez-soi. N’empêche, ils ont peut-être raison : on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve.[/access]
*Photo : herstalle
Europe : croisade contre la croix
Dans un article intitulé « Une Europe plus laïque, divisée par la croix » le New-York Times s’interroge sur le déni des « racines chrétiennes » de l’Europe par les autorités politiques de l’Union.
Le NYT évoque un épisode éminemment significatif, mais peu commenté dans les médias français. En novembre dernier, la Commission européenne a ordonné qu’on retire les symboles religieux qui décoraient des euros commémoratifs célébrant le 1150ème anniversaire de l’arrivée de Cyrille et Méthode en Slovaquie, où ils apportèrent le christianisme : les croix et les auréoles entourant les deux saints étaient jugés incompatibles avec le principe d’une Union laïque, bureaucratique, et culturellement neutre. Tout un symbole, quant on sait que les deux saints avaient étés sacrés co-patrons de l’Europe par Jean-Paul II en 1985.
La décision a provoqué un tollé chez les élites religieuses et politiques du pays, à tel point que la Commission européenne a finalement dû s’incliner. L’archevêque de Bratislava Zvolensky s’est insurgé contre ce « sécularisme militant », déclarant : « il y a dans l’UE un mouvement qui veut imposer une neutralité religieuse absolue et récuse toute forme de tradition chrétienne ».
En réalité, il s’agit moins de « christianophobie », que d’un rejet général de toute forme d’héritage, qu’il soit religieux, culturel ou philosophique : l’Union Européenne se veut avant tout un espace politique post-historique où les individus, jouissant de la liberté suprême de ne pas avoir de passé, ne seraient unis que par les seuls liens du libre-échange et de la démocratie représentative.
D’où cette « Europe divisée par la croix » décrite par le quotidien américain. D’un côté, les pays d’Europe de l’Ouest, la France et le Royaume-Uni[1. Où un récent sondage indique que davantage de personnes croient aux extra-terrestres qu’en Dieu.] en tête, où la religion comme affaire privée et la neutralité axiologique de l’Etat[2. Assumée par l’Etat libéral anglo-saxon, la neutralité axiologique règne aussi en France puisque la République ne reconnaît que des individus égaux en droits unis au sein d’une communauté nationale érigée au rang de mythe.] sont des dogmes unanimement acceptés. De l’autre, les pays récemment sortis du bloc soviétique, où la religion imprègne encore fortement le tissu social, ont encore la prétention de rester dans l’histoire et s’entêtent à défendre leur identité nationale.
À sa création, l’UE, influencée par les démocrates-chrétiens (Gasperi, Adenauer, Schuman, Spaak) baignait dans des références historiques aussi bien païennes (le mythe d’Europe, entre autres) que chrétiennes qui exprimaient la volonté de s’inscrire dans un projet historique spécifique.
Le drapeau de l’Union, dessiné par Arsène Meitz, un catholique français, fait ainsi ostensiblement allusion au manteau bleu de la Vierge Marie et à sa couronne de 12 étoiles. Aujourd’hui, cette évidence a été réinterprétée dans un sens purement profane par la bureaucratie bruxelloise, qui lui dénie tout caractère religieux : « il symbolise l’idéal d’unité, de solidarité et d’harmonie », explique un fonctionnaire.
Dans ce reniement, la France est plus que jamais le coq de l’évangile. Ainsi était-ce Jospin, qui, en 2001, avait insisté pour que la référence à l’héritage « religieux » de l’Union soit effacée du projet de Constitution et remplacée par la simple mention d’une « conscience spirituelle et morale » délestée de tout héritage historique européen. Même les pauvres Grecs se sont vu refuser l’entrée dans la Constitution européenne, alors que leur héritage philosophique et civilisationnel est peu suspect de récupération ethnique ou religieuse, et moins « clivant » que la référence chrétienne. Dans une tribune publiée par Libération en 2004, plusieurs intellectuels, dont Paul Thibaud et Philippe Raynaud, s’indignaient de l’« hyperdémocratisme autosuffisant de nos éminences » après le rejet par les bureaucrates d’une phrase de Périclès sur la démocratie qui devait servir d’exergue à la Constitution, sous prétexte que la démocratie athénienne n’était pas assez « morale » (il y avait des esclaves, et les femmes ne votaient pas : ah les salauds !).
Ce rejet des différentes strates de l’histoire européenne est sans doute symptomatique de la victoire de la stratégie économiste à la Monnet sur le rêve d’une Europe culturelle. Depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dans les années 1950, la construction européenne s’est appuyée sur l’économie plutôt que sur un legs culturel, philosophique ou religieux. La main invisible plutôt que l’identité, tel est le credo artificialiste de l’UE.
Résultat, le déni de ses racines a fait de l’UE un « monstre froid », sans mémoire et sans âme, dirigé par une élite acculturée, qui invente une mythologie et des veaux d’or, comme la monnaie unique, pour pallier à ce déracinement.
Peu de médias l’ont relevé mais Angela Merkel a récemment déclaré : « Nous n’avons pas trop d’Islam, nous avons trop peu de christianisme », soulignant ainsi que la menace ne vient pas d’un ennemi extérieur selon elle fantasmé, mais du refus de l’identité chrétienne du vieux continent. Cette révision de sa propre histoire est particulièrement prégnante en France. Dans le culte hexagonal de la repentance, le « sanglot de l’homme blanc » (Bruckner) qui nous pousse à réécrire l’histoire suivant nos catégories morales d’aujourd’hui, peut-être faut-il voir la conséquence d’une conception laïcarde de la société qui confine à la haine de soi. Contre cette amnésie, nos partenaires allemands cultivent une vision plus « romantique » de l’identité européenne, où du moins « hégélienne » : les institutions s’enracinent dans un monde vécu et une histoire. À ce titre, les piliers chrétiens pourraient davantage emporter l’adhésion des peuples que toutes les déclarations des droits possibles et imaginables.
Telle serait la voie de salut possible pour la crise de civilisation européenne : chercher non plus le comment de l’Europe, mais son pourquoi.
Plus que jamais, le passé est l’avenir de l’Europe.
PMA, GPA, Europe à 32… Peut-on encore dire merde à l’Inéluctable ?
S’il est une chose à retenir de l’épisode Manif pour Tous, c’est bien l’entreprise réussie de délégitimation du mouvement, savamment orchestrée par un pouvoir en mal de marqueurs sociaux, et diligemment relayée par un système médiatique en ordre de bataille à l’occasion de cette étape Historique. Pour toutes celles et ceux qui ont ressenti l’impérieuse nécessité de se mobiliser contre la défiguration programmée de notre Code civil, il reste le goût amer de ne pas avoir été considéré comme un adversaire régulier, digne de produire des arguments recevables dans le cadre d’un affrontement civilisé. Alors que nous avions naïvement espéré un débat de fond à la hauteur des enjeux (y a t-il oui ou non une alternative au rouleau compresseur de l’Indifférencié ?), Sainte Najat a finalement déçu en optant pour un blitzkrieg médiatique dont l’arme privilégiée fut, une fois de plus, la diabolisation de l’ennemi (halte aux fachos en capuchon rose !). Evidemment, une telle tactique présente un avantage de taille : pourquoi ouvrir la porte à un vrai débat avec de faux réacs – et ainsi prendre le risque inutile de ragaillardir des millions de français jusqu’alors tétanisés par l’inéluctable marche du Progrès – alors qu’il suffit de caricaturer allégrement les protagonistes d’une manif dont on trouvera bien, parmi eux, une poignée de dégénérés fascisants à même de s’adjuger une place de choix dans le zapping de Canal ? Ce qu’il y a de vraiment pratique avec les extrémistes de service, c’est qu’on est en droit de les ignorer royalement (« we don’t negotiate with terrorists »), on se doit plutôt de les rééduquer, voir de les humilier en public, pour ensuite s’offusquer de la violence dont certains font preuve, faute d’être véritablement entendus, violence elle-même récupérée pour mieux diaboliser l’ensemble du groupe. Imparable.
Il est toujours croustillant de noter à quel point la gauche est prompte à convoquer le Mal absolu pour mieux légitimer ses projets de mutilation du réel; « homophobes », « réacs », « intégristes », autant d’épouvantails visant à disqualifier d’entrée la malheureuse famille tradi, pour ne pas dire ringarde, pour qui la pilule du Progrès ne passe pas, mais alors pas du tout ! Et voilà comment, par un tour de passe-passe médiatique dont seule la mairie de Paris a le secret, la Manif pour Tous devient l’Amicale des nostalgiques du Maréchal (un peu comme lorsque l’on substitue sciemment les fameux « ultras » aux sacro-saints « jeunes de banlieues » pour ne pas écorner le political correctness de mise dans notre beau pays). La joute argumentative, inévitablement contradictoire et anxiogène, qu’un tel sujet aurait sans doute mérité, s’est une fois de plus volatilisée au profit de la morale publique triomphante. Rien de nouveau sous le soleil.
Dès lors, une question se pose : dans un monde où la dialectique a laissé place à l’épuration systématique, où la moindre voix contradictoire est étouffée par le vrombissement de la bien-pensance made in France Télévisions, quelle marge de manœuvre reste t-il à l’individu pour faire entendre sa voix ? De quels outils démocratiques dispose t-il pour rendre compte du sentiment de dépossession qui l’afflige ? Il y a fort à parier que la majorité partira sur un bon vieux vote protestataire façon 21 Avril (le vintage est à la mode) tandis que les plus téméraires opteront pour l’immolation par le feu sous l’œil avide des caméras… Bref, la « boîte à outils » paraît une fois de plus bien maigre au regard du niveau de frustration record d’une large partie de la population – qui a dit que nous étions assis sur un baril de poudre ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec les états généraux sur la PMA qui se profilent à l’horizon (déjà repoussés à 2014 par le CCNE), les politiques et leurs complices ne vont pas se gêner pour nous rejouer la petite musique du Progrès en marche. Ah, il va vraiment falloir qu’il prenne sur lui l’électeur hideux du Front national !
Pour autant, tout n’est pas encore totalement foutu… Face au discours cathodique ambiant, semble poindre un mouvement de résistance dont l’objet est bien de désacraliser l’incontestable pour mieux lui botter les fesses. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe actuellement sur le terrain économique où de nombreux experts iconoclastes, de Sapir à Gréau, commencent à faire entendre leurs voix dissidentes sur les bienfaits supposés de la monnaie unique – thème évidemment repris sur le tard par les populistes de tous bords. Le refrain suranné du « There is no alternative », si cher à feu Margaret, commence justement à prendre l’eau. Après des années de profonde léthargie, les peuples d’Europe renoncent peu à peu à l’eurobéatitude stérile et réalisent avec effroi que « nous sommes dans un monde de méchants et pas dans un monde de gentils » comme l’a récemment rappelé DSK devant un parterre de sénateurs visiblement peu habitués à tant de violence verbale…
En ces temps difficiles, allons-nous enfin surmonter nos propres tabous jusqu’à réintroduire de la négativité – et donc de la vie – dans une Europe en proie à un angélisme délétère ? Rien n’est moins sûr.
Toujours est-il que le réel reprend du poil de la bête, si bien que la Gauche Illuminée n’a d’autres choix que de se préoccuper de la vraie vie des gens à défaut de poursuivre sa Mission Civilisatrice. C’est en ce sens que la crise actuelle recèle la promesse, sinon des lendemains qui chantent, du moins d’un bon bol d’air frais dans cette ambiance post-historique qui ne dit pas son nom.
*Photo : Mon_Tours.
Bac 2013 : Comment je suis tombé sur la perle rare
Elles sont grosses, mais elles ne vous déçoivent pas. Les années passent, mais elles vous restent fidèles. Je veux parler des perles du bac. La livraison 2013 est si bonne qu’elle ne nous suffit plus. Les regards se tournent déjà vers 2014. On en redemande. Certaines bévues sont si comiques qu’elles semblent légitimer le caractère annuel de cet examen.
« Le travail n’est pas toujours révélateur d’un potentiel : par exemple, certains élèves de ma classe n’ont rien fait pendant l’année et ils auront quand même leur bac. »
Ou encore :
« On voit que l’Union Européenne occupe une place centrale dans les échangismes internationaux. »
Ou encore :
« Grâce à la montée de l’islamisme qui sont austère au politique occidentaux, cette austerité atteind son paroxisme le 11 septembre 2011 lors de l’attentat contre les Etats-unis sur les deux tours jumelles du world trade senteur. »
Ou encore :
« En 1792 les Français déclarent la guerre à plusieurs pays d’Europe pour leur apporter la paix. »
Quelle justesse dans l’erreur ! Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que cette forme d’humour ne m’apparaisse supérieure à l’humour belge, ce qui n’est pas peu dire. Pourtant, c’est en lisant une étude tout à fait sérieuse que je suis tombé sur la perle rare. J’étais assis à la bibliothèque, et je préparais tranquillement mon prochain séminaire sur la notion de dette lorsque j’ai lu ceci : « La liberté moderne est essentiellement l’absence de dette (…) C’est un fait que nous expérimentons quotidiennement. Nous sommes tous ravis de nous libérer d’une dette négative grâce au marché et au mécanisme monétaire. » Ravis ? Grâce au marché ? Quelle pénétrante analyse ! Quelle description on ne peut plus exacte de notre situation réelle ! Précisons que l’auteur est professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique. Je pense que dans ce titre, c’est surtout le dernier mot qui est important. Flaubert nous avait prévenus : traitée sans ménagement par la littérature, c’est auprès de la science que la stupidité humaine trouvera refuge et consolation. Sans doute n’est-il pas inutile de s’en rappeler à l’heure où l’on fait circuler ce florilège estudiantin. Si les élèves peuvent commettre des bourdes, la palme de la bêtise reviendra toujours à leurs professeurs.
Après l’Empire
« Qui se souviendra des hommes ? », se demandait Jean Raspail. Les historiens − on ne peut pas leur en vouloir − rendent compte des batailles et des grands hommes, décryptent des tendances lourdes et abstraites. Grâce à eux, on comprend parfois mais on ne sent jamais. Se souvenir des hommes, seuls les écrivains, les romanciers, peuvent s’y risquer. Pour faire non pas des romans « historiques » mais des romans qui incarnent l’Histoire à travers quelques personnages, souvent oubliés des manuels − personnages qui font l’amour, saignent, prient, meurent devant nos yeux.
Dans L’Écriture du monde, Taillandier cherche à saisir ce qui a fait la naissance de l’Occident, ce qui fonde son identité. Ce n’est pas évident : les siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain sont souvent appelés obscurs. Ils étaient pourtant peuplés de figures lumineuses d’érudits dévoués au bien commun : pères de l’Église essayant de mieux tracer les contours de la figure de Dieu pour mieux tracer celles des hommes, rois que l’on appelait « barbares » et qui, pourtant, comme Théodoric en Italie, paraissaient bien plus civilisés que les maîtres de Byzance.
Taillandier a choisi trois grands seconds rôles pour illustrer ce temps plein de métamorphoses violentes et incertaines. Il y a d’abord Cassiodore, un Romain qui sait que Rome n’existe plus mais qu’elle reste une donnée spirituelle de l’Histoire. Il conseille Théodoric, il comprend quel jeu serré il faut jouer entre les différents rois barbares, les tenants de la vieille Rome, les Byzantins. Il comprend aussi que le christianisme peut être le ciment de cette civilisation fragmentée à condition qu’il ne cherche pas à éradiquer tout ce qui l’a précédé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est aussi ce que pensera le jeune Léandre en visitant, après la mort de Cassiodore, le monastère créé par ce dernier où l’on fabrique, recopie et conserve les livres alors que, dehors, les temps sont redevenus confus. Il y a enfin la belle figure de Théolinda. Elle se regardait nue à 12 ans dans les miroirs avant de tracer les propres lignes de son destin de princesse germanique. Elle va inventer une nouvelle géopolitique en refusant un mariage pour épouser un roi lombard qui terrorise le Nord de l’Italie : « Les Gaules étaient franques, l’Espagne wisigothe : l’Italie deviendrait la gloire des Lombards. Elle s’étonnait que de telles idées puissent se former en elle, à qui personne n’avait songé à enseigner l’art du gouvernement. »
Dans La Grande Intrigue, son précédent cycle romanesque, Taillandier racontait la dissolution de l’Occident dans ce qu’il appelait l’Option Paradis. Assez logiquement, après avoir autopsié le cadavre, il nous invite, dans ce premier volume d’un autre cycle, à assister aux premiers pas du nouveau-né. C’est tout aussi ambitieux et réussi. Même si on connaît la fin.[/access]
L’Écriture du monde, François Taillandier (Stock).
*Photo: Le sac de Rome par les Barbares en 410. Joseph-Noël Sylvestre, 1890.
UMP incorporated
Evidemment, du côté de Montebourg et du redressement productif, on se tait. C’est vainement que l’on attend que le flamboyant ministre, qui lui a le droit de l’ouvrir sans se faire démissionner, se prononce sur la crise sans précédent que traverse un des fleurons de notre industrie politique, l’UMP. Mais rien du côté de Bercy, par la moindre annonce, pas de propositions de repreneurs ou de nationalisation temporaire.
A travers l’UMP et ses 11 millions d’euros de trou dans ses fonds propres, la vraie question qui se pose en fait à notre France en passe de devenir un désert industriel, est : y a t il encore des parts de marchés pour la droite française concurrencée par des firmes plus jeunes, à la stratégie commerciale plus agressive comme le FN ou l’UDI ? Peut-on encore compter sur un milieu de gamme entre le centre et l’extrême droite ?
La tentative de recapitalisation sous la houlette de l’ancien PDG Nicolas Sarkozy en lançant un appel aux petits actionnaires sera-t-elle suffisante ? On peut en douter. Mais faut-il vraiment se réjouir de cet échec programmé ? L’UMP, comme PSA, c’est plus qu’une marque, c’est un esprit, un symbole d’une France capable de construire chez elle des voitures et de produire sa propre droite avec cette french touch venue du gaullisme qui en fait ou en faisait tout le charme. Certes, cette french touch avait pâli avec le temps, et c’est bien là le problème.
Souvenons-nous : comme toute les grandes marques qui savent s’adapter au marché, l’UMP a souvent changé de nom contrairement à ces ringards de gauche qui s’appellent PCF depuis 90 ans ou PS depuis plus de quarante. Avant, comme Orange s’appelait France Telecom, l’UMP s’appelait le RPR et avant encore l’UDR et avant encore l’UNR et avant encore le RPF. En fait, le problème est peut-être là. Chacun de ses changements de nom a éloigné l’UMP de son positionnement original qui était le gaullisme. Le gaullisme, produit typiquement français, était une forme de droite de gauche, colbertiste, étatiste et assez ombrageuse sur la souveraineté nationale. Ce n’était pas exportable mais au moins, sur le marché intérieur, ça a longtemps été un produit phare, au point de mettre le gaullisme en position de quasi monopole à droite et de rassembler suffisamment large pour n’avoir à gauche que les communistes en guise de concurrents.
Mais, dans un souci de modernisation, la métamorphose a commencé avec le PDG Georges Pompidou qui a dissous le gaullisme dans les scandales immobiliers, le périphérique et l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE. En se ralliant un temps à l’entreprise UDF de VGE, Jacques Chirac, qui devait plus tard fonder le RPR puis l’UMP avec Alain Juppé, accentua cet éloignement du cœur de métier gaulliste tel que l’avait défini Malraux, un des communicants du fondateur de la marque : « Le gaullisme, c’est le métro à six heures du soir. »
L’intervention de Nicolas Sarkozy, en plus, n’est pas sans poser quelques problèmes au conseil d’administration de l’UMP. Derrière les sourires de façade, on n’est pas forcément enchanté de voir revenir celui dont la stratégie de délocalisation vers les idées de la droite extrême à l’époque où il présidait les destinées de l’entreprise a certes fait gagner de la clientèle sur la boîte dirigée par Marine Le Pen. Mais, en contrepartie, ce virage à droite a accéléré par ailleurs la création de l’UDI, cette moyenne entreprise constituée de filiales centristes qui ont pris leur autonomie en mutualisant leurs moyens.
Il est impossible de savoir si la faillite de l’UMP et de Sarkozy en mai 2012, qui échouèrent face à la concurrence de la holding PS-PRG-EELV, est due à la méfiance des actionnaires centristes (on se souvient de la réaction très hostile de la TPE du Modem) qui ont fait défection au dernier moment ou si, au contraire, il aurait fallu aller encore plus loin en allant chercher la clientèle sur les segments habituels où opère le FN devenu spécialiste dans des produits qui plaisent beaucoup en ces temps de crise : insécurité, immigration, islamisme.
En fait, l’UMP est une entreprise qui n’a jamais vraiment bien trouvé sa place ni sa stratégie comme l’a illustré l’affrontement de l’automne dernier entre un dirigeant qui voulait faire dans la viennoiserie à usage des quartiers populaires tandis que l’autre visait une stratégie européenne. Si on excepte la prise de contrôle majoritaire de la France en 2007, le reste des tentatives de diversification électorale se sont d’ailleurs révélées des échecs cuisants. L’UMP, entièrement centrée sur l’objectif France, s’est révélée un outil inadapté pour conquérir des régions, des départements, des mairies ou même des sièges de députés européens, ce qui explique en partie ses difficultés d’aujourd’hui puisque, avant même le rejet de ses comptes par l’Autorité des marchés financiers, euh pardon, par le Conseil Constitutionnel, elle avait tout de même un découvert de 56 millions d’euros dû pour l’essentiel à ses revers locaux.
Il semble donc urgent, encore une fois, que les pouvoirs publics se penchent sur le destin de l’UMP. Le groupe risque en effet des OPA hostiles à l’approche des élections municipales et européennes, voire un démantèlement pur et simple. Il y aurait les filières jugées encore rentables pour le Front National qui se verrait bien racheter la Droite Forte et la Droite Populaire tandis que l’UDI prendrait une participation majoritaire chez les humanistes et les européens.
Quant aux filières obsolètes, comme le gaullisme social ou le souverainisme, il faudra de toute façon se résigner à les sacrifier, c’est encore moins rentable qu’un haut fourneau. Autant faire une croix dessus. Une croix de Lorraine évidemment.
Fioraso lutte contre les inégalités intellectuelles
La bourse au mérite, qui récompensait les élèves ayant obtenu mention Très Bien au bac dont les parents ne sont pas imposables, sera abolie dès la rentrée prochaine, a annoncé l’extraordinaire Geneviève Fioraso. Au nom de la courageuse réduction des déficits publics, et sous le prétexte vaseux d’un « redéploiement de moyens », le gouvernement choisit de supprimer une mesure plus symbolique que coûteuse (50 millions par an contre 2.5 milliards pour les bourses sociales), qui incarnait pourtant une certaine idée de l’école. Un idéal méritocratique qui permit notamment au petit Charles, fils d’une rempailleuse de chaises, et au petit Albert, fils d’une femme de ménage analphabète, de devenir les grands Péguy et Camus (et oui, sachez-le, sans les bourses au mérite les deux écrivains auraient fini respectivement curé de campagne et gardien de chèvres, et on aurait été bien embêté).
Mais la gauche bourdieusienne a vite oublié cette idée que le talent pouvait être un levier pour s’émanciper de la misère sociale. Aux chiottes l’idée darwinienne – pour ne pas dire raciste – selon laquelle les meilleurs devraient être récompensés : du social, et puis c’est tout ! Au nom de l’œuvre irréfutable du sociologue, elle considère le mérite comme un privilège, et regarde ceux qui réussissent avec un œil suspicieux et envieux – ce que Nietzsche appelait le « ressentiment du rachitique ». L’école étant désormais le « lieu de reproduction des inégalités sociales » (Bourdieu), elle doit nécessairement devenir celui de l’assistanat. Résultat : elle devient de plus en plus le lieu de production du nivellement intellectuel, et la bourse au mérite était l’un des derniers garde-fous qui permettait de juguler cette égalitarisation par le bas.
Pour poursuivre ce beau travail de rabotage, je propose d’attribuer une bourse d’excellence à ceux qui réussissent encore à rater leur bac. En vérité, je vous le dis, ceux là sont les vrais méritants, car échouer à cette réussite programmée par le laxisme bienveillant de l’éducation nationale, c’est un peu comme gagner le tour de France sans stéroïdes anabolisants. Sachons les récompenser.
Les infortunes du réel
Le réel a disparu. Il a été kidnappé. Après tout, qui s’en plaindra, à part quelques réacs patentés – et quelques électeurs grognons qui subissent leur déplorable influence ? On se demande ce qu’ils lui trouvent, à leur réel, qu’ils appellent aussi Histoire. Le côté rétro sans doute. Au cinéma, ça a son charme. En trois dimensions, c’est moins reluisant : beaucoup de bruit, et je ne vous parle pas des odeurs. Le réel, ça pue. Et les ravisseurs ont la narine délicate.
Bon débarras. Dans ce réel de triste mémoire, les États avaient des ennemis, à qui ils faisaient la guerre, et des alliés, qu’ils espionnaient. Ce n’était pas très gentil. Il fallait que cela cesse, notre Président ne le lui a pas envoyé dire, à Obama. Désormais, ou c’est imminent, les gentils pays ont de gentils amis avec lesquels ils négocient de gentils accords, quoi qu’il n’y ait plus rien à négocier : ce qui est à nous est à eux et ce qui est à eux est à nous. Il faudrait songer à prévenir les Américains, les Chinois et les autres, parce qu’ils semblent avoir zappé une partie de ce gentil programme. Ce n’est pas faute de se mettre en quatre pour leur être agréables : chez nous, les jeunes du monde entier pourront étudier en anglais. Il serait discourtois de les inviter à apprendre notre langue, avec ses chichis et affèteries. Ainsi, ils auront l’impression d’être chez eux, la Tour Eiffel en plus.
Ah, il a bonne mine, votre réel : division compétition, confrontation. Des gens qui n’aiment pas vivre ensemble. Des cultures qui se regardent en chiens de faïence. Des différences parfois irréconciliables – au XXIe siècle, il faut oser. Et des fous du réel qui brandissent une règle commune, ils l’appellent laïcité. À les entendre, elle est menacée tous les quatre matins. Sauf que, pour eux, toutes les menaces ne se valent pas. Ils se disent gênés de ne croiser que des femmes voilées au supermarché, mais trouvent normal que, dans tous les villages de France, il y ait une église, et pas de synagogue ni de mosquée.
Le réel ment. En tout cas, il exagère beaucoup. C’est Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, qui le dit. Dans un rapport remis le 25 juin au Premier ministre, il est formel : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité. » Le problème, ce sont les laïques qui se livrent à « une dramatisation politique de ces sujets ». Et la « montée évidente de l’islamophobie dans le pays ».[access capability= »lire_inedits »]
Pourtant, un autre réel est possible. Avec les bonnes lunettes, on voit que toutes les religions, toutes les cultures, toutes les civilisations se donnent la main ; que les peuples sont frères et les nations en couple ; que les électeurs socialistes ne votent jamais pour le Front national. Certes, il reste quelques réglages à faire pour effacer toute trace du monde ancien. À commencer par ces gens, sans doute un peu simples, qui voient du réel partout, et qui n’en sont guère satisfaits. Pourtant, quand on leur dit que leur réel n’existe pas, c’est pire, ils deviennent dingues. À leur décharge, ils aimeraient bien, eux aussi, faire partie de la France des rappeurs et des webdesigners[1. Cette heureuse synthèse sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]et vivre un multiculturalisme apaisé dans du Haussmann starckisé. Las, dans la néo-réalité, il n’y a pas de place pour eux.
En attendant, le réel n’est pas perdu pour tout le monde. Il faudrait arrêter de la prendre pour une blonde, la blonde ! Elle a compris qu’il lui suffisait de dire aux gens qu’elle voit ce qu’ils voient pour qu’ils la suivent. On essaye de lui coller un procès en nazisme pour avoir parlé de l’occupation de rues par des musulmans qui priaient, mais si ça se trouve, le juge dira que, quand on occupe des rues, c’est une occupation. Et puis tous ces gens simples, ils n’aiment pas trop ça, les prières de rue – islamophobes, vous dis-je. Quand on accuse leur Marine d’« incitation à la haine raciale[2. Quelques heures après la levée, par le Parlement européen, de l’immunité parlementaire de Marine le Pen, dans le cadre d’une enquête pour « incitation à la haine raciale », plus de 20 000 personnes avaient signé une pétition en sa faveur.] », ils pensent, eux, qu’il n’y a dans ses propos ni haine, ni incitation, ni race[3. Que Cyril Bennasar soit remercié pour ce raccourci].C’est ballot.
Alors je me demande si, à force de taper sur le réel, il ne va pas finir par tomber dans de mauvaises mains. C’est ce que pensent mes amis réactionnaires (oui, j’ai des amis réactionnaires). Ils disent que le réel, c’est la nuance, la complexité, la dialectique. Qu’il faut en parler avec délicatesse. Et que Marine Le Pen manque de délicatesse. Que c’est une chose d’entendre ce que les gens disent, et une autre de leur dire ce qu’ils veulent entendre, une chose de comprendre la langue des bistrots, une autre de la parler. Mes amis réacs se sont étranglés quand, sur France Inter, elle a expliqué à un étranger installé depuis vingt ans en France que, s’il perdait son boulot, il perdrait son titre de séjour quelques mois plus tard. Pour la présidente du FN, il y a un ticket-retour : on vient en France pour travailler ; quand on n’a plus de travail, on rentre chez soi. Mes amis réacs pensent qu’il faut arrêter ou réduire drastiquement les flux migratoires, sans doute restreindre le regroupement familial. Pour eux, il y a un seul domaine où la préférence nationale est légitime: la définition des règles. Mais ils ne veulent pas d’un monde où chacun devrait rentrer « chez soi » après le boulot. Parce que, disent-ils, si on n’a qu’une patrie, on peut avoir de multiples chez-soi. N’empêche, ils ont peut-être raison : on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve.[/access]
*Photo : herstalle
Europe : croisade contre la croix
Dans un article intitulé « Une Europe plus laïque, divisée par la croix » le New-York Times s’interroge sur le déni des « racines chrétiennes » de l’Europe par les autorités politiques de l’Union.
Le NYT évoque un épisode éminemment significatif, mais peu commenté dans les médias français. En novembre dernier, la Commission européenne a ordonné qu’on retire les symboles religieux qui décoraient des euros commémoratifs célébrant le 1150ème anniversaire de l’arrivée de Cyrille et Méthode en Slovaquie, où ils apportèrent le christianisme : les croix et les auréoles entourant les deux saints étaient jugés incompatibles avec le principe d’une Union laïque, bureaucratique, et culturellement neutre. Tout un symbole, quant on sait que les deux saints avaient étés sacrés co-patrons de l’Europe par Jean-Paul II en 1985.
La décision a provoqué un tollé chez les élites religieuses et politiques du pays, à tel point que la Commission européenne a finalement dû s’incliner. L’archevêque de Bratislava Zvolensky s’est insurgé contre ce « sécularisme militant », déclarant : « il y a dans l’UE un mouvement qui veut imposer une neutralité religieuse absolue et récuse toute forme de tradition chrétienne ».
En réalité, il s’agit moins de « christianophobie », que d’un rejet général de toute forme d’héritage, qu’il soit religieux, culturel ou philosophique : l’Union Européenne se veut avant tout un espace politique post-historique où les individus, jouissant de la liberté suprême de ne pas avoir de passé, ne seraient unis que par les seuls liens du libre-échange et de la démocratie représentative.
D’où cette « Europe divisée par la croix » décrite par le quotidien américain. D’un côté, les pays d’Europe de l’Ouest, la France et le Royaume-Uni[1. Où un récent sondage indique que davantage de personnes croient aux extra-terrestres qu’en Dieu.] en tête, où la religion comme affaire privée et la neutralité axiologique de l’Etat[2. Assumée par l’Etat libéral anglo-saxon, la neutralité axiologique règne aussi en France puisque la République ne reconnaît que des individus égaux en droits unis au sein d’une communauté nationale érigée au rang de mythe.] sont des dogmes unanimement acceptés. De l’autre, les pays récemment sortis du bloc soviétique, où la religion imprègne encore fortement le tissu social, ont encore la prétention de rester dans l’histoire et s’entêtent à défendre leur identité nationale.
À sa création, l’UE, influencée par les démocrates-chrétiens (Gasperi, Adenauer, Schuman, Spaak) baignait dans des références historiques aussi bien païennes (le mythe d’Europe, entre autres) que chrétiennes qui exprimaient la volonté de s’inscrire dans un projet historique spécifique.
Le drapeau de l’Union, dessiné par Arsène Meitz, un catholique français, fait ainsi ostensiblement allusion au manteau bleu de la Vierge Marie et à sa couronne de 12 étoiles. Aujourd’hui, cette évidence a été réinterprétée dans un sens purement profane par la bureaucratie bruxelloise, qui lui dénie tout caractère religieux : « il symbolise l’idéal d’unité, de solidarité et d’harmonie », explique un fonctionnaire.
Dans ce reniement, la France est plus que jamais le coq de l’évangile. Ainsi était-ce Jospin, qui, en 2001, avait insisté pour que la référence à l’héritage « religieux » de l’Union soit effacée du projet de Constitution et remplacée par la simple mention d’une « conscience spirituelle et morale » délestée de tout héritage historique européen. Même les pauvres Grecs se sont vu refuser l’entrée dans la Constitution européenne, alors que leur héritage philosophique et civilisationnel est peu suspect de récupération ethnique ou religieuse, et moins « clivant » que la référence chrétienne. Dans une tribune publiée par Libération en 2004, plusieurs intellectuels, dont Paul Thibaud et Philippe Raynaud, s’indignaient de l’« hyperdémocratisme autosuffisant de nos éminences » après le rejet par les bureaucrates d’une phrase de Périclès sur la démocratie qui devait servir d’exergue à la Constitution, sous prétexte que la démocratie athénienne n’était pas assez « morale » (il y avait des esclaves, et les femmes ne votaient pas : ah les salauds !).
Ce rejet des différentes strates de l’histoire européenne est sans doute symptomatique de la victoire de la stratégie économiste à la Monnet sur le rêve d’une Europe culturelle. Depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dans les années 1950, la construction européenne s’est appuyée sur l’économie plutôt que sur un legs culturel, philosophique ou religieux. La main invisible plutôt que l’identité, tel est le credo artificialiste de l’UE.
Résultat, le déni de ses racines a fait de l’UE un « monstre froid », sans mémoire et sans âme, dirigé par une élite acculturée, qui invente une mythologie et des veaux d’or, comme la monnaie unique, pour pallier à ce déracinement.
Peu de médias l’ont relevé mais Angela Merkel a récemment déclaré : « Nous n’avons pas trop d’Islam, nous avons trop peu de christianisme », soulignant ainsi que la menace ne vient pas d’un ennemi extérieur selon elle fantasmé, mais du refus de l’identité chrétienne du vieux continent. Cette révision de sa propre histoire est particulièrement prégnante en France. Dans le culte hexagonal de la repentance, le « sanglot de l’homme blanc » (Bruckner) qui nous pousse à réécrire l’histoire suivant nos catégories morales d’aujourd’hui, peut-être faut-il voir la conséquence d’une conception laïcarde de la société qui confine à la haine de soi. Contre cette amnésie, nos partenaires allemands cultivent une vision plus « romantique » de l’identité européenne, où du moins « hégélienne » : les institutions s’enracinent dans un monde vécu et une histoire. À ce titre, les piliers chrétiens pourraient davantage emporter l’adhésion des peuples que toutes les déclarations des droits possibles et imaginables.
Telle serait la voie de salut possible pour la crise de civilisation européenne : chercher non plus le comment de l’Europe, mais son pourquoi.
Plus que jamais, le passé est l’avenir de l’Europe.
PMA, GPA, Europe à 32… Peut-on encore dire merde à l’Inéluctable ?
S’il est une chose à retenir de l’épisode Manif pour Tous, c’est bien l’entreprise réussie de délégitimation du mouvement, savamment orchestrée par un pouvoir en mal de marqueurs sociaux, et diligemment relayée par un système médiatique en ordre de bataille à l’occasion de cette étape Historique. Pour toutes celles et ceux qui ont ressenti l’impérieuse nécessité de se mobiliser contre la défiguration programmée de notre Code civil, il reste le goût amer de ne pas avoir été considéré comme un adversaire régulier, digne de produire des arguments recevables dans le cadre d’un affrontement civilisé. Alors que nous avions naïvement espéré un débat de fond à la hauteur des enjeux (y a t-il oui ou non une alternative au rouleau compresseur de l’Indifférencié ?), Sainte Najat a finalement déçu en optant pour un blitzkrieg médiatique dont l’arme privilégiée fut, une fois de plus, la diabolisation de l’ennemi (halte aux fachos en capuchon rose !). Evidemment, une telle tactique présente un avantage de taille : pourquoi ouvrir la porte à un vrai débat avec de faux réacs – et ainsi prendre le risque inutile de ragaillardir des millions de français jusqu’alors tétanisés par l’inéluctable marche du Progrès – alors qu’il suffit de caricaturer allégrement les protagonistes d’une manif dont on trouvera bien, parmi eux, une poignée de dégénérés fascisants à même de s’adjuger une place de choix dans le zapping de Canal ? Ce qu’il y a de vraiment pratique avec les extrémistes de service, c’est qu’on est en droit de les ignorer royalement (« we don’t negotiate with terrorists »), on se doit plutôt de les rééduquer, voir de les humilier en public, pour ensuite s’offusquer de la violence dont certains font preuve, faute d’être véritablement entendus, violence elle-même récupérée pour mieux diaboliser l’ensemble du groupe. Imparable.
Il est toujours croustillant de noter à quel point la gauche est prompte à convoquer le Mal absolu pour mieux légitimer ses projets de mutilation du réel; « homophobes », « réacs », « intégristes », autant d’épouvantails visant à disqualifier d’entrée la malheureuse famille tradi, pour ne pas dire ringarde, pour qui la pilule du Progrès ne passe pas, mais alors pas du tout ! Et voilà comment, par un tour de passe-passe médiatique dont seule la mairie de Paris a le secret, la Manif pour Tous devient l’Amicale des nostalgiques du Maréchal (un peu comme lorsque l’on substitue sciemment les fameux « ultras » aux sacro-saints « jeunes de banlieues » pour ne pas écorner le political correctness de mise dans notre beau pays). La joute argumentative, inévitablement contradictoire et anxiogène, qu’un tel sujet aurait sans doute mérité, s’est une fois de plus volatilisée au profit de la morale publique triomphante. Rien de nouveau sous le soleil.
Dès lors, une question se pose : dans un monde où la dialectique a laissé place à l’épuration systématique, où la moindre voix contradictoire est étouffée par le vrombissement de la bien-pensance made in France Télévisions, quelle marge de manœuvre reste t-il à l’individu pour faire entendre sa voix ? De quels outils démocratiques dispose t-il pour rendre compte du sentiment de dépossession qui l’afflige ? Il y a fort à parier que la majorité partira sur un bon vieux vote protestataire façon 21 Avril (le vintage est à la mode) tandis que les plus téméraires opteront pour l’immolation par le feu sous l’œil avide des caméras… Bref, la « boîte à outils » paraît une fois de plus bien maigre au regard du niveau de frustration record d’une large partie de la population – qui a dit que nous étions assis sur un baril de poudre ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec les états généraux sur la PMA qui se profilent à l’horizon (déjà repoussés à 2014 par le CCNE), les politiques et leurs complices ne vont pas se gêner pour nous rejouer la petite musique du Progrès en marche. Ah, il va vraiment falloir qu’il prenne sur lui l’électeur hideux du Front national !
Pour autant, tout n’est pas encore totalement foutu… Face au discours cathodique ambiant, semble poindre un mouvement de résistance dont l’objet est bien de désacraliser l’incontestable pour mieux lui botter les fesses. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe actuellement sur le terrain économique où de nombreux experts iconoclastes, de Sapir à Gréau, commencent à faire entendre leurs voix dissidentes sur les bienfaits supposés de la monnaie unique – thème évidemment repris sur le tard par les populistes de tous bords. Le refrain suranné du « There is no alternative », si cher à feu Margaret, commence justement à prendre l’eau. Après des années de profonde léthargie, les peuples d’Europe renoncent peu à peu à l’eurobéatitude stérile et réalisent avec effroi que « nous sommes dans un monde de méchants et pas dans un monde de gentils » comme l’a récemment rappelé DSK devant un parterre de sénateurs visiblement peu habitués à tant de violence verbale…
En ces temps difficiles, allons-nous enfin surmonter nos propres tabous jusqu’à réintroduire de la négativité – et donc de la vie – dans une Europe en proie à un angélisme délétère ? Rien n’est moins sûr.
Toujours est-il que le réel reprend du poil de la bête, si bien que la Gauche Illuminée n’a d’autres choix que de se préoccuper de la vraie vie des gens à défaut de poursuivre sa Mission Civilisatrice. C’est en ce sens que la crise actuelle recèle la promesse, sinon des lendemains qui chantent, du moins d’un bon bol d’air frais dans cette ambiance post-historique qui ne dit pas son nom.
*Photo : Mon_Tours.
Bac 2013 : Comment je suis tombé sur la perle rare
Elles sont grosses, mais elles ne vous déçoivent pas. Les années passent, mais elles vous restent fidèles. Je veux parler des perles du bac. La livraison 2013 est si bonne qu’elle ne nous suffit plus. Les regards se tournent déjà vers 2014. On en redemande. Certaines bévues sont si comiques qu’elles semblent légitimer le caractère annuel de cet examen.
« Le travail n’est pas toujours révélateur d’un potentiel : par exemple, certains élèves de ma classe n’ont rien fait pendant l’année et ils auront quand même leur bac. »
Ou encore :
« On voit que l’Union Européenne occupe une place centrale dans les échangismes internationaux. »
Ou encore :
« Grâce à la montée de l’islamisme qui sont austère au politique occidentaux, cette austerité atteind son paroxisme le 11 septembre 2011 lors de l’attentat contre les Etats-unis sur les deux tours jumelles du world trade senteur. »
Ou encore :
« En 1792 les Français déclarent la guerre à plusieurs pays d’Europe pour leur apporter la paix. »
Quelle justesse dans l’erreur ! Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que cette forme d’humour ne m’apparaisse supérieure à l’humour belge, ce qui n’est pas peu dire. Pourtant, c’est en lisant une étude tout à fait sérieuse que je suis tombé sur la perle rare. J’étais assis à la bibliothèque, et je préparais tranquillement mon prochain séminaire sur la notion de dette lorsque j’ai lu ceci : « La liberté moderne est essentiellement l’absence de dette (…) C’est un fait que nous expérimentons quotidiennement. Nous sommes tous ravis de nous libérer d’une dette négative grâce au marché et au mécanisme monétaire. » Ravis ? Grâce au marché ? Quelle pénétrante analyse ! Quelle description on ne peut plus exacte de notre situation réelle ! Précisons que l’auteur est professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique. Je pense que dans ce titre, c’est surtout le dernier mot qui est important. Flaubert nous avait prévenus : traitée sans ménagement par la littérature, c’est auprès de la science que la stupidité humaine trouvera refuge et consolation. Sans doute n’est-il pas inutile de s’en rappeler à l’heure où l’on fait circuler ce florilège estudiantin. Si les élèves peuvent commettre des bourdes, la palme de la bêtise reviendra toujours à leurs professeurs.
Après l’Empire
« Qui se souviendra des hommes ? », se demandait Jean Raspail. Les historiens − on ne peut pas leur en vouloir − rendent compte des batailles et des grands hommes, décryptent des tendances lourdes et abstraites. Grâce à eux, on comprend parfois mais on ne sent jamais. Se souvenir des hommes, seuls les écrivains, les romanciers, peuvent s’y risquer. Pour faire non pas des romans « historiques » mais des romans qui incarnent l’Histoire à travers quelques personnages, souvent oubliés des manuels − personnages qui font l’amour, saignent, prient, meurent devant nos yeux.
Dans L’Écriture du monde, Taillandier cherche à saisir ce qui a fait la naissance de l’Occident, ce qui fonde son identité. Ce n’est pas évident : les siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain sont souvent appelés obscurs. Ils étaient pourtant peuplés de figures lumineuses d’érudits dévoués au bien commun : pères de l’Église essayant de mieux tracer les contours de la figure de Dieu pour mieux tracer celles des hommes, rois que l’on appelait « barbares » et qui, pourtant, comme Théodoric en Italie, paraissaient bien plus civilisés que les maîtres de Byzance.
Taillandier a choisi trois grands seconds rôles pour illustrer ce temps plein de métamorphoses violentes et incertaines. Il y a d’abord Cassiodore, un Romain qui sait que Rome n’existe plus mais qu’elle reste une donnée spirituelle de l’Histoire. Il conseille Théodoric, il comprend quel jeu serré il faut jouer entre les différents rois barbares, les tenants de la vieille Rome, les Byzantins. Il comprend aussi que le christianisme peut être le ciment de cette civilisation fragmentée à condition qu’il ne cherche pas à éradiquer tout ce qui l’a précédé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est aussi ce que pensera le jeune Léandre en visitant, après la mort de Cassiodore, le monastère créé par ce dernier où l’on fabrique, recopie et conserve les livres alors que, dehors, les temps sont redevenus confus. Il y a enfin la belle figure de Théolinda. Elle se regardait nue à 12 ans dans les miroirs avant de tracer les propres lignes de son destin de princesse germanique. Elle va inventer une nouvelle géopolitique en refusant un mariage pour épouser un roi lombard qui terrorise le Nord de l’Italie : « Les Gaules étaient franques, l’Espagne wisigothe : l’Italie deviendrait la gloire des Lombards. Elle s’étonnait que de telles idées puissent se former en elle, à qui personne n’avait songé à enseigner l’art du gouvernement. »
Dans La Grande Intrigue, son précédent cycle romanesque, Taillandier racontait la dissolution de l’Occident dans ce qu’il appelait l’Option Paradis. Assez logiquement, après avoir autopsié le cadavre, il nous invite, dans ce premier volume d’un autre cycle, à assister aux premiers pas du nouveau-né. C’est tout aussi ambitieux et réussi. Même si on connaît la fin.[/access]
L’Écriture du monde, François Taillandier (Stock).
*Photo: Le sac de Rome par les Barbares en 410. Joseph-Noël Sylvestre, 1890.
UMP incorporated
Evidemment, du côté de Montebourg et du redressement productif, on se tait. C’est vainement que l’on attend que le flamboyant ministre, qui lui a le droit de l’ouvrir sans se faire démissionner, se prononce sur la crise sans précédent que traverse un des fleurons de notre industrie politique, l’UMP. Mais rien du côté de Bercy, par la moindre annonce, pas de propositions de repreneurs ou de nationalisation temporaire.
A travers l’UMP et ses 11 millions d’euros de trou dans ses fonds propres, la vraie question qui se pose en fait à notre France en passe de devenir un désert industriel, est : y a t il encore des parts de marchés pour la droite française concurrencée par des firmes plus jeunes, à la stratégie commerciale plus agressive comme le FN ou l’UDI ? Peut-on encore compter sur un milieu de gamme entre le centre et l’extrême droite ?
La tentative de recapitalisation sous la houlette de l’ancien PDG Nicolas Sarkozy en lançant un appel aux petits actionnaires sera-t-elle suffisante ? On peut en douter. Mais faut-il vraiment se réjouir de cet échec programmé ? L’UMP, comme PSA, c’est plus qu’une marque, c’est un esprit, un symbole d’une France capable de construire chez elle des voitures et de produire sa propre droite avec cette french touch venue du gaullisme qui en fait ou en faisait tout le charme. Certes, cette french touch avait pâli avec le temps, et c’est bien là le problème.
Souvenons-nous : comme toute les grandes marques qui savent s’adapter au marché, l’UMP a souvent changé de nom contrairement à ces ringards de gauche qui s’appellent PCF depuis 90 ans ou PS depuis plus de quarante. Avant, comme Orange s’appelait France Telecom, l’UMP s’appelait le RPR et avant encore l’UDR et avant encore l’UNR et avant encore le RPF. En fait, le problème est peut-être là. Chacun de ses changements de nom a éloigné l’UMP de son positionnement original qui était le gaullisme. Le gaullisme, produit typiquement français, était une forme de droite de gauche, colbertiste, étatiste et assez ombrageuse sur la souveraineté nationale. Ce n’était pas exportable mais au moins, sur le marché intérieur, ça a longtemps été un produit phare, au point de mettre le gaullisme en position de quasi monopole à droite et de rassembler suffisamment large pour n’avoir à gauche que les communistes en guise de concurrents.
Mais, dans un souci de modernisation, la métamorphose a commencé avec le PDG Georges Pompidou qui a dissous le gaullisme dans les scandales immobiliers, le périphérique et l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE. En se ralliant un temps à l’entreprise UDF de VGE, Jacques Chirac, qui devait plus tard fonder le RPR puis l’UMP avec Alain Juppé, accentua cet éloignement du cœur de métier gaulliste tel que l’avait défini Malraux, un des communicants du fondateur de la marque : « Le gaullisme, c’est le métro à six heures du soir. »
L’intervention de Nicolas Sarkozy, en plus, n’est pas sans poser quelques problèmes au conseil d’administration de l’UMP. Derrière les sourires de façade, on n’est pas forcément enchanté de voir revenir celui dont la stratégie de délocalisation vers les idées de la droite extrême à l’époque où il présidait les destinées de l’entreprise a certes fait gagner de la clientèle sur la boîte dirigée par Marine Le Pen. Mais, en contrepartie, ce virage à droite a accéléré par ailleurs la création de l’UDI, cette moyenne entreprise constituée de filiales centristes qui ont pris leur autonomie en mutualisant leurs moyens.
Il est impossible de savoir si la faillite de l’UMP et de Sarkozy en mai 2012, qui échouèrent face à la concurrence de la holding PS-PRG-EELV, est due à la méfiance des actionnaires centristes (on se souvient de la réaction très hostile de la TPE du Modem) qui ont fait défection au dernier moment ou si, au contraire, il aurait fallu aller encore plus loin en allant chercher la clientèle sur les segments habituels où opère le FN devenu spécialiste dans des produits qui plaisent beaucoup en ces temps de crise : insécurité, immigration, islamisme.
En fait, l’UMP est une entreprise qui n’a jamais vraiment bien trouvé sa place ni sa stratégie comme l’a illustré l’affrontement de l’automne dernier entre un dirigeant qui voulait faire dans la viennoiserie à usage des quartiers populaires tandis que l’autre visait une stratégie européenne. Si on excepte la prise de contrôle majoritaire de la France en 2007, le reste des tentatives de diversification électorale se sont d’ailleurs révélées des échecs cuisants. L’UMP, entièrement centrée sur l’objectif France, s’est révélée un outil inadapté pour conquérir des régions, des départements, des mairies ou même des sièges de députés européens, ce qui explique en partie ses difficultés d’aujourd’hui puisque, avant même le rejet de ses comptes par l’Autorité des marchés financiers, euh pardon, par le Conseil Constitutionnel, elle avait tout de même un découvert de 56 millions d’euros dû pour l’essentiel à ses revers locaux.
Il semble donc urgent, encore une fois, que les pouvoirs publics se penchent sur le destin de l’UMP. Le groupe risque en effet des OPA hostiles à l’approche des élections municipales et européennes, voire un démantèlement pur et simple. Il y aurait les filières jugées encore rentables pour le Front National qui se verrait bien racheter la Droite Forte et la Droite Populaire tandis que l’UDI prendrait une participation majoritaire chez les humanistes et les européens.
Quant aux filières obsolètes, comme le gaullisme social ou le souverainisme, il faudra de toute façon se résigner à les sacrifier, c’est encore moins rentable qu’un haut fourneau. Autant faire une croix dessus. Une croix de Lorraine évidemment.

Ce fut, paraît-il, un combat homérique entre les forces du passé et le parti de l’avenir. Qu’on se rassure, le passé a été vaincu. Mais personne ne s’attendait à ce qu’il oppose une telle résistance. La France des familles, qui a déboulé sur la scène publique avec la Manif pour tous, semblait avoir intériorisé sa défaite. Elle rasait les murs pour aller à la messe, et se résignait à être la tête de Turc des amuseurs appointés et autres faiseurs d’opinion. Quand ils s’amusaient à la faire enrager en vomissant ou en moquant ses bondieuseries, seule une infime minorité réagissait, à coups de prières, de processions et d’imprécations contre les modernes et la modernité. Pour la joie de ses tourmenteurs, qui trouvaient dans ces accès de rage sans direction ni lendemain la preuve inespérée que le péril (homophobe, réactionnaire ou catho-intégriste) qu’ils dénonçaient bruyamment était bien réel. Alliés objectifs, Jean-Michel Ribes et Civitas faisaient le spectacle.
