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Le carnaval Galliano


Le carnaval Galliano

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Allô les folles ! John Galliano est de retour !

Je ne connais pas les grandeurs dans l’univers de la mode, à peine les tailles. Mais Galliano, c’est à coup sûr une pointure. Gourou chez Dior, roi (et reine, soyons pas sexistes) des nuits parisiennes, ce missile de la haute couture a été descendu en plein vol par lui-même ce jour de février 2011 où, pris de boisson et de narcotiques, il apostropha une dame dans un bistrot du Marais avec des propos trop ignobles pour être reproduits ici — pour le verbatim, vous avez YouTube — mais où il exprime une entière adhésion à la personne et aux solutions raciales d’un chancelier allemand bien connu.

Un autre que lui serait tombé en enfer. Le dandy surdoué, surbranché, tapetto-charismatique et hautement dollarogène a eu droit au purgatoire. Deux ans et demi avant que Vanity Fair, le magazine qui arbitre les élégances de la suprasociété du spectacle, lui ouvre ses colonnes! « C’est la première interview sobre que j’aie jamais donnée », annonce-t-il en ouverture de son acte de contrition. A la différence de vous et moi quand nous soufflons dans l’éthylotest des flics, ses surdoses à lui — surdoses d’artiste! — sont des circonstances atténuantes. Et le voici en double page, méditatif et grave, crinière blonde à mi-dos, penché sur une cascade dans une composition romantique léchée — d’Annie Leibovitz, pas moins ! — qui pourrait servir d’illustration à l’album «André Rieux joue BHL». Nul doute qu’avec une opération de RP si étudiée, nous allons bientôt revoir défiler du Galliano.

Le cas reste emblématique. Galliano était l’un des grands chorégraphes du papillonnage mondial, mélangeant les races, les sexes, les cultures et les styles dans un copinage universel où « jouir » était le seul mot d’ordre. Bref, le moins suspect de racisme. Et puis, soudain, cette éructation… Certes, il était drogué. Mais les drogues, souvent, ne font qu’abolir les inhibitions. Que pensait-il réellement de ses semblables, ce petit hispano de Gibraltar soudain précipité dans le grand monde ? Mais, au fond, qui s’en fout ?

Tout le monde !

Avec l’informatique, nous avons instauré un véritable Panopticon. Tout est filmé, tout est stocké. Sur Facebook, le moindre dérapage est indélébile. Twitter, c’est encore mieux: impulsif et fulgurant, c’est la peau de banane la plus glissante jamais inventée. Des vedettes mûres s’y laissent piéger comme des ados. Une gueule qui ne vous revient pas, une petite généralisation raciale ou sexuelle — et vous êtes dedans! En sept fautes d’orthographe sur 140 signes, la ministre française de la culture vient ainsi de démontrer, par un seul tweet, son ignorance profonde de la langue qu’elle est censée défendre. L’autogoal parfait! Instantané!

À mesure que la surveillance se généralise, le corset de la bien-pensance se resserre. Des artistes, des sportifs, des politiques de haut vol tombent pour un seul mot. Le talent appelle la morgue, et la gloire, le sentiment d’impunité. Or, la police de la pensée mutualisée par le réseau ne connaît ni rois ni gueux. C’est la censure la plus aveugle, la plus égalitaire jamais inventée. Nous entrons peu à peu dans la Terreur, où la foule excitée par les idéologues devient le juge des idéologues eux-mêmes.

Si, au moins, l’on avait prévu une soupape sur la marmite ! Mais non. L’explosion de bestialité généralisée nous guette sous peu. À moins que…

Les déguisements baroques du susnommé citoyen Galliano m’ont donné une idée. Réhabilitons le carnaval ! Revenons aux sources de cette bacchanale où, pour un moment, tout était permis et tous étaient égaux. Coupons les réseaux, éteignons les caméras et décrétons trois jours de liberté d’expression réelle (et non cette abstraction qu’on met dans des constitutions que personne ne respecte). Et laissons chacun dire à tout le monde son fait. Clamer avec Baudelaire qu’en Belgique « il y a des femelles,  pas de femmes ». Avec Desproges que « les Grecs s’appellent aussi Hellènes : c’est dire à quel point ils sont pédés ». Avec Daudet que les députés sont des « larves parlementaires ». Traiter les gens de couleur de Nègres et les J*** de @!?##!->%. Dire que la religion d’_____ est une religion de _____. (Tiens, même mon clavier refuse d’entrer certains mots; mais vous compléterez aisément le catalogue, je vous connais !)

Au quatrième jour, le net serait rétabli, les cravates renouées, les balais réenfilés dans les culs et l’on pourrait reprendre les conversations sur le mode inauguré jadis de l’autre côté du Rideau de Fer:

« Entre nous, camarade », demande un policier est-allemand son collègue, « que penses-tu du régime ?

— La même chose que toi.

— Alors, je regrette, Camarade : je suis obligé de t’arrêter ! »

 

*Photo : B612星球.



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est directeur des éditions Xenia et rédacteur en chef d’Antipresse.net.

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