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Canada: (re)naissance du patriotisme?

Et si le Canada tirait un profit politique de l'élection de Trump ?


Canada: (re)naissance du patriotisme?
Frontière entre le Canada et les États-Unis, à Windsor. Donald Trump a menacé d'augmenter les droits de douane de 25% pour son voisin... © Dominick Sokotoff/Sipa USA/SIPA

Fédéralisme bancal, libre-échange entravé, indépendance inachevée… Le Canada profitera-t-il des menaces de Donald Trump pour réaliser un sursaut national et se démarquer de son voisin américain?


Le Canada est le plus meilleur pays au monde.
Jean Chrétien, ex-premier ministre canadien, bilingue dans les deux langues.

« When I use a word », Humpty Dumpty said in rather a scornful tone, « it means just what I choose it to mean—neither more nor less.” “The question is,” said Alice, “whether you can make words mean so many different things.” “The question is,” said Humpty Dumpty, “which is to be master—that’s all.”1
Lewis Carrol, Alice in Wonderland.


Le Premier ministre canadien bientôt sortant, Justin « Blackface » Trudeau a défini avec éloquence et exhaustivité l’identité nationale : « Nous ne sommes pas américains ». Sic. Cela dit, les frontières artificielles qui séparent le désert culturel canadien de son voisin américain ne comportent pas que des désavantages : on y compte moins de fusillades dans les écoles, moins de télévangélistes pentecôtistes, moins de ghettos, pas de Vietnam, etc… On comprend ses craintes face l’expansionnisme, ou impérialisme américain, qui ont fait l’objet de fuites.

Mais selon la classe politique canadienne, la menace de droits de douane brandie par le président américain (pour l’instant suspendue pour un mois), renforce la cohésion nationale. Il ressort de certains sondages que même les Québécois seraient maintenant plus attachés à l’unité canadienne, séduits, comme Ulysse, par le chant (pourtant peu audible sur les rives du Saint-Laurent) de la petite sirène Mark Carney; le Québécois moyen docile et frileux est toujours plus terrorisable quand son petit portefeuille semble en jeu à court terme et il est insensible à cette réalité historique incontournable: depuis sa naissance en 1867, sur le plan économique, « le Canada », c’est l’Ontario. Sa loyauté est toujours monnayable. En monnaie de singe libérale et en bilinguisme à sens unique. Par contre, le pétrole n’est pas canadien, mais bel et bien albertain (qu’on se le dise!), comme le rappelle fermement la Première ministre Danielle Smith.

Bref, les autorités canadiennes, tant fédérale que provinciales, ont alors vertueusement proclamé leur attachement au libre-échange, plus de nature à assurer la prospérité économique de tous que le protectionnisme, lequel ne protège que les agents économiques inefficaces. Voilà qui est bel et bien. Cependant, les provinces devraient balayer devant leurs portes, trop souvent verrouillées à double tour. On peut même féliciter Trump de les avoir réveillées à cet égard.

Petit rappel historique

Les textes constitutionnels de 1867 sont, sans équivoque, centralisateurs : la compétence fédérale est la règle, et la compétence provinciale l’exception. Cet équilibre était respecté par la Cour suprême du Canada à ses débuts… jusqu’au jour où, en 1881, le conseil privé de Londres (qui était alors la plus haute juridiction d’appel), renversa les rôles par l’arrêt Citizens’ Insurance of Canada c. Parsons, une jurisprudence scandaleusement politique fondée sur de grotesques acrobaties verbales, qui amorça la décadence de la compétence pourtant exclusivement fédérale en matière de « réglementation du trafic et du commerce » (cf. paragraphe 91(2) de la Loi de 1867). Par la suite, la Cour suprême, telle une inexorable tumeur cancéreuse, a achevé le travail en en faisant une lettre (relativement) morte.

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Voilà pourquoi les provinces (et surtout le Québec) ont pu mettre en place depuis des décennies des barrières à la circulation des biens et services, ouvertement, ou, de manière (à peine) déguisée, par la sournoise technique de la réglementation.

Un exemple

Le rond-de-cuir fédéral résidant à Gatineau (Québec) qui, à la sortie du bureau à 17h00, achète sa bouteille de vin à Ottawa (Ontario) qu’il ramène pour le souper, en v.o., (le dîner, en v.f.) est, quand même, censé payer la taxe québécoise ! La Cour suprême du Canada enseigne, de manière générale, que les restrictions dans le transport interprovincial d’alcool sont légales, même si, en pratique, il est souvent difficile de les faire respecter. La liberté du Français frontalier d’acheter son tabac ou son essence à Esch-sur-Alzette (Luxembourg), met en relief l’absurdité de l’état du droit canadien. Par contre, n’ont rien de théoriques les entraves aux activités de très nombreuses entreprises, notamment dans le bâtiment.

(Les menaces trumpesques ont un côté positif : elles donnent lieu actuellement à des discussions entre les provinces et le gouvernement fédéral afin de faire une réalité du libre-échange interprovincial… enfin?).

Pour conclure au sujet des absurdités de l’État canadien, il faut en noter une, et non des moindres, qui concerne la (pseudo)indépendance constitutionnelle obtenue en 1982. Contrairement à la légende qui court même dans les milieux juridiques canadiens, le Canada n’a toujours pas sa propre « constitution » suprême, au sens notamment américain ou français du terme.

Ce terme ronflant de « constitution » y englobe, en fait, une multitude de lois éparses et de conventions non écrites, parfois issues du droit anglais médiéval ; aucun ministre de la Justice canadien n’a eu le simple bon sens de penser à une mise en ordre (compilation ou codification).

Pis, la Constitution Act 1982, en v.o. (Loi constitutionnelle de 1982 en v.f.) n’est même pas une loi, mais une simple annexe (!) à une loi du Royaume-Uni, la Canada Act 1982, en v.o. (Loi de 1982 sur le Canada, en v.f.), laquelle n’accorde, en substance, qu’une sorte de pouvoir réglementaire au Canada, qui demeure révocable. Au lieu d’aller s’aplatir abjectement devant l’épouse du prince Phillip à Londres, il suffisait au gouvernement canadien de faire, d’Ottawa, une déclaration unilatérale d’indépendance (UDI), comme d’ailleurs l’avait envisagé auparavant Pierre Elliott Trudeau, à laquelle ne se serait évidemment pas opposé le gouvernement du Royaume-Uni. Cependant, il n’eut pas la colonne vertébrale aussi solide que celle du Premier ministre rhodésien Ian Smith en 1965.

Les cérémonies de signature du 17 avril 1982 en grande pompe, auxquelles participa la monarque canadienne, ne furent qu’une mascarade.

Le roman national canadien : quelle épopée !


  1. « Quand j’utilise un mot » , dit Humpty Dumpty d’un ton plutôt méprisant, “il signifie exactement ce que j’ai choisi de signifier, ni plus ni moins”. « La question est de savoir, dit Alice, si l’on peut donner aux mots autant de sens différents ». « La question est », dit Humpty Dumpty, « de savoir qui est le maître, c’est tout. » ↩︎


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