À la mi-mars, avant la saison des cerisiers en fleurs au Japon, Monsieur Nostalgie a soif de nature et nous parle d’Henri Rivière (1864-1951), l’empereur de l’estampe, le Montmartrois du Chat noir qui capta la lumière de Bretagne, du Paris ouvrier mais aussi du pourtour méditerranéen dans des lithographies devenues célèbres…

L’art d’Henri Rivière n’est pas hautain. Il ne surplombe pas celui qui observe son travail avec prétention. Il n’est pas idéologique, dans le sens où il imposerait une pensée dirigiste et voudrait, coûte que coûte, que l’on adhère à un quelconque message. Il ne nous prive pas de notre libre-arbitre. Et, en même temps, il est faussement décoratif, c’est-à-dire qu’il saisit la nature en rendant hommage à sa plénitude. Il se délecte d’une beauté qui serait un peu trop précise, un peu trop soignée, un peu trop élaborée et susciterait cependant une vague de nostalgie. Les lithographies de l’artiste sont des joyaux qui agissent en contraste, comme un double foyer, d’abord l’étendue, la quiétude, l’enracinement, le labeur de ces paysages vus mille fois, et quelque chose de plus intime, de personnel qui vient se nicher dans le regard, quelque chose qui est son propre rapport à la géographie des lieux et des hommes, quelque chose qui absorbe et évade. De l’ordre d’une imagerie populaire rassurante, de la carte postale reproduite à l’infini qui ne serait pas seulement jolie ou folklorique, patrimoniale ou maritime, mais bien nourriture de l’esprit, une sorte d’échappatoire au monde des vivants. Il y a chez Rivière de l’extrêmement vivant, ornementé, parcheminé, et aussi la trace d’un songe, une profonde rêverie sur notre passé. Depuis plusieurs années, deux experts, Olivier Levasseur et Yann Le Bohec, à l’initiative du catalogue raisonné paru en deux volumes et d’ouvrages aux éditions Locus Solus, sont d’indispensables passeurs. Ils font référence. Ils nous montrent évidemment ce talent qui aurait pu être négligé face aux démiurges des musées et des sachants, l’évolution de ses techniques, de l’eau-forte, à la gravure sur bois, pour arriver à la lithographie et à l’aquarelle à la fin de sa vie. Ce cheminement est le parcours d’un esthète doublé d’un graveur de haute volée, capable de « superposer » 8 à 12 couleurs, pour obtenir le mirage d’un décor. Son miroitement flottant. Son onde féérique. Rivière a été imprégné de Japonisme. Il fut l’un des plus grands collectionneurs d’art japonais de son temps, il possédait plus de 800 œuvres alors que Monet, lui aussi admiratif de ce mouvement n’en avait « que » 250.
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Rivière, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, va créer des lithographies remarquables grâce à « la collaboration active de l’imprimeur et lithographe Eugène Verneau ». Des séries qui ont fixé un imaginaire plein d’arabesques et de saisissement du réel. Car, Rivière est au plus près de son sujet, de ses personnages bien ancrés dans la vie quotidienne. Sa série sur le beau pays de Bretagne est magistrale. Il se fait même construire dans ce bout de la terre une maison, dans le lieu-dit la lande de Mélus (Côtes d’Armor). Rivière est un reporter élégant des activités d’alors, il nous conte le lent écoulement du temps présent : le départ des bateaux à Tréboul, une paysanne le soir à Loguivy, des sardiniers, un lavoir ou un vieux moulin, la vie de nos aïeux dans leur simplicité, leur rusticité et leur béatitude, l’histoire des nôtres se met alors en marche du côté de Bréhat ou du port de Ploumanac’h. Une forme de sagesse respectueuse nous étreint. Des signes d’éternité à l’horizon. Rivière, pur Parisien de la Butte, a également laissé son empreinte sur la capitale avec ses trente-six vues de la Tour Eiffel. Sous la neige, vue du Trocadéro, on voit la construction de la tour boulonnée s’édifier, le premier étage vient d’être atteint. Rivière a le culte des travailleurs et d’un Paris en transformation, les mariniers du quai d’Austerlitz cohabitent avec les fortifications et les maraîchers de Grenelle. Du quai de Passy aux gargouilles de Notre-Dame, un Paris gris fumeux et perlé nous appelle. Rivière a su quitter la grisaille du pavé pour s’abreuver de Méditerranée. Jusqu’au 2 novembre, le Musée d’Histoire et d’Art de Bormes dans le Var lui consacre une exposition intitulée « Artisan de la lumière – Du chat noir aux paysages du Sud » recueillant une centaine d’œuvres. Et si, à l’arrivée des beaux jours, vous effectuiez la diagonale entre Douarnenez et Bormes-les-Mimosas.
Henri Rivière, Artisan de la lumière, Du Chat noir aux paysages du Sud. Informations pratiques ici.