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Le crépuscule des lieux


Le crépuscule des lieux

on ferme muray

En 1997, Philippe Muray publie On ferme, la foisonnante exploration romanesque de son hypothèse de la fin de l’Histoire. Dans cet opus drolaticus maximus, il aborde également, et avec le même entrain ravageur, le pendant méconnu de la fin de l’Histoire – sa sœur jumelle, qu’il surnommait parfois la « fin de la géographie ».

Ectoplasme euphorique, négation ambulante de tout ailleurs, le touriste est naturellement l’agent historique de cette dévastation. Cet idiot inutile passe son temps à aller voir là-bas s’il n’y est pas. Et il y est. Toujours. Partout. Il n’y a que lui, bien sûr. Célébrant béatement l’ailleurs sans soupçonner un instant qu’il en est le fossoyeur fanatique.[access capability= »lire_inedits »]

Écoutons, dans On ferme, cette jubilatoire et blasphématoire Invitation au dé-voyage.

« Regarde tout ce que tu pourrais faire à travers ce vaste monde. Sillonner les voies piétonnes d’Athènes, de Rome ou d’Amsterdam. Tirer de l’argent à Venise. Utiliser ta carte Visa dans des billetteries de Barcelone. Louer une voiture à Pékin et la rendre à Conakry. Manger dans des McDo’ à Melbourne, à Hanoï ou à Tunis. Acheter des fringues à Saïgon. Envoyer des fax de Bagdad, de Vancouver, de Tobago. Visiter les magasins d’électronique de Khartoum, Jérusalem, Valparaiso, Lima, Saint-Pétersbourg, Philadelphie. Téléphoner de Dallas ou de Tripoli. Regarder la télé câblée à Singapour, Montevideo, Brisbane. »

Ôtez immédiatement votre short de néant, vous qui entrez ici : « Les continents sont devenus la propriété des masses touristisantes, voilà ce qu’il fallait bien prendre en compte. Le globe-trotter du tertiaire est le destin maquereautant de la planète. La terre est la pute des Loisirs. Le parasite consommateur vient gicler dedans quand ça lui chante, il se l’envoie par tous les trous. Quand tu arrives quelque part, tu ne trouves plus un mètre carré qu’il n’ait pas enfilé mille fois. Il s’est tout tapé, il a tout liquidé, il s’est dégorgé sur les églises, il a giclé sur les châteaux, il s’est soulagé sur les tableaux. Il a déchargé, avec quel entrain, sur les fresques les plus rares, limé les plus vieux monuments, foutu les plus beaux paysages. Tout salopé ! Enfilé ! »

Vraiment ailleurs, dites-vous ? Ailleurs que le Moderne ? Un peu d’air vif ? Un peu comme si nous étions vivants ? Tout-ailleurs ? Férocement ? Mais vous y êtes, pourquoi perdre courage ? Cela se nomme On ferme.[/access]

 

On ferme, de Philippe Muray (Les Belles Lettres).

*Photo : lipjin.

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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