Eric, laisse tomber les filles!


Eric, laisse tomber les filles!

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Quand la patronne m’a proposé de participer à un entretien avec Éric Zemmour, j’ai été très intéressé et très hésitant. À Causeur, on la ramène surtout si on n’est pas d’accord, et, là, j’étais d’accord. Les journalistes qui voient les causes du déclin et du suicide français comme je les vois sont peut-être de plus en plus nombreux, ceux qui en parlent sans abuser de périphrases et d’euphémismes se font rares. Zemmour en est. Il ne craint pas de stigmatiser, et cette imprudence lui permet de nommer les choses : le risque du dommage collatéral ne le détourne pas de sa mission. Il a le courage d’enfoncer les portes bien fermées de la pensée indicible, interdite, avec la stratégie de celui qui sait jusqu’où aller trop loin et le talent pour « faire de l’audience », cette volonté du peuple qui le maintient dans les médias. Débat après débat, avec un sérieux stock de munitions intellectuelles et le réel de son côté, il fait mordre la poussière à une armée bien-pensante et omniprésente qui donne aux plus démocrates d’entre nous des envies de Poutine. Je lui resterai longtemps reconnaissant de m’avoir offert sur un plateau, tantôt la mine déconfite d’Éric Fassin, tantôt les airs outrés de ces gosses de stars qui viennent à la télé insulter les élus du peuple et leurs électeurs de la France moisie.

Dans la vie, je suis plutôt zemmourien. Dans les conversations, le sujet Zemmour est la meilleure façon d’entrer en politique. On évite les lieux communs et les consensus assommants, on est tout de suite dans le clivage. Évidemment, je le défends, je réexplique ses formules déformées par l’écho médiatique : « Tous les Noirs et Arabes ne sont pas trafiquants mais la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes. » Je démonte les mauvais procès qu’on lui colle, je le cite sans me lasser : « On peut urbaniser toute la France, on ne logera pas toute l’Afrique. » Je passe mon temps à faire du Zemmour autour de moi, et à porter la voix de la réalité historique et du bon sens. Sans grand succès, parce que, si je ne parviens pas à réhabiliter Zemmour, j’arrive très bien à passer pour un réactionnaire. Avant l’entretien, la patronne m’avait prévenu : « Tu n’es pas là pour le défendre contre nous, on est bien d’accord. » Il me fallait donc, pour l’intérêt du débat, chercher une opposition, un point de friction, un sujet de désaccord ou de malentendu. J’ai cherché, dans ses écrits et dans ses paroles, et j’ai trouvé jusqu’où j’étais zemmourien.

Il y a bien deux ou trois petites choses. Je suis plus atlantiste que lui, je n’oublie pas avec Aymeric Chauprade que les États-Unis sont nos alliés historiques, et je préfère parfois me tromper avec Obama qu’avoir raison avec Poutine. Je suis plus libéral aussi. Dans ma zone périurbaine du sud de l’Essonne, personne ne regrette le temps des petites quincailleries de quartier et du commis en blouse qui revenait avec trois vis quand il nous en fallait quatre en promettant d’en recevoir bientôt. Les zones commerciales grandes surfaces aux abords des villes ont remplacé avantageusement les petits commerces de centre-ville pour ceux qui aiment le choix, apprécient le stock et regardent les prix. Les autochtones pardonnent aux édifices leur laide intrusion dans le paysage et pratiquent ce commerce pratique en bénissant leur époque. Les rares qui regrettent le pittoresque de la province d’avant l’apparition des grandes surfaces sont les gens délicats qui ne font pas les courses, les Parisiens de passage, et Éric Zemmour. On a tous nos côtés bobo.[access capability= »lire_inedits »] Mais tout cela ne faisait pas une opposition essentielle. J’ai cherché mieux.

Dans Le Suicide français, le plus célèbre de nos agitateurs de braillomètre nous raconte comment les sages ont commis la folie d’imposer à des politiques inquiets et à une société qui n’en voulait pas le regroupement familial ; il montre comment Malik Oussekine, par la propagande des minorités agissantes et la trouille des politiques, est devenu le saint patron des pillards et des émeutiers ; il décrit comment l’autocritique poussée jusqu’à la repentance par les ombres agitées du colonialisme et du souvenir de la shoah a œuvré au désarmement moral qui a accompagné notre renoncement aux exigences de l’assimilation, à la maîtrise de notre immigration, à la défense de notre culture. Par le détail des événements politiques, le récit d’une carrière emblématique (Louis Schweitzer) ou le détour par un film ou par une chanson, la féminisation, les individualismes, les communautarismes apparaissent et se développent. La France d’avant disparaît, trahie par des élites qui ont abandonné toutes les souverainetés, ringardisée par une société héritière des idéaux de 1968. Il met au cœur et à la source de tous les dérèglements et de tous les désastres la déconstruction de tous les cadres traditionnels que l’esprit de Mai 68 a initiée et qui nous poursuit encore. Après les déconstructions, sont venues les libérations sans fin et le règne des individus, pour le pire et pour le pire. Il le constate, toutes les libérations, tous les libéralismes menacent la nation et la civilisation.

Je ne suis pas zemmourien jusque-là. De la France d’avant, je distinguerai ce que je ne regrette pas d’avoir perdu de ce qu’il me paraît urgent de restaurer. Je ne veux pas jeter le bébé de 1968, qui a apporté de la joie et du bazar dans la maison par la libération sexuelle, la liberté de parole, l’émancipation de l’individu, avec l’eau du bain où pataugent, quarante ans plus tard, des idées libertaires devenues folles. Je ne confonds pas les libérations avec les monstres qu’elles engendrent, et au « tout ou rien » réactionnaire et zémmourien, je préfère une discrimination conservatrice. Je ne veux pas revenir jusqu’avant 1968 sur la liberté de parole, de commerce et de mœurs, même si je n’aime pas tout ce que j’entends et tout ce que je vois, et surtout pas renoncer à la liberté des femmes, même pour dénoncer les dérives d’Osez le féminisme !.

Comme Éric, je suis opposé au mariage pour tous. On est d’accord, le pouvoir se fourvoie quand il institutionnalise une parodie de mariage insensée qui donne à deux hommes ou à deux femmes un livret de famille, et cela tourne à l’arnaque quand un droit à la famille pour tous nous est imposé par le droit. Mais, contrairement à Zemmour, je ne suis pas favorable au mariage pour toutes, comme au bon vieux temps où les filles quittaient leur père pour un mari, et enfantaient sans relâche et sans possibilité de contraception ni droit à l’avortement. Je préfère vivre aujourd’hui. Éric veut l’égalité juridique entre hommes et femmes, ni plus ni moins. Je veux plus. Je veux pour ma femme une liberté égale à la mienne, ni plus ni moins, cette liberté qui nous a donné des égales au-delà de la loi, dans les mœurs et les modes de vie, des concurrentes plutôt que des assistantes, des partenaires plutôt que des subordonnées. Et aussi une indépendance rassurante, pour que le désir d’être ensemble nous tienne autant que le besoin. Même s’il m’arrive de rêver aux temps où les gosses ne la ramenaient pas à table et où les femmes la fermaient, je préfère mon époque et les femmes qui l’ouvrent. Je préfère le temps du plaisir et de l’amour dans une conjugalité à armes égales, parce que, dans la guerre des sexes, à combattre sans péril, on triomphe sans gloire. Une union, c’est du sexe et une conversation, alors, dans les échanges amoureux, la liberté gagnée par les femmes de notre génération est un progrès pour tous. Ce n’était pas mieux avant, et je ne troquerais pas ce monde « féminisé » pour un autre qui m’offrirait l’appui de la norme, du Code civil, des habitudes ou du qu’en-dira-t-on pour m’aider à être un homme. Être mâle plus ou moins dominant, ça s’hérite, mais ça se mérite aussi. Le trône attribué à la naissance que j’ai perdu dans l’histoire ne me manque pas. Dans tout cela, j’ai la prétention de voir un progrès que la déconstruction nous a laissé et qu’il ne me paraît pas urgent de déconstruire.

Je ne suivrai pas Éric Zemmour dans son entreprise de démolition totale. Même si l’émancipation des femmes a déstabilisé le pays et les hommes, causant des divorces en masse qui pèsent sur les chiffres du chômage, la pénurie de logements, la dépense sociale et le malheur des enfants (mais qu’en pensent les enfants qui ont vécu un enfer familial à l’époque où on ne divorçait pas ?), même si tout le monde voit bien que ce n’est pas facile, ma fille n’a aucune envie de vivre comme ma grand-mère, et elle a de bonnes raisons. Elle choisit son métier et fera ce qu’elle veut de sa vie. Face à cet ordre ancien où régnait le primat des intérêts de la nation sur les droits et les libertés des personnes que regrette Zemmour, je ne suis pas prêt à renoncer à cela. Avant de déconstruire avec lui ces tendances suicidaires françaises qui nous interdisent de nous protéger des invasions et des agressions, avant d’abandonner ce qui, dans nos penchants libertaires ou simplement libéraux, nous empêche de défendre notre culture et notre civilisation, il faut sauver la liberté des femmes.

Une enseignante d’université de Seine-Saint-Denis, militante féministe des années 1960, qui avait sans doute défendu le droit pour les femmes d’assister aux cours en pantalon, témoignait de sa tristesse devant la multiplication des étudiantes voilées. Je ne suivrai pas Zemmour dans ses ricanements et sa bossuétude sur les causes chéries et les effets déplorés. S’il y a aujourd’hui contradiction des modernes, il n’y a pas d’impasse. Dans un consensus français, nous pouvons trancher ce nœud gordien de libertés entremêlées en faveur de notre conception de la liberté des femmes, parce qu’on est chez nous, et restreindre ou réprimer toutes celles qui la menacent. Loin d’être un des facteurs du déclin, la liberté des femmes pourrait être un des moteurs du redressement national. Le souci de préserver cet acquis pour la civilisation française, cette part de notre identité, peut rassembler une écrasante majorité de Français, réactionnaires, conservateurs ou progressistes, de souche ou d’origine, et redonner à la nation l’élan qui lui manque, et à l’État, un plébiscite pour combattre l’islamisme et tenir en respect les communautarismes, pour restaurer l’ordre public et ramener la sécurité, pour retrouver un peu de France d’avant, en mieux.[/access]

 *Photo : L’homme qui aimait les femmes.

Novembre 2014 #18

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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