Manifestation de l'organisation PETA, Berlin, mai 2016
Il n’y a pas de viande heureuse. Vous autres, amateurs de nourriture carnée, soutenez le contraire en évoquant ces joyeux moments passés à partager une côte de bœuf entre amis. Comme s’il était impossible de rigoler autour d’un gâteau à la caroube préparé en l’honneur de nos deux chiens, qui viennent de fêter leur anniversaire… Tous nigauds, les végétariens ? Rassurez-vous, nous assumons notre nigauderie. Enfin presque, car ledit gâteau de la marque Benevo, leader dans l’alimentation bio, végétarienne et végan, destinée aux animaux domestiques, nous est parvenu depuis la Grande-Bretagne, laissant une sacrée empreinte carbone. Qu’on l’ait amorti en commandant au passage des chips au chou frisé à l’acérola et des blocs de « fromage » à base de fécule de pomme de terre et d’huile de coco, n’apaise pas notre conscience. Pire encore, après avoir gobé leur gâteau végan, nos chiens se sont mis à la chasse du chat du voisin dans un but ostensiblement meurtrier. Et il est à craindre que les os en forme de carotte, cadeau d’anniversaire à visée éducative made in USA, très esthétiques et du reste introuvables dans l’Hexagone, ne suffisent pas à calmer leurs pulsions.
La France véganisée
Blague à part, petit à petit la France se véganise. L’accès aux produits végétariens et végétaliens, excluant toute matière animale, devient plus facile avec la multiplication des magasins spécialisés en ligne et des restaurants, répertoriés sur vegoresto.fr. Désormais il y en a 47, seulement à Paris, sans compter les établissements certifiés « bio », lesquels proposent en général des plats pour cette population ultra-minoritaire qu’au xixe siècle on désignait par la charmante appellation de « légumistes ».[access capability= »lire_inedits »] Néanmoins, fiers prisonniers de leurs traditions culinaires, les Français, dont le repas gastronomique inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO inclut obligatoirement un mets de viande ou de poisson, restent à la traîne des tendances mondiales. On estime le nombre de végétariens aux États-Unis à 13 %, à 11 % en Angleterre, à 9 % en Allemagne et à moins de 2 % en France. Si ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, car un certain nombre de prétendus « végétariens » consomment occasionnellement du poisson – ce qui fait d’eux les « pescétariens » –, ou ne rechignent pas à commander un steak une fois par mois – tombant ainsi dans la catégorie des « flexitariens » –, ils n’en sont pas moins brandis comme la preuve d’une déplorable exception française. « La France est à mon avis le seul pays où on aurait affaire à une sorte de véganophobie », témoigne Alice, une Parisienne exilée depuis plusieurs années à San Francisco. Adepte du véganisme, un mode de vie à 100 % végétal récusant toute forme d’exploitation animale, la jeune graphiste s’étonne de l’ignorance de ses compatriotes : « Je rencontre encore des gens qui pensent que je mange uniquement de l’herbe et que, forcément, à la longue je vais en mourir!! » Et que penser de ces restaurants qui proposent un menu à « nos amis végétariens »… Lili, végétalienne depuis quatre ans et mère d’un garçon de sept mois, appréhende les moqueries dont pourrait souffrir son fils à l’école. « J’essaierai de lui expliquer ma démarche, en lui laissant le choix. C’est sûr, il n’y aura pas de viande à la maison. Il pourra certes en manger à l’extérieur, mais en toute connaissance de cause. Pareil pour les poissons, dont je ne conteste pas la valeur nutritive… Seulement quand il aura l’âge d’aller à l’école, plus personne ne pourra en manger, faute de notre désastreuse gestion de la pêche. » Pendant sa grossesse, Lili, une danseuse professionnelle, a fait une concession en ingurgitant un œuf de temps à autre, sans se laisser convaincre d’avaler un verre de lait ou une tranche de foie de veau réputé pour sa teneur en fer.
Nous vous agaçons, en nous mêlant de vos assiettes. Vous préférez ne rien savoir des conditions de vie, toujours trop courte, et de la mise à mort de ceux que vous mangez. Le silence des bêtes vous arrange, tandis que la défense de la cause animale, trop bruyante selon vous, vous occasionne une légère indigestion. Vous la considérez comme une nouvelle lubie d’intellectuels, alors que depuis Plutarque jusqu’à Derrida, en passant par Voltaire qui vous reprochait votre « sanglante gloutonnerie », les philosophes ne l’ont jamais abandonnée. Certes, on se passerait volontiers de certains militants pour les droits des animaux, qui semblent davantage les desservir que les promouvoir. Dans son dernier ouvrage, Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature (Don Quichotte, 2016), Aymeric Caron propose de remplacer le Sénat par une « Assemblée naturelle », laquelle représenterait les intérêts des animaux et poserait les bases d’une nouvelle « République du vivant ». Lancé dans son élan, l’ex-chroniqueur vedette du petit écran ne recule pas devant l’idée de procurer aux animaux un nouveau statut juridique, celui de « personnes non humaines » car, nous assène-t-il, « les animaux non humains sont mus par le même vouloir-vivre que nous ». Difficile de ne pas y voir l’analogie avec la personnification juridique des animaux qui ordonnait au Moyen Âge les fameux procès de cochons ou de vaches, condamnés à la pendaison pour sorcellerie. Quid de nos deux chiens, si par malheur ils parviennent un jour à attraper la personne non humaine du chat du voisin ? La question laisse perplexe Alice, venue à notre rendez-vous chaussée de mocassins en cuir végétal signés Stella McCartney : « Je suis d’accord avec les antispécistes quand ils s’insurgent contre la façon de s’émouvoir du sort des animaux mignons, tels chiens, brebis ou lapins, aux dépens des poules et des poissons, à l’égard desquels nous avons infiniment moins d’empathie. Pourtant, manger des œufs, c’est du sadisme ! On sait que dans le processus de leur production, les poussins mâles sont broyés ou gazés peu après l’éclosion. Cependant, faire un parallèle entre le spécisme d’un côté, et le racisme et le sexisme de l’autre me paraît abusif. La consommation de viande stagne, voire diminue en Europe depuis les années 1990, alors qu’elle a quadruplé en Asie de l’Est, surtout en Chine. Partout dans le monde, dès que le pouvoir d’achat augmente, les gens se mettent à manger plus de viande. L’analogie entre le spécisme et le racisme ne tient pas vraiment… » Popularisé par le best-seller La Libération animale du philosophe australien Peter Singer, paru en 1975, le terme « spécisme » dénonce une attitude consistant à refuser le respect à un animal en raison de son appartenance à une autre espèce que l’espèce humaine. Jacqueline, sympathisante de L214 ajoute : « Dans le débat autour du spécisme et de l’antispécisme, je me sens proche de la position d’Élisabeth de Fontenay, qui réclame qu’on soit à la fois humaniste et animaliste. J’aime à penser que respecter l’animal c’est respecter son mystère, sa différence. Évidemment, cela ne devrait pas nous retenir de dénoncer toute forme de maltraitance sur les animaux ni de combattre en faveur de l’abolition de l’abattage et de l’élevage. »
La production de viande conduit à la chosification des bêtes
Abolir l’abattage ? Le postulat doit vous paraître farfelu, à vous les omnivores. Si les animaux n’étaient plus commercialisables, dites-vous, ils disparaîtraient purement et simplement. Voilà une de vos fausses préoccupations, qui nous fait hurler de rage, nous les « légumistes ». Pourquoi ne pas enfin vous défaire enfin de cette façon de penser au règne animal sur le mode utilitaire ? Vous n’ignorez tout de même pas que les animaux d’élevage naissent par insémination artificielle ? La production de viande à l’échelle industrielle conduit non seulement à la chosification des bêtes, mais aussi à la déshumanisation des humains. Les travaux de Catherine Rémy, chercheuse en sociologie au CNRS et auteur de La Fin des bêtes : une ethnographie de la mise à mort des animaux (Economica, 2009), sont à ce titre édifiants. Suite à une enquête de plusieurs mois réalisée dans un abattoir, la scientifique conclut : « […] les hommes des abattoirs “résistent” à leur manière à la logique de l’insensibilité : l’émotion violente accompagne le travail et rappelle, en situation, que mise à mort il y a bien. Cette expression de violence est la condition de réalisation d’un abattage à cadence industrielle. Les animaux sont bien sûr les premières victimes de ces tensions […]. Mais ils ne sont pas les seules : la violence inhérente à la mise à mort ne laisse pas indemne ceux qui sont en charge de cette tâche ingrate. » La vidéo tournée clandestinement par les militants de L214 dans les abattoirs d’Alès, et qui montrait des actes de cruauté, a été visionnée 1,6 million de fois, et a soulevé un tollé à la fin de 2015. Quelques mois plus tard, de nouvelles images chocs d’un petit abattoir « bio » du Vigan ont confirmé le propos de Brigitte Gothière, porte-parole de l’association, selon lequel « il n’y a pas de mort bio ou de mort douce ». Pourtant, bien que la marche annuelle pour la fermeture des abattoirs organisée par L214 à Paris le 4 juin ait réuni quelques centaines de personnes, une conversion collective à l’alimentation végétarienne ou végétalienne paraît utopique. « Cela supposerait que les gens réfléchissent, qu’ils remettent en cause leur mode de consommation, qu’ils changent d’habitudes alimentaires et qu’ils se libèrent des préjugés nutritionnels répandus par l’industrie agroalimentaire. Bref, il faudra qu’ils fassent ce qu’ils n’ont aucune envie de faire, quitte à ruiner la planète et leur propre santé », résume Lili. Sans vouloir vous gâcher la fête, chers omnivores, mourez sur-protéinés et diabétiques dans les effluves du dernier gigot d’agneau servi à la table familiale, mais admettez que ce n’est pas nous qui sommes insensés.[/access]
Karine Le Marchand et Nicolas Sarkozy dans "Ambition intime"
C’est l’émission qui fait parler, l’émission qu’on critique, l’émission qu’on vilipende. « Ambition intime » sera animée par Karine Lemarchand, l’animatrice-phare de M6 qui présente depuis dix ans déjà « L’amour est dans le pré ». Une vidéo de présentation circule et certains de mes amis s’en émeuvent. Ils regrettent l’effondrement du débat public, la politique-spectacle dans toute sa splendeur, l’homme d’État dépouillé de toute idée, de tout programme, réduit à son histoire et ses sentiments, la présidentielle résumée à un feuilleton de téléréalité, où l’on choisira son candidat comme on vote pour son agriculteur préféré dans l’amour est dans le pré. Je leur demanderais bien, à ces amis, dans quelle grotte ils étaient cachés ces vingt dernières années. Je leur demanderais bien s’ils ont déjà lu un portrait rédigé par Anna Cabana, s’ils ont déjà assisté aux questions psychologisantes de Nathalie Saint-Cricq dans la défunte émission « Des paroles et des actes ».
Je leur demanderais bien s’ils ont déjà assisté à une interview de Yann Barthès. Je leur demanderais bien s’ils regardent la deux le dimanche après-midi. Il y a en effet une différence entre Cabana, Saint-Cricq, Barthès, Drucker d’une part et Karine Lemarchand, d’autre part. L’animatrice de M6 ne se prétend pas éditorialiste politique. Elle est animatrice et elle va rigoler de temps à autres aux « Grosses têtes ».
François Hollande à la tribune de l'ONU, septembre 2016. Sipa. Numéro de reportage : 00724769_000048.
François Hollande vient de recevoir le prix de l’homme d’état de l’année, notamment des mains d’Henry Kissinger, qui en son temps avait élevé l’art de la realpolitik à son plus niveau. Ce prix lui a été décerné par la fondation Appeal of Conscience pour « son leadership dans la sauvegarde de la démocratie et de la liberté ». Bien ; bravo. D’ailleurs, dès le lendemain, à la tribune de l’ONU, François Hollande n’a pas manqué l’occasion de faire preuve de leadership en disant, à propos de l’interminable boucherie syrienne, « Ça suffit ». On ne peut qu’approuver ces mots. Oui, ça suffit avec l’horreur de ce conflit devenu régional, et quasiment mondial aujourd’hui par le jeu complexe et contradictoire de toutes les « parrains » impliqués.
Zéro réfugié accueillis dans la péninsule arabique
Mais pourquoi François Hollande n’a-t-il pas étendu la grâce et le leadership de son « Ça suffit » à l’autre tragédie de la région, aussi scandaleuse que celle de la Syrie, celle du Yémen ? Pourquoi évoquer la famine des habitants des villes syriennes assiégées de façon moyenâgeuse, et pas celle des civils yéménites pris au piège dans les zones enclavées, ces milliers d’enfants dont les images de vieillards squelettiques rappellent celles du Biafra en 1968 ou de la Somalie en 1992 ? Pourquoi dénoncer les convois humanitaires visés en Syrie, et pas les dispensaires et hôpitaux délibérément ciblés au Yémen, à tel point que MSF a dû évacuer son personnel de six hôpitaux dans le Nord du Yémen ? Pourquoi parler d’Alep, ville martyr à l’égal de Stalingrad, et pas des zones civiles écrasées volontairement sous les bombes saoudienne ou émiraties au Yémen ? Pourquoi passer sous silence, dans l’enceinte de l’ONU, le récent rapport de cette même ONU qui établit que 60 % des décès d’enfants au Yémen sont provoqués par la campagne d’une brutalité égale à celle de Bachar Al-Assad, menées par la coalition dirigées par l’Arabie Saoudite contre les rebelles Houthis soutenus par l’Iran, dans ce pays ?
Pourquoi, enfin, s’agissant de la Syrie, souligner que le drame qui s’y joue provoque des millions de déplacés et réfugiés, ces « migrants » dont nous ne savons que faire, sans souligner la différence entre le petit Liban de quatre millions d’habitants qui en accueille près de deux millions au risque de sa stabilité, et les riches Etats du golfe qui en accueillent… zéro ?
François Hollande a expliqué que l’histoire nous jugera un jour. Il a raison. L’histoire le jugera, lui et beaucoup d’autres dirigeants occidentaux, pour cette indignation à géométrie variable, pour cette dénonciation d’un côté, et ce silence de l’autre. Et pour les raisons de ce silence.
Ces raisons sont désespérément simples : les pays du golfe, Arabie Saoudite en tête, qui font au Yémen ce que « la communauté internationale » n’accepterait pas que les Etats-Unis ou Israël, par exemple, fassent ailleurs, ont acheté notre conscience depuis longtemps. Ces pays achètent l’armement occidental (les chars français Leclerc aux couleurs émiraties sont en représentation dans la « campagne du Yémen » et les F 16, Tornados et Eurofighters aux cocardes saoudiennes, bahreïnies ou marocaines écrasent les quartiers habités et les hôpitaux). L’Arabie saoudite, qui a financé, par l’intermédiaire d’innombrables fondations et dons « privés » l’essor de Daech, et continue en partie de le faire, achète à la France des Airbus, des patrouilleurs, peut-être des rafales et des avions ravitailleurs, et plein d’autres choses encore. L’Arabie saoudite finance le rachat par l’Egypte des navires de guerre classe Mistral initialement construits pour la Russie…
Ça suffit ? Chiche ! Mais pour tout le monde, alors, n’est-ce pas, Monsieur Hollande ?
Olivier Falorni. Sipa. Numéro de reportage : 00639311_000011.
Gil Mihaely. Comme préambule au projet de loi sur la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, vous avez choisi cette citation de Gandhi : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Après deux mois de travaux, de visites d’abattoirs, d’auditions d’experts et d’acteurs de la filière, qu’avez-vous conclu du niveau de civilisation du peuple français ?
Olivier Falorni[1. Olivier Falorni est député PRG de Charente-Maritime et président de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux.]. Il est encore prématuré de tirer des conclusions définitives sur la situation des abattoirs en France. Ce sera l’objet du rapport qui sera présenté mi-septembre.
J’ai souhaité la création de cette commission d’enquête à la suite des vidéos de L214 qui m’ont profondément choqué comme beaucoup de Français. En effet, on y voyait des actes de maltraitance voirede barbaries absolument odieux et inacceptables. Nous avons interrogé les responsables des trois abattoirs concernés (Alès, Le Vigan, Mauléon) et des procédures judiciaires ont été lancées. Mais tous les abattoirs français ne sont pas des salles de torture. Certes, l’acte d’abattre un animal de boucherie est forcément violent, difficile à regarder, mais nous avons pu observer des établissements, des salariés qui faisaient leur difficile métier en respectant au maximum l’animal et en leur épargnant toute souffrance inutile.
Néanmoins, beaucoup de progrès restent à accomplir mais nous avançons avec détermination. Nous avons voté des changements importants ces derniers mois. D’abord, la modification du statut de l’animal dans le Code civil. Il n’est désormais plus considéré comme un bien meuble mais il est reconnu comme un être vivant doué de sensibilité. Ensuite, dans le cadre de la loi Sapin 2, nous avons introduit un amendement faisant de la maltraitance sur animaux dans les abattoirs et dans les transports un délit pénal et protégeant les lanceurs d’alertes qui dénonceraient ces faits délictueux.
La législation française progresse donc de façon positive. Encore faut-il qu’elle se traduise concrètement sur le terrain.
Quels sont donc les points faibles des abattoirs français ?
En France, plus d’un milliard d’animaux sont abattus. L’inspection générale diligentée par Stéphane Le Foll en mars a permis de dresser un état des lieux. 259 établissements, soit 460 chaînes de mise à mort de bovins, ovins, porcs ou gibiers ont été contrôlés. Deux abattoirs ont été fermés. Quatre-vingt-dix-neuf avertissements ont été donnés et soixante-dix-sept exploitants ont été mis en demeure d’apporter des corrections à l’organisation de leur travail.
Les très nombreuses auditions que nous avons menées, comme les visites inopinées auxquelles nous avons procédés ont permis de mieux mettre en lumière la situation. Cela se résumerait succinctement en trois points :
– Des contrôles du bien-être animal parfois défaillants ;
– Des infrastructures, des équipements trop souvent inadaptés faute d’investissements suffisants ;
– Une formation du personnel insuffisante voire inexistante.
Ces insuffisances ont-elles pour cause fondamentale un manque de moyens ?
Il y a une grande hétérogénéité des abattoirs en France. Vous avez des grands abattoirs industriels privés qui ont la capacité d’investir de lourdes sommes dans leurs infrastructures. Je pense par exemple à l’abattoir Bigard de Feignies dans le Nord que nous avons visité et qui a coûté 50 millions d’euros. Mais vous avez aussi des petits abattoirs artisanaux de proximité, souvent publics, fréquemment déficitaires car peu rentables, et que les collectivités locales rechignent de plus en plus à renflouer. Tout cela créé bien évidemment des conditions de travail extrêmement différentes. Au-delà, des dérives individuelles qui peuvent se produire, la question du bien-être des salariés étant indissociablement liée au bien-être des animaux.
Existe-il des pays exemplaires dont les abattoirs peuvent servir de modèle à la France ? Que peut-on apprendre des expériences étrangères ?
Chaque pays a ses spécificités mais aucun ne peut, je crois, s’ériger en modèle. Néanmoins, il est utile d’observer ce qui se pratique à l’étranger et nous avons notamment regardé avec intérêt en Suède le système d’abattoir mobile qui permet de tuer les animaux à la ferme. C’est une idée intéressante qui pourrait être expérimentée en France si le prototype répond bien aux normes sanitaires et environnementales requises.Elle pourrait ainsi répondre en partie à la disparition des petits abattoirs ruraux en offrant une alternative aux éleveurs.
Même dans les meilleures de conditions, la mise à mort des êtres vivants et sensibles – des bovins, des porcs, des volailles, des bovins, des chevaux – n’est pas un beau spectacle. Comment définir les critères définissant un « abattage respectueux » quand la sensibilité de la société ne cesse d’évoluer ?
La loi exige que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable soit épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes ». C’est la raison pour laquelle l’animal doit être étourdi avant d’être mis à mort, afin que la saignée se fasse dans un état d’inconscience. Il est donc indispensable de s’assurer de l’efficacité et de l’effectivité de cet étourdissement. C’est le rôle du responsable bien-être animal, c’est aussi le rôle de l’inspecteur vétérinaire qui ont, tous deux, l’obligation d’être présents durant l’abattage et qui doivent mieux prendre en charge cette mission. Le transport des animaux qui se fait parfois dans des conditions déplorables, le déchargement des camions, l’amenée vers le poste d’abattage, sont aussi autant de phases qui doivent être surveillées de près afin de s’assurer que les animaux ne seraient pas blessés, stressés ou maltraités.
Mais prôner l’interdiction pure et simple des abattoirs en France me semble être une mauvaise idée car elle aurait des effets inverses au but recherché. Les animaux qui ne seraient plus tués ici seraient tués ailleurs, bien plus loin, à l’étranger, générant des temps de transport considérablement augmentés et donc de la souffrance animale supplémentaire.
A terme, envisageriez-vous la possibilité d’une interdiction pure et simple de l’abattage des animaux en France voire dans l’UE ?
Je soutiens le combat des associations qui se battent pour la protection animale. Je respecte l’engagement de groupes comme L214 qui militent pour un monde sans viande, pour une société vegane. C’est leur choix et c’est la liberté de chacun de se nourrir comme il le souhaite. Je salue par ailleurs leur travail de lanceur d’alertes qui a été efficace avec leurs vidéos clandestines. Après, nous ne sommes pas dans le même rôle. Nous ne sommes pas dans une logique militante, nous sommes dans une démarche parlementaire qui veut trouver des solutions efficaces, faire des propositions concrètes, pour empêcher autant que possible la maltraitance animale dans les abattoirs. Car tant que nos concitoyens continueront à consommer de la viande, il faudra bien des abattoirs sur notre territoire.
Pensez-vous que l’abattage rituel – juif ou musulman – pose un problème particulier ?
L’abattage rituel est un sujet extrêmement sensible mais nous avons souhaité l’aborder sans tabous. C’est l’absence d’étourdissement de l’animal qui est au cœur de cette question spécifique. Nous avons d’ailleurs toujours associé dans nos auditions des représentants du culte juif et du culte musulman. Car la problématique est la même pour le casher comme pour le hallal.
L’abattage rituel est en effet une technique dérogatoire en France par rapport à la pratique conventionnelle. Nous avons évoqué durant nos travaux la possibilité d’un étourdissement préalable avant la saignée, à condition qu’il soit réversible. Les deux rites interdisent en effet que l’animal soit mort avant l’égorgement, ce qui était d’ailleurs à l’origine une mesure sanitaire.
Or, certains pays musulmans tels que l’Indonésie, la Malaisie, ou la Jordanie permettent l’importation et la consommation de viande provenant d’animaux abattus avec étourdissement. Au Maroc, certains abattoirs pratiquent également cette technique. Et la Nouvelle-Zélande est le plus grand exportateur de viande hallal au monde qui provient toujours d’animaux abattus après électronarcose. En revanche, le rite juif n’admet nulle part ni l’étourdissement préalable réversible, ni l’étourdissement post-jugulation. Le débat est particulièrement vif en France, entre ceux qui affirment que l’abattage sans étourdissement est indolore pour l’animal quand il est pratiqué « dans les règles de l’art » et ceux qui disent au contraire qu’il expose l’animal à une souffrance aigüe et prolongée. Ce qui est en tout cas certain, c’est que l’étourdissement préalable ne règlerait pas tout, à la lumière de certains faits horribles observés dans des abattoirs conventionnels comme très récemment dans l’abattoir de Pézenas et celui du Mercantour. Incontestablement, un contrôle accru apparaît nécessaire. Il me semble évident que la vidéo surveillance pourrait être un apport indispensable.
Après avoir présidé cette commission, avez-vous arrêté de consommer de la viande ?
Non, je n’ai pas arrêté de consommer de la viande mais, en bon Rochelais, je mange de plus en plus de poisson !
L’émergence des nouvelles approches de l’environnement et l’émergence des neurosciences et sciences cognitives constituent le quatrième axe de rupture qu’on mentionnera ici. Car même s’il ne concerne pas directement le grand public, l’essor de ces approches et disciplines influe fortement la conception des relations entre les hommes et les animaux. Le développement des nouvelles approches de l’environnement conduit actuellement à une sorte de retournement de la façon d’appréhender l’activité agricole. Pour utiliser une image parlante, il faut rappeler qu’il y a une trentaine d’années, l’agronomie et les diverses disciplines agricoles étaient raisonnées en partant de l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation agricole. On pouvait ensuite passer à un niveau plus global ou au contraire plus micro mais, en gros, on se plaçait au niveau de l’homme, le fermier, et de ses pratiques agricoles.
En étant schématique, aujourd’hui, de nombreux travaux scientifiques sur les sujets environnementaux conduisent à mettre en avant des résultats au niveau global de la planète. C’est bien sûr le cas avec le climat. Mais c’est aussi le cas autour des questions de biodiversité, de gestion de l’eau, d’énergie, etc. On est ainsi entré dans l’ère des bilans globaux des disponibilités en ressources. Et ce sont ces bilans globaux qui sont ensuite utilisés par certains, avec pour ambition de définir ce qui doit être fait sur le plan agricole et par les agriculteurs.
Concrètement, c’est ce type de démarches qui conduit aujourd’hui à l’émergence de critiques virulentes de l’élevage au nom de calculs d’impact sur le climat (du fait des émissions de méthane des ruminants), sur l’eau (dont des volumes aberrants seraient « consommés ») ou sur la biodiversité (du fait du lien entre soja et déforestation de l’Amazonie), quitte à en oublier les différentes utilités de cette activité.
On notera avec un brin d’ironie qu’on a là affaire à un pur décalque des méthodes de planification centralisée jadis raisonnées en fonction de considérations qui se prétendaient économiques. Et dans le fond, on retrouve exactement les deux mêmes faiblesses. Ces « bilans » sont, pour la plupart, établis à charge ; ils ne décomptent (pour le moment, dira-t-on) que les prélèvements ou les impacts négatifs d’une activité sans tenir compte, ou très mal, des contributions positives. Ce sont des « bilans » à une seule colonne ! Et il est vrai – c’est le second biais – que ces contributions positives sont particulièrement difficiles à qualifier et à mesurer. Elles se produisent parfois géographiquement ailleurs, qualitativement autrement (sur d’autres variables), et physiologiquement sur d’autres rythmes ou pas de temps. Bref, on tente de faire des bilans entrée-sortie à une seule variable sur des phénomènes systémiques impliquant fondamentalement des cycles biologiques hétérogènes et à composantes multiples. C’est évidemment voué à l’échec ! Mais compte tenu de la pertinence sociétale des questions abordées, et de la nouveauté des analyses nécessaires, cela donne l’illusion de prendre sur des bases scientifiques, des décisions concernant des sujets fondamentalement complexes.
Concernant l’élevage et la relation aux animaux, force est de constater qu’issues de secteurs de la recherche et plus souvent encore proches de la recherche, les critiques mentionnées ci-dessus sont ainsi passées par une partie du monde associatif, des médias et du personnel politique pour aujourd’hui atteindre le grand public, sans pour autant être accompagnées des précisions qui auraient été nécessaires pour indiquer les biais méthodologiques et les faiblesses des résultats[1. On ne peut ici résister à l’ironie de citer l’intervention d’un parfait style pompier pyromane que Pierre Gerber a faite lors du Congrès international des sciences et technologies de la viande (ICOMST), à Clermont-Ferrand en août 2015. À cette occasion, il a affirmé qu’il fallait revenir à un peu de mesure concernant l’impact de l’élevage sur le climat, que celui-ci avait été surestimé une dizaine d’années auparavant, les médias ayant joué un rôle de caisse de résonnance favorisant une diffusion de ces analyses au grand public. L’ironie de cette anecdote est qu’il est lui-même, avec Henning Steinfeld, l’un des deux principaux co-auteurs du rapport d’étude L’ombre portée de l’élevage, publié par la FAO en 2006 qui avait alors mis le feu aux poudres. Et c’était bien leur département (AGA) qui à l’époque avait convoqué une conférence de presse pour la sortie de ce rapport d’étude contrevenant ainsi aux pratiques habituelles de la FAO pour de simples rapports d’étude. Les rapports d’étude ne sont en effet ni approuvés (scientifiquement et politiquement) ni votés par l’institution, et diffèrent en cela des rapports officiels. Ce sont des rapports comme les organisations internationales en produisent chacune des dizaines par an. Écrit également avec un formidable aplomb par Henning Steinfeld, cela donne dès 2012 : The publication of the Livestock’s Long Shadow report led to a passionate and emotional debate. Our figures have sometimes been misused or misreported by some interest groups. However what ultimately matters to us is to create the conditions for a constructive dialogue among stakeholders and to catalyze action towards practice change. Ou plus crûment : nos chiffres étaient faux mais ce n’est pas grave car cela a contribué à créer du débat et à faire changer les choses (http://www.la-viande.fr/sites/default/files/images/culture-viande/viande-societe/Interview-Henning-Steinfeld-FAO-english.pdf). Des postures en définitive typiques de lanceurs d’alerte ou d’activistes politiques mais certainement pas de fonctionnaires d’une organisation de l’ONU ou de chercheurs d’un organisme scientifique.].
Le développement des sciences cognitives a des effets assez comparables. L’essor de la neurologie, de l’éthologie, de l’archéozoologie, des diverses branches des sciences de la communication conduisent indiscutablement à constater un effacement de certaines frontières entre les hommes et les animaux. C’est ce qui conduit certains à militer pour une égalité de traitement et des droits entre les hommes et les animaux.
Au-delà des stratégies de communication des mouvements antispécistes, qui s’appuient sur le choc créé par des images de pratiques indéfendables, ces revendications s’expriment plus sérieusement sur deux plans : d’une part celui du droit, avec notamment un travail visant à la modification des législations nationales ou internationales et des normes ou règlementations ; et d’autre part celui de définition d’indicateurs de bien-être permettant de traduire des résultats scientifiques sous forme de bonnes pratiques.
Avec le risque de tout raccourci, on dira que l’axe de travail juridique conduit aujourd’hui à des évolutions. En atteste par exemple en France, la réforme du code civil du 16 février 2015 reconnaissant aux animaux la nature d’Êtres sensibles. Difficile cependant d’apprécier la portée concrète qu’aura cette évolution juridique d’autant que, pour sa part, la définition des indicateurs de bien-être peine à avancer même si, par exemple, la Commission européenne réunit sur ce sujet des groupes d’experts depuis plus d’une dizaine d’années.
Si l’objectif d’édicter des bonnes pratiques est louable, il paraît en effet bien difficile d’asseoir celles-ci sur des résultats scientifiques : ces résultats existent mais, la plupart du temps, manquent de consistance dans la mesure où ils dépendent de l’espèce observée, du contexte et des modalités d’observation, etc. Il est dès lors malaisé d’étendre leur application au-delà de ces conditions d’étude.
Les acteurs impliqués dans ce type de démarche sentent donc bien que les notions de bien-être animal ou encore de souffrance évitée ont un sens général. Mais de là à parvenir sans conteste à les caractériser et à les mesurer, il y a un pas qui est encore loin d’avoir été franchi.
Si certaines des frontières entre les hommes et les animaux tendent à s’estomper, il faut en outre bien rappeler que ce n’est pas le cas de toutes les frontières ! Et il faut aussi rappeler que différents travaux ont mis en évidence l’existence de systèmes de communication… entre plantes par le biais de molécules[2. Voir l’exemple de travaux de l’INRA (http://www.inra.fr/Chercheurs-etudiants/Biologie-vegetale/Tous-les-dossiers/Sentir-bouger-communiquer-les-plantes-aussi/Communication-externe-les-liens-plantes-champignons/(key)/5). Mais encore plus étonnant https://www.newscientist.com/article/mg12717361-200-antelope-activate-the-acacias-alarm-system/ ou comment des plantes d’acacias parviennent à éliminer le surpâturage de mammifères (koudous).et les tuant.]. Doit-on pour autant dire qu’il n’y a plus de frontière entre le règne animal et végétal ? Assurément non, pour une myriade de raisons biologiques… mais aussi parce qu’il y a une différence entre communication et langage, une différence entre sensibilité et conscience, et pour reprendre un raisonnement de Francis Wolff, une différence entre conscience et science, et entre conscience (de soi ou du monde) et conscience de l’inaccompli. L’Homme n’est ainsi peut-être pas la seule espèce du règne animal à disposer d’un langage, de sensibilité et de conscience mais, jusqu’à preuve du contraire, c’est assurément la seule espèce capable de science, consciente de l’inaccompli et capable de communication entre ses individus sur cet inaccompli.
On conçoit donc bien que la rupture qu’implique l’émergence de ces disciplines cognitives, dans les conceptions que les hommes ont de leurs relations avec les animaux, notamment domestiques, est loin d’être négligeable. Et elle pousse assurément à un certain rapprochement des traitements. Il n’en demeure pas moins que les différences entre les hommes et les animaux restent notables, essentielles, ontologiques. L’oublier ou le négliger, c’est très précisément oublier ou négliger ce qui fait notre humanité.
Si les éléments de rupture mentionnés précédemment sont déjà clairement à l’œuvre, il est par ailleurs des tendances et idées émergentes qu’il convient d’évoquer pour leur influence potentielle ou à venir sur la conception des relations entre les hommes et les animaux. Certaines de ces idées sont, pour le dire net, de fausses bonnes idées, voire même des idées fausses mais elles circulent, et jouent sur les mouvements d’opinion. Rappelons là encore quelques grands axes.
En matière de consommation, à niveau mondial, la demande de viande va continuer de croître. C’est une évidence et un mouvement de fond qu’il est bon de répéter. En moins de vingt ans, une classe moyenne, qui compte entre un et deux milliards de personnes, est apparue dans les pays émergents. Quoi qu’on en pense, cette population n’attend que de consommer plus de viande. La demande mondiale va donc croître même si cela intègre une baisse de la consommation dans les pays occidentaux, tant pour des raisons de baisse des besoins nutritionnels dans des économies de plus en plus tertiarisées, que pour des raisons culturelles ou idéologiques.
Plus finement cependant, on constate déjà dans ces pays émergents, des courants critiques de la production et de la consommation des produits carnés qui donnent à penser que la hausse de la consommation pourrait finalement y être plus brève qu’envisagé (soit quelques décennies).
Il semble par ailleurs qu’aucune étude réellement consistante ne permette aujourd’hui d’anticiper de façon fiable pour les jeunes générations, l’essor, réel ou supposé, du végétarisme et du flexitarisme, ou la baisse de la consommation. Selon les enquêtes de consommation du CREDOC, les végétariens ne représentent en France en 2014 que 1% des consommateurs, et non 3%, chiffre sans source qu’on voit régulièrement circuler. Ce chiffre serait globalement assez stable mais occulterait peut-être une hausse sensible chez les jeunes. Toujours en France, force est en outre de constater que la revendication du flexitarisme constitue l’argument des jeunes pour expliquer leur faible consommation de viande et donc la baisse de celle-ci. Mais aucune étude ne vient croiser l’évolution du poids de cette revendication avec l’évolution de leur situation économique sur la moyenne durée. Il n’y a ainsi aucun moyen d’avancer ou de rejeter l’hypothèse que la baisse de la consommation de la catégorie des jeunes résulterait d’une précarisation croissante (en tout cas depuis les années 80 et la fin des Trente glorieuses). Or il est toujours plus valorisant de dire qu’on ne mange pas ou peu de viande parce qu’on est végétarien ou flexitarien (pour le bien-être animal ou pour protéger l’environnement) plutôt que parce qu’on est pauvre et qu’on n’a pas les moyens d’en acheter contrairement à ses parents au même âge, ou parce qu’on privilégie d’autres biens de consommation notamment high-tech.
Dans la même logique, on notera qu’il n’y a aucune étude non plus qui fasse le lien sur la longue durée entre la baisse globale de consommation de viande de boucherie des 20 à 30 dernières années et l’évolution de sa qualité organoleptique.
Sur ces différentes questions, on a donc beaucoup plus affaire à des interprétations idéologiques des faits qu’à des analyses fondées et étayées de leurs causes et dynamiques.
De travaux récents de Claude Fischler rendent bien compte de ce biais : face à la multiplication des régimes alimentaires (végétarien, végétalien, sans sel, sans graisses, sans gluten, halal, casher, etc…) et à la place croissante occupée par les discours de leurs promoteurs, il montre l’existence d’une tendance de fond unique et beaucoup plus lourde : l’individualisation des repas, de leur conception et de leur consommation[3. Claude Fischler (sous la direction de) : Les alimentations particulières. Mangerons-nous encore ensemble demain ? Odile Jacob. Paris. 2013.].
En matière de production, les tendances réellement porteuses d’avenir sont probablement encore plus difficiles à anticiper. Plus que des scenarios productifs un par un, ce sont peut-être des champs de tension qu’il faut ici envisager.
On en a déjà cité quelques-uns : l’opposition entre une agriculture fondée sur l’usage intensif de ressources pétrolières et l’agriculture écologiquement intensive. La première autorise de ne produire que des végétaux. La seconde non seulement autorise mais requiert des productions animales en plus du végétal.
L’opposition entre une consommation de produits plutôt transformés ou plus proches du naturel. C’est un champ de tension probablement moins marqué que le précédent mais où les oppositions existent malgré tout. Concrètement, une alimentation végétalienne passera nécessairement par le recours à des produits transformés. Deux raisons à cela ; un tel régime est doit être rééquilibré sur le plan nutritionnel et c’est plus facile voir nécessaire (Vitamine B12) avec des produits transformés ; et surtout, la transformation des produits végétaux permettra d’améliorer la biodigestibilité des protéines végétales qui est naturellement nettement moins bonne que celle des protéines animales. À l’inverse, il faut évidemment reconnaître que le caractère omnivore du régime alimentaire n’a aucune influence sur la nécessité ou pas de transformations industrielles plus ou moins poussées. Sont ici avant tout en cause des questions de praticité et de marketing. C’est là qu’on rejoint la tension entre le peu ou le beaucoup transformé, et donc implicitement entre le local-naturel et le pratique-transformé-lointain.
Troisième champ de tension : l’opposition entre des productions hors-sol et des productions de plein-champ. Dans ce cas, ce sont plutôt les productions végétales qui véhiculent, a priori, une image positive liée au plein-champ tandis que les systèmes d’élevage, même lorsqu’ils sont conduits sur prairies comme dans le cas de la plupart des bovins viande, sont régulièrement associés à l’image négative des systèmes hors sols de certaines espèces de monogastriques. On notera que la tendance au développement de cultures sous serres, en hydroponie ou quasi hors-sol risque à terme d’altérer cette image ; mais on n’en est pas encore à ce stade.
Autre champ de tension : celui des modèles dits intensif ou industriel versus paysan ou familial. En réalité, personne aujourd’hui n’est en mesure de préciser ce que signifie cette terminologie. En France, les exploitations dites industrielles résultent de l’intensification des techniques par des agriculteurs qui, il y a une ou deux générations tout au plus auraient été qualifiés de paysans. Compte tenu des niveaux de capitalisation, l’absence de recours à de la main d’œuvre salariée ne signifie plus grand-chose : la plupart des exploitations d’agriculture familiale mettent en œuvre des techniques particulièrement intensives et que certains qualifieront industrielles. À l’opposé, et selon les cas, des paysans qui exploitent des fermes particulièrement exiguës pourront, à force de travail, tout aussi bien dégager un revenu supérieur celui de grandes exploitations dites intensives (mais surendettées), que vivoter avec trois francs-six sous. Le recours à des comparaisons internationales jette encore plus le trouble : Les « complexes industriels » d’élevage porcin et autres « ferme des 1 000 vaches » qu’on trouve en France sont 5 à 10 fois moins grands que ceux qu’on trouve en Allemagne ou en Europe du Nord, et 100 fois moins grands que ceux des États-Unis ou que ceux développés par les bourgeoisies de pays émergents et en développement. Évidemment, ils sont eux-mêmes incomparablement plus grands et plus productifs que ceux des petits paysans des pays les moins avancés.
Dernier champ de tension qu’on abordera ici, celui des technologies émergentes dans leur ensemble. On fait ici références aux techniques dites d’élevage de précision associant robotisation et usage de capteurs, aux techniques liées à la génomiques et aux nouvelles façons de procéder à la sélection génétique des animaux, ou encore au développement de la viande artificielle, ou au recours aux insectes, etc. Sans entrer dans le détail, ces diverses technologies sont chacune en tension entre sa composante technique (plus ou moins faisable) et ses conditions d’acceptabilité. Les progrès scientifiques vont rendre les technologies de l’élevage de précision et de la génomique de plus en plus faisables. Elles risquent cependant d’être contestées sur un plan sociopolitique : recours au big-data, problème de propriété des données, travail sur l’ADN du vivant, implication de multinationales… à l’inverse, la viande artificielle est présentée comme la solution technologique à des enjeux éthiques et environnementaux alors même que sa production opérationnelle à grande échelle paraît peu réaliste du fait de ses coûts énergétiques et de la nécessité d’user de nombreux médicaments antibiotiques et de facteurs de croissance[4. Cf. Jean-François Hocquette…]. Quant à la consommation des insectes, dans le pays à la population la plus consommatrice (le Zimbabwe), elle représente au mieux 10% de la diète… durant la saison la plus favorable[5. Cf. Pierre Feillet…]. Ses « chances » de succès paraissent donc réduites en alimentation humaine bien que tout à fait envisageable en alimentation animale comme substitut à des protéines d’origine végétales telles que le sorgho ou le soja
Que ce soit en matière de production ou de consommation, les tendances émergentes revoient systématiquement à des questions d’acceptabilité par la société.
Compte tenu des dynamiques sociologiques et de communication, ces questions d’acceptabilité qui concernent ou posent problèmes à des fractions de la population plus ou moins importantes et viennent ensuite à former des problèmes publics, interrogeant alors l’ensemble de la société sur des sujets avec lesquels celle-ci est rarement en prise directe et sur lesquels – par le jeu politique et médiatique – elle doit néanmoins se positionner.
Dans les cas qui intéressent ici, les injonctions de positionnement ont parfois directement traits à la relation entre les hommes et les animaux. C’est notamment le cas avec tous les sujets qui gravitent autour du bien-être animal : techniques d’élevage, d’abattage, de sélection… Mais le plus souvent, l’injonction est en quelque sorte forcée. Elle concerne au premier chef un problème lié aux formes générales d’organisation de la société (modèle économique des exploitations d’élevage et plus largement de l’agriculture, compétitivité internationale des secteurs économiques, nature des régimes alimentaires ou des acteurs économiques, etc.) et n’est qu’incidemment raccroché à la question de la relation entre les hommes et les animaux.
On peut penser que, pour certains acteurs, ce type de détournement de l’injonction permet d’éviter de poser le cœur du débat. Se focaliser sur la relation avec les animaux suscite naturellement l’adhésion tandis que traiter de questions de modèles économiques, alimentaires ou culturels est plus complexe et plus incertain. En ce sens, ce détournement revêt de toute façon un aspect tactique. Mais, comme on l’a mentionné en début d’article, cela témoigne aussi de cet espèce d’intérêt automatique, de la plupart d’entre nous, pour se tourner vers le cas, la situation, les conditions dans lesquels il y a de l’animal, et pas seulement du vivant. Dans le fond, la ferme des 1 000 hectares pourrait susciter autant d’interrogations écologiques et d’a priori que la ferme des 1 000 vaches. Mais ce n’est pas le cas ! Aux questions socioéconomiques (modèle d’intensification) et écologiques (pollutions induites) qui valent a priori pour les deux, s’ajoute ici la préoccupation pour l’animal. Et c’est cette question qui retient l’attention et contribue ainsi à mobiliser l’opinion.
Alain Juppé à Rennes. Sipa. Numéro de reportage : 00771962_000073.
Saint Just avait 27 ans quand il passa sous le couperet de la guillotine. Lui-même avait fait couper beaucoup de têtes avant de perdre la sienne. Alain Juppé aura 72 ans
(13x Saint Just !) en mai 2017 quand, si les Dieux lui sont favorables, il sera élu président de la République. Mais pourquoi donc rapprocher deux hommes qu’en apparence tout sépare ? Parce que l’un et l’autre ont fait du bonheur le mot clé de leur livre de prières. C’est à Saint Just qu’on doit la phrase : « le bonheur est une idée neuve en Europe ». C’est à Juppé que revient la paternité de l’expression « identité heureuse ».
Prophète du bonheur
L’ancien Premier ministre n’a pas la fougue terrifiante et sanglante du jeune ami de Robespierre. Homme d’expérience (il a vécu), sage et modéré il se contente, lui, de promettre le bonheur à la France. Il la veut apaisée, heureuse et satisfaite. Alain Juppé est un prophète du bonheur. Inlassablement il parcourt l’hexagone avec son « Sésame ouvre-toi » persuadé que la belle, subjuguée, n’attend que ça…
Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’on assassine, qu’on égorge, qu’on fasse exploser, qu’on décapite, qu’on frappe, le maire de Bordeaux répète, sans jamais en démordre son
« identité heureuse ». Ses contempteurs, des méchants sarkozystes et d’autres, ricanent en moquant une posture qu’ils trouvent nigaude, niaise et imbécile.
Ils ne comprennent rien à rien ! Rien à Juppé ! Ils ne se sont pas posés la question de savoir pourquoi le maire de Bordeaux a jugé utile de s’inventer un slogan qui se veut l’exact contraire du titre d’un livre célèbre. Pourquoi – chose étrange et inédite – un candidat à la présidence de la République part en campagne en brandissant comme repoussoir L’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut.
Finkie comme repoussoir
Peut-être l’ancien Premier ministre est-il jaloux des chiffres de ventes des ouvrages du philosophe ? Les siens en effet seront bientôt soldés chez les bouquinistes des quais de la Seine… Les choses sont plus compliquées que ça. Alain Juppé est quelqu’un de parfaitement lucide et réfléchi. Il n’ignore pas la quantité himalayesque de haine qui tend à écraser l’auteur de L’identité malheureuse. Chez les salafistes de gauche, chez les djihadistes d’extrême gauche, chez les fondamentalistes écologistes et chez tant d’islamistes ou d’islamisés le nom de Finkielkraut ne se dit pas : il se crache !
Nul besoin d’ouvrir un de ses livres : on aspire à les brûler. Nulle nécessité de débattre avec lui : le lynchage, le concernant, est une figure obligée. Nul besoin de lui parler : l’insulte suffit. Finkielkraut est donc, selon la « vox populace » (à ne pas confondre avec la « vox populi ») un raciste, un réac, un islamophobe. Pas encore un youpin mais ça ne serait tarder…
Ce sont ces voix là, ces voix qui agonisent d’injures Finkielkraut, qu’Alain Juppé convoite. On dira qu’il n’est pas très regardant. Mais quand on veut, tel un prince charmant, réveiller la belle au bois dormant – la France – pour la prendre dans ses bras, tout est permis. Les amateurs de mauvais romans, du kitch de vieille cuvée, se plairont à imaginer Juppé, triomphant et condescendant s’adressant un matin de mai 2017 à la France après une nuit torride : « alors heureuse ? ». Le maire de Bordeaux est à l’évidence un héros, un amant pour la collection Harlequin.
Quoi qu’il advienne, le burkini aura montré les limites du droit et l’impasse dans laquelle s’enferme une société qui demande au juge de résoudre à sa place les problèmes qu’elle se montre incapable d’affronter. L’affaire laissera des séquelles profondes bien au-delà du débat, en soi plutôt ridicule, sur la tenue des femmes sur la plage, car il a déjà fait une victime collatérale inattendue dans le droit français et pas la moindre : la notion d’« ordre public ».
L’ordre public, vaste prétexte
Dans toute société organisée, il est nécessaire de fixer les limites à ne pas franchir et de se donner les moyens de les faire respecter. La charge en revient, au nom de l’ordre public, au gouvernement, aux préfets et aux maires, en vertu des pouvoirs de police dont ils disposent respectivement. Mais l’ordre public est une notion fourre-tout qui, en démocratie, devait recevoir une définition puisque c’est en son nom que le pouvoir de police peut interdire ou restreindre l’exercice des libertés publiques. Cette définition avait été donnée il y a longtemps, dans un arrêt Benjamin du Conseil d’État de 1933 (la date fait réfléchir), qui avait fixé un principe demeuré longtemps immuable : la seule menace de trouble qui justifie l’utilisation du pouvoir de police pour interdire l’exercice d’une liberté est celle dont le degré de gravité serait tel que l’autorité investie de ce pouvoir n’aurait pu maintenir l’ordre sans émettre son interdiction.
En d’autres termes, l’ordre public ne pouvait être invoqué pour interdire l’exercice d’une liberté qu’à deux séries de conditions, les unes de fond, les autres de circonstances. D’abord, il n’existait qu’un critère, et un seul : sans risque avéré de débordement et de violences, pas d’interdiction préalable. On pouvait sanctionner après coup un abus dans l’exercice d’une liberté publique, mais pas l’interdire préventivement. La seconde série de conditions était dans l’ampleur du trouble en question : il devait être grave, manifeste et imminent, et seule l’interdiction devait pouvoir l’empêcher ou le contenir.
Extrêmement libérale, cette jurisprudence n’a pas résisté, en 1995, au lancer de nains, attraction alors en vogue dans les boîtes de nuit, qui consistait à projeter un nain, évidemment volontaire, le plus loin possible sur des matelas… Voulant faire cesser cette pratique dégradante, le Conseil d’État n’avait eu d’autre choix que de renverser sa jurisprudence : « même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération », il convenait pour le maire d’interdire l’utilisation d’une personne handicapée comme projectile humain, au nom de la dignité de la personne humaine. Plus besoin d’invoquer une menace de trouble, il suffisait de constater l’atteinte à une valeur humaine essentielle, dont la liste ne demandait qu’à s’élargir.
Dieudonné : la censure au nom des droits de l’homme
C’est donc ce qu’a fait le Conseil d’État en 2013, pour valider l’interdiction de spectacles de Dieudonné en raison du « risque sérieux que soient (…) portées des atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine » et, par ce moyen, « prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ». En clair, le Conseil d’État rétablissait la censure, au nom des droits de l’homme : il suffisait désormais qu’il existe un simple risque d’atteintes aux valeurs et principes de la République et juste une éventualité que soient commises des infractions (incitation à la haine raciale par exemple), pour justifier une interdiction (en l’espèce un spectacle).
La doctrine paraissait donc désormais fixée, jusqu’à la récente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État qui, le 26 août dernier, a une nouvelle fois changé d’avis : « les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. »
Ce nouveau revirement fait naître un abîme de perplexité. De trois choses l’une en effet : soit le juge administratif a entendu revenir à sa première jurisprudence et il devra supporter dorénavant que n’importe qui dise ou fasse n’importe quoi, du moment qu’il le fait sans risque de violences. Soit il ne s’agit que d’une décision de circonstance, et il reviendra, dès la prochaine occasion, à sa jurisprudence Dieudonné : il lui faudra encore une fois se déjuger – ce ne sera pas la première –, mais il se retrouvera surtout au cœur de toutes les polémiques qu’il a précisément voulu contourner. Au moindre soupçon de dérapage, le juge administratif sera requis pour censurer, a priori bien entendu, toute expression et toute manifestation d’une idée ou d’une attitude ayant le malheur de déplaire, tantôt aux uns, tantôt aux autres.
Mais la pire serait encore la suivante : que le Conseil d’État décide d’appliquer tantôt sa jurisprudence Dieudonné, tantôt sa jurisprudence burkini. S’instituant de sa propre autorité comme le gardien du politiquement correct, il pourrait à loisir interdire toute liberté d’expression contre ceux qui offenserait, de l’intérieur, les valeurs de la République, tolérant en revanche, par une pirouette juridique, ceux qui, de l’extérieur, ne les reconnaissent même pas.
Il n’y a que deux manières de sortir du piège que le Conseil d’État s’est tendu à lui-même. La première est de faire confiance aux capacités imaginatives des Sages du Palais-Royal pour trouver une quatrième interprétation de la notion d’ordre public. Ce sera peut-être, après tout, la bonne. La plus judicieuse serait toutefois que le législateur sorte de son silence et dise une bonne fois pour toutes ce que les valeurs de la République sont prêtes à accepter pour le plus grand bien de la majorité. On attendra sans impatience, l’éternité est faite pour cela…
Peter Singer, philosophe à l’origine du mouvement de la « libération animale », précise que ce n’est pas par amour des animaux qu’il revendique leur libération mais au nom de la justice et de la morale. Il n’est pas intéressé par les animaux, il ne les aime pas et il n’en a pas. C’est également le discours implicite des théoriciens de l’antispécisme et du véganisme, qui prônent une agriculture sans élevage.
Celle-ci serait le premier pas vers une rupture de nos liens avec les bêtes domestiques, avec les animaux de ferme d’abord, puis nécessairement avec les chiens, les chevaux, les hamsters, etc. La domestication, en effet, représente le mal originel, l’appropriation des animaux par les humains. Il ne s’agit donc pas seulement de « libérer » les vaches, c’est-à-dire concrètement de les faire disparaître, mais de se libérer de l’ensemble des animaux qui peuplent notre monde domestique puisque tous sont appropriés par les humains. Qu’il s’agisse des vaches ou des chiens, ils sont assurément identifiés, vaccinés, localisés. Nous veillons sur leur habitat, leur alimentation, leur santé, leur reproduction. Nos relations de travail avec ces deux espèces sont différentes mais ce qu’ils ont en commun, c’est de vivre avec nous, d’être des compagnons de vie et de travail.
Les militants de la « libération animale » semblent davantage en relation avec des animaux de ferme en peluche ou en plastique qu’avec des bêtes vivantes. En dehors de leur chien ou de leur chat, pauvre hère victime de la violence humaine qu’ils ont recueilli presque malgré eux, le monde animal est largement virtuel. C’est pourquoi la question de l’amour ne les intéresse pas.
Pourtant, face à la violence industrielle et à celle des opposants à l’élevage, l’amour des animaux est bien la question.[access capability= »lire_inedits »] Elle l’est pour les éleveurs – les vrais, pas les producteurs de matière animale – autant que pour les compagnons d’animaux familiers. La majorité des éleveurs le disent : vivre avec les animaux est la raison d’être de leur métier et de la façon dont ils le pratiquent. Aimer les bêtes, c’est aimer leur présence, leur odeur, leur chaleur ; leurs façons d’être, propres à l’espèce ou à un individu particulier. Il y a des éleveurs qui « sont vache », d’autres « cheval » ou « cochon ». Dans ce dernier cas, le monde animal dont ils sont le plus proche est celui des cochons – celui d’une bête intelligente, active, curieuse, très sociable et d’une compagnie passionnante. « Être » tel ou tel animal exprime bien tout l’aspect symbiotique de la relation des éleveurs avec leurs animaux. Dans cette interface entre mondes animal et humain créée par le travail, quelque chose du corps et du sens se partage entre humains et animaux, qui fait que nous comprenons les animaux et qu’ils nous comprennent.
Il y a les cochons, les chèvres, les vaches, les chevaux… et il y a nos cochons, nos chèvres… les bêtes que l’on élève, avec qui l’on vit au quotidien et que l’on connaît. Dans un troupeau, tous les animaux sont différents. Les cochons sont actifs et curieux mais telle truie par exemple pourra être au contraire très calme et contemplative. Chaque animal est un individu. Chacun mérite le respect.
Contrairement à ce que croient les partisans de la « libération animale » qui découvrent avec étonnement sur internet les compétences cognitives des animaux de ferme, les éleveurs font confiance depuis longtemps à leur intelligence. Car sans l’engagement volontaire de l’intelligence des bêtes dans le travail, nous n’aurions jamais pu vivre et travailler avec eux.
Si nous avons avec les cochons une relation de domestication qui dure depuis dix millénaires, ce n’est pas parce que nous les considérons comme des idiots. Au contraire. Et ce n’est pas non plus parce que nous les croyons idiots que nous les élevons, les tuons et les mangeons. La relation d’intelligence entre les animaux et nous implique, plus ou moins tôt, leur mort. Dans des pays où la viande est indispensable à la survie, chez les Inuits par exemple qui mangent principalement du phoque et de la baleine, et du poisson, ou en Mongolie où les produits animaux issus de l’élevage (viandes et produits laitiers) constituent l’essentiel de l’alimentation, la mort des animaux est une nécessité vitale. Cela n’empêche pas, bien au contraire, les Inuits et les Mongols d’avoir une grande estime pour les bêtes qu’ils consomment, voire d’avoir avec eux une grande proximité affective comme dans le cas du pastoralisme. Les animaux n’y sont pas seulement des sources de nourriture, ils sont des compagnons de vie.
Dans les sociétés occidentales, le processus d’industrialisation de l’élevage entamé depuis le milieu du xixe siècle a progressivement fait disparaître nos liens avec les animaux de ferme. Ils ont été cantonnés dans des bâtiments à l’abri des regards, outils d’une production massive de matière animale porcine, avicole, bovine… distribuée tout aussi massivement dans les linéaires des supermarchés. Ces bêtes sont, de leur naissance à leur mort, traitées comme des outils ou des produits industriels. Leur mort, du point de vue de l’organisation du travail industriel, n’est que le moment de la transformation de la matière animale vivante en matière animale inerte. Ce sont ces systèmes que découvrent aujourd’hui les « libérateurs » des animaux et qu’ils dénoncent à grand renfort médiatique, appuyés par des « intellectuels » qui n’ont pas l’excuse de la jeunesse pour prétendre ouvrir les yeux sur des systèmes qui existent depuis plus de cinquante ans et qui ont été depuis longtemps mis en accusation par des associations, des citoyens ordinaires et des chercheurs, à l’époque véritables lanceurs d’alerte dont les voix ont été étouffées par la raison économique.
Pourquoi ces systèmes industriels dénoncés depuis des décennies au nom du respect des animaux et des travailleurs, de la protection de l’environnement, de la santé humaine et animale… sont-ils aujourd’hui seulement mis sur la scène médiatique et décriés comme s’ils venaient tout juste d’être identifiés ? Pourquoi cette soudaine et quasi-unanimité contre la violence industrielle envers les animaux se transforme-t-elle en injonction à la « libération » des animaux et au véganisme ?
Pourquoi aujourd’hui. Tout simplement parce que aujourd’hui il existe des alternatives aux productions animales industrielles. Et que, face aux dégâts mondiaux sur la santé et l’environnement générés par les productions animales, ces alternatives sont jugées préférables par les décideurs et les industriels de l’alimentation 2.0. Plutôt que de produire des cochons à partir du soja, mieux vaut directement faire manger le soja aux consommateurs. Il faut le noter, les substituts aux produits animaux proposés par les nouveaux acteurs mondiaux de l’alimentation, notamment des start-up financées par la fondation Bill Gates, Google ou par les plus grands fonds d’investissement, sont essentiellement à base de soja. Autrement dit, l’injonction qui est faite actuellement aux consommateurs est « pour le bien des animaux, ne mangez plus de produits animaux, mangez du soja ».
« Pour le bien des animaux », et bien plus, même, par amour des animaux, il vaudrait mieux au contraire renoncer aux systèmes industriels, se soustraire aux sirènes de la libération animale et du véganisme et refaire de l’élevage. C’est-à-dire permettre à des milliers d’éleveurs de travailler avec des bêtes et d’en vivre, et recréer des liens entre les citoyens et leurs animaux de ferme, afin de leur donner à comprendre le sens du travail en élevage et le sens de la mort des animaux.
Pour ma part, j’aime les bêtes, les vaches, les cochons, les brebis, les chèvres, les poules…, j’aime leur compagnie, j’aime les observer et veiller sur eux. Comme l’écrivait Whitman, « je crois que je pourrais aller vivre avec les animaux […] je reste des heures et des heures à les regarder ». C’est le choix que font les éleveurs. Être éleveur, c’est vivre en compagnie des animaux, à leur rythme, dans leur monde. C’est avoir le souci de leur bien-être jour après jour, nuit après nuit. C’est lutter contre tout ce qui peut porter atteinte à leur santé et à leur vie – animaux, maladies, parasites, prédateurs…
Être éleveur, c’est aussi assumer la mort des animaux, car elle représente l’aboutissement de notre relation de travail avec eux. Le bout, et non le but. Comme la mort est le bout de notre propre vie mais n’en est pas le but. Parce que les éleveurs sont contraints d’adapter la taille des troupeaux aux ressources de leur environnement, et parce que les animaux et leurs produits font partie de notre alimentation, en Mongolie, en France et ailleurs.
J’aime tous les animaux de ferme mais celui qui a ma préférence c’est le cochon. J’ai connu des cochons drôles, renfrognés, sympas ou distants, causants ou réservés. Plus malins que des singes, plus intelligents que des chiens, plus proches des humains que n’importe quel autre animal, les cochons sont les plus sensés de nos compagnons. Et je pense depuis longtemps qu’ils sont capables de tenir des rôles bien plus complexes que celui de fournir du jambon. Mais quel que soit le travail des cochons, si nous voulons vivre avec eux et non pas en garder quelques exemplaires dans un jardin public, dans un parc animalier ou à – 180 °C sous forme de gènes, il nous faudra assumer leur mort.
J’aime les cochons, mais j’aime aussi la côte de porc gascon ou limousin, ou d’une autre des six malheureuses races locales qui ont survécu à l’industrialisation de l’élevage. Derrière le terme « cochon », il y a en effet des races et des territoires, des animaux en accord avec des humains. Il y a des savoir-faire d’éleveurs, et d’artisans bouchers et charcutiers. La viande d’un cochon de bonne race, bien élevé et tué dignement, est un régal sans équivalent.
Paradoxalement, ce festin, issu d’un authentique élevage paysan, est de plus en plus réservé aux amateurs fortunés. Car l’élevage de cochons, le véritable élevage, est devenu rare et sa viande est souvent vendue par les éleveurs à des restaurateurs locaux et parisiens. C’est pourquoi il faut refaire de l’élevage de cochons. Vous aimez les cochons ? Plutôt que de contribuer à les faire disparaître en vous déguisant en petit cochon rose dans des standings végan, en mangeant du soja à tous les repas et en avalant des comprimés de vitamines B12 pour éviter de devenir sénile prématurément, allez rencontrer les cochons et leurs éleveurs dans les prés et dans les bois. Et dégustez ensuite avec des amis une côte de cochon noir croustillante, au gras fondant et goûteux. En toute conscience.[/access]
C’était le 20 septembre 1792.
Les Prussiens marchaient sur Paris.
Kellermann et Dumouriez, à la tête d’une armée de va-nu-pieds, repoussèrent l’invasion — profitant entre autres de l’extraordinaire supériorité de l’artillerie française, pensée par Monsieur de Gribeauval dans les années 1770.
20 septembre 2016. L’Europe n’en finit plus de nous marcher sur les pieds — voire sur la tête.
Claude Beaulieu et le Comité Valmy m’ont expédié, en ce jour anniversaire de la première grande raclée — il y en a eu d’autres — flanquée aux ancêtres d’Angela Merkel par une France révolutionnaire, un petit texte sur la question européenne. Je le reproduis tel quel, en espérant qu’il donnera du grain à moudre à tous les lecteurs assidus ou de passage qui se commettent sur Causeur en général et Bonnet d’âne en particulier.
« Le Brexit inaugure un nécessaire processus de désintégration européenne.
Le Figaro du 30 juin a publié un appel de 20 intellectuels « eurocritiques » pour un nouveau traité européen, basé sur un postulat selon lequel l’Union européenne « actuelle » se serait « laissée enfermer dans une dérive technocratique ». Alertés par le vote des Britanniques qui ont choisi la liberté, ces intellectuels européistes critiques entendent « réorienter » la construction européenne, avant que ce vote courageux ne fasse tache d’huile et concrétise la première étape du nécessaire processus de désintégration européenne souhaité par les peuples.
Manifestation de l'organisation PETA, Berlin, mai 2016
Manifestation de l'organisation PETA, Berlin, mai 2016
Il n’y a pas de viande heureuse. Vous autres, amateurs de nourriture carnée, soutenez le contraire en évoquant ces joyeux moments passés à partager une côte de bœuf entre amis. Comme s’il était impossible de rigoler autour d’un gâteau à la caroube préparé en l’honneur de nos deux chiens, qui viennent de fêter leur anniversaire… Tous nigauds, les végétariens ? Rassurez-vous, nous assumons notre nigauderie. Enfin presque, car ledit gâteau de la marque Benevo, leader dans l’alimentation bio, végétarienne et végan, destinée aux animaux domestiques, nous est parvenu depuis la Grande-Bretagne, laissant une sacrée empreinte carbone. Qu’on l’ait amorti en commandant au passage des chips au chou frisé à l’acérola et des blocs de « fromage » à base de fécule de pomme de terre et d’huile de coco, n’apaise pas notre conscience. Pire encore, après avoir gobé leur gâteau végan, nos chiens se sont mis à la chasse du chat du voisin dans un but ostensiblement meurtrier. Et il est à craindre que les os en forme de carotte, cadeau d’anniversaire à visée éducative made in USA, très esthétiques et du reste introuvables dans l’Hexagone, ne suffisent pas à calmer leurs pulsions.
La France véganisée
Blague à part, petit à petit la France se véganise. L’accès aux produits végétariens et végétaliens, excluant toute matière animale, devient plus facile avec la multiplication des magasins spécialisés en ligne et des restaurants, répertoriés sur vegoresto.fr. Désormais il y en a 47, seulement à Paris, sans compter les établissements certifiés « bio », lesquels proposent en général des plats pour cette population ultra-minoritaire qu’au xixe siècle on désignait par la charmante appellation de « légumistes ».[access capability= »lire_inedits »] Néanmoins, fiers prisonniers de leurs traditions culinaires, les Français, dont le repas gastronomique inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO inclut obligatoirement un mets de viande ou de poisson, restent à la traîne des tendances mondiales. On estime le nombre de végétariens aux États-Unis à 13 %, à 11 % en Angleterre, à 9 % en Allemagne et à moins de 2 % en France. Si ces chiffres sont à prendre avec des pincettes, car un certain nombre de prétendus « végétariens » consomment occasionnellement du poisson – ce qui fait d’eux les « pescétariens » –, ou ne rechignent pas à commander un steak une fois par mois – tombant ainsi dans la catégorie des « flexitariens » –, ils n’en sont pas moins brandis comme la preuve d’une déplorable exception française. « La France est à mon avis le seul pays où on aurait affaire à une sorte de véganophobie », témoigne Alice, une Parisienne exilée depuis plusieurs années à San Francisco. Adepte du véganisme, un mode de vie à 100 % végétal récusant toute forme d’exploitation animale, la jeune graphiste s’étonne de l’ignorance de ses compatriotes : « Je rencontre encore des gens qui pensent que je mange uniquement de l’herbe et que, forcément, à la longue je vais en mourir!! » Et que penser de ces restaurants qui proposent un menu à « nos amis végétariens »… Lili, végétalienne depuis quatre ans et mère d’un garçon de sept mois, appréhende les moqueries dont pourrait souffrir son fils à l’école. « J’essaierai de lui expliquer ma démarche, en lui laissant le choix. C’est sûr, il n’y aura pas de viande à la maison. Il pourra certes en manger à l’extérieur, mais en toute connaissance de cause. Pareil pour les poissons, dont je ne conteste pas la valeur nutritive… Seulement quand il aura l’âge d’aller à l’école, plus personne ne pourra en manger, faute de notre désastreuse gestion de la pêche. » Pendant sa grossesse, Lili, une danseuse professionnelle, a fait une concession en ingurgitant un œuf de temps à autre, sans se laisser convaincre d’avaler un verre de lait ou une tranche de foie de veau réputé pour sa teneur en fer.
Nous vous agaçons, en nous mêlant de vos assiettes. Vous préférez ne rien savoir des conditions de vie, toujours trop courte, et de la mise à mort de ceux que vous mangez. Le silence des bêtes vous arrange, tandis que la défense de la cause animale, trop bruyante selon vous, vous occasionne une légère indigestion. Vous la considérez comme une nouvelle lubie d’intellectuels, alors que depuis Plutarque jusqu’à Derrida, en passant par Voltaire qui vous reprochait votre « sanglante gloutonnerie », les philosophes ne l’ont jamais abandonnée. Certes, on se passerait volontiers de certains militants pour les droits des animaux, qui semblent davantage les desservir que les promouvoir. Dans son dernier ouvrage, Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature (Don Quichotte, 2016), Aymeric Caron propose de remplacer le Sénat par une « Assemblée naturelle », laquelle représenterait les intérêts des animaux et poserait les bases d’une nouvelle « République du vivant ». Lancé dans son élan, l’ex-chroniqueur vedette du petit écran ne recule pas devant l’idée de procurer aux animaux un nouveau statut juridique, celui de « personnes non humaines » car, nous assène-t-il, « les animaux non humains sont mus par le même vouloir-vivre que nous ». Difficile de ne pas y voir l’analogie avec la personnification juridique des animaux qui ordonnait au Moyen Âge les fameux procès de cochons ou de vaches, condamnés à la pendaison pour sorcellerie. Quid de nos deux chiens, si par malheur ils parviennent un jour à attraper la personne non humaine du chat du voisin ? La question laisse perplexe Alice, venue à notre rendez-vous chaussée de mocassins en cuir végétal signés Stella McCartney : « Je suis d’accord avec les antispécistes quand ils s’insurgent contre la façon de s’émouvoir du sort des animaux mignons, tels chiens, brebis ou lapins, aux dépens des poules et des poissons, à l’égard desquels nous avons infiniment moins d’empathie. Pourtant, manger des œufs, c’est du sadisme ! On sait que dans le processus de leur production, les poussins mâles sont broyés ou gazés peu après l’éclosion. Cependant, faire un parallèle entre le spécisme d’un côté, et le racisme et le sexisme de l’autre me paraît abusif. La consommation de viande stagne, voire diminue en Europe depuis les années 1990, alors qu’elle a quadruplé en Asie de l’Est, surtout en Chine. Partout dans le monde, dès que le pouvoir d’achat augmente, les gens se mettent à manger plus de viande. L’analogie entre le spécisme et le racisme ne tient pas vraiment… » Popularisé par le best-seller La Libération animale du philosophe australien Peter Singer, paru en 1975, le terme « spécisme » dénonce une attitude consistant à refuser le respect à un animal en raison de son appartenance à une autre espèce que l’espèce humaine. Jacqueline, sympathisante de L214 ajoute : « Dans le débat autour du spécisme et de l’antispécisme, je me sens proche de la position d’Élisabeth de Fontenay, qui réclame qu’on soit à la fois humaniste et animaliste. J’aime à penser que respecter l’animal c’est respecter son mystère, sa différence. Évidemment, cela ne devrait pas nous retenir de dénoncer toute forme de maltraitance sur les animaux ni de combattre en faveur de l’abolition de l’abattage et de l’élevage. »
La production de viande conduit à la chosification des bêtes
Abolir l’abattage ? Le postulat doit vous paraître farfelu, à vous les omnivores. Si les animaux n’étaient plus commercialisables, dites-vous, ils disparaîtraient purement et simplement. Voilà une de vos fausses préoccupations, qui nous fait hurler de rage, nous les « légumistes ». Pourquoi ne pas enfin vous défaire enfin de cette façon de penser au règne animal sur le mode utilitaire ? Vous n’ignorez tout de même pas que les animaux d’élevage naissent par insémination artificielle ? La production de viande à l’échelle industrielle conduit non seulement à la chosification des bêtes, mais aussi à la déshumanisation des humains. Les travaux de Catherine Rémy, chercheuse en sociologie au CNRS et auteur de La Fin des bêtes : une ethnographie de la mise à mort des animaux (Economica, 2009), sont à ce titre édifiants. Suite à une enquête de plusieurs mois réalisée dans un abattoir, la scientifique conclut : « […] les hommes des abattoirs “résistent” à leur manière à la logique de l’insensibilité : l’émotion violente accompagne le travail et rappelle, en situation, que mise à mort il y a bien. Cette expression de violence est la condition de réalisation d’un abattage à cadence industrielle. Les animaux sont bien sûr les premières victimes de ces tensions […]. Mais ils ne sont pas les seules : la violence inhérente à la mise à mort ne laisse pas indemne ceux qui sont en charge de cette tâche ingrate. » La vidéo tournée clandestinement par les militants de L214 dans les abattoirs d’Alès, et qui montrait des actes de cruauté, a été visionnée 1,6 million de fois, et a soulevé un tollé à la fin de 2015. Quelques mois plus tard, de nouvelles images chocs d’un petit abattoir « bio » du Vigan ont confirmé le propos de Brigitte Gothière, porte-parole de l’association, selon lequel « il n’y a pas de mort bio ou de mort douce ». Pourtant, bien que la marche annuelle pour la fermeture des abattoirs organisée par L214 à Paris le 4 juin ait réuni quelques centaines de personnes, une conversion collective à l’alimentation végétarienne ou végétalienne paraît utopique. « Cela supposerait que les gens réfléchissent, qu’ils remettent en cause leur mode de consommation, qu’ils changent d’habitudes alimentaires et qu’ils se libèrent des préjugés nutritionnels répandus par l’industrie agroalimentaire. Bref, il faudra qu’ils fassent ce qu’ils n’ont aucune envie de faire, quitte à ruiner la planète et leur propre santé », résume Lili. Sans vouloir vous gâcher la fête, chers omnivores, mourez sur-protéinés et diabétiques dans les effluves du dernier gigot d’agneau servi à la table familiale, mais admettez que ce n’est pas nous qui sommes insensés.[/access]
Karine Le Marchand et Nicolas Sarkozy dans "Ambition intime"
Karine Le Marchand et Nicolas Sarkozy dans "Ambition intime"
C’est l’émission qui fait parler, l’émission qu’on critique, l’émission qu’on vilipende. « Ambition intime » sera animée par Karine Lemarchand, l’animatrice-phare de M6 qui présente depuis dix ans déjà « L’amour est dans le pré ». Une vidéo de présentation circule et certains de mes amis s’en émeuvent. Ils regrettent l’effondrement du débat public, la politique-spectacle dans toute sa splendeur, l’homme d’État dépouillé de toute idée, de tout programme, réduit à son histoire et ses sentiments, la présidentielle résumée à un feuilleton de téléréalité, où l’on choisira son candidat comme on vote pour son agriculteur préféré dans l’amour est dans le pré. Je leur demanderais bien, à ces amis, dans quelle grotte ils étaient cachés ces vingt dernières années. Je leur demanderais bien s’ils ont déjà lu un portrait rédigé par Anna Cabana, s’ils ont déjà assisté aux questions psychologisantes de Nathalie Saint-Cricq dans la défunte émission « Des paroles et des actes ».
Je leur demanderais bien s’ils ont déjà assisté à une interview de Yann Barthès. Je leur demanderais bien s’ils regardent la deux le dimanche après-midi. Il y a en effet une différence entre Cabana, Saint-Cricq, Barthès, Drucker d’une part et Karine Lemarchand, d’autre part. L’animatrice de M6 ne se prétend pas éditorialiste politique. Elle est animatrice et elle va rigoler de temps à autres aux « Grosses têtes ».
François Hollande à la tribune de l'ONU, septembre 2016. Sipa. Numéro de reportage : 00724769_000048.
François Hollande à la tribune de l'ONU, septembre 2016. Sipa. Numéro de reportage : 00724769_000048.
François Hollande vient de recevoir le prix de l’homme d’état de l’année, notamment des mains d’Henry Kissinger, qui en son temps avait élevé l’art de la realpolitik à son plus niveau. Ce prix lui a été décerné par la fondation Appeal of Conscience pour « son leadership dans la sauvegarde de la démocratie et de la liberté ». Bien ; bravo. D’ailleurs, dès le lendemain, à la tribune de l’ONU, François Hollande n’a pas manqué l’occasion de faire preuve de leadership en disant, à propos de l’interminable boucherie syrienne, « Ça suffit ». On ne peut qu’approuver ces mots. Oui, ça suffit avec l’horreur de ce conflit devenu régional, et quasiment mondial aujourd’hui par le jeu complexe et contradictoire de toutes les « parrains » impliqués.
Zéro réfugié accueillis dans la péninsule arabique
Mais pourquoi François Hollande n’a-t-il pas étendu la grâce et le leadership de son « Ça suffit » à l’autre tragédie de la région, aussi scandaleuse que celle de la Syrie, celle du Yémen ? Pourquoi évoquer la famine des habitants des villes syriennes assiégées de façon moyenâgeuse, et pas celle des civils yéménites pris au piège dans les zones enclavées, ces milliers d’enfants dont les images de vieillards squelettiques rappellent celles du Biafra en 1968 ou de la Somalie en 1992 ? Pourquoi dénoncer les convois humanitaires visés en Syrie, et pas les dispensaires et hôpitaux délibérément ciblés au Yémen, à tel point que MSF a dû évacuer son personnel de six hôpitaux dans le Nord du Yémen ? Pourquoi parler d’Alep, ville martyr à l’égal de Stalingrad, et pas des zones civiles écrasées volontairement sous les bombes saoudienne ou émiraties au Yémen ? Pourquoi passer sous silence, dans l’enceinte de l’ONU, le récent rapport de cette même ONU qui établit que 60 % des décès d’enfants au Yémen sont provoqués par la campagne d’une brutalité égale à celle de Bachar Al-Assad, menées par la coalition dirigées par l’Arabie Saoudite contre les rebelles Houthis soutenus par l’Iran, dans ce pays ?
Pourquoi, enfin, s’agissant de la Syrie, souligner que le drame qui s’y joue provoque des millions de déplacés et réfugiés, ces « migrants » dont nous ne savons que faire, sans souligner la différence entre le petit Liban de quatre millions d’habitants qui en accueille près de deux millions au risque de sa stabilité, et les riches Etats du golfe qui en accueillent… zéro ?
François Hollande a expliqué que l’histoire nous jugera un jour. Il a raison. L’histoire le jugera, lui et beaucoup d’autres dirigeants occidentaux, pour cette indignation à géométrie variable, pour cette dénonciation d’un côté, et ce silence de l’autre. Et pour les raisons de ce silence.
Ces raisons sont désespérément simples : les pays du golfe, Arabie Saoudite en tête, qui font au Yémen ce que « la communauté internationale » n’accepterait pas que les Etats-Unis ou Israël, par exemple, fassent ailleurs, ont acheté notre conscience depuis longtemps. Ces pays achètent l’armement occidental (les chars français Leclerc aux couleurs émiraties sont en représentation dans la « campagne du Yémen » et les F 16, Tornados et Eurofighters aux cocardes saoudiennes, bahreïnies ou marocaines écrasent les quartiers habités et les hôpitaux). L’Arabie saoudite, qui a financé, par l’intermédiaire d’innombrables fondations et dons « privés » l’essor de Daech, et continue en partie de le faire, achète à la France des Airbus, des patrouilleurs, peut-être des rafales et des avions ravitailleurs, et plein d’autres choses encore. L’Arabie saoudite finance le rachat par l’Egypte des navires de guerre classe Mistral initialement construits pour la Russie…
Ça suffit ? Chiche ! Mais pour tout le monde, alors, n’est-ce pas, Monsieur Hollande ?
Olivier Falorni. Sipa. Numéro de reportage : 00639311_000011.
Olivier Falorni. Sipa. Numéro de reportage : 00639311_000011.
Gil Mihaely. Comme préambule au projet de loi sur la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, vous avez choisi cette citation de Gandhi : « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Après deux mois de travaux, de visites d’abattoirs, d’auditions d’experts et d’acteurs de la filière, qu’avez-vous conclu du niveau de civilisation du peuple français ?
Olivier Falorni[1. Olivier Falorni est député PRG de Charente-Maritime et président de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux.]. Il est encore prématuré de tirer des conclusions définitives sur la situation des abattoirs en France. Ce sera l’objet du rapport qui sera présenté mi-septembre.
J’ai souhaité la création de cette commission d’enquête à la suite des vidéos de L214 qui m’ont profondément choqué comme beaucoup de Français. En effet, on y voyait des actes de maltraitance voirede barbaries absolument odieux et inacceptables. Nous avons interrogé les responsables des trois abattoirs concernés (Alès, Le Vigan, Mauléon) et des procédures judiciaires ont été lancées. Mais tous les abattoirs français ne sont pas des salles de torture. Certes, l’acte d’abattre un animal de boucherie est forcément violent, difficile à regarder, mais nous avons pu observer des établissements, des salariés qui faisaient leur difficile métier en respectant au maximum l’animal et en leur épargnant toute souffrance inutile.
Néanmoins, beaucoup de progrès restent à accomplir mais nous avançons avec détermination. Nous avons voté des changements importants ces derniers mois. D’abord, la modification du statut de l’animal dans le Code civil. Il n’est désormais plus considéré comme un bien meuble mais il est reconnu comme un être vivant doué de sensibilité. Ensuite, dans le cadre de la loi Sapin 2, nous avons introduit un amendement faisant de la maltraitance sur animaux dans les abattoirs et dans les transports un délit pénal et protégeant les lanceurs d’alertes qui dénonceraient ces faits délictueux.
La législation française progresse donc de façon positive. Encore faut-il qu’elle se traduise concrètement sur le terrain.
Quels sont donc les points faibles des abattoirs français ?
En France, plus d’un milliard d’animaux sont abattus. L’inspection générale diligentée par Stéphane Le Foll en mars a permis de dresser un état des lieux. 259 établissements, soit 460 chaînes de mise à mort de bovins, ovins, porcs ou gibiers ont été contrôlés. Deux abattoirs ont été fermés. Quatre-vingt-dix-neuf avertissements ont été donnés et soixante-dix-sept exploitants ont été mis en demeure d’apporter des corrections à l’organisation de leur travail.
Les très nombreuses auditions que nous avons menées, comme les visites inopinées auxquelles nous avons procédés ont permis de mieux mettre en lumière la situation. Cela se résumerait succinctement en trois points :
– Des contrôles du bien-être animal parfois défaillants ;
– Des infrastructures, des équipements trop souvent inadaptés faute d’investissements suffisants ;
– Une formation du personnel insuffisante voire inexistante.
Ces insuffisances ont-elles pour cause fondamentale un manque de moyens ?
Il y a une grande hétérogénéité des abattoirs en France. Vous avez des grands abattoirs industriels privés qui ont la capacité d’investir de lourdes sommes dans leurs infrastructures. Je pense par exemple à l’abattoir Bigard de Feignies dans le Nord que nous avons visité et qui a coûté 50 millions d’euros. Mais vous avez aussi des petits abattoirs artisanaux de proximité, souvent publics, fréquemment déficitaires car peu rentables, et que les collectivités locales rechignent de plus en plus à renflouer. Tout cela créé bien évidemment des conditions de travail extrêmement différentes. Au-delà, des dérives individuelles qui peuvent se produire, la question du bien-être des salariés étant indissociablement liée au bien-être des animaux.
Existe-il des pays exemplaires dont les abattoirs peuvent servir de modèle à la France ? Que peut-on apprendre des expériences étrangères ?
Chaque pays a ses spécificités mais aucun ne peut, je crois, s’ériger en modèle. Néanmoins, il est utile d’observer ce qui se pratique à l’étranger et nous avons notamment regardé avec intérêt en Suède le système d’abattoir mobile qui permet de tuer les animaux à la ferme. C’est une idée intéressante qui pourrait être expérimentée en France si le prototype répond bien aux normes sanitaires et environnementales requises.Elle pourrait ainsi répondre en partie à la disparition des petits abattoirs ruraux en offrant une alternative aux éleveurs.
Même dans les meilleures de conditions, la mise à mort des êtres vivants et sensibles – des bovins, des porcs, des volailles, des bovins, des chevaux – n’est pas un beau spectacle. Comment définir les critères définissant un « abattage respectueux » quand la sensibilité de la société ne cesse d’évoluer ?
La loi exige que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable soit épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes ». C’est la raison pour laquelle l’animal doit être étourdi avant d’être mis à mort, afin que la saignée se fasse dans un état d’inconscience. Il est donc indispensable de s’assurer de l’efficacité et de l’effectivité de cet étourdissement. C’est le rôle du responsable bien-être animal, c’est aussi le rôle de l’inspecteur vétérinaire qui ont, tous deux, l’obligation d’être présents durant l’abattage et qui doivent mieux prendre en charge cette mission. Le transport des animaux qui se fait parfois dans des conditions déplorables, le déchargement des camions, l’amenée vers le poste d’abattage, sont aussi autant de phases qui doivent être surveillées de près afin de s’assurer que les animaux ne seraient pas blessés, stressés ou maltraités.
Mais prôner l’interdiction pure et simple des abattoirs en France me semble être une mauvaise idée car elle aurait des effets inverses au but recherché. Les animaux qui ne seraient plus tués ici seraient tués ailleurs, bien plus loin, à l’étranger, générant des temps de transport considérablement augmentés et donc de la souffrance animale supplémentaire.
A terme, envisageriez-vous la possibilité d’une interdiction pure et simple de l’abattage des animaux en France voire dans l’UE ?
Je soutiens le combat des associations qui se battent pour la protection animale. Je respecte l’engagement de groupes comme L214 qui militent pour un monde sans viande, pour une société vegane. C’est leur choix et c’est la liberté de chacun de se nourrir comme il le souhaite. Je salue par ailleurs leur travail de lanceur d’alertes qui a été efficace avec leurs vidéos clandestines. Après, nous ne sommes pas dans le même rôle. Nous ne sommes pas dans une logique militante, nous sommes dans une démarche parlementaire qui veut trouver des solutions efficaces, faire des propositions concrètes, pour empêcher autant que possible la maltraitance animale dans les abattoirs. Car tant que nos concitoyens continueront à consommer de la viande, il faudra bien des abattoirs sur notre territoire.
Pensez-vous que l’abattage rituel – juif ou musulman – pose un problème particulier ?
L’abattage rituel est un sujet extrêmement sensible mais nous avons souhaité l’aborder sans tabous. C’est l’absence d’étourdissement de l’animal qui est au cœur de cette question spécifique. Nous avons d’ailleurs toujours associé dans nos auditions des représentants du culte juif et du culte musulman. Car la problématique est la même pour le casher comme pour le hallal.
L’abattage rituel est en effet une technique dérogatoire en France par rapport à la pratique conventionnelle. Nous avons évoqué durant nos travaux la possibilité d’un étourdissement préalable avant la saignée, à condition qu’il soit réversible. Les deux rites interdisent en effet que l’animal soit mort avant l’égorgement, ce qui était d’ailleurs à l’origine une mesure sanitaire.
Or, certains pays musulmans tels que l’Indonésie, la Malaisie, ou la Jordanie permettent l’importation et la consommation de viande provenant d’animaux abattus avec étourdissement. Au Maroc, certains abattoirs pratiquent également cette technique. Et la Nouvelle-Zélande est le plus grand exportateur de viande hallal au monde qui provient toujours d’animaux abattus après électronarcose. En revanche, le rite juif n’admet nulle part ni l’étourdissement préalable réversible, ni l’étourdissement post-jugulation. Le débat est particulièrement vif en France, entre ceux qui affirment que l’abattage sans étourdissement est indolore pour l’animal quand il est pratiqué « dans les règles de l’art » et ceux qui disent au contraire qu’il expose l’animal à une souffrance aigüe et prolongée. Ce qui est en tout cas certain, c’est que l’étourdissement préalable ne règlerait pas tout, à la lumière de certains faits horribles observés dans des abattoirs conventionnels comme très récemment dans l’abattoir de Pézenas et celui du Mercantour. Incontestablement, un contrôle accru apparaît nécessaire. Il me semble évident que la vidéo surveillance pourrait être un apport indispensable.
Après avoir présidé cette commission, avez-vous arrêté de consommer de la viande ?
Non, je n’ai pas arrêté de consommer de la viande mais, en bon Rochelais, je mange de plus en plus de poisson !
L’émergence des nouvelles approches de l’environnement et l’émergence des neurosciences et sciences cognitives constituent le quatrième axe de rupture qu’on mentionnera ici. Car même s’il ne concerne pas directement le grand public, l’essor de ces approches et disciplines influe fortement la conception des relations entre les hommes et les animaux. Le développement des nouvelles approches de l’environnement conduit actuellement à une sorte de retournement de la façon d’appréhender l’activité agricole. Pour utiliser une image parlante, il faut rappeler qu’il y a une trentaine d’années, l’agronomie et les diverses disciplines agricoles étaient raisonnées en partant de l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation agricole. On pouvait ensuite passer à un niveau plus global ou au contraire plus micro mais, en gros, on se plaçait au niveau de l’homme, le fermier, et de ses pratiques agricoles.
En étant schématique, aujourd’hui, de nombreux travaux scientifiques sur les sujets environnementaux conduisent à mettre en avant des résultats au niveau global de la planète. C’est bien sûr le cas avec le climat. Mais c’est aussi le cas autour des questions de biodiversité, de gestion de l’eau, d’énergie, etc. On est ainsi entré dans l’ère des bilans globaux des disponibilités en ressources. Et ce sont ces bilans globaux qui sont ensuite utilisés par certains, avec pour ambition de définir ce qui doit être fait sur le plan agricole et par les agriculteurs.
Concrètement, c’est ce type de démarches qui conduit aujourd’hui à l’émergence de critiques virulentes de l’élevage au nom de calculs d’impact sur le climat (du fait des émissions de méthane des ruminants), sur l’eau (dont des volumes aberrants seraient « consommés ») ou sur la biodiversité (du fait du lien entre soja et déforestation de l’Amazonie), quitte à en oublier les différentes utilités de cette activité.
On notera avec un brin d’ironie qu’on a là affaire à un pur décalque des méthodes de planification centralisée jadis raisonnées en fonction de considérations qui se prétendaient économiques. Et dans le fond, on retrouve exactement les deux mêmes faiblesses. Ces « bilans » sont, pour la plupart, établis à charge ; ils ne décomptent (pour le moment, dira-t-on) que les prélèvements ou les impacts négatifs d’une activité sans tenir compte, ou très mal, des contributions positives. Ce sont des « bilans » à une seule colonne ! Et il est vrai – c’est le second biais – que ces contributions positives sont particulièrement difficiles à qualifier et à mesurer. Elles se produisent parfois géographiquement ailleurs, qualitativement autrement (sur d’autres variables), et physiologiquement sur d’autres rythmes ou pas de temps. Bref, on tente de faire des bilans entrée-sortie à une seule variable sur des phénomènes systémiques impliquant fondamentalement des cycles biologiques hétérogènes et à composantes multiples. C’est évidemment voué à l’échec ! Mais compte tenu de la pertinence sociétale des questions abordées, et de la nouveauté des analyses nécessaires, cela donne l’illusion de prendre sur des bases scientifiques, des décisions concernant des sujets fondamentalement complexes.
Concernant l’élevage et la relation aux animaux, force est de constater qu’issues de secteurs de la recherche et plus souvent encore proches de la recherche, les critiques mentionnées ci-dessus sont ainsi passées par une partie du monde associatif, des médias et du personnel politique pour aujourd’hui atteindre le grand public, sans pour autant être accompagnées des précisions qui auraient été nécessaires pour indiquer les biais méthodologiques et les faiblesses des résultats[1. On ne peut ici résister à l’ironie de citer l’intervention d’un parfait style pompier pyromane que Pierre Gerber a faite lors du Congrès international des sciences et technologies de la viande (ICOMST), à Clermont-Ferrand en août 2015. À cette occasion, il a affirmé qu’il fallait revenir à un peu de mesure concernant l’impact de l’élevage sur le climat, que celui-ci avait été surestimé une dizaine d’années auparavant, les médias ayant joué un rôle de caisse de résonnance favorisant une diffusion de ces analyses au grand public. L’ironie de cette anecdote est qu’il est lui-même, avec Henning Steinfeld, l’un des deux principaux co-auteurs du rapport d’étude L’ombre portée de l’élevage, publié par la FAO en 2006 qui avait alors mis le feu aux poudres. Et c’était bien leur département (AGA) qui à l’époque avait convoqué une conférence de presse pour la sortie de ce rapport d’étude contrevenant ainsi aux pratiques habituelles de la FAO pour de simples rapports d’étude. Les rapports d’étude ne sont en effet ni approuvés (scientifiquement et politiquement) ni votés par l’institution, et diffèrent en cela des rapports officiels. Ce sont des rapports comme les organisations internationales en produisent chacune des dizaines par an. Écrit également avec un formidable aplomb par Henning Steinfeld, cela donne dès 2012 : The publication of the Livestock’s Long Shadow report led to a passionate and emotional debate. Our figures have sometimes been misused or misreported by some interest groups. However what ultimately matters to us is to create the conditions for a constructive dialogue among stakeholders and to catalyze action towards practice change. Ou plus crûment : nos chiffres étaient faux mais ce n’est pas grave car cela a contribué à créer du débat et à faire changer les choses (http://www.la-viande.fr/sites/default/files/images/culture-viande/viande-societe/Interview-Henning-Steinfeld-FAO-english.pdf). Des postures en définitive typiques de lanceurs d’alerte ou d’activistes politiques mais certainement pas de fonctionnaires d’une organisation de l’ONU ou de chercheurs d’un organisme scientifique.].
Le développement des sciences cognitives a des effets assez comparables. L’essor de la neurologie, de l’éthologie, de l’archéozoologie, des diverses branches des sciences de la communication conduisent indiscutablement à constater un effacement de certaines frontières entre les hommes et les animaux. C’est ce qui conduit certains à militer pour une égalité de traitement et des droits entre les hommes et les animaux.
Au-delà des stratégies de communication des mouvements antispécistes, qui s’appuient sur le choc créé par des images de pratiques indéfendables, ces revendications s’expriment plus sérieusement sur deux plans : d’une part celui du droit, avec notamment un travail visant à la modification des législations nationales ou internationales et des normes ou règlementations ; et d’autre part celui de définition d’indicateurs de bien-être permettant de traduire des résultats scientifiques sous forme de bonnes pratiques.
Avec le risque de tout raccourci, on dira que l’axe de travail juridique conduit aujourd’hui à des évolutions. En atteste par exemple en France, la réforme du code civil du 16 février 2015 reconnaissant aux animaux la nature d’Êtres sensibles. Difficile cependant d’apprécier la portée concrète qu’aura cette évolution juridique d’autant que, pour sa part, la définition des indicateurs de bien-être peine à avancer même si, par exemple, la Commission européenne réunit sur ce sujet des groupes d’experts depuis plus d’une dizaine d’années.
Si l’objectif d’édicter des bonnes pratiques est louable, il paraît en effet bien difficile d’asseoir celles-ci sur des résultats scientifiques : ces résultats existent mais, la plupart du temps, manquent de consistance dans la mesure où ils dépendent de l’espèce observée, du contexte et des modalités d’observation, etc. Il est dès lors malaisé d’étendre leur application au-delà de ces conditions d’étude.
Les acteurs impliqués dans ce type de démarche sentent donc bien que les notions de bien-être animal ou encore de souffrance évitée ont un sens général. Mais de là à parvenir sans conteste à les caractériser et à les mesurer, il y a un pas qui est encore loin d’avoir été franchi.
Si certaines des frontières entre les hommes et les animaux tendent à s’estomper, il faut en outre bien rappeler que ce n’est pas le cas de toutes les frontières ! Et il faut aussi rappeler que différents travaux ont mis en évidence l’existence de systèmes de communication… entre plantes par le biais de molécules[2. Voir l’exemple de travaux de l’INRA (http://www.inra.fr/Chercheurs-etudiants/Biologie-vegetale/Tous-les-dossiers/Sentir-bouger-communiquer-les-plantes-aussi/Communication-externe-les-liens-plantes-champignons/(key)/5). Mais encore plus étonnant https://www.newscientist.com/article/mg12717361-200-antelope-activate-the-acacias-alarm-system/ ou comment des plantes d’acacias parviennent à éliminer le surpâturage de mammifères (koudous).et les tuant.]. Doit-on pour autant dire qu’il n’y a plus de frontière entre le règne animal et végétal ? Assurément non, pour une myriade de raisons biologiques… mais aussi parce qu’il y a une différence entre communication et langage, une différence entre sensibilité et conscience, et pour reprendre un raisonnement de Francis Wolff, une différence entre conscience et science, et entre conscience (de soi ou du monde) et conscience de l’inaccompli. L’Homme n’est ainsi peut-être pas la seule espèce du règne animal à disposer d’un langage, de sensibilité et de conscience mais, jusqu’à preuve du contraire, c’est assurément la seule espèce capable de science, consciente de l’inaccompli et capable de communication entre ses individus sur cet inaccompli.
On conçoit donc bien que la rupture qu’implique l’émergence de ces disciplines cognitives, dans les conceptions que les hommes ont de leurs relations avec les animaux, notamment domestiques, est loin d’être négligeable. Et elle pousse assurément à un certain rapprochement des traitements. Il n’en demeure pas moins que les différences entre les hommes et les animaux restent notables, essentielles, ontologiques. L’oublier ou le négliger, c’est très précisément oublier ou négliger ce qui fait notre humanité.
Si les éléments de rupture mentionnés précédemment sont déjà clairement à l’œuvre, il est par ailleurs des tendances et idées émergentes qu’il convient d’évoquer pour leur influence potentielle ou à venir sur la conception des relations entre les hommes et les animaux. Certaines de ces idées sont, pour le dire net, de fausses bonnes idées, voire même des idées fausses mais elles circulent, et jouent sur les mouvements d’opinion. Rappelons là encore quelques grands axes.
En matière de consommation, à niveau mondial, la demande de viande va continuer de croître. C’est une évidence et un mouvement de fond qu’il est bon de répéter. En moins de vingt ans, une classe moyenne, qui compte entre un et deux milliards de personnes, est apparue dans les pays émergents. Quoi qu’on en pense, cette population n’attend que de consommer plus de viande. La demande mondiale va donc croître même si cela intègre une baisse de la consommation dans les pays occidentaux, tant pour des raisons de baisse des besoins nutritionnels dans des économies de plus en plus tertiarisées, que pour des raisons culturelles ou idéologiques.
Plus finement cependant, on constate déjà dans ces pays émergents, des courants critiques de la production et de la consommation des produits carnés qui donnent à penser que la hausse de la consommation pourrait finalement y être plus brève qu’envisagé (soit quelques décennies).
Il semble par ailleurs qu’aucune étude réellement consistante ne permette aujourd’hui d’anticiper de façon fiable pour les jeunes générations, l’essor, réel ou supposé, du végétarisme et du flexitarisme, ou la baisse de la consommation. Selon les enquêtes de consommation du CREDOC, les végétariens ne représentent en France en 2014 que 1% des consommateurs, et non 3%, chiffre sans source qu’on voit régulièrement circuler. Ce chiffre serait globalement assez stable mais occulterait peut-être une hausse sensible chez les jeunes. Toujours en France, force est en outre de constater que la revendication du flexitarisme constitue l’argument des jeunes pour expliquer leur faible consommation de viande et donc la baisse de celle-ci. Mais aucune étude ne vient croiser l’évolution du poids de cette revendication avec l’évolution de leur situation économique sur la moyenne durée. Il n’y a ainsi aucun moyen d’avancer ou de rejeter l’hypothèse que la baisse de la consommation de la catégorie des jeunes résulterait d’une précarisation croissante (en tout cas depuis les années 80 et la fin des Trente glorieuses). Or il est toujours plus valorisant de dire qu’on ne mange pas ou peu de viande parce qu’on est végétarien ou flexitarien (pour le bien-être animal ou pour protéger l’environnement) plutôt que parce qu’on est pauvre et qu’on n’a pas les moyens d’en acheter contrairement à ses parents au même âge, ou parce qu’on privilégie d’autres biens de consommation notamment high-tech.
Dans la même logique, on notera qu’il n’y a aucune étude non plus qui fasse le lien sur la longue durée entre la baisse globale de consommation de viande de boucherie des 20 à 30 dernières années et l’évolution de sa qualité organoleptique.
Sur ces différentes questions, on a donc beaucoup plus affaire à des interprétations idéologiques des faits qu’à des analyses fondées et étayées de leurs causes et dynamiques.
De travaux récents de Claude Fischler rendent bien compte de ce biais : face à la multiplication des régimes alimentaires (végétarien, végétalien, sans sel, sans graisses, sans gluten, halal, casher, etc…) et à la place croissante occupée par les discours de leurs promoteurs, il montre l’existence d’une tendance de fond unique et beaucoup plus lourde : l’individualisation des repas, de leur conception et de leur consommation[3. Claude Fischler (sous la direction de) : Les alimentations particulières. Mangerons-nous encore ensemble demain ? Odile Jacob. Paris. 2013.].
En matière de production, les tendances réellement porteuses d’avenir sont probablement encore plus difficiles à anticiper. Plus que des scenarios productifs un par un, ce sont peut-être des champs de tension qu’il faut ici envisager.
On en a déjà cité quelques-uns : l’opposition entre une agriculture fondée sur l’usage intensif de ressources pétrolières et l’agriculture écologiquement intensive. La première autorise de ne produire que des végétaux. La seconde non seulement autorise mais requiert des productions animales en plus du végétal.
L’opposition entre une consommation de produits plutôt transformés ou plus proches du naturel. C’est un champ de tension probablement moins marqué que le précédent mais où les oppositions existent malgré tout. Concrètement, une alimentation végétalienne passera nécessairement par le recours à des produits transformés. Deux raisons à cela ; un tel régime est doit être rééquilibré sur le plan nutritionnel et c’est plus facile voir nécessaire (Vitamine B12) avec des produits transformés ; et surtout, la transformation des produits végétaux permettra d’améliorer la biodigestibilité des protéines végétales qui est naturellement nettement moins bonne que celle des protéines animales. À l’inverse, il faut évidemment reconnaître que le caractère omnivore du régime alimentaire n’a aucune influence sur la nécessité ou pas de transformations industrielles plus ou moins poussées. Sont ici avant tout en cause des questions de praticité et de marketing. C’est là qu’on rejoint la tension entre le peu ou le beaucoup transformé, et donc implicitement entre le local-naturel et le pratique-transformé-lointain.
Troisième champ de tension : l’opposition entre des productions hors-sol et des productions de plein-champ. Dans ce cas, ce sont plutôt les productions végétales qui véhiculent, a priori, une image positive liée au plein-champ tandis que les systèmes d’élevage, même lorsqu’ils sont conduits sur prairies comme dans le cas de la plupart des bovins viande, sont régulièrement associés à l’image négative des systèmes hors sols de certaines espèces de monogastriques. On notera que la tendance au développement de cultures sous serres, en hydroponie ou quasi hors-sol risque à terme d’altérer cette image ; mais on n’en est pas encore à ce stade.
Autre champ de tension : celui des modèles dits intensif ou industriel versus paysan ou familial. En réalité, personne aujourd’hui n’est en mesure de préciser ce que signifie cette terminologie. En France, les exploitations dites industrielles résultent de l’intensification des techniques par des agriculteurs qui, il y a une ou deux générations tout au plus auraient été qualifiés de paysans. Compte tenu des niveaux de capitalisation, l’absence de recours à de la main d’œuvre salariée ne signifie plus grand-chose : la plupart des exploitations d’agriculture familiale mettent en œuvre des techniques particulièrement intensives et que certains qualifieront industrielles. À l’opposé, et selon les cas, des paysans qui exploitent des fermes particulièrement exiguës pourront, à force de travail, tout aussi bien dégager un revenu supérieur celui de grandes exploitations dites intensives (mais surendettées), que vivoter avec trois francs-six sous. Le recours à des comparaisons internationales jette encore plus le trouble : Les « complexes industriels » d’élevage porcin et autres « ferme des 1 000 vaches » qu’on trouve en France sont 5 à 10 fois moins grands que ceux qu’on trouve en Allemagne ou en Europe du Nord, et 100 fois moins grands que ceux des États-Unis ou que ceux développés par les bourgeoisies de pays émergents et en développement. Évidemment, ils sont eux-mêmes incomparablement plus grands et plus productifs que ceux des petits paysans des pays les moins avancés.
Dernier champ de tension qu’on abordera ici, celui des technologies émergentes dans leur ensemble. On fait ici références aux techniques dites d’élevage de précision associant robotisation et usage de capteurs, aux techniques liées à la génomiques et aux nouvelles façons de procéder à la sélection génétique des animaux, ou encore au développement de la viande artificielle, ou au recours aux insectes, etc. Sans entrer dans le détail, ces diverses technologies sont chacune en tension entre sa composante technique (plus ou moins faisable) et ses conditions d’acceptabilité. Les progrès scientifiques vont rendre les technologies de l’élevage de précision et de la génomique de plus en plus faisables. Elles risquent cependant d’être contestées sur un plan sociopolitique : recours au big-data, problème de propriété des données, travail sur l’ADN du vivant, implication de multinationales… à l’inverse, la viande artificielle est présentée comme la solution technologique à des enjeux éthiques et environnementaux alors même que sa production opérationnelle à grande échelle paraît peu réaliste du fait de ses coûts énergétiques et de la nécessité d’user de nombreux médicaments antibiotiques et de facteurs de croissance[4. Cf. Jean-François Hocquette…]. Quant à la consommation des insectes, dans le pays à la population la plus consommatrice (le Zimbabwe), elle représente au mieux 10% de la diète… durant la saison la plus favorable[5. Cf. Pierre Feillet…]. Ses « chances » de succès paraissent donc réduites en alimentation humaine bien que tout à fait envisageable en alimentation animale comme substitut à des protéines d’origine végétales telles que le sorgho ou le soja
Que ce soit en matière de production ou de consommation, les tendances émergentes revoient systématiquement à des questions d’acceptabilité par la société.
Compte tenu des dynamiques sociologiques et de communication, ces questions d’acceptabilité qui concernent ou posent problèmes à des fractions de la population plus ou moins importantes et viennent ensuite à former des problèmes publics, interrogeant alors l’ensemble de la société sur des sujets avec lesquels celle-ci est rarement en prise directe et sur lesquels – par le jeu politique et médiatique – elle doit néanmoins se positionner.
Dans les cas qui intéressent ici, les injonctions de positionnement ont parfois directement traits à la relation entre les hommes et les animaux. C’est notamment le cas avec tous les sujets qui gravitent autour du bien-être animal : techniques d’élevage, d’abattage, de sélection… Mais le plus souvent, l’injonction est en quelque sorte forcée. Elle concerne au premier chef un problème lié aux formes générales d’organisation de la société (modèle économique des exploitations d’élevage et plus largement de l’agriculture, compétitivité internationale des secteurs économiques, nature des régimes alimentaires ou des acteurs économiques, etc.) et n’est qu’incidemment raccroché à la question de la relation entre les hommes et les animaux.
On peut penser que, pour certains acteurs, ce type de détournement de l’injonction permet d’éviter de poser le cœur du débat. Se focaliser sur la relation avec les animaux suscite naturellement l’adhésion tandis que traiter de questions de modèles économiques, alimentaires ou culturels est plus complexe et plus incertain. En ce sens, ce détournement revêt de toute façon un aspect tactique. Mais, comme on l’a mentionné en début d’article, cela témoigne aussi de cet espèce d’intérêt automatique, de la plupart d’entre nous, pour se tourner vers le cas, la situation, les conditions dans lesquels il y a de l’animal, et pas seulement du vivant. Dans le fond, la ferme des 1 000 hectares pourrait susciter autant d’interrogations écologiques et d’a priori que la ferme des 1 000 vaches. Mais ce n’est pas le cas ! Aux questions socioéconomiques (modèle d’intensification) et écologiques (pollutions induites) qui valent a priori pour les deux, s’ajoute ici la préoccupation pour l’animal. Et c’est cette question qui retient l’attention et contribue ainsi à mobiliser l’opinion.
Alain Juppé à Rennes. Sipa. Numéro de reportage : 00771962_000073.
Alain Juppé à Rennes. Sipa. Numéro de reportage : 00771962_000073.
Saint Just avait 27 ans quand il passa sous le couperet de la guillotine. Lui-même avait fait couper beaucoup de têtes avant de perdre la sienne. Alain Juppé aura 72 ans
(13x Saint Just !) en mai 2017 quand, si les Dieux lui sont favorables, il sera élu président de la République. Mais pourquoi donc rapprocher deux hommes qu’en apparence tout sépare ? Parce que l’un et l’autre ont fait du bonheur le mot clé de leur livre de prières. C’est à Saint Just qu’on doit la phrase : « le bonheur est une idée neuve en Europe ». C’est à Juppé que revient la paternité de l’expression « identité heureuse ».
Prophète du bonheur
L’ancien Premier ministre n’a pas la fougue terrifiante et sanglante du jeune ami de Robespierre. Homme d’expérience (il a vécu), sage et modéré il se contente, lui, de promettre le bonheur à la France. Il la veut apaisée, heureuse et satisfaite. Alain Juppé est un prophète du bonheur. Inlassablement il parcourt l’hexagone avec son « Sésame ouvre-toi » persuadé que la belle, subjuguée, n’attend que ça…
Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’on assassine, qu’on égorge, qu’on fasse exploser, qu’on décapite, qu’on frappe, le maire de Bordeaux répète, sans jamais en démordre son
« identité heureuse ». Ses contempteurs, des méchants sarkozystes et d’autres, ricanent en moquant une posture qu’ils trouvent nigaude, niaise et imbécile.
Ils ne comprennent rien à rien ! Rien à Juppé ! Ils ne se sont pas posés la question de savoir pourquoi le maire de Bordeaux a jugé utile de s’inventer un slogan qui se veut l’exact contraire du titre d’un livre célèbre. Pourquoi – chose étrange et inédite – un candidat à la présidence de la République part en campagne en brandissant comme repoussoir L’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut.
Finkie comme repoussoir
Peut-être l’ancien Premier ministre est-il jaloux des chiffres de ventes des ouvrages du philosophe ? Les siens en effet seront bientôt soldés chez les bouquinistes des quais de la Seine… Les choses sont plus compliquées que ça. Alain Juppé est quelqu’un de parfaitement lucide et réfléchi. Il n’ignore pas la quantité himalayesque de haine qui tend à écraser l’auteur de L’identité malheureuse. Chez les salafistes de gauche, chez les djihadistes d’extrême gauche, chez les fondamentalistes écologistes et chez tant d’islamistes ou d’islamisés le nom de Finkielkraut ne se dit pas : il se crache !
Nul besoin d’ouvrir un de ses livres : on aspire à les brûler. Nulle nécessité de débattre avec lui : le lynchage, le concernant, est une figure obligée. Nul besoin de lui parler : l’insulte suffit. Finkielkraut est donc, selon la « vox populace » (à ne pas confondre avec la « vox populi ») un raciste, un réac, un islamophobe. Pas encore un youpin mais ça ne serait tarder…
Ce sont ces voix là, ces voix qui agonisent d’injures Finkielkraut, qu’Alain Juppé convoite. On dira qu’il n’est pas très regardant. Mais quand on veut, tel un prince charmant, réveiller la belle au bois dormant – la France – pour la prendre dans ses bras, tout est permis. Les amateurs de mauvais romans, du kitch de vieille cuvée, se plairont à imaginer Juppé, triomphant et condescendant s’adressant un matin de mai 2017 à la France après une nuit torride : « alors heureuse ? ». Le maire de Bordeaux est à l’évidence un héros, un amant pour la collection Harlequin.
Quoi qu’il advienne, le burkini aura montré les limites du droit et l’impasse dans laquelle s’enferme une société qui demande au juge de résoudre à sa place les problèmes qu’elle se montre incapable d’affronter. L’affaire laissera des séquelles profondes bien au-delà du débat, en soi plutôt ridicule, sur la tenue des femmes sur la plage, car il a déjà fait une victime collatérale inattendue dans le droit français et pas la moindre : la notion d’« ordre public ».
L’ordre public, vaste prétexte
Dans toute société organisée, il est nécessaire de fixer les limites à ne pas franchir et de se donner les moyens de les faire respecter. La charge en revient, au nom de l’ordre public, au gouvernement, aux préfets et aux maires, en vertu des pouvoirs de police dont ils disposent respectivement. Mais l’ordre public est une notion fourre-tout qui, en démocratie, devait recevoir une définition puisque c’est en son nom que le pouvoir de police peut interdire ou restreindre l’exercice des libertés publiques. Cette définition avait été donnée il y a longtemps, dans un arrêt Benjamin du Conseil d’État de 1933 (la date fait réfléchir), qui avait fixé un principe demeuré longtemps immuable : la seule menace de trouble qui justifie l’utilisation du pouvoir de police pour interdire l’exercice d’une liberté est celle dont le degré de gravité serait tel que l’autorité investie de ce pouvoir n’aurait pu maintenir l’ordre sans émettre son interdiction.
En d’autres termes, l’ordre public ne pouvait être invoqué pour interdire l’exercice d’une liberté qu’à deux séries de conditions, les unes de fond, les autres de circonstances. D’abord, il n’existait qu’un critère, et un seul : sans risque avéré de débordement et de violences, pas d’interdiction préalable. On pouvait sanctionner après coup un abus dans l’exercice d’une liberté publique, mais pas l’interdire préventivement. La seconde série de conditions était dans l’ampleur du trouble en question : il devait être grave, manifeste et imminent, et seule l’interdiction devait pouvoir l’empêcher ou le contenir.
Extrêmement libérale, cette jurisprudence n’a pas résisté, en 1995, au lancer de nains, attraction alors en vogue dans les boîtes de nuit, qui consistait à projeter un nain, évidemment volontaire, le plus loin possible sur des matelas… Voulant faire cesser cette pratique dégradante, le Conseil d’État n’avait eu d’autre choix que de renverser sa jurisprudence : « même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération », il convenait pour le maire d’interdire l’utilisation d’une personne handicapée comme projectile humain, au nom de la dignité de la personne humaine. Plus besoin d’invoquer une menace de trouble, il suffisait de constater l’atteinte à une valeur humaine essentielle, dont la liste ne demandait qu’à s’élargir.
Dieudonné : la censure au nom des droits de l’homme
C’est donc ce qu’a fait le Conseil d’État en 2013, pour valider l’interdiction de spectacles de Dieudonné en raison du « risque sérieux que soient (…) portées des atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine » et, par ce moyen, « prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ». En clair, le Conseil d’État rétablissait la censure, au nom des droits de l’homme : il suffisait désormais qu’il existe un simple risque d’atteintes aux valeurs et principes de la République et juste une éventualité que soient commises des infractions (incitation à la haine raciale par exemple), pour justifier une interdiction (en l’espèce un spectacle).
La doctrine paraissait donc désormais fixée, jusqu’à la récente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État qui, le 26 août dernier, a une nouvelle fois changé d’avis : « les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public. »
Ce nouveau revirement fait naître un abîme de perplexité. De trois choses l’une en effet : soit le juge administratif a entendu revenir à sa première jurisprudence et il devra supporter dorénavant que n’importe qui dise ou fasse n’importe quoi, du moment qu’il le fait sans risque de violences. Soit il ne s’agit que d’une décision de circonstance, et il reviendra, dès la prochaine occasion, à sa jurisprudence Dieudonné : il lui faudra encore une fois se déjuger – ce ne sera pas la première –, mais il se retrouvera surtout au cœur de toutes les polémiques qu’il a précisément voulu contourner. Au moindre soupçon de dérapage, le juge administratif sera requis pour censurer, a priori bien entendu, toute expression et toute manifestation d’une idée ou d’une attitude ayant le malheur de déplaire, tantôt aux uns, tantôt aux autres.
Mais la pire serait encore la suivante : que le Conseil d’État décide d’appliquer tantôt sa jurisprudence Dieudonné, tantôt sa jurisprudence burkini. S’instituant de sa propre autorité comme le gardien du politiquement correct, il pourrait à loisir interdire toute liberté d’expression contre ceux qui offenserait, de l’intérieur, les valeurs de la République, tolérant en revanche, par une pirouette juridique, ceux qui, de l’extérieur, ne les reconnaissent même pas.
Il n’y a que deux manières de sortir du piège que le Conseil d’État s’est tendu à lui-même. La première est de faire confiance aux capacités imaginatives des Sages du Palais-Royal pour trouver une quatrième interprétation de la notion d’ordre public. Ce sera peut-être, après tout, la bonne. La plus judicieuse serait toutefois que le législateur sorte de son silence et dise une bonne fois pour toutes ce que les valeurs de la République sont prêtes à accepter pour le plus grand bien de la majorité. On attendra sans impatience, l’éternité est faite pour cela…
Peter Singer, philosophe à l’origine du mouvement de la « libération animale », précise que ce n’est pas par amour des animaux qu’il revendique leur libération mais au nom de la justice et de la morale. Il n’est pas intéressé par les animaux, il ne les aime pas et il n’en a pas. C’est également le discours implicite des théoriciens de l’antispécisme et du véganisme, qui prônent une agriculture sans élevage.
Celle-ci serait le premier pas vers une rupture de nos liens avec les bêtes domestiques, avec les animaux de ferme d’abord, puis nécessairement avec les chiens, les chevaux, les hamsters, etc. La domestication, en effet, représente le mal originel, l’appropriation des animaux par les humains. Il ne s’agit donc pas seulement de « libérer » les vaches, c’est-à-dire concrètement de les faire disparaître, mais de se libérer de l’ensemble des animaux qui peuplent notre monde domestique puisque tous sont appropriés par les humains. Qu’il s’agisse des vaches ou des chiens, ils sont assurément identifiés, vaccinés, localisés. Nous veillons sur leur habitat, leur alimentation, leur santé, leur reproduction. Nos relations de travail avec ces deux espèces sont différentes mais ce qu’ils ont en commun, c’est de vivre avec nous, d’être des compagnons de vie et de travail.
Les militants de la « libération animale » semblent davantage en relation avec des animaux de ferme en peluche ou en plastique qu’avec des bêtes vivantes. En dehors de leur chien ou de leur chat, pauvre hère victime de la violence humaine qu’ils ont recueilli presque malgré eux, le monde animal est largement virtuel. C’est pourquoi la question de l’amour ne les intéresse pas.
Pourtant, face à la violence industrielle et à celle des opposants à l’élevage, l’amour des animaux est bien la question.[access capability= »lire_inedits »] Elle l’est pour les éleveurs – les vrais, pas les producteurs de matière animale – autant que pour les compagnons d’animaux familiers. La majorité des éleveurs le disent : vivre avec les animaux est la raison d’être de leur métier et de la façon dont ils le pratiquent. Aimer les bêtes, c’est aimer leur présence, leur odeur, leur chaleur ; leurs façons d’être, propres à l’espèce ou à un individu particulier. Il y a des éleveurs qui « sont vache », d’autres « cheval » ou « cochon ». Dans ce dernier cas, le monde animal dont ils sont le plus proche est celui des cochons – celui d’une bête intelligente, active, curieuse, très sociable et d’une compagnie passionnante. « Être » tel ou tel animal exprime bien tout l’aspect symbiotique de la relation des éleveurs avec leurs animaux. Dans cette interface entre mondes animal et humain créée par le travail, quelque chose du corps et du sens se partage entre humains et animaux, qui fait que nous comprenons les animaux et qu’ils nous comprennent.
Il y a les cochons, les chèvres, les vaches, les chevaux… et il y a nos cochons, nos chèvres… les bêtes que l’on élève, avec qui l’on vit au quotidien et que l’on connaît. Dans un troupeau, tous les animaux sont différents. Les cochons sont actifs et curieux mais telle truie par exemple pourra être au contraire très calme et contemplative. Chaque animal est un individu. Chacun mérite le respect.
Contrairement à ce que croient les partisans de la « libération animale » qui découvrent avec étonnement sur internet les compétences cognitives des animaux de ferme, les éleveurs font confiance depuis longtemps à leur intelligence. Car sans l’engagement volontaire de l’intelligence des bêtes dans le travail, nous n’aurions jamais pu vivre et travailler avec eux.
Si nous avons avec les cochons une relation de domestication qui dure depuis dix millénaires, ce n’est pas parce que nous les considérons comme des idiots. Au contraire. Et ce n’est pas non plus parce que nous les croyons idiots que nous les élevons, les tuons et les mangeons. La relation d’intelligence entre les animaux et nous implique, plus ou moins tôt, leur mort. Dans des pays où la viande est indispensable à la survie, chez les Inuits par exemple qui mangent principalement du phoque et de la baleine, et du poisson, ou en Mongolie où les produits animaux issus de l’élevage (viandes et produits laitiers) constituent l’essentiel de l’alimentation, la mort des animaux est une nécessité vitale. Cela n’empêche pas, bien au contraire, les Inuits et les Mongols d’avoir une grande estime pour les bêtes qu’ils consomment, voire d’avoir avec eux une grande proximité affective comme dans le cas du pastoralisme. Les animaux n’y sont pas seulement des sources de nourriture, ils sont des compagnons de vie.
Dans les sociétés occidentales, le processus d’industrialisation de l’élevage entamé depuis le milieu du xixe siècle a progressivement fait disparaître nos liens avec les animaux de ferme. Ils ont été cantonnés dans des bâtiments à l’abri des regards, outils d’une production massive de matière animale porcine, avicole, bovine… distribuée tout aussi massivement dans les linéaires des supermarchés. Ces bêtes sont, de leur naissance à leur mort, traitées comme des outils ou des produits industriels. Leur mort, du point de vue de l’organisation du travail industriel, n’est que le moment de la transformation de la matière animale vivante en matière animale inerte. Ce sont ces systèmes que découvrent aujourd’hui les « libérateurs » des animaux et qu’ils dénoncent à grand renfort médiatique, appuyés par des « intellectuels » qui n’ont pas l’excuse de la jeunesse pour prétendre ouvrir les yeux sur des systèmes qui existent depuis plus de cinquante ans et qui ont été depuis longtemps mis en accusation par des associations, des citoyens ordinaires et des chercheurs, à l’époque véritables lanceurs d’alerte dont les voix ont été étouffées par la raison économique.
Pourquoi ces systèmes industriels dénoncés depuis des décennies au nom du respect des animaux et des travailleurs, de la protection de l’environnement, de la santé humaine et animale… sont-ils aujourd’hui seulement mis sur la scène médiatique et décriés comme s’ils venaient tout juste d’être identifiés ? Pourquoi cette soudaine et quasi-unanimité contre la violence industrielle envers les animaux se transforme-t-elle en injonction à la « libération » des animaux et au véganisme ?
Pourquoi aujourd’hui. Tout simplement parce que aujourd’hui il existe des alternatives aux productions animales industrielles. Et que, face aux dégâts mondiaux sur la santé et l’environnement générés par les productions animales, ces alternatives sont jugées préférables par les décideurs et les industriels de l’alimentation 2.0. Plutôt que de produire des cochons à partir du soja, mieux vaut directement faire manger le soja aux consommateurs. Il faut le noter, les substituts aux produits animaux proposés par les nouveaux acteurs mondiaux de l’alimentation, notamment des start-up financées par la fondation Bill Gates, Google ou par les plus grands fonds d’investissement, sont essentiellement à base de soja. Autrement dit, l’injonction qui est faite actuellement aux consommateurs est « pour le bien des animaux, ne mangez plus de produits animaux, mangez du soja ».
« Pour le bien des animaux », et bien plus, même, par amour des animaux, il vaudrait mieux au contraire renoncer aux systèmes industriels, se soustraire aux sirènes de la libération animale et du véganisme et refaire de l’élevage. C’est-à-dire permettre à des milliers d’éleveurs de travailler avec des bêtes et d’en vivre, et recréer des liens entre les citoyens et leurs animaux de ferme, afin de leur donner à comprendre le sens du travail en élevage et le sens de la mort des animaux.
Pour ma part, j’aime les bêtes, les vaches, les cochons, les brebis, les chèvres, les poules…, j’aime leur compagnie, j’aime les observer et veiller sur eux. Comme l’écrivait Whitman, « je crois que je pourrais aller vivre avec les animaux […] je reste des heures et des heures à les regarder ». C’est le choix que font les éleveurs. Être éleveur, c’est vivre en compagnie des animaux, à leur rythme, dans leur monde. C’est avoir le souci de leur bien-être jour après jour, nuit après nuit. C’est lutter contre tout ce qui peut porter atteinte à leur santé et à leur vie – animaux, maladies, parasites, prédateurs…
Être éleveur, c’est aussi assumer la mort des animaux, car elle représente l’aboutissement de notre relation de travail avec eux. Le bout, et non le but. Comme la mort est le bout de notre propre vie mais n’en est pas le but. Parce que les éleveurs sont contraints d’adapter la taille des troupeaux aux ressources de leur environnement, et parce que les animaux et leurs produits font partie de notre alimentation, en Mongolie, en France et ailleurs.
J’aime tous les animaux de ferme mais celui qui a ma préférence c’est le cochon. J’ai connu des cochons drôles, renfrognés, sympas ou distants, causants ou réservés. Plus malins que des singes, plus intelligents que des chiens, plus proches des humains que n’importe quel autre animal, les cochons sont les plus sensés de nos compagnons. Et je pense depuis longtemps qu’ils sont capables de tenir des rôles bien plus complexes que celui de fournir du jambon. Mais quel que soit le travail des cochons, si nous voulons vivre avec eux et non pas en garder quelques exemplaires dans un jardin public, dans un parc animalier ou à – 180 °C sous forme de gènes, il nous faudra assumer leur mort.
J’aime les cochons, mais j’aime aussi la côte de porc gascon ou limousin, ou d’une autre des six malheureuses races locales qui ont survécu à l’industrialisation de l’élevage. Derrière le terme « cochon », il y a en effet des races et des territoires, des animaux en accord avec des humains. Il y a des savoir-faire d’éleveurs, et d’artisans bouchers et charcutiers. La viande d’un cochon de bonne race, bien élevé et tué dignement, est un régal sans équivalent.
Paradoxalement, ce festin, issu d’un authentique élevage paysan, est de plus en plus réservé aux amateurs fortunés. Car l’élevage de cochons, le véritable élevage, est devenu rare et sa viande est souvent vendue par les éleveurs à des restaurateurs locaux et parisiens. C’est pourquoi il faut refaire de l’élevage de cochons. Vous aimez les cochons ? Plutôt que de contribuer à les faire disparaître en vous déguisant en petit cochon rose dans des standings végan, en mangeant du soja à tous les repas et en avalant des comprimés de vitamines B12 pour éviter de devenir sénile prématurément, allez rencontrer les cochons et leurs éleveurs dans les prés et dans les bois. Et dégustez ensuite avec des amis une côte de cochon noir croustillante, au gras fondant et goûteux. En toute conscience.[/access]
C’était le 20 septembre 1792.
Les Prussiens marchaient sur Paris.
Kellermann et Dumouriez, à la tête d’une armée de va-nu-pieds, repoussèrent l’invasion — profitant entre autres de l’extraordinaire supériorité de l’artillerie française, pensée par Monsieur de Gribeauval dans les années 1770.
20 septembre 2016. L’Europe n’en finit plus de nous marcher sur les pieds — voire sur la tête.
Claude Beaulieu et le Comité Valmy m’ont expédié, en ce jour anniversaire de la première grande raclée — il y en a eu d’autres — flanquée aux ancêtres d’Angela Merkel par une France révolutionnaire, un petit texte sur la question européenne. Je le reproduis tel quel, en espérant qu’il donnera du grain à moudre à tous les lecteurs assidus ou de passage qui se commettent sur Causeur en général et Bonnet d’âne en particulier.
« Le Brexit inaugure un nécessaire processus de désintégration européenne.
Le Figaro du 30 juin a publié un appel de 20 intellectuels « eurocritiques » pour un nouveau traité européen, basé sur un postulat selon lequel l’Union européenne « actuelle » se serait « laissée enfermer dans une dérive technocratique ». Alertés par le vote des Britanniques qui ont choisi la liberté, ces intellectuels européistes critiques entendent « réorienter » la construction européenne, avant que ce vote courageux ne fasse tache d’huile et concrétise la première étape du nécessaire processus de désintégration européenne souhaité par les peuples.