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De l’IA faible à l’IA forte, y a-t-il un chemin ?

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En s’améliorant et en devenant plus puissant, ChatGPT aura-t-il demain conscience de lui-même ? Vertige…


L’IA forte, que certains voient comme la prochaine révolution dans le domaine de l’intelligence artificielle, est aussi appelée intelligence artificielle générale dans la mesure où elle n’aurait aucune spécialisation, mais serait en mesure de résoudre tout problème de tout type qui lui serait proposé.

Cette possibilité, bien qu’encore hypothétique, n’apparaît pas totalement absurde. L’accroissement des capacités et des vitesses de calcul, couplé aux rapides progrès de l’informatique, voire à l’émergence un jour de l’informatique quantique, aboutira peut-être à l’émergence de cette IA « forte ». Une intelligence très proche de l’intelligence humaine, capable d’analyser des situations, de prendre des décisions, d’agir en toute autonomie face à un problème à résoudre, et bien sûr d’accumuler des connaissances et de se former de façon continue au travers de ses expériences.

Projection

Là où les choses semblent beaucoup plus spéculatives, voire de l’ordre du fantasme, c’est lorsque l’on imagine que cette nouvelle IA serait dotée d’émotions, voire de conscience d’elle-même. Il faut reconnaître que certains prennent la précaution de préciser qu’elle pourrait « imiter » des émotions.

Et c’est déjà ce que fait l’IA faible, type Chat GPT, lorsque nous dialoguons avec elle. Elle répond à nos questions, elle nous souhaite le bonjour, ou nous dit au revoir. En tout ce qui est de l’ordre du dialogue interpersonnel, elle imite presque parfaitement ce que dirait un interlocuteur réel. Ou plutôt, ce qu’elle dit pourrait être dit effectivement par un humain. Son comportement, ses réactions, ne nous surprennent jamais mais son personnage est « crédible ». Je dis « son personnage » dans la mesure où le phénomène psychologique de projection, qui nous amène parfois à croire que nous avons un interlocuteur réel, est tout simplement le même qui nous persuade que cette cantatrice qui tousse sur la scène de l’opéra, et nous chante sa souffrance, est vraiment au seuil de la mort, au point de nous tirer des larmes, que ce que nous voyons au théâtre ou au cinéma existe réellement, ici et maintenant, suscitant en nous (lorsque le spectacle est réussi) toute une gamme d’émotions.

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Tout cela bien sûr n’est qu’imitation mais « ça marche ». Et c’est d’ailleurs un phénomène qu’il faudrait peut-être aujourd’hui encore explorer, alors que tout le monde cogite sur le fonctionnement de l’intelligence. En tout cas ces exemples, bien connus, nous montrent pourquoi il n’y a rien d’extraordinaire à ce que quelqu’un tombe amoureux de son interlocuteur virtuel.

Par contre l’accès à la conscience, à la conscience de soi, et donc à la conscience d’être conscient, représente un saut non seulement technologique, mais aussi logique, ontologique, philosophique, absolument vertigineux, et peut-être totalement hors du champ de nos possibles.

Croire qu’il suffirait de pousser toujours plus loin les performances, la taille et la puissance de calcul des machines, pour aboutir à cette conscience consciente d’elle-même, serait certainement s’aveugler sur la complexité du problème. Nous ne savons en réalité que très peu de choses sur ce qu’est réellement la conscience réflexive. Mais nous en avons suffisamment d’intuition pour comprendre que cette éventualité n’est pas de l’ordre du saut technologique. Nous sommes devant un problème que peut-être aucun ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourra jamais résoudre.

Love robot

La difficulté apparaît évidente si l’on pense à la complexité du système psychique, à partir de ce qui touche à la fois à la conscience mais aussi à l’inconscient (au sens freudien) : le désir.

Si nous imaginons un robot doté d’une IA forte, qu’en est-il de son désir ? Comment et dans quelle histoire personnelle ce désir a-t-il pu se constituer ? Quel manque originel, quels ratés et quelles réussites de son histoire, quelles jouissances et quelles douleurs, ont créé progressivement ce qu’on pourrait appeler sa « personnalité » ? Sur la seule base de ces quelques questions on voit bien que la perspective d’une machine consciente peut sembler tout à fait inaccessible.

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Que serait cette « chose », aussi intelligente soit-elle, sans désir, sans manque, sans sentiments ni émotions, toutes choses indissociables les unes des autres. Toute cette trame affective, où se tisse une personnalité, ne peut se constituer que d’une histoire toute personnelle, faite de hasards, d’imprévus, de traumatismes, de jouissances, mais aussi d’héritages, de rencontres et de transmissions. Une machine dont la « personnalité » ne se serait pas constituée ainsi, que serait-elle ? Quelle serait sa « pulsion de vie » ? Voire sa pulsion de mort ? Sans caractère, sans état d’âme et, osons le mot, sans amour, d’où lui viendraient ses émotions, d’où tirerait-elle sa « conscience » ?

Les robots

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Le plaisir d’être trompé

Pour fêter ses 90 ans, le musée Marmottan Monet réunit 90 œuvres en trompe-l’œil, du XVIᵉ siècle à nos jours. Ces morceaux de virtuosité brouillent les sens de perception du spectateur et démontrent que la peinture est capable d’une troisième dimension : imiter tous les objets et toutes les matières.


Les histoires de consentement et de tromperie ne finissent pas toujours dans des salles d’audience. Elles nous mènent quelquefois dans des salles de musée, en l’occurrence celles du musée Marmottan Monet, lequel fête ses 90 ans autour de 90 œuvres illusionnistes appelées trompe-l’œil. Derrière cette facétie anti-impressionniste, l’exposition « Le trompe-l’œil, de 1520 à nos jours » est un très bel hommage à l’art, à la virtuosité des artistes à travers les âges, au regard des créateurs, des collectionneurs, des conservateurs et, bien sûr, des visiteurs. Il n’est pas si fréquent de trouver plaisant d’être trompé, alors ne boudons pas notre plaisir.

Jean Pillement trompe-l’œil avec ruban turquoise © D.R. Cliquez sur les visuels pour les agrandir

Mystification

Le trompe-l’œil est une forme exacerbée de réalisme qui se définit d’abord par l’effet produit sur le spectateur. Mystifié par un ensemble de règles techniques (grandeur nature des éléments représentés dans leur intégralité, perspective réduite, usage spécifique du clair-obscur, disparition de tout ce qui renvoie à l’imaginaire du tableau comme les coups de pinceau et la signature de l’artiste à l’endroit attendu), le spectateur se croit dans un premier temps en face de l’objet réel et non de sa représentation. Cette porte de placard est une vraie porte de placard, cette vitrine de bibliothèque, ce rideau, ces livres, ces lettres, ces flacons, ces objets en tous genres paraissent plus vrais que nature. Ils sont en bois, en métal, en velours, en verre, en cuir et en marbre : on les touche du regard. Pour un peu, on tournerait la clé, on lirait les titres des livres, on jetterait un œil indiscret sur le courrier, on veillerait à ce que le violon et la flûte ne dégringolent pas de leur précaire équilibre. Le plaisir naît d’un second regard, moins précipité que le premier. On comprend la supercherie qui tient à une illusion de relief savamment obtenue grâce aux contrastes de lumière, à la taille des objets et l’absence d’horizon. Heureux comme des gosses devant un tour de magie, on rétablit à contrecœur la mince frontière qui sépare les choses de leur représentation. Notre admiration pour l’artiste est alors la forme que prend la déception de n’avoir pas pu donner vie plus longtemps à ces images si douées pour la réalité. C’est à ce moment précis que l’œuvre d’art illusionniste cesse d’être un leurre : elle devient ce qu’elle est, chose parmi les choses, mais qui parle d’elles et du regard qu’on leur porte.

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Le trompe-l’œil ne date pas d’hier. On se souvient de la fameuse histoire des grappes de raisin peintes par Zeuxis et picorées par de vrais oiseaux. Zeuxis avait un rival, un autre peintre nommé Parrhasios. Celui-ci peignit un jour un rideau sur l’un de ses tableaux : leurré par l’illusion, Zeuxis voulut tirer le rideau pour admirer l’œuvre qu’il semblait cacher. Dans cette course au réalisme, à une époque assez peu antispéciste, Parrhasios fut jugé supérieur à Zeuxis : il avait réussi à duper un peintre alors que son concurrent n’avait dupé que des oiseaux.

Les œuvres réunies au musée Marmottan Monet – certaines issues de la collection de Jules Marmottan (1829-1883) et de son fils Paul (1856-1932), d’autres provenant de diverses collections publiques et privées – prolongent les illusions de Zeuxis et Parrhasios. Du xvie siècle à nos jours, des vanités à l’hyperréalisme, des peintres virtuoses se spécialisent dans l’art de jouer avec nos sens et de nous faire prendre des images de lanternes pour des lanternes. Gerrit Dou (1613-1675) et Auguste-Victor Pluyette (1820-1870) peignent, eux aussi, des rideaux qu’on a envie de tirer ; Jean-François de Le Motte (1635-1685) un atelier où l’on aimerait fureter ; Giuseppe Crespi (1665-1747) une bibliothèque qu’on voudrait ordonner ; Cornelis Norbertus Gijsbrechts (1630-1683) des lettres décachetées qu’on aimerait lire ; Gaspard Gresly (1712-1756) et Étienne Moulinneuf (1706-1789) des gravures au verre brisé à réparer ; Henri Cadiou (1906-1989) une Joconde enveloppée d’un papier bleu vert partiellement déchiré qu’on souhaiterait déballer. Point commun entre tous ces artistes : montrer que la peinture est capable d’une troisième dimension, que les peintres peuvent imiter la sculpture, la gravure, la sanguine, l’estampe, la photographie et restituer le rendu rigoureux de toutes les matières, de l’encre des enveloppes au marbre des bas-reliefs. Dans un ouvrage publié en 1995, Henri Cadiou avertit ses contemporains biberonnés au carré blanc sur fond blanc : le trompe-l’œil requiert une discipline rigoureuse, une analyse des moindres détails de la matière et une technique depuis longtemps abandonnée pour entrave à la liberté d’expression. Faute d’école pour la lui enseigner, chaque artiste pratiquant ce genre de peinture devra fréquenter les œuvres des maîtres du passé, ajoute-t-il.

Odes aux objets

Au-delà de sa prouesse technique, le trompe-l’œil de chevalet est avant tout une ode au monde des objets : bâtons de cire, pinceaux, rubans, lettres, plumes, crânes, perles et coquillages, fruits et fleurs, instruments de musique, mais aussi torchons, caisses de rangement, cartons de déménagement, roue de vélo, boîtes aux lettres, pain de campagne ou pile de livres d’art. Ils sont posés à plat, sur le devant d’une étagère, suspendus à des clous, tenus par des cordelettes ou de fines lanières de cuir. Ils ont dit un temps la richesse matérielle et la vanité de la vie, la possession et le vide. Ils ont été investis de l’éclat de l’action et de la pensée des hommes.

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Mais les objets sont aujourd’hui sur la sellette. Ils nous embarrassent. Ils sont bons pour les collectionneurs, les bordéliques et les amateurs de Francis Ponge. On les veut pratiques, peu encombrants, légers, équitables, revendables, capables de s’autodétruire comme un sac de courses en papier recyclé sous une petite pluie normande ou une paille en carton à peine arrivé à mi-boisson. On leur préfère les fameuses expériences, sorties, voyages, balades, moments uniques en tous genres. Les temps sont à l’authenticité de l’instant, vêtus de similicuir et de polycoton. Notre monde s’est enfin débarrassé de ce que Jean Baudrillard nommait, dans Le Système des objets (1968), « l’étiquette et la théâtralité morale des choses ».

La plupart des objets présents dans les œuvres de l’exposition du musée Marmottan Monet sont aujourd’hui absents de nos vies. Les dernières lettres manuscrites ont été écrites par le personnage d’Adrien dans le film d’Albert Dupontel, Adieu les cons (2020). Les animaux empaillés, les carapaces de tortue, les massacres de cerfs et les coraux ont un peu moins la cote ces temps-ci : la terre est un musée vivant nommé planète, prière de préserver toutes les espèces, mis à part l’espèce humaine. Le quodlibet (littéralement « ce qui plaît », en latin) n’existe plus sous sa forme artistique de fouillis savamment organisé d’objets en tous genres ; la liste de nos envies, notre quodlibet contemporain, dépasse largement la joie de posséder une nature morte. Seules les grappes de raisin de Nicolas de Largillière (1656-1746) sont encore d’actualité, propriétés détox obligent.

Heureusement, on n’en reste pas moins très attaché au trompe-l’œil. On continue à aimer l’art illusionniste. Bibliothèques factices en lés de papier peint, bâches esthétiques camouflant joliment les façades en travaux d’immeubles prestigieux, sucreries chocolatées aux fines allures de saucisson, pâtisseries en forme d’éponges vert et jaune avec leur petite mousse de produit vaisselle plus vraie que nature : Zeuxis et Parrhasios n’ont qu’à bien se tenir. On aurait d’ailleurs aimé leur montrer nos grandes réussites de ces cinquante dernières années, nos œuvres virtuoses en quelque sorte – écoles trompe-l’œil, scène politique trompe-l’œil, espace public trompe-l’œil – pour nous assurer que l’illusion fonctionne encore avec le temps. À ce propos, pourrait-on remettre dans la rue, pêle-mêle, au milieu de la vie quotidienne, des rires d’enfants, des gens qui s’arrêtent pour se saluer et de jeunes couples qui s’embrassent fougueusement sur la bouche au beau milieu du trottoir comme si le reste du monde n’existait pas ? Histoire qu’on croie un peu à ce tableau du vivre-ensemble brossé à la va-vite par de bien mauvais artistes.

L’exposition aurait pu se terminer sur les photographies générées par l’intelligence artificielle. Des images plus vraies que nature de personnes, de lieux ou de situations qui pourraient exister mais n’existent pas : un sujet qui semble émouvoir la terre entière, mais qui n’est au fond que la poursuite du trompe-l’œil par d’autres moyens. Le parcours s’achève avec la technique du camouflage militaire, outil stratégique de dissimulation destiné à tromper l’œil de l’ennemi dans les combats et mis au point pendant la Première Guerre mondiale par des artistes, dont les peintres Lucien-Victor Guirand de Scévola (1871-1950) et Louis Guingot (1864-1948). Le camouflage : un bien beau sujet pour poursuivre la réflexion, assurément.

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À voir

« Le trompe-l’œil, de 1520 à nos jours », musée Marmottan Monet (2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris), jusqu’au 2 mars 2025.

Goldnadel moque les wokes

Délaissant l’essai et le pamphlet, notre chroniqueur publie un roman de politique-fiction. Dans une France où Jean-Luc Mélenchon a pris le pouvoir et fait arrêter ses opposants, on suit les mésaventures d’un certain Gronadel face à l’idéologie LFiste. Un récit à la fois hilarant et effrayant.


Causeur. Contrairement à votre précédent ouvrage, qui était empreint d’inquiétude et de gravité, votre nouveau livre est un petit bijou de drôlerie. Pourquoi cette soudaine gaieté sous votre plume ? Auriez-vous retrouvé le moral ?

Gilles-William Goldnadel. Vous savez, le rire n’est pas forcément synonyme de bonheur chez moi… Si j’ai choisi d’injecter une certaine dose d’humour dans ce livre, c’est parce je ne voulais surtout pas assommer mon public avec un énième opus sur le wokisme. La plupart des essais parus sur le sujet sont excellents, mais le plus souvent ils vous tombent des mains. Aussi j’ai pensé qu’alterner, dans ma prose, les passages sérieux et les respirations comiques serait de bonne pédagogie.

De bonne pédagogie, carrément ?

Derrière la trame burlesque de mon récit, la pensée que je développe au fil des pages est parfaitement sérieuse et documentée. Il y a d’ailleurs une notice bibliographique en fin d’ouvrage qui indique toutes les publications savantes dont je me suis servi pour défendre mon héros, le dénommé Gronadel, face aux magistrats wokes qui, dans un futur proche et dystopique, l’accusent des pires crimes, notamment d’être hostile à l’immigration massive, d’afficher sa solidarité envers l’État d’Israël et de critiquer ouvertement l’écologie politique. Devant ses juges, Gronadel, qui assure lui-même sa défense, choisit une stratégie de rupture en s’ingéniant à leur montrer que leur idéologie pseudo-progressiste est bien pire que la sienne, puisqu’elle conjugue le racisme (antiblanc), l’antisémitisme (déguisé en antisionisme) et même, s’agissant de la question du réchauffement climatique, la négation pure et simple de la rationalité scientifique.

Vous y allez fort sur ce dernier point, non ?

Nullement ! Il y a quelques années, j’ai été taxé de rien moins que de « propos criminels » par Brune Poirson, alors secrétaire d’État à la Transition environnementale. Mon tort à ses yeux ? Avoir simplement osé m’interroger, en sa présence lors d’une émission sur LCI, sur la part exacte de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Une question interdite de cité dans les milieux autorisés. Quand on en vient à carrément criminaliser un esprit qui doute, la tentation totalitaire n’est plus bien loin.


Les mésaventures judiciaires de Gronadel font d’ailleurs parfois penser au procès Kravchenko.

C’est fait exprès. Je voulais rappeler que l’extrême gauche contemporaine est l’héritière d’une longue histoire et qu’elle n’a pas attendu Black Lives Matter, MeToo et le Nouveau Front populaire pour sévir sous nos latitudes. Évidemment la France n’est pas l’Union soviétique et ce que j’appelle « le privilège rouge » n’est pas institutionnel, mais juste culturel. Encore que, dans les médias du service public audiovisuel, ce sont bien les idées les plus radicales qui occupent tout l’espace, en toute impunité.

Parmi les délits d’opinion dont votre double, Gronadel, doit répondre, il y a son soutien à l’État juif. En lisant votre plaidoirie pro domo, certains seront toutefois surpris de constater que vous n’êtes pas fermé à la cause palestinienne. Souffrez-vous d’être indûment caricaturé en chantre du grand Israël ?

Si je devais me plaindre à chaque fois que les adversaires me présentent d’une façon malhonnête, je n’aurais plus le temps de faire rien d’autre ! Mes lecteurs de bonne foi savent que je n’ai jamais eu la religion des territoires et que j’ai toujours préféré, pour parler trivialement, « un petit chez-moi à un grand chez les autres ». D’autant que les Arabes de Palestine ont un excellent dossier, je veux dire que l’on peut comprendre leur inquiétude quand ils ont vu de nouveaux arrivants s’installer sur une terre où ils vivaient depuis des siècles. Hélas, ce bon dossier a été totalement perverti par un islamo-nationalisme destructeur, qui en son temps n’a pas hésité à s’allier avec Hitler et qui est encore aujourd’hui étranger à tout principe de compromis.

N’oubliez-vous pas un peu vite les accords d’Oslo ?

Non, je m’en souviens très bien. À l’époque, j’étais le président de l’Association France-Israël et je m’étais engagé pour cette solution à deux États, qui excluait donc d’implanter des populations juives en Cisjordanie et se contentait là-bas de bases de Tsahal aux fins d’établir un légitime glacis géostratégique. Mais si Oslo a capoté, c’est à cause de Yasser Arafat, qui a saboté le processus en laissant sortir de ses prisons les pires nervis antijuifs du Hamas. Il craignait sans doute de mettre en colère son camp en se montrant trop arrangeant avec Israël, et de finir assassiné par les siens, comme Anouar el-Sadate en 1981.

À lire aussi, Gilles-William Goldnadel : Des vessies pour des nazis

En vous lisant, on se demande parfois si vous n’êtes pas désespéré par la France au point d’envisager de vous installer un jour dans votre seconde patrie, Israël.

Détrompez-vous. J’ai bien l’intention de demeurer dans le pays qui m’a vu naître. Ne serait-ce que pour le défendre du bout de ma plume. Même si je comprends, bien sûr, ceux qui font un autre choix, effrayés qu’ils sont par la montée de l’antisémitisme. Cela dit, Israël n’est pas non plus un paradis. Le wokisme y fait également de grands ravages.

Les récentes victoires d’Israël face au Hamas et au Hezbollah vous rendent-elles optimiste pour ce pays ?

Cette affaire est trop tragique pour me transporter d’aise. Je pleure chaque jour les enfants arabes tués dans les combats. Ces malheureux sont morts à cause du seul Hamas, qui les utilise comme boucliers civils. Reste que je suis hanté par les paroles de Barbara : « Tant pis pour ceux qui s’étonnent, et que les autres me pardonnent, mais les enfants ce sont les mêmes, à Paris ou à Göttingen. » Cela étant posé, je ne vous cacherai pas non plus combien je suis fier de Tsahal. Ne serait-ce qu’à cause de son succès dans l’épopée des bipeurs. Israël a gagné une guerre militaire qu’elle ne devait pas perdre et a perdu une guerre médiatique qu’elle ne pouvait pas gagner.

Vous écrivez dans votre Journal d’un prisonnier que l’extrême gauche occidentale « est plus palestinienne que les Arabes de Palestine ». Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ce phénomène, j’ai été l’un des premiers à le dénoncer. Seulement je dois reconnaître que je n’avais pas prévu qu’il prendrait une telle ampleur. Jamais je n’aurais imaginé que les grandes ONG humanitaires et le parti principal de la gauche française reprendraient carrément à leur compte la rhétorique du Hamas. Et pas seulement pour des raisons électorales.

Pour quelle autre raison ?

Comme je l’ai théorisé dans mes Réflexions sur la question blanche en 2011, je professe que la gauche occidentale, obsédée par la figure de l’antéchrist blanc Adolf Hitler, est animée par une haine pathologique post-chrétienne envers les nations blanches, et que, à la faveur d’un incroyable retournement des valeurs, elle déteste encore davantage la nation juive, vue comme une nation blanche au carré.

Dans le futur que vous décrivez, la France est gouvernée par des islamo-gauchistes, qui interdisent carrément l’usage du second degré dans l’espace public. Mais n’avez-vous pas succombé à la même tentation en vitupérant Guillaume Meurice suite à sa mauvaise blague sur le prépuce de Benyamin Nétanyahou ? Ne faisait-il pas, lui aussi, du second degré ?

Ce que je reproche principalement à Meurice, c’est de rire la bouche uniquement en coin à gauche. S’il se moquait de tout le monde, cela ne me poserait aucun problème. Si après avoir chanté « Jésus est pédé », l’humoriste de France Inter Frédéric Fromet avait eu le courage de faire un sketch du même acabit sur Mahomet, j’aurais plus d’indulgence pour ses saillies blasphématoires.

Vous n’avez pas non plus tellement fait preuve d’aménité lorsqu’on a appris la mort de Jean-Marie Le Pen, qui lui aussi avait le sens du calembour choquant…

Je ne reprochais pas au fondateur du Front national son sens de l’humour. C’est au contraire quand il était sérieux qu’il me dérangeait. Je l’ai rencontré vers 1987, à sa demande, dans sa villa de Saint-Cloud. Déjà à cette époque, ses thèses sur l’immigration me parlaient. Et je supportais davantage son antisémitisme du passé, assez inoffensif, à l’antisémitisme autrement plus violent et sanglant des islamistes et de leurs alliés gauchistes en plein essor. Me voilà donc dans le bureau de Jean-Marie Le Pen. Il entreprend de m’expliquer qu’on lui fait un bien mauvais procès en le traitant de néonazi, lui qui n’est en rien responsable de la barbarie hitlérienne. En quoi il n’a pas tort. Seulement, je lui fais alors remarquer que, n’étant pas davantage responsable du goulag, il n’en a pas moins observé une minute de silence pour rendre hommage aux victimes du communisme sur le plateau de « L’Heure de vérité ». Pourquoi ne pas accomplir un même geste s’agissant de la Shoah ? Il m’a promis de réfléchir. Depuis, le point de détail… Quel gâchis ! Avec ses provocations antisémites, cet homme a perverti le légitime combat contre l’immigration massive et invasive dans notre pays, et nous a fait perdre un temps précieux. Si j’en veux à Jean-Marie Le Pen, ce n’est pas seulement parce que je suis juif, mais surtout parce que je suis français.

Gilles-William Goldnadel, Journal d’un prisonnier, Fayard, 2025.

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Robert Ménard: héros du bon sens

En refusant hier la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité qu’on lui proposait, le maire de Béziers prend un nouveau risque. Au tribunal de Montpellier, il a en effet refusé la sanction que lui proposait le parquet, après son refus de célébrer le mariage d’un Algérien sous OQTF – ce qui implique qu’il sera jugé ultérieurement par un tribunal correctionnel ! Il entend ainsi faire un exemple. De leur côté, les sénateurs discuteront jeudi d’un éventuel changement de la loi afin d’interdire le mariage quand l’un des époux est en situation irrégulière.


Aujourd’hui en France le simple bon sens est devenu enjeu de croisade. La justice – ou, si vous préférez ce qui en tient lieu – est venue chercher des poux dans la tête du maire de Béziers parce que, en 2023, il a refusé de célébrer le mariage d’un Algérien de 23 ans sous OQTF, c’est à dire les noces officielles d’un individu qui n’aurait jamais dû se trouver physiquement sur le sol de France, et encore moins se voir admis à franchir le seuil d’une mairie, ce temple laïque de notre République.

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La liberté fondamentale du mariage en débat

Ce mardi, Robert Ménard était donc amené à se présenter devant le procureur de la République de Montpellier pour, je cite, « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Ainsi, s’il devait y avoir un coupable dans cette affaire, ce ne pouvait être que le maire. Coupable de quel grand crime? Entrave à la liberté fondamentale du mariage. Une de ces trouvailles balancées à la pelle par l’humanisme délirant de 1789, et bien sûr – comment pourrait-il en être autrement? – reprise, réaffirmée par la Cour Européenne des Droits de l’homme et défendue par nos sages un rien fatigués et ramollis du Conseil Constitutionnel, dont, cela soit dit en passant, pas un je crois ne laisserait sa fille épouser un clandestin, un OQTF, un sans papier, un radicalisé dûment identifié, etc, etc, car, oui, sachons-le bien, il n’y a que d’heureux élus au gai-gai marions-nous de nos délires. Tout doit impérativement s’effacer devant le bel amour conjugal. Il y a le tout à l’hymen comme il y a le tout à l’égout. Qu’importe la tonalité du mariage, gris, blanc. Cela est sans objet. On n’est pas regardant. Même deux sans papiers peuvent convoler. Au maire et à son administration de se débrouiller pour que cela ait les apparences d’une vraie union, légale, rigoureuse dans la forme. Une fois la mascarade bâclée, les doux époux auront tout le loisir de courir profiter de tous les avantages liés au mariage officiel dans notre pays, dont le rapprochement familial n’est évidemment pas le moindre. Pitoyable ! Cette noble institution ne serait donc plus qu’une pantomime? Mais à quoi bon s’arrêter à cela?

Robert Ménard risque jusqu’à cinq ans de prison

Voilà quelques années, à Chalon-sur-Saône, nous rapporte Le Figaro, le maire était lui aussi entré en résistance, refusant de célébrer les épousailles d’un Turc de quarante-deux ans – convaincu de violences conjugales et de menaces de mort à l’encontre de sa précédente épouse – avec une jeune Française de vingt ans. L’édile tint bon deux ans. Puis les autorités – les nôtres, celles de France, celles qui sont censées œuvrer en notre nom et pour le bien de la communauté – finirent par l’emporter. Le mariage fut célébré par une adjointe. Sans quoi le maire protestataire, tout comme Robert Ménard aujourd’hui, encourait une peine de cinq ans d’emprisonnement, de soixante-quinze mille euros d’amende assortie d’inéligibilité. Sévère, non ? C’est plus cher payé que bien des prouesses de la délinquance devenue très ordinaire de nos quartiers à machette et came.

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À l’initiative du sénateur centriste Stéphane Demilly, les sénateurs vont s’emparer du sujet. Des voix s’élèvent, qui prônent une législation nouvelle, enfin adaptée au réel. Une loi de bon sens. L’actuel garde ses Sceaux, Gérald Darmanin s’est déclaré favorable à une telle modification.  Ce n’était pas le cas voilà dix-huit mois. Il est de tradition qu’en politique les girouettes tournent. On le sait. Il reste à souhaiter qu’elles se grippent et se fixent dans le bon sens le temps de doter la France d’une loi enfin honorable sur ces sujets. Oui, honorable. Car brader nos institutions, dont celle du mariage, ne l’est guère.

Pour cela, peut-être pourrions-nous nous inspirer de l’Algérie. Lorsque Robert Ménard a lancé l’idée que les fiancés aillent se passer la bague au doigt en Algérie, on lui a aussitôt fait valoir que c’était impossible. La loi algérienne s’y opposerait farouchement au motif que la prétendante avait trois enfants d’une précédente union. On ne plaisante pas avec ces choses, là-bas. On ne fait pas de l’institution du mariage un vulgaire jeu de rôle. Chez nous, si ?

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Ukraine: une guerre pour rien?

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Face à la nouvelle donne géopolitique imposée par MM. Trump et Poutine, où les États-Unis négocient seuls avec la Russie, les illusions européennes s’effondrent. Si l’Europe doit revoir sa protection sans les Américains, elle doit aussi réaliser que ce n’est en réalité pas la menace russe qui est la plus pressante, estime notre chroniqueur.


Les gueulards va-t-en-guerre promettaient l’effondrement de la Russie face à l’Ukraine réarmée. Ils le répétaient à longueur de débats, sur LCI plus qu’ailleurs. Or ces experts et militaires en retraite, imperméables au doute, se sont trompés. Ils participent aujourd’hui à l’humiliation de l’Europe défaite. Le bilan de leurs erreurs prévisibles, après trois ans d’un conflit frontalier meurtrier, est en effet effroyable. Mardi, c’est sous les auspices de l’Arabie saoudite que l’Américain Marco Rubio et le Russe Sergueï Lavrov ont ouvert le dossier ukrainien, dans la prolongation de la conversation téléphonique d’une heure trente de la semaine dernière, entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Le dialogue Russie / Etats-Unis rétabli

Le paria russe, qui rêvait de fédérer le Sud global contre l’Occident décadent, a réussi sa déstabilisation de l’ordre mondial, avec l’appui des États-Unis qui espèrent, eux, affaiblir le lien entre la Russie et la Chine. En attendant, la victoire de Poutine est double : il a remporté la guerre, et exclu l’Europe et l’Ukraine des premières négociations. Dans son tête-à-tête avec Trump, Poutine a rétabli la Russie pestiférée au rang de grande puissance mondiale. L’autocrate brandit la défaite de l’Ukraine, qui ne recouvrera pas ses territoires perdus ni n’entrera dans l’Otan. Au bout du compte, et après près d’un million de morts et de blessés de part et d’autre parait-il, cette guerre n’aura servi à rien. Conduite en apparence par Volodymyr Zelensky, elle se révèle avoir été téléguidée par les anglo-saxons, États-Unis en tête. Le dialogue Trump-Poutine est l’aveu de l’ingérence de la précédente administration Biden dans cet affrontement qui aurait dû rester régional.

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Dindons de la force

Le désastre humain est révoltant. Le gâchis économique est énorme. Et les Européens apparaissent, pour n’avoir pas réfléchi à une stratégie lisible et autonome, comme les « dindons de la farce » (Pierre Lellouche, Le Figaro). Il ne s’agit pas de reprocher le revirement de l’Union européenne, qui a vite troqué il y a trois ans son traditionnel discours « pas-de-vaguiste » pour celui de la fermeté, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Dans un monde de carnivores, les herbivores sont voués à disparaître. Reste que cette théâtrocratie belliciste s’est épargnée de définir clairement les buts de la guerre et les moyens de sortir d’un piège mortel. L’Europe et les commentateurs en chaises longues ont encouragé de loin les Ukrainiens à résister au frère ennemi russe, sans laisser de place à la diplomatie. C’est le sulfureux prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman qui s’est invité comme arbitre, dans un rôle qui aurait dû revenir à la France si elle n’avait pas été illisible dans ses palinodies « escalatoires » et ses menaces infantiles (Bruno Le Maire, en mars 22 : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe »).

Aujourd’hui encore, Emmanuel Macron affirme que la Russie « constitue une menace existentielle pour l’Europe »1, tout en épargnant l’Algérie et ses provocations agressives contre la France. Si la nation est menacée dans son existence, c’est par l’islam colonisateur laissé en paix. L’Europe risque de sortir de l’histoire, à cause de dirigeants émotifs, qui ne pensent pas plus loin que le bout de leur nez.


  1. https://www.leparisien.fr/politique/manoeuvres-sur-lukraine-entre-trump-et-poutine-la-grande-explication-de-macron-18-02-2025-M4QDAYQEGRB27KJS6XXOS6NOJU.php ↩︎

États-Unis: les sinistres, mais prévisibles, conséquences de la suppression du droit à l’avortement

Maggie Carpenter, une médecin new-yorkaise, fait face à des poursuites au Texas et en Louisiane pour avoir prescrit des pilules abortives à des patientes dans ces États aux lois strictes sur l’avortement. Le Texas lui a infligé une amende de 100 000 $ pour prescription illégale via télémédecine, tandis que la Louisiane a carrément émis un mandat d’arrêt, mais la gouverneure de New York, Kathy Hochul, refuse son extradition.


C’est l’affrontement entre le Texas et la Louisiane d’une part, et l’État de New York d’autre part. Entre la barbarie et la civilisation.

Est en cause la docteure Maggie Carpenter, médecin à New York, qui, par son réseau de télémédecine, a prescrit des pilules abortives à des patientes résidant dans ces deux États sudistes, où l’interdiction de l’avortement ne comporte aucune exception en cas de viol et d’inceste.

Un juge-mollah texan vient de la condamner par contumace au paiement d’une amende de 100 000$, plus les frais de justice. Cependant, le ministère public n’avait pas engagé de poursuite pénale.

Par contre, en Louisiane, ce laxisme judiciaire est impensable et la Dr. Carpenter, contre qui un mandat d’arrêt a été lancé, est passible d’une amende de 200 000$ et d’une peine d’emprisonnement de 15 ans pour avoir prescrit une telle pilule à une mineure enceinte. La gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, vient de rejeter la demande d’extradition présentée par le gouverneur-ayatollah Jeff Landry; elle avait fait adopter une « loi-bouclier » (« shield law » en v.o.) protégeant les médecins respectant le serment d’Hippocrate, dans la foulée de la trahison des femmes commise par la Cour suprême.

Un peu d’histoire constitutionnelle américaine

Le 24 juin 2022, à l’occasion de l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, six « taupes » du Vatican à la Cour suprême américaine répudient la jurisprudence Roe v. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement et soumettent désormais les femmes, surtout issues des minorités, à un nouvel esclavage.

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La cour, en substance, sous la fielleuse plume de Samuel Alito, reprend onctueusement la jésuitique et pseudo-démocratique formule du défunt et regretté catholique juge Antonin Scalia : puisque le droit à l’avortement n’est pas spécifiquement mentionné dans la Constitution, il s’agit tout simplement de rendre aux États le pouvoir de légiférer en la matière, ni plus, ni moins. L’enfance (si l’on ose dire) de l’art. On notera la visqueuse rouerie du juge Alito qui soutient, sans rire, que cette décision n’a aucune incidence sur la jurisprudence protégeant d’autres droits. Quant au juge Kavanaugh, il ajoute, sans rire non plus, que rien ne touche des droits comme la contraception et le mariage.

C’était là feindre d’ignorer que, notamment en droit anglo-saxon, le raisonnement analogique résonne quotidiennement dans les salles d’audience : nul juge n’a le pouvoir d’imposer des limites à la portée de son enseignement jurisprudentiel aux juges ultérieurs. Et d’ailleurs, ils sont directement contredits à ce sujet par le juge Clarence « Uncle Tom » Thomas, lequel, par son opinion concordante, lance un appel au réexamen de la jurisprudence autorisant le droit à la contraception, aux relations et au mariage homosexuels.

(Bizarrement, le juge Alito approuve la jurisprudence Loving v. Virginia, laquelle, en 1967, avalisa les mariages interraciaux, pourtant nullement mentionnés dans la Constitution, même après avoir reconnu que l’intention des auteurs du 14e amendement promulgué en 1868 n’était nullement d’autoriser de telles unions, aussi répugnantes que l’avortement. Comprendra qui peut cette entorse à la volonté démocratique. Une petite fleur lancée à Uncle Tom et sa conjointe blanche Ginni, activiste pro-Trump ?)

Le juge associé de la Cour suprême Clarence Thomas, à droite, et son épouse Virginia « Ginni » Thomas arrivent pour un dîner d’État, Washington, 20 septembre 2019 © Patrick Semansky/AP/SIPA

Les conséquences de la jurisprudence Dobbs ne se sont donc pas fait attendre…

À partir de mars 2023 (neuf mois après l’arrêt Dobbs), il y a obligatoirement eu une dramatique surcharge des maternités vu l’afflux de bébés consanguins provenant des villages du bayou, encore qu’ils feront d’excellents joueurs de banjo dans quelques années, comme le savent déjà les cinéphiles avertis.

Il y a déjà la renaissance (si l’on ose dire) du “Underground railroad” qui, au XIXe siècle, faisait passer les esclaves en fuite vers le Canada. En effet, certains États américains civilisés (et le Canada) sont prêts à accueillir les femmes opprimées par les États rednecks et leur assurer un avortement médicalement fiable. Grâce aux progrès de la science médicale, il y a heureusement nettement moins d’avortements chirurgicaux, mais ils sont encore souvent incontournables. Et vu la hargne des adversaires de l’avortement illustrée par les récents développements texans et louisianais, on peut s’attendre à la criminalisation des malheureuses préparant un déplacement vers un État libre, même si le juge Kavanaugh se veut rassurant : « à son humble avis » (en v.f., sic), il ne voit dans la doctrine Dobbs nulle atteinte à la liberté de circulation interétatique, même s’il s’agit d’obtenir un avortement.

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On répondra d’abord que ce droit, résultant d’une construction purement jurisprudentielle (il ne figure pas non plus en toutes lettres dans la constitution américaine) est lui-même mal défini…

De toute manière, nul doute que les législateurs machistes et imaginatifs trouveront toujours de solides arguments pour réprimer efficacement les préparatifs d’un crime à commettre et un crime perpétré dans un autre État par leurs résidentes. Ils pourront s’inspirer de la High Court irlandaise qui, en 1994, interdit, par injonction, à une gamine de 14 ans (quand même nubile depuis très longtemps, selon la sharia), enceinte des œuvres d’un violeur, à se rendre au Royaume-Uni pour y faire interrompre sa grossesse.

Mais admettons qu’il s’agit d’un vœu plus que pieux.

Parlant d’analogie, on pense à l’arrêt Missouri ex rel. Gaines de 1938. L’État du Missouri n’avait pas de faculté de droit pour les Noirs, mais offrait généreusement de payer leurs frais de scolarité s’ils s’inscrivaient dans une faculté d’un État voisin. Cependant, la Cour suprême a alors décidé que les citoyens noirs (un oxymore à l’époque où… America was great) avaient le droit de recevoir leur éducation juridique dans leur propre État et ordonna l’admission de Gaines à l’université du Missouri.

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Pourtant, la Cour suprême enseigne aujourd’hui que la gamine de 11 ans, dont le bassin est en voie de consolidation, enceinte suite à la série de viols perpétrés par ses oncles, cousins et le pasteur de son église pentecôtiste, ainsi que la porteuse adulte d’un fœtus non viable potentiellement encore plus létal qu’une tumeur cancéreuse (nul espoir de rémission), n’ont pas forcément droit aux services médicaux nécessaires de leur choix dans leur propre État de résidence. Au mieux, le juge Brett “Bluto” Kavanaugh (dont le parcours étudiant évoque parfois, en plus glauque cependant, le film “Animal House”), accorde gracieusement aux États où ont cours les valeurs humanistes le droit de se faire refiler… le bébé.

Chose certaine, dans les anciens États esclavagistes américains, l’utopie gynécologique de Nicolas Ceausescu est devenue réalité le 24 juin 2022.

Bruno Retailleau mettra-t-il ses pas dans ceux de Sarko?

Depuis la fin du quinquennat Sarkozy, la droite LR est en perte de vitesse. Et surtout, il manque à sa tête une personnalité forte et fière de ses convictions… Bruno Retailleau, qui vient d’annoncer sa candidature à la présidence de son parti, laissera-t-il tout le monde sur le carreau ? De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon se brouille avec les socialistes.


Il y a eu l’indépassable campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et nous avons maintenant en 2025 la renaissance d’une droite authentique (avec, pour définition essentielle, de n’être plus gangrenée par une mauvaise conscience instillée par la gauche) grâce à Bruno Retailleau.
Pour l’un, de formidables espérances déçues partiellement par le quinquennat. Pour l’autre, une résolution et une action tellement attendues qu’elles l’ont placé très vite en tête des sondages.
On me pardonnera ce nouveau texte consacré au ministre de l’Intérieur : je ne fais pas l’actualité, c’est elle qui fait mes billets !

Retailleau, un homme de conviction

Bruno Retailleau, chaque jour un peu plus percutant, sûr de sa vision – et déjà de quelques résultats – de la droite, a précisé que « le temps n’est plus à l’eau tiède ». Ce qui ne signifie pas qu’il faille s’abandonner à une eau sans intelligence.

Couverture du Parisien du 16 février 2025 © D.R.

Si je devais donner un exemple de la constance de la pensée politique, sociale et culturelle de Bruno Retailleau, je demanderais à tous ceux qui n’ont pas connu le parcours du sénateur, puis du ministre, dorénavant du candidat à la présidence des Républicains, d’écouter mon « Philippe Bilger… les soumet à la question » en date du 23 juin 2020. Il y démontre une adhésion et une fidélité permanentes à une droite « patriote et populaire », avec une prise de conscience précoce de l’importance du combat culturel. Au fond, reprendre à la gauche des notions, des concepts, des principes qu’elle s’est abusivement appropriée, au fil du temps et de l’Histoire.
Tout serait à citer dans ce dialogue duParisien où Bruno Retailleau précise les raisons, pourtant évidentes, de sa confrontation à venir avec Laurent Wauquiez et répond par avance à quelques critiques.
L’idée qu’il y aurait eu un « deal » entre les deux est balayée aisément. Laurent Wauquiez était si peu préoccupé par la refondation du parti qu’à un certain moment il était prêt à l’oublier pour devenir ministre.

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Ce n’est pas créer une guerre fratricide que de tenir à porter la voix d’une droite à la fois libre, inventive et morale, de la vouloir attachée au lien nécessaire entre les idées et les mots et aux actes pour les concrétiser, de la savoir impuissante si des tempéraments et des caractères n’assument pas ce qu’elle doit avoir d’exigeant et d’exemplaire pour la sauvegarde de notre pays.
En gros, le spécialiste des refus d’obstacles et des coups fourrés et, en face, une austérité intègre et véridique quoi qu’il en coûte. Si Bruno Retailleau n’est pas élu pour présider, son destin et son futur seront scellés pour le pire par Laurent Wauquiez.

La droite fière et intelligente est de retour

J’apprécie la démarche du ministre qui d’une certaine manière s’inscrit dans un conseil prodigué par Nicolas Sarkozy : la droite doit s’élargir le plus possible, des gens de gauche séduits – il y en a et ce n’est pas l’entretien de Jean-Luc Mélenchon dans La Tribune Dimanche qui les fera revenir – aux macronistes et aux droites plus extrêmes. Il n’est pas indifférent que le Rassemblement national s’en prenne presque exclusivement à Bruno Retailleau, comme s’il avait compris qu’il y avait là un adversaire bien plus dangereux que s’il se consacrait exclusivement à la sécurité.
Bruno Retailleau prend la peine également de répliquer à un grief trop entendu : il ne serait qu’un homme du verbe. D’une part il énonce les résultats qu’il a déjà obtenus et d’autre part je rappelle qu’il ne dispose pas de tous les pouvoirs, qu’il est contraint de solliciter l’énergie et le volontarisme des autres, par exemple ceux du président (par exemple dans les rapports avec l’Algérie), jamais acquis.
Je voudrais terminer par la crainte la plus ridicule quand on a la chance de pouvoir observer, comme moi, tout ce qu’il accomplit sur le plan politique et ses réactions quand il est sollicité par ailleurs. Je déteste, dans la classe politique, dans les médias, dans ma vie personnelle, les lents, les absents, les négligents, ceux qui ne répondent jamais. Pour moi, où que ce soit, par qui que ce soit, c’est de la grossièreté. Avec Bruno Retailleau, je le répète, je n’ai pu qu’admirer l’inverse : une réactivité sans pareille.
Ministre et président de LR ne sera pas un jeu d’enfant. On peut être assuré que Bruno Retailleau non seulement ne sera pas dépassé mais fera servir chacune de ces deux missions au soutien de l’autre. Dix-huit ans après Nicolas Sarkozy, la droite fière et intelligente est de retour. Pas en promesse, en vrai.

Le Mur des cons

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Stéphane Amyot, un premier roman fort prometteur

Passionné de cinéma, le Vosgien Stéphane Amyot sort son premier roman. Un coup d’essai qui se révèle un coup de maître.


Stéphane Amyot. Retenez ce nom. Il vient de sortir son premier roman, Attrape ma main, aux éditions du Lys Bleu. Et ce roman est bon, voire très bon. D’abord, il échappe aux écueils des primo-romanciers qui, trop souvent, veulent faire littéraire, sonner poétique, démontrer un style. Or, le style ne se démontre pas comme une formule mathématique ; il se ressent. Stéphane Amyot écrit simple, direct, sans affèteries ; c’est agréable à une époque où les pathétiques clones de Céline ou les copieuses égotistes d’Annie Ernaux, encombrent les maisons d’édition. Il sait aussi raconter ; son texte, tissé de flash-back, de ruptures volontaires, crée, avec naturel, son effet. Il possède également l’art de donner vie à des personnages singuliers et crédibles.

Deux êtres brisés

Que nous raconte ce Vosgien, né à Remiremont, passionné de séries et de films américains ? Il nous invite à suivre les pas de Tom Matthews, un quadragénaire californien, sosie de l’acteur et réalisateur David Boreanaz, homme d’affaires à qui tout réussit, jusqu’au jour où sa vie se brise contre un drame : Chelsea, son épouse adorée, et Déborah, sa fille de cinq ans, tout autant aimée, se noient sur une plage de Gérone, en Espagne. Il ne s’en remet pas, sombre dans une profonde dépression et dans l’alcool par la même occasion. Des idées anthracites le minent. Il parvient à retrouver un peu d’espoir lorsqu’il fait la connaissance de Carolina, Laynara de son vrai prénom, jeune prostituée brésilienne, prisonnière d’un réseau mafieux. Faire connaissance ? C’est peu dire, car c’est en voulant la défendre alors qu’elle se fait tabasser par une espèce d’ordure, qu’il la rencontre. Coup de foudre immédiat, amourn fou. Mais, on s’en doute, ce ne sera pas simple. Enlèvements, poursuites, échanges de coups, menaces, autant de scènes palpitantes qui ne cessent de mettre en péril les amours blessées de ces amants potentiels aux fêlures profondes : « Ce soir, ces deux êtres brisés par les épreuves de la vie se rapprochaient, deux cœurs tourmentés par un tragique destin. » Tom ne parvient pas à oublier Chelsea et Déborah ; Laynara, enlevée, séquestrée, maltraitée puis placée dans le circuit délétère de la prostitution, s’ennuie de sa famille brésilienne. Parviendront-ils à s’en sortir ? Rien n’en moins sûr.
Un court roman rondement mené dans lequel, jamais, on ne s’ennuie. C’est essentiel.


Attrape ma main, Stéphane Amyot ; Le Lys Bleu ; 183 p.

Grande Mosquée de Paris: l’autre ambassade d’Algérie

Depuis l’entrée en fonction du recteur Chems-Eddine Hafiz, la Grande Mosquée de Paris est plus que jamais le porte-voix du régime algérien. Son patron, qui a aussi la mainmise sur la certification halal, estime que tous les Français devraient prendre sa communauté pour modèle.


« Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. » C’est par ces quelques mots, adressés dans une lettre officielle à Mohammed VI en juillet dernier, qu’Emmanuel Macron a déclenché la plus grave crise diplomatique que la France ait jamais connue avec l’Algérie. Pouvait-il se douter que le régime du président Tebboune, en rétorsion, laisserait carrément arrêter un écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, retenu depuis en otage (il n’y a pas d’autre mot) dans une prison à Alger au seul motif qu’il reconnaît lui aussi, la « marocanité » de l’ancienne Afrique occidentale espagnole ?

La missive présidentielle qui a mis le feu aux poudres ne fait toutefois pas cas d’un autre territoire disputé entre le Maroc et l’Algérie. Un territoire certes minuscule, mais ô combien symbolique et stratégique : la Grande Mosquée de Paris. Érigée juste après la Grande Guerre par la IIIe République pour rendre hommage aux 70 000 soldats musulmans (tirailleurs algériens et tunisiens, goumiers marocains, méharistes et spahis), qui venaient alors de tomber pour la France, elle est, avec son minaret de 33 mètres de haut, la première mosquée construite en Occident depuis la chute du royaume musulman de Grenade en 1492.

À l’origine, tout la raccorde au Maroc. Non seulement parce que ses plans, superbes, sont signés par Maurice Tranchant de Lunel, qui s’est « inspiré des mosquées de Fès », mais aussi parce qu’en 1922, c’est le grand vizir du royaume chérifien qui en pose la première pierre. Quatre ans de travaux plus tard, cerise sur le briouate, le bâtiment est inauguré par le président Gaston Doumergue, qui a convié comme invité d’honneur le sultan Moulay Youssef en personne – l’arrière-grand-père de Mohammed VI –, considéré comme le plus haut dignitaire musulman de l’Empire français.

Un alignement progressif

Logiquement, la tête de l’établissement est alors confiée à Kaddour Ben Ghabrit, un membre du Quai d’Orsay certes d’origine algérienne, mais chargé des relations entre Paris et la cour de Rabat sous le protectorat. À sa mort en 1954, il est remplacé par son neveu, Ahmed Ben Ghabrit, dont les sympathies nationalistes algériennes lui valent d’être vite remplacé, sur ordre du Premier ministre Guy Mollet, par Hamza Boubakeur, député SFIO des Oasis, une circonscription de l’Algérie française. C’est à ce moment-là que la Grande Mosquée rompt toute jonction avec le Maroc.

Depuis, l’institution du Quartier latin a été continuellement dirigée par des Algériens. En 1982, son lien avec Alger est même consolidé lorsque le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, autorise l’ancienne colonie, alors présidée par Chadli Bendjedid, à la financer directement. Né à Alger en 1954, Chems-Eddine Hafiz le nouveau recteur, ne déroge pas à la règle. Avocat de profession, il a, dès son installation à la Grande Mosquée en 2020, fait savoir sur la chaîne d’État Canal Algérie qu’il avait rendu visite au président Tebboune, ce qui, dans le contexte politique d’alors, signifie une allégeance au pouvoir face au mouvement populaire du Hirak (2019-2021). Il faut dire qu’au barreau de Paris, Hafiz a notamment compté parmi ses clients l’ambassade d’Algérie en France et le front Polisario, ce groupe séparatiste, soutenu par Alger, qui mène la lutte armée au Sahara occidental.

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Mais dans les médias français, celui qui est aussi le producteur de l’émission « Islam » sur France 2 s’est surtout fait connaître en représentant la Grande Mosquée dans les tribunaux, à l’occasion des actions intentées en 2002 contre Michel Houellbecq (qui avait déclaré dans Lire : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. ») puis en 2007 contre Charlie Hebdo, pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Deux procès perdus.

Malheureux dans les prétoires, Hafiz a davantage de succès en tant que chef communautaire, comme l’explique Didier Leschi1, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : « Son prédécesseur, Dalil Boubakeur, n’avait pu empêcher que l’islam marocain, représenté alors par la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), sorte vainqueur des premières élections du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 par le ministère de l’Intérieur pour représenter l’islam auprès des autorités. Depuis son investiture il y a cinq ans, le nouveau recteur a mené une efficace contre-offensive, en consolidant son réseau de mosquées d’obédience algérienne et en quittant le CFCM pour pouvoir apparaître comme le principal si ce n’est l’unique interlocuteur sérieux des pouvoirs publics. »

Une stratégie de reconquête bien rodée

Pour mener sa reconquista, Hafiz a su s’assurer de nouvelles sources de financements. En 2022, il a décroché le monopole de la certification halal sur les denrées européennes entrant en Algérie. Selon L’Opinion, la dîme ainsi versée obligatoirement par toutes les entreprises alimentaires et cosmétiques de l’Union souhaitant exporter vers Algérie rapporte 5 millions d’euros par an à la Grande Mosquée.

D’où vient tant d’aplomb ? Tout en prenant soin de se démarquer du djihadisme et du séparatisme – il vient notamment de demander que l’on prie pour la France à l’office du vendredi et a déclaré « si j’avais le pouvoir de sortir de prison Boualem Sansal, je le ferais » –, Hafiz occupe en réalité une place laissée vacante depuis qu’Alger a décidé, en signe de protestation suite à la lettre de Macron à Mohammed VI, de rappeler son ambassadeur à Paris. Faute de diplomate de haut rang dans notre pays, l’Algérie est désormais représentée officieusement en France par le recteur qui se décrit lui-même comme un « trait d’union » entre les deux pays.

Seulement aujourd’hui, Hafiz ne cherche plus uniquement à contrôler les âmes et l’alimentation de ses seules ouailles ou à jouer les diplomates du dimanche. Il prétend aussi diriger les consciences de l’ensemble des Français. Le 6 janvier dernier, le recteur a publié un communiqué pour condamner « certains groupuscules et idéologues extrémistes qui mènent une campagne sournoise pour tenter de déstabiliser la Grande Mosquée de Paris », avant de formuler cette hallucinante mise en demeure à l’adresse de la population de son pays d’accueil : « En ce début d’année, nous appelons tous les citoyens français à s’engager en faveur de l’apaisement, de l’unité et de la cohésion sociale pour lesquels les musulmans de France œuvrent au quotidien. » Non seulement, il s’agirait que nous lui obéissions, mais en plus que nous prenions sa communauté en modèle ! En France, aucune institution étrangère n’avait osé tenir un tel discours depuis… l’occupation allemande.

Ce grand dérangement: L’immigration en face

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  1. Dernier livre paru: Ce grand dérangement. L’immigration en face (Tract Gallimard) ↩︎

« Causeur » pour la vie

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Notre talentueuse contributrice Annabelle est une fidèle lectrice de Causeur. Suivant actuellement une chimiothérapie, elle nous raconte comment son magazine favori a failli être confisqué pour trouble à l’ordre public au sein d’un hôpital de province… Son témoignage nous a émus.


Nous sommes quatre femmes dans la pièce. Je les salue mollement et elles me répondent sans entrain. Aucune de nous n’a envie d’être là. Cette nouvelle journée de chimiothérapie, pourtant indispensable à notre survie, s’annonce interminable et douloureuse. J’observe mes compagnes d’infortune. Une jeune femme à peine majeure, probablement étudiante, a le regard rivé sur son téléphone portable et je devine, au geste machinal de son pouce, qu’elle y fait défiler de courtes vidéos. Une retraitée regarde par la seule fenêtre de la pièce, mains croisées sur ses genoux. Elle semble fascinée par le ballet incessant des voitures sur le gigantesque parking de l’hôpital.

Une fois mes perfusions en place, je m’installe confortablement puis dégaine avec une impatience non dissimulée le Causeur n°131 acheté la veille. Me voyant faire, la troisième femme, une quarantenaire dont j’apprendrai plus tard qu’elle était institutrice, dégaine de son sac à main un gros roman, l’ouvre, s’y absorbe quelques minutes seulement avant de le refermer en s’adressant à moi : « Vous arrivez à lire vous ? » Je soupire. Je n’ai pas envie de lui mentir. Non, c’est difficile. Souvent ma vue se trouble et je dois interrompre ma lecture pendant un long moment. Parfois je dois lire plusieurs fois le même paragraphe pour en saisir le sens mais je persévère malgré tout parce que les mots, que je les lise ou les écrive, c’est toute ma vie.

A lire aussi: De la «High-tech» à la «Right-tech»

« Causeur, c’est pas un magazine people ? », me demande la retraitée. « Non, ça c’est Closer !», lui répondis-je, légèrement vexée. Interpellée par la couverture, elle me demande de lui faire lecture de l’article sur Donald Trump. Je m’exécute avec un plaisir non dissimulé. Elles m’écoutent toutes deux religieusement avant de donner leur avis. Le débat est lancé. Très vite, elles requièrent la lecture d’un autre article qui donne de nouveau lieu à une vive discussion. Les esprits s’échauffent. Le ton monte. Je me fantasme en Élisabeth Lévy sur le plateau de Pascal Praud ou animant une table ronde à la manière de Sophie de Menthon. Mes voisines ne semblent pas m’en tenir rigueur. Il nous reste si peu de choses et, fort heureusement, le droit de rêver en fait partie.

À ma grande surprise, l’étudiante a posé son téléphone portable et semble désormais nous écouter avec intérêt. J’en profite pour l’interpeller, lui demandant son avis sur un sujet. Elle hésite un peu : « Je préfère rien dire parce que je suis pas d’accord !» Je crie presque malgré moi : « Raison de plus ! Explique-nous pourquoi ! » Elle se lance assez maladroitement et, faute de trouver facilement les mots pour exprimer sa pensée, dégaine son téléphone pour utiliser ChatGPT. L’institutrice lui adresse un regard si noir qu’elle interrompt son geste, soupire et fait une nouvelle tentative d’argumentation. La retraitée l’aide un peu et nous voilà désormais quatre à débattre des sujets d’actualité. Tendre revanche sur un monde qu’on pensait arrêté et qui croyait continuer sans nous !

La discussion bat son plein. Nos électrocardiogrammes s’affolent au point qu’une infirmière passablement énervée finit par faire irruption dans la pièce : « On peut savoir ce qui vous agite autant ? » De peur de me le faire confisquer, je m’empresse de cacher Causeur sous mes draps à la manière d’une petite fille fautive. « La vie ! c’est la vie qui nous agite ! », lui répond la retraitée avec une énergie qui nous surprend toutes. La nuit est tombée et nos traitements sont terminés. La jeune fille me confie en partant : « Vous savez, plus tard, je voudrais bien faire des études de sciences sociales. » Je l’y encourage tout en songeant que, statistiquement, seule la moitié des femmes de cette pièce réussiront à passer l’année. Quand vient mon tour de partir, je refuse poliment le brancard que l’ambulancier me présente. Non, ce soir, je me sens capable de marcher.

De l’IA faible à l’IA forte, y a-t-il un chemin ?

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"Wall-E", film de Andrew Stanton, 2008 © AP Photo/Disney Enterprises and Pixar Animation Studios)/NYET194/AP/SIPA

En s’améliorant et en devenant plus puissant, ChatGPT aura-t-il demain conscience de lui-même ? Vertige…


L’IA forte, que certains voient comme la prochaine révolution dans le domaine de l’intelligence artificielle, est aussi appelée intelligence artificielle générale dans la mesure où elle n’aurait aucune spécialisation, mais serait en mesure de résoudre tout problème de tout type qui lui serait proposé.

Cette possibilité, bien qu’encore hypothétique, n’apparaît pas totalement absurde. L’accroissement des capacités et des vitesses de calcul, couplé aux rapides progrès de l’informatique, voire à l’émergence un jour de l’informatique quantique, aboutira peut-être à l’émergence de cette IA « forte ». Une intelligence très proche de l’intelligence humaine, capable d’analyser des situations, de prendre des décisions, d’agir en toute autonomie face à un problème à résoudre, et bien sûr d’accumuler des connaissances et de se former de façon continue au travers de ses expériences.

Projection

Là où les choses semblent beaucoup plus spéculatives, voire de l’ordre du fantasme, c’est lorsque l’on imagine que cette nouvelle IA serait dotée d’émotions, voire de conscience d’elle-même. Il faut reconnaître que certains prennent la précaution de préciser qu’elle pourrait « imiter » des émotions.

Et c’est déjà ce que fait l’IA faible, type Chat GPT, lorsque nous dialoguons avec elle. Elle répond à nos questions, elle nous souhaite le bonjour, ou nous dit au revoir. En tout ce qui est de l’ordre du dialogue interpersonnel, elle imite presque parfaitement ce que dirait un interlocuteur réel. Ou plutôt, ce qu’elle dit pourrait être dit effectivement par un humain. Son comportement, ses réactions, ne nous surprennent jamais mais son personnage est « crédible ». Je dis « son personnage » dans la mesure où le phénomène psychologique de projection, qui nous amène parfois à croire que nous avons un interlocuteur réel, est tout simplement le même qui nous persuade que cette cantatrice qui tousse sur la scène de l’opéra, et nous chante sa souffrance, est vraiment au seuil de la mort, au point de nous tirer des larmes, que ce que nous voyons au théâtre ou au cinéma existe réellement, ici et maintenant, suscitant en nous (lorsque le spectacle est réussi) toute une gamme d’émotions.

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Tout cela bien sûr n’est qu’imitation mais « ça marche ». Et c’est d’ailleurs un phénomène qu’il faudrait peut-être aujourd’hui encore explorer, alors que tout le monde cogite sur le fonctionnement de l’intelligence. En tout cas ces exemples, bien connus, nous montrent pourquoi il n’y a rien d’extraordinaire à ce que quelqu’un tombe amoureux de son interlocuteur virtuel.

Par contre l’accès à la conscience, à la conscience de soi, et donc à la conscience d’être conscient, représente un saut non seulement technologique, mais aussi logique, ontologique, philosophique, absolument vertigineux, et peut-être totalement hors du champ de nos possibles.

Croire qu’il suffirait de pousser toujours plus loin les performances, la taille et la puissance de calcul des machines, pour aboutir à cette conscience consciente d’elle-même, serait certainement s’aveugler sur la complexité du problème. Nous ne savons en réalité que très peu de choses sur ce qu’est réellement la conscience réflexive. Mais nous en avons suffisamment d’intuition pour comprendre que cette éventualité n’est pas de l’ordre du saut technologique. Nous sommes devant un problème que peut-être aucun ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourra jamais résoudre.

Love robot

La difficulté apparaît évidente si l’on pense à la complexité du système psychique, à partir de ce qui touche à la fois à la conscience mais aussi à l’inconscient (au sens freudien) : le désir.

Si nous imaginons un robot doté d’une IA forte, qu’en est-il de son désir ? Comment et dans quelle histoire personnelle ce désir a-t-il pu se constituer ? Quel manque originel, quels ratés et quelles réussites de son histoire, quelles jouissances et quelles douleurs, ont créé progressivement ce qu’on pourrait appeler sa « personnalité » ? Sur la seule base de ces quelques questions on voit bien que la perspective d’une machine consciente peut sembler tout à fait inaccessible.

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Que serait cette « chose », aussi intelligente soit-elle, sans désir, sans manque, sans sentiments ni émotions, toutes choses indissociables les unes des autres. Toute cette trame affective, où se tisse une personnalité, ne peut se constituer que d’une histoire toute personnelle, faite de hasards, d’imprévus, de traumatismes, de jouissances, mais aussi d’héritages, de rencontres et de transmissions. Une machine dont la « personnalité » ne se serait pas constituée ainsi, que serait-elle ? Quelle serait sa « pulsion de vie » ? Voire sa pulsion de mort ? Sans caractère, sans état d’âme et, osons le mot, sans amour, d’où lui viendraient ses émotions, d’où tirerait-elle sa « conscience » ?

Les robots

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Le plaisir d’être trompé

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Charles Bouillon, Plus et objets en trompe-l'oeil, 1704 Studio Christian Baraja SLB

Pour fêter ses 90 ans, le musée Marmottan Monet réunit 90 œuvres en trompe-l’œil, du XVIᵉ siècle à nos jours. Ces morceaux de virtuosité brouillent les sens de perception du spectateur et démontrent que la peinture est capable d’une troisième dimension : imiter tous les objets et toutes les matières.


Les histoires de consentement et de tromperie ne finissent pas toujours dans des salles d’audience. Elles nous mènent quelquefois dans des salles de musée, en l’occurrence celles du musée Marmottan Monet, lequel fête ses 90 ans autour de 90 œuvres illusionnistes appelées trompe-l’œil. Derrière cette facétie anti-impressionniste, l’exposition « Le trompe-l’œil, de 1520 à nos jours » est un très bel hommage à l’art, à la virtuosité des artistes à travers les âges, au regard des créateurs, des collectionneurs, des conservateurs et, bien sûr, des visiteurs. Il n’est pas si fréquent de trouver plaisant d’être trompé, alors ne boudons pas notre plaisir.

Jean Pillement trompe-l’œil avec ruban turquoise © D.R. Cliquez sur les visuels pour les agrandir

Mystification

Le trompe-l’œil est une forme exacerbée de réalisme qui se définit d’abord par l’effet produit sur le spectateur. Mystifié par un ensemble de règles techniques (grandeur nature des éléments représentés dans leur intégralité, perspective réduite, usage spécifique du clair-obscur, disparition de tout ce qui renvoie à l’imaginaire du tableau comme les coups de pinceau et la signature de l’artiste à l’endroit attendu), le spectateur se croit dans un premier temps en face de l’objet réel et non de sa représentation. Cette porte de placard est une vraie porte de placard, cette vitrine de bibliothèque, ce rideau, ces livres, ces lettres, ces flacons, ces objets en tous genres paraissent plus vrais que nature. Ils sont en bois, en métal, en velours, en verre, en cuir et en marbre : on les touche du regard. Pour un peu, on tournerait la clé, on lirait les titres des livres, on jetterait un œil indiscret sur le courrier, on veillerait à ce que le violon et la flûte ne dégringolent pas de leur précaire équilibre. Le plaisir naît d’un second regard, moins précipité que le premier. On comprend la supercherie qui tient à une illusion de relief savamment obtenue grâce aux contrastes de lumière, à la taille des objets et l’absence d’horizon. Heureux comme des gosses devant un tour de magie, on rétablit à contrecœur la mince frontière qui sépare les choses de leur représentation. Notre admiration pour l’artiste est alors la forme que prend la déception de n’avoir pas pu donner vie plus longtemps à ces images si douées pour la réalité. C’est à ce moment précis que l’œuvre d’art illusionniste cesse d’être un leurre : elle devient ce qu’elle est, chose parmi les choses, mais qui parle d’elles et du regard qu’on leur porte.

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Le trompe-l’œil ne date pas d’hier. On se souvient de la fameuse histoire des grappes de raisin peintes par Zeuxis et picorées par de vrais oiseaux. Zeuxis avait un rival, un autre peintre nommé Parrhasios. Celui-ci peignit un jour un rideau sur l’un de ses tableaux : leurré par l’illusion, Zeuxis voulut tirer le rideau pour admirer l’œuvre qu’il semblait cacher. Dans cette course au réalisme, à une époque assez peu antispéciste, Parrhasios fut jugé supérieur à Zeuxis : il avait réussi à duper un peintre alors que son concurrent n’avait dupé que des oiseaux.

Les œuvres réunies au musée Marmottan Monet – certaines issues de la collection de Jules Marmottan (1829-1883) et de son fils Paul (1856-1932), d’autres provenant de diverses collections publiques et privées – prolongent les illusions de Zeuxis et Parrhasios. Du xvie siècle à nos jours, des vanités à l’hyperréalisme, des peintres virtuoses se spécialisent dans l’art de jouer avec nos sens et de nous faire prendre des images de lanternes pour des lanternes. Gerrit Dou (1613-1675) et Auguste-Victor Pluyette (1820-1870) peignent, eux aussi, des rideaux qu’on a envie de tirer ; Jean-François de Le Motte (1635-1685) un atelier où l’on aimerait fureter ; Giuseppe Crespi (1665-1747) une bibliothèque qu’on voudrait ordonner ; Cornelis Norbertus Gijsbrechts (1630-1683) des lettres décachetées qu’on aimerait lire ; Gaspard Gresly (1712-1756) et Étienne Moulinneuf (1706-1789) des gravures au verre brisé à réparer ; Henri Cadiou (1906-1989) une Joconde enveloppée d’un papier bleu vert partiellement déchiré qu’on souhaiterait déballer. Point commun entre tous ces artistes : montrer que la peinture est capable d’une troisième dimension, que les peintres peuvent imiter la sculpture, la gravure, la sanguine, l’estampe, la photographie et restituer le rendu rigoureux de toutes les matières, de l’encre des enveloppes au marbre des bas-reliefs. Dans un ouvrage publié en 1995, Henri Cadiou avertit ses contemporains biberonnés au carré blanc sur fond blanc : le trompe-l’œil requiert une discipline rigoureuse, une analyse des moindres détails de la matière et une technique depuis longtemps abandonnée pour entrave à la liberté d’expression. Faute d’école pour la lui enseigner, chaque artiste pratiquant ce genre de peinture devra fréquenter les œuvres des maîtres du passé, ajoute-t-il.

Odes aux objets

Au-delà de sa prouesse technique, le trompe-l’œil de chevalet est avant tout une ode au monde des objets : bâtons de cire, pinceaux, rubans, lettres, plumes, crânes, perles et coquillages, fruits et fleurs, instruments de musique, mais aussi torchons, caisses de rangement, cartons de déménagement, roue de vélo, boîtes aux lettres, pain de campagne ou pile de livres d’art. Ils sont posés à plat, sur le devant d’une étagère, suspendus à des clous, tenus par des cordelettes ou de fines lanières de cuir. Ils ont dit un temps la richesse matérielle et la vanité de la vie, la possession et le vide. Ils ont été investis de l’éclat de l’action et de la pensée des hommes.

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Mais les objets sont aujourd’hui sur la sellette. Ils nous embarrassent. Ils sont bons pour les collectionneurs, les bordéliques et les amateurs de Francis Ponge. On les veut pratiques, peu encombrants, légers, équitables, revendables, capables de s’autodétruire comme un sac de courses en papier recyclé sous une petite pluie normande ou une paille en carton à peine arrivé à mi-boisson. On leur préfère les fameuses expériences, sorties, voyages, balades, moments uniques en tous genres. Les temps sont à l’authenticité de l’instant, vêtus de similicuir et de polycoton. Notre monde s’est enfin débarrassé de ce que Jean Baudrillard nommait, dans Le Système des objets (1968), « l’étiquette et la théâtralité morale des choses ».

La plupart des objets présents dans les œuvres de l’exposition du musée Marmottan Monet sont aujourd’hui absents de nos vies. Les dernières lettres manuscrites ont été écrites par le personnage d’Adrien dans le film d’Albert Dupontel, Adieu les cons (2020). Les animaux empaillés, les carapaces de tortue, les massacres de cerfs et les coraux ont un peu moins la cote ces temps-ci : la terre est un musée vivant nommé planète, prière de préserver toutes les espèces, mis à part l’espèce humaine. Le quodlibet (littéralement « ce qui plaît », en latin) n’existe plus sous sa forme artistique de fouillis savamment organisé d’objets en tous genres ; la liste de nos envies, notre quodlibet contemporain, dépasse largement la joie de posséder une nature morte. Seules les grappes de raisin de Nicolas de Largillière (1656-1746) sont encore d’actualité, propriétés détox obligent.

Heureusement, on n’en reste pas moins très attaché au trompe-l’œil. On continue à aimer l’art illusionniste. Bibliothèques factices en lés de papier peint, bâches esthétiques camouflant joliment les façades en travaux d’immeubles prestigieux, sucreries chocolatées aux fines allures de saucisson, pâtisseries en forme d’éponges vert et jaune avec leur petite mousse de produit vaisselle plus vraie que nature : Zeuxis et Parrhasios n’ont qu’à bien se tenir. On aurait d’ailleurs aimé leur montrer nos grandes réussites de ces cinquante dernières années, nos œuvres virtuoses en quelque sorte – écoles trompe-l’œil, scène politique trompe-l’œil, espace public trompe-l’œil – pour nous assurer que l’illusion fonctionne encore avec le temps. À ce propos, pourrait-on remettre dans la rue, pêle-mêle, au milieu de la vie quotidienne, des rires d’enfants, des gens qui s’arrêtent pour se saluer et de jeunes couples qui s’embrassent fougueusement sur la bouche au beau milieu du trottoir comme si le reste du monde n’existait pas ? Histoire qu’on croie un peu à ce tableau du vivre-ensemble brossé à la va-vite par de bien mauvais artistes.

L’exposition aurait pu se terminer sur les photographies générées par l’intelligence artificielle. Des images plus vraies que nature de personnes, de lieux ou de situations qui pourraient exister mais n’existent pas : un sujet qui semble émouvoir la terre entière, mais qui n’est au fond que la poursuite du trompe-l’œil par d’autres moyens. Le parcours s’achève avec la technique du camouflage militaire, outil stratégique de dissimulation destiné à tromper l’œil de l’ennemi dans les combats et mis au point pendant la Première Guerre mondiale par des artistes, dont les peintres Lucien-Victor Guirand de Scévola (1871-1950) et Louis Guingot (1864-1948). Le camouflage : un bien beau sujet pour poursuivre la réflexion, assurément.

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À voir

« Le trompe-l’œil, de 1520 à nos jours », musée Marmottan Monet (2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris), jusqu’au 2 mars 2025.

Goldnadel moque les wokes

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Gilles-William Goldnadel © Hannah Assouline

Délaissant l’essai et le pamphlet, notre chroniqueur publie un roman de politique-fiction. Dans une France où Jean-Luc Mélenchon a pris le pouvoir et fait arrêter ses opposants, on suit les mésaventures d’un certain Gronadel face à l’idéologie LFiste. Un récit à la fois hilarant et effrayant.


Causeur. Contrairement à votre précédent ouvrage, qui était empreint d’inquiétude et de gravité, votre nouveau livre est un petit bijou de drôlerie. Pourquoi cette soudaine gaieté sous votre plume ? Auriez-vous retrouvé le moral ?

Gilles-William Goldnadel. Vous savez, le rire n’est pas forcément synonyme de bonheur chez moi… Si j’ai choisi d’injecter une certaine dose d’humour dans ce livre, c’est parce je ne voulais surtout pas assommer mon public avec un énième opus sur le wokisme. La plupart des essais parus sur le sujet sont excellents, mais le plus souvent ils vous tombent des mains. Aussi j’ai pensé qu’alterner, dans ma prose, les passages sérieux et les respirations comiques serait de bonne pédagogie.

De bonne pédagogie, carrément ?

Derrière la trame burlesque de mon récit, la pensée que je développe au fil des pages est parfaitement sérieuse et documentée. Il y a d’ailleurs une notice bibliographique en fin d’ouvrage qui indique toutes les publications savantes dont je me suis servi pour défendre mon héros, le dénommé Gronadel, face aux magistrats wokes qui, dans un futur proche et dystopique, l’accusent des pires crimes, notamment d’être hostile à l’immigration massive, d’afficher sa solidarité envers l’État d’Israël et de critiquer ouvertement l’écologie politique. Devant ses juges, Gronadel, qui assure lui-même sa défense, choisit une stratégie de rupture en s’ingéniant à leur montrer que leur idéologie pseudo-progressiste est bien pire que la sienne, puisqu’elle conjugue le racisme (antiblanc), l’antisémitisme (déguisé en antisionisme) et même, s’agissant de la question du réchauffement climatique, la négation pure et simple de la rationalité scientifique.

Vous y allez fort sur ce dernier point, non ?

Nullement ! Il y a quelques années, j’ai été taxé de rien moins que de « propos criminels » par Brune Poirson, alors secrétaire d’État à la Transition environnementale. Mon tort à ses yeux ? Avoir simplement osé m’interroger, en sa présence lors d’une émission sur LCI, sur la part exacte de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Une question interdite de cité dans les milieux autorisés. Quand on en vient à carrément criminaliser un esprit qui doute, la tentation totalitaire n’est plus bien loin.


Les mésaventures judiciaires de Gronadel font d’ailleurs parfois penser au procès Kravchenko.

C’est fait exprès. Je voulais rappeler que l’extrême gauche contemporaine est l’héritière d’une longue histoire et qu’elle n’a pas attendu Black Lives Matter, MeToo et le Nouveau Front populaire pour sévir sous nos latitudes. Évidemment la France n’est pas l’Union soviétique et ce que j’appelle « le privilège rouge » n’est pas institutionnel, mais juste culturel. Encore que, dans les médias du service public audiovisuel, ce sont bien les idées les plus radicales qui occupent tout l’espace, en toute impunité.

Parmi les délits d’opinion dont votre double, Gronadel, doit répondre, il y a son soutien à l’État juif. En lisant votre plaidoirie pro domo, certains seront toutefois surpris de constater que vous n’êtes pas fermé à la cause palestinienne. Souffrez-vous d’être indûment caricaturé en chantre du grand Israël ?

Si je devais me plaindre à chaque fois que les adversaires me présentent d’une façon malhonnête, je n’aurais plus le temps de faire rien d’autre ! Mes lecteurs de bonne foi savent que je n’ai jamais eu la religion des territoires et que j’ai toujours préféré, pour parler trivialement, « un petit chez-moi à un grand chez les autres ». D’autant que les Arabes de Palestine ont un excellent dossier, je veux dire que l’on peut comprendre leur inquiétude quand ils ont vu de nouveaux arrivants s’installer sur une terre où ils vivaient depuis des siècles. Hélas, ce bon dossier a été totalement perverti par un islamo-nationalisme destructeur, qui en son temps n’a pas hésité à s’allier avec Hitler et qui est encore aujourd’hui étranger à tout principe de compromis.

N’oubliez-vous pas un peu vite les accords d’Oslo ?

Non, je m’en souviens très bien. À l’époque, j’étais le président de l’Association France-Israël et je m’étais engagé pour cette solution à deux États, qui excluait donc d’implanter des populations juives en Cisjordanie et se contentait là-bas de bases de Tsahal aux fins d’établir un légitime glacis géostratégique. Mais si Oslo a capoté, c’est à cause de Yasser Arafat, qui a saboté le processus en laissant sortir de ses prisons les pires nervis antijuifs du Hamas. Il craignait sans doute de mettre en colère son camp en se montrant trop arrangeant avec Israël, et de finir assassiné par les siens, comme Anouar el-Sadate en 1981.

À lire aussi, Gilles-William Goldnadel : Des vessies pour des nazis

En vous lisant, on se demande parfois si vous n’êtes pas désespéré par la France au point d’envisager de vous installer un jour dans votre seconde patrie, Israël.

Détrompez-vous. J’ai bien l’intention de demeurer dans le pays qui m’a vu naître. Ne serait-ce que pour le défendre du bout de ma plume. Même si je comprends, bien sûr, ceux qui font un autre choix, effrayés qu’ils sont par la montée de l’antisémitisme. Cela dit, Israël n’est pas non plus un paradis. Le wokisme y fait également de grands ravages.

Les récentes victoires d’Israël face au Hamas et au Hezbollah vous rendent-elles optimiste pour ce pays ?

Cette affaire est trop tragique pour me transporter d’aise. Je pleure chaque jour les enfants arabes tués dans les combats. Ces malheureux sont morts à cause du seul Hamas, qui les utilise comme boucliers civils. Reste que je suis hanté par les paroles de Barbara : « Tant pis pour ceux qui s’étonnent, et que les autres me pardonnent, mais les enfants ce sont les mêmes, à Paris ou à Göttingen. » Cela étant posé, je ne vous cacherai pas non plus combien je suis fier de Tsahal. Ne serait-ce qu’à cause de son succès dans l’épopée des bipeurs. Israël a gagné une guerre militaire qu’elle ne devait pas perdre et a perdu une guerre médiatique qu’elle ne pouvait pas gagner.

Vous écrivez dans votre Journal d’un prisonnier que l’extrême gauche occidentale « est plus palestinienne que les Arabes de Palestine ». Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ce phénomène, j’ai été l’un des premiers à le dénoncer. Seulement je dois reconnaître que je n’avais pas prévu qu’il prendrait une telle ampleur. Jamais je n’aurais imaginé que les grandes ONG humanitaires et le parti principal de la gauche française reprendraient carrément à leur compte la rhétorique du Hamas. Et pas seulement pour des raisons électorales.

Pour quelle autre raison ?

Comme je l’ai théorisé dans mes Réflexions sur la question blanche en 2011, je professe que la gauche occidentale, obsédée par la figure de l’antéchrist blanc Adolf Hitler, est animée par une haine pathologique post-chrétienne envers les nations blanches, et que, à la faveur d’un incroyable retournement des valeurs, elle déteste encore davantage la nation juive, vue comme une nation blanche au carré.

Dans le futur que vous décrivez, la France est gouvernée par des islamo-gauchistes, qui interdisent carrément l’usage du second degré dans l’espace public. Mais n’avez-vous pas succombé à la même tentation en vitupérant Guillaume Meurice suite à sa mauvaise blague sur le prépuce de Benyamin Nétanyahou ? Ne faisait-il pas, lui aussi, du second degré ?

Ce que je reproche principalement à Meurice, c’est de rire la bouche uniquement en coin à gauche. S’il se moquait de tout le monde, cela ne me poserait aucun problème. Si après avoir chanté « Jésus est pédé », l’humoriste de France Inter Frédéric Fromet avait eu le courage de faire un sketch du même acabit sur Mahomet, j’aurais plus d’indulgence pour ses saillies blasphématoires.

Vous n’avez pas non plus tellement fait preuve d’aménité lorsqu’on a appris la mort de Jean-Marie Le Pen, qui lui aussi avait le sens du calembour choquant…

Je ne reprochais pas au fondateur du Front national son sens de l’humour. C’est au contraire quand il était sérieux qu’il me dérangeait. Je l’ai rencontré vers 1987, à sa demande, dans sa villa de Saint-Cloud. Déjà à cette époque, ses thèses sur l’immigration me parlaient. Et je supportais davantage son antisémitisme du passé, assez inoffensif, à l’antisémitisme autrement plus violent et sanglant des islamistes et de leurs alliés gauchistes en plein essor. Me voilà donc dans le bureau de Jean-Marie Le Pen. Il entreprend de m’expliquer qu’on lui fait un bien mauvais procès en le traitant de néonazi, lui qui n’est en rien responsable de la barbarie hitlérienne. En quoi il n’a pas tort. Seulement, je lui fais alors remarquer que, n’étant pas davantage responsable du goulag, il n’en a pas moins observé une minute de silence pour rendre hommage aux victimes du communisme sur le plateau de « L’Heure de vérité ». Pourquoi ne pas accomplir un même geste s’agissant de la Shoah ? Il m’a promis de réfléchir. Depuis, le point de détail… Quel gâchis ! Avec ses provocations antisémites, cet homme a perverti le légitime combat contre l’immigration massive et invasive dans notre pays, et nous a fait perdre un temps précieux. Si j’en veux à Jean-Marie Le Pen, ce n’est pas seulement parce que je suis juif, mais surtout parce que je suis français.

Gilles-William Goldnadel, Journal d’un prisonnier, Fayard, 2025.

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Robert Ménard: héros du bon sens

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Robert Ménard entouré d'élus venus le soutenir, hier à Montpellier © Alain ROBERT/SIPA

En refusant hier la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité qu’on lui proposait, le maire de Béziers prend un nouveau risque. Au tribunal de Montpellier, il a en effet refusé la sanction que lui proposait le parquet, après son refus de célébrer le mariage d’un Algérien sous OQTF – ce qui implique qu’il sera jugé ultérieurement par un tribunal correctionnel ! Il entend ainsi faire un exemple. De leur côté, les sénateurs discuteront jeudi d’un éventuel changement de la loi afin d’interdire le mariage quand l’un des époux est en situation irrégulière.


Aujourd’hui en France le simple bon sens est devenu enjeu de croisade. La justice – ou, si vous préférez ce qui en tient lieu – est venue chercher des poux dans la tête du maire de Béziers parce que, en 2023, il a refusé de célébrer le mariage d’un Algérien de 23 ans sous OQTF, c’est à dire les noces officielles d’un individu qui n’aurait jamais dû se trouver physiquement sur le sol de France, et encore moins se voir admis à franchir le seuil d’une mairie, ce temple laïque de notre République.

A lire aussi, du même auteur: Algérie: le président Tebboune nous fait la leçon

La liberté fondamentale du mariage en débat

Ce mardi, Robert Ménard était donc amené à se présenter devant le procureur de la République de Montpellier pour, je cite, « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Ainsi, s’il devait y avoir un coupable dans cette affaire, ce ne pouvait être que le maire. Coupable de quel grand crime? Entrave à la liberté fondamentale du mariage. Une de ces trouvailles balancées à la pelle par l’humanisme délirant de 1789, et bien sûr – comment pourrait-il en être autrement? – reprise, réaffirmée par la Cour Européenne des Droits de l’homme et défendue par nos sages un rien fatigués et ramollis du Conseil Constitutionnel, dont, cela soit dit en passant, pas un je crois ne laisserait sa fille épouser un clandestin, un OQTF, un sans papier, un radicalisé dûment identifié, etc, etc, car, oui, sachons-le bien, il n’y a que d’heureux élus au gai-gai marions-nous de nos délires. Tout doit impérativement s’effacer devant le bel amour conjugal. Il y a le tout à l’hymen comme il y a le tout à l’égout. Qu’importe la tonalité du mariage, gris, blanc. Cela est sans objet. On n’est pas regardant. Même deux sans papiers peuvent convoler. Au maire et à son administration de se débrouiller pour que cela ait les apparences d’une vraie union, légale, rigoureuse dans la forme. Une fois la mascarade bâclée, les doux époux auront tout le loisir de courir profiter de tous les avantages liés au mariage officiel dans notre pays, dont le rapprochement familial n’est évidemment pas le moindre. Pitoyable ! Cette noble institution ne serait donc plus qu’une pantomime? Mais à quoi bon s’arrêter à cela?

Robert Ménard risque jusqu’à cinq ans de prison

Voilà quelques années, à Chalon-sur-Saône, nous rapporte Le Figaro, le maire était lui aussi entré en résistance, refusant de célébrer les épousailles d’un Turc de quarante-deux ans – convaincu de violences conjugales et de menaces de mort à l’encontre de sa précédente épouse – avec une jeune Française de vingt ans. L’édile tint bon deux ans. Puis les autorités – les nôtres, celles de France, celles qui sont censées œuvrer en notre nom et pour le bien de la communauté – finirent par l’emporter. Le mariage fut célébré par une adjointe. Sans quoi le maire protestataire, tout comme Robert Ménard aujourd’hui, encourait une peine de cinq ans d’emprisonnement, de soixante-quinze mille euros d’amende assortie d’inéligibilité. Sévère, non ? C’est plus cher payé que bien des prouesses de la délinquance devenue très ordinaire de nos quartiers à machette et came.

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À l’initiative du sénateur centriste Stéphane Demilly, les sénateurs vont s’emparer du sujet. Des voix s’élèvent, qui prônent une législation nouvelle, enfin adaptée au réel. Une loi de bon sens. L’actuel garde ses Sceaux, Gérald Darmanin s’est déclaré favorable à une telle modification.  Ce n’était pas le cas voilà dix-huit mois. Il est de tradition qu’en politique les girouettes tournent. On le sait. Il reste à souhaiter qu’elles se grippent et se fixent dans le bon sens le temps de doter la France d’une loi enfin honorable sur ces sujets. Oui, honorable. Car brader nos institutions, dont celle du mariage, ne l’est guère.

Pour cela, peut-être pourrions-nous nous inspirer de l’Algérie. Lorsque Robert Ménard a lancé l’idée que les fiancés aillent se passer la bague au doigt en Algérie, on lui a aussitôt fait valoir que c’était impossible. La loi algérienne s’y opposerait farouchement au motif que la prétendante avait trois enfants d’une précédente union. On ne plaisante pas avec ces choses, là-bas. On ne fait pas de l’institution du mariage un vulgaire jeu de rôle. Chez nous, si ?

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Ukraine: une guerre pour rien?

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De gauche à droite : l'envoyé américain pour le Moyen-Orient Steve Witkoff, le secrétaire d'État Marco Rubio, le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, le ministre des Affaires étrangères d'Arabie saoudite, le prince Faisal bin Farhan al-Saud, le conseiller à la sécurité nationale Mosaad bin Mohammad al-Aiban, le conseiller en politique étrangère du président russe, Yuri Ushakov, et le ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov, assistant ensemble à une réunion à Diriyah, à Riyad, en Arabie saoudite, le mardi 18 février 2025 © UPI/Newscom/SIPA

Face à la nouvelle donne géopolitique imposée par MM. Trump et Poutine, où les États-Unis négocient seuls avec la Russie, les illusions européennes s’effondrent. Si l’Europe doit revoir sa protection sans les Américains, elle doit aussi réaliser que ce n’est en réalité pas la menace russe qui est la plus pressante, estime notre chroniqueur.


Les gueulards va-t-en-guerre promettaient l’effondrement de la Russie face à l’Ukraine réarmée. Ils le répétaient à longueur de débats, sur LCI plus qu’ailleurs. Or ces experts et militaires en retraite, imperméables au doute, se sont trompés. Ils participent aujourd’hui à l’humiliation de l’Europe défaite. Le bilan de leurs erreurs prévisibles, après trois ans d’un conflit frontalier meurtrier, est en effet effroyable. Mardi, c’est sous les auspices de l’Arabie saoudite que l’Américain Marco Rubio et le Russe Sergueï Lavrov ont ouvert le dossier ukrainien, dans la prolongation de la conversation téléphonique d’une heure trente de la semaine dernière, entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Le dialogue Russie / Etats-Unis rétabli

Le paria russe, qui rêvait de fédérer le Sud global contre l’Occident décadent, a réussi sa déstabilisation de l’ordre mondial, avec l’appui des États-Unis qui espèrent, eux, affaiblir le lien entre la Russie et la Chine. En attendant, la victoire de Poutine est double : il a remporté la guerre, et exclu l’Europe et l’Ukraine des premières négociations. Dans son tête-à-tête avec Trump, Poutine a rétabli la Russie pestiférée au rang de grande puissance mondiale. L’autocrate brandit la défaite de l’Ukraine, qui ne recouvrera pas ses territoires perdus ni n’entrera dans l’Otan. Au bout du compte, et après près d’un million de morts et de blessés de part et d’autre parait-il, cette guerre n’aura servi à rien. Conduite en apparence par Volodymyr Zelensky, elle se révèle avoir été téléguidée par les anglo-saxons, États-Unis en tête. Le dialogue Trump-Poutine est l’aveu de l’ingérence de la précédente administration Biden dans cet affrontement qui aurait dû rester régional.

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Dindons de la force

Le désastre humain est révoltant. Le gâchis économique est énorme. Et les Européens apparaissent, pour n’avoir pas réfléchi à une stratégie lisible et autonome, comme les « dindons de la farce » (Pierre Lellouche, Le Figaro). Il ne s’agit pas de reprocher le revirement de l’Union européenne, qui a vite troqué il y a trois ans son traditionnel discours « pas-de-vaguiste » pour celui de la fermeté, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022. Dans un monde de carnivores, les herbivores sont voués à disparaître. Reste que cette théâtrocratie belliciste s’est épargnée de définir clairement les buts de la guerre et les moyens de sortir d’un piège mortel. L’Europe et les commentateurs en chaises longues ont encouragé de loin les Ukrainiens à résister au frère ennemi russe, sans laisser de place à la diplomatie. C’est le sulfureux prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman qui s’est invité comme arbitre, dans un rôle qui aurait dû revenir à la France si elle n’avait pas été illisible dans ses palinodies « escalatoires » et ses menaces infantiles (Bruno Le Maire, en mars 22 : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe »).

Aujourd’hui encore, Emmanuel Macron affirme que la Russie « constitue une menace existentielle pour l’Europe »1, tout en épargnant l’Algérie et ses provocations agressives contre la France. Si la nation est menacée dans son existence, c’est par l’islam colonisateur laissé en paix. L’Europe risque de sortir de l’histoire, à cause de dirigeants émotifs, qui ne pensent pas plus loin que le bout de leur nez.


  1. https://www.leparisien.fr/politique/manoeuvres-sur-lukraine-entre-trump-et-poutine-la-grande-explication-de-macron-18-02-2025-M4QDAYQEGRB27KJS6XXOS6NOJU.php ↩︎

États-Unis: les sinistres, mais prévisibles, conséquences de la suppression du droit à l’avortement

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Manifestation marquant le deuxième anniversaire de l’interdiction de l’avortement, devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, le lundi 24 juin 2024 © Bill Clark/CQ-Roll Call/Sipa USA/SIPA

Maggie Carpenter, une médecin new-yorkaise, fait face à des poursuites au Texas et en Louisiane pour avoir prescrit des pilules abortives à des patientes dans ces États aux lois strictes sur l’avortement. Le Texas lui a infligé une amende de 100 000 $ pour prescription illégale via télémédecine, tandis que la Louisiane a carrément émis un mandat d’arrêt, mais la gouverneure de New York, Kathy Hochul, refuse son extradition.


C’est l’affrontement entre le Texas et la Louisiane d’une part, et l’État de New York d’autre part. Entre la barbarie et la civilisation.

Est en cause la docteure Maggie Carpenter, médecin à New York, qui, par son réseau de télémédecine, a prescrit des pilules abortives à des patientes résidant dans ces deux États sudistes, où l’interdiction de l’avortement ne comporte aucune exception en cas de viol et d’inceste.

Un juge-mollah texan vient de la condamner par contumace au paiement d’une amende de 100 000$, plus les frais de justice. Cependant, le ministère public n’avait pas engagé de poursuite pénale.

Par contre, en Louisiane, ce laxisme judiciaire est impensable et la Dr. Carpenter, contre qui un mandat d’arrêt a été lancé, est passible d’une amende de 200 000$ et d’une peine d’emprisonnement de 15 ans pour avoir prescrit une telle pilule à une mineure enceinte. La gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, vient de rejeter la demande d’extradition présentée par le gouverneur-ayatollah Jeff Landry; elle avait fait adopter une « loi-bouclier » (« shield law » en v.o.) protégeant les médecins respectant le serment d’Hippocrate, dans la foulée de la trahison des femmes commise par la Cour suprême.

Un peu d’histoire constitutionnelle américaine

Le 24 juin 2022, à l’occasion de l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, six « taupes » du Vatican à la Cour suprême américaine répudient la jurisprudence Roe v. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement et soumettent désormais les femmes, surtout issues des minorités, à un nouvel esclavage.

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La cour, en substance, sous la fielleuse plume de Samuel Alito, reprend onctueusement la jésuitique et pseudo-démocratique formule du défunt et regretté catholique juge Antonin Scalia : puisque le droit à l’avortement n’est pas spécifiquement mentionné dans la Constitution, il s’agit tout simplement de rendre aux États le pouvoir de légiférer en la matière, ni plus, ni moins. L’enfance (si l’on ose dire) de l’art. On notera la visqueuse rouerie du juge Alito qui soutient, sans rire, que cette décision n’a aucune incidence sur la jurisprudence protégeant d’autres droits. Quant au juge Kavanaugh, il ajoute, sans rire non plus, que rien ne touche des droits comme la contraception et le mariage.

C’était là feindre d’ignorer que, notamment en droit anglo-saxon, le raisonnement analogique résonne quotidiennement dans les salles d’audience : nul juge n’a le pouvoir d’imposer des limites à la portée de son enseignement jurisprudentiel aux juges ultérieurs. Et d’ailleurs, ils sont directement contredits à ce sujet par le juge Clarence « Uncle Tom » Thomas, lequel, par son opinion concordante, lance un appel au réexamen de la jurisprudence autorisant le droit à la contraception, aux relations et au mariage homosexuels.

(Bizarrement, le juge Alito approuve la jurisprudence Loving v. Virginia, laquelle, en 1967, avalisa les mariages interraciaux, pourtant nullement mentionnés dans la Constitution, même après avoir reconnu que l’intention des auteurs du 14e amendement promulgué en 1868 n’était nullement d’autoriser de telles unions, aussi répugnantes que l’avortement. Comprendra qui peut cette entorse à la volonté démocratique. Une petite fleur lancée à Uncle Tom et sa conjointe blanche Ginni, activiste pro-Trump ?)

Le juge associé de la Cour suprême Clarence Thomas, à droite, et son épouse Virginia « Ginni » Thomas arrivent pour un dîner d’État, Washington, 20 septembre 2019 © Patrick Semansky/AP/SIPA

Les conséquences de la jurisprudence Dobbs ne se sont donc pas fait attendre…

À partir de mars 2023 (neuf mois après l’arrêt Dobbs), il y a obligatoirement eu une dramatique surcharge des maternités vu l’afflux de bébés consanguins provenant des villages du bayou, encore qu’ils feront d’excellents joueurs de banjo dans quelques années, comme le savent déjà les cinéphiles avertis.

Il y a déjà la renaissance (si l’on ose dire) du “Underground railroad” qui, au XIXe siècle, faisait passer les esclaves en fuite vers le Canada. En effet, certains États américains civilisés (et le Canada) sont prêts à accueillir les femmes opprimées par les États rednecks et leur assurer un avortement médicalement fiable. Grâce aux progrès de la science médicale, il y a heureusement nettement moins d’avortements chirurgicaux, mais ils sont encore souvent incontournables. Et vu la hargne des adversaires de l’avortement illustrée par les récents développements texans et louisianais, on peut s’attendre à la criminalisation des malheureuses préparant un déplacement vers un État libre, même si le juge Kavanaugh se veut rassurant : « à son humble avis » (en v.f., sic), il ne voit dans la doctrine Dobbs nulle atteinte à la liberté de circulation interétatique, même s’il s’agit d’obtenir un avortement.

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On répondra d’abord que ce droit, résultant d’une construction purement jurisprudentielle (il ne figure pas non plus en toutes lettres dans la constitution américaine) est lui-même mal défini…

De toute manière, nul doute que les législateurs machistes et imaginatifs trouveront toujours de solides arguments pour réprimer efficacement les préparatifs d’un crime à commettre et un crime perpétré dans un autre État par leurs résidentes. Ils pourront s’inspirer de la High Court irlandaise qui, en 1994, interdit, par injonction, à une gamine de 14 ans (quand même nubile depuis très longtemps, selon la sharia), enceinte des œuvres d’un violeur, à se rendre au Royaume-Uni pour y faire interrompre sa grossesse.

Mais admettons qu’il s’agit d’un vœu plus que pieux.

Parlant d’analogie, on pense à l’arrêt Missouri ex rel. Gaines de 1938. L’État du Missouri n’avait pas de faculté de droit pour les Noirs, mais offrait généreusement de payer leurs frais de scolarité s’ils s’inscrivaient dans une faculté d’un État voisin. Cependant, la Cour suprême a alors décidé que les citoyens noirs (un oxymore à l’époque où… America was great) avaient le droit de recevoir leur éducation juridique dans leur propre État et ordonna l’admission de Gaines à l’université du Missouri.

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Pourtant, la Cour suprême enseigne aujourd’hui que la gamine de 11 ans, dont le bassin est en voie de consolidation, enceinte suite à la série de viols perpétrés par ses oncles, cousins et le pasteur de son église pentecôtiste, ainsi que la porteuse adulte d’un fœtus non viable potentiellement encore plus létal qu’une tumeur cancéreuse (nul espoir de rémission), n’ont pas forcément droit aux services médicaux nécessaires de leur choix dans leur propre État de résidence. Au mieux, le juge Brett “Bluto” Kavanaugh (dont le parcours étudiant évoque parfois, en plus glauque cependant, le film “Animal House”), accorde gracieusement aux États où ont cours les valeurs humanistes le droit de se faire refiler… le bébé.

Chose certaine, dans les anciens États esclavagistes américains, l’utopie gynécologique de Nicolas Ceausescu est devenue réalité le 24 juin 2022.

Bruno Retailleau mettra-t-il ses pas dans ceux de Sarko?

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Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau après une réunion en marge de former un nouveau gouvernement, Paris, 19 septembre 2024 © Jeanne Accorsini/SIPA

Depuis la fin du quinquennat Sarkozy, la droite LR est en perte de vitesse. Et surtout, il manque à sa tête une personnalité forte et fière de ses convictions… Bruno Retailleau, qui vient d’annoncer sa candidature à la présidence de son parti, laissera-t-il tout le monde sur le carreau ? De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon se brouille avec les socialistes.


Il y a eu l’indépassable campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et nous avons maintenant en 2025 la renaissance d’une droite authentique (avec, pour définition essentielle, de n’être plus gangrenée par une mauvaise conscience instillée par la gauche) grâce à Bruno Retailleau.
Pour l’un, de formidables espérances déçues partiellement par le quinquennat. Pour l’autre, une résolution et une action tellement attendues qu’elles l’ont placé très vite en tête des sondages.
On me pardonnera ce nouveau texte consacré au ministre de l’Intérieur : je ne fais pas l’actualité, c’est elle qui fait mes billets !

Retailleau, un homme de conviction

Bruno Retailleau, chaque jour un peu plus percutant, sûr de sa vision – et déjà de quelques résultats – de la droite, a précisé que « le temps n’est plus à l’eau tiède ». Ce qui ne signifie pas qu’il faille s’abandonner à une eau sans intelligence.

Couverture du Parisien du 16 février 2025 © D.R.

Si je devais donner un exemple de la constance de la pensée politique, sociale et culturelle de Bruno Retailleau, je demanderais à tous ceux qui n’ont pas connu le parcours du sénateur, puis du ministre, dorénavant du candidat à la présidence des Républicains, d’écouter mon « Philippe Bilger… les soumet à la question » en date du 23 juin 2020. Il y démontre une adhésion et une fidélité permanentes à une droite « patriote et populaire », avec une prise de conscience précoce de l’importance du combat culturel. Au fond, reprendre à la gauche des notions, des concepts, des principes qu’elle s’est abusivement appropriée, au fil du temps et de l’Histoire.
Tout serait à citer dans ce dialogue duParisien où Bruno Retailleau précise les raisons, pourtant évidentes, de sa confrontation à venir avec Laurent Wauquiez et répond par avance à quelques critiques.
L’idée qu’il y aurait eu un « deal » entre les deux est balayée aisément. Laurent Wauquiez était si peu préoccupé par la refondation du parti qu’à un certain moment il était prêt à l’oublier pour devenir ministre.

À lire aussi : Retailleau vs Wauquiez : de quel homme fort la droite a-t-elle besoin ?

Ce n’est pas créer une guerre fratricide que de tenir à porter la voix d’une droite à la fois libre, inventive et morale, de la vouloir attachée au lien nécessaire entre les idées et les mots et aux actes pour les concrétiser, de la savoir impuissante si des tempéraments et des caractères n’assument pas ce qu’elle doit avoir d’exigeant et d’exemplaire pour la sauvegarde de notre pays.
En gros, le spécialiste des refus d’obstacles et des coups fourrés et, en face, une austérité intègre et véridique quoi qu’il en coûte. Si Bruno Retailleau n’est pas élu pour présider, son destin et son futur seront scellés pour le pire par Laurent Wauquiez.

La droite fière et intelligente est de retour

J’apprécie la démarche du ministre qui d’une certaine manière s’inscrit dans un conseil prodigué par Nicolas Sarkozy : la droite doit s’élargir le plus possible, des gens de gauche séduits – il y en a et ce n’est pas l’entretien de Jean-Luc Mélenchon dans La Tribune Dimanche qui les fera revenir – aux macronistes et aux droites plus extrêmes. Il n’est pas indifférent que le Rassemblement national s’en prenne presque exclusivement à Bruno Retailleau, comme s’il avait compris qu’il y avait là un adversaire bien plus dangereux que s’il se consacrait exclusivement à la sécurité.
Bruno Retailleau prend la peine également de répliquer à un grief trop entendu : il ne serait qu’un homme du verbe. D’une part il énonce les résultats qu’il a déjà obtenus et d’autre part je rappelle qu’il ne dispose pas de tous les pouvoirs, qu’il est contraint de solliciter l’énergie et le volontarisme des autres, par exemple ceux du président (par exemple dans les rapports avec l’Algérie), jamais acquis.
Je voudrais terminer par la crainte la plus ridicule quand on a la chance de pouvoir observer, comme moi, tout ce qu’il accomplit sur le plan politique et ses réactions quand il est sollicité par ailleurs. Je déteste, dans la classe politique, dans les médias, dans ma vie personnelle, les lents, les absents, les négligents, ceux qui ne répondent jamais. Pour moi, où que ce soit, par qui que ce soit, c’est de la grossièreté. Avec Bruno Retailleau, je le répète, je n’ai pu qu’admirer l’inverse : une réactivité sans pareille.
Ministre et président de LR ne sera pas un jeu d’enfant. On peut être assuré que Bruno Retailleau non seulement ne sera pas dépassé mais fera servir chacune de ces deux missions au soutien de l’autre. Dix-huit ans après Nicolas Sarkozy, la droite fière et intelligente est de retour. Pas en promesse, en vrai.

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Stéphane Amyot, un premier roman fort prometteur

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Stéphane Amyot, février 2025 © D.R.

Passionné de cinéma, le Vosgien Stéphane Amyot sort son premier roman. Un coup d’essai qui se révèle un coup de maître.


Stéphane Amyot. Retenez ce nom. Il vient de sortir son premier roman, Attrape ma main, aux éditions du Lys Bleu. Et ce roman est bon, voire très bon. D’abord, il échappe aux écueils des primo-romanciers qui, trop souvent, veulent faire littéraire, sonner poétique, démontrer un style. Or, le style ne se démontre pas comme une formule mathématique ; il se ressent. Stéphane Amyot écrit simple, direct, sans affèteries ; c’est agréable à une époque où les pathétiques clones de Céline ou les copieuses égotistes d’Annie Ernaux, encombrent les maisons d’édition. Il sait aussi raconter ; son texte, tissé de flash-back, de ruptures volontaires, crée, avec naturel, son effet. Il possède également l’art de donner vie à des personnages singuliers et crédibles.

Deux êtres brisés

Que nous raconte ce Vosgien, né à Remiremont, passionné de séries et de films américains ? Il nous invite à suivre les pas de Tom Matthews, un quadragénaire californien, sosie de l’acteur et réalisateur David Boreanaz, homme d’affaires à qui tout réussit, jusqu’au jour où sa vie se brise contre un drame : Chelsea, son épouse adorée, et Déborah, sa fille de cinq ans, tout autant aimée, se noient sur une plage de Gérone, en Espagne. Il ne s’en remet pas, sombre dans une profonde dépression et dans l’alcool par la même occasion. Des idées anthracites le minent. Il parvient à retrouver un peu d’espoir lorsqu’il fait la connaissance de Carolina, Laynara de son vrai prénom, jeune prostituée brésilienne, prisonnière d’un réseau mafieux. Faire connaissance ? C’est peu dire, car c’est en voulant la défendre alors qu’elle se fait tabasser par une espèce d’ordure, qu’il la rencontre. Coup de foudre immédiat, amourn fou. Mais, on s’en doute, ce ne sera pas simple. Enlèvements, poursuites, échanges de coups, menaces, autant de scènes palpitantes qui ne cessent de mettre en péril les amours blessées de ces amants potentiels aux fêlures profondes : « Ce soir, ces deux êtres brisés par les épreuves de la vie se rapprochaient, deux cœurs tourmentés par un tragique destin. » Tom ne parvient pas à oublier Chelsea et Déborah ; Laynara, enlevée, séquestrée, maltraitée puis placée dans le circuit délétère de la prostitution, s’ennuie de sa famille brésilienne. Parviendront-ils à s’en sortir ? Rien n’en moins sûr.
Un court roman rondement mené dans lequel, jamais, on ne s’ennuie. C’est essentiel.


Attrape ma main, Stéphane Amyot ; Le Lys Bleu ; 183 p.

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Grande Mosquée de Paris: l’autre ambassade d’Algérie

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Le minaret de la Grande Mosquée de Paris © ADIL BENAYACHE/SIPA

Depuis l’entrée en fonction du recteur Chems-Eddine Hafiz, la Grande Mosquée de Paris est plus que jamais le porte-voix du régime algérien. Son patron, qui a aussi la mainmise sur la certification halal, estime que tous les Français devraient prendre sa communauté pour modèle.


« Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. » C’est par ces quelques mots, adressés dans une lettre officielle à Mohammed VI en juillet dernier, qu’Emmanuel Macron a déclenché la plus grave crise diplomatique que la France ait jamais connue avec l’Algérie. Pouvait-il se douter que le régime du président Tebboune, en rétorsion, laisserait carrément arrêter un écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, retenu depuis en otage (il n’y a pas d’autre mot) dans une prison à Alger au seul motif qu’il reconnaît lui aussi, la « marocanité » de l’ancienne Afrique occidentale espagnole ?

La missive présidentielle qui a mis le feu aux poudres ne fait toutefois pas cas d’un autre territoire disputé entre le Maroc et l’Algérie. Un territoire certes minuscule, mais ô combien symbolique et stratégique : la Grande Mosquée de Paris. Érigée juste après la Grande Guerre par la IIIe République pour rendre hommage aux 70 000 soldats musulmans (tirailleurs algériens et tunisiens, goumiers marocains, méharistes et spahis), qui venaient alors de tomber pour la France, elle est, avec son minaret de 33 mètres de haut, la première mosquée construite en Occident depuis la chute du royaume musulman de Grenade en 1492.

À l’origine, tout la raccorde au Maroc. Non seulement parce que ses plans, superbes, sont signés par Maurice Tranchant de Lunel, qui s’est « inspiré des mosquées de Fès », mais aussi parce qu’en 1922, c’est le grand vizir du royaume chérifien qui en pose la première pierre. Quatre ans de travaux plus tard, cerise sur le briouate, le bâtiment est inauguré par le président Gaston Doumergue, qui a convié comme invité d’honneur le sultan Moulay Youssef en personne – l’arrière-grand-père de Mohammed VI –, considéré comme le plus haut dignitaire musulman de l’Empire français.

Un alignement progressif

Logiquement, la tête de l’établissement est alors confiée à Kaddour Ben Ghabrit, un membre du Quai d’Orsay certes d’origine algérienne, mais chargé des relations entre Paris et la cour de Rabat sous le protectorat. À sa mort en 1954, il est remplacé par son neveu, Ahmed Ben Ghabrit, dont les sympathies nationalistes algériennes lui valent d’être vite remplacé, sur ordre du Premier ministre Guy Mollet, par Hamza Boubakeur, député SFIO des Oasis, une circonscription de l’Algérie française. C’est à ce moment-là que la Grande Mosquée rompt toute jonction avec le Maroc.

Depuis, l’institution du Quartier latin a été continuellement dirigée par des Algériens. En 1982, son lien avec Alger est même consolidé lorsque le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, autorise l’ancienne colonie, alors présidée par Chadli Bendjedid, à la financer directement. Né à Alger en 1954, Chems-Eddine Hafiz le nouveau recteur, ne déroge pas à la règle. Avocat de profession, il a, dès son installation à la Grande Mosquée en 2020, fait savoir sur la chaîne d’État Canal Algérie qu’il avait rendu visite au président Tebboune, ce qui, dans le contexte politique d’alors, signifie une allégeance au pouvoir face au mouvement populaire du Hirak (2019-2021). Il faut dire qu’au barreau de Paris, Hafiz a notamment compté parmi ses clients l’ambassade d’Algérie en France et le front Polisario, ce groupe séparatiste, soutenu par Alger, qui mène la lutte armée au Sahara occidental.

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Mais dans les médias français, celui qui est aussi le producteur de l’émission « Islam » sur France 2 s’est surtout fait connaître en représentant la Grande Mosquée dans les tribunaux, à l’occasion des actions intentées en 2002 contre Michel Houellbecq (qui avait déclaré dans Lire : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. ») puis en 2007 contre Charlie Hebdo, pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Deux procès perdus.

Malheureux dans les prétoires, Hafiz a davantage de succès en tant que chef communautaire, comme l’explique Didier Leschi1, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : « Son prédécesseur, Dalil Boubakeur, n’avait pu empêcher que l’islam marocain, représenté alors par la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), sorte vainqueur des premières élections du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 par le ministère de l’Intérieur pour représenter l’islam auprès des autorités. Depuis son investiture il y a cinq ans, le nouveau recteur a mené une efficace contre-offensive, en consolidant son réseau de mosquées d’obédience algérienne et en quittant le CFCM pour pouvoir apparaître comme le principal si ce n’est l’unique interlocuteur sérieux des pouvoirs publics. »

Une stratégie de reconquête bien rodée

Pour mener sa reconquista, Hafiz a su s’assurer de nouvelles sources de financements. En 2022, il a décroché le monopole de la certification halal sur les denrées européennes entrant en Algérie. Selon L’Opinion, la dîme ainsi versée obligatoirement par toutes les entreprises alimentaires et cosmétiques de l’Union souhaitant exporter vers Algérie rapporte 5 millions d’euros par an à la Grande Mosquée.

D’où vient tant d’aplomb ? Tout en prenant soin de se démarquer du djihadisme et du séparatisme – il vient notamment de demander que l’on prie pour la France à l’office du vendredi et a déclaré « si j’avais le pouvoir de sortir de prison Boualem Sansal, je le ferais » –, Hafiz occupe en réalité une place laissée vacante depuis qu’Alger a décidé, en signe de protestation suite à la lettre de Macron à Mohammed VI, de rappeler son ambassadeur à Paris. Faute de diplomate de haut rang dans notre pays, l’Algérie est désormais représentée officieusement en France par le recteur qui se décrit lui-même comme un « trait d’union » entre les deux pays.

Seulement aujourd’hui, Hafiz ne cherche plus uniquement à contrôler les âmes et l’alimentation de ses seules ouailles ou à jouer les diplomates du dimanche. Il prétend aussi diriger les consciences de l’ensemble des Français. Le 6 janvier dernier, le recteur a publié un communiqué pour condamner « certains groupuscules et idéologues extrémistes qui mènent une campagne sournoise pour tenter de déstabiliser la Grande Mosquée de Paris », avant de formuler cette hallucinante mise en demeure à l’adresse de la population de son pays d’accueil : « En ce début d’année, nous appelons tous les citoyens français à s’engager en faveur de l’apaisement, de l’unité et de la cohésion sociale pour lesquels les musulmans de France œuvrent au quotidien. » Non seulement, il s’agirait que nous lui obéissions, mais en plus que nous prenions sa communauté en modèle ! En France, aucune institution étrangère n’avait osé tenir un tel discours depuis… l’occupation allemande.

Ce grand dérangement: L’immigration en face

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  1. Dernier livre paru: Ce grand dérangement. L’immigration en face (Tract Gallimard) ↩︎

« Causeur » pour la vie

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DR.

Notre talentueuse contributrice Annabelle est une fidèle lectrice de Causeur. Suivant actuellement une chimiothérapie, elle nous raconte comment son magazine favori a failli être confisqué pour trouble à l’ordre public au sein d’un hôpital de province… Son témoignage nous a émus.


Nous sommes quatre femmes dans la pièce. Je les salue mollement et elles me répondent sans entrain. Aucune de nous n’a envie d’être là. Cette nouvelle journée de chimiothérapie, pourtant indispensable à notre survie, s’annonce interminable et douloureuse. J’observe mes compagnes d’infortune. Une jeune femme à peine majeure, probablement étudiante, a le regard rivé sur son téléphone portable et je devine, au geste machinal de son pouce, qu’elle y fait défiler de courtes vidéos. Une retraitée regarde par la seule fenêtre de la pièce, mains croisées sur ses genoux. Elle semble fascinée par le ballet incessant des voitures sur le gigantesque parking de l’hôpital.

Une fois mes perfusions en place, je m’installe confortablement puis dégaine avec une impatience non dissimulée le Causeur n°131 acheté la veille. Me voyant faire, la troisième femme, une quarantenaire dont j’apprendrai plus tard qu’elle était institutrice, dégaine de son sac à main un gros roman, l’ouvre, s’y absorbe quelques minutes seulement avant de le refermer en s’adressant à moi : « Vous arrivez à lire vous ? » Je soupire. Je n’ai pas envie de lui mentir. Non, c’est difficile. Souvent ma vue se trouble et je dois interrompre ma lecture pendant un long moment. Parfois je dois lire plusieurs fois le même paragraphe pour en saisir le sens mais je persévère malgré tout parce que les mots, que je les lise ou les écrive, c’est toute ma vie.

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« Causeur, c’est pas un magazine people ? », me demande la retraitée. « Non, ça c’est Closer !», lui répondis-je, légèrement vexée. Interpellée par la couverture, elle me demande de lui faire lecture de l’article sur Donald Trump. Je m’exécute avec un plaisir non dissimulé. Elles m’écoutent toutes deux religieusement avant de donner leur avis. Le débat est lancé. Très vite, elles requièrent la lecture d’un autre article qui donne de nouveau lieu à une vive discussion. Les esprits s’échauffent. Le ton monte. Je me fantasme en Élisabeth Lévy sur le plateau de Pascal Praud ou animant une table ronde à la manière de Sophie de Menthon. Mes voisines ne semblent pas m’en tenir rigueur. Il nous reste si peu de choses et, fort heureusement, le droit de rêver en fait partie.

À ma grande surprise, l’étudiante a posé son téléphone portable et semble désormais nous écouter avec intérêt. J’en profite pour l’interpeller, lui demandant son avis sur un sujet. Elle hésite un peu : « Je préfère rien dire parce que je suis pas d’accord !» Je crie presque malgré moi : « Raison de plus ! Explique-nous pourquoi ! » Elle se lance assez maladroitement et, faute de trouver facilement les mots pour exprimer sa pensée, dégaine son téléphone pour utiliser ChatGPT. L’institutrice lui adresse un regard si noir qu’elle interrompt son geste, soupire et fait une nouvelle tentative d’argumentation. La retraitée l’aide un peu et nous voilà désormais quatre à débattre des sujets d’actualité. Tendre revanche sur un monde qu’on pensait arrêté et qui croyait continuer sans nous !

La discussion bat son plein. Nos électrocardiogrammes s’affolent au point qu’une infirmière passablement énervée finit par faire irruption dans la pièce : « On peut savoir ce qui vous agite autant ? » De peur de me le faire confisquer, je m’empresse de cacher Causeur sous mes draps à la manière d’une petite fille fautive. « La vie ! c’est la vie qui nous agite ! », lui répond la retraitée avec une énergie qui nous surprend toutes. La nuit est tombée et nos traitements sont terminés. La jeune fille me confie en partant : « Vous savez, plus tard, je voudrais bien faire des études de sciences sociales. » Je l’y encourage tout en songeant que, statistiquement, seule la moitié des femmes de cette pièce réussiront à passer l’année. Quand vient mon tour de partir, je refuse poliment le brancard que l’ambulancier me présente. Non, ce soir, je me sens capable de marcher.