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Bardella en Israël: se rendre à Jérusalem n’est pas un blanc-seing

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Le gouvernement israélien a invité le président du Rassemblement national à une conférence donnée sur l’antisémitisme à la fin du mois en Israël. Bien qu’elle symbolise le changement du parti, cette visite ne doit pas se transformer en justificatif.


Depuis quelques années, l’image du Rassemblement national a changé en Israël. Un temps tenu en horreur par l’État hébreu lorsque dirigé par Jean-Marie Le Pen, les gouvernements israéliens successifs ont progressivement accepté d’envisager des relations avec le RN. En 2006, il était prévu que Marine Le Pen soit membre d’une délégation de députés européens en visite dans le pays. Mais à l’époque, elle avait subi le même sort que Rima Hassan il y a un mois : le gouvernement israélien avait signifié au Parlement européen qu’il refuserait à ses frontières une députée dont le parti est « raciste et négationniste », rappelant en outre les moult propos antisémites du fondateur du FN.

Stratégies politiques

Moins de vingt ans plus tard, pourtant, le ministre israélien de la Diaspora a choisi de convier non seulement la direction de l’ex-Front national, mais également la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal. Il est indéniable que cette décision témoigne de l’aggiornamento idéologique opéré par le parti depuis sa reprise par Marine Le Pen. Le discours a été vidé de sa substance antisémite et l’essentiel des figures extrémistes a été remercié. Les accusations en électoralisme, visant à faire de cette « dédiabolisation » une simple stratégie dépourvue de sincérité, sont en outre sérieusement affaiblies par le renouvellement des effectifs du RN. Les membres du bureau national du parti, par exemple, ainsi que l’essentiel de ses élus, n’appartenaient pas au FN lorsque sa ligne rappelait l’extrême droite au sens traditionnel.

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En outre, depuis le 7-Octobre, le soutien de Marine Le Pen à Israël s’est fait plutôt vocal, quitte à nuancer la position historique du parti réclamant corps et âme une solution à deux États. Cette invitation à une conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem représente néanmoins un problème stratégique pour le parti : peut-elle devenir en tant que telle un argument vérifiant la dédiabolisation du parti ? Israël fait preuve d’une vigilance évidente dans sa relation avec les grands partis de ses alliés diplomatiques ; y être convié à un événement politique constitue un signal qu’il serait ridicule d’ignorer.

Le parti se présente comme un rempart

Pour autant, cette décision ne saurait représenter notre seul phare moral. Surtout, le RN ne doit pas la déployer à ce titre d’un point de vue rhétorique. Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche mi-mars, le président du parti estimait que l’envoi de l’invitation au RN signait la place qu’il avait prise à l’échelle internationale. Un élément de langage allant en ce sens a d’ailleurs été déployé par le mouvement, nombre de ses élus ayant publié sur X un message évoquant une « reconnaissance diplomatique ». Mais certains sont allés plus loin, à l’image du député du Pas-de-Calais, Bruno Bilde, qui a vu en cette visite la confirmation que le Rassemblement national constituait « le seul rempart contre l’antisémitisme ».

A relire : Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»

On ne peut que comprendre la tentation d’y repérer un adoubement. Or cette position est insatisfaisante. Si le RN souhaite éradiquer tout soupçon d’antisémitisme, il lui faut continuer à suivre une ligne claire sur le sujet et à se distancer des formations politiques sur lesquelles planent toujours un légitime doute dans le monde. Se servir d’une visite éclair dans un État juif pour témoigner de sa bonne entente avec les Juifs, en revanche, ne saurait composer une réponse convenable. Le contraste avec les relations entretenues entre LFI et les Français de confession juive vient intuitivement, mais arguer de ses interactions avec Israël ou de ses désaccords avec des élus antisémites ne constitue pas en soi un programme.

Un certain regard

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Émilie Dequenne, l’actrice belge découverte dans Rosetta, le film des frères Dardenne en 1999, est décédée à l’âge de 43 ans. On la savait malade et en rechute de son cancer. Elle était et restera un visage puissamment émouvant du cinéma de ces 25 dernières années


Je regrette. J’ai été bête. Je n’ai pas osé. Nous étions en vacances, elle aussi. Elle promenait son chien en famille à l’Île-Rousse, à la pointe de la Pietra, entre l’embarcadère des ferrys et les tours génoises à l’horizon. Devant nous, la Méditerranée béate, dangereusement inerte et le vent qui se lève, loin du rideau de pluie, de son Hainaut natal. Un soleil sec et un parfum d’été envahissaient les cœurs. Mais, en Corse, tout peut tourner, basculer d’une minute à l’autre, l’île est aussi belle que tempétueuse. Instable. Changeante. Naturellement indomptable. Le répit n’est que provisoire. Il aurait été inconvenant de la déranger, de l’importuner, pour lui dire quoi au juste ? Un bégaiement de fan. Une banalité de journaliste.

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La timidité est parfois bonne conseillère. Publiquement, elle avait annoncé sa maladie, on souffrait pour elle. Dans ces moments-là, on espère naïvement qu’un geste, une parole, un encouragement, un simple merci lui donneront un peu de force. Puis, on a peur du ridicule, de l’indécence, du timing imparfait, de l’intrusion du spectateur dans le cercle de l’acteur. Nous ne nous connaissions pas. Alors, je me suis tu. Á l’instant précis où nos regards se sont croisés, par reflexe, j’ai légèrement incliné la tête pour la saluer, elle m’a rendu un sourire doux et franc. Nous en sommes restés là. Rien de plus, rien de moins. Chacun a repris sa route. Et c’est tant mieux, finalement. J’aurais voulu mettre des mots sur son talent d’actrice, je n’y serais pas parvenu. J’aurais voulu lui dire qu’elle faisait partie des rares élues, celles capables de donner une vérité instantanée et non bricolée à un personnage ; sans filtre, sans ficelle du métier trop apparente, directement, charnellement, émotionnellement, elle incarnait une vérité quand d’autres jouent seulement. Dans les arts, cette sincérité extra-lucide ne ment pas. Bien sûr qu’il existe d’excellents faiseurs, d’habiles manipulateurs qui masquent les raccommodages grossiers ; avec elle, tout se matérialisait, sans fard, sans effort, comme si la vie courante, le côté ménager au sens noble de ses rôles se superposait parfaitement à l’imaginaire cinématographique. Aucune coulure, un duplicata exact des émotions et des élans, de la tristesse à la sauvagerie, du désir à la colère. Le spectateur est saisi, troublé, envoûté par cette connexion-là. Elle ne lui échappe pas. Il la reçoit comme une offrande sacrée.

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Émilie Dequenne, sans tricher, sans se victimiser, sans se consumer à la lumière des médias, donnait de la grâce et de l’éclat à des personnages populaires. Je crois bien qu’elle révélait la dignité, la haute dignité, des femmes ordinaires ou accidentées. Elle ne trahissait, ni ne salissait ses héroïnes de larmes superfétatoires. Cette captation du réel est un don du ciel. J’aurais voulu lui dire que l’on se souviendrait longtemps d’elle, par sa filmographie qui a oscillé entre cinéma d’auteurs et quelques films plus commerciaux, et surtout par son empreinte. Émilie Dequenne marquait de son empreinte indélébile un long-métrage, qu’elle en soit la vedette, et je dirais même encore plus, dans un second rôle. Récemment, en 2020, elle avait obtenu le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour « Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait » d’Emmanuel Mouret. A vrai dire, cette romance entrecroisée ne m’a laissé que quelques vagues souvenirs et pourtant je n’ai pas oublié l’interprétation d’Émilie. Je ne pourrais vous dire précisément la teneur de son rôle, par contre, j’en ressens encore son onde, son écho m’assaille à cinq ans d’intervalle. C’est ça que j’aurais voulu lui dire dans cette station balnéaire de Haute-Corse, la différence fondamentale entre une grande actrice et une professionnelle qui fait consciencieusement son travail ; au fond de ma mémoire, ces quelques minutes à l’écran reviennent me bercer. Je sais intimement, sans avoir besoin de revoir ce film, qu’elle était au diapason de ses sentiments, dans une justesse et une forme de beauté ébréchée, dans une incandescence qui était lumineuse.

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Donald Trump ou la « destinée manifeste » américaine

Le feuilleton entre Trump et le Canada ne fait que commencer… La menace étasunienne pousse donc son voisin à demander de l’aide auprès des Européens…


Alors, Josué ordonna aux scribes du peuple : « Parcourez le camp, donnez cet ordre au peuple : “Préparez des provisions, car dans trois jours vous passerez le Jourdain que voici, pour aller prendre possession de la terre que le Seigneur votre Dieu vous donne en héritage.” 
Josué : 10-11.

Sa Majesté orange propose d’intégrer aux États-Unis le canal de Panama, le Groenland et, pièce de résistance, le Canada. Rien de moins (1).

Esprit fripon

Ces idées furent d’abord accueillies par l’opinion internationale comme de simples boutades émanant d’une personnalité bien connue pour son esprit fripon, mais force est de constater qu’elles ne doivent pas être prises à la légère. En fait, l’offensive a déjà commencé contre l’éventuel futur 51e État par l’arme économique. Une façon d’« attendrir la viande », qui rappelle, mutatis mutandis, l’agression économique diligentée par le président Nixon en 1970 contre le Chili de Salvador Allende et les récentes offres faites à l’Ukraine, qu’elle ne peut pas refuser.

Cette agressivité étonne de prime abord car il semblait, surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que le monde était entré dans une ère post-coloniale, où la notion de conquête de territoires était devenue obsolète. Mais puisque l’aspirant Imperator Caligula Trumpus a pour ambition de ressusciter un passé glorieux, ce n’aura peut-être été qu’un hiatus. Ce retour aux sources est-il étonnant si l’on se met dans une perspective historique ?

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Le Canada est, en effet, le fruit congelé d’un hasard de l’histoire. Cette colonie fut cédée par la France en 1763 à l’Angleterre et les États-Unis ne purent s’en emparer ni en 1775, ni lors de la guerre anglo-américaine de 1812.

L’expression Manifest destiny (en v.o.) née en 1845, puisée dans la doctrine Monroe de 1823, fut le slogan justifiant la conquête de l’Amérique du Nord par les États-Unis, arguments bibliques à l’appui. S’ils finirent par se résigner à mettre de côté les colonies anglaises septentrionales, ils se rabattirent sur l’ouest du continent, mais… pour lequel ils durent faire concurrence avec l’Angleterre, surtout à partir de 1867, lorsque naquit le dominion du Canada. Si les quatre provinces d’origine (Ontario, Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse) formaient un ensemble géographique pas trop incohérent, il en résulta une frontière rectiligne suivant le 49e parallèle nord, que Trump qualifie, à juste titre, de purement « artificielle », d’autant plus que de nombreux Canadiens des quatre provinces de l’ouest concernées sont les descendants d’agriculteurs américains à qui le gouvernement offrait des terres (s’ils étaient blancs, bien entendu); un partage de territoire on ne peut plus colonial, digne de ce qui fut effectué sur une carte de l’Afrique lors de la conférence de Berlin de 1885, même si, au nord, le décalage culturel actuel se traduit de nos jours par de moins nombreuses églises pentecôtistes et armureries; pour Justin « Blackface » Trudeau, c’est ça ne pas être américain. Et ce n’est pas faux.

Le réel dépassera-t-il la fiction ?

À noter que le chemin de fer Canadien Pacifique, mièvre élément du roman national du Canada anglais (on a les mythes fondateurs qu’on peut), gouffre financier perpétuel, créant une unité économique non américaine est-ouest factice, fut entaché dès sa conception, donc bien avant le premier coup de sifflet, de scandales financiers impliquant le premier Premier ministre fédéral, le poivrot Sir John A. Macdonald, préfigurant le scandale de Panama.

Les Américains, pratiquant leur nouveau sport national, la chasse à l’Autochtone et au bison, mirent le grappin sur le Texas, l’Oregon, même Hawaii … ; l’Amérique latine leur fournit aussi un butin : Porto-Rico, le canal de Panama (État fantoche arraché à la Colombie par la force des armes américaines), et des zones d’influence sans annexion formelle : Cuba, Haïti, Nicaragua…

Même sans le Canada, il y avait de quoi faire.

Mais aujourd’hui, le Caudillo Trump conteste les frontières canado-américaines consacrées notamment par le traité de 1908, comme il conteste le droit du sol constitutionnel, manifestant de manière générale une grande liberté d’esprit en ce qui concerne les textes juridiques.

À lire aussi : Canada: (re)naissance du patriotisme?

Le Canada est une terre promise vu sa richesse en minéraux, mais surtout en eau, plus précieuse encore que le lait et le miel, qui suscite la convoitise des États du sud-ouest des États-Unis, cruellement assoiffés par l’enfer climatique; cependant, le Canada rejette l’idée que l’eau est une simple « marchandise » au sens de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). L’annexion rendrait la question caduque.

Mais il serait injuste de ne pas tenir compte de l’attachement sentimental de Donald Trump pour la contrée où bon-papa fit ses débuts dans le monde des affaires. La gestion des maisons closes est très formatrice et ouvre beaucoup de portes, surtout dans l’immobilier.

Il est encore trop tôt pour dire si le Canada fera l’objet d’une invasion militaire en bonne (si l’on ose dire…) et due (si l’on ose dire) forme. Une telle promenade prendrait une journée : on n’est plus en 1812. Rectification : elle prendrait une matinée et, pour faire bonne mesure, sur cette lancée, un largage de quelques paras assurerait la maîtrise du Groenland voisin en une ou deux heures supplémentaires.

Alors, comment l’Ontario (qui est, en pratique, le Canada) peut-il éviter de devenir le 51e État, d’une manière ou d’une autre?

Le magazine The Economist avance la solution de l’adhésion du Canada à l’Union européenne. Le Québec lui, pourrait songer à opter pour l’annexion par la France (2).


1 Relire l’analyse de Gerald Olivier NDLR : Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

2 Lire Gaetan Langlois, Journal de Montréal, L’annexion du Québec à la France

Universités américaines: Trump siffle la fin de la récréation

Une pétition monstre réclame aux États-Unis la libération de l’étudiant étranger Mahmoud Khalil. La carte verte de ce militant pro-palestinien a été révoquée par l’administration Trump, et il devrait être expulsé. Ses soutiens invoquent sa liberté d’expression et le premier amendement de la Constitution pour le défendre.


À la suite des attaques terroristes du 7-Octobre, le chaos s’était emparé de nombreuses grandes facultés américaines, bastions de la jeunesse démocrate et largement acquises à la cause palestinienne. Manifestations de soutien aux terroristes du Hamas, violences à l’encontre d’étudiants de confession juive… Tout cela n’avait suscité ni indignation ni réaction suffisante de la part des directeurs des établissements débordés concernés. L’arrestation de l’activiste propalestinien Mahmoud Khalil, étudiant à Columbia, et son expulsion annoncée du territoire américain marquent la fin de cette impunité, comme l’avait promis Donald Trump.

La première arrestation d’une longue série

Le 9 mars, des agents de l’immigration ont effectivement arrêté l’étudiant né en Syrie, détenteur d’une carte verte et revendiquant des origines palestiniennes, pour son implication dans les manifestations propalestiniennes qui ont secoué le campus de Columbia. Selon une déclaration de Donald Trump sur son réseau Truth Social, l’arrestation de cet « étudiant pro-Hamas est la première d’une longue série à venir ».

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Columbia, Sciences-Po: les étudiants, les idiots utiles du Hamas

Durant ces manifestations, le Wall Street Journal[1] rapporte que Mahmoud Khalil occupait la fonction de négociateur en chef pour le compte de la Columbia University Apartheid Divest (CUAD), une coalition anti-israélienne. De son côté, le National Review[2], célèbre mensuel conservateur, révèle que M. Khalil était également correspondant aux affaires politiques auprès de l’UNRWA, une organisation dont les liens avec le Hamas ont été fréquemment dénoncés ces derniers mois. Certains de ses défenseurs mettent en avant son rôle de « négociateur » comme preuve de son pacifisme. Pourtant, des éléments récents viennent contredire cet argument déjà fragile. Le National Review souligne que Khalil était notoirement connu comme l’un des leaders des nombreuses manifestations pro-Hamas. La secrétaire de presse de la Maison Blanche affirme qu’il ne se contentait pas d’organiser des rassemblements visant à « harceler les étudiants juifs américains », mais qu’il diffusait également de la propagande pro-Hamas. Le magazine Newsweek[3] révèle de son côté que Khalil a été accusé d’avoir carrément organisé un événement glorifiant les attaques du 7-Octobre. Difficile, dans ces conditions, de dresser le portrait d’un étudiant pacifiste aux airs de gentil hippie inoffensif. Mais les soutiens de l’étudiant étranger arrêté crient à l’injustice et demandent au gouvernement américain de fournir des preuves de ces accusations. Les Démocrates, soucieux de rester dans la course politique et prêts à tout pour ne pas tomber dans un oubli qui leur tend les bras, n’ont pas hésité à prendre la défense de cet étudiant qu’ils présentent comme une victime de l’administration Trump.

Il fallait s’y attendre, selon certaines représentants démocrates, Trump embastillerait un gentil étudiant en bafouant son droit à la liberté d’expression (« free speech »). Mais, cette liberté connaît des limites : soutenir un groupe terroriste et stigmatiser une population en raison de sa confession ne devraient pas en faire partie. Or, c’est précisément ce que faisait le CUAD, selon le Wall Street Journal, qui rappelle que cette organisation a déclaré en octobre 2024 son soutien à « la libération, par tous moyens nécessaires, y compris la résistance armée ».

Aveuglement idéologique

Est-ce ainsi que la gauche conçoit la liberté d’expression ? 14 élus démocrates ont adressé une lettre ouverte à la secrétaire d’Etat pour la sécurité intérieure, Kristi Noem, demandant la libération immédiate de Khalil, qu’ils considèrent comme un prisonnier politique. Parmi les signataires figure la représentante démocrate du Michigan, Rashida Tlaib, connue pour avoir accusé Joe Biden de « soutenir le génocide du peuple palestinien » dans un tweet publié en juillet 2023 et supprimé depuis.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

Si Mahmoud Khalil s’était contenté d’agiter pacifiquement un drapeau palestinien, il ne se serait évidemment pas retrouvé dans cette situation. Donald Trump, qui a promis d’être le président de tous les Américains, entend protéger également les étudiants juifs, leur garantissant un environnement universitaire sûr. Les Démocrates sont-ils à ce point aveuglés qu’ils ne voient pas que, dans cette affaire, c’est bien Trump qui défend la véritable liberté d’expression ? Les étudiants juifs ne devraient-ils pas, eux aussi, pouvoir jouir de cette liberté sur les campus, sans craindre pour leur intégrité physique ? On frissonnerait presque en imaginant ce qu’il serait advenu si la « camarade Kamala », comme l’appellent ironiquement les trumpistes, avait accédé au Bureau Ovale…

Une mobilisation opportuniste

Par aveuglement idéologique ou par pur calcul électoral, les Démocrates ont appelé à manifester pour la libération de Mahmoud Khalil. L’impayable Alexandria Ocasio-Cortez a dénoncé le « traitement inhumain »[4] infligé à Khalil, en faisant une nouvelle cause politique pour un parti en pleine crise. Ainsi, selon les estimations du Wall Street Journal, plus de 300 manifestants se sont rassemblés jeudi 13 mars devant… la Trump Tower, pour exprimer leur indignation. Outre l’absurdité du choix du lieu – Trump résidant évidemment à la Maison Blanche et non à New York – cette manifestation illustre une fois de plus que les Démocrates ne reculeront devant rien pour cimenter leur électorat sur des bases intersectionnelles. Quitte à fracturer encore davantage la société américaine.

https://twitter.com/SecRubio/status/1899892869332173133

[1] https://www.wsj.com/opinion/mahmoud-khalil-green-card-trump-administration-cuad-columbia-israel-hamas-ecdc4424?mod=Searchresults_pos2&page=1

[2] https://www.nationalreview.com/news/ice-detains-palestinian-activist-who-led-anti-israel-encampments-at-columba-university/

[3] https://www.newsweek.com/who-mahmoud-khalil-columbia-university-grad-detained-ice-2041925

[4] https://www.washingtontimes.com/news/2025/mar/12/free-mahmoud-khalil-democrats-rally-stop-deportation-anti-israel/

Dans le mur de l’État de droit

Cinq hautes juridictions françaises et européennes garantissent aux sans-papiers et délinquants étrangers une batterie de droits qui insultent le bon sens. Seule la voie référendaire pourrait inverser la vapeur. Passage en revue de ces aberrations légales par l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.


« Il n’y a qu’à les enfermer le temps que leurs pays les reprennent. » Telle est la réflexion de tant de nos compatriotes, justement révoltés par la litanie de crimes perpétrés par des étrangers sous le coup d’OQTF, d’arrêtés d’expulsion ou d’interdictions de territoire. Telle est l’exigence de tant de nos concitoyens, légitimement exaspérés par le fait que des immigrés condamnés pour terrorisme ne puissent être reconduits vers leurs pays d’origine à la fin de leur peine.

La loi censurée

« La loi ne le permet pas », explique-t-on, ce qui est vrai. « Il faut donc la changer », répondent nos compatriotes, ce qui est logique. Mais ici l’ignorance – ou la mauvaise foi – s’infiltre dans le débat. « Que fait le ministre de l’Intérieur pour la modifier ? » s’interroge-t-on. « Que n’agit-il pas au lieu de déplorer ! », ajoutent les dirigeants du RN.

Gare toutefois à ce que l’impatience, si naturelle soit-elle, ne conduise à une impasse. Car, même si elle était votée, une loi permettant, sans limite de temps, la rétention administrative des étrangers n’ayant pas déféré à une OQTF, ou prévoyant l’incarcération, tant que leur éloignement n’est pas possible, des étrangers fichés comme dangereux par les services de sécurité ou considérés comme encore dangereux une fois leur peine purgée, se heurterait au mur de l’« État de droit », c’est-à-dire aux jurisprudences de nos cinq cours suprêmes : Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation, Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), interprétant de manière constructive les droits énoncés, de façon souvent imprécise, dans notre « bloc de constitutionnalité » et nos engagements européens. Il serait disproportionné, jugeraient-elles, qu’un étranger soit indéfiniment privé de sa liberté individuelle du seul fait – étranger à la volonté de l’intéressé – que son pays d’origine refuse de le recevoir. La loi serait donc censurée.

Au-delà de ces cas spécifiques (mais nombreux) d’étrangers que leur pays refuse de reprendre, les jurisprudences de nos cinq cours suprêmes configurent les politiques d’immigration sous bien d’autres aspects.

Principes suprêmes

D’abord parce qu’elles reconnaissent le regroupement familial, au nom du « droit de mener une vie familiale normale », déduit du préambule de la Constitution de 1946 (n° 93-325 DC, 13 août 1993). À elle seule, cette jurisprudence interdit d’instaurer des quotas migratoires.

De même, en matière d’accueil des demandeurs d’asile, la CEDH condamne la reconduite d’une embarcation interceptée en mer à son pays de provenance, même dans le cadre d’un accord bilatéral assurant la sécurité des intéressés.

La CJUE ajoute que le placement en rétention du demandeur doit être exceptionnel. S’il est débouté, il ne devra pas être reconduit dans son pays d’origine si son retour le met en danger, y compris sur le plan médical.

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La jurisprudence de la CJUE interdit en outre le refoulement des immigrants illégaux à la « frontière intérieure » (franco-italienne par exemple), même quand celle-ci est momentanément rétablie en raison des circonstances, comme le permet le système Schengen.

La jurisprudence de la CEDH interdit de plus l’expulsion d’un étranger, si dangereux soit-il, s’il est exposé, dans son pays d’origine, à de mauvais traitements (décision Daoudi, 3 décembre 2009) ou s’il risque d’y faire l’objet de poursuites pénales non conformes aux règles du procès équitable (décision Othman Abu Qatada, 17 janvier 2012).

Les jurisprudences des cours suprêmes tendent à aligner sur les droits des nationaux les droits des étrangers, non seulement lorsque ceux-ci justifient dans le pays d’accueil d’un séjour régulier d’une durée suffisante, ce qui est légitime, mais aussi lorsqu’ils n’y résident pas régulièrement, voire lorsqu’ils n’y résident pas du tout (c’est alors à l’habitant de la planète que nos droits sont ouverts).

La jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit par exemple depuis 1993 qu’un maire refuse de marier un étranger au motif que celui-ci est en situation irrégulière. La liberté du mariage, juge-t-il en effet, « est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 » et « son respect s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003).

Révisons la Constitution !

Pour faire sauter les verrous énumérés ci-dessus (et d’autres), il faudrait une révision constitutionnelle. Celle-ci pourrait prendre soit la forme radicale de la réduction des modes de saisine et des bases de référence du Conseil constitutionnel, soit la forme plus détaillée d’une neutralisation, sujet par sujet, des jurisprudences incapacitantes. En tout état de cause, elle affirmerait la primauté de la loi française sur le droit international antérieur, de manière à ne plus voir nos juges nationaux écarter la loi au profit d’une directive européenne ou d’une jurisprudence de la CEDH. Et, pour bien marquer qu’elle exprime la volonté du peuple souverain, cette révision devrait être approuvée par voie référendaire.

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Cependant, les conditions politiques permettant une telle révision ne pourront être réunies qu’à l’issue d’élections donnant la majorité absolue aux forces désireuses de sauter le pas. Les détracteurs de Bruno Retailleau, du côté du Rassemblement national, le savent bien. Ils savent aussi que le pas à sauter est trop considérable pour ne pas commander aujourd’hui un constat d’accord, demain une coalition. Or l’un et l’autre sont compromis par le procès en hypocrisie que plusieurs responsables du RN intentent au ministre de l’Intérieur et à tous ceux qui, à droite et au centre, approuvent son action.

En réalité, ce procès trouble une grande partie de leur propre électorat, qui fait crédit à Bruno Retailleau de sa sincérité et ne comprend pas pourquoi le RN ne cherche pas à soutenir son action (quitte à souligner que cette action se heurte à des blocages structurels que seul un changement politique profond pourrait surmonter). D’où l’impression que le RN, redoutant la concurrence sur ses domaines de prédilection, cherche moins à résoudre les problèmes qu’à les exploiter électoralement de façon monopolistique. À lui de décider clairement s’il assume de refuser une alliance indispensable à terme pour mener à bien un projet régalien conforme au vœu très majoritaire des Français.

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L’infantilisation des Français s’aggrave

Cinq ans après le confinement de mars 2020, les études se multiplient qui nous confirment que cette mesure a sauvé de nombreuses vies et que les pays ayant confiné tôt ont mieux limité les conséquences économiques et sociales de la pandémie. Experts dissidents et médias populistes ont bien fait d’être mis au pas par le pouvoir, nous assure-t-on. Dans son billet, notre chroniqueur dénonce au contraire une dérive totalitaire qui s’aggrave. Le pouvoir continue de s’exercer en faisant peur aux citoyens, selon lui.


Le Covid a durablement infecté la démocratie. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron dramatisait l’épidémie en répétant six fois : « Nous sommes en guerre ! ». 500.000 morts étaient annoncés en France. Le 17 mars 2020, à midi, il mettait fin à la liberté de circuler en imposant, « quoi qu’il en coûte », un confinement sanitaire approuvé par l’opinion tétanisée. Depuis, la dérive totalitaire du pouvoir n’a cessé de s’aggraver, dans l’hébétude du monde intellectuel et médiatique. Exploitant la crainte du virus, le chef de l’Etat allait imposer, le 12 juillet 2021, un passe sanitaire interdisant les cafés, restaurants, cinémas, etc. aux non-vaccinés. Aujourd’hui, l’inefficacité de ces mesures étatiques commence à être timidement admise. Leurs effets sur la santé mentale des jeunes également. Pourtant, face à l’hystérisation hygiéniste et à ses ségrégations de sous-citoyens, rares furent ceux qui alarmèrent sur les procédés mensongers employés ; à commencer par le slogan officiel, authentique fake-news : « Tous vaccinés, tous protégés ». Ayant eu à subir les accusations en « complotisme » et « antivax » des fanatiques de l’ordre sanitaire, j’ai pu observer de près l’efficacité d’une propagande anxiogène sur les comportements. Dans leur majorité, les Français apeurés ont accepté leur servitude, jusqu’à l’absurde. Ils ont dû remplir leurs auto-attestations pour sortir. J’ai gardé de cette époque, devenue si vite irrationnelle, l’avis de contravention (135 euros, réglés) reçu par mon épouse qui, le 24 février 2021 à 18h50 avait été verbalisée par la gendarmerie pour « circulation à une heure interdite » alors qu’elle se promenait à la pointe désertique d’une île atlantique balayée par le vent. Peu auparavant, le Premier ministre Jean Castex avait également prévenu : « Papy et mamie doivent éviter d’aller chercher les enfants à l’école ».

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Cette infantilisation des citoyens, sommés d’obéir à l’Etat-mamma et à ses délires, caractérise la macronie. Comme tout pouvoir faible, celui-ci est tenté par les fausses guerres qui rassemblent autour du président. Le modèle chinois du contrôle social et de la dénonciation a été aussi l’inspirateur du gouvernement, soumis à la vision mondialiste de l’Organisation Mondiale de la Santé. Les responsables de ce fiasco, à commencer par le chef de l’Etat, n’ont jusqu’à ce jour jamais reconnu avoir surestimé l’épidémie. Aucun bilan n’a été tiré des ruineux et inutiles confinements et couvre-feux, ni des vaccins expérimentaux aux effets secondaires importants. Stalinienne a été la diabolisation, par la presse mimétique, de ceux qui réclamaient une distance face aux firmes pharmaceutiques et la vigilance dans le recours liberticide au QRCode, inventé en 1994 pour identifier les pièces détachées chez Toyota. Simon Leys, dans La forêt en feu, a décrit cette oppression : « Dans un système totalitaire, chaque fois que le bon sens entre en conflit avec le dogme, c’est toujours le bon sens qui perd ». La France reste à la merci d’une rechute de sa démocratie, si mal défendue par ses prétendus soutiens. Ceux-là n’avaient rien compris non plus de la révolte des gilets jaunes.

Après la peur du Covid, voici réactivée celle de « l’extrême droite », où sont parqués tous ceux qui osent penser par eux-mêmes. Des chaînes de télévision (C8, NRJ12) ont été chassées par le pouvoir. Des portraits d’indésirables (dont Cyril Hanouna sous les traits du Juif vu par les nazis) sont diffusés par LFI. La justice pourrait interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027. Tant que les Français laisseront faire, l’étau totalitaire se refermera.

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Fabien Galthié: l’homme du tournoi

Ça y est ! Le XV de France a remporté samedi le tournoi des Six nations, en s’imposant 35-16 face à l’Écosse. Encore une victoire qui témoigne de l’importance de Fabien Galthié, l’homme qui depuis son arrivée, n’a cessé de redresser cette équipe et de la hisser au sommet du rugby.


Cinq ans avant d’être nommé sélectionneur-entraîneur des Bleus, Fabien Galthié, l’homme aux étranges incongrues lunettes à grosse monture noire qui donnent l’impression qu’il est étranger à ce qui l’entoure, n’avait pas caché son ambition : si cette responsabilité lui était échue un jour, il ferait de ceux-ci la meilleure équipe du monde. On l’avait pris alors pour un arrogant hâbleur…

Fin de la malédiction

Une décennie plus tard, après les deux matches d’anthologie gagnés contre l’Irlande (42-27), la grande favorite, à Dublin où elle faisait figure d’invincible, et la vaillante Écosse (35-16) qui n’a pas tenu la distance, samedi, au Stade de France, qui lui ont valu de décrocher le trophée du Tournoi des six nations, il semble bien qu’il est en passe de réaliser cette prophétie. En tout cas, pour le quotidien L’Équipe, qui n’a jamais été très complaisant à son endroit, il serait bien parti pour. Cette victoire, écrit le quotidien sportif, « atteste d’une progression qui peut nourrir beaucoup d’espoirs à deux ans et demi de la coupe du Monde en Australie. »

https://twitter.com/francetvsport/status/1901047714248335676

Pour le moment, ce qui est sûr, c’est qu’il a été incontestablement l’homme de cette 25ème édition du Tournoi qui restera gravée dans les annales de l’Ovalie hexagonale, non seulement parce qu’il a enfin conjuré une malédiction qui le poursuivait depuis sa prise de fonction, celle de gagner de grands matches mais de ne conquérir aucun titre, mais aussi parce que les Bleus ont fait tomber quelques records et en ont établi d’autres.

En fait, la malédiction n’était pas tout à fait exacte, euphémisme pour ne pas dire fausse. En vérité, c’est plutôt, lui, Galthié, qui a mis un terme à une disette de titres. L’âge d’or du XV de France dans les Six nations a été la décennie de 2000 à 2010, où il a engrangé quatre titres (2002, 04, 06, et 2010), pratiquement un tous les deux ans. Puis, en 2011, les bleus perdent à Auckland, capitale de la Nouvelle-Zélande, la finale de la coupe du monde d’un petit point (8 à 7, un essai et une pénalité – discutable – pour les All blacks, contre un essai transformé pour les Tricolores). Sonnés par cette amère déconvenue, les Bleus ne sont plus que des figurants dans les Six nations.

Joueur émérite et entraîneur à succès

Quand Galthié prend les commandes des Tricolores, il a un passé d’entraîneur à succès en club et de joueur émérite à l’international. Comme entraîneur, il a conquis en 2007 avec le Stade français le bouclier de Brennus qui récompense le champion de France, et est finaliste en 2011 avec Montpellier. Comme joueur (demi de mêlée, poste oh ! combien stratégique), il a été déclaré meilleur du monde par l’International Rugby Board (l’instance suprême), fait partie du club très fermé de ceux qui ont disputé quatre coupes du monde dont une finale, a à son actif trois Grands Chelems et deux championnats de France. En somme, un des palmarès parmi les plus prestigieux. Ce qui l’autorise quand on lui a confié les rênes d’une équipe de France en quenouille à mettre les pendules à l’heure et à parler cru. « On n’est plus ici pour jouer, on est pour gagner vu qu’on est des pros », aurait-il en substance dit au staff et aux joueurs. Sur un ton ne souffrant aucune réplique, il aurait ajouté que le temps des « ronds de serviettes au banquet des quinze » était désormais révolu.

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En 2022, douze après leur dernier titre en Six nations, le XV tricolore réalise le Grand Chelem. En 2020, puis en 2023 et 24, il termine second derrière l’Angleterre puis deux fois derrière l’Irlande, classée deuxième équipe mondiale. À l’édition 2021, les Français terminent 5ème. C’est une année charnière, où les anciens cèdent leur place aux jeunes-pousses qui constituent l’ossature de l’équipe actuelle, les Dupont, Ramos, Gros, et consorts. En gros, en cinq ans, trois places de second et un Grand Chelem, ce n’est pas à dédaigner.

Certes, à la coupe du Monde de 2023 où elle était donnée grande favorite, l’équipe de France s’est fait sortir en quart. Mais par qui ? Par l’Afrique du Sud qui a gagné le titre. Et sur quel score ? 29 pour les Springboks contre 28 pour les Bleus. Encore un petit point en leur défaveur, comme lors de ce Six nations contre les Anglais (26-25) qui les prive du Grand Chelem, leur objectif affiché.

Pourtant, en match d’ouverture de cette même édition de la coupe du Monde, les Français avaient réalisé l’exploit face à la Nouvelle-Zélande en l’emportant par un 27 à 13 ce qui laissait présager un avenir radieux si elle n’avait pas rencontré prématurément les Sud-Africains qui vaincront ces mêmes Néo-Zélandais en finale. Un an plus tard, au Stade de France, à l’issue d’une rencontre haletante, lors de la tournée dite d’automne face aux All Blacks, les Bleus rééditeront leur exploit mais cette fois juste, à leur tour, avec un petit point d’avance (30-29). Dès lors, le XV français, sous la férule de Galthié, pouvait être considéré comme un des meilleurs du monde, ce que cette victoire, certes sans Grand Chelem, induit.

Un tournoi de records

En effet, en plus d’avoir gagné les Six nations, la France a fait une razzia de records. Avec ses huit essais en une seule édition, Louis Bielle-Biarrey, l’ailier « supersonique », comme il est déjà surnommé, coiffé de son immuable casque rouge, âgé seulement de 21 ans, a égalé le plus anciens de tous qui était détenu depuis 1914 par l’Anglais Cyril Lowe, rejoint en 1925 par l’Ecossais Ian Smith.

Les Français qui ont marqué en tout 30 essais ont dépossédé les Anglais du record qu’ils détenaient depuis 2001, avec 29 à leur actif, du nombre de réalisations en une seule édition. En inscrivant son 450ème points, Thomas Ramos est devenu le meilleur marqueur français de tous les temps, ce qui lui ouvre la perspective de pouvoir, avant la fin de sa carrière, envisager le record mondial de 566 points détenu par l’Irlandais Johnny Sexton. Enfin, Damian Penaud avec ses 39 essais en 55 sélections a supplanté le charismatique Serge Blanco, « le Pelé du Rugby », qui lui en avait réalisé 38 mais en 93 sélections.

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La France est aussi devenue une machine à marquer. À la différence entre points marqués et encaissés, elle a battu son propre record qui datait de 1998, à savoir qu’elle a porté son solde positif à 125 points contre 95. Avec 71 points passés contre l’Italie, elle a aussi établi le record, qui a peu de probabilité d’être battu dans un avenir proche, du score le plus élevé depuis la création des Six nations en 2000. Lors de cette 25ème édition, hormis lors de sa très courte défaite face à l’Angleterre (25-26), elle a remporté toutes ses rencontres en franchissant systématiquement la barre des 30 points : 35 contre l’Écosse, 42 contre l’Irlande, 43 contre le Pays de Galles et 71 époustouflants contre les trans-alpins.

S’ajoute qu’avec près de 10 millions de téléspectateurs devant leur écran samedi, France 2 a battu tous les records d’audience faisant que le XV de France supplante auprès du public hexagonal le Onze tricolore. Si sa pratique reste majoritairement circonscrite à un grand Sud-ouest, le rugby, un sport « de voyous joué par des gentlemen », aux règles certes absconses, est en passe de gagner le match de la popularité par réaction, sûrement, aux dérives à la fois des supporteurs et des pratiquants du foot.

Il ne pouvait que diriger une équipe

Ce bilan « globalement positif » est sans conteste imputable à Fabien Galthié, « un stratège hors pair à la personnalité complexe », ainsi qu’un chroniqueur de l’ovalie l’a qualifié. On lui reproche de manquer d’humanité envers les joueurs, d’être rugueux dans ses propos à l’endroit du joueur qui a failli. Ce qu’a démenti indirectement, dans une longue interview accordée au « journal officiel » du Rugby, Midi Olympique, Maxime Lucu, le Basque à qui a incombé la lourde mission de remplacer Antoine Dupont après sa grave blessure qui risque de compromettre, du moins psychologiquement, sa carrière.

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En 2024, Lucu a connu un gros passage à vide qui menaçait la poursuite de sa carrière internationale. Avec Galthié, « nous avons beaucoup discuté, dit-il. Des échanges sincères où il m’a dit être désolé pour moi et déçu (…). Ça m’a fait du bien… » Galthié l’a fait revenir en équipe de France alors que d’autres sélectionneurs l’auraient rayé de leur liste. Et, comme l’a reconnu Galthié, il a été décisif dans la victoire cruciale contre l’Irlande.

Un de ses anciens équipiers au Stade français à dit de Galthié : « Il vit, mange, dort rugby. Il est d’une exigence peu commune envers lui-même et envers les autres. Il ne pouvait que diriger une équipe. » Une équipe à gagner.

Panthéoniser Dominique de Villepin de son vivant

Voilà un revenant de la vie politique française. Dominique de Villepin refait surface, et ses ambitions présidentielles pour 2027 sont omniprésentes dans des médias pourtant aux mains de qui vous savez! L’orateur flamboyant, qui a fait fortune dans l’art et dans le conseil, est désormais accueilli les bras ouverts par les étudiants de la Sorbonne ou à la Fête de l’Humanité, et suffisamment riche pour partir en campagne seul. Mais, son positionnement international pro-arabe réel ou supposé est autant une force qu’une faiblesse pour séduire une majorité de Français.


De Clearstream à mainstream

Il est l’homme du moment, l’homme dans le vent, le vent dans les cheveux, les cheveux en poupe. On pensait avoir enterré, avec Jean-Louis Debré, le dernier vestige du chiraquisme. C’était sans compter sur le retour tonitruant de Dominique de Villepin, depuis quelques semaines personnalité préférée des sondages. À soixante-et-onze ans, en Une de Marianne, l’ancien Premier ministre écume les plateaux télé. Sur Quotidien, il dément ses ambitions présidentielles, pour mieux faire glousser le public. Villepin 2025, c’est l’alliance inattendue de la gravitas laconique et du ricanement d’Anne-Elisabeth Lemoine.

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De Hollande à Sarkozy, de Juppé à Fillon, on a un temps pensé que le nouveau monde macronien avait mis à la retraite toute une génération. Celle qui ne se serait jamais remise du massacre de l’hiver 2016. Il était écrit que la fin de règne de Macron se ferait avec les ringards du monde ancien qui n’avaient pas été décimés : Bayrou, et même Barnier, pendant quelques mois. À l’époque où le vintage est partout, où les tournées des chanteurs des années 80 triomphent, où la guerre des étoiles en est à son vingtième volet, le retour de Villepin, c’est l’éternel retour du kitsch. Dans des temps géopolitiques troublés, le phrasé de Galouzeau rassure, de la mamie de La Baule aux fumeuses de joints de la fête de l’Huma, en passant par vos anciens copains de fac en lutte jadis contre le CPE. Il faudra au moins ça, pour arrêter les chars russes et reconstruire Gaza.

Pro-trans, avant que ça ne soit cool

Il avait déjà tenté un premier retour. En 2012, il avait lancé son micro-parti, République solidaire. Déjà, à l’époque, il rendait chèvre une partie de la gauche, très heureuse de s’être trouvé un allié pour faire chuter Sarkozy. Au programme : création d’un service public du logement, modération des loyers et sécurité juridique des familles homo et trans… avant que ça ne soit cool. Pour sa campagne 2027, l’ancien locataire du Quai d’Orsay n’aura qu’à se repencher sur son catalogue de propositions socialisantes proposées il y a 13 ans. Enfin, proposées… faute de parrainages officiellement, ou faute d’envie officieusement, Villepin avait finalement renoncé à sa candidature.

Sur Al-Jazeera, comme à la maison

Surtout, si Villepin est revenu du purgatoire des anciens Premiers ministres, c’est à cause de ses positions sur le Proche-Orient. Sur les plateaux français comme sur celui d’Al-Jazeera, le chiraquien parle comme un député LFI. Suffisant pour que Lucie Castets, Première ministre virtuelle de l’été dernier, ambitionne de le nommer ministre des Affaires étrangères. Un projet à peine moins fantasmagorique que sa propre désignation à Matignon.

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Dans la mémoire collective, Villepin est resté comme l’homme de 2003, du discours à l’ONU, du non à la guerre d’Irak. Le monde a changé, Villepin aussi. Quand il s’exprime sur la chaîne qatarienne Al-Jazeera, l’ancien Premier ministre joue quasiment à domicile. Sa seconde carrière de conseiller de régimes politiques douteux lui permet, lit-on dans Marianne, de mener une campagne sur ses propres fonds : « Il lui suffira d’apporter un de ses tableaux de Zao Woo-Ki en gage à la banque. Il récupérera ensuite son prêt », glisse un proche. Rien que dans les parties communes de l’appartement de l’avenue Foch, il y en aurait pour plusieurs dizaines de millions d’euros. Thierry Lhermitte avait incarné Villepin dans un film poussif (Quai d’Orsay); aujourd’hui, Villepin est monsieur Brochant et ses tableaux de maitres accrochés au mur. La société Villepin International affichait 2,6 millions de bénéfices l’année de sa création, puis plus rien. Villepin préfère payer des amendes que publier ses comptes.

Panthéon subito

Combien de temps la bulle Villepin va-t-elle planer en tête dans les sondages ? On n’imagine guère le patron de la France Insoumise laisser passer son tour, et la bataille au centre risque d’être embouteillée. Le landerneau pour l’instant ébahi n’oubliera pas de rappeler en temps voulu les casseroles de son sombre héros, à commencer par Clearstream. N’est-il pas temps d’arrêter maintenant une campagne gonflée à l’hélium et que la perversité médiatique fera crever dès que la dernière ligne droite approchera ? Dernière incarnation de la voix particulière de la France et d’un certain lyrisme grandiloquent, Villepin doit être panthéonisé de son vivant, enfermé dans les dalles froides de l’église Sainte-Geneviève, en présence de Bernadette Chirac… avant que tout cela n’aille trop loin.

SOS Bordeaux

Depuis une vingtaine d’années, les vins de Bordeaux traversent une crise profonde. Boudé par les consommateurs branchés, qui boivent de moins en moins, ce vignoble serait passéiste et démodé, en un mot de droite ! Mais les vignerons girondins, qui en ont vu d’autres, savent se réinventer. À nous de les soutenir…


« Les femmes et le bordeaux, je crois que ce sont les deux seules raisons de survivre. » Pierre Desproges

Paleron de bœuf braisé au vin rouge, légumes confits, mousseline de pomme de terre, le 114 Faubourg, la meilleure brasserie de Paris © Hannah Assouline

Pour Flaubert, un écrivain « sonne juste » quand il écrit au plus près de ce qu’il ressent, là où se trouve « sa vérité ». S’agissant des vins de Bordeaux, dont je me propose ici de dire du bien, alors qu’il est d’usage depuis vingt ans d’en dire du mal, j’avoue avoir toujours été à leur égard un amateur poli et distant, dépourvu de toute passion amoureuse. Révolté aujourd’hui par l’opprobre qui les frappe, j’aimerais mieux les aimer ! J’aimerais qu’un guide me prenne par la main et me fasse découvrir de l’intérieur ce vignoble tellement riche et complexe, monde secret à la François Mauriac, peuplé, comme l’écrivait si bien Jacques Dupont, « de gens bizarres, contradictoires, rarement heureux, souvent torturés et qui ne laissent pas indifférents ». Car le vin, c’est d’abord de l’humain !

Le Bordeaux en crise !

Actuellement, les vins de Bordeaux ne trouvent plus acheteurs, des milliers d’hectares de vignes sont arrachés des deux côtés de la Gironde, et à Saint-Émilion même, une quarantaine de châteaux grands crus classés sont mis en vente.

Pendant ce temps, en province comme à Paris, les restaurants « branchés » d’Homo Festivus continuent à pratiquer l’interdit en excluant les vins de Bordeaux de leur carte au profit de « vins » à la couleur orange et au nez de plumes de canard. Passéistes et démodés, les bordeaux y sont présentés comme les symboles d’une France rance et réactionnaire vouée à disparaître. Des vins « de droite », pour parler simplement, auxquels il convient d’opposer ceux de « gauche » : « naturels », « vivants », « pas trafiqués », « authentiques »… Rousseau contre Voltaire ! Le retour à la nature contre la civilisation corrompue ! Le vin, pourtant, n’est rien d’autre, précisément, qu’un acte de civilisation, une décision, un choix humain, une façon de domestiquer la plante afin de sublimer son jus.

Quand il était otage au Liban, Jean-Paul Kauffmann entretenait sa mémoire en se récitant chaque jour le classement de 1855 des meilleurs crus du Médoc, un classement génial, jamais remis en question, dont le déroulé poétique lui permettait d’échapper à la barbarie de ses ravisseurs.

Bref historique

Depuis 1453, l’histoire du vignoble de Bordeaux n’est qu’une alternance ininterrompue d’âges d’or et de crises débouchant sur un nouveau développement. En 1904, les vignerons crevaient de faim : « Les prix de nos vins sont tombés au point de ne plus couvrir nos frais. » Exactement comme aujourd’hui ! (Précisons que les grands crus classés qui, eux, continuent à se vendre ne représentent que 5 % du vignoble.) En 1956, le gel avait tout détruit, les vignerons étaient ruinés, les châteaux à l’abandon… Bordeaux produisait alors plus de petits vins blancs que de grands rouges. Pour sortir de la crise, on se mit à arracher puis à planter des cépages rouges (89 % du vignoble) et à faire de la qualité de type AOC. Il est très probable que nous assistions à une crise de croissance analogue, comme Bordeaux en a tant connu, de laquelle sortira quelque chose de très beau.

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Victime, depuis vingt ans, du désir bien français de tuer le père et de renverser les idoles, Bordeaux subit aussi de plein fouet un phénomène mondial d’effondrement de la consommation de vin : en 2023, on comptait ainsi 16 millions d’hectolitres de vin en surplus sur le marché. Les gens en consomment de moins en moins. C’est un fait culturel. Autrefois, on en donnait aux enfants à la cantine. Au restaurant, on commandait une ou deux bouteilles. On boit aussi plus de blanc que de rouge, hors des repas, et on privilégie les vins sur le fruit, plus faciles d’accès. Bordeaux souffre de tout cela, comme un cavalier élégant au bord de l’autoroute, car ses vins rouges étaient taillés pour la garde et pour les plats en sauce ! Or ses vignerons sont en train de s’adapter pour survivre et le moins que l’on puisse faire est de les encourager. Ils produisent désormais des rouges bio délicieux autour de 20 euros, gourmands, pleins de fruit et de fraîcheur, fins, soyeux, peu extraits (très loin des années Robert Parker). Goûtez par exemple le Château des Annereaux, à Lalande-de-Pomerol, et vous m’en direz des nouvelles. Ils se remettent aussi à faire de superbes vins blancs, amples et tendus, comme celui du Château Magence dans les Graves, à base de sauvignon et de sémillon. Dans l’insolite, certains font même d’excellents crémants aux bulles fines et aux notes de fruits jaunes confits, comme celui du domaine Lateyron qui peut, à prix modique, remplacer un champagne.

Suprématie bordelaise

Par rapport à la Bourgogne triomphante, dont l’actuel appât du gain rappelle celui de ses ancêtres qui avaient vendu Jeanne d’Arc aux Anglais, Bordeaux offre de surcroît l’avantage d’une plus grande variété de terroirs et de cépages : quoi de commun entre un pomerol sensuel à base de merlot et un pauillac janséniste à base de cabernet-sauvignon ? Ceci, qui définit le style bordelais : une sensation de fraîcheur (sans le végétal) et de douceur (sans le sucre) ; un grain, une empreinte tactile semblable au velours ; et surtout, l’équilibre, l’harmonie… Sans compter que les vins de Bordeaux vieillissent bien mieux que ceux de Bourgogne (cinquante ans contre vingt-cinq) et qu’il vaut mieux un bon bordeaux à 15 euros qu’un bourgogne surévalué à 35 !

Agneau en déclinaison, carotte confite aux épices douces, pois chiches et chermoula © Hanna Assouline

Créée à l’intérieur de l’hôtel Bristol, 114 Faubourg, la meilleure brasserie de Paris, fait de la résistance et met aujourd’hui un point d’honneur à défendre les nectars de Bordeaux auprès de ses clients qui avaient oublié qu’ils étaient aussi bons… Chaque année, du 15 mars au 15 avril, les sommeliers passionnés Serge Arce et Baptiste Gillet-Delrieu proposent sur table de grands vins à prix abordables, à l’image du légendaire Château Léoville Las Cases 2009, deuxième cru classé de Saint-Julien (vous savez, le vin que déguste à l’aveugle Louis de Funès dans L’Aile ou la Cuisse !) à 105 euros la bouteille. Un nectar velouté et charnu qui se marie bien avec le paleron de bœuf braisé au vin rouge, légumes confits et mousseline de pomme de terre du chef trois étoiles Arnaud Faye. Chapeau bas, messieurs !

114 Faubourg
114, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
https://www.oetkercollection.com/fr/hotels/le-bristol-paris/restaurants-et-bar/114-faubourg

La Bretagne au soleil-levant

À la mi-mars, avant la saison des cerisiers en fleurs au Japon, Monsieur Nostalgie a soif de nature et nous parle d’Henri Rivière (1864-1951), l’empereur de l’estampe, le Montmartrois du Chat noir qui capta la lumière de Bretagne, du Paris ouvrier mais aussi du pourtour méditerranéen dans des lithographies devenues célèbres…


L’art d’Henri Rivière n’est pas hautain. Il ne surplombe pas celui qui observe son travail avec prétention. Il n’est pas idéologique, dans le sens où il imposerait une pensée dirigiste et voudrait, coûte que coûte, que l’on adhère à un quelconque message. Il ne nous prive pas de notre libre-arbitre. Et, en même temps, il est faussement décoratif, c’est-à-dire qu’il saisit la nature en rendant hommage à sa plénitude. Il se délecte d’une beauté qui serait un peu trop précise, un peu trop soignée, un peu trop élaborée et susciterait cependant une vague de nostalgie. Les lithographies de l’artiste sont des joyaux qui agissent en contraste, comme un double foyer, d’abord l’étendue, la quiétude, l’enracinement, le labeur de ces paysages vus mille fois, et quelque chose de plus intime, de personnel qui vient se nicher dans le regard, quelque chose qui est son propre rapport à la géographie des lieux et des hommes, quelque chose qui absorbe et évade. De l’ordre d’une imagerie populaire rassurante, de la carte postale reproduite à l’infini qui ne serait pas seulement jolie ou folklorique, patrimoniale ou maritime, mais bien nourriture de l’esprit, une sorte d’échappatoire au monde des vivants. Il y a chez Rivière de l’extrêmement vivant, ornementé, parcheminé, et aussi la trace d’un songe, une profonde rêverie sur notre passé. Depuis plusieurs années, deux experts, Olivier Levasseur et Yann Le Bohec, à l’initiative du catalogue raisonné paru en deux volumes et d’ouvrages aux éditions Locus Solus, sont d’indispensables passeurs. Ils font référence. Ils nous montrent évidemment ce talent qui aurait pu être négligé face aux démiurges des musées et des sachants, l’évolution de ses techniques, de l’eau-forte, à la gravure sur bois, pour arriver à la lithographie et à l’aquarelle à la fin de sa vie. Ce cheminement est le parcours d’un esthète doublé d’un graveur de haute volée, capable de « superposer » 8 à 12 couleurs, pour obtenir le mirage d’un décor. Son miroitement flottant. Son onde féérique. Rivière a été imprégné de Japonisme. Il fut l’un des plus grands collectionneurs d’art japonais de son temps, il possédait plus de 800 œuvres alors que Monet, lui aussi admiratif de ce mouvement n’en avait « que » 250.

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Rivière, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, va créer des lithographies remarquables grâce à « la collaboration active de l’imprimeur et lithographe Eugène Verneau ». Des séries qui ont fixé un imaginaire plein d’arabesques et de saisissement du réel. Car, Rivière est au plus près de son sujet, de ses personnages bien ancrés dans la vie quotidienne. Sa série sur le beau pays de Bretagne est magistrale. Il se fait même construire dans ce bout de la terre une maison, dans le lieu-dit la lande de Mélus (Côtes d’Armor). Rivière est un reporter élégant des activités d’alors, il nous conte le lent écoulement du temps présent : le départ des bateaux à Tréboul, une paysanne le soir à Loguivy, des sardiniers, un lavoir ou un vieux moulin, la vie de nos aïeux dans leur simplicité, leur rusticité et leur béatitude, l’histoire des nôtres se met alors en marche du côté de Bréhat ou du port de Ploumanac’h. Une forme de sagesse respectueuse nous étreint. Des signes d’éternité à l’horizon. Rivière, pur Parisien de la Butte, a également laissé son empreinte sur la capitale avec ses trente-six vues de la Tour Eiffel. Sous la neige, vue du Trocadéro, on voit la construction de la tour boulonnée s’édifier, le premier étage vient d’être atteint. Rivière a le culte des travailleurs et d’un Paris en transformation, les mariniers du quai d’Austerlitz cohabitent avec les fortifications et les maraîchers de Grenelle. Du quai de Passy aux gargouilles de Notre-Dame, un Paris gris fumeux et perlé nous appelle. Rivière a su quitter la grisaille du pavé pour s’abreuver de Méditerranée. Jusqu’au 2 novembre, le Musée d’Histoire et d’Art de Bormes dans le Var lui consacre une exposition intitulée « Artisan de la lumière – Du chat noir aux paysages du Sud » recueillant une centaine d’œuvres. Et si, à l’arrivée des beaux jours, vous effectuiez la diagonale entre Douarnenez et Bormes-les-Mimosas.

Henri Rivière, Artisan de la lumière, Du Chat noir aux paysages du Sud. Informations pratiques ici.

Bardella en Israël: se rendre à Jérusalem n’est pas un blanc-seing

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Jordan Bardella, Paris, 16 janvier 2025 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Le gouvernement israélien a invité le président du Rassemblement national à une conférence donnée sur l’antisémitisme à la fin du mois en Israël. Bien qu’elle symbolise le changement du parti, cette visite ne doit pas se transformer en justificatif.


Depuis quelques années, l’image du Rassemblement national a changé en Israël. Un temps tenu en horreur par l’État hébreu lorsque dirigé par Jean-Marie Le Pen, les gouvernements israéliens successifs ont progressivement accepté d’envisager des relations avec le RN. En 2006, il était prévu que Marine Le Pen soit membre d’une délégation de députés européens en visite dans le pays. Mais à l’époque, elle avait subi le même sort que Rima Hassan il y a un mois : le gouvernement israélien avait signifié au Parlement européen qu’il refuserait à ses frontières une députée dont le parti est « raciste et négationniste », rappelant en outre les moult propos antisémites du fondateur du FN.

Stratégies politiques

Moins de vingt ans plus tard, pourtant, le ministre israélien de la Diaspora a choisi de convier non seulement la direction de l’ex-Front national, mais également la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal. Il est indéniable que cette décision témoigne de l’aggiornamento idéologique opéré par le parti depuis sa reprise par Marine Le Pen. Le discours a été vidé de sa substance antisémite et l’essentiel des figures extrémistes a été remercié. Les accusations en électoralisme, visant à faire de cette « dédiabolisation » une simple stratégie dépourvue de sincérité, sont en outre sérieusement affaiblies par le renouvellement des effectifs du RN. Les membres du bureau national du parti, par exemple, ainsi que l’essentiel de ses élus, n’appartenaient pas au FN lorsque sa ligne rappelait l’extrême droite au sens traditionnel.

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En outre, depuis le 7-Octobre, le soutien de Marine Le Pen à Israël s’est fait plutôt vocal, quitte à nuancer la position historique du parti réclamant corps et âme une solution à deux États. Cette invitation à une conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem représente néanmoins un problème stratégique pour le parti : peut-elle devenir en tant que telle un argument vérifiant la dédiabolisation du parti ? Israël fait preuve d’une vigilance évidente dans sa relation avec les grands partis de ses alliés diplomatiques ; y être convié à un événement politique constitue un signal qu’il serait ridicule d’ignorer.

Le parti se présente comme un rempart

Pour autant, cette décision ne saurait représenter notre seul phare moral. Surtout, le RN ne doit pas la déployer à ce titre d’un point de vue rhétorique. Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche mi-mars, le président du parti estimait que l’envoi de l’invitation au RN signait la place qu’il avait prise à l’échelle internationale. Un élément de langage allant en ce sens a d’ailleurs été déployé par le mouvement, nombre de ses élus ayant publié sur X un message évoquant une « reconnaissance diplomatique ». Mais certains sont allés plus loin, à l’image du député du Pas-de-Calais, Bruno Bilde, qui a vu en cette visite la confirmation que le Rassemblement national constituait « le seul rempart contre l’antisémitisme ».

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On ne peut que comprendre la tentation d’y repérer un adoubement. Or cette position est insatisfaisante. Si le RN souhaite éradiquer tout soupçon d’antisémitisme, il lui faut continuer à suivre une ligne claire sur le sujet et à se distancer des formations politiques sur lesquelles planent toujours un légitime doute dans le monde. Se servir d’une visite éclair dans un État juif pour témoigner de sa bonne entente avec les Juifs, en revanche, ne saurait composer une réponse convenable. Le contraste avec les relations entretenues entre LFI et les Français de confession juive vient intuitivement, mais arguer de ses interactions avec Israël ou de ses désaccords avec des élus antisémites ne constitue pas en soi un programme.

Un certain regard

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Les réalisateurs Luc et Jean-Pierre Dardenne et leur actrice Emilie Dequenne, Palme d'Or à Cannes 1999 © MARY EVANS/SIPA

Émilie Dequenne, l’actrice belge découverte dans Rosetta, le film des frères Dardenne en 1999, est décédée à l’âge de 43 ans. On la savait malade et en rechute de son cancer. Elle était et restera un visage puissamment émouvant du cinéma de ces 25 dernières années


Je regrette. J’ai été bête. Je n’ai pas osé. Nous étions en vacances, elle aussi. Elle promenait son chien en famille à l’Île-Rousse, à la pointe de la Pietra, entre l’embarcadère des ferrys et les tours génoises à l’horizon. Devant nous, la Méditerranée béate, dangereusement inerte et le vent qui se lève, loin du rideau de pluie, de son Hainaut natal. Un soleil sec et un parfum d’été envahissaient les cœurs. Mais, en Corse, tout peut tourner, basculer d’une minute à l’autre, l’île est aussi belle que tempétueuse. Instable. Changeante. Naturellement indomptable. Le répit n’est que provisoire. Il aurait été inconvenant de la déranger, de l’importuner, pour lui dire quoi au juste ? Un bégaiement de fan. Une banalité de journaliste.

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La timidité est parfois bonne conseillère. Publiquement, elle avait annoncé sa maladie, on souffrait pour elle. Dans ces moments-là, on espère naïvement qu’un geste, une parole, un encouragement, un simple merci lui donneront un peu de force. Puis, on a peur du ridicule, de l’indécence, du timing imparfait, de l’intrusion du spectateur dans le cercle de l’acteur. Nous ne nous connaissions pas. Alors, je me suis tu. Á l’instant précis où nos regards se sont croisés, par reflexe, j’ai légèrement incliné la tête pour la saluer, elle m’a rendu un sourire doux et franc. Nous en sommes restés là. Rien de plus, rien de moins. Chacun a repris sa route. Et c’est tant mieux, finalement. J’aurais voulu mettre des mots sur son talent d’actrice, je n’y serais pas parvenu. J’aurais voulu lui dire qu’elle faisait partie des rares élues, celles capables de donner une vérité instantanée et non bricolée à un personnage ; sans filtre, sans ficelle du métier trop apparente, directement, charnellement, émotionnellement, elle incarnait une vérité quand d’autres jouent seulement. Dans les arts, cette sincérité extra-lucide ne ment pas. Bien sûr qu’il existe d’excellents faiseurs, d’habiles manipulateurs qui masquent les raccommodages grossiers ; avec elle, tout se matérialisait, sans fard, sans effort, comme si la vie courante, le côté ménager au sens noble de ses rôles se superposait parfaitement à l’imaginaire cinématographique. Aucune coulure, un duplicata exact des émotions et des élans, de la tristesse à la sauvagerie, du désir à la colère. Le spectateur est saisi, troublé, envoûté par cette connexion-là. Elle ne lui échappe pas. Il la reçoit comme une offrande sacrée.

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Émilie Dequenne, sans tricher, sans se victimiser, sans se consumer à la lumière des médias, donnait de la grâce et de l’éclat à des personnages populaires. Je crois bien qu’elle révélait la dignité, la haute dignité, des femmes ordinaires ou accidentées. Elle ne trahissait, ni ne salissait ses héroïnes de larmes superfétatoires. Cette captation du réel est un don du ciel. J’aurais voulu lui dire que l’on se souviendrait longtemps d’elle, par sa filmographie qui a oscillé entre cinéma d’auteurs et quelques films plus commerciaux, et surtout par son empreinte. Émilie Dequenne marquait de son empreinte indélébile un long-métrage, qu’elle en soit la vedette, et je dirais même encore plus, dans un second rôle. Récemment, en 2020, elle avait obtenu le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour « Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait » d’Emmanuel Mouret. A vrai dire, cette romance entrecroisée ne m’a laissé que quelques vagues souvenirs et pourtant je n’ai pas oublié l’interprétation d’Émilie. Je ne pourrais vous dire précisément la teneur de son rôle, par contre, j’en ressens encore son onde, son écho m’assaille à cinq ans d’intervalle. C’est ça que j’aurais voulu lui dire dans cette station balnéaire de Haute-Corse, la différence fondamentale entre une grande actrice et une professionnelle qui fait consciencieusement son travail ; au fond de ma mémoire, ces quelques minutes à l’écran reviennent me bercer. Je sais intimement, sans avoir besoin de revoir ce film, qu’elle était au diapason de ses sentiments, dans une justesse et une forme de beauté ébréchée, dans une incandescence qui était lumineuse.

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Donald Trump ou la « destinée manifeste » américaine

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Le Premier ministre canadien Mark Carney rencontre le président français Emmanuel Macron. Mark Carney entame une tournée européenne afin de renforcer les liens avec l'Europe pour faire face aux relations tendues avec Donald Trump. Paris, 17 mars 2025 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Le feuilleton entre Trump et le Canada ne fait que commencer… La menace étasunienne pousse donc son voisin à demander de l’aide auprès des Européens…


Alors, Josué ordonna aux scribes du peuple : « Parcourez le camp, donnez cet ordre au peuple : “Préparez des provisions, car dans trois jours vous passerez le Jourdain que voici, pour aller prendre possession de la terre que le Seigneur votre Dieu vous donne en héritage.” 
Josué : 10-11.

Sa Majesté orange propose d’intégrer aux États-Unis le canal de Panama, le Groenland et, pièce de résistance, le Canada. Rien de moins (1).

Esprit fripon

Ces idées furent d’abord accueillies par l’opinion internationale comme de simples boutades émanant d’une personnalité bien connue pour son esprit fripon, mais force est de constater qu’elles ne doivent pas être prises à la légère. En fait, l’offensive a déjà commencé contre l’éventuel futur 51e État par l’arme économique. Une façon d’« attendrir la viande », qui rappelle, mutatis mutandis, l’agression économique diligentée par le président Nixon en 1970 contre le Chili de Salvador Allende et les récentes offres faites à l’Ukraine, qu’elle ne peut pas refuser.

Cette agressivité étonne de prime abord car il semblait, surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que le monde était entré dans une ère post-coloniale, où la notion de conquête de territoires était devenue obsolète. Mais puisque l’aspirant Imperator Caligula Trumpus a pour ambition de ressusciter un passé glorieux, ce n’aura peut-être été qu’un hiatus. Ce retour aux sources est-il étonnant si l’on se met dans une perspective historique ?

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Le Canada est, en effet, le fruit congelé d’un hasard de l’histoire. Cette colonie fut cédée par la France en 1763 à l’Angleterre et les États-Unis ne purent s’en emparer ni en 1775, ni lors de la guerre anglo-américaine de 1812.

L’expression Manifest destiny (en v.o.) née en 1845, puisée dans la doctrine Monroe de 1823, fut le slogan justifiant la conquête de l’Amérique du Nord par les États-Unis, arguments bibliques à l’appui. S’ils finirent par se résigner à mettre de côté les colonies anglaises septentrionales, ils se rabattirent sur l’ouest du continent, mais… pour lequel ils durent faire concurrence avec l’Angleterre, surtout à partir de 1867, lorsque naquit le dominion du Canada. Si les quatre provinces d’origine (Ontario, Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse) formaient un ensemble géographique pas trop incohérent, il en résulta une frontière rectiligne suivant le 49e parallèle nord, que Trump qualifie, à juste titre, de purement « artificielle », d’autant plus que de nombreux Canadiens des quatre provinces de l’ouest concernées sont les descendants d’agriculteurs américains à qui le gouvernement offrait des terres (s’ils étaient blancs, bien entendu); un partage de territoire on ne peut plus colonial, digne de ce qui fut effectué sur une carte de l’Afrique lors de la conférence de Berlin de 1885, même si, au nord, le décalage culturel actuel se traduit de nos jours par de moins nombreuses églises pentecôtistes et armureries; pour Justin « Blackface » Trudeau, c’est ça ne pas être américain. Et ce n’est pas faux.

Le réel dépassera-t-il la fiction ?

À noter que le chemin de fer Canadien Pacifique, mièvre élément du roman national du Canada anglais (on a les mythes fondateurs qu’on peut), gouffre financier perpétuel, créant une unité économique non américaine est-ouest factice, fut entaché dès sa conception, donc bien avant le premier coup de sifflet, de scandales financiers impliquant le premier Premier ministre fédéral, le poivrot Sir John A. Macdonald, préfigurant le scandale de Panama.

Les Américains, pratiquant leur nouveau sport national, la chasse à l’Autochtone et au bison, mirent le grappin sur le Texas, l’Oregon, même Hawaii … ; l’Amérique latine leur fournit aussi un butin : Porto-Rico, le canal de Panama (État fantoche arraché à la Colombie par la force des armes américaines), et des zones d’influence sans annexion formelle : Cuba, Haïti, Nicaragua…

Même sans le Canada, il y avait de quoi faire.

Mais aujourd’hui, le Caudillo Trump conteste les frontières canado-américaines consacrées notamment par le traité de 1908, comme il conteste le droit du sol constitutionnel, manifestant de manière générale une grande liberté d’esprit en ce qui concerne les textes juridiques.

À lire aussi : Canada: (re)naissance du patriotisme?

Le Canada est une terre promise vu sa richesse en minéraux, mais surtout en eau, plus précieuse encore que le lait et le miel, qui suscite la convoitise des États du sud-ouest des États-Unis, cruellement assoiffés par l’enfer climatique; cependant, le Canada rejette l’idée que l’eau est une simple « marchandise » au sens de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). L’annexion rendrait la question caduque.

Mais il serait injuste de ne pas tenir compte de l’attachement sentimental de Donald Trump pour la contrée où bon-papa fit ses débuts dans le monde des affaires. La gestion des maisons closes est très formatrice et ouvre beaucoup de portes, surtout dans l’immobilier.

Il est encore trop tôt pour dire si le Canada fera l’objet d’une invasion militaire en bonne (si l’on ose dire…) et due (si l’on ose dire) forme. Une telle promenade prendrait une journée : on n’est plus en 1812. Rectification : elle prendrait une matinée et, pour faire bonne mesure, sur cette lancée, un largage de quelques paras assurerait la maîtrise du Groenland voisin en une ou deux heures supplémentaires.

Alors, comment l’Ontario (qui est, en pratique, le Canada) peut-il éviter de devenir le 51e État, d’une manière ou d’une autre?

Le magazine The Economist avance la solution de l’adhésion du Canada à l’Union européenne. Le Québec lui, pourrait songer à opter pour l’annexion par la France (2).


1 Relire l’analyse de Gerald Olivier NDLR : Panama, Groenland, Canada: quand Donald Trump ravive la Doctrine Monroe

2 Lire Gaetan Langlois, Journal de Montréal, L’annexion du Québec à la France

Universités américaines: Trump siffle la fin de la récréation

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Des étudiants et des partisans pro-palestiniens se sont rassemblés et ont prié devant l’université de Columbia pour protester contre l’arrestation et la détention, par les services de l’immigration, de Mahmoud Khalil, étudiant et organisateur pro-palestinien à Columbia. New York, le 14 mars 2025 © Laura Brett/Sipa USA/SIPA

Une pétition monstre réclame aux États-Unis la libération de l’étudiant étranger Mahmoud Khalil. La carte verte de ce militant pro-palestinien a été révoquée par l’administration Trump, et il devrait être expulsé. Ses soutiens invoquent sa liberté d’expression et le premier amendement de la Constitution pour le défendre.


À la suite des attaques terroristes du 7-Octobre, le chaos s’était emparé de nombreuses grandes facultés américaines, bastions de la jeunesse démocrate et largement acquises à la cause palestinienne. Manifestations de soutien aux terroristes du Hamas, violences à l’encontre d’étudiants de confession juive… Tout cela n’avait suscité ni indignation ni réaction suffisante de la part des directeurs des établissements débordés concernés. L’arrestation de l’activiste propalestinien Mahmoud Khalil, étudiant à Columbia, et son expulsion annoncée du territoire américain marquent la fin de cette impunité, comme l’avait promis Donald Trump.

La première arrestation d’une longue série

Le 9 mars, des agents de l’immigration ont effectivement arrêté l’étudiant né en Syrie, détenteur d’une carte verte et revendiquant des origines palestiniennes, pour son implication dans les manifestations propalestiniennes qui ont secoué le campus de Columbia. Selon une déclaration de Donald Trump sur son réseau Truth Social, l’arrestation de cet « étudiant pro-Hamas est la première d’une longue série à venir ».

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Columbia, Sciences-Po: les étudiants, les idiots utiles du Hamas

Durant ces manifestations, le Wall Street Journal[1] rapporte que Mahmoud Khalil occupait la fonction de négociateur en chef pour le compte de la Columbia University Apartheid Divest (CUAD), une coalition anti-israélienne. De son côté, le National Review[2], célèbre mensuel conservateur, révèle que M. Khalil était également correspondant aux affaires politiques auprès de l’UNRWA, une organisation dont les liens avec le Hamas ont été fréquemment dénoncés ces derniers mois. Certains de ses défenseurs mettent en avant son rôle de « négociateur » comme preuve de son pacifisme. Pourtant, des éléments récents viennent contredire cet argument déjà fragile. Le National Review souligne que Khalil était notoirement connu comme l’un des leaders des nombreuses manifestations pro-Hamas. La secrétaire de presse de la Maison Blanche affirme qu’il ne se contentait pas d’organiser des rassemblements visant à « harceler les étudiants juifs américains », mais qu’il diffusait également de la propagande pro-Hamas. Le magazine Newsweek[3] révèle de son côté que Khalil a été accusé d’avoir carrément organisé un événement glorifiant les attaques du 7-Octobre. Difficile, dans ces conditions, de dresser le portrait d’un étudiant pacifiste aux airs de gentil hippie inoffensif. Mais les soutiens de l’étudiant étranger arrêté crient à l’injustice et demandent au gouvernement américain de fournir des preuves de ces accusations. Les Démocrates, soucieux de rester dans la course politique et prêts à tout pour ne pas tomber dans un oubli qui leur tend les bras, n’ont pas hésité à prendre la défense de cet étudiant qu’ils présentent comme une victime de l’administration Trump.

Il fallait s’y attendre, selon certaines représentants démocrates, Trump embastillerait un gentil étudiant en bafouant son droit à la liberté d’expression (« free speech »). Mais, cette liberté connaît des limites : soutenir un groupe terroriste et stigmatiser une population en raison de sa confession ne devraient pas en faire partie. Or, c’est précisément ce que faisait le CUAD, selon le Wall Street Journal, qui rappelle que cette organisation a déclaré en octobre 2024 son soutien à « la libération, par tous moyens nécessaires, y compris la résistance armée ».

Aveuglement idéologique

Est-ce ainsi que la gauche conçoit la liberté d’expression ? 14 élus démocrates ont adressé une lettre ouverte à la secrétaire d’Etat pour la sécurité intérieure, Kristi Noem, demandant la libération immédiate de Khalil, qu’ils considèrent comme un prisonnier politique. Parmi les signataires figure la représentante démocrate du Michigan, Rashida Tlaib, connue pour avoir accusé Joe Biden de « soutenir le génocide du peuple palestinien » dans un tweet publié en juillet 2023 et supprimé depuis.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

Si Mahmoud Khalil s’était contenté d’agiter pacifiquement un drapeau palestinien, il ne se serait évidemment pas retrouvé dans cette situation. Donald Trump, qui a promis d’être le président de tous les Américains, entend protéger également les étudiants juifs, leur garantissant un environnement universitaire sûr. Les Démocrates sont-ils à ce point aveuglés qu’ils ne voient pas que, dans cette affaire, c’est bien Trump qui défend la véritable liberté d’expression ? Les étudiants juifs ne devraient-ils pas, eux aussi, pouvoir jouir de cette liberté sur les campus, sans craindre pour leur intégrité physique ? On frissonnerait presque en imaginant ce qu’il serait advenu si la « camarade Kamala », comme l’appellent ironiquement les trumpistes, avait accédé au Bureau Ovale…

Une mobilisation opportuniste

Par aveuglement idéologique ou par pur calcul électoral, les Démocrates ont appelé à manifester pour la libération de Mahmoud Khalil. L’impayable Alexandria Ocasio-Cortez a dénoncé le « traitement inhumain »[4] infligé à Khalil, en faisant une nouvelle cause politique pour un parti en pleine crise. Ainsi, selon les estimations du Wall Street Journal, plus de 300 manifestants se sont rassemblés jeudi 13 mars devant… la Trump Tower, pour exprimer leur indignation. Outre l’absurdité du choix du lieu – Trump résidant évidemment à la Maison Blanche et non à New York – cette manifestation illustre une fois de plus que les Démocrates ne reculeront devant rien pour cimenter leur électorat sur des bases intersectionnelles. Quitte à fracturer encore davantage la société américaine.

https://twitter.com/SecRubio/status/1899892869332173133

[1] https://www.wsj.com/opinion/mahmoud-khalil-green-card-trump-administration-cuad-columbia-israel-hamas-ecdc4424?mod=Searchresults_pos2&page=1

[2] https://www.nationalreview.com/news/ice-detains-palestinian-activist-who-led-anti-israel-encampments-at-columba-university/

[3] https://www.newsweek.com/who-mahmoud-khalil-columbia-university-grad-detained-ice-2041925

[4] https://www.washingtontimes.com/news/2025/mar/12/free-mahmoud-khalil-democrats-rally-stop-deportation-anti-israel/

Dans le mur de l’État de droit

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Síofra O'Leary, alors présidente de la Cour européenne des droits de l'homme, prononce un discours à Strasbourg, le 9 avril 2024, après avoir rendu un arrêt condamnant la Suisse pour « inaction climatique ». Une décision qui marque une nouvelle extension du pouvoir de la CEDH dans les politiques nationales © AP Photo/Jean-François Badias/SIPA

Cinq hautes juridictions françaises et européennes garantissent aux sans-papiers et délinquants étrangers une batterie de droits qui insultent le bon sens. Seule la voie référendaire pourrait inverser la vapeur. Passage en revue de ces aberrations légales par l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.


« Il n’y a qu’à les enfermer le temps que leurs pays les reprennent. » Telle est la réflexion de tant de nos compatriotes, justement révoltés par la litanie de crimes perpétrés par des étrangers sous le coup d’OQTF, d’arrêtés d’expulsion ou d’interdictions de territoire. Telle est l’exigence de tant de nos concitoyens, légitimement exaspérés par le fait que des immigrés condamnés pour terrorisme ne puissent être reconduits vers leurs pays d’origine à la fin de leur peine.

La loi censurée

« La loi ne le permet pas », explique-t-on, ce qui est vrai. « Il faut donc la changer », répondent nos compatriotes, ce qui est logique. Mais ici l’ignorance – ou la mauvaise foi – s’infiltre dans le débat. « Que fait le ministre de l’Intérieur pour la modifier ? » s’interroge-t-on. « Que n’agit-il pas au lieu de déplorer ! », ajoutent les dirigeants du RN.

Gare toutefois à ce que l’impatience, si naturelle soit-elle, ne conduise à une impasse. Car, même si elle était votée, une loi permettant, sans limite de temps, la rétention administrative des étrangers n’ayant pas déféré à une OQTF, ou prévoyant l’incarcération, tant que leur éloignement n’est pas possible, des étrangers fichés comme dangereux par les services de sécurité ou considérés comme encore dangereux une fois leur peine purgée, se heurterait au mur de l’« État de droit », c’est-à-dire aux jurisprudences de nos cinq cours suprêmes : Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation, Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), interprétant de manière constructive les droits énoncés, de façon souvent imprécise, dans notre « bloc de constitutionnalité » et nos engagements européens. Il serait disproportionné, jugeraient-elles, qu’un étranger soit indéfiniment privé de sa liberté individuelle du seul fait – étranger à la volonté de l’intéressé – que son pays d’origine refuse de le recevoir. La loi serait donc censurée.

Au-delà de ces cas spécifiques (mais nombreux) d’étrangers que leur pays refuse de reprendre, les jurisprudences de nos cinq cours suprêmes configurent les politiques d’immigration sous bien d’autres aspects.

Principes suprêmes

D’abord parce qu’elles reconnaissent le regroupement familial, au nom du « droit de mener une vie familiale normale », déduit du préambule de la Constitution de 1946 (n° 93-325 DC, 13 août 1993). À elle seule, cette jurisprudence interdit d’instaurer des quotas migratoires.

De même, en matière d’accueil des demandeurs d’asile, la CEDH condamne la reconduite d’une embarcation interceptée en mer à son pays de provenance, même dans le cadre d’un accord bilatéral assurant la sécurité des intéressés.

La CJUE ajoute que le placement en rétention du demandeur doit être exceptionnel. S’il est débouté, il ne devra pas être reconduit dans son pays d’origine si son retour le met en danger, y compris sur le plan médical.

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La jurisprudence de la CJUE interdit en outre le refoulement des immigrants illégaux à la « frontière intérieure » (franco-italienne par exemple), même quand celle-ci est momentanément rétablie en raison des circonstances, comme le permet le système Schengen.

La jurisprudence de la CEDH interdit de plus l’expulsion d’un étranger, si dangereux soit-il, s’il est exposé, dans son pays d’origine, à de mauvais traitements (décision Daoudi, 3 décembre 2009) ou s’il risque d’y faire l’objet de poursuites pénales non conformes aux règles du procès équitable (décision Othman Abu Qatada, 17 janvier 2012).

Les jurisprudences des cours suprêmes tendent à aligner sur les droits des nationaux les droits des étrangers, non seulement lorsque ceux-ci justifient dans le pays d’accueil d’un séjour régulier d’une durée suffisante, ce qui est légitime, mais aussi lorsqu’ils n’y résident pas régulièrement, voire lorsqu’ils n’y résident pas du tout (c’est alors à l’habitant de la planète que nos droits sont ouverts).

La jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit par exemple depuis 1993 qu’un maire refuse de marier un étranger au motif que celui-ci est en situation irrégulière. La liberté du mariage, juge-t-il en effet, « est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 » et « son respect s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003).

Révisons la Constitution !

Pour faire sauter les verrous énumérés ci-dessus (et d’autres), il faudrait une révision constitutionnelle. Celle-ci pourrait prendre soit la forme radicale de la réduction des modes de saisine et des bases de référence du Conseil constitutionnel, soit la forme plus détaillée d’une neutralisation, sujet par sujet, des jurisprudences incapacitantes. En tout état de cause, elle affirmerait la primauté de la loi française sur le droit international antérieur, de manière à ne plus voir nos juges nationaux écarter la loi au profit d’une directive européenne ou d’une jurisprudence de la CEDH. Et, pour bien marquer qu’elle exprime la volonté du peuple souverain, cette révision devrait être approuvée par voie référendaire.

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Cependant, les conditions politiques permettant une telle révision ne pourront être réunies qu’à l’issue d’élections donnant la majorité absolue aux forces désireuses de sauter le pas. Les détracteurs de Bruno Retailleau, du côté du Rassemblement national, le savent bien. Ils savent aussi que le pas à sauter est trop considérable pour ne pas commander aujourd’hui un constat d’accord, demain une coalition. Or l’un et l’autre sont compromis par le procès en hypocrisie que plusieurs responsables du RN intentent au ministre de l’Intérieur et à tous ceux qui, à droite et au centre, approuvent son action.

En réalité, ce procès trouble une grande partie de leur propre électorat, qui fait crédit à Bruno Retailleau de sa sincérité et ne comprend pas pourquoi le RN ne cherche pas à soutenir son action (quitte à souligner que cette action se heurte à des blocages structurels que seul un changement politique profond pourrait surmonter). D’où l’impression que le RN, redoutant la concurrence sur ses domaines de prédilection, cherche moins à résoudre les problèmes qu’à les exploiter électoralement de façon monopolistique. À lui de décider clairement s’il assume de refuser une alliance indispensable à terme pour mener à bien un projet régalien conforme au vœu très majoritaire des Français.

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L’infantilisation des Français s’aggrave

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Mulhouse, 25 mars 2020 © CUGNOT MATHIEU-POOL/SIPA

Cinq ans après le confinement de mars 2020, les études se multiplient qui nous confirment que cette mesure a sauvé de nombreuses vies et que les pays ayant confiné tôt ont mieux limité les conséquences économiques et sociales de la pandémie. Experts dissidents et médias populistes ont bien fait d’être mis au pas par le pouvoir, nous assure-t-on. Dans son billet, notre chroniqueur dénonce au contraire une dérive totalitaire qui s’aggrave. Le pouvoir continue de s’exercer en faisant peur aux citoyens, selon lui.


Le Covid a durablement infecté la démocratie. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron dramatisait l’épidémie en répétant six fois : « Nous sommes en guerre ! ». 500.000 morts étaient annoncés en France. Le 17 mars 2020, à midi, il mettait fin à la liberté de circuler en imposant, « quoi qu’il en coûte », un confinement sanitaire approuvé par l’opinion tétanisée. Depuis, la dérive totalitaire du pouvoir n’a cessé de s’aggraver, dans l’hébétude du monde intellectuel et médiatique. Exploitant la crainte du virus, le chef de l’Etat allait imposer, le 12 juillet 2021, un passe sanitaire interdisant les cafés, restaurants, cinémas, etc. aux non-vaccinés. Aujourd’hui, l’inefficacité de ces mesures étatiques commence à être timidement admise. Leurs effets sur la santé mentale des jeunes également. Pourtant, face à l’hystérisation hygiéniste et à ses ségrégations de sous-citoyens, rares furent ceux qui alarmèrent sur les procédés mensongers employés ; à commencer par le slogan officiel, authentique fake-news : « Tous vaccinés, tous protégés ». Ayant eu à subir les accusations en « complotisme » et « antivax » des fanatiques de l’ordre sanitaire, j’ai pu observer de près l’efficacité d’une propagande anxiogène sur les comportements. Dans leur majorité, les Français apeurés ont accepté leur servitude, jusqu’à l’absurde. Ils ont dû remplir leurs auto-attestations pour sortir. J’ai gardé de cette époque, devenue si vite irrationnelle, l’avis de contravention (135 euros, réglés) reçu par mon épouse qui, le 24 février 2021 à 18h50 avait été verbalisée par la gendarmerie pour « circulation à une heure interdite » alors qu’elle se promenait à la pointe désertique d’une île atlantique balayée par le vent. Peu auparavant, le Premier ministre Jean Castex avait également prévenu : « Papy et mamie doivent éviter d’aller chercher les enfants à l’école ».

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Cette infantilisation des citoyens, sommés d’obéir à l’Etat-mamma et à ses délires, caractérise la macronie. Comme tout pouvoir faible, celui-ci est tenté par les fausses guerres qui rassemblent autour du président. Le modèle chinois du contrôle social et de la dénonciation a été aussi l’inspirateur du gouvernement, soumis à la vision mondialiste de l’Organisation Mondiale de la Santé. Les responsables de ce fiasco, à commencer par le chef de l’Etat, n’ont jusqu’à ce jour jamais reconnu avoir surestimé l’épidémie. Aucun bilan n’a été tiré des ruineux et inutiles confinements et couvre-feux, ni des vaccins expérimentaux aux effets secondaires importants. Stalinienne a été la diabolisation, par la presse mimétique, de ceux qui réclamaient une distance face aux firmes pharmaceutiques et la vigilance dans le recours liberticide au QRCode, inventé en 1994 pour identifier les pièces détachées chez Toyota. Simon Leys, dans La forêt en feu, a décrit cette oppression : « Dans un système totalitaire, chaque fois que le bon sens entre en conflit avec le dogme, c’est toujours le bon sens qui perd ». La France reste à la merci d’une rechute de sa démocratie, si mal défendue par ses prétendus soutiens. Ceux-là n’avaient rien compris non plus de la révolte des gilets jaunes.

Après la peur du Covid, voici réactivée celle de « l’extrême droite », où sont parqués tous ceux qui osent penser par eux-mêmes. Des chaînes de télévision (C8, NRJ12) ont été chassées par le pouvoir. Des portraits d’indésirables (dont Cyril Hanouna sous les traits du Juif vu par les nazis) sont diffusés par LFI. La justice pourrait interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027. Tant que les Français laisseront faire, l’étau totalitaire se refermera.

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Fabien Galthié: l’homme du tournoi

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Fabien Galthié lors du match Italie - France à Rome, 23 février 2025 © Massimo Insabato/Mondadori Portfolio/Sipa USA/SIPA

Ça y est ! Le XV de France a remporté samedi le tournoi des Six nations, en s’imposant 35-16 face à l’Écosse. Encore une victoire qui témoigne de l’importance de Fabien Galthié, l’homme qui depuis son arrivée, n’a cessé de redresser cette équipe et de la hisser au sommet du rugby.


Cinq ans avant d’être nommé sélectionneur-entraîneur des Bleus, Fabien Galthié, l’homme aux étranges incongrues lunettes à grosse monture noire qui donnent l’impression qu’il est étranger à ce qui l’entoure, n’avait pas caché son ambition : si cette responsabilité lui était échue un jour, il ferait de ceux-ci la meilleure équipe du monde. On l’avait pris alors pour un arrogant hâbleur…

Fin de la malédiction

Une décennie plus tard, après les deux matches d’anthologie gagnés contre l’Irlande (42-27), la grande favorite, à Dublin où elle faisait figure d’invincible, et la vaillante Écosse (35-16) qui n’a pas tenu la distance, samedi, au Stade de France, qui lui ont valu de décrocher le trophée du Tournoi des six nations, il semble bien qu’il est en passe de réaliser cette prophétie. En tout cas, pour le quotidien L’Équipe, qui n’a jamais été très complaisant à son endroit, il serait bien parti pour. Cette victoire, écrit le quotidien sportif, « atteste d’une progression qui peut nourrir beaucoup d’espoirs à deux ans et demi de la coupe du Monde en Australie. »

https://twitter.com/francetvsport/status/1901047714248335676

Pour le moment, ce qui est sûr, c’est qu’il a été incontestablement l’homme de cette 25ème édition du Tournoi qui restera gravée dans les annales de l’Ovalie hexagonale, non seulement parce qu’il a enfin conjuré une malédiction qui le poursuivait depuis sa prise de fonction, celle de gagner de grands matches mais de ne conquérir aucun titre, mais aussi parce que les Bleus ont fait tomber quelques records et en ont établi d’autres.

En fait, la malédiction n’était pas tout à fait exacte, euphémisme pour ne pas dire fausse. En vérité, c’est plutôt, lui, Galthié, qui a mis un terme à une disette de titres. L’âge d’or du XV de France dans les Six nations a été la décennie de 2000 à 2010, où il a engrangé quatre titres (2002, 04, 06, et 2010), pratiquement un tous les deux ans. Puis, en 2011, les bleus perdent à Auckland, capitale de la Nouvelle-Zélande, la finale de la coupe du monde d’un petit point (8 à 7, un essai et une pénalité – discutable – pour les All blacks, contre un essai transformé pour les Tricolores). Sonnés par cette amère déconvenue, les Bleus ne sont plus que des figurants dans les Six nations.

Joueur émérite et entraîneur à succès

Quand Galthié prend les commandes des Tricolores, il a un passé d’entraîneur à succès en club et de joueur émérite à l’international. Comme entraîneur, il a conquis en 2007 avec le Stade français le bouclier de Brennus qui récompense le champion de France, et est finaliste en 2011 avec Montpellier. Comme joueur (demi de mêlée, poste oh ! combien stratégique), il a été déclaré meilleur du monde par l’International Rugby Board (l’instance suprême), fait partie du club très fermé de ceux qui ont disputé quatre coupes du monde dont une finale, a à son actif trois Grands Chelems et deux championnats de France. En somme, un des palmarès parmi les plus prestigieux. Ce qui l’autorise quand on lui a confié les rênes d’une équipe de France en quenouille à mettre les pendules à l’heure et à parler cru. « On n’est plus ici pour jouer, on est pour gagner vu qu’on est des pros », aurait-il en substance dit au staff et aux joueurs. Sur un ton ne souffrant aucune réplique, il aurait ajouté que le temps des « ronds de serviettes au banquet des quinze » était désormais révolu.

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En 2022, douze après leur dernier titre en Six nations, le XV tricolore réalise le Grand Chelem. En 2020, puis en 2023 et 24, il termine second derrière l’Angleterre puis deux fois derrière l’Irlande, classée deuxième équipe mondiale. À l’édition 2021, les Français terminent 5ème. C’est une année charnière, où les anciens cèdent leur place aux jeunes-pousses qui constituent l’ossature de l’équipe actuelle, les Dupont, Ramos, Gros, et consorts. En gros, en cinq ans, trois places de second et un Grand Chelem, ce n’est pas à dédaigner.

Certes, à la coupe du Monde de 2023 où elle était donnée grande favorite, l’équipe de France s’est fait sortir en quart. Mais par qui ? Par l’Afrique du Sud qui a gagné le titre. Et sur quel score ? 29 pour les Springboks contre 28 pour les Bleus. Encore un petit point en leur défaveur, comme lors de ce Six nations contre les Anglais (26-25) qui les prive du Grand Chelem, leur objectif affiché.

Pourtant, en match d’ouverture de cette même édition de la coupe du Monde, les Français avaient réalisé l’exploit face à la Nouvelle-Zélande en l’emportant par un 27 à 13 ce qui laissait présager un avenir radieux si elle n’avait pas rencontré prématurément les Sud-Africains qui vaincront ces mêmes Néo-Zélandais en finale. Un an plus tard, au Stade de France, à l’issue d’une rencontre haletante, lors de la tournée dite d’automne face aux All Blacks, les Bleus rééditeront leur exploit mais cette fois juste, à leur tour, avec un petit point d’avance (30-29). Dès lors, le XV français, sous la férule de Galthié, pouvait être considéré comme un des meilleurs du monde, ce que cette victoire, certes sans Grand Chelem, induit.

Un tournoi de records

En effet, en plus d’avoir gagné les Six nations, la France a fait une razzia de records. Avec ses huit essais en une seule édition, Louis Bielle-Biarrey, l’ailier « supersonique », comme il est déjà surnommé, coiffé de son immuable casque rouge, âgé seulement de 21 ans, a égalé le plus anciens de tous qui était détenu depuis 1914 par l’Anglais Cyril Lowe, rejoint en 1925 par l’Ecossais Ian Smith.

Les Français qui ont marqué en tout 30 essais ont dépossédé les Anglais du record qu’ils détenaient depuis 2001, avec 29 à leur actif, du nombre de réalisations en une seule édition. En inscrivant son 450ème points, Thomas Ramos est devenu le meilleur marqueur français de tous les temps, ce qui lui ouvre la perspective de pouvoir, avant la fin de sa carrière, envisager le record mondial de 566 points détenu par l’Irlandais Johnny Sexton. Enfin, Damian Penaud avec ses 39 essais en 55 sélections a supplanté le charismatique Serge Blanco, « le Pelé du Rugby », qui lui en avait réalisé 38 mais en 93 sélections.

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La France est aussi devenue une machine à marquer. À la différence entre points marqués et encaissés, elle a battu son propre record qui datait de 1998, à savoir qu’elle a porté son solde positif à 125 points contre 95. Avec 71 points passés contre l’Italie, elle a aussi établi le record, qui a peu de probabilité d’être battu dans un avenir proche, du score le plus élevé depuis la création des Six nations en 2000. Lors de cette 25ème édition, hormis lors de sa très courte défaite face à l’Angleterre (25-26), elle a remporté toutes ses rencontres en franchissant systématiquement la barre des 30 points : 35 contre l’Écosse, 42 contre l’Irlande, 43 contre le Pays de Galles et 71 époustouflants contre les trans-alpins.

S’ajoute qu’avec près de 10 millions de téléspectateurs devant leur écran samedi, France 2 a battu tous les records d’audience faisant que le XV de France supplante auprès du public hexagonal le Onze tricolore. Si sa pratique reste majoritairement circonscrite à un grand Sud-ouest, le rugby, un sport « de voyous joué par des gentlemen », aux règles certes absconses, est en passe de gagner le match de la popularité par réaction, sûrement, aux dérives à la fois des supporteurs et des pratiquants du foot.

Il ne pouvait que diriger une équipe

Ce bilan « globalement positif » est sans conteste imputable à Fabien Galthié, « un stratège hors pair à la personnalité complexe », ainsi qu’un chroniqueur de l’ovalie l’a qualifié. On lui reproche de manquer d’humanité envers les joueurs, d’être rugueux dans ses propos à l’endroit du joueur qui a failli. Ce qu’a démenti indirectement, dans une longue interview accordée au « journal officiel » du Rugby, Midi Olympique, Maxime Lucu, le Basque à qui a incombé la lourde mission de remplacer Antoine Dupont après sa grave blessure qui risque de compromettre, du moins psychologiquement, sa carrière.

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En 2024, Lucu a connu un gros passage à vide qui menaçait la poursuite de sa carrière internationale. Avec Galthié, « nous avons beaucoup discuté, dit-il. Des échanges sincères où il m’a dit être désolé pour moi et déçu (…). Ça m’a fait du bien… » Galthié l’a fait revenir en équipe de France alors que d’autres sélectionneurs l’auraient rayé de leur liste. Et, comme l’a reconnu Galthié, il a été décisif dans la victoire cruciale contre l’Irlande.

Un de ses anciens équipiers au Stade français à dit de Galthié : « Il vit, mange, dort rugby. Il est d’une exigence peu commune envers lui-même et envers les autres. Il ne pouvait que diriger une équipe. » Une équipe à gagner.

Panthéoniser Dominique de Villepin de son vivant

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Dominique de Villepin en 2018 © RTL-BUKAJLO/RTL/SIPA

Voilà un revenant de la vie politique française. Dominique de Villepin refait surface, et ses ambitions présidentielles pour 2027 sont omniprésentes dans des médias pourtant aux mains de qui vous savez! L’orateur flamboyant, qui a fait fortune dans l’art et dans le conseil, est désormais accueilli les bras ouverts par les étudiants de la Sorbonne ou à la Fête de l’Humanité, et suffisamment riche pour partir en campagne seul. Mais, son positionnement international pro-arabe réel ou supposé est autant une force qu’une faiblesse pour séduire une majorité de Français.


De Clearstream à mainstream

Il est l’homme du moment, l’homme dans le vent, le vent dans les cheveux, les cheveux en poupe. On pensait avoir enterré, avec Jean-Louis Debré, le dernier vestige du chiraquisme. C’était sans compter sur le retour tonitruant de Dominique de Villepin, depuis quelques semaines personnalité préférée des sondages. À soixante-et-onze ans, en Une de Marianne, l’ancien Premier ministre écume les plateaux télé. Sur Quotidien, il dément ses ambitions présidentielles, pour mieux faire glousser le public. Villepin 2025, c’est l’alliance inattendue de la gravitas laconique et du ricanement d’Anne-Elisabeth Lemoine.

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De Hollande à Sarkozy, de Juppé à Fillon, on a un temps pensé que le nouveau monde macronien avait mis à la retraite toute une génération. Celle qui ne se serait jamais remise du massacre de l’hiver 2016. Il était écrit que la fin de règne de Macron se ferait avec les ringards du monde ancien qui n’avaient pas été décimés : Bayrou, et même Barnier, pendant quelques mois. À l’époque où le vintage est partout, où les tournées des chanteurs des années 80 triomphent, où la guerre des étoiles en est à son vingtième volet, le retour de Villepin, c’est l’éternel retour du kitsch. Dans des temps géopolitiques troublés, le phrasé de Galouzeau rassure, de la mamie de La Baule aux fumeuses de joints de la fête de l’Huma, en passant par vos anciens copains de fac en lutte jadis contre le CPE. Il faudra au moins ça, pour arrêter les chars russes et reconstruire Gaza.

Pro-trans, avant que ça ne soit cool

Il avait déjà tenté un premier retour. En 2012, il avait lancé son micro-parti, République solidaire. Déjà, à l’époque, il rendait chèvre une partie de la gauche, très heureuse de s’être trouvé un allié pour faire chuter Sarkozy. Au programme : création d’un service public du logement, modération des loyers et sécurité juridique des familles homo et trans… avant que ça ne soit cool. Pour sa campagne 2027, l’ancien locataire du Quai d’Orsay n’aura qu’à se repencher sur son catalogue de propositions socialisantes proposées il y a 13 ans. Enfin, proposées… faute de parrainages officiellement, ou faute d’envie officieusement, Villepin avait finalement renoncé à sa candidature.

Sur Al-Jazeera, comme à la maison

Surtout, si Villepin est revenu du purgatoire des anciens Premiers ministres, c’est à cause de ses positions sur le Proche-Orient. Sur les plateaux français comme sur celui d’Al-Jazeera, le chiraquien parle comme un député LFI. Suffisant pour que Lucie Castets, Première ministre virtuelle de l’été dernier, ambitionne de le nommer ministre des Affaires étrangères. Un projet à peine moins fantasmagorique que sa propre désignation à Matignon.

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Dans la mémoire collective, Villepin est resté comme l’homme de 2003, du discours à l’ONU, du non à la guerre d’Irak. Le monde a changé, Villepin aussi. Quand il s’exprime sur la chaîne qatarienne Al-Jazeera, l’ancien Premier ministre joue quasiment à domicile. Sa seconde carrière de conseiller de régimes politiques douteux lui permet, lit-on dans Marianne, de mener une campagne sur ses propres fonds : « Il lui suffira d’apporter un de ses tableaux de Zao Woo-Ki en gage à la banque. Il récupérera ensuite son prêt », glisse un proche. Rien que dans les parties communes de l’appartement de l’avenue Foch, il y en aurait pour plusieurs dizaines de millions d’euros. Thierry Lhermitte avait incarné Villepin dans un film poussif (Quai d’Orsay); aujourd’hui, Villepin est monsieur Brochant et ses tableaux de maitres accrochés au mur. La société Villepin International affichait 2,6 millions de bénéfices l’année de sa création, puis plus rien. Villepin préfère payer des amendes que publier ses comptes.

Panthéon subito

Combien de temps la bulle Villepin va-t-elle planer en tête dans les sondages ? On n’imagine guère le patron de la France Insoumise laisser passer son tour, et la bataille au centre risque d’être embouteillée. Le landerneau pour l’instant ébahi n’oubliera pas de rappeler en temps voulu les casseroles de son sombre héros, à commencer par Clearstream. N’est-il pas temps d’arrêter maintenant une campagne gonflée à l’hélium et que la perversité médiatique fera crever dès que la dernière ligne droite approchera ? Dernière incarnation de la voix particulière de la France et d’un certain lyrisme grandiloquent, Villepin doit être panthéonisé de son vivant, enfermé dans les dalles froides de l’église Sainte-Geneviève, en présence de Bernadette Chirac… avant que tout cela n’aille trop loin.

SOS Bordeaux

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Serge Ace, sommelier en chef au 114 Faubourg, à l'hôtel Bristol, Paris © Hannah Assouline

Depuis une vingtaine d’années, les vins de Bordeaux traversent une crise profonde. Boudé par les consommateurs branchés, qui boivent de moins en moins, ce vignoble serait passéiste et démodé, en un mot de droite ! Mais les vignerons girondins, qui en ont vu d’autres, savent se réinventer. À nous de les soutenir…


« Les femmes et le bordeaux, je crois que ce sont les deux seules raisons de survivre. » Pierre Desproges

Paleron de bœuf braisé au vin rouge, légumes confits, mousseline de pomme de terre, le 114 Faubourg, la meilleure brasserie de Paris © Hannah Assouline

Pour Flaubert, un écrivain « sonne juste » quand il écrit au plus près de ce qu’il ressent, là où se trouve « sa vérité ». S’agissant des vins de Bordeaux, dont je me propose ici de dire du bien, alors qu’il est d’usage depuis vingt ans d’en dire du mal, j’avoue avoir toujours été à leur égard un amateur poli et distant, dépourvu de toute passion amoureuse. Révolté aujourd’hui par l’opprobre qui les frappe, j’aimerais mieux les aimer ! J’aimerais qu’un guide me prenne par la main et me fasse découvrir de l’intérieur ce vignoble tellement riche et complexe, monde secret à la François Mauriac, peuplé, comme l’écrivait si bien Jacques Dupont, « de gens bizarres, contradictoires, rarement heureux, souvent torturés et qui ne laissent pas indifférents ». Car le vin, c’est d’abord de l’humain !

Le Bordeaux en crise !

Actuellement, les vins de Bordeaux ne trouvent plus acheteurs, des milliers d’hectares de vignes sont arrachés des deux côtés de la Gironde, et à Saint-Émilion même, une quarantaine de châteaux grands crus classés sont mis en vente.

Pendant ce temps, en province comme à Paris, les restaurants « branchés » d’Homo Festivus continuent à pratiquer l’interdit en excluant les vins de Bordeaux de leur carte au profit de « vins » à la couleur orange et au nez de plumes de canard. Passéistes et démodés, les bordeaux y sont présentés comme les symboles d’une France rance et réactionnaire vouée à disparaître. Des vins « de droite », pour parler simplement, auxquels il convient d’opposer ceux de « gauche » : « naturels », « vivants », « pas trafiqués », « authentiques »… Rousseau contre Voltaire ! Le retour à la nature contre la civilisation corrompue ! Le vin, pourtant, n’est rien d’autre, précisément, qu’un acte de civilisation, une décision, un choix humain, une façon de domestiquer la plante afin de sublimer son jus.

Quand il était otage au Liban, Jean-Paul Kauffmann entretenait sa mémoire en se récitant chaque jour le classement de 1855 des meilleurs crus du Médoc, un classement génial, jamais remis en question, dont le déroulé poétique lui permettait d’échapper à la barbarie de ses ravisseurs.

Bref historique

Depuis 1453, l’histoire du vignoble de Bordeaux n’est qu’une alternance ininterrompue d’âges d’or et de crises débouchant sur un nouveau développement. En 1904, les vignerons crevaient de faim : « Les prix de nos vins sont tombés au point de ne plus couvrir nos frais. » Exactement comme aujourd’hui ! (Précisons que les grands crus classés qui, eux, continuent à se vendre ne représentent que 5 % du vignoble.) En 1956, le gel avait tout détruit, les vignerons étaient ruinés, les châteaux à l’abandon… Bordeaux produisait alors plus de petits vins blancs que de grands rouges. Pour sortir de la crise, on se mit à arracher puis à planter des cépages rouges (89 % du vignoble) et à faire de la qualité de type AOC. Il est très probable que nous assistions à une crise de croissance analogue, comme Bordeaux en a tant connu, de laquelle sortira quelque chose de très beau.

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Victime, depuis vingt ans, du désir bien français de tuer le père et de renverser les idoles, Bordeaux subit aussi de plein fouet un phénomène mondial d’effondrement de la consommation de vin : en 2023, on comptait ainsi 16 millions d’hectolitres de vin en surplus sur le marché. Les gens en consomment de moins en moins. C’est un fait culturel. Autrefois, on en donnait aux enfants à la cantine. Au restaurant, on commandait une ou deux bouteilles. On boit aussi plus de blanc que de rouge, hors des repas, et on privilégie les vins sur le fruit, plus faciles d’accès. Bordeaux souffre de tout cela, comme un cavalier élégant au bord de l’autoroute, car ses vins rouges étaient taillés pour la garde et pour les plats en sauce ! Or ses vignerons sont en train de s’adapter pour survivre et le moins que l’on puisse faire est de les encourager. Ils produisent désormais des rouges bio délicieux autour de 20 euros, gourmands, pleins de fruit et de fraîcheur, fins, soyeux, peu extraits (très loin des années Robert Parker). Goûtez par exemple le Château des Annereaux, à Lalande-de-Pomerol, et vous m’en direz des nouvelles. Ils se remettent aussi à faire de superbes vins blancs, amples et tendus, comme celui du Château Magence dans les Graves, à base de sauvignon et de sémillon. Dans l’insolite, certains font même d’excellents crémants aux bulles fines et aux notes de fruits jaunes confits, comme celui du domaine Lateyron qui peut, à prix modique, remplacer un champagne.

Suprématie bordelaise

Par rapport à la Bourgogne triomphante, dont l’actuel appât du gain rappelle celui de ses ancêtres qui avaient vendu Jeanne d’Arc aux Anglais, Bordeaux offre de surcroît l’avantage d’une plus grande variété de terroirs et de cépages : quoi de commun entre un pomerol sensuel à base de merlot et un pauillac janséniste à base de cabernet-sauvignon ? Ceci, qui définit le style bordelais : une sensation de fraîcheur (sans le végétal) et de douceur (sans le sucre) ; un grain, une empreinte tactile semblable au velours ; et surtout, l’équilibre, l’harmonie… Sans compter que les vins de Bordeaux vieillissent bien mieux que ceux de Bourgogne (cinquante ans contre vingt-cinq) et qu’il vaut mieux un bon bordeaux à 15 euros qu’un bourgogne surévalué à 35 !

Agneau en déclinaison, carotte confite aux épices douces, pois chiches et chermoula © Hanna Assouline

Créée à l’intérieur de l’hôtel Bristol, 114 Faubourg, la meilleure brasserie de Paris, fait de la résistance et met aujourd’hui un point d’honneur à défendre les nectars de Bordeaux auprès de ses clients qui avaient oublié qu’ils étaient aussi bons… Chaque année, du 15 mars au 15 avril, les sommeliers passionnés Serge Arce et Baptiste Gillet-Delrieu proposent sur table de grands vins à prix abordables, à l’image du légendaire Château Léoville Las Cases 2009, deuxième cru classé de Saint-Julien (vous savez, le vin que déguste à l’aveugle Louis de Funès dans L’Aile ou la Cuisse !) à 105 euros la bouteille. Un nectar velouté et charnu qui se marie bien avec le paleron de bœuf braisé au vin rouge, légumes confits et mousseline de pomme de terre du chef trois étoiles Arnaud Faye. Chapeau bas, messieurs !

114 Faubourg
114, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
https://www.oetkercollection.com/fr/hotels/le-bristol-paris/restaurants-et-bar/114-faubourg

La Bretagne au soleil-levant

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Soir d’été, 1897, Henri Rivière.

À la mi-mars, avant la saison des cerisiers en fleurs au Japon, Monsieur Nostalgie a soif de nature et nous parle d’Henri Rivière (1864-1951), l’empereur de l’estampe, le Montmartrois du Chat noir qui capta la lumière de Bretagne, du Paris ouvrier mais aussi du pourtour méditerranéen dans des lithographies devenues célèbres…


L’art d’Henri Rivière n’est pas hautain. Il ne surplombe pas celui qui observe son travail avec prétention. Il n’est pas idéologique, dans le sens où il imposerait une pensée dirigiste et voudrait, coûte que coûte, que l’on adhère à un quelconque message. Il ne nous prive pas de notre libre-arbitre. Et, en même temps, il est faussement décoratif, c’est-à-dire qu’il saisit la nature en rendant hommage à sa plénitude. Il se délecte d’une beauté qui serait un peu trop précise, un peu trop soignée, un peu trop élaborée et susciterait cependant une vague de nostalgie. Les lithographies de l’artiste sont des joyaux qui agissent en contraste, comme un double foyer, d’abord l’étendue, la quiétude, l’enracinement, le labeur de ces paysages vus mille fois, et quelque chose de plus intime, de personnel qui vient se nicher dans le regard, quelque chose qui est son propre rapport à la géographie des lieux et des hommes, quelque chose qui absorbe et évade. De l’ordre d’une imagerie populaire rassurante, de la carte postale reproduite à l’infini qui ne serait pas seulement jolie ou folklorique, patrimoniale ou maritime, mais bien nourriture de l’esprit, une sorte d’échappatoire au monde des vivants. Il y a chez Rivière de l’extrêmement vivant, ornementé, parcheminé, et aussi la trace d’un songe, une profonde rêverie sur notre passé. Depuis plusieurs années, deux experts, Olivier Levasseur et Yann Le Bohec, à l’initiative du catalogue raisonné paru en deux volumes et d’ouvrages aux éditions Locus Solus, sont d’indispensables passeurs. Ils font référence. Ils nous montrent évidemment ce talent qui aurait pu être négligé face aux démiurges des musées et des sachants, l’évolution de ses techniques, de l’eau-forte, à la gravure sur bois, pour arriver à la lithographie et à l’aquarelle à la fin de sa vie. Ce cheminement est le parcours d’un esthète doublé d’un graveur de haute volée, capable de « superposer » 8 à 12 couleurs, pour obtenir le mirage d’un décor. Son miroitement flottant. Son onde féérique. Rivière a été imprégné de Japonisme. Il fut l’un des plus grands collectionneurs d’art japonais de son temps, il possédait plus de 800 œuvres alors que Monet, lui aussi admiratif de ce mouvement n’en avait « que » 250.

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Rivière, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, va créer des lithographies remarquables grâce à « la collaboration active de l’imprimeur et lithographe Eugène Verneau ». Des séries qui ont fixé un imaginaire plein d’arabesques et de saisissement du réel. Car, Rivière est au plus près de son sujet, de ses personnages bien ancrés dans la vie quotidienne. Sa série sur le beau pays de Bretagne est magistrale. Il se fait même construire dans ce bout de la terre une maison, dans le lieu-dit la lande de Mélus (Côtes d’Armor). Rivière est un reporter élégant des activités d’alors, il nous conte le lent écoulement du temps présent : le départ des bateaux à Tréboul, une paysanne le soir à Loguivy, des sardiniers, un lavoir ou un vieux moulin, la vie de nos aïeux dans leur simplicité, leur rusticité et leur béatitude, l’histoire des nôtres se met alors en marche du côté de Bréhat ou du port de Ploumanac’h. Une forme de sagesse respectueuse nous étreint. Des signes d’éternité à l’horizon. Rivière, pur Parisien de la Butte, a également laissé son empreinte sur la capitale avec ses trente-six vues de la Tour Eiffel. Sous la neige, vue du Trocadéro, on voit la construction de la tour boulonnée s’édifier, le premier étage vient d’être atteint. Rivière a le culte des travailleurs et d’un Paris en transformation, les mariniers du quai d’Austerlitz cohabitent avec les fortifications et les maraîchers de Grenelle. Du quai de Passy aux gargouilles de Notre-Dame, un Paris gris fumeux et perlé nous appelle. Rivière a su quitter la grisaille du pavé pour s’abreuver de Méditerranée. Jusqu’au 2 novembre, le Musée d’Histoire et d’Art de Bormes dans le Var lui consacre une exposition intitulée « Artisan de la lumière – Du chat noir aux paysages du Sud » recueillant une centaine d’œuvres. Et si, à l’arrivée des beaux jours, vous effectuiez la diagonale entre Douarnenez et Bormes-les-Mimosas.

Henri Rivière, Artisan de la lumière, Du Chat noir aux paysages du Sud. Informations pratiques ici.