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La droitisation de la société… and so what?

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Si l’on excepte les gamineries de Mathieu Kassovitz, une fois n’est pas coutume et comme je ne pense pas être trop ostensiblement de parti pris, je reconnais volontiers que l’émission de Laurent Ruquier :  » On n’est pas couché  » ne manquait ni de tenue, ni d’intérêt. Sans doute grâce à l’élégance et à l’honnêteté de l’invitée du soir : Rachida Dati. J’hésitais même à revenir sur cette soirée, lorsque me brossant les dents (mais oui, cela m’arrive ) une pensée m’a traversé l’esprit : elle vaut ce qu’elle vaut et si l’ami Marc la juge digne d’intérêt, il la mettra en ligne. Autrement, elle finira dans le cimetière de mes projets avortés.

À plus d’une reprise, durant l’émission, on a sommé Rachida Dati d’avouer qu’elle s’était « droitisée » (même Marine Le Pen lui aurait rendu hommage ) comme s’il s’agissait d’une catastrophe nationale. À l’instar des précédents invités, elle s’en est défendue, becs et ongles. Or, il n’a pu échapper à personne qu’elle s’est droitisée, comme toute la société française, voire toute l’Europe. Pourquoi ne pas le reconnaître ? Pourquoi considérer a priori que ce serait une honte, voire une malédiction ? Pourquoi ne pas répondre simplement : yes… and so what ? Et peut-être tenter d’expliquer les raisons de ce changement de ligne. Après tout, il est arrivé que la France, tant intellectuellement que politiquement, se gauchise. Et ce ne fut pas un drame non plus. Un simple retour de balancier. Nommer les choses, les admettre dans leur réalité que, par ailleurs, tout le monde perçoit, serait à mon avis plus subtil que ces dénégations de pure forme. Il en est de même pour la politique d’austérité de l’actuel gouvernement qui touche chacun, mais qu’il ne faut surtout pas nommer… les Français auraient-ils plus peur des mots que de la chose ? J’en doute. C’est plutôt la classe politique qui contourne maladroitement les tabous qu’elle s’est à elle-même fixés et qui sont devenus obsolètes.

Bon, comme le dit mon ami Aldo Sterone (ne ratez pas ses vidéos ! ) , ce que je dis là n’est peut-être pas très malin, mais j’avais envie de vous en parler….

Eric, laisse tomber les filles!

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zemmour femmes suicide

Quand la patronne m’a proposé de participer à un entretien avec Éric Zemmour, j’ai été très intéressé et très hésitant. À Causeur, on la ramène surtout si on n’est pas d’accord, et, là, j’étais d’accord. Les journalistes qui voient les causes du déclin et du suicide français comme je les vois sont peut-être de plus en plus nombreux, ceux qui en parlent sans abuser de périphrases et d’euphémismes se font rares. Zemmour en est. Il ne craint pas de stigmatiser, et cette imprudence lui permet de nommer les choses : le risque du dommage collatéral ne le détourne pas de sa mission. Il a le courage d’enfoncer les portes bien fermées de la pensée indicible, interdite, avec la stratégie de celui qui sait jusqu’où aller trop loin et le talent pour « faire de l’audience », cette volonté du peuple qui le maintient dans les médias. Débat après débat, avec un sérieux stock de munitions intellectuelles et le réel de son côté, il fait mordre la poussière à une armée bien-pensante et omniprésente qui donne aux plus démocrates d’entre nous des envies de Poutine. Je lui resterai longtemps reconnaissant de m’avoir offert sur un plateau, tantôt la mine déconfite d’Éric Fassin, tantôt les airs outrés de ces gosses de stars qui viennent à la télé insulter les élus du peuple et leurs électeurs de la France moisie.

Dans la vie, je suis plutôt zemmourien. Dans les conversations, le sujet Zemmour est la meilleure façon d’entrer en politique. On évite les lieux communs et les consensus assommants, on est tout de suite dans le clivage. Évidemment, je le défends, je réexplique ses formules déformées par l’écho médiatique : « Tous les Noirs et Arabes ne sont pas trafiquants mais la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes. » Je démonte les mauvais procès qu’on lui colle, je le cite sans me lasser : « On peut urbaniser toute la France, on ne logera pas toute l’Afrique. » Je passe mon temps à faire du Zemmour autour de moi, et à porter la voix de la réalité historique et du bon sens. Sans grand succès, parce que, si je ne parviens pas à réhabiliter Zemmour, j’arrive très bien à passer pour un réactionnaire. Avant l’entretien, la patronne m’avait prévenu : « Tu n’es pas là pour le défendre contre nous, on est bien d’accord. » Il me fallait donc, pour l’intérêt du débat, chercher une opposition, un point de friction, un sujet de désaccord ou de malentendu. J’ai cherché, dans ses écrits et dans ses paroles, et j’ai trouvé jusqu’où j’étais zemmourien.

Il y a bien deux ou trois petites choses. Je suis plus atlantiste que lui, je n’oublie pas avec Aymeric Chauprade que les États-Unis sont nos alliés historiques, et je préfère parfois me tromper avec Obama qu’avoir raison avec Poutine. Je suis plus libéral aussi. Dans ma zone périurbaine du sud de l’Essonne, personne ne regrette le temps des petites quincailleries de quartier et du commis en blouse qui revenait avec trois vis quand il nous en fallait quatre en promettant d’en recevoir bientôt. Les zones commerciales grandes surfaces aux abords des villes ont remplacé avantageusement les petits commerces de centre-ville pour ceux qui aiment le choix, apprécient le stock et regardent les prix. Les autochtones pardonnent aux édifices leur laide intrusion dans le paysage et pratiquent ce commerce pratique en bénissant leur époque. Les rares qui regrettent le pittoresque de la province d’avant l’apparition des grandes surfaces sont les gens délicats qui ne font pas les courses, les Parisiens de passage, et Éric Zemmour. On a tous nos côtés bobo.[access capability= »lire_inedits »] Mais tout cela ne faisait pas une opposition essentielle. J’ai cherché mieux.

Dans Le Suicide français, le plus célèbre de nos agitateurs de braillomètre nous raconte comment les sages ont commis la folie d’imposer à des politiques inquiets et à une société qui n’en voulait pas le regroupement familial ; il montre comment Malik Oussekine, par la propagande des minorités agissantes et la trouille des politiques, est devenu le saint patron des pillards et des émeutiers ; il décrit comment l’autocritique poussée jusqu’à la repentance par les ombres agitées du colonialisme et du souvenir de la shoah a œuvré au désarmement moral qui a accompagné notre renoncement aux exigences de l’assimilation, à la maîtrise de notre immigration, à la défense de notre culture. Par le détail des événements politiques, le récit d’une carrière emblématique (Louis Schweitzer) ou le détour par un film ou par une chanson, la féminisation, les individualismes, les communautarismes apparaissent et se développent. La France d’avant disparaît, trahie par des élites qui ont abandonné toutes les souverainetés, ringardisée par une société héritière des idéaux de 1968. Il met au cœur et à la source de tous les dérèglements et de tous les désastres la déconstruction de tous les cadres traditionnels que l’esprit de Mai 68 a initiée et qui nous poursuit encore. Après les déconstructions, sont venues les libérations sans fin et le règne des individus, pour le pire et pour le pire. Il le constate, toutes les libérations, tous les libéralismes menacent la nation et la civilisation.

Je ne suis pas zemmourien jusque-là. De la France d’avant, je distinguerai ce que je ne regrette pas d’avoir perdu de ce qu’il me paraît urgent de restaurer. Je ne veux pas jeter le bébé de 1968, qui a apporté de la joie et du bazar dans la maison par la libération sexuelle, la liberté de parole, l’émancipation de l’individu, avec l’eau du bain où pataugent, quarante ans plus tard, des idées libertaires devenues folles. Je ne confonds pas les libérations avec les monstres qu’elles engendrent, et au « tout ou rien » réactionnaire et zémmourien, je préfère une discrimination conservatrice. Je ne veux pas revenir jusqu’avant 1968 sur la liberté de parole, de commerce et de mœurs, même si je n’aime pas tout ce que j’entends et tout ce que je vois, et surtout pas renoncer à la liberté des femmes, même pour dénoncer les dérives d’Osez le féminisme !.

Comme Éric, je suis opposé au mariage pour tous. On est d’accord, le pouvoir se fourvoie quand il institutionnalise une parodie de mariage insensée qui donne à deux hommes ou à deux femmes un livret de famille, et cela tourne à l’arnaque quand un droit à la famille pour tous nous est imposé par le droit. Mais, contrairement à Zemmour, je ne suis pas favorable au mariage pour toutes, comme au bon vieux temps où les filles quittaient leur père pour un mari, et enfantaient sans relâche et sans possibilité de contraception ni droit à l’avortement. Je préfère vivre aujourd’hui. Éric veut l’égalité juridique entre hommes et femmes, ni plus ni moins. Je veux plus. Je veux pour ma femme une liberté égale à la mienne, ni plus ni moins, cette liberté qui nous a donné des égales au-delà de la loi, dans les mœurs et les modes de vie, des concurrentes plutôt que des assistantes, des partenaires plutôt que des subordonnées. Et aussi une indépendance rassurante, pour que le désir d’être ensemble nous tienne autant que le besoin. Même s’il m’arrive de rêver aux temps où les gosses ne la ramenaient pas à table et où les femmes la fermaient, je préfère mon époque et les femmes qui l’ouvrent. Je préfère le temps du plaisir et de l’amour dans une conjugalité à armes égales, parce que, dans la guerre des sexes, à combattre sans péril, on triomphe sans gloire. Une union, c’est du sexe et une conversation, alors, dans les échanges amoureux, la liberté gagnée par les femmes de notre génération est un progrès pour tous. Ce n’était pas mieux avant, et je ne troquerais pas ce monde « féminisé » pour un autre qui m’offrirait l’appui de la norme, du Code civil, des habitudes ou du qu’en-dira-t-on pour m’aider à être un homme. Être mâle plus ou moins dominant, ça s’hérite, mais ça se mérite aussi. Le trône attribué à la naissance que j’ai perdu dans l’histoire ne me manque pas. Dans tout cela, j’ai la prétention de voir un progrès que la déconstruction nous a laissé et qu’il ne me paraît pas urgent de déconstruire.

Je ne suivrai pas Éric Zemmour dans son entreprise de démolition totale. Même si l’émancipation des femmes a déstabilisé le pays et les hommes, causant des divorces en masse qui pèsent sur les chiffres du chômage, la pénurie de logements, la dépense sociale et le malheur des enfants (mais qu’en pensent les enfants qui ont vécu un enfer familial à l’époque où on ne divorçait pas ?), même si tout le monde voit bien que ce n’est pas facile, ma fille n’a aucune envie de vivre comme ma grand-mère, et elle a de bonnes raisons. Elle choisit son métier et fera ce qu’elle veut de sa vie. Face à cet ordre ancien où régnait le primat des intérêts de la nation sur les droits et les libertés des personnes que regrette Zemmour, je ne suis pas prêt à renoncer à cela. Avant de déconstruire avec lui ces tendances suicidaires françaises qui nous interdisent de nous protéger des invasions et des agressions, avant d’abandonner ce qui, dans nos penchants libertaires ou simplement libéraux, nous empêche de défendre notre culture et notre civilisation, il faut sauver la liberté des femmes.

Une enseignante d’université de Seine-Saint-Denis, militante féministe des années 1960, qui avait sans doute défendu le droit pour les femmes d’assister aux cours en pantalon, témoignait de sa tristesse devant la multiplication des étudiantes voilées. Je ne suivrai pas Zemmour dans ses ricanements et sa bossuétude sur les causes chéries et les effets déplorés. S’il y a aujourd’hui contradiction des modernes, il n’y a pas d’impasse. Dans un consensus français, nous pouvons trancher ce nœud gordien de libertés entremêlées en faveur de notre conception de la liberté des femmes, parce qu’on est chez nous, et restreindre ou réprimer toutes celles qui la menacent. Loin d’être un des facteurs du déclin, la liberté des femmes pourrait être un des moteurs du redressement national. Le souci de préserver cet acquis pour la civilisation française, cette part de notre identité, peut rassembler une écrasante majorité de Français, réactionnaires, conservateurs ou progressistes, de souche ou d’origine, et redonner à la nation l’élan qui lui manque, et à l’État, un plébiscite pour combattre l’islamisme et tenir en respect les communautarismes, pour restaurer l’ordre public et ramener la sécurité, pour retrouver un peu de France d’avant, en mieux.[/access]

 *Photo : L’homme qui aimait les femmes.

Sarkozy : faut-il un président normal à l’UMP?

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nicolas sarkozy ump

Et si Nicolas Sarkozy avait un peu changé ? Franchement, depuis qu’il s’est lancé dans la course à la présidence de l’UMP, ce moteur si bien huilé connaît quelques ratés. Et ça, c’est quand même nouveau. Il y a eu ces différents changements de scénographie dans les meetings : d’abord le discours au pupitre, ensuite le dialogue avec les militants, puis retour au pupitre avec un texte d’Henri Guaino. Ce genre de tâtonnement ne lui ressemble pas. Et puis, il y a eu samedi. Pierre Jovanovic nous a livré un récit exhaustif de cette journée organisée par le collectif « Sens commun » issu de la Manif pour tous. Mais dès le soir-même, nous avions les images. Etait-ce un rêve ? Sarkozy qui se fait imposer un mot par la salle ; Sarkozy qui prononce un mot qu’il ne voulait pas prononcer ; Sarkozy qui se fait retourner par une salle, alors que la marque des grands orateurs, dont il fait incontestablement partie depuis une grosse dizaine d’années, c’est plutôt de retourner soi-même ladite salle. Les militants de « Sens commun » se sont même payés le luxe de scander ensuite : « Il l’a dit, il l’a dit », à la manière de supporteurs qui chambrent l’équipe adverse dans un stade de foot.

Mais ce n’est pas tout. Comment s’est-il mis dans cette situation ? Il a été piégé par Hervé Mariton. Le candidat libéral-conservateur à la présidence de l’UMP, meilleur orateur de l’UMP pendant les débats parlementaires sur le mariage pour tous, avait quelques accointances avec la puissance invitante. Il y a été reçu comme une rock-star, alors que Le Maire et Sarkozy étaient respectivement accueillis avec hostilité et méfiance. Mariton avait défié ses concurrents et il a bien fait. Le Maire s’en est sorti habilement, en faisant face à la foule et en ne cédant rien. Et Sarkozy s’est pris les pieds dans le tapis. Si on vous avait dit que l’Ex serait un jour piégé par Hervé Mariton, vous auriez crié au fou, non ? En tout cas, moi, j’aurais crié. Mais Sarkozy en est là.

Et pourtant Nicolas Sarkozy va gagner cette élection. Il va battre Le Maire et Mariton. On guettera le score, s’il est inférieur ou non à celui qu’il avait obtenu en 2004 lors de sa première accession à la présidence de l’UMP. Le problème, pour lui, c’est que sa replongée dans la vie d’un parti risque fort bien de ressembler à ce samedi de novembre en continu. Comme l’avait prévu Henri Guaino, cette campagne interne dé-présidentialise Nicolas Sarkozy, et la gestion du parti achèvera cette dé-présidentialisation. Comme diraient Laureline Dupont et Philippe Cohen « c’était pas le plan ». Nicolas Sarkozy devait arriver en sauveur et il est aujourd’hui, et il sera demain, le jouet de toutes les tendances de l’UMP, obligé de trancher dès maintenant dans tous les débats, écartelé par les fractures idéologiques alors qu’il devait se nourrir des premiers afin de réduire les secondes, en déclarant sa candidature douze à dix-huit mois avant l’élection présidentielle.

Quelle mouche a donc piqué Nicolas Sarkozy en se lançant dans cette bataille qu’il n’avait pas prévue ? Quand Copé a été débarqué de la direction du parti au lendemain des révélations de Jérôme Lavrilleux sur l’affaire Bygmalion, il a décidé de changer de fusil d’épaule. Funeste erreur. Laisser aller Estrosi contre Le Maire était suicidaire, arguaient alors les partisans de la nouvelle stratégie. Mais qui dit qu’Estrosi aurait été le seul candidat ? Nicolas Sarkozy aurait pu susciter en douce la candidature de Laurent Wauquiez (ou d’Henri Guaino). On aurait pu alors assister à un véritable débat idéologique aussi bien sociétal que sur les sujets économiques et européens. Et Nicolas Sarkozy de demeurer silencieux, d’encourager ses partisans à choisir Le Maire ou Wauquiez selon leurs inclinations, se nourrir de ce débat, poursuivre sa réflexion afin de peaufiner son projet futur. Alain Juppé observe aussi de loin, il poursuit une stratégie de séduction des médias et de la partie de la gauche qui, effrayée par la perspective d’un second tour Le Pen-Sarkozy, pourrait décider de participer en masse à la primaire de la droite. Cette stratégie peut rater – être le candidat des médias n’a jamais vraiment porté chance- mais il n’en a pas changée depuis des mois, fidèle à sa ligne de conduite. Face à lui, Sarkozy devait  impérativement ne pas bousculer son calendrier initial, qui était le bon. Une bataille Wauquiez-Le Maire aurait sans doute été serrée. Mais comme elle aurait eu lieu sur le terrain des idées, cette lutte n’aurait pas été sanglante comme le duel Fillon-Copé qui était une guerre de clans.

C’est la faute de Nicolas Sarkozy de ne pas avoir voulu de ce débat. Un débat qui était nécessaire à son camp, à son parti. Un débat qui aurait pu lui être profitable à terme. Une faute contre son parti, une faute contre son camp, une faute contre lui-même. Triple faute. Fatale ?

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00698063_000011. 

Aubry brade le jumelage

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lille israel safed

Durant les affrontements de cet été à Gaza, plus d’une dizaine de défilés, souvent massifs, ont eu lieu à Lille. Cette clameur nordiste ne semble pas avoir tempéré l’ardeur de Tsahal, mais elle n’aura pas été vaine, tant Martine Aubry a l’ouïe fine. En effet, le lundi 6 octobre, son conseil municipal prenait la décision « de mettre en veille temporairement ses relations institutionnelles avec la ville de Safed»

Safed est une ville de 30 000 habitants au nord-est d’Israël, jumelée à Lille depuis 1988 sur proposition de Pierre Mauroy. Et l’arrêt de ce jumelage figurait en bonne place dans les slogans des manifs de cet été, pétition de France-Palestine à l’appui.[access capability= »lire_inedits »]

Jointe par téléphone, Marie-Pierre Bresson, l’adjointe au maire EELV à la coopération internationale, ne fait pas mystère des causes de cette suspension : « On entend l’émotion des gens qui ont manifesté. Et il aurait été dramatique que la population lilloise n’ait pas réagi à ce qui se passait cet été dans la bande de Gaza. » Et quand on lui demande si cette rupture unilatérale favorise le combat pour la paix, l’élue verte rétorque que ce n’est pas la question du moment : « À force de dire qu’on promeut la paix, on ne fait pas grand-chose. L’objectif de cette mise en veille est de faire bouger les lignes et d’aller plus loin. » Quant au lien entre la ville jumelée et l’opération militaire israélienne à Gaza, il est évident aux yeux de l’adjointe de Martine Aubry : « Bien évidemment, la ville de Safed n’est pas directement impliquée dans les bombardements à Gaza, mais nous considérons que les habitants de cette ville choisissent leurs gouvernants. Et le maire de Safed peut prendre position. » Et d’ajouter, tout en condamnant les tirs de roquettes depuis Gaza : « Il faut se demander pourquoi le Hamas a prospéré dans ce territoire, c’est le vrai sujet ! »

Vu de Lille, sûr que le « vrai sujet » n’est pas la mainmise du Hamas sur Gaza. Sinon la majorité aubryste aurait peut-être réfléchi avant de voter, lors de ce même conseil municipal, une subvention exceptionnelle de 15 000 euros au Fonds de solidarité Gaza mis en place par la Fondation de Lille. Européenne convaincue, Martine Aubry aurait pu prendre le temps de lire le rapport de la Cour des comptes européenne publié en décembre dernier sur le détournement massif des aides financières allouées aux territoires palestiniens. A-t-elle oublié qu’en 2010 l’ONG médicale Help Doctors, soutenue financièrement par cette même fondation, a été contrainte de fermer son dispensaire de Gaza sur ordre du Hamas ? Non, elle n’a pas oublié. Mais, cette fois-ci, la Mairie est confiante, elle a décidé de travailler en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères afin de limiter les risques de détournement. Une garantie en béton…
Joint au téléphone le 23 octobre, le maire de Safed, Ilan Shohat, trouve le procédé saumâtre. Sur la forme : il ne s’est trouvé personne, à la mairie de Lille, pour prendre le temps de lui notifier cette décision, qu’il a apprise en lisant Le Figaro. Sur le fond : « C’est une grosse erreur, le jumelage est un moyen pour les responsables locaux de créer des ponts, des liens entre des communautés, ce qu’un Premier ministre, par exemple, ne pourrait pas faire. » Il compte envoyer une lettre à Martine Aubry afin d’en savoir davantage sur cette affaire. Mais sans attendre la réponse, il suppute « un acte strictement politique, facile et populaire », permettant à Martine Aubry « d’avoir plus de voix pour les prochaines élections ». Dieu que ces Israéliens sont  paranoïaques, ils voient du cynisme partout…[/access]

*Photo: Dan Balilty/AP/SIPA.AP21316194_000006

Affaire Sagnol : Michéa tacle Bégaudeau

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carton rouge arbitre

M. Bégaudeau,

Vous venez, une fois de plus, d’être flashé par nos services en flagrant délit de mensonge et d’escroquerie intellectuelle. Dans une de vos blogueries habituelles – elle circule sur le web depuis le 14 novembre 2014 – vous prenez en effet habilement prétexte de l’« affaire Sagnol » – telle, du moins, que les médias officiels ont jugé bon de la reconstruire (Laurent Blanc avait déjà essuyé les plâtres) – pour dénoncer (ou « stigmatiser », si le mot vous paraît politiquement plus correct) un certain nombre de « discours contemporains » dont la seule finalité serait de propager partout l’idée « qu’on se sentirait quand même mieux avec des footballeurs issus du petit peuple blanc ». Nous laisserons naturellement ici de côté l’«affaire Sagnol » elle-même (notons quand  même que ce bon Willy semble tout  ignorer du magnifique travail effectué, depuis 1994, par l’école de football d’Abidjan et l’Académie Jean-Marc Guillou).

Tout comme les cas de MM. Zemmour et Riolo qui,  disposant d’un large accès aux médias, sont assez  grands pour se défendre eux-mêmes. Nous nous en tiendrons donc uniquement, pour ce premier communiqué,  à votre rapide présentation des idées de « l’essayiste Jean-Claude Michéa », présentation dont le degré de malhonnêteté intellectuelle (nous avons eu la charité d’écarter d’emblée l’hypothèse de la bêtise absolue) ramène désormais les Boltanski,  Amselle et autres Corcuff au rang de simples joueurs d’une division d’honneur régionale.

Vous avez non seulement, en effet, réussi le tour de force d’associer indirectement cet auteur aux propos tenus par M. Sagnol – chapeau l’artiste ! – mais également celui de réduire sa critique des dérives libérales du football contemporain à une simple « complainte sur la disparition  du football  paysan plein de  bon sens ». Complainte dont vous tenez d’ailleurs à préciser qu’elle est, dans son principe, « un peu auvergnate » (espérons que la LICRA ne vous poursuivra pas en justice pour de tels propos discriminatoires). Or il suffit de lire n’importe lequel des nombreux écrits ou entretiens que M. Michéa  a consacrés au football – fût-ce en pratiquant ces inénarrables méthodes de lecture que prône votre ancien gourou Philippe Meirieu – pour s’apercevoir aussitôt que le terme de « paysan » n’y joue strictement aucun rôle. Et même dans l’hypothèse surréaliste où M. Michéa aurait songé à défendre une telle thèse – ce qui, encore une fois, est une pure et simple invention de votre part – on ne voit toujours pas en quoi l’idée que le football devrait être pratiqué par les seuls « paysans » impliquerait par là même qu’il devienne l’affaire du seul « petit peuple blanc ».

Que l’on sache, il y a aussi des paysans au Maghreb et en Afrique noire, et même, proportionnellement,  beaucoup  plus que dans notre pays. Le fait demeure néanmoins  – comme chacun peut aisément le vérifier – que, dans ses écrits sur le football, M. Michéa  s’est toujours borné à soutenir l’idée que le futbol de arte (comme le nomment les Brésiliens) était né, à la fin du XIXe siècle, du conflit entre le dribbling game des clubs de l’élite bourgeoise et aristocratique d’Angleterre et du passing game des clubs ouvriers écossais. Passing game transmis ensuite, sous l’influence majeure d’un Jimmy Hogan, aux clubs  d’Europe centrale et qui constitue donc, à ce titre, l’une des sources majeures de ce merveilleux football autrefois illustré, entre autres,  par la Wunderteam  de Mathias Sindelar, la Hongrie de Puskas et le Brésil de Pelé (tous les spécialistes connaissent bien l’influence du « football socialiste » de Gusztàv Sebes sur Vicente Feola et Tele Santana).

Comme vous le voyez, il n’y a pas plus d’allusion, dans cette thèse, au rôle privilégié que le monde paysan aurait joué dans la genèse du people’s game que de souci du bien commun dans une réunion du CAC 40. Mais trêve de précisions historiques. Vouloir discuter de philosophie du football avec vous serait aussi saugrenu que d’engager un débat avec Mère Teresa sur les mérites comparés de la Kalashnikov AK 74 et du Stoner 63 A.  Il reste que cette manière frauduleuse de présenter les faits n’autorise que deux interprétations. Soit vous avez définitivement décidé de vous spécialiser dans la recension d’ouvrages dont vous n’avez même pas survolé la quatrième de couverture et, dans ce cas,  la carrière d’éditorialiste  au Monde ou  à Libération devrait vous aller comme un gant (nous supposons même que votre soif éperdue de reconnaissance médiatique y trouverait enfin son compte). Soit – et nous penchons malheureusement pour cette seconde hypothèse – vous avez bel et bien lu les écrits de M. Michéa sur le football et c’est alors en toute connaissance de cause que vous avez choisi d’en falsifier intégralement le contenu. À seule fin – c’est la seule interprétation plausible – de marquer ainsi la place personnelle que vous comptez désormais occuper dans le vaste troupeau de ceux que Guy Debord appelait les « actuels moutons de l’intelligentsia ». Quoi qu’il en soit, et quels que puissent être les dessous réels de votre démarche impudente, nous tenons cependant à vous rassurer.

Nous n’attendons évidemment pas de votre part la moindre reconnaissance officielle de vos mensonges godwiniens.  Et comme, par ailleurs, notre Observatoire n‘entend exercer qu’une simple autorité morale, nous nous contenterons donc, pour cette fois, de diffuser largement ce communiqué et d’éclairer ainsi votre public sur votre singulière conception du débat intellectuel. De toute façon, la chance n’est  pas avec vous. La sortie prochaine du film de Gilles Perez et d’Eric Cantona, Foot et immigration – documentaire dans lequel M. Michéa intervenait précisément, à la demande d’Eric Cantona lui-même (qui, lui, a réellement lu ses textes), pour défendre l’idée que le football constitue aujourd’hui l’un des derniers grands vecteurs d’intégration culturelle des jeunes issus de l’immigration – achèvera probablement de convaincre les plus honnêtes de vos fans du nouveau sens qui doit désormais s’attacher au verbe bégauder.  Du Protocole des sages de Sion, il sera ainsi loisible de dire, dorénavant,  qu’il ne s’agissait que d’un faux,  bégaudé par la police tzariste. Pour le reste, nous vous laissons évidemment seul avec votre conscience,  si toutefois vous en avez encore une.

Avec nos excuses les plus plates pour vous avoir tiré quelques instants de votre sommeil  dogmatique, si conforme aux mœurs intellectuelles de nos temps libéraux.

Le secrétariat exécutif de l’Observatoire de la fraude intellectuelle en France.

*Photo: Psebcool.

Sarkozy, la dérobade pour tous

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Samedi dernier, l’exercice devait être simple : Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, prédateur politique reconnu, allait mettre les cathos de Sens Commun dans sa poche, sans se laisser imposer de position sur le mariage gay. « Vous croyez que je n’ai pas d’expérience ? » a-t-il lancé, sûr de lui, lors de sa prestation, à Madeleine Bazin de Jessey, cofondatrice du mouvement. Mais devant les grondements de la salle, Sarkozy s’est aperçu que ses tours de passe-passe, ses références à la « prière » (puisque donner des gages aux cathos, « ça ne coûte pas cher »), et ses atermoiements ne passaient pas. Son projet ambigu de « réécrire complètement la loi Taubira » s’attirant les foudres du public, il a cherché à leur faire avaler une plus grosse couleuvre : la dissociation du mariage « hétérosexuel » et du mariage homosexuel.

Cela revient à son serpent de mer de 2007, l’union civile, qu’il promettait équivalente, sauf dans le nom, au mariage. Dans l’esprit de Nicolas Sarkozy, il le dit en public et en privé, de manière pour une fois assez honnête, homosexualité et conjugalité homme-femme sont équivalentes. Il tient à ce que l’amour homosexuel soit reconnu socialement. Bref, rien de nouveau, si ce n’est que son public lui a arraché ce qu’il voulait entendre. « Ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA et la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira ! »

À ce mot magique d’« abrogation », la foule du meeting de Sens Commun a obtenu symboliquement de faire participer Sarkozy à son projet. L’ancien président croyait s’en tirer à bon compte, rester au-dessus du débat. La discussion sur l’avenir du mariage gay est relancée. Des juristes sortent du bois, affirment que l’abrogation est techniquement possible. Le Conseil constitutionnel l’avait bien précisé, en avril 2013, que le mariage gay relevait non des droits fondamentaux, mais de la volonté du législateur. Les masques tombent : les ténors de l’UMP étrangers à Sens Commun et à la Manif Pour Tous, de Fillon à Estrosi, en passant par NKM et Morano (avocate de la GPA il y a quelques années) affirment justement qu’ils ne le veulent pas.

Le mariage gay peut être abrogé. De nombreux ténors de droite s’y refusent. Reste à voir si Sens Commun et sa base sympathisante parviendront à transformer l’essai de samedi, et à arracher des actes aprèsles paroles. Nicolas Sarkozy pensait s’échapper par une énième pirouette. Son discours farfelu lui vaut d’être enferré dans un engagement qu’il se refuse sans doute de tenir.

Michel Onfray : Zemmour, la gauche et moi

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michel onfray portrait

Michel Onfray est philosophe, fondateur de l’université populaire de Caen. Dernier ouvrage paru : Le réel n’a pas eu lieu, Autrement, 2014.

Daoud Boughezala: Un journaliste de BFM Business a noté que la plupart de nos confrères recevaient Éric Zemmour comme Jean-Marie Le Pen il y a vingt ans. Comment expliquez-vous la violence des polémiques déchaînées par Le Suicide français ? 

Michel Onfray: La France est dans une situation de guerre civile, et l’on n’est plus capable de débattre. L’insulte a remplacé le débat et le mépris de l’auteur a pris la place de l’analyse du livre. Le spectacle télévisuel, avec ses petites phrases, fait l’économie de la lecture de l’ouvrage incriminé pour monter en épingle ce qui va donner lieu à une chasse aux sorcières qui se terminera au bûcher. Ce qui a été dit à la télévision ou dit à la presse suffira au journaliste, que les cadences de parution et l’espace réduit offert dans son support contraignent à la superficialité : nul besoin de lire un livre, ce qui, dans le cas d’Éric Zemmour, suppose l’humilité d’une grosse journée de lecture, si on est payé aussi cher en n’ayant pas lu ! Si on n’a pas trouvé quelque chose à monter en épingle, alors on invente, on suppose, on suppute, on lit entre les lignes, on cherche les motivations inconscientes et, bien sûr, on les trouve. La télévision de Polac fait désormais la loi : c’est la télévision du grand bordel où, sous prétexte de liberté libertaire alors qu’il n’y a que loi de la jungle, le plus fort en gueule, le plus spectaculaire, le plus provocateur a toujours raison sur celui qui veut argumenter un tant soit peu. C’est la télévision du marché qui fait la loi en scotchant le téléspectateur devant son écran, non pas avec des idées, des arguments, des développements, un langage châtié, mais avec des attaques ad hominem, des grossièretés, des provocations, des vulgarités.

Que le débat d’idées soit impossible, ce n’est pas Causeur qui dira le contraire, quand nombre de journalistes et d’intellectuels confondent agora et tribunal. Cela dit, on peut estimer que Zemmour donne des verges pour se faire battre. N’êtes-vous pas choqué par certaines de ses thèses, notamment lorsqu’il fait du régime de Vichy le sauveur des juifs français ?

Sur Vichy, nous sommes passés d’une vulgate à une autre. De Gaulle avait besoin d’un mythe pour gouverner la France post-pétainiste. Il a eu tort de nier la collaboration, l’infamie de beaucoup, pour laisser croire que les Français de la France éternelle, plus rêvée et idéale, voire idéalisée, que concrète et historique, avaient tous résisté et qu’ils avaient même libéré la France seuls, sans l’aide des Alliés !

Aujourd’hui, Zemmour véhicule le mythe inverse, passant de la fiction de la France toute résistante à celle des quarante millions de pétainistes, ce qui est tout aussi inexact. On ne devrait pas lutter contre une vulgate par une vulgate nouvelle, mais par l’histoire – que nous ne pratiquons plus par incapacité à penser le passé autrement qu’encombré par son présent, lui-même contaminé par un passé idéologisé.

C’est le moins qu’on puisse dire ! Depuis quarante ans, on a massivement tendance à réduire l’histoire de France au colonialisme et à la collaboration. N’est-ce pas l’un des ferments du « suicide français » ?

C’est le cœur du livre d’Éric Zemmour, et il est vrai qu’on sort épuisé de sa lecture, car il a souvent raison sur ce sujet de la haine de soi française.[access capability= »lire_inedits »] Depuis 1983, toute défense du peuple passe pour populiste, toute défense de la démocratie véritable passe pour démagogie, tout renvoi à la province pour du vichysme et du pétainisme, toute pensée en dehors des clous du politiquement correct pour réactionnaire, sinon fasciste, toute réflexion vraiment critique pour provocatrice ou pamphlétaire. Le colonialisme a eu lieu, il a cessé, faudra-t-il payer ce péché pendant des siècles ? Et surtout le faire payer à ceux qui ne l’ont pas connu ni perpétré eux-mêmes ? On ne fait plus d’histoire, au contraire de Zemmour qui en fait et la connaît, on débite le catéchisme du politiquement correct.

Éric Zemmour identifie ce politiquement correct à l’idéologie libérale-libertaire fille de Mai 68. À l’heure où les droits de l’individu s’étendent au même rythme que la marchandisation de l’homme (GPA, prostitution en ligne, etc.), le libertaire que vous êtes donne-t-il raison à ce vieux réactionnaire ?

Zemmour n’a pas tort sur ce sujet, car il y a au moins deux façons d’être libertaire : la première, qui est négative, celle de Bakounine par exemple, qui suppose qu’il faut détruire, casser, massacrer, en finir avec le vieux monde… Elle suppose la violence, la brutalité, le sang versé, les guillotines et les camps, l’intolérance et le fanatisme. La politique de la table rase suppose aussi la destruction de la table…

La seconde, la mienne, celle de Proudhon, renvoie à ce qu’il nommait lui-même « l’anarchie positive », autrement dit celle de la construction. La pensée de Mai 68 fut libertaire, et elle fit bien d’abolir un monde qui n’avait plus lieu d’être. L’histoire est un fleuve qui coule, qu’on le veuille ou non, pas une sphère immobile. Mais cette pensée ne fut suivie d’aucune anarchie positive, ce que je déplore : la négation est devenue le critère d’un nihilisme qui pouvait dès lors aller triomphant. Or, on ne peut déclarer que le négatif sera désormais le seul positif. Je souscris à Mai 68, mais je déplore qu’il n’ait été suivi d’aucune valeur nouvelle. Si je partage certains constats effectués par Éric Zemmour, je m’en distingue néanmoins sur les solutions : lui croit que le salut se trouve dans le rétroviseur d’un passé glorieux qui suppose qu’on restaure un ordre ancien, celui qui fut contemporain du général de Gaulle. Moi, je crois qu’il faut achever Mai 68 au sens de parachever : vouloir une anarchie positive, en l’occurrence contractuelle, pragmatique, immanente.

Comme le veut la tradition anarchiste, opposez-vous les individus – forcément intègres et altruistes – à un État vil et oppresseur ?

L’État n’est rien en soi, il n’est que ce qu’on lui demande d’être. Il peut être anarchiste, au sens du dernier Proudhon, celui de Théorie de la propriété, qui fait l’éloge de l’État comme d’une machine au service des idées anarchistes : s’il est aux mains d’un tyran, l’État sera tyrannique, s’il est entre des mains anarchistes, l’État sera anarchiste (une hérésie pour les gardiens du catéchisme anarchiste !), il garantira la coopération, la mutualisation, les fédérations contractuelles et révocables. S’il est entre les mains des libéraux, et c’est le cas, on voit bien qu’il sert les intérêts libéraux.

Pensez-vous que la fin du consensus gaullo-communiste des Trente Glorieuses a livré la France à l’ultralibéralisme, comme le soutient Éric Zemmour ?

Oui, c’est certain. La conversion de Mitterrand au libéralisme européen en 1983 permettait de détourner le regard du peuple, qui ne voyait pas ainsi son incapacité à gouverner à gauche. Le président, qui se disait socialiste, mais n’était que mitterrandien, autrement dit au service de sa seule cause, a transformé le socialisme en avatar du libéralisme. Le gaullisme s’est converti à ce libéralisme-là avec Chirac, contre Séguin, le socialisme avec Mitterrand, contre Chevènement, les communistes avec Hue, contre Marchais. Ce même libéralisme est celui que sert Hollande, contre Montebourg – qui le sert, lui, tant que ce service le sert…

Que vous le vouliez ou non, par votre position dans le champ des idées, vous endossez une partie du bilan de la gauche intellectuelle de ces trente dernières années. Et celle-ci n’est pas toujours libérale, tant s’en faut. Sous couvert d’anticapitalisme, certains de ses mandarins défendent même les pires expériences totalitaires…

Je ne me sens absolument pas comptable de tous ces errements, car l’intellectuel de gauche que je suis n’a pas souscrit au travail de sape de BHL et des « nouveaux philosophes » ni à l’idéologie de substitution incarnée par Badiou, qui croit à « l’hypothèse communiste » comme si la réalité communiste n’avait rien eu à voir avec cette hypothèse. Ni le socialisme libéral de BHL ni le socialisme marxiste-léniniste du dernier carré gauchiste de l’ENS ne sont mon socialisme. Ma gauche n’a rien à voir avec la leur : ni libérale ni marxiste, mais libertaire !

Votre gauche libertaire considère-t-elle l’immigration massive comme une chance pour la France ? Que vous inspire l’islamisation de certains quartiers, souvent au mépris de valeurs telles que la laïcité ou l’égalité homme-femme ?

Je viens de publier un livre intitulé Le réel n’a pas eu lieu, qui est une réflexion sur ce que je nomme « le principe de Don Quichotte » : celui-ci consiste à ne pas voir le réel tel qu’il est, mais tel que l’idéologie à laquelle on souscrit nous invite à le voir. Don Quichotte, embrumé par l’idéologie chevaleresque, ne voit pas ce qui est, les ailes d’un moulin, mais ce qu’il veut voir, les grands bras d’un géant qui veut mettre sa bravoure à l’épreuve. Ne pas voir ce qui est pour lui préférer ce qu’on imagine, le principe de Don Quichotte, donc, est très souvent la maladie des intellectuels et des journalistes qui font aujourd’hui fonction d’intellectuels prescripteurs.

Qu’il y ait une immigration, c’est en effet un réel qui a bien eu lieu et qui a encore lieu. On peut donc dire qu’il n’a pas eu lieu, mais le réel en apporte la preuve à quiconque fait preuve de ce qu’Orwell appelait « le sens commun », qui s’avère un antidote puissant aux lectures idéologiques. Que cette immigration apporte avec elle une religion qui est aussi une idéologie et que cette idéologie ne revendique pas pour valeurs « liberté, égalité, fraternité, féminisme, laïcité » est une évidence pour qui connaît la religion musulmane autrement que par ouï-dire et propagande médiatique. Il suffit de lire le Coran, les hadiths du Prophète, une biographie, même hagiographique, de Mahomet pour s’en rendre compte. Mais on supporte ce qui vient de l’islam par tonnes, quand on refuse un gramme de ce qui vient du christianisme. Et c’est un athée qui vous le dit…

Si on fait le bilan, vos points d’accord avec Zemmour semblent beaucoup plus nombreux que vos divergences. En 2007, il y avait des sarkozystes de gauche. Seriez-vous un zemmourien de gauche (ce qui vous vaudra une excommunication) ?

Je suis d’accord avec Éric Zemmour pour faire de 1983 le virage de la gauche vers la droite libérale, date à laquelle la France renonce à sa souveraineté et se condamne donc à faire la politique de Bruxelles plus que la sienne, car l’euro et l’Europe libérale accélèrent le processus de décomposition de l’État sans lequel aucune politique (sociale) n’est possible. Mais il faut préciser que l’aile gauche du PS, le Front de gauche, le NPA et LO tout autant que les souverainistes de droite ainsi que le FN sont sur ces positions, ce qui fait une majorité de Français !

Autre point d’accord avec Éric Zemmour, la question de l’islam, qui n’est pas une religion de paix, de tolérance et d’amour, contrairement à ce qui est rabâché sans cesse par les médias du politiquement correct. Ainsi, la moindre référence au caractère belliqueux du Coran passe pour de l’islamophobie assimilée au racisme, à la xénophobie, de la part de ceux qui confondent la critique d’une religion avec la haine de la couleur de certains peuples qui s’en réclament !

Vous aggravez votre cas…

Non, comme je vous l’ai expliqué, je ne souscris ni à sa critique de mai 68, ni à l’amalgame que fait Zemmour entre le féminisme et ses outrances, comme la théorie du genre. Mon aspiration à l’égalité entre les deux sexes me fait également approuver la possibilité juridique du divorce et de l’avortement, ce qui ne signifie pas qu’il faille en user sans discernement. Contrairement à Eric Zemmour, je ne condamne pas tout l’art contemporain en bloc, pas plus que je ne regrette la disparition du Père sous toutes ses formes. À l’autorité paternelle transcendante, je préfère l’autorité contractuelle immanente (et pas l’absence d’autorité, que je déplore également).

Toutes ces objections ne me prémunissent absolument pas contre un procès en sorcellerie, car mon excommunication a déjà eu lieu ! À bas bruit relatif à partir mon Traité d’athéologie en 2005, puis, avec fracas, lors de mon livre sur Freud, Le Crépuscule d’une idole, en 2010. J’ai alors compris l’état de décomposition du microcosme intellectuel parisien, son panurgisme, et sa réaction venimeuse quand on transgresse ses transgressions institutionnalisées. Ceux qui excommunient font la loi d’une religion que je n’ai pas, que je n’ai jamais eue, et dont je ne veux pas. L’athéisme dans toutes les croyances, religions comprises, est la chose du monde la moins partagée ![/access]

*Photo: BALTEL/SIPA.00677229_000043.

La France zemmourisée

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zemmour signature livres Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste, avouait il y a quelques semaines que « les thèses de Zemmour sont aujourd’hui majoritaires… malheureusement ». Il déplorait même une « zemmourisation de la société française ». Pourtant, en bon keynésien qu’il est devenu, Monsieur Cambadélis devrait s’employer à montrer combien la demande oriente l’offre. En l’occurrence, cela implique de constater que les « thèses de Zemmour », comme il les appelle, se font l’écho d’une demande préalable à laquelle la gauche, en général, ne s’est jamais souciée de répondre. Il y a tout un marché qui lui passe ainsi sous le nez. Si l’on n’est pas capable d’aligner des produits idoines, il reste à remettre en cause la légitimité du marché. La gauche méprise donc toute demande à laquelle répond une offre jugée de sa part « nauséabonde ». Et si le vocabulaire employé est celui du commerce, c’est parce que tout ce petit monde – provocateurs d’un côté, saintes-nitouches de l’autre – se dispute en fait l’art d’aguicher des majorités. Voilà l’occasion d’un coup d’œil sur notre démocratie putassière. En tant que membre du personnel politique et, pour cette raison, appelé à commenter publiquement tout et n’importe quoi, l’avis de Cambadélis sur les idées de Zemmour importe peu. Il y a même fort à parier que les ventes du livre incriminé se sont enflées de quelques centaines grâce au Premier secrétaire. En revanche, lorsqu’une émission radiophonique aussi sérieuse que La suite dans les idées, de Sylvain Bourmeau, prend la peine de convoquer un anthropologue, professeur à l’EHESS, pour mettre en garde contre « la zemmourisation de l’espace public » (titre de l’émission du samedi 8 novembre dernier), il devient manifeste que les forces de gauche sentent venir leur fin de règne dans les esprits. Entendons par là que leurs idées ont cessé de faire niche, et toutes leurs chasses gardées culturelles se retrouvent impactées. Pêle-mêle : la récente pièce de Bernard-Henri Lévy (venu en parler dans tous les médias) a fait un four ; le film La marche, subventionné, projeté dans nombre d’institutions est un échec historique ; Yannick Noah, lui, peine à remplir les salles, annule certains concerts et propose même quelques rabais. Le catéchisme a perdu ses effets. Lorsque ce sont les idées de gauche qui trouvent leur public, la gauche est démocrate. Lorsqu’une crèmerie de droite fait nombre à son tour, la gauche accuse celle-ci de populisme outrageant, c’est-à-dire de détourner et d’accaparer la démocratie au profit d’idées qui ne sont pas les siennes. Son ultime recours est alors l’anathème. Faites le test avec la peine de mort, le débat interdit par excellence. Quand une personnalité médiatique a le malheur de « déraper » (comprenez « quitter les sentiers battus par la morale en vigueur ») en admettant n’être pas opposé au recours à la peine de mort (voir, au hasard, Zemmour face à l’inquisiteur Benchetrit il y a quelques années chez Ruquier), les esprits s’enflamment pour rappeler à l’ordre l’apostat. Sans le lui signifier, et pour cause, ce qui inquiète les offusqués est que notre démocratie – celle qui ne reconnaît que les opinions majoritaires – puisse ainsi basculer dans le camp du mal. Chacun sait qu’aujourd’hui encore, un Français sur deux ne serait pas contre le fait de punir de mort les crimes les plus odieux. Même si on l’enjoint de « fermer sa gueule » sur des sujets « d’un autre âge ». Bref, il est plus difficile pour certains que pour d’autres d’assumer la neutralité axiologique d’une démocratie que tous plébiscitent néanmoins sur cette base.

Car ce qui indispose le camp du Bien et ses abonnés, ce n’est pas tant les idées de Zemmour que son succès grandissant. De tous temps des cerveaux ont abrité des idées qui dérangent (pour de bonnes ou de mauvaises raison), et il en sera ainsi tant que le dieu Progrès n’aura pas fourni les moyens scientifiques d’éradiquer de telles idées à leur racine par quelque onde ou rayon prodigieux (personnellement, je ne le souhaite pas de mon vivant, même au nom de la lutte contre le racisme). En attendant, dans l’incapacité de soigner les maladies idéologiques, il faut éviter leur contagion démocratique. Qui plus est dans une démocratie aux rouages marchands. C’est exactement l’inquiétude palpable qui se dégage de l’échange entre Sylvain Bourmeau et son invité dans l’émission susmentionnée. Bourmeau, fachobuster patenté, cite coup sur coup Finkielkraut, Lévy (Élisabeth), Zemmour bien sûr, Camus (Renaud), Guilluy, ainsi que des gens réputés de gauche, mais traitres à la cause : Lagrange, Michéa et le mouvement de la Gauche populaire, soit ceux qui ont le malheur de dire que les frictions culturelles prennent autant part, si ce n’est plus, aux affres des humbles gens que les considérations strictement économiques. Même Frédéric Lordon devient suspect de nationalisme, lui qui daubait sur Michéa l’an dernier avec ses amis Corcuff (Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Textuel, octobre 2014) et Boltanski (Vers l’extrême : extension des domaines de la droite, Dehors, mai 2014), l’un et l’autre au-dessus de tous soupçons, car veillant au grain. Le cas Zemmour est intéressant parce qu’il montre bien que les institutions et les principes de notre régime politique actuel nous rendent incapables de miser sur l’intelligence humaine. Dans les débats, nous nous déclarons de plus en plus inaptes aussi bien à faire émerger le savoir d’un nœud de contrariétés polémiques, qu’à combattre efficacement les erreurs de jugement les plus dangereuses (racisme ou autres) quand elles se présentent bel et bien. Nous préférons considérer leurs auteurs comme malades incurables à faire taire par tous les moyens. Congédiant le médecin, nous convoquons le censeur, quitte à masquer certaines vérités annexes ou à conforter certains dans leurs terribles erreurs. Ceux qui sont habituellement les chantres de la prévention deviennent dans ce cas les plus chauds partisans de la répression. Or, à l’âge d’Internet et de l’inculture revendiquée, une opinion fausse, quelle qu’elle soit, qui se trouve être méprisée, censurée et criminalisée a de beaux jours devant elle en tant que vérité cachée.

C’est la raison pour laquelle la liberté d’expression est un fardeau dont ne pourra bientôt plus s’encombrer une démocratie faisant peu de cas de la disparité des capacités à appréhender des idées rendues publiques ou du mauvais service que nous rend le relativisme culturel typiquement libéral eu égard à la rigueur intellectuelle que requièrent bon nombre de sujets. Quoi qu’on en pense, la démarche d’Éric Zemmour est la pierre de touche de la démocratie contemporaine.

*Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00633872_000010.

Willy Sagnol face aux maîtres censeurs

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willy sagnol sos racisme

Willy Sagnol, l’entraîneur des girondins de Bordeaux, se relève à grand-peine de plusieurs jours de tempête médiatique. L’objet de la vindicte ? Ses propos échangés dans un long entretien à Sud Ouest, alors qu’il était questionné sur les contre-coups de la CAN :  « L’avantage du joueur typique africain, c’est qu’il n’est pas cher quand on le prend, c’est un joueur qui est prêt au combat généralement, qu’on peut qualifier de puissant sur un terrain (…) le foot, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline, il faut de tout. Des Nordiques aussi. C’est bien les Nordiques, ils ont une bonne mentalité ».

Le propos, un peu cliché, est isolé au milieu de deux heures d’échange et n’avait pas été publié dans la version papier du journal. Par manque de place ou par autocensure? Dans tous les cas, le journal a eu du flair. Sauf que la vidéo de l’entretien n’est pas passée inaperçue auprès des limiers de l’antiracisme. SOS Racisme a débusqué des propos qui « renvoient à une expression décomplexée du racisme anti-noir« . La dénonciation ne suffisant pas, l’association a exigé une condamnation publique : « que les instances – FFF, LFP et Ministère des Sports – prennent des sanctions immédiates à la hauteur de la gravité de tels propos« . La Licra bordelaise, outrée, ne pouvait faire autrement que d’annoncer l’arrêt unilatéral de son partenariat avec le club de Bordeaux. Des postures qui, n’en doutons pas, feront avancer la cause de l’antiracisme dans les stades de football.

Carlos Da Silva, porte-parole du PS, s’est naturellement joint à la meute: « Le Parti socialiste condamne avec la plus grande fermeté les propos tenus par Willy Sagnol (…) Il doit être sanctionné par la Fédération française de football.” Parmi “les matons de panurge” se trouve l’incontournable Lilian Thuram, lequel n’a pas été plus solidaire que jadis avec Laurent Blanc: « Malheureusement, il y a toujours eu des préjugés sur les personnes venant d’Afrique, les personnes qui sont noires; on les enferme toujours dans leur force et on nie chez eux une certaine intelligence. Ces propos, ça conforte ces préjugés-là« .

C’est donc le patronat du football qui a pris la défense du joueur et dénoncé la chasse à l’homme lancée par la censure officielle.
« Willy Sagnol est tout sauf raciste » a plaidé Jean-Louis Triaud, le président des Girondins de Bordeaux. « C’est le défaut de notre société, il faut peser chaque mot, il y a tellement de gens à l’affût, pour exister, pour justifier leur condition, en mal de reconnaissance. Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire sans mesurer chacun de ses mots.” Et Bernard Tapie de mettre en garde: « Sagnol, fais gaffe, ne dis plus de connerie, fais attention à ce que tu dis parce que ce sera utilisé« .

Après s’être déclaré “désolé” de la mauvaise interprétation de ses propos, on croyait que l’entraîneur des girondins de Bordeaux avait sauvé sa tête. Il avait reçu le soutien de ses joueurs (le capitaine est sénégalais, Lamine Sané) et de Noël Le Graët, le président de la FFF. Cheikh Diabaté, buteur face à Lens, s’était spontanément jeté dans ses bras. Même Antoine Kambouaré avait eu quelques mots aimables pour lui.  En larmes devant les caméras de canal+, sonné par la polémique infamante dont il était la cible, Willy Sagnol était ému par le soutien de ses joueurs. Clap de fin au micro de “Paga”?

C’était sans compter sur la hargne de l’association SOS racisme. “Non, l’affaire Sagnol n’est pas terminée” a-t-elle jugé, souveraine. Le soufflet retombé, elle estime avoir perdu son procès médiatique en comparution immédiate. En dépit des dommages subis par l’ancien ailier du Bayern Munich, elle n’a pas obtenu non plus de procès professionnel (le joueur n’a pas été sanctionné par la fédération). Mais pas question pour les amis de Dominique Sopo que Willy Sagnol s’en tire avec de simples regrets et des larmes. Reste alors le terrain judiciaire…

Plusieurs jours après les faits, une plainte vient seulement d’être déposée. Autrement dit, le présumé accusé agonise mais respire encore dans les médias, le prétoire est donc l’ultime recours de nos maîtres censeurs. Signe que la Justice de première instance siège aujourd’hui sur les plateaux de télévision.

*Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00690852_000015. 

Mariton et Le Maire unis contre Sarkozy

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sens commun ump sarkozy

« Ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA et la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira ! » Une explosion d’applaudissements et de clameurs s’élève d’une salle de l’Equinoxe surchauffée. Le public a fini par arracher le mot « abrogation » à un Nicolas Sarkozy pressé de répondre sur l’avenir de la loi Taubira. Sens Commun, mouvement crée au sein de l’UMP un an après la Manif Pour Tous, a réussi à imposer ses thématiques à sa famille politique.

Lancé en avril 2014, Sens Commun réalise un travail d’influence efficace. Le mouvement est parvenu à drainer nombre de jeunes ayant fait leurs classes militantes dans les rangs de la Manif Pour Tous. La volonté de revenir sur le mariage homosexuel est leur baptême, l’objectif de faire de l’entrisme à l’UMP leur credo. Se refusant à n’aborder qu’un seul sujet, les cadres de Sens Commun ont également développé des argumentaires et des propositions sur la politique étrangère, lors de la crise en Ukraine, ainsi que sur l’éducation. Ce samedi 15 novembre, le mouvement organisait le seul débat de la campagne pour la présidence de l’UMP

Réunies dans la salle de l’Equinoxe, à Paris, 3 000 personnes avaient fait le déplacement pour écouter les trois candidats. Premier arrivé, Bruno Le Maire est copieusement hué et sifflé pour son abstention favorable au mariage homosexuel. « Je ne voterais jamais pour toi ! » hurle un militant. Un acte qu’il assume envers et contre tout : « nous aurions dû légaliser le contrat d’union civile en 2007 ». Il affirme que revenir sur le mariage pour tous est impossible. « Méfiez-vous de ceux qui vous promettent l’abrogation de la loi Taubira !», prévient-il. Le député de l’Eure reprend du poil de la bête en critiquant la politique éducative : « l’éducation appartient exclusivement aux parents ! », martèle-t-il. Malgré une citation du Pape François sur la politique comme service des autres à la rescousse, l’ancien ministre n’est pas épargné par le courroux de la foule.

Autre ambiance lorsque Hervé Mariton entre en scène. Tel une rock star, il reçoit un accueil délirant, et savoure ce triomphe personnel. Se sentant en terrain conquis, il développe à son aise son programme pour l’UMP et la droite française, détaille sa vision libérale de l’économie, rappelle son engagement en faveur des chrétiens d’Orient. « La famille est moins abîmée que certains le disent, et plus en danger que d’autres le pensent » affirme-t-il, en ayant soin de rappeler sa position sur la loi Taubira : « Il faut l’abroger, ce qu’une loi a fait, une loi peut la défaire ! »

Opposés sur le mariage homosexuel, Mariton et Le Maire sont unis contre Sarkozy. L’un et l’autre éreintent l’ancien président de la République. « Ne faisons pas du parti l’écurie d’un seul homme ! » s’alarme le député de la Drôme. « Changer le nom du parti, c’est avouer que l’on ne va rien changer », tacle de son côté Bruno Le Maire.

Nicolas Sarkozy fait ensuite son entrée dans un silence relatif. Le respect pour la fonction présidentielle vole cependant en éclats lorsque le candidat fait mine de ne pas se prononcer clairement sur le mariage homosexuel. Mis en difficulté, il riposte : « Vous avez été caricaturés, ne soyez pas caricaturaux ! » Il fait également appel à des thèmes chers à l’électorat de droite, l’immigration, l’Europe, le refus de Schengen, qui suscitent des applaudissements en sa faveur. La salle bascule définitivement lorsqu’il finit par concéder l’abrogation de la loi Taubira, avec conservation du mariage homosexuel, distinct du « mariage hétérosexuel ». L’ambiguïté semble cependant apaiser la foule, persuadée d’avoir fait plier le champion de l’élection.

Au-delà des positions des candidats, le meeting de Sens Commun marque la victoire d’une tendance. Fait historique, un mouvement militant issu de la base a fait plancher les candidats du grand parti de droite sur des sujets de société. La ligne de Laurent Wauquiez, très applaudi, bénéficie d’une dynamique forte. Ses positions fermes sur la famille, protectionnistes sur l’Europe, ont reçu le soutien enthousiaste du public.

Le rassemblement de Sens Commun rappelle les « Values Voters Summitts », organisés chaque année aux États-Unis par le Parti républicain. Les militants y élisent les candidats qui représentent le mieux leurs valeurs, essentiellement morales. En France, c’est une première.

*Photo : Thibault Camus/AP/SIPA. AP21653614_000003. 

La droitisation de la société… and so what?

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Si l’on excepte les gamineries de Mathieu Kassovitz, une fois n’est pas coutume et comme je ne pense pas être trop ostensiblement de parti pris, je reconnais volontiers que l’émission de Laurent Ruquier :  » On n’est pas couché  » ne manquait ni de tenue, ni d’intérêt. Sans doute grâce à l’élégance et à l’honnêteté de l’invitée du soir : Rachida Dati. J’hésitais même à revenir sur cette soirée, lorsque me brossant les dents (mais oui, cela m’arrive ) une pensée m’a traversé l’esprit : elle vaut ce qu’elle vaut et si l’ami Marc la juge digne d’intérêt, il la mettra en ligne. Autrement, elle finira dans le cimetière de mes projets avortés.

À plus d’une reprise, durant l’émission, on a sommé Rachida Dati d’avouer qu’elle s’était « droitisée » (même Marine Le Pen lui aurait rendu hommage ) comme s’il s’agissait d’une catastrophe nationale. À l’instar des précédents invités, elle s’en est défendue, becs et ongles. Or, il n’a pu échapper à personne qu’elle s’est droitisée, comme toute la société française, voire toute l’Europe. Pourquoi ne pas le reconnaître ? Pourquoi considérer a priori que ce serait une honte, voire une malédiction ? Pourquoi ne pas répondre simplement : yes… and so what ? Et peut-être tenter d’expliquer les raisons de ce changement de ligne. Après tout, il est arrivé que la France, tant intellectuellement que politiquement, se gauchise. Et ce ne fut pas un drame non plus. Un simple retour de balancier. Nommer les choses, les admettre dans leur réalité que, par ailleurs, tout le monde perçoit, serait à mon avis plus subtil que ces dénégations de pure forme. Il en est de même pour la politique d’austérité de l’actuel gouvernement qui touche chacun, mais qu’il ne faut surtout pas nommer… les Français auraient-ils plus peur des mots que de la chose ? J’en doute. C’est plutôt la classe politique qui contourne maladroitement les tabous qu’elle s’est à elle-même fixés et qui sont devenus obsolètes.

Bon, comme le dit mon ami Aldo Sterone (ne ratez pas ses vidéos ! ) , ce que je dis là n’est peut-être pas très malin, mais j’avais envie de vous en parler….

Eric, laisse tomber les filles!

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zemmour femmes suicide

zemmour femmes suicide

Quand la patronne m’a proposé de participer à un entretien avec Éric Zemmour, j’ai été très intéressé et très hésitant. À Causeur, on la ramène surtout si on n’est pas d’accord, et, là, j’étais d’accord. Les journalistes qui voient les causes du déclin et du suicide français comme je les vois sont peut-être de plus en plus nombreux, ceux qui en parlent sans abuser de périphrases et d’euphémismes se font rares. Zemmour en est. Il ne craint pas de stigmatiser, et cette imprudence lui permet de nommer les choses : le risque du dommage collatéral ne le détourne pas de sa mission. Il a le courage d’enfoncer les portes bien fermées de la pensée indicible, interdite, avec la stratégie de celui qui sait jusqu’où aller trop loin et le talent pour « faire de l’audience », cette volonté du peuple qui le maintient dans les médias. Débat après débat, avec un sérieux stock de munitions intellectuelles et le réel de son côté, il fait mordre la poussière à une armée bien-pensante et omniprésente qui donne aux plus démocrates d’entre nous des envies de Poutine. Je lui resterai longtemps reconnaissant de m’avoir offert sur un plateau, tantôt la mine déconfite d’Éric Fassin, tantôt les airs outrés de ces gosses de stars qui viennent à la télé insulter les élus du peuple et leurs électeurs de la France moisie.

Dans la vie, je suis plutôt zemmourien. Dans les conversations, le sujet Zemmour est la meilleure façon d’entrer en politique. On évite les lieux communs et les consensus assommants, on est tout de suite dans le clivage. Évidemment, je le défends, je réexplique ses formules déformées par l’écho médiatique : « Tous les Noirs et Arabes ne sont pas trafiquants mais la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes. » Je démonte les mauvais procès qu’on lui colle, je le cite sans me lasser : « On peut urbaniser toute la France, on ne logera pas toute l’Afrique. » Je passe mon temps à faire du Zemmour autour de moi, et à porter la voix de la réalité historique et du bon sens. Sans grand succès, parce que, si je ne parviens pas à réhabiliter Zemmour, j’arrive très bien à passer pour un réactionnaire. Avant l’entretien, la patronne m’avait prévenu : « Tu n’es pas là pour le défendre contre nous, on est bien d’accord. » Il me fallait donc, pour l’intérêt du débat, chercher une opposition, un point de friction, un sujet de désaccord ou de malentendu. J’ai cherché, dans ses écrits et dans ses paroles, et j’ai trouvé jusqu’où j’étais zemmourien.

Il y a bien deux ou trois petites choses. Je suis plus atlantiste que lui, je n’oublie pas avec Aymeric Chauprade que les États-Unis sont nos alliés historiques, et je préfère parfois me tromper avec Obama qu’avoir raison avec Poutine. Je suis plus libéral aussi. Dans ma zone périurbaine du sud de l’Essonne, personne ne regrette le temps des petites quincailleries de quartier et du commis en blouse qui revenait avec trois vis quand il nous en fallait quatre en promettant d’en recevoir bientôt. Les zones commerciales grandes surfaces aux abords des villes ont remplacé avantageusement les petits commerces de centre-ville pour ceux qui aiment le choix, apprécient le stock et regardent les prix. Les autochtones pardonnent aux édifices leur laide intrusion dans le paysage et pratiquent ce commerce pratique en bénissant leur époque. Les rares qui regrettent le pittoresque de la province d’avant l’apparition des grandes surfaces sont les gens délicats qui ne font pas les courses, les Parisiens de passage, et Éric Zemmour. On a tous nos côtés bobo.[access capability= »lire_inedits »] Mais tout cela ne faisait pas une opposition essentielle. J’ai cherché mieux.

Dans Le Suicide français, le plus célèbre de nos agitateurs de braillomètre nous raconte comment les sages ont commis la folie d’imposer à des politiques inquiets et à une société qui n’en voulait pas le regroupement familial ; il montre comment Malik Oussekine, par la propagande des minorités agissantes et la trouille des politiques, est devenu le saint patron des pillards et des émeutiers ; il décrit comment l’autocritique poussée jusqu’à la repentance par les ombres agitées du colonialisme et du souvenir de la shoah a œuvré au désarmement moral qui a accompagné notre renoncement aux exigences de l’assimilation, à la maîtrise de notre immigration, à la défense de notre culture. Par le détail des événements politiques, le récit d’une carrière emblématique (Louis Schweitzer) ou le détour par un film ou par une chanson, la féminisation, les individualismes, les communautarismes apparaissent et se développent. La France d’avant disparaît, trahie par des élites qui ont abandonné toutes les souverainetés, ringardisée par une société héritière des idéaux de 1968. Il met au cœur et à la source de tous les dérèglements et de tous les désastres la déconstruction de tous les cadres traditionnels que l’esprit de Mai 68 a initiée et qui nous poursuit encore. Après les déconstructions, sont venues les libérations sans fin et le règne des individus, pour le pire et pour le pire. Il le constate, toutes les libérations, tous les libéralismes menacent la nation et la civilisation.

Je ne suis pas zemmourien jusque-là. De la France d’avant, je distinguerai ce que je ne regrette pas d’avoir perdu de ce qu’il me paraît urgent de restaurer. Je ne veux pas jeter le bébé de 1968, qui a apporté de la joie et du bazar dans la maison par la libération sexuelle, la liberté de parole, l’émancipation de l’individu, avec l’eau du bain où pataugent, quarante ans plus tard, des idées libertaires devenues folles. Je ne confonds pas les libérations avec les monstres qu’elles engendrent, et au « tout ou rien » réactionnaire et zémmourien, je préfère une discrimination conservatrice. Je ne veux pas revenir jusqu’avant 1968 sur la liberté de parole, de commerce et de mœurs, même si je n’aime pas tout ce que j’entends et tout ce que je vois, et surtout pas renoncer à la liberté des femmes, même pour dénoncer les dérives d’Osez le féminisme !.

Comme Éric, je suis opposé au mariage pour tous. On est d’accord, le pouvoir se fourvoie quand il institutionnalise une parodie de mariage insensée qui donne à deux hommes ou à deux femmes un livret de famille, et cela tourne à l’arnaque quand un droit à la famille pour tous nous est imposé par le droit. Mais, contrairement à Zemmour, je ne suis pas favorable au mariage pour toutes, comme au bon vieux temps où les filles quittaient leur père pour un mari, et enfantaient sans relâche et sans possibilité de contraception ni droit à l’avortement. Je préfère vivre aujourd’hui. Éric veut l’égalité juridique entre hommes et femmes, ni plus ni moins. Je veux plus. Je veux pour ma femme une liberté égale à la mienne, ni plus ni moins, cette liberté qui nous a donné des égales au-delà de la loi, dans les mœurs et les modes de vie, des concurrentes plutôt que des assistantes, des partenaires plutôt que des subordonnées. Et aussi une indépendance rassurante, pour que le désir d’être ensemble nous tienne autant que le besoin. Même s’il m’arrive de rêver aux temps où les gosses ne la ramenaient pas à table et où les femmes la fermaient, je préfère mon époque et les femmes qui l’ouvrent. Je préfère le temps du plaisir et de l’amour dans une conjugalité à armes égales, parce que, dans la guerre des sexes, à combattre sans péril, on triomphe sans gloire. Une union, c’est du sexe et une conversation, alors, dans les échanges amoureux, la liberté gagnée par les femmes de notre génération est un progrès pour tous. Ce n’était pas mieux avant, et je ne troquerais pas ce monde « féminisé » pour un autre qui m’offrirait l’appui de la norme, du Code civil, des habitudes ou du qu’en-dira-t-on pour m’aider à être un homme. Être mâle plus ou moins dominant, ça s’hérite, mais ça se mérite aussi. Le trône attribué à la naissance que j’ai perdu dans l’histoire ne me manque pas. Dans tout cela, j’ai la prétention de voir un progrès que la déconstruction nous a laissé et qu’il ne me paraît pas urgent de déconstruire.

Je ne suivrai pas Éric Zemmour dans son entreprise de démolition totale. Même si l’émancipation des femmes a déstabilisé le pays et les hommes, causant des divorces en masse qui pèsent sur les chiffres du chômage, la pénurie de logements, la dépense sociale et le malheur des enfants (mais qu’en pensent les enfants qui ont vécu un enfer familial à l’époque où on ne divorçait pas ?), même si tout le monde voit bien que ce n’est pas facile, ma fille n’a aucune envie de vivre comme ma grand-mère, et elle a de bonnes raisons. Elle choisit son métier et fera ce qu’elle veut de sa vie. Face à cet ordre ancien où régnait le primat des intérêts de la nation sur les droits et les libertés des personnes que regrette Zemmour, je ne suis pas prêt à renoncer à cela. Avant de déconstruire avec lui ces tendances suicidaires françaises qui nous interdisent de nous protéger des invasions et des agressions, avant d’abandonner ce qui, dans nos penchants libertaires ou simplement libéraux, nous empêche de défendre notre culture et notre civilisation, il faut sauver la liberté des femmes.

Une enseignante d’université de Seine-Saint-Denis, militante féministe des années 1960, qui avait sans doute défendu le droit pour les femmes d’assister aux cours en pantalon, témoignait de sa tristesse devant la multiplication des étudiantes voilées. Je ne suivrai pas Zemmour dans ses ricanements et sa bossuétude sur les causes chéries et les effets déplorés. S’il y a aujourd’hui contradiction des modernes, il n’y a pas d’impasse. Dans un consensus français, nous pouvons trancher ce nœud gordien de libertés entremêlées en faveur de notre conception de la liberté des femmes, parce qu’on est chez nous, et restreindre ou réprimer toutes celles qui la menacent. Loin d’être un des facteurs du déclin, la liberté des femmes pourrait être un des moteurs du redressement national. Le souci de préserver cet acquis pour la civilisation française, cette part de notre identité, peut rassembler une écrasante majorité de Français, réactionnaires, conservateurs ou progressistes, de souche ou d’origine, et redonner à la nation l’élan qui lui manque, et à l’État, un plébiscite pour combattre l’islamisme et tenir en respect les communautarismes, pour restaurer l’ordre public et ramener la sécurité, pour retrouver un peu de France d’avant, en mieux.[/access]

 *Photo : L’homme qui aimait les femmes.

Sarkozy : faut-il un président normal à l’UMP?

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nicolas sarkozy ump

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Et si Nicolas Sarkozy avait un peu changé ? Franchement, depuis qu’il s’est lancé dans la course à la présidence de l’UMP, ce moteur si bien huilé connaît quelques ratés. Et ça, c’est quand même nouveau. Il y a eu ces différents changements de scénographie dans les meetings : d’abord le discours au pupitre, ensuite le dialogue avec les militants, puis retour au pupitre avec un texte d’Henri Guaino. Ce genre de tâtonnement ne lui ressemble pas. Et puis, il y a eu samedi. Pierre Jovanovic nous a livré un récit exhaustif de cette journée organisée par le collectif « Sens commun » issu de la Manif pour tous. Mais dès le soir-même, nous avions les images. Etait-ce un rêve ? Sarkozy qui se fait imposer un mot par la salle ; Sarkozy qui prononce un mot qu’il ne voulait pas prononcer ; Sarkozy qui se fait retourner par une salle, alors que la marque des grands orateurs, dont il fait incontestablement partie depuis une grosse dizaine d’années, c’est plutôt de retourner soi-même ladite salle. Les militants de « Sens commun » se sont même payés le luxe de scander ensuite : « Il l’a dit, il l’a dit », à la manière de supporteurs qui chambrent l’équipe adverse dans un stade de foot.

Mais ce n’est pas tout. Comment s’est-il mis dans cette situation ? Il a été piégé par Hervé Mariton. Le candidat libéral-conservateur à la présidence de l’UMP, meilleur orateur de l’UMP pendant les débats parlementaires sur le mariage pour tous, avait quelques accointances avec la puissance invitante. Il y a été reçu comme une rock-star, alors que Le Maire et Sarkozy étaient respectivement accueillis avec hostilité et méfiance. Mariton avait défié ses concurrents et il a bien fait. Le Maire s’en est sorti habilement, en faisant face à la foule et en ne cédant rien. Et Sarkozy s’est pris les pieds dans le tapis. Si on vous avait dit que l’Ex serait un jour piégé par Hervé Mariton, vous auriez crié au fou, non ? En tout cas, moi, j’aurais crié. Mais Sarkozy en est là.

Et pourtant Nicolas Sarkozy va gagner cette élection. Il va battre Le Maire et Mariton. On guettera le score, s’il est inférieur ou non à celui qu’il avait obtenu en 2004 lors de sa première accession à la présidence de l’UMP. Le problème, pour lui, c’est que sa replongée dans la vie d’un parti risque fort bien de ressembler à ce samedi de novembre en continu. Comme l’avait prévu Henri Guaino, cette campagne interne dé-présidentialise Nicolas Sarkozy, et la gestion du parti achèvera cette dé-présidentialisation. Comme diraient Laureline Dupont et Philippe Cohen « c’était pas le plan ». Nicolas Sarkozy devait arriver en sauveur et il est aujourd’hui, et il sera demain, le jouet de toutes les tendances de l’UMP, obligé de trancher dès maintenant dans tous les débats, écartelé par les fractures idéologiques alors qu’il devait se nourrir des premiers afin de réduire les secondes, en déclarant sa candidature douze à dix-huit mois avant l’élection présidentielle.

Quelle mouche a donc piqué Nicolas Sarkozy en se lançant dans cette bataille qu’il n’avait pas prévue ? Quand Copé a été débarqué de la direction du parti au lendemain des révélations de Jérôme Lavrilleux sur l’affaire Bygmalion, il a décidé de changer de fusil d’épaule. Funeste erreur. Laisser aller Estrosi contre Le Maire était suicidaire, arguaient alors les partisans de la nouvelle stratégie. Mais qui dit qu’Estrosi aurait été le seul candidat ? Nicolas Sarkozy aurait pu susciter en douce la candidature de Laurent Wauquiez (ou d’Henri Guaino). On aurait pu alors assister à un véritable débat idéologique aussi bien sociétal que sur les sujets économiques et européens. Et Nicolas Sarkozy de demeurer silencieux, d’encourager ses partisans à choisir Le Maire ou Wauquiez selon leurs inclinations, se nourrir de ce débat, poursuivre sa réflexion afin de peaufiner son projet futur. Alain Juppé observe aussi de loin, il poursuit une stratégie de séduction des médias et de la partie de la gauche qui, effrayée par la perspective d’un second tour Le Pen-Sarkozy, pourrait décider de participer en masse à la primaire de la droite. Cette stratégie peut rater – être le candidat des médias n’a jamais vraiment porté chance- mais il n’en a pas changée depuis des mois, fidèle à sa ligne de conduite. Face à lui, Sarkozy devait  impérativement ne pas bousculer son calendrier initial, qui était le bon. Une bataille Wauquiez-Le Maire aurait sans doute été serrée. Mais comme elle aurait eu lieu sur le terrain des idées, cette lutte n’aurait pas été sanglante comme le duel Fillon-Copé qui était une guerre de clans.

C’est la faute de Nicolas Sarkozy de ne pas avoir voulu de ce débat. Un débat qui était nécessaire à son camp, à son parti. Un débat qui aurait pu lui être profitable à terme. Une faute contre son parti, une faute contre son camp, une faute contre lui-même. Triple faute. Fatale ?

*Photo : ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA. 00698063_000011. 

Aubry brade le jumelage

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lille israel safed

lille israel safed

Durant les affrontements de cet été à Gaza, plus d’une dizaine de défilés, souvent massifs, ont eu lieu à Lille. Cette clameur nordiste ne semble pas avoir tempéré l’ardeur de Tsahal, mais elle n’aura pas été vaine, tant Martine Aubry a l’ouïe fine. En effet, le lundi 6 octobre, son conseil municipal prenait la décision « de mettre en veille temporairement ses relations institutionnelles avec la ville de Safed»

Safed est une ville de 30 000 habitants au nord-est d’Israël, jumelée à Lille depuis 1988 sur proposition de Pierre Mauroy. Et l’arrêt de ce jumelage figurait en bonne place dans les slogans des manifs de cet été, pétition de France-Palestine à l’appui.[access capability= »lire_inedits »]

Jointe par téléphone, Marie-Pierre Bresson, l’adjointe au maire EELV à la coopération internationale, ne fait pas mystère des causes de cette suspension : « On entend l’émotion des gens qui ont manifesté. Et il aurait été dramatique que la population lilloise n’ait pas réagi à ce qui se passait cet été dans la bande de Gaza. » Et quand on lui demande si cette rupture unilatérale favorise le combat pour la paix, l’élue verte rétorque que ce n’est pas la question du moment : « À force de dire qu’on promeut la paix, on ne fait pas grand-chose. L’objectif de cette mise en veille est de faire bouger les lignes et d’aller plus loin. » Quant au lien entre la ville jumelée et l’opération militaire israélienne à Gaza, il est évident aux yeux de l’adjointe de Martine Aubry : « Bien évidemment, la ville de Safed n’est pas directement impliquée dans les bombardements à Gaza, mais nous considérons que les habitants de cette ville choisissent leurs gouvernants. Et le maire de Safed peut prendre position. » Et d’ajouter, tout en condamnant les tirs de roquettes depuis Gaza : « Il faut se demander pourquoi le Hamas a prospéré dans ce territoire, c’est le vrai sujet ! »

Vu de Lille, sûr que le « vrai sujet » n’est pas la mainmise du Hamas sur Gaza. Sinon la majorité aubryste aurait peut-être réfléchi avant de voter, lors de ce même conseil municipal, une subvention exceptionnelle de 15 000 euros au Fonds de solidarité Gaza mis en place par la Fondation de Lille. Européenne convaincue, Martine Aubry aurait pu prendre le temps de lire le rapport de la Cour des comptes européenne publié en décembre dernier sur le détournement massif des aides financières allouées aux territoires palestiniens. A-t-elle oublié qu’en 2010 l’ONG médicale Help Doctors, soutenue financièrement par cette même fondation, a été contrainte de fermer son dispensaire de Gaza sur ordre du Hamas ? Non, elle n’a pas oublié. Mais, cette fois-ci, la Mairie est confiante, elle a décidé de travailler en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères afin de limiter les risques de détournement. Une garantie en béton…
Joint au téléphone le 23 octobre, le maire de Safed, Ilan Shohat, trouve le procédé saumâtre. Sur la forme : il ne s’est trouvé personne, à la mairie de Lille, pour prendre le temps de lui notifier cette décision, qu’il a apprise en lisant Le Figaro. Sur le fond : « C’est une grosse erreur, le jumelage est un moyen pour les responsables locaux de créer des ponts, des liens entre des communautés, ce qu’un Premier ministre, par exemple, ne pourrait pas faire. » Il compte envoyer une lettre à Martine Aubry afin d’en savoir davantage sur cette affaire. Mais sans attendre la réponse, il suppute « un acte strictement politique, facile et populaire », permettant à Martine Aubry « d’avoir plus de voix pour les prochaines élections ». Dieu que ces Israéliens sont  paranoïaques, ils voient du cynisme partout…[/access]

*Photo: Dan Balilty/AP/SIPA.AP21316194_000006

Affaire Sagnol : Michéa tacle Bégaudeau

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carton rouge arbitre

carton rouge arbitre

M. Bégaudeau,

Vous venez, une fois de plus, d’être flashé par nos services en flagrant délit de mensonge et d’escroquerie intellectuelle. Dans une de vos blogueries habituelles – elle circule sur le web depuis le 14 novembre 2014 – vous prenez en effet habilement prétexte de l’« affaire Sagnol » – telle, du moins, que les médias officiels ont jugé bon de la reconstruire (Laurent Blanc avait déjà essuyé les plâtres) – pour dénoncer (ou « stigmatiser », si le mot vous paraît politiquement plus correct) un certain nombre de « discours contemporains » dont la seule finalité serait de propager partout l’idée « qu’on se sentirait quand même mieux avec des footballeurs issus du petit peuple blanc ». Nous laisserons naturellement ici de côté l’«affaire Sagnol » elle-même (notons quand  même que ce bon Willy semble tout  ignorer du magnifique travail effectué, depuis 1994, par l’école de football d’Abidjan et l’Académie Jean-Marc Guillou).

Tout comme les cas de MM. Zemmour et Riolo qui,  disposant d’un large accès aux médias, sont assez  grands pour se défendre eux-mêmes. Nous nous en tiendrons donc uniquement, pour ce premier communiqué,  à votre rapide présentation des idées de « l’essayiste Jean-Claude Michéa », présentation dont le degré de malhonnêteté intellectuelle (nous avons eu la charité d’écarter d’emblée l’hypothèse de la bêtise absolue) ramène désormais les Boltanski,  Amselle et autres Corcuff au rang de simples joueurs d’une division d’honneur régionale.

Vous avez non seulement, en effet, réussi le tour de force d’associer indirectement cet auteur aux propos tenus par M. Sagnol – chapeau l’artiste ! – mais également celui de réduire sa critique des dérives libérales du football contemporain à une simple « complainte sur la disparition  du football  paysan plein de  bon sens ». Complainte dont vous tenez d’ailleurs à préciser qu’elle est, dans son principe, « un peu auvergnate » (espérons que la LICRA ne vous poursuivra pas en justice pour de tels propos discriminatoires). Or il suffit de lire n’importe lequel des nombreux écrits ou entretiens que M. Michéa  a consacrés au football – fût-ce en pratiquant ces inénarrables méthodes de lecture que prône votre ancien gourou Philippe Meirieu – pour s’apercevoir aussitôt que le terme de « paysan » n’y joue strictement aucun rôle. Et même dans l’hypothèse surréaliste où M. Michéa aurait songé à défendre une telle thèse – ce qui, encore une fois, est une pure et simple invention de votre part – on ne voit toujours pas en quoi l’idée que le football devrait être pratiqué par les seuls « paysans » impliquerait par là même qu’il devienne l’affaire du seul « petit peuple blanc ».

Que l’on sache, il y a aussi des paysans au Maghreb et en Afrique noire, et même, proportionnellement,  beaucoup  plus que dans notre pays. Le fait demeure néanmoins  – comme chacun peut aisément le vérifier – que, dans ses écrits sur le football, M. Michéa  s’est toujours borné à soutenir l’idée que le futbol de arte (comme le nomment les Brésiliens) était né, à la fin du XIXe siècle, du conflit entre le dribbling game des clubs de l’élite bourgeoise et aristocratique d’Angleterre et du passing game des clubs ouvriers écossais. Passing game transmis ensuite, sous l’influence majeure d’un Jimmy Hogan, aux clubs  d’Europe centrale et qui constitue donc, à ce titre, l’une des sources majeures de ce merveilleux football autrefois illustré, entre autres,  par la Wunderteam  de Mathias Sindelar, la Hongrie de Puskas et le Brésil de Pelé (tous les spécialistes connaissent bien l’influence du « football socialiste » de Gusztàv Sebes sur Vicente Feola et Tele Santana).

Comme vous le voyez, il n’y a pas plus d’allusion, dans cette thèse, au rôle privilégié que le monde paysan aurait joué dans la genèse du people’s game que de souci du bien commun dans une réunion du CAC 40. Mais trêve de précisions historiques. Vouloir discuter de philosophie du football avec vous serait aussi saugrenu que d’engager un débat avec Mère Teresa sur les mérites comparés de la Kalashnikov AK 74 et du Stoner 63 A.  Il reste que cette manière frauduleuse de présenter les faits n’autorise que deux interprétations. Soit vous avez définitivement décidé de vous spécialiser dans la recension d’ouvrages dont vous n’avez même pas survolé la quatrième de couverture et, dans ce cas,  la carrière d’éditorialiste  au Monde ou  à Libération devrait vous aller comme un gant (nous supposons même que votre soif éperdue de reconnaissance médiatique y trouverait enfin son compte). Soit – et nous penchons malheureusement pour cette seconde hypothèse – vous avez bel et bien lu les écrits de M. Michéa sur le football et c’est alors en toute connaissance de cause que vous avez choisi d’en falsifier intégralement le contenu. À seule fin – c’est la seule interprétation plausible – de marquer ainsi la place personnelle que vous comptez désormais occuper dans le vaste troupeau de ceux que Guy Debord appelait les « actuels moutons de l’intelligentsia ». Quoi qu’il en soit, et quels que puissent être les dessous réels de votre démarche impudente, nous tenons cependant à vous rassurer.

Nous n’attendons évidemment pas de votre part la moindre reconnaissance officielle de vos mensonges godwiniens.  Et comme, par ailleurs, notre Observatoire n‘entend exercer qu’une simple autorité morale, nous nous contenterons donc, pour cette fois, de diffuser largement ce communiqué et d’éclairer ainsi votre public sur votre singulière conception du débat intellectuel. De toute façon, la chance n’est  pas avec vous. La sortie prochaine du film de Gilles Perez et d’Eric Cantona, Foot et immigration – documentaire dans lequel M. Michéa intervenait précisément, à la demande d’Eric Cantona lui-même (qui, lui, a réellement lu ses textes), pour défendre l’idée que le football constitue aujourd’hui l’un des derniers grands vecteurs d’intégration culturelle des jeunes issus de l’immigration – achèvera probablement de convaincre les plus honnêtes de vos fans du nouveau sens qui doit désormais s’attacher au verbe bégauder.  Du Protocole des sages de Sion, il sera ainsi loisible de dire, dorénavant,  qu’il ne s’agissait que d’un faux,  bégaudé par la police tzariste. Pour le reste, nous vous laissons évidemment seul avec votre conscience,  si toutefois vous en avez encore une.

Avec nos excuses les plus plates pour vous avoir tiré quelques instants de votre sommeil  dogmatique, si conforme aux mœurs intellectuelles de nos temps libéraux.

Le secrétariat exécutif de l’Observatoire de la fraude intellectuelle en France.

*Photo: Psebcool.

Sarkozy, la dérobade pour tous

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Samedi dernier, l’exercice devait être simple : Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, prédateur politique reconnu, allait mettre les cathos de Sens Commun dans sa poche, sans se laisser imposer de position sur le mariage gay. « Vous croyez que je n’ai pas d’expérience ? » a-t-il lancé, sûr de lui, lors de sa prestation, à Madeleine Bazin de Jessey, cofondatrice du mouvement. Mais devant les grondements de la salle, Sarkozy s’est aperçu que ses tours de passe-passe, ses références à la « prière » (puisque donner des gages aux cathos, « ça ne coûte pas cher »), et ses atermoiements ne passaient pas. Son projet ambigu de « réécrire complètement la loi Taubira » s’attirant les foudres du public, il a cherché à leur faire avaler une plus grosse couleuvre : la dissociation du mariage « hétérosexuel » et du mariage homosexuel.

Cela revient à son serpent de mer de 2007, l’union civile, qu’il promettait équivalente, sauf dans le nom, au mariage. Dans l’esprit de Nicolas Sarkozy, il le dit en public et en privé, de manière pour une fois assez honnête, homosexualité et conjugalité homme-femme sont équivalentes. Il tient à ce que l’amour homosexuel soit reconnu socialement. Bref, rien de nouveau, si ce n’est que son public lui a arraché ce qu’il voulait entendre. « Ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA et la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira ! »

À ce mot magique d’« abrogation », la foule du meeting de Sens Commun a obtenu symboliquement de faire participer Sarkozy à son projet. L’ancien président croyait s’en tirer à bon compte, rester au-dessus du débat. La discussion sur l’avenir du mariage gay est relancée. Des juristes sortent du bois, affirment que l’abrogation est techniquement possible. Le Conseil constitutionnel l’avait bien précisé, en avril 2013, que le mariage gay relevait non des droits fondamentaux, mais de la volonté du législateur. Les masques tombent : les ténors de l’UMP étrangers à Sens Commun et à la Manif Pour Tous, de Fillon à Estrosi, en passant par NKM et Morano (avocate de la GPA il y a quelques années) affirment justement qu’ils ne le veulent pas.

Le mariage gay peut être abrogé. De nombreux ténors de droite s’y refusent. Reste à voir si Sens Commun et sa base sympathisante parviendront à transformer l’essai de samedi, et à arracher des actes aprèsles paroles. Nicolas Sarkozy pensait s’échapper par une énième pirouette. Son discours farfelu lui vaut d’être enferré dans un engagement qu’il se refuse sans doute de tenir.

Michel Onfray : Zemmour, la gauche et moi

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michel onfray portrait

michel onfray portrait

Michel Onfray est philosophe, fondateur de l’université populaire de Caen. Dernier ouvrage paru : Le réel n’a pas eu lieu, Autrement, 2014.

Daoud Boughezala: Un journaliste de BFM Business a noté que la plupart de nos confrères recevaient Éric Zemmour comme Jean-Marie Le Pen il y a vingt ans. Comment expliquez-vous la violence des polémiques déchaînées par Le Suicide français ? 

Michel Onfray: La France est dans une situation de guerre civile, et l’on n’est plus capable de débattre. L’insulte a remplacé le débat et le mépris de l’auteur a pris la place de l’analyse du livre. Le spectacle télévisuel, avec ses petites phrases, fait l’économie de la lecture de l’ouvrage incriminé pour monter en épingle ce qui va donner lieu à une chasse aux sorcières qui se terminera au bûcher. Ce qui a été dit à la télévision ou dit à la presse suffira au journaliste, que les cadences de parution et l’espace réduit offert dans son support contraignent à la superficialité : nul besoin de lire un livre, ce qui, dans le cas d’Éric Zemmour, suppose l’humilité d’une grosse journée de lecture, si on est payé aussi cher en n’ayant pas lu ! Si on n’a pas trouvé quelque chose à monter en épingle, alors on invente, on suppose, on suppute, on lit entre les lignes, on cherche les motivations inconscientes et, bien sûr, on les trouve. La télévision de Polac fait désormais la loi : c’est la télévision du grand bordel où, sous prétexte de liberté libertaire alors qu’il n’y a que loi de la jungle, le plus fort en gueule, le plus spectaculaire, le plus provocateur a toujours raison sur celui qui veut argumenter un tant soit peu. C’est la télévision du marché qui fait la loi en scotchant le téléspectateur devant son écran, non pas avec des idées, des arguments, des développements, un langage châtié, mais avec des attaques ad hominem, des grossièretés, des provocations, des vulgarités.

Que le débat d’idées soit impossible, ce n’est pas Causeur qui dira le contraire, quand nombre de journalistes et d’intellectuels confondent agora et tribunal. Cela dit, on peut estimer que Zemmour donne des verges pour se faire battre. N’êtes-vous pas choqué par certaines de ses thèses, notamment lorsqu’il fait du régime de Vichy le sauveur des juifs français ?

Sur Vichy, nous sommes passés d’une vulgate à une autre. De Gaulle avait besoin d’un mythe pour gouverner la France post-pétainiste. Il a eu tort de nier la collaboration, l’infamie de beaucoup, pour laisser croire que les Français de la France éternelle, plus rêvée et idéale, voire idéalisée, que concrète et historique, avaient tous résisté et qu’ils avaient même libéré la France seuls, sans l’aide des Alliés !

Aujourd’hui, Zemmour véhicule le mythe inverse, passant de la fiction de la France toute résistante à celle des quarante millions de pétainistes, ce qui est tout aussi inexact. On ne devrait pas lutter contre une vulgate par une vulgate nouvelle, mais par l’histoire – que nous ne pratiquons plus par incapacité à penser le passé autrement qu’encombré par son présent, lui-même contaminé par un passé idéologisé.

C’est le moins qu’on puisse dire ! Depuis quarante ans, on a massivement tendance à réduire l’histoire de France au colonialisme et à la collaboration. N’est-ce pas l’un des ferments du « suicide français » ?

C’est le cœur du livre d’Éric Zemmour, et il est vrai qu’on sort épuisé de sa lecture, car il a souvent raison sur ce sujet de la haine de soi française.[access capability= »lire_inedits »] Depuis 1983, toute défense du peuple passe pour populiste, toute défense de la démocratie véritable passe pour démagogie, tout renvoi à la province pour du vichysme et du pétainisme, toute pensée en dehors des clous du politiquement correct pour réactionnaire, sinon fasciste, toute réflexion vraiment critique pour provocatrice ou pamphlétaire. Le colonialisme a eu lieu, il a cessé, faudra-t-il payer ce péché pendant des siècles ? Et surtout le faire payer à ceux qui ne l’ont pas connu ni perpétré eux-mêmes ? On ne fait plus d’histoire, au contraire de Zemmour qui en fait et la connaît, on débite le catéchisme du politiquement correct.

Éric Zemmour identifie ce politiquement correct à l’idéologie libérale-libertaire fille de Mai 68. À l’heure où les droits de l’individu s’étendent au même rythme que la marchandisation de l’homme (GPA, prostitution en ligne, etc.), le libertaire que vous êtes donne-t-il raison à ce vieux réactionnaire ?

Zemmour n’a pas tort sur ce sujet, car il y a au moins deux façons d’être libertaire : la première, qui est négative, celle de Bakounine par exemple, qui suppose qu’il faut détruire, casser, massacrer, en finir avec le vieux monde… Elle suppose la violence, la brutalité, le sang versé, les guillotines et les camps, l’intolérance et le fanatisme. La politique de la table rase suppose aussi la destruction de la table…

La seconde, la mienne, celle de Proudhon, renvoie à ce qu’il nommait lui-même « l’anarchie positive », autrement dit celle de la construction. La pensée de Mai 68 fut libertaire, et elle fit bien d’abolir un monde qui n’avait plus lieu d’être. L’histoire est un fleuve qui coule, qu’on le veuille ou non, pas une sphère immobile. Mais cette pensée ne fut suivie d’aucune anarchie positive, ce que je déplore : la négation est devenue le critère d’un nihilisme qui pouvait dès lors aller triomphant. Or, on ne peut déclarer que le négatif sera désormais le seul positif. Je souscris à Mai 68, mais je déplore qu’il n’ait été suivi d’aucune valeur nouvelle. Si je partage certains constats effectués par Éric Zemmour, je m’en distingue néanmoins sur les solutions : lui croit que le salut se trouve dans le rétroviseur d’un passé glorieux qui suppose qu’on restaure un ordre ancien, celui qui fut contemporain du général de Gaulle. Moi, je crois qu’il faut achever Mai 68 au sens de parachever : vouloir une anarchie positive, en l’occurrence contractuelle, pragmatique, immanente.

Comme le veut la tradition anarchiste, opposez-vous les individus – forcément intègres et altruistes – à un État vil et oppresseur ?

L’État n’est rien en soi, il n’est que ce qu’on lui demande d’être. Il peut être anarchiste, au sens du dernier Proudhon, celui de Théorie de la propriété, qui fait l’éloge de l’État comme d’une machine au service des idées anarchistes : s’il est aux mains d’un tyran, l’État sera tyrannique, s’il est entre des mains anarchistes, l’État sera anarchiste (une hérésie pour les gardiens du catéchisme anarchiste !), il garantira la coopération, la mutualisation, les fédérations contractuelles et révocables. S’il est entre les mains des libéraux, et c’est le cas, on voit bien qu’il sert les intérêts libéraux.

Pensez-vous que la fin du consensus gaullo-communiste des Trente Glorieuses a livré la France à l’ultralibéralisme, comme le soutient Éric Zemmour ?

Oui, c’est certain. La conversion de Mitterrand au libéralisme européen en 1983 permettait de détourner le regard du peuple, qui ne voyait pas ainsi son incapacité à gouverner à gauche. Le président, qui se disait socialiste, mais n’était que mitterrandien, autrement dit au service de sa seule cause, a transformé le socialisme en avatar du libéralisme. Le gaullisme s’est converti à ce libéralisme-là avec Chirac, contre Séguin, le socialisme avec Mitterrand, contre Chevènement, les communistes avec Hue, contre Marchais. Ce même libéralisme est celui que sert Hollande, contre Montebourg – qui le sert, lui, tant que ce service le sert…

Que vous le vouliez ou non, par votre position dans le champ des idées, vous endossez une partie du bilan de la gauche intellectuelle de ces trente dernières années. Et celle-ci n’est pas toujours libérale, tant s’en faut. Sous couvert d’anticapitalisme, certains de ses mandarins défendent même les pires expériences totalitaires…

Je ne me sens absolument pas comptable de tous ces errements, car l’intellectuel de gauche que je suis n’a pas souscrit au travail de sape de BHL et des « nouveaux philosophes » ni à l’idéologie de substitution incarnée par Badiou, qui croit à « l’hypothèse communiste » comme si la réalité communiste n’avait rien eu à voir avec cette hypothèse. Ni le socialisme libéral de BHL ni le socialisme marxiste-léniniste du dernier carré gauchiste de l’ENS ne sont mon socialisme. Ma gauche n’a rien à voir avec la leur : ni libérale ni marxiste, mais libertaire !

Votre gauche libertaire considère-t-elle l’immigration massive comme une chance pour la France ? Que vous inspire l’islamisation de certains quartiers, souvent au mépris de valeurs telles que la laïcité ou l’égalité homme-femme ?

Je viens de publier un livre intitulé Le réel n’a pas eu lieu, qui est une réflexion sur ce que je nomme « le principe de Don Quichotte » : celui-ci consiste à ne pas voir le réel tel qu’il est, mais tel que l’idéologie à laquelle on souscrit nous invite à le voir. Don Quichotte, embrumé par l’idéologie chevaleresque, ne voit pas ce qui est, les ailes d’un moulin, mais ce qu’il veut voir, les grands bras d’un géant qui veut mettre sa bravoure à l’épreuve. Ne pas voir ce qui est pour lui préférer ce qu’on imagine, le principe de Don Quichotte, donc, est très souvent la maladie des intellectuels et des journalistes qui font aujourd’hui fonction d’intellectuels prescripteurs.

Qu’il y ait une immigration, c’est en effet un réel qui a bien eu lieu et qui a encore lieu. On peut donc dire qu’il n’a pas eu lieu, mais le réel en apporte la preuve à quiconque fait preuve de ce qu’Orwell appelait « le sens commun », qui s’avère un antidote puissant aux lectures idéologiques. Que cette immigration apporte avec elle une religion qui est aussi une idéologie et que cette idéologie ne revendique pas pour valeurs « liberté, égalité, fraternité, féminisme, laïcité » est une évidence pour qui connaît la religion musulmane autrement que par ouï-dire et propagande médiatique. Il suffit de lire le Coran, les hadiths du Prophète, une biographie, même hagiographique, de Mahomet pour s’en rendre compte. Mais on supporte ce qui vient de l’islam par tonnes, quand on refuse un gramme de ce qui vient du christianisme. Et c’est un athée qui vous le dit…

Si on fait le bilan, vos points d’accord avec Zemmour semblent beaucoup plus nombreux que vos divergences. En 2007, il y avait des sarkozystes de gauche. Seriez-vous un zemmourien de gauche (ce qui vous vaudra une excommunication) ?

Je suis d’accord avec Éric Zemmour pour faire de 1983 le virage de la gauche vers la droite libérale, date à laquelle la France renonce à sa souveraineté et se condamne donc à faire la politique de Bruxelles plus que la sienne, car l’euro et l’Europe libérale accélèrent le processus de décomposition de l’État sans lequel aucune politique (sociale) n’est possible. Mais il faut préciser que l’aile gauche du PS, le Front de gauche, le NPA et LO tout autant que les souverainistes de droite ainsi que le FN sont sur ces positions, ce qui fait une majorité de Français !

Autre point d’accord avec Éric Zemmour, la question de l’islam, qui n’est pas une religion de paix, de tolérance et d’amour, contrairement à ce qui est rabâché sans cesse par les médias du politiquement correct. Ainsi, la moindre référence au caractère belliqueux du Coran passe pour de l’islamophobie assimilée au racisme, à la xénophobie, de la part de ceux qui confondent la critique d’une religion avec la haine de la couleur de certains peuples qui s’en réclament !

Vous aggravez votre cas…

Non, comme je vous l’ai expliqué, je ne souscris ni à sa critique de mai 68, ni à l’amalgame que fait Zemmour entre le féminisme et ses outrances, comme la théorie du genre. Mon aspiration à l’égalité entre les deux sexes me fait également approuver la possibilité juridique du divorce et de l’avortement, ce qui ne signifie pas qu’il faille en user sans discernement. Contrairement à Eric Zemmour, je ne condamne pas tout l’art contemporain en bloc, pas plus que je ne regrette la disparition du Père sous toutes ses formes. À l’autorité paternelle transcendante, je préfère l’autorité contractuelle immanente (et pas l’absence d’autorité, que je déplore également).

Toutes ces objections ne me prémunissent absolument pas contre un procès en sorcellerie, car mon excommunication a déjà eu lieu ! À bas bruit relatif à partir mon Traité d’athéologie en 2005, puis, avec fracas, lors de mon livre sur Freud, Le Crépuscule d’une idole, en 2010. J’ai alors compris l’état de décomposition du microcosme intellectuel parisien, son panurgisme, et sa réaction venimeuse quand on transgresse ses transgressions institutionnalisées. Ceux qui excommunient font la loi d’une religion que je n’ai pas, que je n’ai jamais eue, et dont je ne veux pas. L’athéisme dans toutes les croyances, religions comprises, est la chose du monde la moins partagée ![/access]

*Photo: BALTEL/SIPA.00677229_000043.

La France zemmourisée

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zemmour signature livres

zemmour signature livres Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste, avouait il y a quelques semaines que « les thèses de Zemmour sont aujourd’hui majoritaires… malheureusement ». Il déplorait même une « zemmourisation de la société française ». Pourtant, en bon keynésien qu’il est devenu, Monsieur Cambadélis devrait s’employer à montrer combien la demande oriente l’offre. En l’occurrence, cela implique de constater que les « thèses de Zemmour », comme il les appelle, se font l’écho d’une demande préalable à laquelle la gauche, en général, ne s’est jamais souciée de répondre. Il y a tout un marché qui lui passe ainsi sous le nez. Si l’on n’est pas capable d’aligner des produits idoines, il reste à remettre en cause la légitimité du marché. La gauche méprise donc toute demande à laquelle répond une offre jugée de sa part « nauséabonde ». Et si le vocabulaire employé est celui du commerce, c’est parce que tout ce petit monde – provocateurs d’un côté, saintes-nitouches de l’autre – se dispute en fait l’art d’aguicher des majorités. Voilà l’occasion d’un coup d’œil sur notre démocratie putassière. En tant que membre du personnel politique et, pour cette raison, appelé à commenter publiquement tout et n’importe quoi, l’avis de Cambadélis sur les idées de Zemmour importe peu. Il y a même fort à parier que les ventes du livre incriminé se sont enflées de quelques centaines grâce au Premier secrétaire. En revanche, lorsqu’une émission radiophonique aussi sérieuse que La suite dans les idées, de Sylvain Bourmeau, prend la peine de convoquer un anthropologue, professeur à l’EHESS, pour mettre en garde contre « la zemmourisation de l’espace public » (titre de l’émission du samedi 8 novembre dernier), il devient manifeste que les forces de gauche sentent venir leur fin de règne dans les esprits. Entendons par là que leurs idées ont cessé de faire niche, et toutes leurs chasses gardées culturelles se retrouvent impactées. Pêle-mêle : la récente pièce de Bernard-Henri Lévy (venu en parler dans tous les médias) a fait un four ; le film La marche, subventionné, projeté dans nombre d’institutions est un échec historique ; Yannick Noah, lui, peine à remplir les salles, annule certains concerts et propose même quelques rabais. Le catéchisme a perdu ses effets. Lorsque ce sont les idées de gauche qui trouvent leur public, la gauche est démocrate. Lorsqu’une crèmerie de droite fait nombre à son tour, la gauche accuse celle-ci de populisme outrageant, c’est-à-dire de détourner et d’accaparer la démocratie au profit d’idées qui ne sont pas les siennes. Son ultime recours est alors l’anathème. Faites le test avec la peine de mort, le débat interdit par excellence. Quand une personnalité médiatique a le malheur de « déraper » (comprenez « quitter les sentiers battus par la morale en vigueur ») en admettant n’être pas opposé au recours à la peine de mort (voir, au hasard, Zemmour face à l’inquisiteur Benchetrit il y a quelques années chez Ruquier), les esprits s’enflamment pour rappeler à l’ordre l’apostat. Sans le lui signifier, et pour cause, ce qui inquiète les offusqués est que notre démocratie – celle qui ne reconnaît que les opinions majoritaires – puisse ainsi basculer dans le camp du mal. Chacun sait qu’aujourd’hui encore, un Français sur deux ne serait pas contre le fait de punir de mort les crimes les plus odieux. Même si on l’enjoint de « fermer sa gueule » sur des sujets « d’un autre âge ». Bref, il est plus difficile pour certains que pour d’autres d’assumer la neutralité axiologique d’une démocratie que tous plébiscitent néanmoins sur cette base.

Car ce qui indispose le camp du Bien et ses abonnés, ce n’est pas tant les idées de Zemmour que son succès grandissant. De tous temps des cerveaux ont abrité des idées qui dérangent (pour de bonnes ou de mauvaises raison), et il en sera ainsi tant que le dieu Progrès n’aura pas fourni les moyens scientifiques d’éradiquer de telles idées à leur racine par quelque onde ou rayon prodigieux (personnellement, je ne le souhaite pas de mon vivant, même au nom de la lutte contre le racisme). En attendant, dans l’incapacité de soigner les maladies idéologiques, il faut éviter leur contagion démocratique. Qui plus est dans une démocratie aux rouages marchands. C’est exactement l’inquiétude palpable qui se dégage de l’échange entre Sylvain Bourmeau et son invité dans l’émission susmentionnée. Bourmeau, fachobuster patenté, cite coup sur coup Finkielkraut, Lévy (Élisabeth), Zemmour bien sûr, Camus (Renaud), Guilluy, ainsi que des gens réputés de gauche, mais traitres à la cause : Lagrange, Michéa et le mouvement de la Gauche populaire, soit ceux qui ont le malheur de dire que les frictions culturelles prennent autant part, si ce n’est plus, aux affres des humbles gens que les considérations strictement économiques. Même Frédéric Lordon devient suspect de nationalisme, lui qui daubait sur Michéa l’an dernier avec ses amis Corcuff (Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Textuel, octobre 2014) et Boltanski (Vers l’extrême : extension des domaines de la droite, Dehors, mai 2014), l’un et l’autre au-dessus de tous soupçons, car veillant au grain. Le cas Zemmour est intéressant parce qu’il montre bien que les institutions et les principes de notre régime politique actuel nous rendent incapables de miser sur l’intelligence humaine. Dans les débats, nous nous déclarons de plus en plus inaptes aussi bien à faire émerger le savoir d’un nœud de contrariétés polémiques, qu’à combattre efficacement les erreurs de jugement les plus dangereuses (racisme ou autres) quand elles se présentent bel et bien. Nous préférons considérer leurs auteurs comme malades incurables à faire taire par tous les moyens. Congédiant le médecin, nous convoquons le censeur, quitte à masquer certaines vérités annexes ou à conforter certains dans leurs terribles erreurs. Ceux qui sont habituellement les chantres de la prévention deviennent dans ce cas les plus chauds partisans de la répression. Or, à l’âge d’Internet et de l’inculture revendiquée, une opinion fausse, quelle qu’elle soit, qui se trouve être méprisée, censurée et criminalisée a de beaux jours devant elle en tant que vérité cachée.

C’est la raison pour laquelle la liberté d’expression est un fardeau dont ne pourra bientôt plus s’encombrer une démocratie faisant peu de cas de la disparité des capacités à appréhender des idées rendues publiques ou du mauvais service que nous rend le relativisme culturel typiquement libéral eu égard à la rigueur intellectuelle que requièrent bon nombre de sujets. Quoi qu’on en pense, la démarche d’Éric Zemmour est la pierre de touche de la démocratie contemporaine.

*Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00633872_000010.

Willy Sagnol face aux maîtres censeurs

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willy sagnol sos racisme

willy sagnol sos racisme

Willy Sagnol, l’entraîneur des girondins de Bordeaux, se relève à grand-peine de plusieurs jours de tempête médiatique. L’objet de la vindicte ? Ses propos échangés dans un long entretien à Sud Ouest, alors qu’il était questionné sur les contre-coups de la CAN :  « L’avantage du joueur typique africain, c’est qu’il n’est pas cher quand on le prend, c’est un joueur qui est prêt au combat généralement, qu’on peut qualifier de puissant sur un terrain (…) le foot, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline, il faut de tout. Des Nordiques aussi. C’est bien les Nordiques, ils ont une bonne mentalité ».

Le propos, un peu cliché, est isolé au milieu de deux heures d’échange et n’avait pas été publié dans la version papier du journal. Par manque de place ou par autocensure? Dans tous les cas, le journal a eu du flair. Sauf que la vidéo de l’entretien n’est pas passée inaperçue auprès des limiers de l’antiracisme. SOS Racisme a débusqué des propos qui « renvoient à une expression décomplexée du racisme anti-noir« . La dénonciation ne suffisant pas, l’association a exigé une condamnation publique : « que les instances – FFF, LFP et Ministère des Sports – prennent des sanctions immédiates à la hauteur de la gravité de tels propos« . La Licra bordelaise, outrée, ne pouvait faire autrement que d’annoncer l’arrêt unilatéral de son partenariat avec le club de Bordeaux. Des postures qui, n’en doutons pas, feront avancer la cause de l’antiracisme dans les stades de football.

Carlos Da Silva, porte-parole du PS, s’est naturellement joint à la meute: « Le Parti socialiste condamne avec la plus grande fermeté les propos tenus par Willy Sagnol (…) Il doit être sanctionné par la Fédération française de football.” Parmi “les matons de panurge” se trouve l’incontournable Lilian Thuram, lequel n’a pas été plus solidaire que jadis avec Laurent Blanc: « Malheureusement, il y a toujours eu des préjugés sur les personnes venant d’Afrique, les personnes qui sont noires; on les enferme toujours dans leur force et on nie chez eux une certaine intelligence. Ces propos, ça conforte ces préjugés-là« .

C’est donc le patronat du football qui a pris la défense du joueur et dénoncé la chasse à l’homme lancée par la censure officielle.
« Willy Sagnol est tout sauf raciste » a plaidé Jean-Louis Triaud, le président des Girondins de Bordeaux. « C’est le défaut de notre société, il faut peser chaque mot, il y a tellement de gens à l’affût, pour exister, pour justifier leur condition, en mal de reconnaissance. Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire sans mesurer chacun de ses mots.” Et Bernard Tapie de mettre en garde: « Sagnol, fais gaffe, ne dis plus de connerie, fais attention à ce que tu dis parce que ce sera utilisé« .

Après s’être déclaré “désolé” de la mauvaise interprétation de ses propos, on croyait que l’entraîneur des girondins de Bordeaux avait sauvé sa tête. Il avait reçu le soutien de ses joueurs (le capitaine est sénégalais, Lamine Sané) et de Noël Le Graët, le président de la FFF. Cheikh Diabaté, buteur face à Lens, s’était spontanément jeté dans ses bras. Même Antoine Kambouaré avait eu quelques mots aimables pour lui.  En larmes devant les caméras de canal+, sonné par la polémique infamante dont il était la cible, Willy Sagnol était ému par le soutien de ses joueurs. Clap de fin au micro de “Paga”?

C’était sans compter sur la hargne de l’association SOS racisme. “Non, l’affaire Sagnol n’est pas terminée” a-t-elle jugé, souveraine. Le soufflet retombé, elle estime avoir perdu son procès médiatique en comparution immédiate. En dépit des dommages subis par l’ancien ailier du Bayern Munich, elle n’a pas obtenu non plus de procès professionnel (le joueur n’a pas été sanctionné par la fédération). Mais pas question pour les amis de Dominique Sopo que Willy Sagnol s’en tire avec de simples regrets et des larmes. Reste alors le terrain judiciaire…

Plusieurs jours après les faits, une plainte vient seulement d’être déposée. Autrement dit, le présumé accusé agonise mais respire encore dans les médias, le prétoire est donc l’ultime recours de nos maîtres censeurs. Signe que la Justice de première instance siège aujourd’hui sur les plateaux de télévision.

*Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00690852_000015. 

Mariton et Le Maire unis contre Sarkozy

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sens commun ump sarkozy

« Ça ne sert à rien de dire qu’on est contre la GPA et la PMA si on n’abroge pas la loi Taubira ! » Une explosion d’applaudissements et de clameurs s’élève d’une salle de l’Equinoxe surchauffée. Le public a fini par arracher le mot « abrogation » à un Nicolas Sarkozy pressé de répondre sur l’avenir de la loi Taubira. Sens Commun, mouvement crée au sein de l’UMP un an après la Manif Pour Tous, a réussi à imposer ses thématiques à sa famille politique.

Lancé en avril 2014, Sens Commun réalise un travail d’influence efficace. Le mouvement est parvenu à drainer nombre de jeunes ayant fait leurs classes militantes dans les rangs de la Manif Pour Tous. La volonté de revenir sur le mariage homosexuel est leur baptême, l’objectif de faire de l’entrisme à l’UMP leur credo. Se refusant à n’aborder qu’un seul sujet, les cadres de Sens Commun ont également développé des argumentaires et des propositions sur la politique étrangère, lors de la crise en Ukraine, ainsi que sur l’éducation. Ce samedi 15 novembre, le mouvement organisait le seul débat de la campagne pour la présidence de l’UMP

Réunies dans la salle de l’Equinoxe, à Paris, 3 000 personnes avaient fait le déplacement pour écouter les trois candidats. Premier arrivé, Bruno Le Maire est copieusement hué et sifflé pour son abstention favorable au mariage homosexuel. « Je ne voterais jamais pour toi ! » hurle un militant. Un acte qu’il assume envers et contre tout : « nous aurions dû légaliser le contrat d’union civile en 2007 ». Il affirme que revenir sur le mariage pour tous est impossible. « Méfiez-vous de ceux qui vous promettent l’abrogation de la loi Taubira !», prévient-il. Le député de l’Eure reprend du poil de la bête en critiquant la politique éducative : « l’éducation appartient exclusivement aux parents ! », martèle-t-il. Malgré une citation du Pape François sur la politique comme service des autres à la rescousse, l’ancien ministre n’est pas épargné par le courroux de la foule.

Autre ambiance lorsque Hervé Mariton entre en scène. Tel une rock star, il reçoit un accueil délirant, et savoure ce triomphe personnel. Se sentant en terrain conquis, il développe à son aise son programme pour l’UMP et la droite française, détaille sa vision libérale de l’économie, rappelle son engagement en faveur des chrétiens d’Orient. « La famille est moins abîmée que certains le disent, et plus en danger que d’autres le pensent » affirme-t-il, en ayant soin de rappeler sa position sur la loi Taubira : « Il faut l’abroger, ce qu’une loi a fait, une loi peut la défaire ! »

Opposés sur le mariage homosexuel, Mariton et Le Maire sont unis contre Sarkozy. L’un et l’autre éreintent l’ancien président de la République. « Ne faisons pas du parti l’écurie d’un seul homme ! » s’alarme le député de la Drôme. « Changer le nom du parti, c’est avouer que l’on ne va rien changer », tacle de son côté Bruno Le Maire.

Nicolas Sarkozy fait ensuite son entrée dans un silence relatif. Le respect pour la fonction présidentielle vole cependant en éclats lorsque le candidat fait mine de ne pas se prononcer clairement sur le mariage homosexuel. Mis en difficulté, il riposte : « Vous avez été caricaturés, ne soyez pas caricaturaux ! » Il fait également appel à des thèmes chers à l’électorat de droite, l’immigration, l’Europe, le refus de Schengen, qui suscitent des applaudissements en sa faveur. La salle bascule définitivement lorsqu’il finit par concéder l’abrogation de la loi Taubira, avec conservation du mariage homosexuel, distinct du « mariage hétérosexuel ». L’ambiguïté semble cependant apaiser la foule, persuadée d’avoir fait plier le champion de l’élection.

Au-delà des positions des candidats, le meeting de Sens Commun marque la victoire d’une tendance. Fait historique, un mouvement militant issu de la base a fait plancher les candidats du grand parti de droite sur des sujets de société. La ligne de Laurent Wauquiez, très applaudi, bénéficie d’une dynamique forte. Ses positions fermes sur la famille, protectionnistes sur l’Europe, ont reçu le soutien enthousiaste du public.

Le rassemblement de Sens Commun rappelle les « Values Voters Summitts », organisés chaque année aux États-Unis par le Parti républicain. Les militants y élisent les candidats qui représentent le mieux leurs valeurs, essentiellement morales. En France, c’est une première.

*Photo : Thibault Camus/AP/SIPA. AP21653614_000003.