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Fioraso lutte contre les inégalités intellectuelles

La bourse au mérite, qui récompensait les élèves ayant obtenu mention Très Bien au bac dont les parents ne sont pas imposables, sera  abolie dès la rentrée prochaine, a annoncé l’extraordinaire Geneviève Fioraso. Au nom de la courageuse réduction des déficits publics, et sous le prétexte vaseux d’un « redéploiement de moyens », le gouvernement choisit de supprimer une mesure plus symbolique que coûteuse (50 millions par an contre 2.5 milliards pour les bourses sociales), qui incarnait pourtant une certaine idée de l’école. Un idéal méritocratique qui permit notamment au petit Charles, fils d’une rempailleuse de chaises, et au petit Albert, fils d’une femme de ménage analphabète, de devenir les grands Péguy et Camus (et oui, sachez-le, sans les bourses au mérite les deux écrivains auraient fini respectivement curé de campagne et gardien de chèvres, et on aurait été bien embêté).
Mais la gauche bourdieusienne a vite oublié cette idée que le talent pouvait être un levier pour s’émanciper de la misère sociale. Aux chiottes l’idée darwinienne – pour ne pas dire raciste – selon laquelle les meilleurs devraient être récompensés : du social, et puis c’est tout ! Au nom de l’œuvre irréfutable du sociologue, elle considère le mérite comme un privilège, et regarde ceux qui réussissent avec un œil suspicieux et envieux – ce que Nietzsche appelait le « ressentiment du rachitique ». L’école étant désormais  le « lieu de reproduction des inégalités sociales » (Bourdieu), elle doit nécessairement devenir celui de l’assistanat. Résultat : elle devient de plus en plus le lieu de production du nivellement intellectuel, et la bourse au mérite était l’un des derniers garde-fous qui permettait de juguler cette égalitarisation par le bas.
Pour poursuivre ce beau travail de rabotage, je propose d’attribuer une bourse d’excellence à ceux qui réussissent encore à rater leur bac. En vérité, je vous le dis, ceux là sont les vrais méritants, car échouer à cette réussite programmée par le laxisme bienveillant de l’éducation nationale, c’est un peu comme gagner le tour de France sans stéroïdes anabolisants. Sachons les récompenser.

Les infortunes du réel

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Le réel a disparu. Il a été kidnappé. Après tout, qui s’en plaindra, à part quelques réacs patentés – et quelques électeurs grognons qui subissent leur déplorable influence ? On se demande ce qu’ils lui trouvent, à leur réel, qu’ils appellent aussi Histoire. Le côté rétro sans doute. Au cinéma, ça a son charme. En trois dimensions, c’est moins reluisant : beaucoup de bruit, et je ne vous parle pas des odeurs. Le réel, ça pue. Et les ravisseurs ont la narine délicate.
Bon débarras. Dans ce réel de triste mémoire, les États avaient des ennemis, à qui ils faisaient la guerre, et des alliés, qu’ils espionnaient. Ce n’était pas très gentil. Il fallait que cela cesse, notre Président ne le lui a pas envoyé dire, à Obama. Désormais, ou c’est imminent, les gentils pays ont de gentils amis avec lesquels ils négocient de gentils accords, quoi qu’il n’y ait plus rien à négocier : ce qui est à nous est à eux et ce qui est à eux est à nous. Il faudrait songer à prévenir les Américains, les Chinois et les autres, parce qu’ils semblent avoir zappé une partie de ce gentil programme. Ce n’est pas faute de se mettre en quatre pour leur être agréables : chez nous, les jeunes du monde entier pourront étudier en anglais. Il serait discourtois de les inviter à apprendre notre langue, avec ses chichis et affèteries. Ainsi, ils auront l’impression d’être chez eux, la Tour Eiffel en plus.
Ah, il a bonne mine, votre réel : division compétition, confrontation. Des gens qui n’aiment pas vivre ensemble. Des cultures qui se regardent en chiens de faïence. Des différences parfois irréconciliables – au XXIe siècle, il faut oser. Et des fous du réel qui brandissent une règle commune, ils l’appellent laïcité. À les entendre, elle est menacée tous les quatre matins. Sauf que, pour eux, toutes les menaces ne se valent pas. Ils se disent gênés de ne croiser que des femmes voilées au supermarché, mais trouvent  normal que, dans tous les villages de France, il y ait une église, et pas de synagogue ni de mosquée.
Le réel ment. En tout cas, il exagère beaucoup. C’est Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, qui le dit. Dans un rapport remis le 25 juin au Premier ministre, il est formel : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité. » Le problème, ce sont les laïques qui se livrent à « une dramatisation politique de ces sujets ». Et la « montée évidente de l’islamophobie dans le pays ».[access capability= »lire_inedits »]
Pourtant, un autre réel est possible. Avec les bonnes lunettes, on voit que toutes les religions, toutes les cultures, toutes les civilisations se donnent la main ; que les peuples sont frères et les nations en couple ; que les électeurs socialistes ne votent jamais pour le Front national. Certes, il reste quelques réglages à faire pour effacer toute trace du monde ancien. À commencer par ces gens, sans doute un peu simples, qui voient du réel partout, et qui n’en sont guère satisfaits. Pourtant, quand on leur dit que leur réel n’existe pas, c’est pire, ils deviennent dingues. À leur décharge, ils aimeraient bien, eux aussi, faire partie de la France des rappeurs et des webdesigners[1. Cette heureuse synthèse sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]et vivre un multiculturalisme apaisé dans du Haussmann starckisé. Las, dans la néo-réalité, il n’y a pas de place pour eux.
En attendant, le réel n’est pas perdu pour tout le monde. Il faudrait arrêter de la prendre pour une blonde, la blonde ! Elle a compris qu’il lui suffisait de dire aux gens qu’elle voit ce qu’ils voient pour qu’ils la suivent. On essaye de lui coller un procès en nazisme pour avoir parlé de l’occupation de rues par des musulmans qui priaient, mais si ça se trouve, le juge dira que, quand on occupe des rues, c’est une occupation. Et puis tous ces gens simples, ils n’aiment pas trop ça, les prières de rue – islamophobes, vous dis-je. Quand on accuse leur Marine d’« incitation à la haine raciale[2. Quelques heures après la levée, par le Parlement européen, de l’immunité parlementaire de Marine le Pen, dans le cadre d’une enquête pour « incitation à la haine raciale », plus de 20 000 personnes avaient signé une pétition en sa faveur.] », ils pensent, eux, qu’il n’y a dans ses propos ni haine, ni incitation, ni race[3. Que Cyril Bennasar soit remercié pour ce raccourci].C’est ballot.
Alors je me demande si, à force de taper sur le réel, il ne va pas finir par tomber dans de mauvaises mains. C’est ce que pensent mes amis réactionnaires (oui, j’ai des amis réactionnaires). Ils disent que le réel, c’est la nuance, la complexité, la dialectique. Qu’il faut en parler avec délicatesse. Et que Marine Le Pen manque de délicatesse. Que c’est une chose d’entendre ce que les gens disent, et une autre de leur dire ce qu’ils veulent entendre, une chose de comprendre la langue des bistrots, une autre de la parler. Mes amis réacs se sont étranglés quand, sur France Inter, elle a expliqué à un étranger installé depuis vingt ans en France  que, s’il perdait son boulot, il perdrait son titre de séjour quelques mois plus tard. Pour la présidente du FN, il y a un ticket-retour : on vient en France pour travailler ; quand on n’a plus de travail, on rentre chez soi. Mes amis réacs pensent qu’il faut arrêter ou réduire drastiquement les flux migratoires, sans doute restreindre le regroupement familial. Pour eux, il y a un seul domaine où la préférence nationale est légitime: la définition des règles. Mais ils ne veulent pas d’un monde où chacun devrait rentrer « chez soi » après le boulot. Parce que, disent-ils, si on n’a qu’une patrie, on peut avoir de multiples chez-soi. N’empêche, ils ont peut-être raison : on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve.[/access]

*Photo : herstalle

Europe : croisade contre la croix

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europe laicite christianisme

Dans un article intitulé « Une Europe plus laïque, divisée par la croix »  le New-York Times s’interroge sur le déni des « racines chrétiennes » de l’Europe par les autorités politiques de l’Union.
Le NYT évoque un épisode éminemment significatif, mais peu commenté dans les médias français. En novembre dernier, la Commission européenne a ordonné qu’on retire les symboles religieux  qui décoraient des euros commémoratifs célébrant le 1150ème anniversaire de l’arrivée de Cyrille et Méthode en Slovaquie, où ils apportèrent le christianisme : les croix et les auréoles entourant les deux saints étaient jugés incompatibles avec le principe d’une Union laïque, bureaucratique, et culturellement neutre. Tout un symbole, quant on sait que les deux saints avaient étés sacrés co-patrons de l’Europe par Jean-Paul II en 1985.
La décision a provoqué un tollé chez les élites religieuses et politiques du pays, à tel point que la Commission européenne a finalement dû s’incliner. L’archevêque de Bratislava Zvolensky s’est insurgé contre ce « sécularisme militant », déclarant : « il y a dans l’UE un mouvement qui veut imposer une neutralité religieuse absolue et récuse toute forme de tradition chrétienne ».
En réalité, il s’agit moins de « christianophobie », que d’un rejet général de toute forme d’héritage, qu’il soit religieux, culturel ou philosophique : l’Union Européenne se veut avant tout un espace politique post-historique où les individus, jouissant de la liberté suprême de ne pas avoir de passé, ne seraient unis que par les seuls liens du libre-échange et de la démocratie représentative.
D’où cette « Europe divisée par la croix » décrite par le quotidien américain. D’un côté, les pays d’Europe de l’Ouest, la France et le Royaume-Uni[1. Où un récent sondage indique que davantage de personnes croient aux extra-terrestres qu’en Dieu.] en tête, où la religion comme affaire privée et la neutralité axiologique de l’Etat[2. Assumée par l’Etat libéral anglo-saxon, la neutralité axiologique règne aussi en France puisque la République ne reconnaît que des individus égaux en droits unis au sein d’une communauté nationale érigée au rang de mythe.] sont des dogmes unanimement acceptés. De l’autre, les pays récemment sortis du bloc soviétique, où la religion imprègne encore fortement le tissu social, ont encore la prétention de rester dans l’histoire et s’entêtent à défendre leur identité nationale.
À sa création, l’UE, influencée par les démocrates-chrétiens (Gasperi, Adenauer, Schuman, Spaak) baignait dans des références historiques aussi bien païennes (le mythe d’Europe, entre autres) que chrétiennes qui exprimaient la volonté de s’inscrire dans un projet historique spécifique.
Le drapeau de l’Union, dessiné par Arsène Meitz, un catholique français, fait ainsi ostensiblement allusion au manteau bleu de la Vierge Marie et à sa couronne de 12 étoiles. Aujourd’hui, cette évidence a été réinterprétée dans un sens purement profane par la bureaucratie bruxelloise, qui lui dénie tout caractère religieux : « il symbolise l’idéal d’unité, de solidarité et d’harmonie », explique un fonctionnaire.
Dans ce reniement, la France est plus que jamais le coq de l’évangile. Ainsi était-ce Jospin, qui, en 2001, avait insisté pour que la référence à l’héritage « religieux » de l’Union soit effacée du projet de Constitution et remplacée par la simple mention d’une « conscience spirituelle et morale » délestée de tout héritage historique européen. Même les pauvres Grecs se sont vu refuser l’entrée dans la Constitution européenne, alors que leur héritage philosophique et civilisationnel est peu suspect de récupération ethnique ou religieuse, et moins « clivant » que la référence chrétienne. Dans une tribune publiée par Libération en 2004, plusieurs intellectuels, dont Paul Thibaud et Philippe Raynaud, s’indignaient de l’« hyperdémocratisme autosuffisant de nos éminences » après le rejet par les bureaucrates d’une phrase de Périclès sur la démocratie qui devait servir d’exergue à la Constitution, sous prétexte que la démocratie athénienne n’était pas assez « morale » (il y avait des esclaves, et les femmes ne votaient pas : ah les salauds !).
Ce rejet des différentes strates de l’histoire européenne est sans doute symptomatique de la victoire de la stratégie économiste à la Monnet sur le rêve d’une Europe culturelle. Depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dans les années 1950, la construction européenne s’est appuyée sur l’économie plutôt que sur un legs culturel, philosophique ou religieux. La main invisible plutôt que l’identité, tel est le credo artificialiste de l’UE.
Résultat, le déni de ses racines a fait de  l’UE un « monstre froid », sans mémoire et sans âme, dirigé par une élite acculturée, qui invente une mythologie et des veaux d’or, comme la monnaie unique, pour pallier à ce déracinement.
Peu de médias l’ont relevé mais Angela Merkel a récemment déclaré : « Nous n’avons pas trop d’Islam, nous avons trop peu de christianisme », soulignant ainsi que la menace ne vient pas d’un ennemi extérieur selon elle fantasmé, mais du refus de l’identité chrétienne du vieux continent. Cette révision de sa propre histoire est particulièrement prégnante en France. Dans le culte hexagonal de la repentance,  le « sanglot de l’homme blanc » (Bruckner) qui nous pousse à réécrire l’histoire suivant nos catégories morales d’aujourd’hui,  peut-être faut-il voir la conséquence d’une conception laïcarde de la société qui confine à la haine de soi. Contre cette amnésie, nos partenaires allemands cultivent une vision plus « romantique » de l’identité européenne, où du moins « hégélienne » : les institutions s’enracinent dans un monde vécu et une histoire. À ce titre, les piliers chrétiens pourraient davantage emporter l’adhésion des peuples que toutes les déclarations des droits possibles et imaginables.
Telle serait la voie de salut possible pour la crise de civilisation européenne : chercher non plus le comment de l’Europe, mais son pourquoi.
Plus que jamais, le passé est l’avenir de l’Europe.

PMA, GPA, Europe à 32… Peut-on encore dire merde à l’Inéluctable ?

pma gpa euro

S’il est une chose à retenir de l’épisode Manif pour Tous, c’est bien l’entreprise réussie de délégitimation du mouvement, savamment orchestrée par un pouvoir en mal de marqueurs sociaux, et diligemment relayée par un système médiatique en ordre de bataille à l’occasion de cette étape Historique. Pour toutes celles et ceux qui ont ressenti l’impérieuse nécessité de se mobiliser contre la défiguration programmée de notre Code civil, il reste le goût amer de ne pas avoir été considéré comme un adversaire régulier, digne de produire des arguments recevables dans le cadre d’un affrontement civilisé. Alors que nous avions naïvement espéré un débat de fond à la hauteur des enjeux (y a t-il oui ou non une alternative au rouleau compresseur de l’Indifférencié ?), Sainte Najat a finalement déçu en optant pour un blitzkrieg médiatique dont l’arme privilégiée fut, une fois de plus, la diabolisation de l’ennemi (halte aux fachos en capuchon rose !). Evidemment, une telle tactique présente un avantage de taille : pourquoi ouvrir la porte à un vrai débat avec de faux réacs – et ainsi prendre le risque inutile de ragaillardir des millions de français jusqu’alors tétanisés par l’inéluctable marche du Progrès – alors qu’il suffit de caricaturer allégrement les protagonistes d’une manif dont on trouvera bien, parmi eux, une poignée de dégénérés fascisants à même de s’adjuger une place de choix dans le zapping de Canal ? Ce qu’il y a de vraiment pratique avec les extrémistes de service, c’est qu’on est en droit de les ignorer royalement (« we don’t negotiate with terrorists »), on se doit plutôt de les rééduquer, voir de les humilier en public, pour ensuite s’offusquer de la violence dont certains font preuve, faute d’être véritablement entendus, violence elle-même récupérée pour mieux diaboliser l’ensemble du groupe. Imparable.
Il est toujours croustillant de noter à quel point la gauche est prompte à convoquer le Mal absolu pour mieux légitimer ses projets de mutilation du réel; « homophobes », « réacs », « intégristes », autant d’épouvantails visant à disqualifier d’entrée la malheureuse famille tradi, pour ne pas dire ringarde, pour qui la pilule du Progrès ne passe pas, mais alors pas du tout ! Et voilà comment, par un tour de passe-passe médiatique dont seule la mairie de Paris a le secret, la Manif pour Tous devient l’Amicale des nostalgiques du Maréchal (un peu comme lorsque l’on substitue sciemment les fameux « ultras » aux sacro-saints « jeunes de banlieues » pour ne pas écorner le political correctness de mise dans notre beau pays). La joute argumentative, inévitablement contradictoire et anxiogène, qu’un tel sujet aurait sans doute mérité, s’est une fois de plus volatilisée au profit de la morale publique triomphante. Rien de nouveau sous le soleil.
Dès lors, une question se pose : dans un monde où la dialectique a laissé place à l’épuration systématique, où la moindre voix contradictoire est étouffée par le vrombissement de la bien-pensance made in France Télévisions, quelle marge de manœuvre reste t-il à l’individu pour faire entendre sa voix ? De quels outils démocratiques dispose t-il pour rendre compte du sentiment de dépossession qui l’afflige ? Il y a fort à parier que la majorité partira sur un bon vieux vote protestataire façon 21 Avril (le vintage est à la mode) tandis que les plus téméraires opteront pour l’immolation par le feu sous l’œil avide des caméras… Bref, la « boîte à outils » paraît une fois de plus bien maigre au regard du niveau de frustration record d’une large partie de la population – qui a dit que nous étions assis sur un baril de poudre ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec les états généraux sur la PMA qui se profilent à l’horizon (déjà repoussés à 2014 par le CCNE), les politiques et leurs complices ne vont pas se gêner pour nous rejouer la petite musique du Progrès en marche. Ah, il va vraiment falloir qu’il prenne sur lui l’électeur hideux du Front national !
Pour autant, tout n’est pas encore totalement foutu… Face au discours cathodique ambiant, semble poindre un mouvement de résistance dont l’objet est bien de désacraliser l’incontestable pour mieux lui botter les fesses. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe actuellement sur le terrain économique où de nombreux experts iconoclastes, de Sapir à Gréau, commencent à faire entendre leurs voix dissidentes sur les bienfaits supposés de la monnaie unique – thème évidemment repris sur le tard par les populistes de tous bords. Le refrain suranné du « There is no alternative », si cher à feu Margaret, commence justement à prendre l’eau. Après des années de profonde léthargie, les peuples d’Europe renoncent peu à peu à l’eurobéatitude stérile et réalisent avec effroi que « nous sommes dans un monde de méchants et pas dans un monde de gentils » comme l’a récemment rappelé DSK devant un parterre de sénateurs visiblement peu habitués à tant de violence verbale…
En ces temps difficiles, allons-nous enfin surmonter nos propres tabous jusqu’à réintroduire de la négativité – et donc de la vie – dans une Europe en proie à un angélisme délétère ? Rien n’est moins sûr.
Toujours est-il que le réel reprend du poil de la bête, si bien que la Gauche Illuminée n’a d’autres choix que de se préoccuper de la vraie vie des gens à défaut de poursuivre sa Mission Civilisatrice. C’est en ce sens que la crise actuelle recèle la promesse, sinon des lendemains qui chantent, du moins d’un bon bol d’air frais dans cette ambiance post-historique qui ne dit pas son nom.

*Photo : Mon_Tours.

Bac 2013 : Comment je suis tombé sur la perle rare

Elles sont grosses, mais elles ne vous déçoivent pas. Les années passent, mais elles vous restent fidèles. Je veux parler des perles du bac. La livraison 2013 est si bonne qu’elle ne nous suffit plus. Les regards se tournent déjà vers 2014. On en redemande. Certaines bévues sont si comiques qu’elles semblent légitimer le caractère annuel de cet examen.
« Le travail n’est pas toujours révélateur d’un potentiel : par exemple, certains élèves de ma classe n’ont rien fait pendant l’année et ils auront quand même leur bac. »
Ou encore :
« On voit que l’Union Européenne occupe une place centrale dans les échangismes internationaux. »
Ou encore :
« Grâce à la montée de l’islamisme qui sont austère au politique occidentaux, cette austerité atteind son paroxisme le 11 septembre 2011 lors de l’attentat contre les Etats-unis sur les deux tours jumelles du world trade senteur. »
Ou encore :
« En 1792 les Français déclarent la guerre à plusieurs pays d’Europe pour leur apporter la paix. »
Quelle justesse dans l’erreur ! Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que cette forme d’humour ne m’apparaisse supérieure à l’humour belge, ce qui n’est pas peu dire. Pourtant, c’est en lisant une étude tout à fait sérieuse que je suis tombé sur la perle rare. J’étais assis à la bibliothèque, et je préparais tranquillement mon prochain séminaire sur la notion de dette lorsque j’ai lu ceci : « La liberté moderne est essentiellement l’absence de dette (…) C’est un fait que nous expérimentons quotidiennement. Nous sommes tous ravis de nous libérer d’une dette négative grâce au marché et au mécanisme monétaire. » Ravis ? Grâce au marché ? Quelle pénétrante analyse ! Quelle description on ne peut plus exacte de notre situation réelle ! Précisons que l’auteur est professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique. Je pense que dans ce titre, c’est surtout le dernier mot qui est important. Flaubert nous avait prévenus : traitée sans ménagement par la littérature, c’est auprès de la science que la stupidité humaine trouvera refuge et consolation. Sans doute n’est-il pas inutile de s’en rappeler à l’heure où l’on fait circuler ce florilège estudiantin. Si les élèves peuvent commettre des bourdes, la palme de la bêtise reviendra toujours à leurs professeurs.

Les invités-surprise

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Ce fut, paraît-il, un combat homérique entre les forces du passé et le parti de l’avenir. Qu’on se rassure, le passé a été vaincu. Mais personne ne s’attendait à ce qu’il oppose une telle résistance. La France des familles, qui a déboulé sur la scène publique avec la Manif pour tous, semblait avoir intériorisé sa défaite. Elle rasait les murs pour aller à la messe, et se résignait à être la tête de Turc des amuseurs appointés et autres faiseurs d’opinion. Quand ils s’amusaient à la faire enrager en vomissant ou en moquant ses bondieuseries, seule une infime minorité réagissait, à coups de prières, de processions et d’imprécations contre les modernes et la modernité. Pour la joie de ses tourmenteurs, qui trouvaient dans ces accès de rage sans direction ni lendemain la preuve inespérée que le péril (homophobe, réactionnaire ou catho-intégriste) qu’ils dénonçaient bruyamment était bien réel. Alliés objectifs, Jean-Michel Ribes et Civitas faisaient le spectacle.

Le débat sur le « mariage pour tous » démarrait donc sous les meilleurs auspices. Le camp du Progrès allait jouer à se faire peur pour pouvoir, ensuite, d’autant mieux écraser l’infâme que l’infâme était plutôt chétif.
En lieu et place des phalanges excitées et des groupuscules folkloriques qu’on attendait, c’est le pays catho, provincial et convenable qui s’est rappelé à notre bon souvenir. En quelques semaines, des mères de famille dépourvues de toute expérience militante se sont transformées en manifestantes chevronnées, des fils de famille peu portés à l’engagement, hormis pour réussir leur prépa, ont découvert l’âcreté des gaz lacrymogènes, des lycéens protégés des bruits du monde par les murs de leurs écoles privées ont appris l’art de la banderole. Que des défenseurs supposés de l’ordre bourgeois s’emparent de la grammaire de la contestation, voilà qui n’était pas prévu au programme. Sur l’autre rive, on hésitait entre la stupéfaction et l’indignation. Une manif de droite, ça ressemblait à une usurpation.
Qui sont ces gens et que veulent-ils ? À ces questions apparemment simples, il n’y a pas de réponses simples.
Observateurs et acteurs tournent autour du pot (et nous avec), dans l’espoir de trouver la formule ou le concept qui rendra lumineuse une réalité d’autant plus opaque qu’elle est formée de plusieurs strates. Des cathos, certes, en tout cas dans leur écrasante majorité, mais quel genre de cathos ? En vérité, de tous les genres : conciliaires et tradis, exaltés et tranquilles, libéraux et décroissants. Tous les genres, à la notable exception du catho de gauche, espèce qui a peut-être sombré dans la tourmente. L’une des conséquences de cette poussée de fièvre collective sera sans doute d’avoir durablement ancré à droite le catholicisme français.
Tous cathos ou presque, donc, même si des musulmans se sont mobilisés en nombre significatif, rompant l’alliance tenue pour naturelle entre la gauche et les enfants de l’immigration[1. Les juifs qui n’en pensent pas moins sont restés relativement silencieux, peut-être gênés par le fait que leur voix avait été portée par un texte (excellent au demeurant) signé par le grand rabbin Gilles Bernheim.]. Et avec ça, conservateurs revendiqués : au-delà du mariage à l’ancienne, ils affirment défendre les fondements de notre civilisation menacés, pensent-ils, par l’hédonisme libertaire issu de Mai-68.
Beaucoup sont réfractaires, voire hostiles à la liberté des moeurs. Mais une minorité seulement serait prête, si elle le pouvait, à remettre en cause l’avortement ou les droits des homosexuels. Au plus fort de la mobilisation, toutes les sensibilités, de franchement réac à catho branché, coexistent, non sans mal, dans la MPT, jusqu’à l’éviction de notre amie Frigide Barjot et de ses mini-jupes, quelques jours avant la dernière manif. On voit alors apparaître une minorité dans la minorité, que l’on peut qualifier, sans vouloir l’offenser, de littéralement réactionnaire, sur laquelle la gauche a habilement concentré ses tirs.
Cela n’a fait qu’aggraver un malentendu originel. Tout étonnés de faire l’Histoire, les MPT se sont largement abusés sur l’Histoire qu’ils font s’ils croient avoir initié un « Mai-68 à l’envers ». En première analyse, ce sont bien les « valeurs de 68 » qui creusent la fracture culturelle entre la France des cathos et celle des bobos. Mais ces discours antagonistes cachent une proximité souterraine entre ces deux France qui ne se parlent pas.
Les uns veulent de la norme, les autres veulent que la norme soit l’absence de normes. Chacun fait ce qui lui plaît ! L’arme atomique du combat pour la suprématie culturelle. Qui résisterait à une telle promesse ? Pas votre servante, assurément, mais en réalité, pas non plus ces jeunes gens nouvellement entrés dans la carrière. Car ils sont aussi, à leur façon paradoxale, des enfants de 68. Comme l’observe justement Marcel Gauchet, la tradition qu’ils prétendent ressusciter n’a jamais existé. Le mariage d’amour et de foi qu’ils ont érigé en modèle n’a guère à voir avec le mariage bourgeois, d’intérêts et de convention, pratiqué par leurs grands-parents. Ils se voient en nostalgiques de l’Ancien Régime. Ce sont des modernes.
Ils se fichent des consignes de l’Église, et plus encore de celles des partis. Veulent applaudir le pape sans se cacher. Et même en se montrant. Bref, eux aussi entendent vivre comme il leur plaira. Et le faire savoir. La découverte de la visibilité crée un autre canal de proximité souterraine entre les deux France. Les « cathos » ne se sont pas seulement initiés au vocabulaire de la contestation, ils ont appris la grammaire identitaire. Reste à savoir s’ils opteront pour la voie communautaire qui s’offre à eux. Ils peuvent devenir l’une des minorités qui composent la mosaïque française, et se jeter dans la mêlée pour obtenir à leur profit des accommodements avec la règle commune. Ils auront leur « part du ghetto[2. Vieille blague que je dois à Joseph Macé-Scaron.] », mais perdront leur statut de culture d’accueil. Soit ils incarnent la France, soit ils sont la communauté catholique. Certains investiront sans doute la politique classique. Les « purs » rejoindront les Veilleurs. Les partis de droite lorgnent tous avec convoitise sur ce nouveau marché électoral, tout en proclamant que « surtout, pas de récupération ». En attendant, à l’approche des municipales, les MPT ont table ouverte à l’UMP comme au Front national. Et au PS, la consigne semble être de ne plus les insulter, et même de leur causer meilleur. On a dû se rappeler qu’ils votaient.
L’interminable débat a eu une autre conséquence, plus insidieuse. Loin d’avoir les vertus apaisantes d’un échange civilisé entre les différents secteurs de la société, la foire d’empoigne qu’a été le débat sur le « mariage pour tous » a abouti à un inquiétant durcissement du climat idéologique. On ne s’amusera jamais assez de voir des apôtres ravis du multiculturalisme afficher sans la moindre vergogne leur mépris ou leur haine pour une culture qui a sans doute le défaut de ne pas être assez exotique à leurs yeux. Après des mois de variations sur le thème de l’homophobie, on peut compter sur les chevau-légers de la gauche sociétale pour agiter la menace du « retour de bâton » pour justifier que leurs adversaires soient réduits au silence. L’arbitraire commence avec les petites choses. Pour le jeune homme condamné à passer ses vacances en prison quand les casseurs du Trocadéro se la couleront douce, ce n’est pas une petite chose. Pas une petite chose non plus que Bruno et Virginie Tellenne soient menacés d’expulsion d’un appartement qu’ils occupent en toute légalité, et dénoncés comme de grands bourgeois par des salauds à grande conscience qui mènent la résistance depuis leur terrasse dominant Paris. Enfin, pour la palanquée de hauts fonctionnaires de la Culture qui viennent d’être congédiés sans ménagement par Aurélie Filippetti, ce n’est pas non plus une si petite chose. Vous ne voyez pas le rapport ? Trois points, ça fait une ligne. Bien sûr, on ne peut pas parler de « chasse aux sorcières ». Déjà, de peur d’être mal jugés, ou de devenir tricards on n’ose plus dire tout haut ce qu’on pense. Un jour, on n’osera plus le penser. Ce sera le bonheur pour tous.

Cet article en accès libre ouvre le dossier « Bobos contre Cathos » de Causeur n°4 (nouvelle série) numéro spécial été. Pour lire tous les articles de ce numéro, rendez-vous chez votre marchand de journaux le plus proche ou sur notre boutique en ligne pour l’acheter ou vous abonner : 5,90 € le numéro / abonnement à partir de 14,90 €.

Bobos contre Cathos : le match de l’été !

Bobos contre Cathos, le match de l’été est lancé ! Mariage ou Manif pour tous, that is the question dans une France déchirée en (au moins) deux camps qui se parlent et s’écoutent si peu. Quelques semaines après le vote de la loi Taubira ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, notre numéro estival spécial de 100 pages se penche notamment sur  « la France des familles », selon l’heureuse expression d’Elisabeth Lévy. Pour notre directrice de la rédaction, Bobos et Cathos se ressemblent plus qu’ils voudraient bien l’admettre, « les uns veulent de la norme, les autres veulent que la norme soit l’absence de normes ». L’ordre pour tous, choisissez votre formule à la carte ! Voilà un diagnostic dérangeant pour tous que ne renierait pas Marcel Gauchet. Le directeur du Débat  estime que les foules catholiques de la Manif pour Tous défendent un modèle familial révolu dont ils ressentent (enfin !) la disparition. Aujourd’hui, les Catholiques assument leur « identitarisation » malgré l’opprobre des élites progressistes. Ces « tradis-modernes » pourraient même représenter un recours pour une jeunesse lassée de la décomposition familiale de ses aînés. L’engouement des foules sentimentales cathos pour le pavé inspire d’ailleurs à Gil Mihaely une réflexion sur l’évolution du mouvement qui s’est peu à peu réduit à sa frange la plus déterminée, la stratégie de la rue encourageant les plus militants des catholiques au détriment des volontés de large rassemblement d’une Frigide Barjot. Dans ce numéro décidément riche, l’égérie de la MPT en personne revient sur son éviction en défendant bec et ongles sa ligne pragmatique, républicaine et modérée qui vise à refondre le mariage pour tous en alliance civile, plutôt que d’abroger purement et simplement la loi votée et promulguée.
À en croire certains, le mariage gay ne passerait pas moins sous leurs fourches caudines s’ils arrivaient au pouvoir. C’est ce que répond Marion Maréchal-Le Pen, lorsqu’on lui fait remarquer que la présidente du Front national a ostensiblement boudé les manifs. Quoiqu’elle se dise volontiers plus à droite que sa tante Marine, la jeune députée du Vaucluse se félicite du ni-ni adopté par la direction du FN afin de renvoyer dos à dos UMP et PS. Avec en ligne de mire les municipales de l’an prochain, la benjamine de l’Assemblée nationale espère ratisser large en nouant des alliances locales autour de la défense d’un « passéisme intelligent ». Gare à la concurrence ! Car l’animateur de la Droite forte et vice-président de l’UMP Guillaume Peltier veille scrupuleusement à appliquer la stratégie Buisson au parti de Jean-François Copé. Interrogé par Elisabeth Lévy et Jacques de Guillebon, il se fait le chantre d’une droite conservatrice, chrétienne et laïque consciente de « l’angoisse identitaire, économique et sociale » des Français. Son message aux manifestants du printemps a le mérite d’être clair : « les portes de l’UMP »  leur sont « grandes ouvertes » ! Son camarade Charles Beigbeder pourrait faire sien cet appel. Secrétaire national de l’UMP, et par ailleurs actionnaire de Causeur (chez nous aussi, la transparence c’est maintenant !), il nous livre une tribune libre célébrant la résistance de « la France tranquille » face aux assauts du « libéralisme hédoniste » et présage que « ce courant issu des profondeurs de l’enracinement français va durablement s’installer dans le paysage politique ».
En revanche,  à gauche, on prédit des lendemains qui déchantent au mouvement anti-loi Taubira. Jouant l’apaisement, Christophe Girard, le maire socialiste du 4e arrondissement de Paris, militant de longue date du mariage pour tous, appelle les Français de tous bords au dialogue et à la (ré)conciliation. Au passage, il dément l’existence d’un lobby gay et ne se gêne pas pour ironiser sur les tweets borderline de Pierre Bergé.
Bien moins enthousiaste à l’égard des réformes sociétales, le député socialiste d’Indre-et-Loire Laurent Baumel fondateur du collectif parlementaire de la Gauche populaire nous a confié regretter la longueur qu’a pris le débat sur le mariage pour tous. La priorité aurait dû aller à l’économique et au social, pas aux passages devant le maire et autres layettes, pense-t-il en substance. S’il ne croit pas à l’émergence d’un populisme droitier sur les questions de mœurs, il confesse avoir vu de jeunes musulmans de sa circonscription grossir les rangs de la Manif pour Tous. Un sérieux démenti à l’hypothèse « terra-noviste » d’une coalition progressiste bobos-banlieues ! Comme nous ne lésinons pas sur les moyens, nous avons carrément engagé un correspondant permanent en plein Boboland parisien, place des Abbesses. Louis Lanher endosse ce sacerdoce mojito à la main, et nous décrit par le menu détail les fantasmes de ses amis bobos en quête du Grand soir antifa après la mort tragique de Clément Méric.
Mais commençons à fureter dans la partie actualités de ce numéro spécial. Ce mois-ci, dans son édito, Elisabeth Lévy devise sur « les infortunes du réel ». Le réel, comme disait Lacan, c’est tout ce qui ne se contrôle pas. On peut par contre le cacher sous le boisseau ou le rhabiller de vieux oripeaux râpés. Ainsi du rapport Bianco sur la laïcité dénonçant « stigmatisation » et « islamophobie » sur l’air de Tout va très bien… Mais puisqu’un refoulé, ça finit toujours par revenir, concluons avec notre chère Elisabeth qu’« on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve » ! Vous connaissez la fameuse phrase apocryphe de Malraux sur le XXIe  siècle, religieux, forcément religieux. Ce ne sont pas Antoine Menusier et Malika Sorel qui vous diront le contraire, leurs contributions éclairant le phénomène des convertis à l’islam ainsi que l’érosion de la laïcité française. À lire entre les journaux d’Alain Finkielkraut et de Basile de Koch !
Mise à part l’expo londonienne David Bowie, que Paulina Dalmayer a visitée pour nous, notre roborative rubrique culture vous fera encore une fois voyager, et pas seulement de Philippe Muray à Roland Jaccard. C’est l’été et l’écrivain voyageur Blaise Cendrars entre en Pléiade, il n’en fallait pas plus pour combler d’aise Jérôme Leroy, qui coordonne le mini-dossier « Quand tu aimes, il faut rester » ! L’occasion de détourner Cendrars était trop belle, il faut maintenant en prendre son parti. Notre ami Alain Paucard de Paris, sis dans son éternel 14e arrondissement, nous le dit tout net : « RESTEZ CHEZ VOUS ! ». De quoi conforter E. Marsala dans sa misanthropie émiratie, prétexte à un beau « voyage autour de sa chambre d’hôtel » à Abu Dhabi, dans l’enfer climatisé des non-lieux contemporains. La mer d’Aral et la Corée du nord seront aussi au programme, mais je vous en ai déjà trop dit…
Assez bronzé, lisez maintenant !

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Après l’Empire

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« Qui se souviendra des hommes ? », se demandait Jean Raspail. Les historiens − on ne peut pas leur en vouloir − rendent compte des batailles et des grands hommes, décryptent des tendances lourdes et abstraites. Grâce à eux, on comprend parfois mais on ne sent jamais. Se souvenir des hommes, seuls les écrivains, les romanciers, peuvent s’y risquer. Pour faire non pas des romans « historiques » mais des romans qui incarnent l’Histoire à travers quelques personnages, souvent oubliés des manuels − personnages qui font l’amour, saignent, prient, meurent devant nos yeux.
Dans L’Écriture du monde, Taillandier cherche à saisir ce qui a fait la naissance de l’Occident, ce qui fonde son identité. Ce n’est pas évident : les siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain sont souvent appelés obscurs. Ils étaient pourtant peuplés de figures lumineuses d’érudits dévoués au bien commun : pères de l’Église essayant de mieux tracer les contours de la figure de Dieu pour mieux tracer celles des hommes, rois que l’on appelait « barbares » et qui, pourtant, comme Théodoric en Italie, paraissaient bien plus civilisés que les maîtres de Byzance.
Taillandier a choisi trois grands seconds rôles pour illustrer ce temps plein de métamorphoses violentes et incertaines. Il y a d’abord Cassiodore, un Romain qui sait que Rome n’existe plus mais qu’elle reste une donnée spirituelle de l’Histoire. Il conseille Théodoric, il comprend quel jeu serré il faut jouer entre les différents rois barbares, les tenants de la vieille Rome, les Byzantins. Il comprend aussi que le christianisme peut être le ciment de cette civilisation fragmentée à condition qu’il ne cherche pas à éradiquer tout ce qui l’a précédé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est aussi ce que pensera le jeune Léandre en visitant, après la mort de Cassiodore, le monastère créé par ce dernier où l’on fabrique, recopie et conserve les livres alors que, dehors, les temps sont redevenus confus. Il y a enfin la belle figure de Théolinda. Elle se regardait nue à 12 ans dans les miroirs avant de tracer les propres lignes de son destin de princesse germanique. Elle va inventer une nouvelle géopolitique en refusant un mariage pour épouser un roi lombard qui terrorise le Nord de l’Italie : « Les Gaules étaient franques, l’Espagne wisigothe : l’Italie deviendrait la gloire des Lombards. Elle s’étonnait que de telles idées puissent se former en elle, à qui personne n’avait songé à enseigner l’art du gouvernement. »
Dans La Grande Intrigue, son précédent cycle romanesque, Taillandier racontait la dissolution de l’Occident dans ce qu’il appelait l’Option Paradis. Assez logiquement, après avoir autopsié le cadavre, il nous invite, dans ce premier volume d’un autre cycle, à assister aux premiers pas du nouveau-né. C’est tout aussi ambitieux et réussi. Même si on connaît la fin.[/access]

L’Écriture du monde, François Taillandier (Stock).

*Photo: Le sac de Rome par les Barbares en 410. Joseph-Noël Sylvestre, 1890.

L’infinie sagesse des socialistes français

Je m’aperçois en bavardant dans les cafés que les Français n’ont absolument pas conscience de la chance qu’ils ont de vivre sous un gouvernement socialiste. Et pourtant, les hommes intègres et courageux qui prennent au plus haut niveau (je dis bien : au plus haut niveau ) des décisions tout à la fois justes – la justice sociale est leur boussole – et qui facilitent la vie des citoyens, mériteraient d’être plébiscités plutôt que raillés en permanence.
Grâce à eux, le bac n’est plus distribué parcimonieusement dans des pochettes-surprises, mais sérieusement évalué avant d’être largement distribué. Le taux d’échec recule. Encourager les demeurés plutôt que de les stigmatiser, quelle initiative généreuse et pertinente tout à la fois ! Ces mêmes jeunes disposeront d’emplois aidés, pour leur éviter la peine d’en chercher. Pour les plus âgés, une immolation par le feu devant le Pôle Emploi est recommandée. Nos dirigeants dans leur infinie sagesse s’inspirent du bouddhisme tibétain et, accessoirement, de Keynes qui conseillait d’euthanasier les rentiers comme remède à la crise. Dans le même registre de pacification sociale et d’élévation spirituelle, notre Président clame haut et fort qu’islam et démocratie sont compatibles. Bientôt, ils seront équivalents. Quel dommage qu’on ne s’en soit pas avisé plus tôt……que de vaines querelles et d’aigres débats sur l’occupation religieuse des lieux publics nous auraient été épargnées.
On se réjouira également d’apprendre que les homosexuels peuvent enfin convoler en justes noces et que les portes des pénitenciers ne se refermeront plus sur les petits délinquants. Les vrais escrocs – et il y en a beaucoup plus chez les riches qu’on ne le pensait, depuis les fraudeurs fiscaux jusqu’à celui qui a perverti la Nation Française, un certain Nicolas S. (que son nom soit maudit à tout jamais !) – seront impitoyablement pourchassés. Il est vrai que quelques individus particulièrement cupides et infâmes avaient même réussi à se glisser à l’intérieur du Parti socialiste. Ils ont été débusqués. Et soyez certains, notre Président l’a affirmé, que cela ne se reproduira pas. Des juges vigilants aidés par des journalistes intransigeants veillent nuit et jour à séparer le bon grain de l’ivraie. Enfin, grâce à Manuel Valls, il n’y a plus de rafles chez les Roms, pratique dégradante et néo-nazie de ses prédécesseurs, mais d’aimables reconductions à la frontière. En toute légalité. Qu’on se le dise : la concorde règne enfin sur cette belle terre de France où chaque citoyen est invité à passer ses vacances : il s’y trouvera enfin en paix avec sa conscience morale et politique.
En une année, ce gouvernement a fait des miracles. Et, avec la force de caractère que le monde entier lui reconnaît, il est vraisemblable que notre Président fera reculer la courbe du chômage. Peut-être même la brisera-t-il. Là où Obama a réussi, François Hollande ne peut échouer…… D’autant plus que lui aussi, et vous tous, disposez d’un trésor inexploité : le gaz de schiste. Être si chanceux et ne pas en avoir conscience, quelle ingratitude! Bonnes vacances, quand même…

UMP incorporated

sarkozy ump comptes

Evidemment, du côté de Montebourg et du redressement productif, on se tait. C’est vainement que l’on attend que le flamboyant ministre, qui lui a le droit de l’ouvrir sans se faire démissionner, se prononce sur la crise sans précédent que traverse un des fleurons de notre industrie politique, l’UMP. Mais rien du côté de Bercy, par la moindre annonce, pas de propositions de repreneurs ou de nationalisation temporaire.
A travers l’UMP et ses 11 millions d’euros de trou dans ses fonds propres, la vraie question qui se pose en fait à notre France en passe de devenir un désert industriel, est : y a t il encore des parts de marchés pour la droite française concurrencée par des firmes plus jeunes, à la stratégie commerciale plus agressive comme le FN ou l’UDI ? Peut-on encore compter sur un milieu de gamme entre le centre et l’extrême droite ?
La tentative de recapitalisation sous la houlette de l’ancien PDG Nicolas Sarkozy en lançant un appel aux petits actionnaires sera-t-elle suffisante ? On peut en douter.  Mais faut-il vraiment se réjouir de cet échec programmé ? L’UMP, comme PSA, c’est plus qu’une marque, c’est un esprit, un symbole d’une France capable de construire chez elle des voitures et de produire sa propre droite avec cette french touch venue du gaullisme qui en fait ou en faisait tout le charme. Certes, cette french touch avait pâli avec le temps, et c’est bien là le problème.
Souvenons-nous : comme toute les grandes marques qui savent s’adapter au marché, l’UMP a souvent changé de nom contrairement à ces ringards de gauche qui s’appellent PCF depuis 90 ans ou PS depuis plus de quarante. Avant, comme Orange s’appelait France Telecom, l’UMP s’appelait le RPR et avant encore l’UDR et avant encore l’UNR et avant encore le RPF. En fait, le problème est peut-être là. Chacun de ses changements de nom a éloigné l’UMP de son positionnement original qui était le gaullisme. Le gaullisme, produit typiquement français, était une forme de droite de gauche, colbertiste, étatiste et assez ombrageuse sur la souveraineté nationale. Ce n’était pas exportable mais au moins, sur le marché intérieur, ça a longtemps été un produit phare, au point de mettre le gaullisme en position de quasi monopole à droite et de rassembler suffisamment large pour n’avoir à gauche que les communistes en guise de concurrents.
Mais, dans un souci de modernisation, la métamorphose a commencé avec le PDG Georges Pompidou qui a dissous le gaullisme dans les scandales immobiliers, le périphérique et l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE. En se ralliant un temps à l’entreprise UDF de VGE, Jacques Chirac, qui devait plus tard fonder le RPR puis l’UMP avec Alain Juppé, accentua cet éloignement du cœur de métier gaulliste tel que l’avait défini Malraux, un des communicants du fondateur de la marque : « Le gaullisme, c’est le métro à six heures du soir. »
L’intervention de Nicolas Sarkozy, en plus, n’est pas sans poser quelques problèmes au conseil d’administration de l’UMP. Derrière les sourires de façade, on n’est pas forcément enchanté de voir revenir celui dont la stratégie de délocalisation vers les idées de la droite extrême à l’époque où il présidait les destinées de l’entreprise a certes fait gagner de la clientèle sur la boîte dirigée par Marine Le Pen. Mais, en contrepartie, ce virage à droite a accéléré par ailleurs la création de l’UDI, cette moyenne entreprise constituée de filiales centristes qui ont pris leur autonomie en mutualisant leurs moyens.
Il est impossible de savoir si la faillite de l’UMP et de Sarkozy en mai 2012, qui échouèrent face à la concurrence de la holding PS-PRG-EELV, est due à la méfiance des actionnaires centristes (on se souvient de la réaction  très hostile de la TPE du Modem) qui ont fait défection au dernier moment ou si, au contraire, il aurait fallu aller encore plus loin en allant chercher la clientèle sur les segments habituels où opère le FN devenu spécialiste dans des produits qui plaisent beaucoup en ces temps de crise : insécurité, immigration, islamisme.
En fait, l’UMP est une entreprise qui n’a jamais vraiment bien trouvé sa place ni sa stratégie comme l’a illustré l’affrontement de l’automne dernier entre un dirigeant qui voulait faire dans la viennoiserie à usage des quartiers populaires tandis que l’autre visait une stratégie européenne. Si on excepte la prise de contrôle majoritaire de la France en 2007, le reste des tentatives de diversification électorale se sont d’ailleurs révélées des échecs cuisants. L’UMP, entièrement centrée sur l’objectif France, s’est révélée un outil inadapté pour conquérir des régions, des départements, des mairies ou même des sièges de députés européens, ce qui explique en partie ses difficultés d’aujourd’hui puisque, avant même le rejet de ses comptes par l’Autorité des marchés financiers, euh pardon, par le Conseil Constitutionnel, elle avait tout de même un découvert de 56 millions d’euros dû pour l’essentiel à ses revers locaux.
Il semble donc urgent, encore une fois, que les pouvoirs publics se penchent sur le destin de l’UMP. Le groupe risque en effet des OPA hostiles à l’approche des élections municipales et européennes, voire un démantèlement pur et simple. Il y aurait les filières jugées encore rentables pour le Front National qui se verrait bien racheter la Droite Forte et la Droite Populaire tandis que l’UDI prendrait une participation majoritaire chez les humanistes et les européens.
Quant aux filières obsolètes, comme le gaullisme social ou le souverainisme, il faudra de toute façon se résigner à les sacrifier, c’est encore moins rentable qu’un haut fourneau. Autant faire une croix dessus. Une croix de Lorraine évidemment.

Fioraso lutte contre les inégalités intellectuelles

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La bourse au mérite, qui récompensait les élèves ayant obtenu mention Très Bien au bac dont les parents ne sont pas imposables, sera  abolie dès la rentrée prochaine, a annoncé l’extraordinaire Geneviève Fioraso. Au nom de la courageuse réduction des déficits publics, et sous le prétexte vaseux d’un « redéploiement de moyens », le gouvernement choisit de supprimer une mesure plus symbolique que coûteuse (50 millions par an contre 2.5 milliards pour les bourses sociales), qui incarnait pourtant une certaine idée de l’école. Un idéal méritocratique qui permit notamment au petit Charles, fils d’une rempailleuse de chaises, et au petit Albert, fils d’une femme de ménage analphabète, de devenir les grands Péguy et Camus (et oui, sachez-le, sans les bourses au mérite les deux écrivains auraient fini respectivement curé de campagne et gardien de chèvres, et on aurait été bien embêté).
Mais la gauche bourdieusienne a vite oublié cette idée que le talent pouvait être un levier pour s’émanciper de la misère sociale. Aux chiottes l’idée darwinienne – pour ne pas dire raciste – selon laquelle les meilleurs devraient être récompensés : du social, et puis c’est tout ! Au nom de l’œuvre irréfutable du sociologue, elle considère le mérite comme un privilège, et regarde ceux qui réussissent avec un œil suspicieux et envieux – ce que Nietzsche appelait le « ressentiment du rachitique ». L’école étant désormais  le « lieu de reproduction des inégalités sociales » (Bourdieu), elle doit nécessairement devenir celui de l’assistanat. Résultat : elle devient de plus en plus le lieu de production du nivellement intellectuel, et la bourse au mérite était l’un des derniers garde-fous qui permettait de juguler cette égalitarisation par le bas.
Pour poursuivre ce beau travail de rabotage, je propose d’attribuer une bourse d’excellence à ceux qui réussissent encore à rater leur bac. En vérité, je vous le dis, ceux là sont les vrais méritants, car échouer à cette réussite programmée par le laxisme bienveillant de l’éducation nationale, c’est un peu comme gagner le tour de France sans stéroïdes anabolisants. Sachons les récompenser.

Les infortunes du réel

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priere de rue islam laicite

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Le réel a disparu. Il a été kidnappé. Après tout, qui s’en plaindra, à part quelques réacs patentés – et quelques électeurs grognons qui subissent leur déplorable influence ? On se demande ce qu’ils lui trouvent, à leur réel, qu’ils appellent aussi Histoire. Le côté rétro sans doute. Au cinéma, ça a son charme. En trois dimensions, c’est moins reluisant : beaucoup de bruit, et je ne vous parle pas des odeurs. Le réel, ça pue. Et les ravisseurs ont la narine délicate.
Bon débarras. Dans ce réel de triste mémoire, les États avaient des ennemis, à qui ils faisaient la guerre, et des alliés, qu’ils espionnaient. Ce n’était pas très gentil. Il fallait que cela cesse, notre Président ne le lui a pas envoyé dire, à Obama. Désormais, ou c’est imminent, les gentils pays ont de gentils amis avec lesquels ils négocient de gentils accords, quoi qu’il n’y ait plus rien à négocier : ce qui est à nous est à eux et ce qui est à eux est à nous. Il faudrait songer à prévenir les Américains, les Chinois et les autres, parce qu’ils semblent avoir zappé une partie de ce gentil programme. Ce n’est pas faute de se mettre en quatre pour leur être agréables : chez nous, les jeunes du monde entier pourront étudier en anglais. Il serait discourtois de les inviter à apprendre notre langue, avec ses chichis et affèteries. Ainsi, ils auront l’impression d’être chez eux, la Tour Eiffel en plus.
Ah, il a bonne mine, votre réel : division compétition, confrontation. Des gens qui n’aiment pas vivre ensemble. Des cultures qui se regardent en chiens de faïence. Des différences parfois irréconciliables – au XXIe siècle, il faut oser. Et des fous du réel qui brandissent une règle commune, ils l’appellent laïcité. À les entendre, elle est menacée tous les quatre matins. Sauf que, pour eux, toutes les menaces ne se valent pas. Ils se disent gênés de ne croiser que des femmes voilées au supermarché, mais trouvent  normal que, dans tous les villages de France, il y ait une église, et pas de synagogue ni de mosquée.
Le réel ment. En tout cas, il exagère beaucoup. C’est Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, qui le dit. Dans un rapport remis le 25 juin au Premier ministre, il est formel : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité. » Le problème, ce sont les laïques qui se livrent à « une dramatisation politique de ces sujets ». Et la « montée évidente de l’islamophobie dans le pays ».[access capability= »lire_inedits »]
Pourtant, un autre réel est possible. Avec les bonnes lunettes, on voit que toutes les religions, toutes les cultures, toutes les civilisations se donnent la main ; que les peuples sont frères et les nations en couple ; que les électeurs socialistes ne votent jamais pour le Front national. Certes, il reste quelques réglages à faire pour effacer toute trace du monde ancien. À commencer par ces gens, sans doute un peu simples, qui voient du réel partout, et qui n’en sont guère satisfaits. Pourtant, quand on leur dit que leur réel n’existe pas, c’est pire, ils deviennent dingues. À leur décharge, ils aimeraient bien, eux aussi, faire partie de la France des rappeurs et des webdesigners[1. Cette heureuse synthèse sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]et vivre un multiculturalisme apaisé dans du Haussmann starckisé. Las, dans la néo-réalité, il n’y a pas de place pour eux.
En attendant, le réel n’est pas perdu pour tout le monde. Il faudrait arrêter de la prendre pour une blonde, la blonde ! Elle a compris qu’il lui suffisait de dire aux gens qu’elle voit ce qu’ils voient pour qu’ils la suivent. On essaye de lui coller un procès en nazisme pour avoir parlé de l’occupation de rues par des musulmans qui priaient, mais si ça se trouve, le juge dira que, quand on occupe des rues, c’est une occupation. Et puis tous ces gens simples, ils n’aiment pas trop ça, les prières de rue – islamophobes, vous dis-je. Quand on accuse leur Marine d’« incitation à la haine raciale[2. Quelques heures après la levée, par le Parlement européen, de l’immunité parlementaire de Marine le Pen, dans le cadre d’une enquête pour « incitation à la haine raciale », plus de 20 000 personnes avaient signé une pétition en sa faveur.] », ils pensent, eux, qu’il n’y a dans ses propos ni haine, ni incitation, ni race[3. Que Cyril Bennasar soit remercié pour ce raccourci].C’est ballot.
Alors je me demande si, à force de taper sur le réel, il ne va pas finir par tomber dans de mauvaises mains. C’est ce que pensent mes amis réactionnaires (oui, j’ai des amis réactionnaires). Ils disent que le réel, c’est la nuance, la complexité, la dialectique. Qu’il faut en parler avec délicatesse. Et que Marine Le Pen manque de délicatesse. Que c’est une chose d’entendre ce que les gens disent, et une autre de leur dire ce qu’ils veulent entendre, une chose de comprendre la langue des bistrots, une autre de la parler. Mes amis réacs se sont étranglés quand, sur France Inter, elle a expliqué à un étranger installé depuis vingt ans en France  que, s’il perdait son boulot, il perdrait son titre de séjour quelques mois plus tard. Pour la présidente du FN, il y a un ticket-retour : on vient en France pour travailler ; quand on n’a plus de travail, on rentre chez soi. Mes amis réacs pensent qu’il faut arrêter ou réduire drastiquement les flux migratoires, sans doute restreindre le regroupement familial. Pour eux, il y a un seul domaine où la préférence nationale est légitime: la définition des règles. Mais ils ne veulent pas d’un monde où chacun devrait rentrer « chez soi » après le boulot. Parce que, disent-ils, si on n’a qu’une patrie, on peut avoir de multiples chez-soi. N’empêche, ils ont peut-être raison : on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve.[/access]

*Photo : herstalle

Europe : croisade contre la croix

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europe laicite christianisme

europe laicite christianisme

Dans un article intitulé « Une Europe plus laïque, divisée par la croix »  le New-York Times s’interroge sur le déni des « racines chrétiennes » de l’Europe par les autorités politiques de l’Union.
Le NYT évoque un épisode éminemment significatif, mais peu commenté dans les médias français. En novembre dernier, la Commission européenne a ordonné qu’on retire les symboles religieux  qui décoraient des euros commémoratifs célébrant le 1150ème anniversaire de l’arrivée de Cyrille et Méthode en Slovaquie, où ils apportèrent le christianisme : les croix et les auréoles entourant les deux saints étaient jugés incompatibles avec le principe d’une Union laïque, bureaucratique, et culturellement neutre. Tout un symbole, quant on sait que les deux saints avaient étés sacrés co-patrons de l’Europe par Jean-Paul II en 1985.
La décision a provoqué un tollé chez les élites religieuses et politiques du pays, à tel point que la Commission européenne a finalement dû s’incliner. L’archevêque de Bratislava Zvolensky s’est insurgé contre ce « sécularisme militant », déclarant : « il y a dans l’UE un mouvement qui veut imposer une neutralité religieuse absolue et récuse toute forme de tradition chrétienne ».
En réalité, il s’agit moins de « christianophobie », que d’un rejet général de toute forme d’héritage, qu’il soit religieux, culturel ou philosophique : l’Union Européenne se veut avant tout un espace politique post-historique où les individus, jouissant de la liberté suprême de ne pas avoir de passé, ne seraient unis que par les seuls liens du libre-échange et de la démocratie représentative.
D’où cette « Europe divisée par la croix » décrite par le quotidien américain. D’un côté, les pays d’Europe de l’Ouest, la France et le Royaume-Uni[1. Où un récent sondage indique que davantage de personnes croient aux extra-terrestres qu’en Dieu.] en tête, où la religion comme affaire privée et la neutralité axiologique de l’Etat[2. Assumée par l’Etat libéral anglo-saxon, la neutralité axiologique règne aussi en France puisque la République ne reconnaît que des individus égaux en droits unis au sein d’une communauté nationale érigée au rang de mythe.] sont des dogmes unanimement acceptés. De l’autre, les pays récemment sortis du bloc soviétique, où la religion imprègne encore fortement le tissu social, ont encore la prétention de rester dans l’histoire et s’entêtent à défendre leur identité nationale.
À sa création, l’UE, influencée par les démocrates-chrétiens (Gasperi, Adenauer, Schuman, Spaak) baignait dans des références historiques aussi bien païennes (le mythe d’Europe, entre autres) que chrétiennes qui exprimaient la volonté de s’inscrire dans un projet historique spécifique.
Le drapeau de l’Union, dessiné par Arsène Meitz, un catholique français, fait ainsi ostensiblement allusion au manteau bleu de la Vierge Marie et à sa couronne de 12 étoiles. Aujourd’hui, cette évidence a été réinterprétée dans un sens purement profane par la bureaucratie bruxelloise, qui lui dénie tout caractère religieux : « il symbolise l’idéal d’unité, de solidarité et d’harmonie », explique un fonctionnaire.
Dans ce reniement, la France est plus que jamais le coq de l’évangile. Ainsi était-ce Jospin, qui, en 2001, avait insisté pour que la référence à l’héritage « religieux » de l’Union soit effacée du projet de Constitution et remplacée par la simple mention d’une « conscience spirituelle et morale » délestée de tout héritage historique européen. Même les pauvres Grecs se sont vu refuser l’entrée dans la Constitution européenne, alors que leur héritage philosophique et civilisationnel est peu suspect de récupération ethnique ou religieuse, et moins « clivant » que la référence chrétienne. Dans une tribune publiée par Libération en 2004, plusieurs intellectuels, dont Paul Thibaud et Philippe Raynaud, s’indignaient de l’« hyperdémocratisme autosuffisant de nos éminences » après le rejet par les bureaucrates d’une phrase de Périclès sur la démocratie qui devait servir d’exergue à la Constitution, sous prétexte que la démocratie athénienne n’était pas assez « morale » (il y avait des esclaves, et les femmes ne votaient pas : ah les salauds !).
Ce rejet des différentes strates de l’histoire européenne est sans doute symptomatique de la victoire de la stratégie économiste à la Monnet sur le rêve d’une Europe culturelle. Depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dans les années 1950, la construction européenne s’est appuyée sur l’économie plutôt que sur un legs culturel, philosophique ou religieux. La main invisible plutôt que l’identité, tel est le credo artificialiste de l’UE.
Résultat, le déni de ses racines a fait de  l’UE un « monstre froid », sans mémoire et sans âme, dirigé par une élite acculturée, qui invente une mythologie et des veaux d’or, comme la monnaie unique, pour pallier à ce déracinement.
Peu de médias l’ont relevé mais Angela Merkel a récemment déclaré : « Nous n’avons pas trop d’Islam, nous avons trop peu de christianisme », soulignant ainsi que la menace ne vient pas d’un ennemi extérieur selon elle fantasmé, mais du refus de l’identité chrétienne du vieux continent. Cette révision de sa propre histoire est particulièrement prégnante en France. Dans le culte hexagonal de la repentance,  le « sanglot de l’homme blanc » (Bruckner) qui nous pousse à réécrire l’histoire suivant nos catégories morales d’aujourd’hui,  peut-être faut-il voir la conséquence d’une conception laïcarde de la société qui confine à la haine de soi. Contre cette amnésie, nos partenaires allemands cultivent une vision plus « romantique » de l’identité européenne, où du moins « hégélienne » : les institutions s’enracinent dans un monde vécu et une histoire. À ce titre, les piliers chrétiens pourraient davantage emporter l’adhésion des peuples que toutes les déclarations des droits possibles et imaginables.
Telle serait la voie de salut possible pour la crise de civilisation européenne : chercher non plus le comment de l’Europe, mais son pourquoi.
Plus que jamais, le passé est l’avenir de l’Europe.

PMA, GPA, Europe à 32… Peut-on encore dire merde à l’Inéluctable ?

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pma gpa euro

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S’il est une chose à retenir de l’épisode Manif pour Tous, c’est bien l’entreprise réussie de délégitimation du mouvement, savamment orchestrée par un pouvoir en mal de marqueurs sociaux, et diligemment relayée par un système médiatique en ordre de bataille à l’occasion de cette étape Historique. Pour toutes celles et ceux qui ont ressenti l’impérieuse nécessité de se mobiliser contre la défiguration programmée de notre Code civil, il reste le goût amer de ne pas avoir été considéré comme un adversaire régulier, digne de produire des arguments recevables dans le cadre d’un affrontement civilisé. Alors que nous avions naïvement espéré un débat de fond à la hauteur des enjeux (y a t-il oui ou non une alternative au rouleau compresseur de l’Indifférencié ?), Sainte Najat a finalement déçu en optant pour un blitzkrieg médiatique dont l’arme privilégiée fut, une fois de plus, la diabolisation de l’ennemi (halte aux fachos en capuchon rose !). Evidemment, une telle tactique présente un avantage de taille : pourquoi ouvrir la porte à un vrai débat avec de faux réacs – et ainsi prendre le risque inutile de ragaillardir des millions de français jusqu’alors tétanisés par l’inéluctable marche du Progrès – alors qu’il suffit de caricaturer allégrement les protagonistes d’une manif dont on trouvera bien, parmi eux, une poignée de dégénérés fascisants à même de s’adjuger une place de choix dans le zapping de Canal ? Ce qu’il y a de vraiment pratique avec les extrémistes de service, c’est qu’on est en droit de les ignorer royalement (« we don’t negotiate with terrorists »), on se doit plutôt de les rééduquer, voir de les humilier en public, pour ensuite s’offusquer de la violence dont certains font preuve, faute d’être véritablement entendus, violence elle-même récupérée pour mieux diaboliser l’ensemble du groupe. Imparable.
Il est toujours croustillant de noter à quel point la gauche est prompte à convoquer le Mal absolu pour mieux légitimer ses projets de mutilation du réel; « homophobes », « réacs », « intégristes », autant d’épouvantails visant à disqualifier d’entrée la malheureuse famille tradi, pour ne pas dire ringarde, pour qui la pilule du Progrès ne passe pas, mais alors pas du tout ! Et voilà comment, par un tour de passe-passe médiatique dont seule la mairie de Paris a le secret, la Manif pour Tous devient l’Amicale des nostalgiques du Maréchal (un peu comme lorsque l’on substitue sciemment les fameux « ultras » aux sacro-saints « jeunes de banlieues » pour ne pas écorner le political correctness de mise dans notre beau pays). La joute argumentative, inévitablement contradictoire et anxiogène, qu’un tel sujet aurait sans doute mérité, s’est une fois de plus volatilisée au profit de la morale publique triomphante. Rien de nouveau sous le soleil.
Dès lors, une question se pose : dans un monde où la dialectique a laissé place à l’épuration systématique, où la moindre voix contradictoire est étouffée par le vrombissement de la bien-pensance made in France Télévisions, quelle marge de manœuvre reste t-il à l’individu pour faire entendre sa voix ? De quels outils démocratiques dispose t-il pour rendre compte du sentiment de dépossession qui l’afflige ? Il y a fort à parier que la majorité partira sur un bon vieux vote protestataire façon 21 Avril (le vintage est à la mode) tandis que les plus téméraires opteront pour l’immolation par le feu sous l’œil avide des caméras… Bref, la « boîte à outils » paraît une fois de plus bien maigre au regard du niveau de frustration record d’une large partie de la population – qui a dit que nous étions assis sur un baril de poudre ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec les états généraux sur la PMA qui se profilent à l’horizon (déjà repoussés à 2014 par le CCNE), les politiques et leurs complices ne vont pas se gêner pour nous rejouer la petite musique du Progrès en marche. Ah, il va vraiment falloir qu’il prenne sur lui l’électeur hideux du Front national !
Pour autant, tout n’est pas encore totalement foutu… Face au discours cathodique ambiant, semble poindre un mouvement de résistance dont l’objet est bien de désacraliser l’incontestable pour mieux lui botter les fesses. Pour s’en convaincre il suffit d’observer ce qui se passe actuellement sur le terrain économique où de nombreux experts iconoclastes, de Sapir à Gréau, commencent à faire entendre leurs voix dissidentes sur les bienfaits supposés de la monnaie unique – thème évidemment repris sur le tard par les populistes de tous bords. Le refrain suranné du « There is no alternative », si cher à feu Margaret, commence justement à prendre l’eau. Après des années de profonde léthargie, les peuples d’Europe renoncent peu à peu à l’eurobéatitude stérile et réalisent avec effroi que « nous sommes dans un monde de méchants et pas dans un monde de gentils » comme l’a récemment rappelé DSK devant un parterre de sénateurs visiblement peu habitués à tant de violence verbale…
En ces temps difficiles, allons-nous enfin surmonter nos propres tabous jusqu’à réintroduire de la négativité – et donc de la vie – dans une Europe en proie à un angélisme délétère ? Rien n’est moins sûr.
Toujours est-il que le réel reprend du poil de la bête, si bien que la Gauche Illuminée n’a d’autres choix que de se préoccuper de la vraie vie des gens à défaut de poursuivre sa Mission Civilisatrice. C’est en ce sens que la crise actuelle recèle la promesse, sinon des lendemains qui chantent, du moins d’un bon bol d’air frais dans cette ambiance post-historique qui ne dit pas son nom.

*Photo : Mon_Tours.

Bac 2013 : Comment je suis tombé sur la perle rare

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Elles sont grosses, mais elles ne vous déçoivent pas. Les années passent, mais elles vous restent fidèles. Je veux parler des perles du bac. La livraison 2013 est si bonne qu’elle ne nous suffit plus. Les regards se tournent déjà vers 2014. On en redemande. Certaines bévues sont si comiques qu’elles semblent légitimer le caractère annuel de cet examen.
« Le travail n’est pas toujours révélateur d’un potentiel : par exemple, certains élèves de ma classe n’ont rien fait pendant l’année et ils auront quand même leur bac. »
Ou encore :
« On voit que l’Union Européenne occupe une place centrale dans les échangismes internationaux. »
Ou encore :
« Grâce à la montée de l’islamisme qui sont austère au politique occidentaux, cette austerité atteind son paroxisme le 11 septembre 2011 lors de l’attentat contre les Etats-unis sur les deux tours jumelles du world trade senteur. »
Ou encore :
« En 1792 les Français déclarent la guerre à plusieurs pays d’Europe pour leur apporter la paix. »
Quelle justesse dans l’erreur ! Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que cette forme d’humour ne m’apparaisse supérieure à l’humour belge, ce qui n’est pas peu dire. Pourtant, c’est en lisant une étude tout à fait sérieuse que je suis tombé sur la perle rare. J’étais assis à la bibliothèque, et je préparais tranquillement mon prochain séminaire sur la notion de dette lorsque j’ai lu ceci : « La liberté moderne est essentiellement l’absence de dette (…) C’est un fait que nous expérimentons quotidiennement. Nous sommes tous ravis de nous libérer d’une dette négative grâce au marché et au mécanisme monétaire. » Ravis ? Grâce au marché ? Quelle pénétrante analyse ! Quelle description on ne peut plus exacte de notre situation réelle ! Précisons que l’auteur est professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique. Je pense que dans ce titre, c’est surtout le dernier mot qui est important. Flaubert nous avait prévenus : traitée sans ménagement par la littérature, c’est auprès de la science que la stupidité humaine trouvera refuge et consolation. Sans doute n’est-il pas inutile de s’en rappeler à l’heure où l’on fait circuler ce florilège estudiantin. Si les élèves peuvent commettre des bourdes, la palme de la bêtise reviendra toujours à leurs professeurs.

Les invités-surprise

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Ce fut, paraît-il, un combat homérique entre les forces du passé et le parti de l’avenir. Qu’on se rassure, le passé a été vaincu. Mais personne ne s’attendait à ce qu’il oppose une telle résistance. La France des familles, qui a déboulé sur la scène publique avec la Manif pour tous, semblait avoir intériorisé sa défaite. Elle rasait les murs pour aller à la messe, et se résignait à être la tête de Turc des amuseurs appointés et autres faiseurs d’opinion. Quand ils s’amusaient à la faire enrager en vomissant ou en moquant ses bondieuseries, seule une infime minorité réagissait, à coups de prières, de processions et d’imprécations contre les modernes et la modernité. Pour la joie de ses tourmenteurs, qui trouvaient dans ces accès de rage sans direction ni lendemain la preuve inespérée que le péril (homophobe, réactionnaire ou catho-intégriste) qu’ils dénonçaient bruyamment était bien réel. Alliés objectifs, Jean-Michel Ribes et Civitas faisaient le spectacle.

Le débat sur le « mariage pour tous » démarrait donc sous les meilleurs auspices. Le camp du Progrès allait jouer à se faire peur pour pouvoir, ensuite, d’autant mieux écraser l’infâme que l’infâme était plutôt chétif.
En lieu et place des phalanges excitées et des groupuscules folkloriques qu’on attendait, c’est le pays catho, provincial et convenable qui s’est rappelé à notre bon souvenir. En quelques semaines, des mères de famille dépourvues de toute expérience militante se sont transformées en manifestantes chevronnées, des fils de famille peu portés à l’engagement, hormis pour réussir leur prépa, ont découvert l’âcreté des gaz lacrymogènes, des lycéens protégés des bruits du monde par les murs de leurs écoles privées ont appris l’art de la banderole. Que des défenseurs supposés de l’ordre bourgeois s’emparent de la grammaire de la contestation, voilà qui n’était pas prévu au programme. Sur l’autre rive, on hésitait entre la stupéfaction et l’indignation. Une manif de droite, ça ressemblait à une usurpation.
Qui sont ces gens et que veulent-ils ? À ces questions apparemment simples, il n’y a pas de réponses simples.
Observateurs et acteurs tournent autour du pot (et nous avec), dans l’espoir de trouver la formule ou le concept qui rendra lumineuse une réalité d’autant plus opaque qu’elle est formée de plusieurs strates. Des cathos, certes, en tout cas dans leur écrasante majorité, mais quel genre de cathos ? En vérité, de tous les genres : conciliaires et tradis, exaltés et tranquilles, libéraux et décroissants. Tous les genres, à la notable exception du catho de gauche, espèce qui a peut-être sombré dans la tourmente. L’une des conséquences de cette poussée de fièvre collective sera sans doute d’avoir durablement ancré à droite le catholicisme français.
Tous cathos ou presque, donc, même si des musulmans se sont mobilisés en nombre significatif, rompant l’alliance tenue pour naturelle entre la gauche et les enfants de l’immigration[1. Les juifs qui n’en pensent pas moins sont restés relativement silencieux, peut-être gênés par le fait que leur voix avait été portée par un texte (excellent au demeurant) signé par le grand rabbin Gilles Bernheim.]. Et avec ça, conservateurs revendiqués : au-delà du mariage à l’ancienne, ils affirment défendre les fondements de notre civilisation menacés, pensent-ils, par l’hédonisme libertaire issu de Mai-68.
Beaucoup sont réfractaires, voire hostiles à la liberté des moeurs. Mais une minorité seulement serait prête, si elle le pouvait, à remettre en cause l’avortement ou les droits des homosexuels. Au plus fort de la mobilisation, toutes les sensibilités, de franchement réac à catho branché, coexistent, non sans mal, dans la MPT, jusqu’à l’éviction de notre amie Frigide Barjot et de ses mini-jupes, quelques jours avant la dernière manif. On voit alors apparaître une minorité dans la minorité, que l’on peut qualifier, sans vouloir l’offenser, de littéralement réactionnaire, sur laquelle la gauche a habilement concentré ses tirs.
Cela n’a fait qu’aggraver un malentendu originel. Tout étonnés de faire l’Histoire, les MPT se sont largement abusés sur l’Histoire qu’ils font s’ils croient avoir initié un « Mai-68 à l’envers ». En première analyse, ce sont bien les « valeurs de 68 » qui creusent la fracture culturelle entre la France des cathos et celle des bobos. Mais ces discours antagonistes cachent une proximité souterraine entre ces deux France qui ne se parlent pas.
Les uns veulent de la norme, les autres veulent que la norme soit l’absence de normes. Chacun fait ce qui lui plaît ! L’arme atomique du combat pour la suprématie culturelle. Qui résisterait à une telle promesse ? Pas votre servante, assurément, mais en réalité, pas non plus ces jeunes gens nouvellement entrés dans la carrière. Car ils sont aussi, à leur façon paradoxale, des enfants de 68. Comme l’observe justement Marcel Gauchet, la tradition qu’ils prétendent ressusciter n’a jamais existé. Le mariage d’amour et de foi qu’ils ont érigé en modèle n’a guère à voir avec le mariage bourgeois, d’intérêts et de convention, pratiqué par leurs grands-parents. Ils se voient en nostalgiques de l’Ancien Régime. Ce sont des modernes.
Ils se fichent des consignes de l’Église, et plus encore de celles des partis. Veulent applaudir le pape sans se cacher. Et même en se montrant. Bref, eux aussi entendent vivre comme il leur plaira. Et le faire savoir. La découverte de la visibilité crée un autre canal de proximité souterraine entre les deux France. Les « cathos » ne se sont pas seulement initiés au vocabulaire de la contestation, ils ont appris la grammaire identitaire. Reste à savoir s’ils opteront pour la voie communautaire qui s’offre à eux. Ils peuvent devenir l’une des minorités qui composent la mosaïque française, et se jeter dans la mêlée pour obtenir à leur profit des accommodements avec la règle commune. Ils auront leur « part du ghetto[2. Vieille blague que je dois à Joseph Macé-Scaron.] », mais perdront leur statut de culture d’accueil. Soit ils incarnent la France, soit ils sont la communauté catholique. Certains investiront sans doute la politique classique. Les « purs » rejoindront les Veilleurs. Les partis de droite lorgnent tous avec convoitise sur ce nouveau marché électoral, tout en proclamant que « surtout, pas de récupération ». En attendant, à l’approche des municipales, les MPT ont table ouverte à l’UMP comme au Front national. Et au PS, la consigne semble être de ne plus les insulter, et même de leur causer meilleur. On a dû se rappeler qu’ils votaient.
L’interminable débat a eu une autre conséquence, plus insidieuse. Loin d’avoir les vertus apaisantes d’un échange civilisé entre les différents secteurs de la société, la foire d’empoigne qu’a été le débat sur le « mariage pour tous » a abouti à un inquiétant durcissement du climat idéologique. On ne s’amusera jamais assez de voir des apôtres ravis du multiculturalisme afficher sans la moindre vergogne leur mépris ou leur haine pour une culture qui a sans doute le défaut de ne pas être assez exotique à leurs yeux. Après des mois de variations sur le thème de l’homophobie, on peut compter sur les chevau-légers de la gauche sociétale pour agiter la menace du « retour de bâton » pour justifier que leurs adversaires soient réduits au silence. L’arbitraire commence avec les petites choses. Pour le jeune homme condamné à passer ses vacances en prison quand les casseurs du Trocadéro se la couleront douce, ce n’est pas une petite chose. Pas une petite chose non plus que Bruno et Virginie Tellenne soient menacés d’expulsion d’un appartement qu’ils occupent en toute légalité, et dénoncés comme de grands bourgeois par des salauds à grande conscience qui mènent la résistance depuis leur terrasse dominant Paris. Enfin, pour la palanquée de hauts fonctionnaires de la Culture qui viennent d’être congédiés sans ménagement par Aurélie Filippetti, ce n’est pas non plus une si petite chose. Vous ne voyez pas le rapport ? Trois points, ça fait une ligne. Bien sûr, on ne peut pas parler de « chasse aux sorcières ». Déjà, de peur d’être mal jugés, ou de devenir tricards on n’ose plus dire tout haut ce qu’on pense. Un jour, on n’osera plus le penser. Ce sera le bonheur pour tous.

Cet article en accès libre ouvre le dossier « Bobos contre Cathos » de Causeur n°4 (nouvelle série) numéro spécial été. Pour lire tous les articles de ce numéro, rendez-vous chez votre marchand de journaux le plus proche ou sur notre boutique en ligne pour l’acheter ou vous abonner : 5,90 € le numéro / abonnement à partir de 14,90 €.

Bobos contre Cathos : le match de l’été !

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Bobos contre Cathos, le match de l’été est lancé ! Mariage ou Manif pour tous, that is the question dans une France déchirée en (au moins) deux camps qui se parlent et s’écoutent si peu. Quelques semaines après le vote de la loi Taubira ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, notre numéro estival spécial de 100 pages se penche notamment sur  « la France des familles », selon l’heureuse expression d’Elisabeth Lévy. Pour notre directrice de la rédaction, Bobos et Cathos se ressemblent plus qu’ils voudraient bien l’admettre, « les uns veulent de la norme, les autres veulent que la norme soit l’absence de normes ». L’ordre pour tous, choisissez votre formule à la carte ! Voilà un diagnostic dérangeant pour tous que ne renierait pas Marcel Gauchet. Le directeur du Débat  estime que les foules catholiques de la Manif pour Tous défendent un modèle familial révolu dont ils ressentent (enfin !) la disparition. Aujourd’hui, les Catholiques assument leur « identitarisation » malgré l’opprobre des élites progressistes. Ces « tradis-modernes » pourraient même représenter un recours pour une jeunesse lassée de la décomposition familiale de ses aînés. L’engouement des foules sentimentales cathos pour le pavé inspire d’ailleurs à Gil Mihaely une réflexion sur l’évolution du mouvement qui s’est peu à peu réduit à sa frange la plus déterminée, la stratégie de la rue encourageant les plus militants des catholiques au détriment des volontés de large rassemblement d’une Frigide Barjot. Dans ce numéro décidément riche, l’égérie de la MPT en personne revient sur son éviction en défendant bec et ongles sa ligne pragmatique, républicaine et modérée qui vise à refondre le mariage pour tous en alliance civile, plutôt que d’abroger purement et simplement la loi votée et promulguée.
À en croire certains, le mariage gay ne passerait pas moins sous leurs fourches caudines s’ils arrivaient au pouvoir. C’est ce que répond Marion Maréchal-Le Pen, lorsqu’on lui fait remarquer que la présidente du Front national a ostensiblement boudé les manifs. Quoiqu’elle se dise volontiers plus à droite que sa tante Marine, la jeune députée du Vaucluse se félicite du ni-ni adopté par la direction du FN afin de renvoyer dos à dos UMP et PS. Avec en ligne de mire les municipales de l’an prochain, la benjamine de l’Assemblée nationale espère ratisser large en nouant des alliances locales autour de la défense d’un « passéisme intelligent ». Gare à la concurrence ! Car l’animateur de la Droite forte et vice-président de l’UMP Guillaume Peltier veille scrupuleusement à appliquer la stratégie Buisson au parti de Jean-François Copé. Interrogé par Elisabeth Lévy et Jacques de Guillebon, il se fait le chantre d’une droite conservatrice, chrétienne et laïque consciente de « l’angoisse identitaire, économique et sociale » des Français. Son message aux manifestants du printemps a le mérite d’être clair : « les portes de l’UMP »  leur sont « grandes ouvertes » ! Son camarade Charles Beigbeder pourrait faire sien cet appel. Secrétaire national de l’UMP, et par ailleurs actionnaire de Causeur (chez nous aussi, la transparence c’est maintenant !), il nous livre une tribune libre célébrant la résistance de « la France tranquille » face aux assauts du « libéralisme hédoniste » et présage que « ce courant issu des profondeurs de l’enracinement français va durablement s’installer dans le paysage politique ».
En revanche,  à gauche, on prédit des lendemains qui déchantent au mouvement anti-loi Taubira. Jouant l’apaisement, Christophe Girard, le maire socialiste du 4e arrondissement de Paris, militant de longue date du mariage pour tous, appelle les Français de tous bords au dialogue et à la (ré)conciliation. Au passage, il dément l’existence d’un lobby gay et ne se gêne pas pour ironiser sur les tweets borderline de Pierre Bergé.
Bien moins enthousiaste à l’égard des réformes sociétales, le député socialiste d’Indre-et-Loire Laurent Baumel fondateur du collectif parlementaire de la Gauche populaire nous a confié regretter la longueur qu’a pris le débat sur le mariage pour tous. La priorité aurait dû aller à l’économique et au social, pas aux passages devant le maire et autres layettes, pense-t-il en substance. S’il ne croit pas à l’émergence d’un populisme droitier sur les questions de mœurs, il confesse avoir vu de jeunes musulmans de sa circonscription grossir les rangs de la Manif pour Tous. Un sérieux démenti à l’hypothèse « terra-noviste » d’une coalition progressiste bobos-banlieues ! Comme nous ne lésinons pas sur les moyens, nous avons carrément engagé un correspondant permanent en plein Boboland parisien, place des Abbesses. Louis Lanher endosse ce sacerdoce mojito à la main, et nous décrit par le menu détail les fantasmes de ses amis bobos en quête du Grand soir antifa après la mort tragique de Clément Méric.
Mais commençons à fureter dans la partie actualités de ce numéro spécial. Ce mois-ci, dans son édito, Elisabeth Lévy devise sur « les infortunes du réel ». Le réel, comme disait Lacan, c’est tout ce qui ne se contrôle pas. On peut par contre le cacher sous le boisseau ou le rhabiller de vieux oripeaux râpés. Ainsi du rapport Bianco sur la laïcité dénonçant « stigmatisation » et « islamophobie » sur l’air de Tout va très bien… Mais puisqu’un refoulé, ça finit toujours par revenir, concluons avec notre chère Elisabeth qu’« on devrait retrouver le réel avant que ce soit lui qui nous retrouve » ! Vous connaissez la fameuse phrase apocryphe de Malraux sur le XXIe  siècle, religieux, forcément religieux. Ce ne sont pas Antoine Menusier et Malika Sorel qui vous diront le contraire, leurs contributions éclairant le phénomène des convertis à l’islam ainsi que l’érosion de la laïcité française. À lire entre les journaux d’Alain Finkielkraut et de Basile de Koch !
Mise à part l’expo londonienne David Bowie, que Paulina Dalmayer a visitée pour nous, notre roborative rubrique culture vous fera encore une fois voyager, et pas seulement de Philippe Muray à Roland Jaccard. C’est l’été et l’écrivain voyageur Blaise Cendrars entre en Pléiade, il n’en fallait pas plus pour combler d’aise Jérôme Leroy, qui coordonne le mini-dossier « Quand tu aimes, il faut rester » ! L’occasion de détourner Cendrars était trop belle, il faut maintenant en prendre son parti. Notre ami Alain Paucard de Paris, sis dans son éternel 14e arrondissement, nous le dit tout net : « RESTEZ CHEZ VOUS ! ». De quoi conforter E. Marsala dans sa misanthropie émiratie, prétexte à un beau « voyage autour de sa chambre d’hôtel » à Abu Dhabi, dans l’enfer climatisé des non-lieux contemporains. La mer d’Aral et la Corée du nord seront aussi au programme, mais je vous en ai déjà trop dit…
Assez bronzé, lisez maintenant !

Attention : les abonnements démarrent désormais avec le numéro suivant.  Si vous souhaitez débuter le vôtre avec le numéro de juillet-août, faites-en la demande à clients@causeur.fr.

Après l’Empire

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« Qui se souviendra des hommes ? », se demandait Jean Raspail. Les historiens − on ne peut pas leur en vouloir − rendent compte des batailles et des grands hommes, décryptent des tendances lourdes et abstraites. Grâce à eux, on comprend parfois mais on ne sent jamais. Se souvenir des hommes, seuls les écrivains, les romanciers, peuvent s’y risquer. Pour faire non pas des romans « historiques » mais des romans qui incarnent l’Histoire à travers quelques personnages, souvent oubliés des manuels − personnages qui font l’amour, saignent, prient, meurent devant nos yeux.
Dans L’Écriture du monde, Taillandier cherche à saisir ce qui a fait la naissance de l’Occident, ce qui fonde son identité. Ce n’est pas évident : les siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain sont souvent appelés obscurs. Ils étaient pourtant peuplés de figures lumineuses d’érudits dévoués au bien commun : pères de l’Église essayant de mieux tracer les contours de la figure de Dieu pour mieux tracer celles des hommes, rois que l’on appelait « barbares » et qui, pourtant, comme Théodoric en Italie, paraissaient bien plus civilisés que les maîtres de Byzance.
Taillandier a choisi trois grands seconds rôles pour illustrer ce temps plein de métamorphoses violentes et incertaines. Il y a d’abord Cassiodore, un Romain qui sait que Rome n’existe plus mais qu’elle reste une donnée spirituelle de l’Histoire. Il conseille Théodoric, il comprend quel jeu serré il faut jouer entre les différents rois barbares, les tenants de la vieille Rome, les Byzantins. Il comprend aussi que le christianisme peut être le ciment de cette civilisation fragmentée à condition qu’il ne cherche pas à éradiquer tout ce qui l’a précédé.[access capability= »lire_inedits »]
C’est aussi ce que pensera le jeune Léandre en visitant, après la mort de Cassiodore, le monastère créé par ce dernier où l’on fabrique, recopie et conserve les livres alors que, dehors, les temps sont redevenus confus. Il y a enfin la belle figure de Théolinda. Elle se regardait nue à 12 ans dans les miroirs avant de tracer les propres lignes de son destin de princesse germanique. Elle va inventer une nouvelle géopolitique en refusant un mariage pour épouser un roi lombard qui terrorise le Nord de l’Italie : « Les Gaules étaient franques, l’Espagne wisigothe : l’Italie deviendrait la gloire des Lombards. Elle s’étonnait que de telles idées puissent se former en elle, à qui personne n’avait songé à enseigner l’art du gouvernement. »
Dans La Grande Intrigue, son précédent cycle romanesque, Taillandier racontait la dissolution de l’Occident dans ce qu’il appelait l’Option Paradis. Assez logiquement, après avoir autopsié le cadavre, il nous invite, dans ce premier volume d’un autre cycle, à assister aux premiers pas du nouveau-né. C’est tout aussi ambitieux et réussi. Même si on connaît la fin.[/access]

L’Écriture du monde, François Taillandier (Stock).

*Photo: Le sac de Rome par les Barbares en 410. Joseph-Noël Sylvestre, 1890.

L’infinie sagesse des socialistes français

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Je m’aperçois en bavardant dans les cafés que les Français n’ont absolument pas conscience de la chance qu’ils ont de vivre sous un gouvernement socialiste. Et pourtant, les hommes intègres et courageux qui prennent au plus haut niveau (je dis bien : au plus haut niveau ) des décisions tout à la fois justes – la justice sociale est leur boussole – et qui facilitent la vie des citoyens, mériteraient d’être plébiscités plutôt que raillés en permanence.
Grâce à eux, le bac n’est plus distribué parcimonieusement dans des pochettes-surprises, mais sérieusement évalué avant d’être largement distribué. Le taux d’échec recule. Encourager les demeurés plutôt que de les stigmatiser, quelle initiative généreuse et pertinente tout à la fois ! Ces mêmes jeunes disposeront d’emplois aidés, pour leur éviter la peine d’en chercher. Pour les plus âgés, une immolation par le feu devant le Pôle Emploi est recommandée. Nos dirigeants dans leur infinie sagesse s’inspirent du bouddhisme tibétain et, accessoirement, de Keynes qui conseillait d’euthanasier les rentiers comme remède à la crise. Dans le même registre de pacification sociale et d’élévation spirituelle, notre Président clame haut et fort qu’islam et démocratie sont compatibles. Bientôt, ils seront équivalents. Quel dommage qu’on ne s’en soit pas avisé plus tôt……que de vaines querelles et d’aigres débats sur l’occupation religieuse des lieux publics nous auraient été épargnées.
On se réjouira également d’apprendre que les homosexuels peuvent enfin convoler en justes noces et que les portes des pénitenciers ne se refermeront plus sur les petits délinquants. Les vrais escrocs – et il y en a beaucoup plus chez les riches qu’on ne le pensait, depuis les fraudeurs fiscaux jusqu’à celui qui a perverti la Nation Française, un certain Nicolas S. (que son nom soit maudit à tout jamais !) – seront impitoyablement pourchassés. Il est vrai que quelques individus particulièrement cupides et infâmes avaient même réussi à se glisser à l’intérieur du Parti socialiste. Ils ont été débusqués. Et soyez certains, notre Président l’a affirmé, que cela ne se reproduira pas. Des juges vigilants aidés par des journalistes intransigeants veillent nuit et jour à séparer le bon grain de l’ivraie. Enfin, grâce à Manuel Valls, il n’y a plus de rafles chez les Roms, pratique dégradante et néo-nazie de ses prédécesseurs, mais d’aimables reconductions à la frontière. En toute légalité. Qu’on se le dise : la concorde règne enfin sur cette belle terre de France où chaque citoyen est invité à passer ses vacances : il s’y trouvera enfin en paix avec sa conscience morale et politique.
En une année, ce gouvernement a fait des miracles. Et, avec la force de caractère que le monde entier lui reconnaît, il est vraisemblable que notre Président fera reculer la courbe du chômage. Peut-être même la brisera-t-il. Là où Obama a réussi, François Hollande ne peut échouer…… D’autant plus que lui aussi, et vous tous, disposez d’un trésor inexploité : le gaz de schiste. Être si chanceux et ne pas en avoir conscience, quelle ingratitude! Bonnes vacances, quand même…

UMP incorporated

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sarkozy ump comptes

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Evidemment, du côté de Montebourg et du redressement productif, on se tait. C’est vainement que l’on attend que le flamboyant ministre, qui lui a le droit de l’ouvrir sans se faire démissionner, se prononce sur la crise sans précédent que traverse un des fleurons de notre industrie politique, l’UMP. Mais rien du côté de Bercy, par la moindre annonce, pas de propositions de repreneurs ou de nationalisation temporaire.
A travers l’UMP et ses 11 millions d’euros de trou dans ses fonds propres, la vraie question qui se pose en fait à notre France en passe de devenir un désert industriel, est : y a t il encore des parts de marchés pour la droite française concurrencée par des firmes plus jeunes, à la stratégie commerciale plus agressive comme le FN ou l’UDI ? Peut-on encore compter sur un milieu de gamme entre le centre et l’extrême droite ?
La tentative de recapitalisation sous la houlette de l’ancien PDG Nicolas Sarkozy en lançant un appel aux petits actionnaires sera-t-elle suffisante ? On peut en douter.  Mais faut-il vraiment se réjouir de cet échec programmé ? L’UMP, comme PSA, c’est plus qu’une marque, c’est un esprit, un symbole d’une France capable de construire chez elle des voitures et de produire sa propre droite avec cette french touch venue du gaullisme qui en fait ou en faisait tout le charme. Certes, cette french touch avait pâli avec le temps, et c’est bien là le problème.
Souvenons-nous : comme toute les grandes marques qui savent s’adapter au marché, l’UMP a souvent changé de nom contrairement à ces ringards de gauche qui s’appellent PCF depuis 90 ans ou PS depuis plus de quarante. Avant, comme Orange s’appelait France Telecom, l’UMP s’appelait le RPR et avant encore l’UDR et avant encore l’UNR et avant encore le RPF. En fait, le problème est peut-être là. Chacun de ses changements de nom a éloigné l’UMP de son positionnement original qui était le gaullisme. Le gaullisme, produit typiquement français, était une forme de droite de gauche, colbertiste, étatiste et assez ombrageuse sur la souveraineté nationale. Ce n’était pas exportable mais au moins, sur le marché intérieur, ça a longtemps été un produit phare, au point de mettre le gaullisme en position de quasi monopole à droite et de rassembler suffisamment large pour n’avoir à gauche que les communistes en guise de concurrents.
Mais, dans un souci de modernisation, la métamorphose a commencé avec le PDG Georges Pompidou qui a dissous le gaullisme dans les scandales immobiliers, le périphérique et l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE. En se ralliant un temps à l’entreprise UDF de VGE, Jacques Chirac, qui devait plus tard fonder le RPR puis l’UMP avec Alain Juppé, accentua cet éloignement du cœur de métier gaulliste tel que l’avait défini Malraux, un des communicants du fondateur de la marque : « Le gaullisme, c’est le métro à six heures du soir. »
L’intervention de Nicolas Sarkozy, en plus, n’est pas sans poser quelques problèmes au conseil d’administration de l’UMP. Derrière les sourires de façade, on n’est pas forcément enchanté de voir revenir celui dont la stratégie de délocalisation vers les idées de la droite extrême à l’époque où il présidait les destinées de l’entreprise a certes fait gagner de la clientèle sur la boîte dirigée par Marine Le Pen. Mais, en contrepartie, ce virage à droite a accéléré par ailleurs la création de l’UDI, cette moyenne entreprise constituée de filiales centristes qui ont pris leur autonomie en mutualisant leurs moyens.
Il est impossible de savoir si la faillite de l’UMP et de Sarkozy en mai 2012, qui échouèrent face à la concurrence de la holding PS-PRG-EELV, est due à la méfiance des actionnaires centristes (on se souvient de la réaction  très hostile de la TPE du Modem) qui ont fait défection au dernier moment ou si, au contraire, il aurait fallu aller encore plus loin en allant chercher la clientèle sur les segments habituels où opère le FN devenu spécialiste dans des produits qui plaisent beaucoup en ces temps de crise : insécurité, immigration, islamisme.
En fait, l’UMP est une entreprise qui n’a jamais vraiment bien trouvé sa place ni sa stratégie comme l’a illustré l’affrontement de l’automne dernier entre un dirigeant qui voulait faire dans la viennoiserie à usage des quartiers populaires tandis que l’autre visait une stratégie européenne. Si on excepte la prise de contrôle majoritaire de la France en 2007, le reste des tentatives de diversification électorale se sont d’ailleurs révélées des échecs cuisants. L’UMP, entièrement centrée sur l’objectif France, s’est révélée un outil inadapté pour conquérir des régions, des départements, des mairies ou même des sièges de députés européens, ce qui explique en partie ses difficultés d’aujourd’hui puisque, avant même le rejet de ses comptes par l’Autorité des marchés financiers, euh pardon, par le Conseil Constitutionnel, elle avait tout de même un découvert de 56 millions d’euros dû pour l’essentiel à ses revers locaux.
Il semble donc urgent, encore une fois, que les pouvoirs publics se penchent sur le destin de l’UMP. Le groupe risque en effet des OPA hostiles à l’approche des élections municipales et européennes, voire un démantèlement pur et simple. Il y aurait les filières jugées encore rentables pour le Front National qui se verrait bien racheter la Droite Forte et la Droite Populaire tandis que l’UDI prendrait une participation majoritaire chez les humanistes et les européens.
Quant aux filières obsolètes, comme le gaullisme social ou le souverainisme, il faudra de toute façon se résigner à les sacrifier, c’est encore moins rentable qu’un haut fourneau. Autant faire une croix dessus. Une croix de Lorraine évidemment.