Accueil Site Page 2433

Erdogan : un complot judéo-sioniste sinon rien !

Curieux hasard ? Le jour même où le roi Abdallah de Jordanie met en garde contre les divisions ethniques et religieuses qui risquent de « détruire le monde musulman », le premier ministre turc  Recep Tayip Erdogan prend pour cible l’ennemi commun à toutes les factions, courants et mouvements de la région : le complot sioniste !

Rarement pris en défaut sur ce terrain, Erdogan vient de récidiver. Non content d’imputer la responsabilité des émeutes populaires printanières à la microscopique communauté juive locale, le fondateur du parti islamiste AKP, au pouvoir depuis 2002 à Istanbul, où son éclat commence à pâlir, nous livre aujourd’hui son interprétation du coup d’Etat militaire égyptien.  Avec un gros scoop à la clé : Israël serait à la manœuvre,  le scénario l’éviction du président frère musulman Mohamed Morsi ayant été échafaudé dès 2011 entre le ministre de la justice de l’Etat hébreu et… « un intellectuel juif français » (sic). À ceux que cette théorie conspirationniste en diable défrise, Erdogan explique avoir des preuves. Du lourd, du solide, puisque ledit intellectuel, dont le nom, contrairement à la confession, n’a pas encore été divulgué, aurait déclaré : « Les Frères Musulmans ne seront pas au pouvoir même s’ils gagnent les élections. Car la démocratie ne se résume pas aux urnes. »  Parions que ce n’est qu’un début, quelques prélèvements ADN, le podcast d’une émission de radio ou la photographie d’un serrage de mains devraient logiquement alourdir le passif du suspect mis en cause par l’inspecteur Erdogan.

Depuis le fameux printemps arabe, dont les bourgeons semblent aujourd’hui cramoisis, la bonne vieille méthode consistant à jeter le discrédit sur son adversaire politique en l’accusant d’être à la solde d’Israël prospère comme jamais. A Benghazi, Alep, et au Caire, adversaires comme farouches opposants aux régimes en place incriminent le camp d’en face : pions du Mossad, suppôts de Tsahal, plus si affinités…

Beaucoup pourraient croire ces inepties insignifiantes. Mais loin de se cantonner au théâtre burlesque, ce genre d’allégations rencontre un vif écho, notamment parmi les classes moyennes pieuses qui forment la base électorale d’Erdogan. Son complotisme aux relents antisémites pourrait bien devenir le dernier dénominateur commun de sociétés arabo-musulmanes profondément déchirées par les luttes de puissance et les tensions interconfessionnelles. William Hague, chef de la diplomatie britannique, annonce des décennies de discorde au Moyen-Orient. On n’a donc pas fini de rire jaune.

Manif pour tous : Après le temps de la rue, le temps des urnes !

guillaume peltier mariage pour tous umpPropos recueillis par Jacques de Guillebon et Élisabeth Lévy

Causeur. Avons-nous assisté, avec les Manifs pour tous, à la naissance d’une nouvelle droite ?
Guillaume Peltier[1. Ancien militant du Front national de la jeunesse (1998), puis du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers (2001-2007), Guillaume Peltier est aujourd’hui vice-président de l’UMP et l’un des fondateurs de « La Droite forte », motion arrivée en tête avec 28 % des suffrages lors du vote de novembre 2012.].En tout cas, au réveil d’une nouvelle génération, raison pour laquelle j’ai parlé de « Mai-68 de droite ». Il y a une droite des valeurs qui se substitue à la droite des intérêts, et c’est elle qui se mobilise, comme elle l’a fait en juin 1968 et en 1984.

Vous savez bien, pourtant, que les « valeurs de 68 » ont pénétré l’ensemble de la société – jusqu’à Causeur, c’est dire…
Les « valeurs de 68 » ne sont pas le sujet en tant que tel. Cette nouvelle génération se mobilise pour réhabiliter le patriotisme, le mérite, l’effort, l’entreprise, la famille – notions jusque-là tenues pour ringardes. Les responsables de la MPT que j’ai rencontrés n’ont pas l’intention de se laisser dicter ce qu’ils pensent par le pouvoir. Ils croient à la conception naturelle de la famille, c’est-à-dire au droit pour chaque enfant d’avoir un père et une mère. N’oubliez pas que, depuis quarante ans, cette génération paye la négation de ces évidences.

Évidences, c’est vous qui le dites ! Le « droit de l’enfant » à avoir des parents, c’est assez rhétorique – et passablement « soixante-huitard ». 
Disons qu’on a droit à l’idée d’un père et d’une mère. Et c’est cette idée qu’on a voulu abîmer de façon quasi totalitaire.

« Totalitaire », comme vous y allez ! Cette inflation verbale ne contribue pas à la compréhension.
Alors, disons « autoritaire ». En ignorant un authentique mouvement populaire, le pouvoir actuel nie la démocratie. C’est son mépris pour les manifestants, et plus encore pour les organisateurs, qui a entraîné la radicalisation, ultra-minoritaire au demeurant. Mais l’UMP n’a pas cherché à récupérer le mouvement mais l’a accompagné.

Amusant : ce sont exactement les mots de Marion Maréchal-Le Pen…
Peut-être, mais on n’a pas vu Marine Le Pen, alors que Jean-François Copé a été aux côtés des manifestants tout le temps. Nous devons faire comprendre à cette jeunesse qu’après le temps de la rue vient celui des urnes : la protestation d’un hiver et d’un printemps ne peut se concrétiser que dans un engagement civique et politique. Si nous ne voulons pas nous contenter de nous réveiller à la veille du vote de lois qui nous déplaisent, il faut que ce printemps 2013 ait, comme en 1968, un prolongement électoral. Aujourd’hui, le pouvoir n’a plus le pouvoir. Il s’agit justement de le rendre au peuple car c’est à lui de fixer le cap. C’est pourquoi nous devrons organiser des référendums sur tous les grands sujets qui, bien au-delà de la famille, ont été des moteurs du mouvement : l’Europe, l’École, la valeur-travail,…

Totalitaire ou impuissant, il faudrait choisir. Passons. La radicalisation a été, dites-vous, ultra-minoritaire. Si vous pensez à la violence, c’est indéniable ; il y a eu, à la fin du mouvement, une sorte de raidissement conservateur. C’est ainsi que Frigide Barjot, qui avait réussi à fédérer des gens représentant un très large spectre  d’opinions et d’options existentielles, a été mise sur la touche.
Je répète que l’État doit garantir le bien-être des enfants, mais chacun doit pouvoir vivre comme il l’entend. [access capability= »lire_inedits »] Nous devons donc nous méfier de l’instinct de revanche et nous montrer très vigilants à l’égard de toute manifestation d’homophobie. C’est par le débat d’idées qu’on désamorcera toute forme de violence.

Le mouvement a t-il basculé vers le populisme ou vers l’extrême droite ?
Pour moi le terme « populiste » n’a rien à voir avec l’extrémisme politique, ni avec la stigmatisation de telle ou telle partie de la population : il se réfère au « peuple de France ». Cela signifie qu’il faut se tenir sur une ligne de crête entre une gauche culturellement coupée du peuple, qui nous dit « il n’y a pas de problème », et le Front national, qui pointe les problèmes mais leur apporte des réponses caricaturales. Par exemple, nous devons affirmer en même temps que nous n’avons rien contre l’islam, mais que chacun doit respecter nos valeurs et nos coutumes, autre évidence niée par les élites. Sur ce socle commun, nous ne lâcherons rien car, pour reprendre un slogan de ce printemps, « nous sommes la France ».

Encore faut-il, justement, être clair sur ce « nous ». Cette France représentée par les Manifs pour tous est-elle chrétienne ?
Culturellement, oui, comme en  témoignent nos 36 000 clochers. Je préfère le Puy du Fou à Disneyland.

Mais le catholicisme doit-il être l’une des « identités » qui composent la diversité française ?
La communautarisation est effectivement le principal danger. Ce mouvement porteur d’espoir est un message d’alerte lancé à la droite française. Mais il ne faut pas que ceux qui se sont mobilisés se replient dans leurs écoles, leurs paroisses, leurs familles. Nous ne sommes pas une partie de la France, nous sommes la France. Nous devons, donc, la porter dans son intégralité, avec ses racines chrétiennes et avec sa laïcité, qui garantit la saine distinction entre le politique et le religieux.

Reste à faire vivre ensemble, avec ou sans tiret, deux France, mais aussi au moins deux droites. Culturellement, vous êtes assez éloigné de NKM…
Permettez-moi d’abord de rectifier ce qu’on a dit partout : je n’ai jamais appelé à battre NKM, j’ai exprimé une préférence, ce qui, me semble-t-il, est l’objet d’une primaire. Maintenant qu’elle est désignée, je la soutiendrai sans arrière-pensées. Pour autant, je suis convaincu que les valeurs que je porte sont aujourd’hui majoritaires et que nombre de nos difficultés s’expliquent par le divorce entre une élite microcosmique et le peuple de France.

La boboïsation va bien au-delà des élites : encore une fois, l’individualisme libéral a gagné l’ensemble de la société, donc de la droite.
Je crois au contraire que cette droite, qui vit dans les grands centres urbains, attend de nous un autre discours que celui de la gauche bobo. Par exemple, elle veut qu’on réhabilite le Paris des artisans, des familles, des entrepreneurs et de la voiture. Nous ne gagnerons pas avec « les rappeurs et les webdesigners », comme dit quelqu’un de chez vous [2. Cette heureuse formule sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]. De moins en moins de Français croient que la mondialisation et le tout-permissif issus de 1968 conduisent au bonheur. La France, dans ses profondeurs, bascule. Chacun ressent l’angoisse identitaire, économique et sociale qui monte dans notre pays.

Donc, vous ne craignez pas d’être entraîné vers des positions réactionnaires au sens strict comme celles du Printemps français ?
La France aigrie ne me parle pas. Ce qui m’intéresse, c’est la France d’après, à condition qu’elle sache puiser dans une histoire bimillénaire. C’est cela qui rend libre. Or, aujourd’hui, sur cinquante livres d’histoire en circulation dans les écoles, cinq ou six, peut-être, parlent de Clovis et de Jeanne d’Arc. Pour autant, je ne crois pas à une société figée. L’avenir, ce sont « des racines et des ailes ».

Certains maires proclament leur refus d’appliquer la loi Taubira. Approuvez-vous la désobéissance civile ?
Depuis le débat entre Antigone et Créon, au Ve siècle avant Jésus-Christ, nous savons que la conscience a des droits contre les lois quand elles sont iniques. Pour autant, le principe de la désobéissance dérange le républicain que je suis. Nous avons toujours dit qu’après le vote de la loi, la manifestation du 26 mai devait être la dernière. Aux manifestants de continuer à se mobiliser pour que nous puissions la réécrire une fois au pouvoir. Je répète que, dès l’été 2017, nous devrons organiser un référendum sur cette question.

Éclairez notre lanterne : vous abrogez ou vous réécrivez ?
Nous proposerons une union civile qui offre aux couples homosexuels tous les droits et protections afférents au mariage, à l’exception de la filiation et de l’adoption qui doivent rester réservés aux couples formés d’un homme et d’une femme. Que je sache, la gauche ne se gêne pas pour détricoter toutes les lois que nous avons votées. Jusque-là, nous n’osions pas faire la même chose. Cette fois-ci, nous ne serons pas frileux. Mais pour que la droite ose être forte, ceux qui ont milité dans la Manif pour tous doivent se battre à nos côtés.

Laissez venir à moi les petits électeurs… Seulement, si les manifestants n’étaient pas de gauche, dans leur immense majorité, êtes-vous sûrs qu’ils sont de droite ? 
De fait, beaucoup détestent les idées de la gauche mais ne croient pas encore à l’existence d’une force de droite qui les représente. À nous de les convaincre que nous pouvons redevenir une droite d’idées et de valeurs. Plusieurs responsables de la MPT nous ont déjà rejoints. Les portes de l’UMP leur sont grand ouvertes ! Il appartient à chacun de construire la droite de demain, de préparer l’alternance et de changer la vie. C’est le défi intime et civique posé à chacun de nos compatriotes. Nul ne peut s’alarmer de la situation de notre pays s’il ne s’engage pas dans la Cité.[/access]

Égypte : Un coup d’État mais avec l’assentiment d’une majorité du peuple

122

prazan egypte morsi

Daoud Boughezala : Michaël Prazan, vous avez réalisé La Confrérie, un documentaire sur les Frères musulmans égyptiens, après une longue immersion sur le terrain. Êtes-vous surpris par l’affrontement armé entre les militaires et les membres de la confrérie islamiste auquel nous assistons ?

Michaël Prazan : Oui et non. Oui, parce que le général Abdel-Fatah al-Sissi était censé être l’homme des Frères musulmans. En arrivant au pouvoir, Mohamed Morsi et la Confrérie ont voulu reproduire ce qu’a fait l’AKP en Turquie, où l’armée y occupait un rôle assez comparable à celui qu’elle occupe en Egypte – une stratégie inspirée, d’ailleurs par celle des Frères de l’époque de Nasser -, il s’agissait de remplacer les hommes de l’ancien régime par des militaires membres de la confrérie, et pouvoir ainsi se faire de l’armée un allié indéfectible. Al-Sissi a été nommé par Morsi dans ce but, et il aurait dû être le symbole de la mainmise de la confrérie sur l’armée. Force est de constater que cette stratégie a échoué ! Al-Sissi est un militaire avant tout, c’est-à-dire un nationaliste (l’antithèse de l’idéologie frériste) ; ce qu’ont toujours représenté les militaires et l’armée en Égypte depuis Nasser. C’est pourquoi, d’un autre côté, je ne suis pas surpris que ce ressort nationaliste, disons patriotique, que symbolise l’armée pour les Égyptiens, ait pu entrer en connexion avec la révolte du 30 juin. C’est ce que réclamait une très grande partie de la population qui, bien que très religieuse, n’en demeure pas moins très patriote. Les Égyptiens n’avaient que faire des projets de reconstruction du califat ou du port de la barbe dans la police. Ce qu’ils voulaient, c’est un pays qui fonctionne correctement, qui sorte de la faillite et de la pénurie, et qui regagne son statut de puissance régionale. Cela, les Frères ne l’ont pas compris, et cela, c’est ce que représente l’armée pour les Égyptiens. C’est ainsi, également, qu’elle se perçoit elle-même.

Les témoignages de vos amis égyptiens confirment-ils votre analyse ? 

Tous les témoignages de mes amis et de mes contacts sur place décrivent un affrontement armé, violent, de part et d’autre, plutôt qu’un massacre aveugle, tel qu’on veut nous le faire croire. Les Frères et l’armée se connaissent très bien et depuis très longtemps. Chacun sait exactement à quoi s’en tenir et à quoi il s’expose dans ce face à face.

Certes, chacun campe sur ses positions. Toujours est-il que Morsi a été démocratiquement élu, de même que le Parlement à très large majorité islamiste, que la magistrature égyptienne a suspendu. Partant,  peut-on raisonnablement qualifier la destitution du 30 juillet de « coup d’Etat démocratique » ?

La démocratie ne se décrète ni par un vote populaire, ni sous la pression révolutionnaire. C’est avant tout une affaire de mentalité. Et cette mentalité n’est certainement pas celle des Frères musulmans. Ils n’ont tenu aucune de leurs promesses de campagne. Ils ont décapité toutes les institutions, les médias, les administrations pour y placer leurs hommes, Morsi s’est arrogé les pleins pouvoirs, le parlement s’est transformé en cirque. Ce n’était plus la démocratie, si tant est qu’elle ait jamais existé. La démocratie, c’est faire confiance à la société civile pour qu’elle s’organise afin de défendre par elle-même ses intérêts, c’est accepter une opposition forte et contradictoire, la critique des médias, l’autonomie de la justice, le dialogue, le compromis, etc. Rien de tout cela n’est compatible avec le logiciel frériste, et rien de tout cela n’a eu lieu sous leur pouvoir. Alors, y a-t-il eu coup d’Etat ? Sans doute, mais avec l’assentiment d’une très grande majorité des Égyptiens, ce qui est tout de même inédit. Et l’armée, si elle avait certainement des arrières pensées, n’a pas été que cynique. Souvenez-vous : le QG de la Confrérie a été incendié, ainsi que la maison du Guide suprême et que celle du vice-Guide suprême, le 1er juillet. Il y a eu des morts. Le risque de guerre civile, c’était à ce moment-là, quand le peuple était face au peuple – pas quand l’armée affronte la confrérie ; et l’armée s’est sincèrement sentie investie, à l’appel des manifestants, du devoir d’intervenir, de siffler la fin de la partie.

Pendant que l’armée égyptienne affronte des Frères musulmans armés, au prix de plusieurs centaines de morts, des églises sont incendiées. Doit-on y voir une forme de vengeance après le soutien indéfectible qu’a apporté le patriarche copte à la troupe égyptienne ?

Quelle vengeance ? La discrimination des Coptes ne date pas du mois de juillet ! Les églises n’ont pas attendues que les médias se penchent sur elles pour être incendiées. Elles le sont très régulièrement depuis un an. Dès que quelque chose cloche en Égypte, les Frères déclenchent des pogroms et détruisent des églises. 400 000 Coptes ont fui le pays sous le règne de la confrérie ! Ils ont remplacé les juifs qui ont quitté le pays en 1956 dans le rôle de bouc émissaire des islamistes. C’est parce que leur vie était devenue intenable qu’ils ont soutenu le « coup d’Etat ». Mais ils étaient aussi très présents dans les manifestations qui ont fait chuter Moubarak. Ce ne sont pas des alliés des militaires par principe, loin de là. Mais ils aimeraient pouvoir être en sécurité et être tenus pour ce qu’ils sont : des Égyptiens.

Tariq Ramadan prétend que la responsabilité des islamistes dans les attaques antichrétiennes n’a jamais été prouvée et met en cause l’armée, qui attiserait ainsi les tensions pour faire accuser les Frères… Cette hypothèse est-elle complètement farfelue ?

Évidemment, et ces déclarations sont scandaleuses. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les sites internet de la confrérie pour lire ce qui se dit des Coptes et sur leurs appels au meurtre. Les Coptes, eux, qui sont sur place, savent très bien d’où viennent ces attaques, croyez-moi !

 

*Photo : Al Jazeera.

Lacan, Dieu et moi

34

Nous sommes en 2010, et je participe à un séminaire sur Lacan et la religion en compagnie des frères franciscains et de quelques versaillaises habillées d’une jupe droite et d’un col claudine. Lacan et la religion ? Rapport subtil, puisque Lacan est un ennemi de toutes les prêcheries comme de cette équipée samaritaine plus connue sous le nom d’humanisme. Mais c’est aussi un grand lecteur de la théologie. Et pour cause, puisque le théologien essaie d’articuler quelque chose d’impossible à dire. Il va sans dire que le moindre quidam ne fait pas autre chose, surtout lorsqu’il veut témoigner de son désir pour quelqu’un, ou, plus dur encore, pour quelqu’une.

Bref, nous passons tous un moment sympathique à papoter sur l’Impossible lorsque le colloque dérive, subitement, vers la question que je déteste. « Croyez-vous en Dieu ? » me demande, d’ailleurs assez froidement, une dame au premier rang. « Je crois que Dieu me récompensera après ma mort pour avoir eu la force de rester un athée toute ma vie, ai-je répondu. J’ai la faiblesse de penser que cette croyance en vaut une autre ». Mais elle n’a pas du tout apprécié cette réponse, et j’ai dû m’excuser sur le champ.

 

Russie : jusqu’où montera Igor Sechin ?

48

igor sechin poutine

L’étoile d’Igor Sechin est en train de monter de manière spectaculaire au firmament politique Russe. Le président de ROSNEFT est désormais l’un des hommes les plus puissants mais aussi les plus influents, après le Président Poutine naturellement. L’accord qui a permis à ROSNEFT d’acquérir TNK-BP pour la modique somme de 28 milliards de dollars a été l’un des plus importants depuis une décennie et a fait de cette compagnie l’une des toutes premières de son secteur. Aujourd’hui, Igor Sechin est devenu le président du conseil des directeurs de RAO-EES, l’équivalent russe d’EDF, continuant son ascension et, ce qui est encore plus important, la diversification de ses activités.

Bien sûr, on peut aussi noter le renvoi d’Alexandre Popov, le responsable de l’agence d’État ROSNEDRA, décidé par le Premier Ministre russe, Dmitry Medvedev. M. Popov est connu pour avoir été, il y a de cela plusieurs années, l’un des collaborateurs de d’Igor Sechin. Mais ceci s’apparente plus à la morsure du scorpion en train de mourir. La position de Dmitry Medvedev est loin, très loin, d’être assurée. Il a perdu nombre de ses alliés les plus importants depuis l’hiver dernier. On peut se demander s’il ne sera pas remplacé dès l’automne à venir. Si tel devait être le cas, l’influence d’Igor Sechin, qui apparaît aujourd’hui comme le plus sûr des alliés de Vladimir Poutine, pourrait s’en trouver renforcée de manière décisive.

Sechin a joué un rôle essentiel dans la transformation de ROSSNEFT, une société où l’État est majoritaire, ces dernières années en un géant mondial. Cette compagnie pétrolière s’est d’abord étendue dans son secteur d’origine, au point de devenir, à la suite du rachat de TNK-BP, l’une des principales, voir LA principale, compagnie pétrolière dans le monde. Elle a aussi acquis massivement les technologies qui lui manquaient jusque-là au travers d’un accord historique conclu avec BP. Ces technologies vont lui permettre non seulement de réaliser des progrès importants en exploration et en exploitation, mais aussi de prendre une option décisive sur la future exploitation du gaz et de l’huile de schiste. Elle a de plus pris des contacts importants avec les compagnies pétrolières chinoises (dont le Forum de Saint-Pétersbourg en juin dernier s’est fait l’écho), et s’est placée de manière avantageuse par rapport à cet immense marché. On ne sait pas, en effet, quelle sera la décision du gouvernement russe quant à l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Mais, les réserves potentielles sont immenses, et des méthodes d’exploitation non polluantes finiront bien par voir le jour. A ce moment, ROSNEFT bénéficiera d’un avantage important.

Dans le même temps, cette société a commencé à se diversifier dans le domaine du gaz, et va pouvoir accélérer cette diversification d’ailleurs grâce aux technologies acquises qui vont lui permettre de récupérer une bonne partie du gaz gaspillé sur les puits de pétrole. Le gouvernement russe a d’ailleurs fait de la récupération du « gaz associé » l’une des priorités de sa politique énergétique.

Cette diversification vers le domaine gazier menace directement GAZPROM, qui semble aujourd’hui en perte de vitesse, et cela étant très probablement lié à la semi-disgrace que connaît actuellement le Premier Ministre, mais aussi aux problèmes propres de gestion du géant gazier. Avec la nomination de Sechin comme président du conseil des directeurs du RAO-EES, c’est bien la perspective d’une intégration verticale, en raison de l’importance du gaz pour la production d’électricité, qui se profile au bénéfice de ROSNEFT. L’ascension d’Igor Sechin confirme donc qu’en Russie, pour le meilleur comme pour le pire, la politique et les affaires sont intimement liées.

Igor Sechin l’a d’ailleurs fort bien compris, et il a saisi l’importance des responsabilités que la prééminence de ROSNEFT désormais lui confère. Ainsi, le 16 juillet dernier, alors même que le Président Poutine supervisait les manœuvres les plus importantes des forces armées russes depuis 20 ans, manœuvre qui se sont déroulées en étroite collaboration avec la Chine, a-t-il annoncé un projet d’investissement de 30 milliards de dollars en Sibérie orientale et dans l’Extrême-Orient russe. Bien entendu, on peut relier cette annonce avec le fait que le montant des impôts payés par les producteurs de pétrole doit être renégocié. Sechin espère bien que les taxes seront diminuées. Mais, en présentant ainsi ROSNEFT comme l’un des principaux acteurs potentiels de la politique russe d’aménagement du territoire, il sait qu’il touche une corde sensible chez le Président. Vladimir Poutine a, à de nombreuses reprises, exprimé son intérêt pour un développement équilibré des différentes régions de Russie. Avec la montée en puissance de la Chine, mais aussi compte tenu des difficultés économiques que ce dernier pays rencontre depuis maintenant plusieurs mois, le développement économique de l’Est de la Russie, de cette façade sur l’Asie, est devenu l’une des priorités de la Présidence. Sur le terrain du développement des territoires ROSNEFT semble donc progressivement remplacer GAZPROM dont les moyens financiers sont actuellement réduits.

Il n’est pas sans conséquences qu’Igor Sechin ait choisi l’Extrême-Orient et la Sibérie orientale pour cette incursion dans ce qui était jusqu’à présent le domaine réservé de GAZPROM. Il est de notoriété publique qu’il a défendu depuis de nombreuses années un modèle de développement largement inspiré de l’exemple chinois. Ce modèle, que l’on peut qualifier de modernisation conservatrice, s’oppose au modèle « libéral » qui a été suivi jusqu’à maintenant par la Russie. Avec l’affaiblissement progressif de Dmitry Medvedev et la montée en puissance d’Igor Sechin, c’est peut-être à un basculement de modèle que l’on est en train d’assister en Russie.

Cependant, s’il veut garantir et pérenniser son ascension, Igor Sechin devra répondre à deux défis majeurs.

Le premier concerne justement la politique économique et la stratégie de développement de la Russie. Nul n’ignore que le pays a accumulé un retard certain dans le déploiement d’une politique de soutien à l’innovation. Il est aussi confronté à une hétérogénéité importante des niveaux technologiques entre les différentes branches de l’industrie, ce qui n’est que le résultat de la chute dramatique de l’investissement que l’on a connue de 1991 à 1999. Igor Sechin, s’il veut réellement asseoir son influence, doit faire la démonstration que ROSNEFT est en mesure de jouer un rôle important dans le développement des nouvelles technologies, que ce soit directement, dans les activités d’exploration et d’exploitation, ou que ce soit indirectement en favorisant l’emploi de ces nouvelles technologies dans les différentes branches de l’industrie. Ceci implique en réalité une véritable stratégie de l’investissement. Mais, pour cela, il faut que la Russie harmonise le niveau technique de son capital fixe, qui est marqué, depuis les années terribles 1991-1999, par des écarts considérables entre les branches.

Ceci ne fait que reprendre une idée qui fut maintes fois exposée par le professeur Victor Ivanter, directeur de l’Institut de Prévision Économique. Pour Victor Ivanter,  il faut en effet cesser d’opposer le secteur des ressources naturelles et celui des nouvelles technologies car l’exploitation des ressources naturelles va impliquer, directement et indirectement, de plus en plus ces nouvelles technologies. Ceci est parfaitement exact. En fait, le développement des innovations et des nouvelles technologies implique l’existence d’une demande importante pour ces dernières. En Russie, le secteur des matières premières pourrait parfaitement, s’il modernisait les conditions d’exploitation et de transport, procurer cette demande. Néanmoins, un tel projet implique aussi qu’une stratégie de développement globale soit mise en place qui fixe la place du secteur des ressources naturelles et qui assure que les revenus issus de ce secteur iront bien alimenter l’investissement, dans ce secteur mais aussi dans l’ensemble de l’industrie.

Igor Sechin doit donc s’inscrire dans cette perspective, et pour cela faire des propositions dépassant la simple sphère de ROSNEFT, s’il veut que son ascension puisse continuer et se pérenniser. En un mot, il doit faire la preuve de sa capacité à concevoir, à partir du secteur où il est implanté, une stratégie gagnante pour l’ensemble de la Russie.

Le second défi est plus subtil. L’ascension d’Igor Sechin est importante et spectaculaire. Mais il doit prendre garde à ne pas effrayer trop de monde en chemin. Qu’il se souvienne de ce qui arriva à Nicolas Fouquet[1. Surintendant des finances de Louis XIV, Fouquet avait accumulé un pouvoir extraordinaire par la faveur du Roi. Mais son ascension finit faire de l’ombre au Roi qui le fit arrêter Fouquet en 1661 et le dépouilla de tous ses biens].

Si Igor Sechin ne veut pas subir, mutatis mutandis, le sort de Nicolas Fouquet il doit, dans son comportement, démontrer qu’il n’est pas un danger pour Vladimir Poutine, et il doit se comporter de manière inclusive et non exclusive, rassembler et non diviser. Tel est peut-être le principal défi qui attend Igor Sechin.

Ce qui est en train de se jouer en Russie est donc d’une importance considérable. On retiendra évidemment le tournant vers l’Asie dont Igor Sechin s’est fait l’avocat. Mais, de toute manière, ce tournant était inévitable. La baisse de la demande en Europe, et en particulier dans la zone Euro du fait de la crise que cette dernière connaît ne laisse guère d’autres alternatives à la Russie que de se tourner vers la Chine et les pays voisins. Mais on aurait grand tort de ne retenir que ce tournant. En arrière-plan, se dessine une évolution vers un système modernisateur mais sous le contrôle de l’État, système dont Igor Sechin pourrait bien, s’il le décide et s’il se décide à faire les efforts nécessaires, devenir à terme le symbole et pourquoi pas le dirigeant.

Retrouvez l’article originel sur le blog de Jacques Sapir.

 

*Photo : Igor Sechin en visite au Venezuela (chavezcandanga).

Chanter tout l’été

Très chère Eugénie,

Vous citâtes dans l’une de vos brèves  un extrait de la deuxième épître aux Thessaloniciens dans lequel Paul de Tarse, son auteur présumé, exhorte son auditoire en ces termes : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »

Sans épiloguer sur l’étude de l’Inserm qui motive votre intervention, je voudrais ici revenir sur votre interprétation de ladite citation – ou, du moins, de l’usage que l’on en fait couramment selon vous. Ainsi, nous dites-vous, cet avertissement paulinien aurait « toujours servi de chantage à la société bourgeoise pour plier le prolo aux lois du tripalium » et vous y opposez Le Droit à la paresse de Paul Lafargue qui encourage le bon peuple à « ne travailler que trois heures par jour » et « à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit ».

Nul ne songe, chère Eugénie, à remettre en cause ce droit que vous avez d’occuper vos journées comme bon vous semble. Surtout pas moi : je suis, je l’avoue volontiers, un fervent adepte de la procrastination et de la rêvasserie.

Mais notez bien ceci : j’évoque votre « droit de » – en l’espèce, votre droit d’être oisive – et pas un « droit à ». C’est tout à fait différent ; c’est tout ce qui sépare un véritable droit, une liberté de faire ce que votre cœur vous dit, d’un droit-créance (pour reprendre la terminologie de Raymond Aron) ; c’est-à-dire de l’idée selon laquelle la Société (et donc l’État) vous doit les moyens de fainéanter, de bombancer ou de vous faire les ongles.

Or, chère Eugénie, c’est précisément ce que saint Paul nous raconte dans cette épître. Le même, deux lignes plus haut : « Nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne ; mais, dans le travail et dans la peine, nous avons été nuit et jour à l’œuvre, pour n’être à charge à aucun de vous. »

En d’autres termes, ce n’est pas parce que vous avez le droit de ne pas travailler que vous avez, pour autant, le droit à l’oisiveté dans la mesure où, comme j’imagine que vous ne vous êtes pas convertie à une vie d’ascétisme, vous vous apprêtez à taper sans contrepartie dans ce que les autres ont produit pour eux-mêmes. C’est comme dans la fameuse fable de Jean de La Fontaine : vous pouvez bien chanter tout l’été mais, lorsque la bise sera venue, il faudra prendre vos responsabilités.

Pour être encore plus clair : faites ce que bon nous semble mais pas aux dépens des autres.

Bien sûr, me direz-vous, ce « droit à » existe déjà – c’est une des dispositions de notre modèle social. Aussi, je vous invite à vous poser deux questions toutes simples : qu’adviendrait-il, selon-vous, si nous suivions tous votre conseil ? Et quelle sorte de morale y a-t-il à « fainéanter et bombancer » en attendant que d’autres pourvoient à vos besoins ?

UMP : Le droit d’inventaire ou le droit de se taire ?

cope sarkozy bilan

Il en a fallu du temps !

Pourquoi, d’ailleurs, avoir dû attendre le 16 août, soit quinze mois après la défaite de Nicolas Sarkozy, pour que Jean-François Copé juge nécessaire, avant la mi-octobre, « un débat sérieux et objectif » sur le quinquennat écoulé ?

Le paradoxe était en effet que cet échec grave, malgré une fin de campagne plus que racoleuse, n’ait pas entraîné tout de suite une analyse, un bilan, un droit d’inventaire ? Quand on perd et qu’on reçoit un héritage grevé, on constate, on examine, on exclut.

Pourtant, au fil des mois, des voix se sont élevées dont il faut considérer qu’à cause de l’ambiance caporaliste diffusée par Sarkozy et validée par Copé, elles étaient courageuses et lucides. Elles méritent d’être toutes citées parce qu’un jour, elles seront l’avant garde, l’honneur d’une droite rénovée.

Jean-Pierre Raffarin, Luc Chatel, Xavier Bertrand, Hervé Mariton, François Fillon, Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin, Patrick Devedjian, à un degré moindre Pierre Lellouche et Philippe Marini, sur un mode plus discutable mais la première, Roselyne Bachelot. Dans le désordre.

Si Jean-François Copé a tant tardé à admettre l’inéluctable tient au fait que sa complicité intéressée avec Sarkozy fondée sur une répartition des rôles dans le futur l’a conduit à bloquer, à verrouiller un dispositif en espérant qu’il tiendrait tant bien que mal jusqu’à la primaire de l’UMP en 2016. Aucune autre tête virtuellement menaçante ne devait émerger.

Pour ce faire, contre tout bon sens, Copé, pour complaire à son maître – à force d’être qualifié de clone de Sarko, il a fini par y croire !- a d’abord prétendu que le vaincu avait un droit naturel à se représenter et qu’il ne devait être soumis à aucune joute interne. Puis, sous des pressions diverses dont celle essentielle de François Fillon, Copé a consenti à l’instauration du système de la primaire. Et le 16 août, il a formulé la proposition d’un débat « sérieux et objectif » (Le Monde, Le Figaro).

L’accouchement a été lent.

Pourtant, s’il n’y avait pas eu l’emprise délétère de Nicolas Sarkozy encore sur l’UMP grâce à lui, ce n’est pas la qualité des opposants au droit d’inventaire qui pouvait le retenir d’adopter cette démarche naturelle.

En effet, parmi les adversaires, il y a les inconditionnels de Sarkozy qui ont eu cette facilité, ce confort de ne rien apprendre et de tout oublier. Les duettistes Geoffroy Didier et Guillaume Peltier créateurs de la Droite forte (plutôt bête !), Brice Hortefeux jamais en retard d’un poncif, Nadine Morano tellement appréciée pour sa mesure! et le sénateur Karoutchi écoutant Copé pour savoir ce qu’il peut dire : le débat sérieux et objectif mais pas de droit d’inventaire ! C’est tout et ce n’est pas brillant (20 minutes).

Il est évident que derrière le refus si longtemps affiché de ce bilan critique, il y bien davantage que la volonté de ne pas se regarder « le nombril » ou de ne pas tomber dans « l’auto flagellation » ou de fuir « les procès personnels ». Il y a la certitude qu’il sera très difficile, une fois la machine lancée, de l’arrêter. Une parole collective qu’on libère sur un passé proche, des intelligences longtemps murées qu’on invite à analyser, à dénoncer et à proposer, nul ne peut prévoir si l’une et les autres ne dépasseront pas les limites permises – celles du débat sérieux et objectif – pour s’engager dans les territoires sombres et dangereux du droit d’inventaire. Certes, on aura toute licence pour vanter les acquis et les réussites du quinquennat et il y a eu des lumières évidemment. Mais attention à ne pas surestimer les ombres et les déceptions. Il faudra raison garder et inconditionnalité conserver (JDD).

« Le débat sérieux et objectif » enfin accepté par Copé – il est exclu qu’il l’ait évoqué sans en référer – va constituer une tentative désespérée pour éviter que la bonde lâche et que le quinquennat soit disséqué au scalpel.

Car le risque est là. Comment s’arrêter à une politique, à ses méthodes, à ses avancées mais aussi à ses défaillances et ne pas mettre en cause aussi la pratique présidentielle de Sarkozy et, plus profondément, sa personne elle-même ? Car il n’est personne qui ignore – mêmes les plus obtus à l’UMP – que la défaite de Sarkozy, si elle a eu des causes classiques – les impuissances, les reniements et les compromis – relatives à la gestion de notre pays et à son rôle international, a surtout été causée par une désaffection radicale à l’égard de ce président et de son comportement public et privé.

Les Français ont bien plus quitté un homme qu’une politique. Ils ont bien plus choisi un autre président qu’adopté le socialisme.

Si, pour jouer les belles âmes ou par sauvegarde, on se prive des « procès personnels », on se prive de tout. En tout cas d’un débat digne de ce nom. Le sérieux et l’objectif du débat ne seront pour Sarkozy et ses séides qu’une fermeture dissimulée derrière une concession. Pourtant, il ne s’agira pas non plus de se plonger dans les 20 ans d’affaires de l’ère Sarkozy, de 1993 à 2013 (Mediapart). Mais de brasser ensemble les actions, les abstentions, les provocations, les aberrations et les transgressions, le politique et le président, l’officiel et l’intime qui y a été souvent trop lié.

Jean-François Copé contraint et forcé a cru tout de même bien jouer en impliquant François Fillon dans la cause puisqu’il a affirmé « son intention de veiller à ce que le débat ne vire pas au procès contre Nicolas Sarkozy et François Fillon ». Avec cette subtilité trop adroite, il s’imagine pouvoir ligoter ce dernier et ses partisans en leur faisant craindre un naufrage collectif plus qu’un désastre exclusivement sarkozyste.

C’est oublier que François Fillon va se présenter à la primaire de 2016 et qu’on ne saurait imputer à l’ancien Premier ministre une quelconque responsabilité dans les choix fondamentaux du quinquennat, ses foucades et ses aveuglements. L’omniprésence agitée et souvent erratique de Nicolas Sarkozy sur tout et pour tout rendrait injuste un droit d’inventaire s’exerçant à l’encontre des deux alors que l’un a eu le pouvoir et l’autre l’exécution et l’obéissance.

Celui qui a le mieux défini ce que devra être ce débat élargi ou ce droit d’inventaire est – ce n’est pas surprenant – Patrick Devedjian qui a prôné, plus que le sérieux et l’objectivité, la vérité. Il est quasiment le seul à avoir eu le courage, dans le camp de la majorité d’alors, à faire valoir ses réserves et ses oppositions. Donc il devrait être plus écouté que les autres.

J’aime qu’il propose, pour cette entreprise à la fois de satisfaction ici et de dénonciation là, un débat extérieur à l’UMP, même avec des personnalités de gauche (RTL, France 2).

Je ne vois pas en effet au nom de quoi, à droite, seuls ceux qui ont validé et légitimé les errements du quinquennat seraient fondés à s’exprimer. En tout cas, on ne pourra faire l’impasse sur les enthousiastes du candidat de 2007 et qui n’ont cessé d’alerter durant cinq ans. J’en suis. S’ils ont dû voter François Hollande, ce n’est pas grâce à lui mais à cause d’une droite qui avait été défigurée par son prédécesseur avec notamment un état de droit en miettes et une justice aux ordres. Si, à ce forum d’avant la mi-octobre, tous sont conviés qui auront à critiquer pour hier et à espérer pour demain, ce droit d’inventaire tiendra ses promesses. Sinon, sérieux et objectif pour ne pas dire indolore, incolore et sans saveur, il ressemblera trop à un droit de se taire.

Du côté de l’UMP, on s’est précisément tu trop longtemps. Avec elle, les conseillers, même les plus républicains, le Premier ministre et les ministres.

Et, conséquence, le socialisme, avec François Hollande, sera là au moins jusqu’en 2017.

*Photo : ©HTO3.

Le crépuscule des lieux

54

on ferme muray

En 1997, Philippe Muray publie On ferme, la foisonnante exploration romanesque de son hypothèse de la fin de l’Histoire. Dans cet opus drolaticus maximus, il aborde également, et avec le même entrain ravageur, le pendant méconnu de la fin de l’Histoire – sa sœur jumelle, qu’il surnommait parfois la « fin de la géographie ».

Ectoplasme euphorique, négation ambulante de tout ailleurs, le touriste est naturellement l’agent historique de cette dévastation. Cet idiot inutile passe son temps à aller voir là-bas s’il n’y est pas. Et il y est. Toujours. Partout. Il n’y a que lui, bien sûr. Célébrant béatement l’ailleurs sans soupçonner un instant qu’il en est le fossoyeur fanatique.[access capability= »lire_inedits »]

Écoutons, dans On ferme, cette jubilatoire et blasphématoire Invitation au dé-voyage.

« Regarde tout ce que tu pourrais faire à travers ce vaste monde. Sillonner les voies piétonnes d’Athènes, de Rome ou d’Amsterdam. Tirer de l’argent à Venise. Utiliser ta carte Visa dans des billetteries de Barcelone. Louer une voiture à Pékin et la rendre à Conakry. Manger dans des McDo’ à Melbourne, à Hanoï ou à Tunis. Acheter des fringues à Saïgon. Envoyer des fax de Bagdad, de Vancouver, de Tobago. Visiter les magasins d’électronique de Khartoum, Jérusalem, Valparaiso, Lima, Saint-Pétersbourg, Philadelphie. Téléphoner de Dallas ou de Tripoli. Regarder la télé câblée à Singapour, Montevideo, Brisbane. »

Ôtez immédiatement votre short de néant, vous qui entrez ici : « Les continents sont devenus la propriété des masses touristisantes, voilà ce qu’il fallait bien prendre en compte. Le globe-trotter du tertiaire est le destin maquereautant de la planète. La terre est la pute des Loisirs. Le parasite consommateur vient gicler dedans quand ça lui chante, il se l’envoie par tous les trous. Quand tu arrives quelque part, tu ne trouves plus un mètre carré qu’il n’ait pas enfilé mille fois. Il s’est tout tapé, il a tout liquidé, il s’est dégorgé sur les églises, il a giclé sur les châteaux, il s’est soulagé sur les tableaux. Il a déchargé, avec quel entrain, sur les fresques les plus rares, limé les plus vieux monuments, foutu les plus beaux paysages. Tout salopé ! Enfilé ! »

Vraiment ailleurs, dites-vous ? Ailleurs que le Moderne ? Un peu d’air vif ? Un peu comme si nous étions vivants ? Tout-ailleurs ? Férocement ? Mais vous y êtes, pourquoi perdre courage ? Cela se nomme On ferme.[/access]

 

On ferme, de Philippe Muray (Les Belles Lettres).

*Photo : lipjin.

FN : la saga continue

En août, Paris se dépeuple. Au grand désespoir des parisiens privés de vacances, ses salariés du tertiaire fuient le triste cortège des touristes, SDF, roms et autres éclopés de l’été pour lézarder entre deux pastagas. Au détour d’une flânerie, les grosses poignées de parigots qui profitent de la ville tombent parfois sur des totems interlopes. Non loin du Parc des princes, on trouve par exemple une affiche du Front national – voyez la flamme redessinée selon les canons esthétiques marinistes, tout en ruptures et en continuités – qui cède à l’engouement contemporain pour le vintage.

fn marion marechal

Car, à y regarder de près, le slogan « Ni droite ni gauche » qui nous en met plein les mirettes a tout du clin d’œil appuyé à l’ouvrage éponyme d’un certain Samuel Maréchal, chef du Front National de la Jeunesse au début des années 1990 et père de l’actuelle députée frontiste du Vaucluse. Cela tombe bien : le FN génération Marine épouse pile poil cette formule idéologique en inversant la vieille antienne de son fondateur, jadis si fier de se dire « économiquement de droite et socialement de gauche ». Mais là où le bât blesse, c’est que l’hommage rendu à Samuel Maréchal ne cadre pas, mais alors pas du tout, avec le credo de sa fille, bien plus fidèle aux positions de Jean-Marie Le Pen qu’à celles du tandem Marine-Philippot. Celle qui se définit comme « une femme de droite », parle ouvertement d’alliances locales avec une UMP méridionale droitisée, et conspue en privé la mutation crypto-chevènementiste du programme économique du FN, doit peu apprécier l’hommage en forme de pied-de-nez.

Cette phraséologie tercériste surprend d’autant plus qu’en ces temps d’après-Manif pour Tous, hors du triangle Canal-Inrocks-Libé, il est de bon ton de se dire de droite, voire de traquer la « droitophobie » à coups de grandes envolées victimaires.

Comme au FN, on lave traditionnellement son linge sale tant en famille que devant les caméras, la thèse du règlement de comptes familial n’est pas si farfelue.  Marion contre Marine, Florian contre Marion, Jean-Marie contre Marine, le tout assaisonné des mots de Samuel : gageons que les tabloïds se régaleront bientôt des chamailleries de la saga Le Pen troisième génération en oubliant leur nez pincé !

 

 

Le carnaval Galliano

john galliano racisme

Allô les folles ! John Galliano est de retour !

Je ne connais pas les grandeurs dans l’univers de la mode, à peine les tailles. Mais Galliano, c’est à coup sûr une pointure. Gourou chez Dior, roi (et reine, soyons pas sexistes) des nuits parisiennes, ce missile de la haute couture a été descendu en plein vol par lui-même ce jour de février 2011 où, pris de boisson et de narcotiques, il apostropha une dame dans un bistrot du Marais avec des propos trop ignobles pour être reproduits ici — pour le verbatim, vous avez YouTube — mais où il exprime une entière adhésion à la personne et aux solutions raciales d’un chancelier allemand bien connu.

Un autre que lui serait tombé en enfer. Le dandy surdoué, surbranché, tapetto-charismatique et hautement dollarogène a eu droit au purgatoire. Deux ans et demi avant que Vanity Fair, le magazine qui arbitre les élégances de la suprasociété du spectacle, lui ouvre ses colonnes! « C’est la première interview sobre que j’aie jamais donnée », annonce-t-il en ouverture de son acte de contrition. A la différence de vous et moi quand nous soufflons dans l’éthylotest des flics, ses surdoses à lui — surdoses d’artiste! — sont des circonstances atténuantes. Et le voici en double page, méditatif et grave, crinière blonde à mi-dos, penché sur une cascade dans une composition romantique léchée — d’Annie Leibovitz, pas moins ! — qui pourrait servir d’illustration à l’album «André Rieux joue BHL». Nul doute qu’avec une opération de RP si étudiée, nous allons bientôt revoir défiler du Galliano.

Le cas reste emblématique. Galliano était l’un des grands chorégraphes du papillonnage mondial, mélangeant les races, les sexes, les cultures et les styles dans un copinage universel où « jouir » était le seul mot d’ordre. Bref, le moins suspect de racisme. Et puis, soudain, cette éructation… Certes, il était drogué. Mais les drogues, souvent, ne font qu’abolir les inhibitions. Que pensait-il réellement de ses semblables, ce petit hispano de Gibraltar soudain précipité dans le grand monde ? Mais, au fond, qui s’en fout ?

Tout le monde !

Avec l’informatique, nous avons instauré un véritable Panopticon. Tout est filmé, tout est stocké. Sur Facebook, le moindre dérapage est indélébile. Twitter, c’est encore mieux: impulsif et fulgurant, c’est la peau de banane la plus glissante jamais inventée. Des vedettes mûres s’y laissent piéger comme des ados. Une gueule qui ne vous revient pas, une petite généralisation raciale ou sexuelle — et vous êtes dedans! En sept fautes d’orthographe sur 140 signes, la ministre française de la culture vient ainsi de démontrer, par un seul tweet, son ignorance profonde de la langue qu’elle est censée défendre. L’autogoal parfait! Instantané!

À mesure que la surveillance se généralise, le corset de la bien-pensance se resserre. Des artistes, des sportifs, des politiques de haut vol tombent pour un seul mot. Le talent appelle la morgue, et la gloire, le sentiment d’impunité. Or, la police de la pensée mutualisée par le réseau ne connaît ni rois ni gueux. C’est la censure la plus aveugle, la plus égalitaire jamais inventée. Nous entrons peu à peu dans la Terreur, où la foule excitée par les idéologues devient le juge des idéologues eux-mêmes.

Si, au moins, l’on avait prévu une soupape sur la marmite ! Mais non. L’explosion de bestialité généralisée nous guette sous peu. À moins que…

Les déguisements baroques du susnommé citoyen Galliano m’ont donné une idée. Réhabilitons le carnaval ! Revenons aux sources de cette bacchanale où, pour un moment, tout était permis et tous étaient égaux. Coupons les réseaux, éteignons les caméras et décrétons trois jours de liberté d’expression réelle (et non cette abstraction qu’on met dans des constitutions que personne ne respecte). Et laissons chacun dire à tout le monde son fait. Clamer avec Baudelaire qu’en Belgique « il y a des femelles,  pas de femmes ». Avec Desproges que « les Grecs s’appellent aussi Hellènes : c’est dire à quel point ils sont pédés ». Avec Daudet que les députés sont des « larves parlementaires ». Traiter les gens de couleur de Nègres et les J*** de @!?##!->%. Dire que la religion d’_____ est une religion de _____. (Tiens, même mon clavier refuse d’entrer certains mots; mais vous compléterez aisément le catalogue, je vous connais !)

Au quatrième jour, le net serait rétabli, les cravates renouées, les balais réenfilés dans les culs et l’on pourrait reprendre les conversations sur le mode inauguré jadis de l’autre côté du Rideau de Fer:

« Entre nous, camarade », demande un policier est-allemand son collègue, « que penses-tu du régime ?

— La même chose que toi.

— Alors, je regrette, Camarade : je suis obligé de t’arrêter ! »

 

*Photo : B612星球.

Erdogan : un complot judéo-sioniste sinon rien !

76

Curieux hasard ? Le jour même où le roi Abdallah de Jordanie met en garde contre les divisions ethniques et religieuses qui risquent de « détruire le monde musulman », le premier ministre turc  Recep Tayip Erdogan prend pour cible l’ennemi commun à toutes les factions, courants et mouvements de la région : le complot sioniste !

Rarement pris en défaut sur ce terrain, Erdogan vient de récidiver. Non content d’imputer la responsabilité des émeutes populaires printanières à la microscopique communauté juive locale, le fondateur du parti islamiste AKP, au pouvoir depuis 2002 à Istanbul, où son éclat commence à pâlir, nous livre aujourd’hui son interprétation du coup d’Etat militaire égyptien.  Avec un gros scoop à la clé : Israël serait à la manœuvre,  le scénario l’éviction du président frère musulman Mohamed Morsi ayant été échafaudé dès 2011 entre le ministre de la justice de l’Etat hébreu et… « un intellectuel juif français » (sic). À ceux que cette théorie conspirationniste en diable défrise, Erdogan explique avoir des preuves. Du lourd, du solide, puisque ledit intellectuel, dont le nom, contrairement à la confession, n’a pas encore été divulgué, aurait déclaré : « Les Frères Musulmans ne seront pas au pouvoir même s’ils gagnent les élections. Car la démocratie ne se résume pas aux urnes. »  Parions que ce n’est qu’un début, quelques prélèvements ADN, le podcast d’une émission de radio ou la photographie d’un serrage de mains devraient logiquement alourdir le passif du suspect mis en cause par l’inspecteur Erdogan.

Depuis le fameux printemps arabe, dont les bourgeons semblent aujourd’hui cramoisis, la bonne vieille méthode consistant à jeter le discrédit sur son adversaire politique en l’accusant d’être à la solde d’Israël prospère comme jamais. A Benghazi, Alep, et au Caire, adversaires comme farouches opposants aux régimes en place incriminent le camp d’en face : pions du Mossad, suppôts de Tsahal, plus si affinités…

Beaucoup pourraient croire ces inepties insignifiantes. Mais loin de se cantonner au théâtre burlesque, ce genre d’allégations rencontre un vif écho, notamment parmi les classes moyennes pieuses qui forment la base électorale d’Erdogan. Son complotisme aux relents antisémites pourrait bien devenir le dernier dénominateur commun de sociétés arabo-musulmanes profondément déchirées par les luttes de puissance et les tensions interconfessionnelles. William Hague, chef de la diplomatie britannique, annonce des décennies de discorde au Moyen-Orient. On n’a donc pas fini de rire jaune.

Manif pour tous : Après le temps de la rue, le temps des urnes !

80
guillaume peltier mariage pour tous ump

guillaume peltier mariage pour tous umpPropos recueillis par Jacques de Guillebon et Élisabeth Lévy

Causeur. Avons-nous assisté, avec les Manifs pour tous, à la naissance d’une nouvelle droite ?
Guillaume Peltier[1. Ancien militant du Front national de la jeunesse (1998), puis du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers (2001-2007), Guillaume Peltier est aujourd’hui vice-président de l’UMP et l’un des fondateurs de « La Droite forte », motion arrivée en tête avec 28 % des suffrages lors du vote de novembre 2012.].En tout cas, au réveil d’une nouvelle génération, raison pour laquelle j’ai parlé de « Mai-68 de droite ». Il y a une droite des valeurs qui se substitue à la droite des intérêts, et c’est elle qui se mobilise, comme elle l’a fait en juin 1968 et en 1984.

Vous savez bien, pourtant, que les « valeurs de 68 » ont pénétré l’ensemble de la société – jusqu’à Causeur, c’est dire…
Les « valeurs de 68 » ne sont pas le sujet en tant que tel. Cette nouvelle génération se mobilise pour réhabiliter le patriotisme, le mérite, l’effort, l’entreprise, la famille – notions jusque-là tenues pour ringardes. Les responsables de la MPT que j’ai rencontrés n’ont pas l’intention de se laisser dicter ce qu’ils pensent par le pouvoir. Ils croient à la conception naturelle de la famille, c’est-à-dire au droit pour chaque enfant d’avoir un père et une mère. N’oubliez pas que, depuis quarante ans, cette génération paye la négation de ces évidences.

Évidences, c’est vous qui le dites ! Le « droit de l’enfant » à avoir des parents, c’est assez rhétorique – et passablement « soixante-huitard ». 
Disons qu’on a droit à l’idée d’un père et d’une mère. Et c’est cette idée qu’on a voulu abîmer de façon quasi totalitaire.

« Totalitaire », comme vous y allez ! Cette inflation verbale ne contribue pas à la compréhension.
Alors, disons « autoritaire ». En ignorant un authentique mouvement populaire, le pouvoir actuel nie la démocratie. C’est son mépris pour les manifestants, et plus encore pour les organisateurs, qui a entraîné la radicalisation, ultra-minoritaire au demeurant. Mais l’UMP n’a pas cherché à récupérer le mouvement mais l’a accompagné.

Amusant : ce sont exactement les mots de Marion Maréchal-Le Pen…
Peut-être, mais on n’a pas vu Marine Le Pen, alors que Jean-François Copé a été aux côtés des manifestants tout le temps. Nous devons faire comprendre à cette jeunesse qu’après le temps de la rue vient celui des urnes : la protestation d’un hiver et d’un printemps ne peut se concrétiser que dans un engagement civique et politique. Si nous ne voulons pas nous contenter de nous réveiller à la veille du vote de lois qui nous déplaisent, il faut que ce printemps 2013 ait, comme en 1968, un prolongement électoral. Aujourd’hui, le pouvoir n’a plus le pouvoir. Il s’agit justement de le rendre au peuple car c’est à lui de fixer le cap. C’est pourquoi nous devrons organiser des référendums sur tous les grands sujets qui, bien au-delà de la famille, ont été des moteurs du mouvement : l’Europe, l’École, la valeur-travail,…

Totalitaire ou impuissant, il faudrait choisir. Passons. La radicalisation a été, dites-vous, ultra-minoritaire. Si vous pensez à la violence, c’est indéniable ; il y a eu, à la fin du mouvement, une sorte de raidissement conservateur. C’est ainsi que Frigide Barjot, qui avait réussi à fédérer des gens représentant un très large spectre  d’opinions et d’options existentielles, a été mise sur la touche.
Je répète que l’État doit garantir le bien-être des enfants, mais chacun doit pouvoir vivre comme il l’entend. [access capability= »lire_inedits »] Nous devons donc nous méfier de l’instinct de revanche et nous montrer très vigilants à l’égard de toute manifestation d’homophobie. C’est par le débat d’idées qu’on désamorcera toute forme de violence.

Le mouvement a t-il basculé vers le populisme ou vers l’extrême droite ?
Pour moi le terme « populiste » n’a rien à voir avec l’extrémisme politique, ni avec la stigmatisation de telle ou telle partie de la population : il se réfère au « peuple de France ». Cela signifie qu’il faut se tenir sur une ligne de crête entre une gauche culturellement coupée du peuple, qui nous dit « il n’y a pas de problème », et le Front national, qui pointe les problèmes mais leur apporte des réponses caricaturales. Par exemple, nous devons affirmer en même temps que nous n’avons rien contre l’islam, mais que chacun doit respecter nos valeurs et nos coutumes, autre évidence niée par les élites. Sur ce socle commun, nous ne lâcherons rien car, pour reprendre un slogan de ce printemps, « nous sommes la France ».

Encore faut-il, justement, être clair sur ce « nous ». Cette France représentée par les Manifs pour tous est-elle chrétienne ?
Culturellement, oui, comme en  témoignent nos 36 000 clochers. Je préfère le Puy du Fou à Disneyland.

Mais le catholicisme doit-il être l’une des « identités » qui composent la diversité française ?
La communautarisation est effectivement le principal danger. Ce mouvement porteur d’espoir est un message d’alerte lancé à la droite française. Mais il ne faut pas que ceux qui se sont mobilisés se replient dans leurs écoles, leurs paroisses, leurs familles. Nous ne sommes pas une partie de la France, nous sommes la France. Nous devons, donc, la porter dans son intégralité, avec ses racines chrétiennes et avec sa laïcité, qui garantit la saine distinction entre le politique et le religieux.

Reste à faire vivre ensemble, avec ou sans tiret, deux France, mais aussi au moins deux droites. Culturellement, vous êtes assez éloigné de NKM…
Permettez-moi d’abord de rectifier ce qu’on a dit partout : je n’ai jamais appelé à battre NKM, j’ai exprimé une préférence, ce qui, me semble-t-il, est l’objet d’une primaire. Maintenant qu’elle est désignée, je la soutiendrai sans arrière-pensées. Pour autant, je suis convaincu que les valeurs que je porte sont aujourd’hui majoritaires et que nombre de nos difficultés s’expliquent par le divorce entre une élite microcosmique et le peuple de France.

La boboïsation va bien au-delà des élites : encore une fois, l’individualisme libéral a gagné l’ensemble de la société, donc de la droite.
Je crois au contraire que cette droite, qui vit dans les grands centres urbains, attend de nous un autre discours que celui de la gauche bobo. Par exemple, elle veut qu’on réhabilite le Paris des artisans, des familles, des entrepreneurs et de la voiture. Nous ne gagnerons pas avec « les rappeurs et les webdesigners », comme dit quelqu’un de chez vous [2. Cette heureuse formule sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]. De moins en moins de Français croient que la mondialisation et le tout-permissif issus de 1968 conduisent au bonheur. La France, dans ses profondeurs, bascule. Chacun ressent l’angoisse identitaire, économique et sociale qui monte dans notre pays.

Donc, vous ne craignez pas d’être entraîné vers des positions réactionnaires au sens strict comme celles du Printemps français ?
La France aigrie ne me parle pas. Ce qui m’intéresse, c’est la France d’après, à condition qu’elle sache puiser dans une histoire bimillénaire. C’est cela qui rend libre. Or, aujourd’hui, sur cinquante livres d’histoire en circulation dans les écoles, cinq ou six, peut-être, parlent de Clovis et de Jeanne d’Arc. Pour autant, je ne crois pas à une société figée. L’avenir, ce sont « des racines et des ailes ».

Certains maires proclament leur refus d’appliquer la loi Taubira. Approuvez-vous la désobéissance civile ?
Depuis le débat entre Antigone et Créon, au Ve siècle avant Jésus-Christ, nous savons que la conscience a des droits contre les lois quand elles sont iniques. Pour autant, le principe de la désobéissance dérange le républicain que je suis. Nous avons toujours dit qu’après le vote de la loi, la manifestation du 26 mai devait être la dernière. Aux manifestants de continuer à se mobiliser pour que nous puissions la réécrire une fois au pouvoir. Je répète que, dès l’été 2017, nous devrons organiser un référendum sur cette question.

Éclairez notre lanterne : vous abrogez ou vous réécrivez ?
Nous proposerons une union civile qui offre aux couples homosexuels tous les droits et protections afférents au mariage, à l’exception de la filiation et de l’adoption qui doivent rester réservés aux couples formés d’un homme et d’une femme. Que je sache, la gauche ne se gêne pas pour détricoter toutes les lois que nous avons votées. Jusque-là, nous n’osions pas faire la même chose. Cette fois-ci, nous ne serons pas frileux. Mais pour que la droite ose être forte, ceux qui ont milité dans la Manif pour tous doivent se battre à nos côtés.

Laissez venir à moi les petits électeurs… Seulement, si les manifestants n’étaient pas de gauche, dans leur immense majorité, êtes-vous sûrs qu’ils sont de droite ? 
De fait, beaucoup détestent les idées de la gauche mais ne croient pas encore à l’existence d’une force de droite qui les représente. À nous de les convaincre que nous pouvons redevenir une droite d’idées et de valeurs. Plusieurs responsables de la MPT nous ont déjà rejoints. Les portes de l’UMP leur sont grand ouvertes ! Il appartient à chacun de construire la droite de demain, de préparer l’alternance et de changer la vie. C’est le défi intime et civique posé à chacun de nos compatriotes. Nul ne peut s’alarmer de la situation de notre pays s’il ne s’engage pas dans la Cité.[/access]

Égypte : Un coup d’État mais avec l’assentiment d’une majorité du peuple

122
prazan egypte morsi

prazan egypte morsi

Daoud Boughezala : Michaël Prazan, vous avez réalisé La Confrérie, un documentaire sur les Frères musulmans égyptiens, après une longue immersion sur le terrain. Êtes-vous surpris par l’affrontement armé entre les militaires et les membres de la confrérie islamiste auquel nous assistons ?

Michaël Prazan : Oui et non. Oui, parce que le général Abdel-Fatah al-Sissi était censé être l’homme des Frères musulmans. En arrivant au pouvoir, Mohamed Morsi et la Confrérie ont voulu reproduire ce qu’a fait l’AKP en Turquie, où l’armée y occupait un rôle assez comparable à celui qu’elle occupe en Egypte – une stratégie inspirée, d’ailleurs par celle des Frères de l’époque de Nasser -, il s’agissait de remplacer les hommes de l’ancien régime par des militaires membres de la confrérie, et pouvoir ainsi se faire de l’armée un allié indéfectible. Al-Sissi a été nommé par Morsi dans ce but, et il aurait dû être le symbole de la mainmise de la confrérie sur l’armée. Force est de constater que cette stratégie a échoué ! Al-Sissi est un militaire avant tout, c’est-à-dire un nationaliste (l’antithèse de l’idéologie frériste) ; ce qu’ont toujours représenté les militaires et l’armée en Égypte depuis Nasser. C’est pourquoi, d’un autre côté, je ne suis pas surpris que ce ressort nationaliste, disons patriotique, que symbolise l’armée pour les Égyptiens, ait pu entrer en connexion avec la révolte du 30 juin. C’est ce que réclamait une très grande partie de la population qui, bien que très religieuse, n’en demeure pas moins très patriote. Les Égyptiens n’avaient que faire des projets de reconstruction du califat ou du port de la barbe dans la police. Ce qu’ils voulaient, c’est un pays qui fonctionne correctement, qui sorte de la faillite et de la pénurie, et qui regagne son statut de puissance régionale. Cela, les Frères ne l’ont pas compris, et cela, c’est ce que représente l’armée pour les Égyptiens. C’est ainsi, également, qu’elle se perçoit elle-même.

Les témoignages de vos amis égyptiens confirment-ils votre analyse ? 

Tous les témoignages de mes amis et de mes contacts sur place décrivent un affrontement armé, violent, de part et d’autre, plutôt qu’un massacre aveugle, tel qu’on veut nous le faire croire. Les Frères et l’armée se connaissent très bien et depuis très longtemps. Chacun sait exactement à quoi s’en tenir et à quoi il s’expose dans ce face à face.

Certes, chacun campe sur ses positions. Toujours est-il que Morsi a été démocratiquement élu, de même que le Parlement à très large majorité islamiste, que la magistrature égyptienne a suspendu. Partant,  peut-on raisonnablement qualifier la destitution du 30 juillet de « coup d’Etat démocratique » ?

La démocratie ne se décrète ni par un vote populaire, ni sous la pression révolutionnaire. C’est avant tout une affaire de mentalité. Et cette mentalité n’est certainement pas celle des Frères musulmans. Ils n’ont tenu aucune de leurs promesses de campagne. Ils ont décapité toutes les institutions, les médias, les administrations pour y placer leurs hommes, Morsi s’est arrogé les pleins pouvoirs, le parlement s’est transformé en cirque. Ce n’était plus la démocratie, si tant est qu’elle ait jamais existé. La démocratie, c’est faire confiance à la société civile pour qu’elle s’organise afin de défendre par elle-même ses intérêts, c’est accepter une opposition forte et contradictoire, la critique des médias, l’autonomie de la justice, le dialogue, le compromis, etc. Rien de tout cela n’est compatible avec le logiciel frériste, et rien de tout cela n’a eu lieu sous leur pouvoir. Alors, y a-t-il eu coup d’Etat ? Sans doute, mais avec l’assentiment d’une très grande majorité des Égyptiens, ce qui est tout de même inédit. Et l’armée, si elle avait certainement des arrières pensées, n’a pas été que cynique. Souvenez-vous : le QG de la Confrérie a été incendié, ainsi que la maison du Guide suprême et que celle du vice-Guide suprême, le 1er juillet. Il y a eu des morts. Le risque de guerre civile, c’était à ce moment-là, quand le peuple était face au peuple – pas quand l’armée affronte la confrérie ; et l’armée s’est sincèrement sentie investie, à l’appel des manifestants, du devoir d’intervenir, de siffler la fin de la partie.

Pendant que l’armée égyptienne affronte des Frères musulmans armés, au prix de plusieurs centaines de morts, des églises sont incendiées. Doit-on y voir une forme de vengeance après le soutien indéfectible qu’a apporté le patriarche copte à la troupe égyptienne ?

Quelle vengeance ? La discrimination des Coptes ne date pas du mois de juillet ! Les églises n’ont pas attendues que les médias se penchent sur elles pour être incendiées. Elles le sont très régulièrement depuis un an. Dès que quelque chose cloche en Égypte, les Frères déclenchent des pogroms et détruisent des églises. 400 000 Coptes ont fui le pays sous le règne de la confrérie ! Ils ont remplacé les juifs qui ont quitté le pays en 1956 dans le rôle de bouc émissaire des islamistes. C’est parce que leur vie était devenue intenable qu’ils ont soutenu le « coup d’Etat ». Mais ils étaient aussi très présents dans les manifestations qui ont fait chuter Moubarak. Ce ne sont pas des alliés des militaires par principe, loin de là. Mais ils aimeraient pouvoir être en sécurité et être tenus pour ce qu’ils sont : des Égyptiens.

Tariq Ramadan prétend que la responsabilité des islamistes dans les attaques antichrétiennes n’a jamais été prouvée et met en cause l’armée, qui attiserait ainsi les tensions pour faire accuser les Frères… Cette hypothèse est-elle complètement farfelue ?

Évidemment, et ces déclarations sont scandaleuses. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les sites internet de la confrérie pour lire ce qui se dit des Coptes et sur leurs appels au meurtre. Les Coptes, eux, qui sont sur place, savent très bien d’où viennent ces attaques, croyez-moi !

 

*Photo : Al Jazeera.

Lacan, Dieu et moi

34

Nous sommes en 2010, et je participe à un séminaire sur Lacan et la religion en compagnie des frères franciscains et de quelques versaillaises habillées d’une jupe droite et d’un col claudine. Lacan et la religion ? Rapport subtil, puisque Lacan est un ennemi de toutes les prêcheries comme de cette équipée samaritaine plus connue sous le nom d’humanisme. Mais c’est aussi un grand lecteur de la théologie. Et pour cause, puisque le théologien essaie d’articuler quelque chose d’impossible à dire. Il va sans dire que le moindre quidam ne fait pas autre chose, surtout lorsqu’il veut témoigner de son désir pour quelqu’un, ou, plus dur encore, pour quelqu’une.

Bref, nous passons tous un moment sympathique à papoter sur l’Impossible lorsque le colloque dérive, subitement, vers la question que je déteste. « Croyez-vous en Dieu ? » me demande, d’ailleurs assez froidement, une dame au premier rang. « Je crois que Dieu me récompensera après ma mort pour avoir eu la force de rester un athée toute ma vie, ai-je répondu. J’ai la faiblesse de penser que cette croyance en vaut une autre ». Mais elle n’a pas du tout apprécié cette réponse, et j’ai dû m’excuser sur le champ.

 

Russie : jusqu’où montera Igor Sechin ?

48
igor sechin poutine

igor sechin poutine

L’étoile d’Igor Sechin est en train de monter de manière spectaculaire au firmament politique Russe. Le président de ROSNEFT est désormais l’un des hommes les plus puissants mais aussi les plus influents, après le Président Poutine naturellement. L’accord qui a permis à ROSNEFT d’acquérir TNK-BP pour la modique somme de 28 milliards de dollars a été l’un des plus importants depuis une décennie et a fait de cette compagnie l’une des toutes premières de son secteur. Aujourd’hui, Igor Sechin est devenu le président du conseil des directeurs de RAO-EES, l’équivalent russe d’EDF, continuant son ascension et, ce qui est encore plus important, la diversification de ses activités.

Bien sûr, on peut aussi noter le renvoi d’Alexandre Popov, le responsable de l’agence d’État ROSNEDRA, décidé par le Premier Ministre russe, Dmitry Medvedev. M. Popov est connu pour avoir été, il y a de cela plusieurs années, l’un des collaborateurs de d’Igor Sechin. Mais ceci s’apparente plus à la morsure du scorpion en train de mourir. La position de Dmitry Medvedev est loin, très loin, d’être assurée. Il a perdu nombre de ses alliés les plus importants depuis l’hiver dernier. On peut se demander s’il ne sera pas remplacé dès l’automne à venir. Si tel devait être le cas, l’influence d’Igor Sechin, qui apparaît aujourd’hui comme le plus sûr des alliés de Vladimir Poutine, pourrait s’en trouver renforcée de manière décisive.

Sechin a joué un rôle essentiel dans la transformation de ROSSNEFT, une société où l’État est majoritaire, ces dernières années en un géant mondial. Cette compagnie pétrolière s’est d’abord étendue dans son secteur d’origine, au point de devenir, à la suite du rachat de TNK-BP, l’une des principales, voir LA principale, compagnie pétrolière dans le monde. Elle a aussi acquis massivement les technologies qui lui manquaient jusque-là au travers d’un accord historique conclu avec BP. Ces technologies vont lui permettre non seulement de réaliser des progrès importants en exploration et en exploitation, mais aussi de prendre une option décisive sur la future exploitation du gaz et de l’huile de schiste. Elle a de plus pris des contacts importants avec les compagnies pétrolières chinoises (dont le Forum de Saint-Pétersbourg en juin dernier s’est fait l’écho), et s’est placée de manière avantageuse par rapport à cet immense marché. On ne sait pas, en effet, quelle sera la décision du gouvernement russe quant à l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Mais, les réserves potentielles sont immenses, et des méthodes d’exploitation non polluantes finiront bien par voir le jour. A ce moment, ROSNEFT bénéficiera d’un avantage important.

Dans le même temps, cette société a commencé à se diversifier dans le domaine du gaz, et va pouvoir accélérer cette diversification d’ailleurs grâce aux technologies acquises qui vont lui permettre de récupérer une bonne partie du gaz gaspillé sur les puits de pétrole. Le gouvernement russe a d’ailleurs fait de la récupération du « gaz associé » l’une des priorités de sa politique énergétique.

Cette diversification vers le domaine gazier menace directement GAZPROM, qui semble aujourd’hui en perte de vitesse, et cela étant très probablement lié à la semi-disgrace que connaît actuellement le Premier Ministre, mais aussi aux problèmes propres de gestion du géant gazier. Avec la nomination de Sechin comme président du conseil des directeurs du RAO-EES, c’est bien la perspective d’une intégration verticale, en raison de l’importance du gaz pour la production d’électricité, qui se profile au bénéfice de ROSNEFT. L’ascension d’Igor Sechin confirme donc qu’en Russie, pour le meilleur comme pour le pire, la politique et les affaires sont intimement liées.

Igor Sechin l’a d’ailleurs fort bien compris, et il a saisi l’importance des responsabilités que la prééminence de ROSNEFT désormais lui confère. Ainsi, le 16 juillet dernier, alors même que le Président Poutine supervisait les manœuvres les plus importantes des forces armées russes depuis 20 ans, manœuvre qui se sont déroulées en étroite collaboration avec la Chine, a-t-il annoncé un projet d’investissement de 30 milliards de dollars en Sibérie orientale et dans l’Extrême-Orient russe. Bien entendu, on peut relier cette annonce avec le fait que le montant des impôts payés par les producteurs de pétrole doit être renégocié. Sechin espère bien que les taxes seront diminuées. Mais, en présentant ainsi ROSNEFT comme l’un des principaux acteurs potentiels de la politique russe d’aménagement du territoire, il sait qu’il touche une corde sensible chez le Président. Vladimir Poutine a, à de nombreuses reprises, exprimé son intérêt pour un développement équilibré des différentes régions de Russie. Avec la montée en puissance de la Chine, mais aussi compte tenu des difficultés économiques que ce dernier pays rencontre depuis maintenant plusieurs mois, le développement économique de l’Est de la Russie, de cette façade sur l’Asie, est devenu l’une des priorités de la Présidence. Sur le terrain du développement des territoires ROSNEFT semble donc progressivement remplacer GAZPROM dont les moyens financiers sont actuellement réduits.

Il n’est pas sans conséquences qu’Igor Sechin ait choisi l’Extrême-Orient et la Sibérie orientale pour cette incursion dans ce qui était jusqu’à présent le domaine réservé de GAZPROM. Il est de notoriété publique qu’il a défendu depuis de nombreuses années un modèle de développement largement inspiré de l’exemple chinois. Ce modèle, que l’on peut qualifier de modernisation conservatrice, s’oppose au modèle « libéral » qui a été suivi jusqu’à maintenant par la Russie. Avec l’affaiblissement progressif de Dmitry Medvedev et la montée en puissance d’Igor Sechin, c’est peut-être à un basculement de modèle que l’on est en train d’assister en Russie.

Cependant, s’il veut garantir et pérenniser son ascension, Igor Sechin devra répondre à deux défis majeurs.

Le premier concerne justement la politique économique et la stratégie de développement de la Russie. Nul n’ignore que le pays a accumulé un retard certain dans le déploiement d’une politique de soutien à l’innovation. Il est aussi confronté à une hétérogénéité importante des niveaux technologiques entre les différentes branches de l’industrie, ce qui n’est que le résultat de la chute dramatique de l’investissement que l’on a connue de 1991 à 1999. Igor Sechin, s’il veut réellement asseoir son influence, doit faire la démonstration que ROSNEFT est en mesure de jouer un rôle important dans le développement des nouvelles technologies, que ce soit directement, dans les activités d’exploration et d’exploitation, ou que ce soit indirectement en favorisant l’emploi de ces nouvelles technologies dans les différentes branches de l’industrie. Ceci implique en réalité une véritable stratégie de l’investissement. Mais, pour cela, il faut que la Russie harmonise le niveau technique de son capital fixe, qui est marqué, depuis les années terribles 1991-1999, par des écarts considérables entre les branches.

Ceci ne fait que reprendre une idée qui fut maintes fois exposée par le professeur Victor Ivanter, directeur de l’Institut de Prévision Économique. Pour Victor Ivanter,  il faut en effet cesser d’opposer le secteur des ressources naturelles et celui des nouvelles technologies car l’exploitation des ressources naturelles va impliquer, directement et indirectement, de plus en plus ces nouvelles technologies. Ceci est parfaitement exact. En fait, le développement des innovations et des nouvelles technologies implique l’existence d’une demande importante pour ces dernières. En Russie, le secteur des matières premières pourrait parfaitement, s’il modernisait les conditions d’exploitation et de transport, procurer cette demande. Néanmoins, un tel projet implique aussi qu’une stratégie de développement globale soit mise en place qui fixe la place du secteur des ressources naturelles et qui assure que les revenus issus de ce secteur iront bien alimenter l’investissement, dans ce secteur mais aussi dans l’ensemble de l’industrie.

Igor Sechin doit donc s’inscrire dans cette perspective, et pour cela faire des propositions dépassant la simple sphère de ROSNEFT, s’il veut que son ascension puisse continuer et se pérenniser. En un mot, il doit faire la preuve de sa capacité à concevoir, à partir du secteur où il est implanté, une stratégie gagnante pour l’ensemble de la Russie.

Le second défi est plus subtil. L’ascension d’Igor Sechin est importante et spectaculaire. Mais il doit prendre garde à ne pas effrayer trop de monde en chemin. Qu’il se souvienne de ce qui arriva à Nicolas Fouquet[1. Surintendant des finances de Louis XIV, Fouquet avait accumulé un pouvoir extraordinaire par la faveur du Roi. Mais son ascension finit faire de l’ombre au Roi qui le fit arrêter Fouquet en 1661 et le dépouilla de tous ses biens].

Si Igor Sechin ne veut pas subir, mutatis mutandis, le sort de Nicolas Fouquet il doit, dans son comportement, démontrer qu’il n’est pas un danger pour Vladimir Poutine, et il doit se comporter de manière inclusive et non exclusive, rassembler et non diviser. Tel est peut-être le principal défi qui attend Igor Sechin.

Ce qui est en train de se jouer en Russie est donc d’une importance considérable. On retiendra évidemment le tournant vers l’Asie dont Igor Sechin s’est fait l’avocat. Mais, de toute manière, ce tournant était inévitable. La baisse de la demande en Europe, et en particulier dans la zone Euro du fait de la crise que cette dernière connaît ne laisse guère d’autres alternatives à la Russie que de se tourner vers la Chine et les pays voisins. Mais on aurait grand tort de ne retenir que ce tournant. En arrière-plan, se dessine une évolution vers un système modernisateur mais sous le contrôle de l’État, système dont Igor Sechin pourrait bien, s’il le décide et s’il se décide à faire les efforts nécessaires, devenir à terme le symbole et pourquoi pas le dirigeant.

Retrouvez l’article originel sur le blog de Jacques Sapir.

 

*Photo : Igor Sechin en visite au Venezuela (chavezcandanga).

Chanter tout l’été

45

Très chère Eugénie,

Vous citâtes dans l’une de vos brèves  un extrait de la deuxième épître aux Thessaloniciens dans lequel Paul de Tarse, son auteur présumé, exhorte son auditoire en ces termes : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »

Sans épiloguer sur l’étude de l’Inserm qui motive votre intervention, je voudrais ici revenir sur votre interprétation de ladite citation – ou, du moins, de l’usage que l’on en fait couramment selon vous. Ainsi, nous dites-vous, cet avertissement paulinien aurait « toujours servi de chantage à la société bourgeoise pour plier le prolo aux lois du tripalium » et vous y opposez Le Droit à la paresse de Paul Lafargue qui encourage le bon peuple à « ne travailler que trois heures par jour » et « à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit ».

Nul ne songe, chère Eugénie, à remettre en cause ce droit que vous avez d’occuper vos journées comme bon vous semble. Surtout pas moi : je suis, je l’avoue volontiers, un fervent adepte de la procrastination et de la rêvasserie.

Mais notez bien ceci : j’évoque votre « droit de » – en l’espèce, votre droit d’être oisive – et pas un « droit à ». C’est tout à fait différent ; c’est tout ce qui sépare un véritable droit, une liberté de faire ce que votre cœur vous dit, d’un droit-créance (pour reprendre la terminologie de Raymond Aron) ; c’est-à-dire de l’idée selon laquelle la Société (et donc l’État) vous doit les moyens de fainéanter, de bombancer ou de vous faire les ongles.

Or, chère Eugénie, c’est précisément ce que saint Paul nous raconte dans cette épître. Le même, deux lignes plus haut : « Nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne ; mais, dans le travail et dans la peine, nous avons été nuit et jour à l’œuvre, pour n’être à charge à aucun de vous. »

En d’autres termes, ce n’est pas parce que vous avez le droit de ne pas travailler que vous avez, pour autant, le droit à l’oisiveté dans la mesure où, comme j’imagine que vous ne vous êtes pas convertie à une vie d’ascétisme, vous vous apprêtez à taper sans contrepartie dans ce que les autres ont produit pour eux-mêmes. C’est comme dans la fameuse fable de Jean de La Fontaine : vous pouvez bien chanter tout l’été mais, lorsque la bise sera venue, il faudra prendre vos responsabilités.

Pour être encore plus clair : faites ce que bon nous semble mais pas aux dépens des autres.

Bien sûr, me direz-vous, ce « droit à » existe déjà – c’est une des dispositions de notre modèle social. Aussi, je vous invite à vous poser deux questions toutes simples : qu’adviendrait-il, selon-vous, si nous suivions tous votre conseil ? Et quelle sorte de morale y a-t-il à « fainéanter et bombancer » en attendant que d’autres pourvoient à vos besoins ?

UMP : Le droit d’inventaire ou le droit de se taire ?

33
cope sarkozy bilan

cope sarkozy bilan

Il en a fallu du temps !

Pourquoi, d’ailleurs, avoir dû attendre le 16 août, soit quinze mois après la défaite de Nicolas Sarkozy, pour que Jean-François Copé juge nécessaire, avant la mi-octobre, « un débat sérieux et objectif » sur le quinquennat écoulé ?

Le paradoxe était en effet que cet échec grave, malgré une fin de campagne plus que racoleuse, n’ait pas entraîné tout de suite une analyse, un bilan, un droit d’inventaire ? Quand on perd et qu’on reçoit un héritage grevé, on constate, on examine, on exclut.

Pourtant, au fil des mois, des voix se sont élevées dont il faut considérer qu’à cause de l’ambiance caporaliste diffusée par Sarkozy et validée par Copé, elles étaient courageuses et lucides. Elles méritent d’être toutes citées parce qu’un jour, elles seront l’avant garde, l’honneur d’une droite rénovée.

Jean-Pierre Raffarin, Luc Chatel, Xavier Bertrand, Hervé Mariton, François Fillon, Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin, Patrick Devedjian, à un degré moindre Pierre Lellouche et Philippe Marini, sur un mode plus discutable mais la première, Roselyne Bachelot. Dans le désordre.

Si Jean-François Copé a tant tardé à admettre l’inéluctable tient au fait que sa complicité intéressée avec Sarkozy fondée sur une répartition des rôles dans le futur l’a conduit à bloquer, à verrouiller un dispositif en espérant qu’il tiendrait tant bien que mal jusqu’à la primaire de l’UMP en 2016. Aucune autre tête virtuellement menaçante ne devait émerger.

Pour ce faire, contre tout bon sens, Copé, pour complaire à son maître – à force d’être qualifié de clone de Sarko, il a fini par y croire !- a d’abord prétendu que le vaincu avait un droit naturel à se représenter et qu’il ne devait être soumis à aucune joute interne. Puis, sous des pressions diverses dont celle essentielle de François Fillon, Copé a consenti à l’instauration du système de la primaire. Et le 16 août, il a formulé la proposition d’un débat « sérieux et objectif » (Le Monde, Le Figaro).

L’accouchement a été lent.

Pourtant, s’il n’y avait pas eu l’emprise délétère de Nicolas Sarkozy encore sur l’UMP grâce à lui, ce n’est pas la qualité des opposants au droit d’inventaire qui pouvait le retenir d’adopter cette démarche naturelle.

En effet, parmi les adversaires, il y a les inconditionnels de Sarkozy qui ont eu cette facilité, ce confort de ne rien apprendre et de tout oublier. Les duettistes Geoffroy Didier et Guillaume Peltier créateurs de la Droite forte (plutôt bête !), Brice Hortefeux jamais en retard d’un poncif, Nadine Morano tellement appréciée pour sa mesure! et le sénateur Karoutchi écoutant Copé pour savoir ce qu’il peut dire : le débat sérieux et objectif mais pas de droit d’inventaire ! C’est tout et ce n’est pas brillant (20 minutes).

Il est évident que derrière le refus si longtemps affiché de ce bilan critique, il y bien davantage que la volonté de ne pas se regarder « le nombril » ou de ne pas tomber dans « l’auto flagellation » ou de fuir « les procès personnels ». Il y a la certitude qu’il sera très difficile, une fois la machine lancée, de l’arrêter. Une parole collective qu’on libère sur un passé proche, des intelligences longtemps murées qu’on invite à analyser, à dénoncer et à proposer, nul ne peut prévoir si l’une et les autres ne dépasseront pas les limites permises – celles du débat sérieux et objectif – pour s’engager dans les territoires sombres et dangereux du droit d’inventaire. Certes, on aura toute licence pour vanter les acquis et les réussites du quinquennat et il y a eu des lumières évidemment. Mais attention à ne pas surestimer les ombres et les déceptions. Il faudra raison garder et inconditionnalité conserver (JDD).

« Le débat sérieux et objectif » enfin accepté par Copé – il est exclu qu’il l’ait évoqué sans en référer – va constituer une tentative désespérée pour éviter que la bonde lâche et que le quinquennat soit disséqué au scalpel.

Car le risque est là. Comment s’arrêter à une politique, à ses méthodes, à ses avancées mais aussi à ses défaillances et ne pas mettre en cause aussi la pratique présidentielle de Sarkozy et, plus profondément, sa personne elle-même ? Car il n’est personne qui ignore – mêmes les plus obtus à l’UMP – que la défaite de Sarkozy, si elle a eu des causes classiques – les impuissances, les reniements et les compromis – relatives à la gestion de notre pays et à son rôle international, a surtout été causée par une désaffection radicale à l’égard de ce président et de son comportement public et privé.

Les Français ont bien plus quitté un homme qu’une politique. Ils ont bien plus choisi un autre président qu’adopté le socialisme.

Si, pour jouer les belles âmes ou par sauvegarde, on se prive des « procès personnels », on se prive de tout. En tout cas d’un débat digne de ce nom. Le sérieux et l’objectif du débat ne seront pour Sarkozy et ses séides qu’une fermeture dissimulée derrière une concession. Pourtant, il ne s’agira pas non plus de se plonger dans les 20 ans d’affaires de l’ère Sarkozy, de 1993 à 2013 (Mediapart). Mais de brasser ensemble les actions, les abstentions, les provocations, les aberrations et les transgressions, le politique et le président, l’officiel et l’intime qui y a été souvent trop lié.

Jean-François Copé contraint et forcé a cru tout de même bien jouer en impliquant François Fillon dans la cause puisqu’il a affirmé « son intention de veiller à ce que le débat ne vire pas au procès contre Nicolas Sarkozy et François Fillon ». Avec cette subtilité trop adroite, il s’imagine pouvoir ligoter ce dernier et ses partisans en leur faisant craindre un naufrage collectif plus qu’un désastre exclusivement sarkozyste.

C’est oublier que François Fillon va se présenter à la primaire de 2016 et qu’on ne saurait imputer à l’ancien Premier ministre une quelconque responsabilité dans les choix fondamentaux du quinquennat, ses foucades et ses aveuglements. L’omniprésence agitée et souvent erratique de Nicolas Sarkozy sur tout et pour tout rendrait injuste un droit d’inventaire s’exerçant à l’encontre des deux alors que l’un a eu le pouvoir et l’autre l’exécution et l’obéissance.

Celui qui a le mieux défini ce que devra être ce débat élargi ou ce droit d’inventaire est – ce n’est pas surprenant – Patrick Devedjian qui a prôné, plus que le sérieux et l’objectivité, la vérité. Il est quasiment le seul à avoir eu le courage, dans le camp de la majorité d’alors, à faire valoir ses réserves et ses oppositions. Donc il devrait être plus écouté que les autres.

J’aime qu’il propose, pour cette entreprise à la fois de satisfaction ici et de dénonciation là, un débat extérieur à l’UMP, même avec des personnalités de gauche (RTL, France 2).

Je ne vois pas en effet au nom de quoi, à droite, seuls ceux qui ont validé et légitimé les errements du quinquennat seraient fondés à s’exprimer. En tout cas, on ne pourra faire l’impasse sur les enthousiastes du candidat de 2007 et qui n’ont cessé d’alerter durant cinq ans. J’en suis. S’ils ont dû voter François Hollande, ce n’est pas grâce à lui mais à cause d’une droite qui avait été défigurée par son prédécesseur avec notamment un état de droit en miettes et une justice aux ordres. Si, à ce forum d’avant la mi-octobre, tous sont conviés qui auront à critiquer pour hier et à espérer pour demain, ce droit d’inventaire tiendra ses promesses. Sinon, sérieux et objectif pour ne pas dire indolore, incolore et sans saveur, il ressemblera trop à un droit de se taire.

Du côté de l’UMP, on s’est précisément tu trop longtemps. Avec elle, les conseillers, même les plus républicains, le Premier ministre et les ministres.

Et, conséquence, le socialisme, avec François Hollande, sera là au moins jusqu’en 2017.

*Photo : ©HTO3.

Le crépuscule des lieux

54
on ferme muray

on ferme muray

En 1997, Philippe Muray publie On ferme, la foisonnante exploration romanesque de son hypothèse de la fin de l’Histoire. Dans cet opus drolaticus maximus, il aborde également, et avec le même entrain ravageur, le pendant méconnu de la fin de l’Histoire – sa sœur jumelle, qu’il surnommait parfois la « fin de la géographie ».

Ectoplasme euphorique, négation ambulante de tout ailleurs, le touriste est naturellement l’agent historique de cette dévastation. Cet idiot inutile passe son temps à aller voir là-bas s’il n’y est pas. Et il y est. Toujours. Partout. Il n’y a que lui, bien sûr. Célébrant béatement l’ailleurs sans soupçonner un instant qu’il en est le fossoyeur fanatique.[access capability= »lire_inedits »]

Écoutons, dans On ferme, cette jubilatoire et blasphématoire Invitation au dé-voyage.

« Regarde tout ce que tu pourrais faire à travers ce vaste monde. Sillonner les voies piétonnes d’Athènes, de Rome ou d’Amsterdam. Tirer de l’argent à Venise. Utiliser ta carte Visa dans des billetteries de Barcelone. Louer une voiture à Pékin et la rendre à Conakry. Manger dans des McDo’ à Melbourne, à Hanoï ou à Tunis. Acheter des fringues à Saïgon. Envoyer des fax de Bagdad, de Vancouver, de Tobago. Visiter les magasins d’électronique de Khartoum, Jérusalem, Valparaiso, Lima, Saint-Pétersbourg, Philadelphie. Téléphoner de Dallas ou de Tripoli. Regarder la télé câblée à Singapour, Montevideo, Brisbane. »

Ôtez immédiatement votre short de néant, vous qui entrez ici : « Les continents sont devenus la propriété des masses touristisantes, voilà ce qu’il fallait bien prendre en compte. Le globe-trotter du tertiaire est le destin maquereautant de la planète. La terre est la pute des Loisirs. Le parasite consommateur vient gicler dedans quand ça lui chante, il se l’envoie par tous les trous. Quand tu arrives quelque part, tu ne trouves plus un mètre carré qu’il n’ait pas enfilé mille fois. Il s’est tout tapé, il a tout liquidé, il s’est dégorgé sur les églises, il a giclé sur les châteaux, il s’est soulagé sur les tableaux. Il a déchargé, avec quel entrain, sur les fresques les plus rares, limé les plus vieux monuments, foutu les plus beaux paysages. Tout salopé ! Enfilé ! »

Vraiment ailleurs, dites-vous ? Ailleurs que le Moderne ? Un peu d’air vif ? Un peu comme si nous étions vivants ? Tout-ailleurs ? Férocement ? Mais vous y êtes, pourquoi perdre courage ? Cela se nomme On ferme.[/access]

 

On ferme, de Philippe Muray (Les Belles Lettres).

*Photo : lipjin.

FN : la saga continue

26

En août, Paris se dépeuple. Au grand désespoir des parisiens privés de vacances, ses salariés du tertiaire fuient le triste cortège des touristes, SDF, roms et autres éclopés de l’été pour lézarder entre deux pastagas. Au détour d’une flânerie, les grosses poignées de parigots qui profitent de la ville tombent parfois sur des totems interlopes. Non loin du Parc des princes, on trouve par exemple une affiche du Front national – voyez la flamme redessinée selon les canons esthétiques marinistes, tout en ruptures et en continuités – qui cède à l’engouement contemporain pour le vintage.

fn marion marechal

Car, à y regarder de près, le slogan « Ni droite ni gauche » qui nous en met plein les mirettes a tout du clin d’œil appuyé à l’ouvrage éponyme d’un certain Samuel Maréchal, chef du Front National de la Jeunesse au début des années 1990 et père de l’actuelle députée frontiste du Vaucluse. Cela tombe bien : le FN génération Marine épouse pile poil cette formule idéologique en inversant la vieille antienne de son fondateur, jadis si fier de se dire « économiquement de droite et socialement de gauche ». Mais là où le bât blesse, c’est que l’hommage rendu à Samuel Maréchal ne cadre pas, mais alors pas du tout, avec le credo de sa fille, bien plus fidèle aux positions de Jean-Marie Le Pen qu’à celles du tandem Marine-Philippot. Celle qui se définit comme « une femme de droite », parle ouvertement d’alliances locales avec une UMP méridionale droitisée, et conspue en privé la mutation crypto-chevènementiste du programme économique du FN, doit peu apprécier l’hommage en forme de pied-de-nez.

Cette phraséologie tercériste surprend d’autant plus qu’en ces temps d’après-Manif pour Tous, hors du triangle Canal-Inrocks-Libé, il est de bon ton de se dire de droite, voire de traquer la « droitophobie » à coups de grandes envolées victimaires.

Comme au FN, on lave traditionnellement son linge sale tant en famille que devant les caméras, la thèse du règlement de comptes familial n’est pas si farfelue.  Marion contre Marine, Florian contre Marion, Jean-Marie contre Marine, le tout assaisonné des mots de Samuel : gageons que les tabloïds se régaleront bientôt des chamailleries de la saga Le Pen troisième génération en oubliant leur nez pincé !

 

 

Le carnaval Galliano

44
john galliano racisme

john galliano racisme

Allô les folles ! John Galliano est de retour !

Je ne connais pas les grandeurs dans l’univers de la mode, à peine les tailles. Mais Galliano, c’est à coup sûr une pointure. Gourou chez Dior, roi (et reine, soyons pas sexistes) des nuits parisiennes, ce missile de la haute couture a été descendu en plein vol par lui-même ce jour de février 2011 où, pris de boisson et de narcotiques, il apostropha une dame dans un bistrot du Marais avec des propos trop ignobles pour être reproduits ici — pour le verbatim, vous avez YouTube — mais où il exprime une entière adhésion à la personne et aux solutions raciales d’un chancelier allemand bien connu.

Un autre que lui serait tombé en enfer. Le dandy surdoué, surbranché, tapetto-charismatique et hautement dollarogène a eu droit au purgatoire. Deux ans et demi avant que Vanity Fair, le magazine qui arbitre les élégances de la suprasociété du spectacle, lui ouvre ses colonnes! « C’est la première interview sobre que j’aie jamais donnée », annonce-t-il en ouverture de son acte de contrition. A la différence de vous et moi quand nous soufflons dans l’éthylotest des flics, ses surdoses à lui — surdoses d’artiste! — sont des circonstances atténuantes. Et le voici en double page, méditatif et grave, crinière blonde à mi-dos, penché sur une cascade dans une composition romantique léchée — d’Annie Leibovitz, pas moins ! — qui pourrait servir d’illustration à l’album «André Rieux joue BHL». Nul doute qu’avec une opération de RP si étudiée, nous allons bientôt revoir défiler du Galliano.

Le cas reste emblématique. Galliano était l’un des grands chorégraphes du papillonnage mondial, mélangeant les races, les sexes, les cultures et les styles dans un copinage universel où « jouir » était le seul mot d’ordre. Bref, le moins suspect de racisme. Et puis, soudain, cette éructation… Certes, il était drogué. Mais les drogues, souvent, ne font qu’abolir les inhibitions. Que pensait-il réellement de ses semblables, ce petit hispano de Gibraltar soudain précipité dans le grand monde ? Mais, au fond, qui s’en fout ?

Tout le monde !

Avec l’informatique, nous avons instauré un véritable Panopticon. Tout est filmé, tout est stocké. Sur Facebook, le moindre dérapage est indélébile. Twitter, c’est encore mieux: impulsif et fulgurant, c’est la peau de banane la plus glissante jamais inventée. Des vedettes mûres s’y laissent piéger comme des ados. Une gueule qui ne vous revient pas, une petite généralisation raciale ou sexuelle — et vous êtes dedans! En sept fautes d’orthographe sur 140 signes, la ministre française de la culture vient ainsi de démontrer, par un seul tweet, son ignorance profonde de la langue qu’elle est censée défendre. L’autogoal parfait! Instantané!

À mesure que la surveillance se généralise, le corset de la bien-pensance se resserre. Des artistes, des sportifs, des politiques de haut vol tombent pour un seul mot. Le talent appelle la morgue, et la gloire, le sentiment d’impunité. Or, la police de la pensée mutualisée par le réseau ne connaît ni rois ni gueux. C’est la censure la plus aveugle, la plus égalitaire jamais inventée. Nous entrons peu à peu dans la Terreur, où la foule excitée par les idéologues devient le juge des idéologues eux-mêmes.

Si, au moins, l’on avait prévu une soupape sur la marmite ! Mais non. L’explosion de bestialité généralisée nous guette sous peu. À moins que…

Les déguisements baroques du susnommé citoyen Galliano m’ont donné une idée. Réhabilitons le carnaval ! Revenons aux sources de cette bacchanale où, pour un moment, tout était permis et tous étaient égaux. Coupons les réseaux, éteignons les caméras et décrétons trois jours de liberté d’expression réelle (et non cette abstraction qu’on met dans des constitutions que personne ne respecte). Et laissons chacun dire à tout le monde son fait. Clamer avec Baudelaire qu’en Belgique « il y a des femelles,  pas de femmes ». Avec Desproges que « les Grecs s’appellent aussi Hellènes : c’est dire à quel point ils sont pédés ». Avec Daudet que les députés sont des « larves parlementaires ». Traiter les gens de couleur de Nègres et les J*** de @!?##!->%. Dire que la religion d’_____ est une religion de _____. (Tiens, même mon clavier refuse d’entrer certains mots; mais vous compléterez aisément le catalogue, je vous connais !)

Au quatrième jour, le net serait rétabli, les cravates renouées, les balais réenfilés dans les culs et l’on pourrait reprendre les conversations sur le mode inauguré jadis de l’autre côté du Rideau de Fer:

« Entre nous, camarade », demande un policier est-allemand son collègue, « que penses-tu du régime ?

— La même chose que toi.

— Alors, je regrette, Camarade : je suis obligé de t’arrêter ! »

 

*Photo : B612星球.