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« Un cambriolage n’est pas moins traumatisant qu’une agression »


Aujourd’hui retraité, le général de gendarmerie nationale Patrice Bayard a vu le profil des cambrioleurs évoluer. Aux traditionnels petits délinquants isolés, se sont adjoints des organisations structurées roms, roumaines ou issues de l’ex-URSS. Cette professionnalisation de la rapine oblige police et justice à s’adapter.


Causeur. Tandis que le terrorisme, les trafics de drogue et les crimes de sang accaparent l’attention médiatique, les 250 000 cambriolages qui ont lieu chaque année en France semblent passer sous les radars. Un cambriolage est-il moins traumatisant qu’une agression ?

Patrice Bayard. Pas du tout. Ce type de délinquance contribue très fortement au sentiment d’insécurité. Au cours de ma carrière, j’ai vu de nombreuses victimes traumatisées longtemps après un cambriolage, souvent bien au-delà du préjudice matériel subi. Les gens sont très choqués que l’on puisse entrer chez eux, fouiller leur maison, y voler des biens, fût-ce de faible valeur.

Qui sont aujourd’hui les cambrioleurs ?

Je distingue deux grandes catégories. D’abord ceux qui ont toujours sévi : jeunes à la dérive, drogués ou individus en quête de petits profits rapides. Ils travaillent sur un petit périmètre, sont souvent interpellés et bien connus par les forces de l’ordre. Ensuite, il y a la délinquance itinérante, parfois organisée, qui a longtemps été sous-estimée. Cette catégorie comporte trois grandes familles : celles qui tournent autour d’un clan rom, des organisations moins structurées typiquement roumaines (et non roms !) et enfin les associations criminelles très structurées autour de chefs qui se projettent sur des territoires très lointains.

Je me souviens d’une petite organisation qui recrutait des jeunes Roumains pour voler dans des exploitations agricoles en France. Leur butin nous semblait de peu de valeur (vieux vélos, tronçonneuses). Ils remplissaient des fourgonnettes entières et repartaient pour la Roumanie pour les revendre sur le marché noir ou sur des sites type Le Bon Coin. Avant qu’on y mette fin, ils ont créé un véritable malaise chez nos agriculteurs.

En France, les organisations les plus structurées sont d’origine géorgienne ou moldave.

Nous avons mis du temps à comprendre cette culture criminelle. On se contentait d’arrêter des petites équipes de cambrioleurs, parfois de deux ou trois membres, sans rien savoir de l’organisation à laquelle ils appartenaient. Sur un même territoire, on peut voir opérer une dizaine d’équipes de cambrioleurs sous les ordres d’un lieutenant, lui-même dirigé par un dirigeant régional, lequel rend des comptes à un grand chef souvent implanté à l’étranger.

Ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs

Ont-ils tous des liens de parenté entre eux ?

Non. Ils sont recrutés et adhèrent à un système de valeurs codifié. Ce sont souvent des organisations créées par d’anciens prisonniers du goulag. Des durs qui ont appris à survivre dans des conditions inimaginables. Les autorités russes, notamment les services spéciaux, ont instrumentalisé ces structures criminelles, leur permettant de perdurer dans le temps. On les appelle d’ailleurs « voleurs dans la loi », car ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs. Cela peut vous sembler relever du fantasme et du cinéma, mais pour avoir été confronté à eux, je peux vous assurer que c’est une réalité bien connue dans les pays de l’Est. Ces structures criminelles exigent des rendements de leurs équipes qui doivent faire jusqu’à cinq ou six cambriolages par jour, parfois plus.

Visent-ils des appartements, des maisons ou des commerces ?

Ils visent principalement des appartements et des maisons individuelles, même s’ils ont aussi des membres spécialisés dans les vols à l’étalage dans les commerces. Les équipes de cambrioleurs proprement dites sont souvent composées de trois ou quatre personnes, dont un serrurier, qui ouvre les portes.

Quel butin recherchent-ils ?

L’image du cambrioleur qui emporte la télévision, la chaîne hi-fi est trompeuse : ils cherchent les bijoux, les montres, et tout ce qui peut se négocier très rapidement, comme les tablettes et les téléphones. Et, bien sûr, le liquide.

Comment est organisé le recel ?

Les receleurs sont souvent français. Tout ce qui est négociable est vendu sur place, le numéraire remonte en haut de la hiérarchie. La particularité de cette organisation, c’est que les voleurs eux-mêmes ne gardent pas leur butin. J’ai le souvenir d’un voleur qui avait gardé pour lui une montre : il a dû faire face à la « justice » de la bande.

En France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence

Sont-ils violents ?

Essentiellement entre eux. Pour l’instant, sur le territoire français, on n’observe pas de violence vis-à-vis des personnes. Sachant qu’en France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence et si ça se passe bien avec la police, ils font profil bas. Heureusement, nous avons réussi, non sans efforts, à faire comprendre à la police et à la justice qu’il ne s’agissait pas d’individus malheureux, mais de membres d’organisations criminelles. Aussi, les condamnations sont-elles de plus en plus lourdes, car le vol en bande organisée est considéré comme une circonstance aggravante.

Ces groupes de prisonniers étrangers appartenant à des organisations structurées régies par un code d’honneur posent-ils des problèmes particuliers à l’administration pénitentiaire ?

La vie en cellule fait partie du mode de vie normal des voleurs dans la loi. Évidemment, en prison, certaines personnes prennent le pouvoir et peuvent créer des problèmes. Il y a quelques années, il y a eu une confrontation dans une maison d’arrêt du côté de Saint-Étienne entre Géorgiens et Tchétchènes, mais pour le moment ça ne va pas plus loin.

Y a-t-il des passerelles entre cambrioleurs et trafiquants d’armes, de drogue ou d’êtres humains ?

Les cambriolages massifs sont bien souvent la première phase de l’implantation d’une organisation criminelle. Certains cambrioleurs évoluent ensuite avec des commerces, des bars, puis parfois vers la prostitution, le trafic d’armes et de drogue. Quant aux voleurs dans la loi, ils se concentrent sur leur corps de métier : les cambriolages.

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène

Comment réagissent les réseaux criminels français face à ces nouveaux arrivés ?

Pour l’instant, il y a très peu de conflits, car ces groupes criminels se spécialisent dans des activités peu rentables qui n’intéressent pas le grand banditisme français. Celui-ci préfère le trafic de drogue et la prostitution, et regarde un peu de haut les cambrioleurs. Mais, à terme, de sévères confrontations sont inéluctables. Les nouveaux finiront par déranger.

Quel est votre pronostic pour l’avenir ?

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène en perturbant et en dérangeant l’implantation des réseaux. Ces derniers recherchent un maximum de profit en prenant un minimum de risques. Ils tournent entre les régions, se déplacent et essayent de s’implanter là où il est plus simple de voler. Si on s’attaque à leurs structures de commandement, cela finira par les décourager et les inciter à aller ailleurs.

La difficulté croissante à utiliser de l’argent liquide a-t-elle un impact sur ce genre de criminalité ?

Bien sûr. C’est notamment vrai pour les réseaux roms spécialisés dans le vol de métaux. Si les acheteurs de métaux respectaient la réglementation et refusaient de payer en cash, cela les gênerait énormément. Nos amis allemands, qui acceptaient le paiement en cash, ont vu les vols de métaux exploser chez eux… mais cela avait aussi un impact dans notre pays, car les Roms continuaient de voler en France pour revendre en Allemagne.

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Polony et Quatrepoint dissèquent notre déclin


Les journalistes Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint écrivent en bande organisée. Leur dernier opus Délivrez-nous du bien ! fustige l’américanisation d’une France victime de la tyrannie des minorités. Souverainistes, à vos librairies !


Arrêtez d’emmerder Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint ! Nos deux confrères, bien connus des lecteurs de Causeur, sont aussi colère que Georges Pompidou en son temps. L’une, « quadragénaire plutôt émancipée pas franchement portée sur la soumission et le retour au foyer », vient de revenir à ses premières amours en prenant la direction de Marianne, l’autre « homme hétérosexuel de plus de 50 ans », a dirigé La Tribune et Le Nouvel Économiste. Ces deux journalistes, mais néanmoins amis, poussent un cri d’alarme dans leur essai écrit à quatre mains, Délivrez-nous du bien ! Halte aux nouveaux inquisiteurs (éditions de l’Observatoire).

L’influence anglo-saxonne menace notre identité

De la « révolution #metoo » à l’obsession des « nouveaux inquisiteurs » rééduquant le bon peuple, en passant par la toute-puissance des minorités de toutes sortes, Polony et Quatrepoint formulent des constats souvent délivrés dans nos colonnes. Les plus atlantistes frémiront cependant à la lecture de la thèse centrale de l’essai : l’influence anglo-saxonne menace notre identité. Lecteurs de Régis Debray, les deux auteurs s’affligent de nous voir devenir des « gallo-ricains ». N’oublions pas que Sandra Muller a lancé le fameux hashtag #balancetonporc depuis New-York. Tout un symbole du puritanisme anglo-saxon qui se sent désormais triomphant comme #metoo en France.

A lire aussi: Natacha Polony à Marianne, la grande peur des rien-pensants

Mais le féminisme n’a pas le monopole des postures victimaires. Dans la lignée de Tocqueville, qui annonçait la tyrannie de la majorité dans La Démocratie en Amérique, Polony et Quatrepoint montrent à quel point la « tyrannie des minorités » menace désormais la démocratie. Quitte à caresser la doxa à rebrousse-poil en citant l’affaire Jacqueline Sauvage (sainte martyre des femmes battues, qui n’a jamais porté plainte contre son mari avant de l’abattre de trois coups de fusil dans le dos), les propos malséants de Jean-Paul Guerlain ou la tentative de pénalisation des clients de prostituées. Nos compères aggravent leur cas par l’emploi de qualificatifs aussi aimables qu’ « hystéroféministe », leur dénonciation du sectarisme vegan et des inepties différentialistes que sont l’ « écriture inclusive » et l’ « appropriation culturelle ». Pas sûr que Caroline de Haas pardonne leurs offenses…

Polony essaie de penser contre elle-même

Déjà à l’initiative du comité Orwell, collectif de journalistes souverainistes qui milite en faveur du pluralisme dans les médias, le tandem proche des milieux chevènementistes collabore régulièrement à l’antenne de la chaîne virtuelle Polony TV et ne se fait pas que des amis chez les mal-pensants. Ainsi, certains fans d’Éric Zemmour ont-ils récemment reproché à Natacha Polony de cultiver le « juste milieu ». Certes, à la différence de leur héraut, la directrice de Marianne essaie de penser contre elle-même pour éviter de se caricaturer. Nuancé, mais jamais tiède, Délivrez-nous du bien ! exprime le talent pédagogique de ses deux plumes, la professeur Polony et le journaliste économique Quatrepoint, qui ont l’art et la manière d’expliquer les ressorts de la mondialisation.

Une fois ces 300 pages achevées, on se dit que la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la défiance face au règne des multinationales et la préservation d’un certain art de vivre à la française méritaient bien un livre broché. Et tant pis pour les chênes qu’on abat.

Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, Délivrez-nous du bien, L’Observatoire, 2018.

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Brésil: l’autre histoire de la (probable) arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir

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Le Brésil vote aujourd’hui pour élire son président. Arrivé largement en tête au premier tour, Jair Bolsonaro est le favori de l’élection. Le candidat de l’extrême droite a su comprendre la colère des Brésiliens née lors des années Lula.


Un puissant rejet des élus et des partis qui ont dominé la scène politique nationale depuis la fin de la dictature militaire en 1985. Ainsi peut-on résumer les résultats des élections brésiliennes d’octobre. Le 7 du mois, 147 millions d’électeurs ont choisi leurs députés et sénateurs (scrutin à un tour). Le 28 octobre, un second tour a permis de départager les deux candidats à la présidence de la République restés en lice après le 7 octobre. Les électeurs ont alors aussi désigné les gouverneurs dans les Etats fédérés où aucun candidat n’avait réuni une majorité au début du mois. A tous les niveaux, les formations et des leaders qui ont dominé la vie politique nationale pendant 30 ans ont reculé ou connu la déroute. Un grand parti est sorti largement vainqueur. Il a mobilisé toutes les couches sociales et les régions de ce pays-continent. C’est le parti informel (mais très présent sur les réseaux sociaux) de la révolte contre l’insolence de l’establishment qui domine la vie publique depuis des décennies, ignore très souvent l’intérêt général, défend avant tout ses privilèges et sert sa clientèle. Populiste de droite, Jair Bolsonaro, porte-voix et symbole de cette vague de fond, est sorti largement vainqueur du scrutin présidentiel.

Scandales de corruption

Cette révolte naît en juin 2013. Des millions de Brésiliens descendent alors dans la rue pour protester contre le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff et le Parti des Travailleurs de Lula (PT) au pouvoir depuis dix ans. Les manifestants dénoncent aussi la corruption et l’impéritie des pouvoirs publics, incapables depuis des lustres d’organiser des services de santé, d’éducation ou de transport efficaces. En 2013 puis ensuite, les gouverneurs locaux et l’Etat fédéral dépensent des fortunes dans la construction des stades pharaoniques en vue de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016. Ils continuent pourtant à manifester une incurie totale face à la dégradation des services publics, à l’insécurité grandissante, à l’essor de réseaux de trafiquants de drogues qui contrôlent les périphéries de nombreuses agglomérations. Une crise économique majeure éclate fin 2014. Au même moment, la justice commence à mettre à jour les énormes scandales politico-financiers qui ont marqué les onze années de pouvoir du PT et de ses alliés. L’indignation populaire se transforme alors en franche colère.

Obscur député de Rio de Janeiro, capitaine de réserve de l’armée, Jair Bolsonaro a surfé très tôt sur cette colère. La victoire électorale de ce candidat de la droite populiste, nationaliste et autoritaire au scrutin présidentiel est liée à la désespérance qui a suivi les années flamboyantes de Lula.

Lula et la désindustrialisation du Brésil

Au cours de son premier mandat (2003-2005), l’ancien président a été un bon chef de l’Etat. Il a mené une politique économique intelligente et pragmatique. Il a contraint l’ensemble du pays à réfléchir sérieusement aux inégalités énormes qui le déchirent, qu’elles soient de revenus, de races ou de genres. Lula bénéficie alors d’un choc extérieur très favorable. Avec le cycle de hausse des cours des matières premières (de 2004 à 2009), le pays connaît une phase d’enrichissement temporaire. Le salaire minimum est relevé. L’emploi formel progresse. L’Etat facilite l’accès au crédit des ménages les plus modestes. Une nouvelle classe moyenne avide de consommation émerge. Un programme de revenu minimum garanti destiné aux plus modestes est développé. La pauvreté recule. L’essor du marché intérieur, les taux d’intérêt relativement élevés pratiqués au Brésil attirent investissements et placements financiers étrangers. Les réserves en devises augmentent. La monnaie nationale se valorise par rapport au dollar. La croissance atteint en moyenne 4% par an entre 2003 et 2010.

A lire aussi: Jair Bolsonaro au Brésil: l’ordre, c’est le progrès?

Durant ces « années glorieuses », l’Etat ne s’attaque pas aux fléaux anciens qui empêchent une croissance durable et une distribution équitable des revenus : bureaucratie envahissante, infrastructures de transport obsolètes, enseignement de base et santé publique insuffisants et inefficaces. Une législation du travail rigide et archaïque est maintenue. L’économie reste très fermée aux échanges extérieurs. La pression fiscale augmente afin de financer les salaires et les retraites d’une fonction publique très choyée, les subventions en tous genres consenties aux entreprises nationales et les rentes obtenues par de nombreuses corporations. Les impôts ne suffisant pas, l’Etat comble un déficit croissant par un endettement coûteux et propulse ainsi les taux d’intérêt pratiqués à des niveaux stratosphériques. Fragilisées par l’environnement économique, financier et juridique dans lequel elles doivent opérer, les entreprises industrielles nationales voient leur compétitivité se dégrader. Pendant les années Lula, les grands centres commerciaux se multiplient. Ils se remplissent de biens de consommation durable fournis par des usines… chinoises. Le pays dirigé par un ancien syndicaliste de la métallurgie se désindustrialise.

Le désastre Dilma

Après la crise financière mondiale de 2008-2009, Lula réussit à faire élire sa protégée à la tête de l’Etat. Dilma Rousseff va superbement ignorer les obstacles structurels évoqués plus haut et tenter de perpétuer un miracle économique éphémère. Le gouvernement cherche d’abord à doper la demande intérieure en stimulant le crédit. Il entend aussi réveiller l’industrie. L’administration Rousseff multiplie les crédits subventionnés et les exemptions fiscales (creusant ainsi le déficit et la dette), persuadé que ces anabolisants sont des remèdes efficaces à l’anémie et que l’injection permanentes de nouvelles liquidités va suffire pour transformer une économie de moins en moins compétitive en bolide de compétition. Bénéficiant aussi d’un renforcement du protectionnisme commercial, l’industrie ne réagit pourtant pas de ce dopage : elle est incapable de répondre par une offre croissante et compétitive à l’accroissement incessant et provoqué de la demande intérieure. Confrontés à la reprise de l’inflation, dès 2013-2014, les ménages très endettés réduisent leur consommation. Inquiétées par l’emballement du déficit public, les entreprises cessent d’investir.

Le pays entre alors dans la pire récession de son histoire. Entre 2015 et 2016, le revenu moyen par habitant baisse de 10%. Le chômage prend des proportions considérables (13,1% des actifs étaient touchés à la fin 2017) et touche des familles devenues insolvables. Le nombre de pauvres repart à la hausse. La fameuse nouvelle classe moyenne s’étiole. Les rêves d’ascension sociale partagés par des millions de Brésiliens se transforment en cauchemar. Pour maintenir les rentes des castes de privilégiés (fonction publique, salariés des compagnies d’Etat, retraités bénéficiant de régimes spéciaux), l’Etat en déficit laisse filer une dette très coûteuse. Après la destitution de Dilma Rousseff (en août 2016), le gouvernement intérimaire n’évite la banqueroute qu’en tranchant dans les dépenses d’investissement ou de santé et d’éducation…

Personne n’est à l’abri

La colère que manifestent aujourd’hui les électeurs brésiliens n’est pas seulement due à ce désastre. N’en déplaise à une presse européenne aveuglée par son romantisme révolutionnaire, Lula n’a pas été seulement (pendant un bref moment) le symbole d’un Brésil enfin préoccupé par ses inégalités et la pauvreté. Aujourd’hui condamné à 12 ans de prison et incarcéré, il n’est pas la victime innocente d’une conspiration montée par l’élite traditionnelle brésilienne. Le Parti des Travailleurs et son leader ont gouverné le pays pendant treize ans, soutenus par cette même élite avec laquelle ils ont noué une complicité de coulisses. En échange des crédits publics très importants qui irriguaient leurs caisses et de marchés publics garantis par des appels d’offre truqués, les entreprises proches du PT et de ses alliés approvisionnaient généreusement des réseaux clandestins de financement des forces au pouvoir. Les caisses noires ainsi constituées ont permis d’acheter le soutien d’une grande formation parlementaire centriste regroupant des notables influents, alliés indispensables pour constituer une majorité durable. Pour pérenniser l’alliance avec cette formation clientéliste, il a fallu offrir à ces notables des avantages sonnants et trébuchants. Il a fallu aussi garantir à leurs affidés des places privilégiées au sein de l’Etat et des innombrables entreprises publiques que le PT a renforcé ou créé.

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Le détournement de fonds publics, le clientélisme et la corruption ne sont pas nés au Brésil en 2003. Mais la coalition formée autour de la formation de Lula a porté ces pratiques à des niveaux jamais vus et pendant plus d’une décennie. Leaders et partis au pouvoir n’ont pas alors perçu que la justice avait changé et que l’impunité longtemps garantie aux puissants n’était plus assurée. A partir de 2013, de jeunes magistrats ont commencé à soulever le voile. Désignées sous le vocable de « lavage-express », des investigations, enquêtes et procédures lancées régulièrement depuis ont mis à jour dans le détail le modus operandi de l’organisation criminelle mise en place par le PT et ses alliés. L’opération « lavage-express » a aussi révélé les traits les plus sombres et nauséabonds de l’ensemble du système politique. Des dizaines de personnalités publiques (y compris Lula lui-même, condamné à 12 ans de prison), d’élus de tous grades et d’hommes d’affaires ont été mis sous les verrous. Depuis cinq ans, les citoyens brésiliens ont pu suivre une impressionnante leçon de sociologie politique appliquée. Cette leçon a contribué à renforcer le sentiment collectif d’indignation et de colère.

Le Brésil aime les messies

Les partis de la droite populiste qui appuient Jair Bolsonaro ont su exploiter le désespoir et la rage d’une majorité d’électeurs. Le probable futur chef de l’exécutif s’est forgé une image d’homme providentiel, de leader antisystème, de pourfendeur de la corruption et de mœurs politiques archaïques. Partisan d’un pouvoir fort et de l’ordre moral, soutenu par les églises évangéliques (très influentes dans les milieux populaires), Bolsonaro promet d’engager une lutte sans merci contre la criminalité. En se laissant séduire par ce personnage autoritaire qui annonce le salut de la patrie et la rupture avec la politique traditionnelle, les électeurs brésiliens ont une fois de plus (le phénomène est récurrent dans l’histoire du pays) choisi de confier leur destin à un homme providentiel, un leader messianique, un rédempteur. Ils ont voulu croire qu’il suffisait de sortir les sortants pour que la crise politique et économique de ces dernières années devienne un mauvais souvenir. Ils risquent de déchanter très vite.

Dès son début de mandat, l’ancien capitaine devra s’attaquer au déséquilibre des finances publiques et freiner la course folle de la dette qui peut déboucher sur une crise financière majeure. Pour éviter cette dérive, il ne suffit pas de remettre en cause les privilèges et les crimes de notables traditionnels et des politiciens d’hier. L’Etat est un formidable pourvoyeur de rentes pour une large part des classes moyennes organisées en corporations. Dans un pays qui vieillit, les pensions confortables des fonctionnaires (civils et militaires) et des classes aisées dévorent les finances publiques. Pour assurer le simple fonctionnement de services de base (santé, éducation, police…) il faut désormais une réforme urgente et forte des régimes de retraites. Risquons un pronostic : Bolsonaro n’aura probablement pas la force et le talent politiques nécessaires pour remettre en cause les rentes assurées par l’Etat. Devant la difficulté de la tâche, le nouveau président reculera. Pour conserver sa popularité, il donnera la priorité à la répression, à la mise en place d’une législation sécuritaire. Confronté rapidement à la débâcle financière puis condamné à des performances économiques médiocres, le Brésil deviendra une démocratie autoritaire.

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Bénédicte Martin: on ne badine pas avec l’amour fou

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À l’heure où j’écris ces lignes, L’homme nécessaire de Bénédicte Martin ne figure sur aucune liste de prix littéraires. Or, ce roman est écrit dans un style éblouissant, entre mystique bataillienne et poésie rimbaldienne. C’est la flamboyance de l’amour qui se déchaine sous nos yeux interdits. Un amour où la chair exulte. C’est la vie qui sort par tous les pores de la peau. Une peau mordue, griffée, léchée par le désir jamais assouvi de l’autre, le mâle superbe, pas généreux, alcoolique, fou, adepte de la varappe citadine pour gueuler que ce monde est un monde de frileux, de mous, de donneurs de leçons incapables de vivre comme un être humain doit vivre, debout.

Un hennissement de vitalité érectile 

La chair est vivante dans ce roman qui frappe au ventre. C’est un hennissement de vitalité érectile contre la frustration ambiante. L’héroïne se nomme Bénédicte, c’est la « môme » de celui qui escalade les façades d’immeubles parisiens, « l’homme sans écharpe », auteur à succès, écrivain voyageur, aussi pressé que Paul Morand et aussi ténébreux que Blaise Cendrars. C’est autobiographique puisque Bénédicte raconte sa passion amoureuse avec Sylvain Tesson. Ça va vite, pas de temps mort, l’amour l’exige, l’empoisonnement de la planète également. Il y a des descriptions sans appel. Quand les deux amoureux survoltés se rendent sur la tombe de Jean Genet, on prend la réalité en pleine figure. « Larache est pestilente. C’est une décharge à ciel ouvert sur une falaise où des familles se baignent dans des paquets d’immondices et dans la merde (…) J’y ai vu des nourrissons rampés sur le bitume lui-même dégoulinant de la pisse des chiens errants. » L’écrivain n’est pas là pour écrire son roman familial, saupoudré de bons sentiments, dans les quartiers bourgeois d’un Paris qui s’emmerde comme un rat mort.

Écrivain est un métier dangereux

Quant au couple, il ne résistera pas. Et ce n’est pas le temps qui est responsable. L’homme ne bande plus. Bénédicte a beau tout tenter jusqu’à l’épuisement, en vain. Le passé de la narratrice remonte comme une odeur d’égout avant l’orage. C’est de sa faute, hurle « l’homme sans écharpe ». Il déverse son fiel : « C’est tout ce que tu écris qui me fait débander. Tes histoires publiées de modulations de râle quand tu vivais avec un matador à la bite en or et qui te couchait sur sa muleta, les deux oreilles et la queue sanglante du toro bravo dans votre fange d’assassins. »

Écrivain est un métier dangereux, surtout quand on décide de ne rien cacher de sa vie sexuelle. C’est la rupture. La dépression envahit Bénédicte. Elle se tire à Singapour, le cœur bouffé par la tristesse. « L’homme à l’écharpe » dévisse un soir de beuverie. Terrible chute. Coma, opérations, séquelles. Sylvain Tesson s’en sort, esquinté. Bénédicte reprend des forces, écrit  ce roman uppercut, sait qu’elle sera « jusqu’au bout une femme souleveuse de draps, de râles, de cuisses et de pénis ». La rédemption par l’écriture.

Bénédicte, quand elle était à Vézelay avec l’alpiniste, aurait dû se recueillir sur la tombe de Georges Bataille. Je suis sûr qu’elle aurait aperçu les guenilles pendantes d’Edwarda.

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Mark Greene au sommet de la montagne magique

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Cela commence comme du Perec. Un homme descend s’acheter un journal et un sachet de croissants. Une miette grasse tombe sur le papier et entoure de son auréole un fait divers que l’homme n’aurait sûrement jamais remarqué. Dans le massif des Dolomites, dans le nord de l’Italie, un jeune couple d’architectes italo-écossais a été retrouvé mort, les mains liées, en habit de soirée. Une troisième personne, une certaine Federica Bersaglieri, suspecte et témoin principale, est introuvable.

Rien de plus beau que le gâchis

Cette Federica « Ber », le narrateur est convaincu de la connaître. Plongée délicate dans un univers modianesque. Fouille des vieux cartons, fouille des souvenirs, exhumation d’un ancien carnet d’adresses à la couverture cartonnée et striée. Effectivement : « Federica Ber, 44 rue de l’Échiquier, Paris 10ème, 40 22 04 78 ».

Un numéro à huit chiffres, une adresse précise, Mark Greene donne à son flou mélancolique habituel (45 tours, Rivages, 2016) un décor parisien et caniculaire. Remontée des souvenirs. Paris se vide, devient une parenthèse sans âge, sans limites, peuplée de personnages étrangement vêtus, étrangement jeunes, étrangement peu conscients de leur étrangeté. « Rien n’est plus beau, dans la jeunesse, que l’étendue du gâchis ». Rien n’est plus beau, en littérature, que de lire l’errance quiète, les silences vides de toutes paroles, les journées hachées, le ne-rien-faire, le laisser-aller de tout. Cet été-là, cet été sans âge, le narrateur, qui pourrait être Mark lui-même, mais ce détail est sans importance, rencontre une petite femme d’une vingtaine d’années, perfecto et cheveux courts, qui joue sensuellement à Tekken, le jadis célèbre jeu de combat japonais, dans un bar sur les Grands Boulevards.

Escalader les toits de Paris et dormir à la belle étoile 

Les silences et les regards – les seuls véritables dialogues – sont d’Antonioni. Il faut chaud, on boit du vin glacé, on hume l’odeur stagnante du mois de juillet, « comme si Le Havre avait poussé dans Paris (et La Havane dans Le Havre) ».

Les vacances sont une disparition. L’absence, le vide, l’anonymat, semblent être les passions de Federica, outre Tekken, et l’escalade. Vivre dans une époque, vivre une époque, personne n’a réellement conscience de ce que cela signifie. On en extrait les fragments plus tard, bien plus tard, on en reconstitue la cohérence, à la manière des paléontologues. Le vrai danger, c’est le « faux risque », c’est « l’ennui », appuie Federica, que le narrateur suit comme son ombre au 44, rue de l’Échiquier, dans un appartement meublé façon décor de théâtre.

Et l’affaire des Dolomites, alors ? Le narrateur du présent, délaissant parfois celui du passé, se plonge dans la presse italienne, apprend des détails formels qui ne mènent à rien, et de jolis mots d’esprit, comme par exemple le surnom du massif : Monti pallidi, les montagnes pâles. Le jeune couple, baptisé « les fiancés de Lecchio », s’est-il suicidé ? A-t-il reçu l’aide de la fantomatique Federica dans cette opération ? S’agit-il d’un meurtre rituel ? C’est dans le passé que le narrateur mène sa propre enquête. Dans ses souvenirs, les couleurs, les mots, les intonations, les habitudes, qu’il a imprimées en lui et dessinent sa Federica, disparue à la fin de l’été du Tekken.

Mourir est la seule façon de ne pas disparaître 

S’il faut vraiment chercher une clé à Federica Ber, ce qui s’avère une gageure dans le travail de Mark Greene, on la trouverait dans l’habitude favorite de Federica : escalader les toits de Paris et dormir à la belle étoile sur une terrasse bétonnée dont seule son agilité lui donne l’accès. Elle en ouvre les portes symboliques à son ami de juillet, à une condition : accepter de se soumettre à la force de l’autre, à sa volonté, à ses conseils et à ses ordres, à son poids, enfin, lorsqu’il est nécessaire de lier son corps à celui de l’autre. Federica Ber et le personnage éponyme disent l’attente, la patience, la distorsion poétique du temps. Un monde différent de celui des vivants, différent de celui des morts, aussi.

Les pièces du puzzle s’emboîtent. Se sachant atteinte d’une maladie dégénérative et incurable, la jeune architecte écossaise aurait rencontré Federica sur les hauts de Cortina d’Ampezzo. « Une montagne, c’est une île ». Une île des morts. Parce que « mourir est la seule façon de ne pas disparaître. La seule façon de rester. »

Mark Greene, Federica Ber,Grasset, 2018.

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Twitter ne veut pas que Blanche Gardin sorte avec Louis C.K.

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Les puristes de #MeToo n’ont jamais vraiment pardonné à Blanche Gardin son sketch mesuré des Molières. Photographiée main dans la main avec Louis C.K., humoriste américain « coupable » de « comportement sexuel inapproprié », ils le lui ont fait payer sur Twitter…


Mon intuition de juin 2018, sur Blanche Gardin, fut bonne. Elle dérange, bouscule et, depuis le 25 octobre, a mis le feu à Twitter.

Balance le porc avec qui sort Blanche Gardin

La raison ? Une simple photo people où on la voit main dans main avec l’humoriste américain Louis C.K., pour qui elle n’a jamais caché son admiration et qui fut accusé d’agression sexuelle aux Etats-Unis, pour s’être masturbé en présence de femmes.

Il a depuis présenté ses excuses, mais se retrouve néanmoins blacklisté par les garde-chiourmes féministes. Blanche Gardin serait donc la compagne d’un homme coupable de : « sexual misconduct », autrement dit de comportement sexuel inapproprié. Péché mortel.

La curée fait rage au sein de la nouvelle église féministe, Blanche Gardin est celle « qui est donnée sur le terrain quand la bête est encore chaude ». Voilà un bon condensé, trouvé sur Twitter, de ce qui lui est reproché : « J’aimais beaucoup Blanche Gardin, jusqu’à son discours affligeant aux Césars, où sous couvert d’humour, elle décrédibilisait le mouvement metoo, tout en montrant son soutien à un agresseur notoire : Louis CK, justement… Donc cette liaison n’est pas si étonnante, finalement. »

Effectivement, Blanche Gardin est dans une interzone : pas assez « pro-sexe » pour la tendance Catherine Millet, car elle ne garde pas un souvenir ébloui d’une sodomie forcée – qu’elle raconte avec beaucoup de distance dans un sketch désormais célèbre – ; pas assez radicale pour les néo-fems. Blanche Gardin existe hors idéologie avec ses contradictions, ses failles et surnage dans les eaux saumâtres de notre époque grâce à son humour acide et sa lucidité.

« Ça me terrorise un peu, ces histoires… »

Elle a cependant quelques soutiens dans le maelström twitteresque, qui sont, ô surprise, des hommes !

Auguste : « Si je comprends bien, Louis CK devrait arrêter de vivre après le scandale et Blanche Gardin n’a pas le droit d’être amoureuse de lui. Ok. Pourquoi pas. »

Que faut-il en déduire ? Que « la femme est une louve pour la femme ? » Les « femelles » de bon sens le savent, de toute éternité. Et Peggy Sastre parlerait mieux que moi de la « compétition intra sexuelle ».

La pente est bien savonneuse vers la pire des dystopies. Nos rapports sexuels, amoureux, nos pratiques seront-ils un jour surveillés et fichés ? « Ce sont les enfants, les soldats et les fous qui sauveront le monde », disait le cinéaste Jean Eustache. Laissons donc la parole au soldat Gardin qui s’exprimait ainsi dans Télérama de janvier 2018 :

« Ça me terrorise un peu, ces histoires… Sur les relations hommes/femmes et la séduction, mais il ne faudrait pas qu’il y ait une censure permanente comme aux Etats-Unis. Il y a cette espèce d’injonction, aujourd’hui, à être absolument quelqu’un de bien, à s’indigner pour les bonnes causes, mais être une bonne personne, ça n’existe pas. »

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Port du niqab: le Comité des droits de l’homme de l’ONU doit-il siéger à l’Assemblée nationale?

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Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a blâmé la France pour avoir verbalisé deux femmes vêtues de niqab sur la place publique. Il est grand temps pour Macron de se dresser contre ces ingérences idéologiques.


On trouve dans les meilleurs romans policiers, deux axiomes incontournables : « Cherchez la femme » et « à qui profite le crime ? » Les mêmes questions se posent depuis le 22 octobre 2018, date à laquelle le Comité des droits de l’homme, rattaché au Haut Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU (HCDH), a rendu une décision relative à un cas français.

Les femmes en question, ce sont deux Françaises musulmanes verbalisées en 2012 alors qu’elles circulaient en niqab dans les rues de Nantes, contrevenant ainsi à la loi de 2010 qui condamne le port de tenues dissimulant le visage. Après avoir épuisé ou été déboutées de toutes les voies de recours, elles ont saisi le Comité.

La France doit-elle indemniser ceux qui ne respectent pas sa loi?

A en croire la décision rendue, la loi française qui interdit – entre autres vêtements – le port du niqab constituerait une violation disproportionnée et discriminante des libertés religieuses et des droits humains. A ce titre, la France est sommée de verser une indemnisation aux plaignantes et, au besoin, de réviser sa loi de 2010. Diable ! Alors qu’ils sont censés adapter leur décision au contexte de chaque pays, les membres du Comité semblent ici s’être contentés d’appliquer de grands principes désincarnés. Seuls deux d’entre eux ont émis des avis dissidents. Parmi eux, le Tunisien Yahd Ben Achour qui, fort de sa connaissance des contextes de terrorisme et d’islamisation, a considéré que la France était légitime à condamner ces deux femmes : « En admettant même que le port du niqab soit interprété comme l’expression de la liberté de religion, il faut rappeler que toutes les interprétations ne se valent pas au regard d’une société démocratique. […] Certaines interprétations ne peuvent avoir droit de cité. Il en est ainsi de la polygamie, de l’excision, de l’inégalité successorale […] qui constituent pour tous ceux qui le pratiquent autant d’obligations religieuses ou de rites au même degré que le port du voile intégral. »

A lire aussi: Affaire Baby-Loup: « Dire que la France a été condamnée, c’est de la désinformation »

Mais, manifestement, certaines pratiques échappent à la règle. Alors, l’invitation est lancée : si les experts du Comité souhaitent se substituer au législateur, qu’ils viennent donc siéger à l’Assemblée.

Islamophobe comme l’Algérie ?

Ceux qui sont susceptibles de tirer profit de cette décision, ce sont évidemment les musulmans rigoristes, les partisans du communautarisme et les promoteurs d’un djihad culturel, en France comme à l’étranger. Car il est certain qu’une telle décision est de nature à faire jurisprudence et faire passer le voile intégral pour un vêtement rituel anodin.

Pourtant, la liste des États qui réglementent le port de ce vêtement ne cesse de s’allonger. Même l’Algérie, où l’islam est religion d’État et qui ne peut donc être taxé d’islamophobie, prend des mesures semblables à celles de son homologue français : le niqab y est proscrit dans la fonction publique car « les exigences de sécurité imposent une identification physique systématique et permanente ». Alors que l’Algérie tente d’endiguer la progression des mouvements extrémistes, le Comité va-t-il lui expliquer qu’elle contrevient aux droits de l’homme ?

A la recherche du courage de Macron

En réalité, les suites à donner à cette affaire relèvent moins du droit que du courage politique. Comme le détaille le HCDH, les décisions « contiennent des recommandations adressées à l’État partie concerné mais elles ne sont pas juridiquement contraignantes ». Si bien que le président Macron vient de trouver là l’occasion rêvée de mettre en œuvre ses objectifs. En effet, lors de son allocution du 16 octobre 2018, il enjoignait son nouveau gouvernement à tout mettre en œuvre pour « que nous reprenions pleinement la maitrise de notre destin ». Sans doute plus tôt qu’il ne l’avait envisagé, il semble que l’opportunité de montrer cette détermination lui soit présentée sur un plateau.

Certes, la France a ratifié le protocole du Comité. Mais elle a également voté une loi que les deux femmes, en pleine connaissance de cause, ont violée. La neutralité de l’État n’implique pas la passivité. Alors, ne serait-il pas temps d’affirmer ce que nous pouvons souverainement accepter ou bannir, y compris en termes de pratiques religieuses, sans nous laisser dicter notre conduite ni par une frange minoritaire d’une religion minoritaire, ni par des instances internationales déconnectées des spécificités françaises ?

Comme le déclarait Emmanuel Macron, « nous ne sommes pas soixante-six millions d’individus séparés mais une nation qui se tient par mille fils tendus ». Parmi ces fils, on trouve en premier lieu la paisible convivence, fortement mise à mal par l’idéologie qui sous-tend l’attitude de ces femmes. Or, « dissimuler totalement et en permanence son visage dans l’espace public […], c’est renier sa propre sociabilité et rompre le lien avec ses semblables », souligne un des experts dissidents. Ces fils, ce sont tous ces petits riens qui appartiennent à la France, qui n’appartiennent qu’à elle, et qu’un comité, fut-il composé d’éminents experts, ne peut appréhender. Prenons garde que ces fils si précieux ne soient pas coupés sur l’autel des libertés et des droits de l’homme.

La gauche et les colonies « arabes », une mer de sable

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Soyons clairs: le mot « Arabe » est un fourre-tout ! Comme le mot « gauche » d’ailleurs. Des termes utilisés à l’emporte-pièce. Le bazar d’une vieille medina où chaque stand a sa propre sauce. Mais il fallait bien désigner en un seul mot toutes les populations du bassin méditerranéen que la France a colonisé. Parlant à l’origine les langues berbères, phéniciennes ou syriaques, toutes ces populations ont subi des métissages divers et variés dans ce carrefour culturel permanent nommé Mare Nostrum.

Héritière des valeurs universelles de la Révolution française, des combats de l’Affaire Dreyfus, voire du marxisme, la gauche a longtemps été vue comme un espoir d’émancipation pour les peuples colonisés et d’origine musulmane qui ont croisé la route de notre Hexagone dès le début du XIXe et ce quel que soit le régime (Second Empire, IIIème et IVème république, la parenthèse vichyste…) ou le statut (département, protectorat, etc.) des deux acteurs. Un espoir en trompe-l’œil bien souvent. On parle ici de la gauche institutionnelle et de gouvernement. Celle des décideurs, non des experts. Ceux qui tranchent, prennent des décisions pour le grand bonheur ou le malheur des administrés. Dans la réalité, la vraie, pas celle des livres.

Fiascos et incompréhension

D’autres gauches, celles des artistes, des associations, des opposants perpétuels à tout pouvoir, une partie des intellectuels « progressistes » a bien œuvré avec détermination contre le colonialisme durant l’entre-deux-guerres sous l’influence du communisme. Le point d’orgue de cette lutte s’est effectué lors de la guerre d’Algérie (qu’ils aient été chrétiens, communistes, trotskistes ou gaullistes). Dans les pas de Claude Bourdet, Jerôme Lindon, Frantz Fanon ou Francis Jeanson, nombre d’universitaires, de journalistes, de militants ont combattu, écrit, soutenu ou sont morts (comme le mathématicien communiste Maurice Audin) en faveur de l’indépendance de l’Algérie.

A lire aussi: Il était une fois les Juifs de Fès…

Mais la politique, c’est autre chose. Beaucoup d’hommes de gauche ont tenté de garder un contact concret et sincère avec les pays du Maghreb et du monde arabe en général après la Seconde Guerre mondiale. Certains ont fait des réformes, pris des risques, mis fin aux protectorats marocains et tunisiens avec Pierre Mendès France en 1956. D’autres, comme Alain Savary, Michel Jobert, Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg ont fait ce qu’ils ont pu… A leur échelle. Mais la gauche de gouvernement (qu’elle s’appelle SFIO, PS, PRG voire PCF de manière indirecte) a globalement déçu. Trahi, disent certains. De part et d’autre de la Méditerranée, le message n’est pas toujours bien passé. De l’internationalisme théorique, on a retenu leur chauvinisme étriqué. Ou, dans le souvenir fantasmé du gaullisme, de trop soutenir les Américains et Israéliens. Des critiques parfois injustes, parfois fondées, pour une politique toujours contestée.

Dès le Front populaire, nombre d’indigènes ayant servis dans les tranchées espéraient obtenir la citoyenneté française. Le projet Blum-Viollette (du nom du gouverneur d’Algérie) est présenté en décembre 1936. Il prévoyait de donner la citoyenneté française à 25 000 musulmans. Mais face aux manifestations des Européens d’Algérie et à l’opposition de la droite parlementaire, le projet tombe à l’eau : premier fiasco. Courant 1944-1945, le Conseil national de la Résistance (très fortement orienté à gauche) ne mentionne rien non plus sur ces territoires et leurs habitants alors que des milliers de tirailleurs marocains, pieds noirs, Algériens ou Tunisiens affrontent les Allemands et le froid dans des Vosges ensanglantées par les combats. Alger et Oran sont affamés. Sétif et Guelma ne vont pas tarder. Deuxième fiasco.

Les années Mollet

Et puis arrivent les années Mollet en 1956. Le retour de la gauche au pouvoir. En Egypte, l’ancien professeur d’anglais pacifiste voit en Nasser « un nouvel Hitler » et envoie les parachutistes récupérer le canal de Suez.  Sa grille de lecture issue des années 30 et son fort attachement à Israël font le reste. Suez est un échec. Nasser devient un « héros dans le monde arabe », la France et son allié anglais la risée de l’Ancien monde.

Au Maroc et en Tunisie, on arrête comme rarement auparavant les opposants et on soutient les colons à l’heure où le globe se libère de la domination européenne. Mais ce n’est rien à côté de l’Algérie ! Guy Mollet et son entourage (Max Lejeune, Christian Pinault, Marcel Naegelen…) vont y opérer la politique la plus dure et la plus répressive desdits « événements ». Refusant d’écouter des hommes comme Ferhat Abbas ou Jacques Chevallier appelant au dialogue, les socialistes au pouvoir font arrêter Ben Bella, couvrent la torture, truquent les élections, notamment à Oran, multiplient les arrestations arbitraires et, cerise sur le gâteau, envoient près d’un million de jeunes conscrits français dans le Djebel… La fracture est définitive. Le PCF de son côté a effectué un virage à 180° – mais il en a l’habitude ! – en passant d’un Algéristan à la soviétique à l’Algérie algérienne. La SFIO de Jaurès ne s’en relèvera pas et le lien avec les intellectuels et la Méditerranée non plus.

Le prestige du général de Gaulle dans ces pays méditerranéens est, dans les années 50-60, très fort, pendant que la gauche est en reconstruction avec ses clubs, Mai 68 et tutti quanti… L’Orient paraît loin. Avec Giscard d’Estaing et son UDF « très Algérie française » (merci l’OAS d’Hubert Bassot et de Claude Dumont pour la campagne de 1974), on est encore plus loin du royaume arabe de Napoléon III. Bonapartiste contre Orléaniste, même en Orient.

« Tonton » fait de la résistance

Mais les années Mitterrand n’ont rien à voir avec la période « Mollet ». Moins d’idéologie plus de cynisme. Mais est-ce mieux ? Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur de Mendès France (qui collectionne le triste record du plus grand nombre d’Algériens guillotinés avant de devenir en France le président de l’abolition de la peine de mort)  arrive au pouvoir, la gauche semble avoir changé. Le PSU des porteurs de valises est actif mais peu  nombreux, la nouvelle génération loin de 1962, la gauche est très fortement attachée à Israël (mais n’est-elle pas née en partie avec l’affaire Dreyfus et les luttes contre l’antisémitisme des années 30 ?). « Tonton » a pourtant reconnu en 1972 l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Yasser Arafat. En Afrique, le fameux « pré-carré », Foccard et les années noires du gaullisme ont été remplacés par Guy Penne, docteur et « maçon ». La realpolitik va primer. Le talent de Claude Cheysson au Quai d’Orsay (le conseiller diplomatique de Mendès France en 1956) et le cynisme de Mitterrand se heurtent à la réalité du monde. François Mitterrand devient le président français le plus interventionniste au Moyen-Orient.

En 1982, les Français interviennent au Liban encerclé par Israël et récupèrent via le « maître-espion » Rondot le chrétien Aoun, chef des phalanges chrétiennes, en douce et à la barbe des autre Levantins. Après l’attaque du Drakkar en 1983 par les services libanais (où 58 parachutistes français sont morts), Jean-Pierre Filiu rappelle dans un article concernant « la Politique de Mitterrand au Moyen-Orient » cette interview donnée au journal Libération dans laquelle le président déclare clairement: « Je ne peux pas signer — je m’y refuserai — la disparition de la France de la surface du globe en dehors de son pré carré.  » Les choses sont claires. Passons sur le cynisme absolu concernant les régimes en Perse et en Mésopotamie en matière de commerces d’armes… François Mitterrand engage aussi les troupes françaises avec les Américains lors de la guerre du Golfe contre l’Irak. Cassure à gauche avec son ministre des Armées Jean-Pierre Chevénement, les communistes et les pays du Maghreb. Grosse crise avec le monde arabe, la France est incomprise.

Machiavélique comme jamais, Mitterrand a également jouer le jeu très dangereux des islamistes. En 1979, il soutient l’ancien exilé d’Ile-de-France, l’Ayatollah Khomeiny, contre le shah d’Iran. Lors des années noires à Alger, il reçoit l’islamiste algérien Belhadj à l’Elysée, par la porte de secours, en pleine période de guerre civile en Algérie… Seuls les vieux « gaullistes » comme Pasqua font les yeux doux à Bouteflika et sa bande. Les démocrates algériens reprocheront longtemps au pouvoir socialiste un manque de soutien clair à leur égard, relançant l’éternel débat : Mitterrand était-il de gauche et ce même dans son rapport à l’Orient ?

Mais depuis, on navigue dans le brouillard. On va d’incompréhension en incompréhension. Qui se souvient par exemple des députés socialistes qui applaudirent les frappes sur Tripoli élaborées par ce couple si grotesque : Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy. Certes, François Hollande, qui effectua son stage d’énarque à Alger, a relancé les relations avec Bouteflika. Mais de mauvaises langues pensent qu’un Jospin président de la France serait intervenu avec Bush en Irak en 2003… Politique-fiction quand tu nous tiens.

Bien sûr, il y eut des divisions, des cassures, des ruptures, mais la gauche au pouvoir a très largement incompris ces régions, ô combien diverses mais pourtant si proches… Que d’actes manqués, d’incompréhensions, de déçus des deux côtés de la mer Méditerranée.

L’éclaircie Pierre Viénot

Un contre-exemple mérite quand même d’être cité et connu. Au milieu d’un désert de mirages, un visage plein d’espoir se dessine: celui de Pierre Viénot. Ce jeune lycéen, originaire de Picardie, s’est engagé volontairement comme artilleur dans la Somme où il a été blessé deux fois. Grâce à des rencontres après la guerre, il intègre le cabinet du maréchal Lyautey, régent tout-puissant du protectorat marocain. A côté du vieil homme qui le considère comme un fils, il va apprendre, loin des livres, toute la diversité de ce royaume millénaire. Il apprend à composer avec les différentes tribus berbères, les Arabes et à maintenir l’influence de la France sans pour autant casser les traditions locales. Monarchiste invétéré, opposant au colonialisme jacobin de Galliéni (dont il fut un proche) ou de Sérail, Lyautey va s’avérer un diplomate particulièrement fin et le rénovateur absolu de l’Etat marocain, le fameux Makhzen. Une leçon pour Pierre Viénot. Après l’échec du bureau franco-allemand où, plein d’idéalisme, il pensait assurer une paix pérenne entre les deux voisins, il devient député des Ardennes. Spécialiste des Affaires étrangères à l’Assemblée, ces avis sur l’Europe et l’avenir des colonies sont particulièrement écoutés à la Chambre. Quand arrive le Front populaire, cet homme appartenant au micro-parti « républicain-socialiste » est nommé sous-secrétaire aux Protectorats du Maghreb et aux Mandats du Proche-Orient.

Il avait appris auprès de Lyautey à se concerter avec les acteurs locaux, à ne pas les mépriser. Il a su s’entourer et a pris comme directeur de cabinet Pierre Bertaux et le brillant orientaliste, membre de la SFIO, Charles-André Jullien. Après avoir multiplié les voyages au Levant, il est parvenu à négocier,  à l’automne 1936, les traités accordant l’indépendance au Liban et à la Syrie. Ces traités ne sont pas ratifiés, en raison de l’hostilité du Sénat, mais ils serviront de base pour l’indépendance effective de ces pays, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre l’échec de « Blum-Viollette », la non-intervention en Espagne en faveur des Républicains et le début des divisions à gauche sur l’Allemagne, l’action de Viénot est un miracle pour la gauche. Au Maghreb, sa politique a visé à renforcer le droit des indigènes, provoquant la fureur des colons. Son discours à la radio tunisienne du 1er mars 1937 visant à renforcer les droits des Tunisiens lui a valu d’être considéré par les plus influents colons comme « l’Antéchrist » Charles-André Jullien. De cette période va naître une amitié profonde et durable avec le leader du « Néo-Destour », un certain Habib Bourguiba.

Et puis il y eut la chute du Front populaire, la guerre, l’aventure du Massilia, l’arrestation à Rabat, puis le procès de Clermont-Ferrand avec Mendès France et bien d’autres, son évasion, la création du mouvement Libération-Nord, dont il est un des leaders. Une seconde fois incarcéré, il s’évade à nouveau et rejoint Londres où il va devenir jusqu’à sa mort l’Ambassadeur spécial de la France Libre auprès des Anglais. Pierre Viénot va s’efforcer – au prix de d’une santé fragilisée par les affres de la Grande guerre – à maintenir une France totalement indépendante à la Libération. Une France administrée par le Gouvernement provisoire de la République Française et non par les troupes anglo-américaines. Il accompagne le Général de Gaulle à Bayeux durant l’été 1944. Mais succombe d’une crise cardiaque quelques semaines après le 20 juillet 1944.

Viénot et d’autres incarnent de manière plus minoritaire une gauche de gouvernement qui a su concilier le difficile compromis entre un patriotisme intransigeant et un universalisme sans compromission.

>> Retrouvez Cyril Garcia sur son blog « Un Uber pour Tobrouk »

Dominique Sanda: « Maria Schneider était vulnérable »

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Vanessa Schneider consacre un livre à sa cousine, l’actrice Maria Schneider, dont le rôle dans le sulfureux film de Bernardo Bertolucci, Le dernier tango à Paris, la rendit célèbre et la détruisit en même temps. On ne retient du reste que ce rôle-là, alors que Maria a tourné dans de nombreux longs-métrages, notamment dans Profession : reporter,  de Michelangelo Antonioni. Elle y apparaît diaphane face à Jack Nicholson, toujours aussi inquiétant depuis Easy Rider. Comme l’écrit Vanessa Schneider, dans Tu t’appelais Maria Schneider, Profession : reporter parle de mensonge, d’identité, « de qui l’on est vraiment, de la tentation universelle de quitter sa vie pour une autre ».

Le rôle principal féminin dans Le dernier tango à Paris fut initialement proposé à Dominique Sanda. Aujourd’hui l’actrice ne tourne quasiment plus et s’est retirée en Argentine. « Le cinéma, dit-elle, c’est beau, mais la vie est encore plus belle. » Prix d’interprétation à Cannes en 1976 pour L’Héritage, de Mario Bolognini, avec le massif Anthony Quinn, elle débuta sa carrière dans le film de Robert Bresson, Une femme douce. Agée de seize ans à peine, elle avait été engagée pour sa voix que Bresson avait trouvée irrésistible au téléphone. Peu après, cette belle blonde aux yeux clairs, à la fois fragile et déterminée, partit pour l’Italie, où elle joua dans Le Conformiste de Bertolucci. J’ai demandé à Dominique Sanda pourquoi elle avait refusé de tourner dans Le dernier Tango à Paris. Voici sa réponse qui, naturellement, l’amena à évoquer la personnalité tourmentée de Maria Schneider :

« Après le film Le Conformiste, il était tout naturel d’envisager une autre histoire, un sujet pour un prochain film de Bernardo Bertolucci. C’est ainsi qu’au cours d’un dîner en tête à tête avec Bernardo à « La Méditerranée » place de l’Odéon, nous inventâmes ce qui deviendra par la suite le fameux Dernier tango à Paris.

Un huis-clos entre deux acteurs qui se connaissaient déjà : Jean-louis Trintignant et moi-même, l’histoire d’une passion. Un peu avant et dans cette même période, j’avais fait la connaissance de Maria Schneider et nous nous étions liées d’amitié. Maria rêvait de devenir une actrice et elle fréquentait d’ailleurs déjà Brigitte Bardot et Nathalie Delon dont elle me parlait volontiers. Un jour, Bernardo, de passage à Paris, fit une première rencontre de Maria chez moi, avenue de Tourville. Pendant tout ce temps, le projet du film continuait son bonhomme de chemin. 

J’aurais aimé que Maria ne souffre pas outre mesure de cette expérience

Un peu plus tard, je faisais la connaissance de Christian Marquand qui revenait des Etats-Unis désenchanté après l’échec de son film Candy. Ce furent d’ailleurs Jean-Louis Trintignant et sa femme Nadine Marquand, l’une des sœurs de Christian, qui me le présentèrent un soir au Club 13 chez Claude Lelouch.

J’allais justement signer un contrat avec President Films qui allait produire un film tiré d’un polar signé Ed Mc Bain, de son vrai nom Salvatore Lombino, Ten Plus One, qui s’intitula finalement Sans mobile apparent, mis en scène par Philippe Labro.

Nous partions pour le tournage à Nice dans ce beau midi où Christian et moi restâmes après le film pour habiter une petite maison prêtée par des cousins de la famille Marquand, dans les vignes de l’arrière pays.

Le scénario du Dernier tango à Paris fut envoyé aux acteurs. Et là, tout se compliqua : Jean-Louis ne fut pas d’accord pour accepter de tourner des scènes intimes, il trouvait que l’histoire était trop érotique. Déconcerté, dérouté, Bernardo s’adressa alors à Marlon Brando qui accepta. Quand Bernardo revint vers moi avec cette nouvelle, j’en avais une très importante à lui communiquer : j’étais enceinte de mon fils Yann. C’est alors que Bernardo, fort d’avoir captivé une immense vedette pour son personnage masculin, pris la décision d’avancer sans attendre. Une façon pour moi de tirer mon épingle du jeu.

Bernardo se rappela de la petite Maria qu’il avait croisée chez moi. J’aurais aimé que Maria ne souffre pas outre mesure de cette expérience, qu’elle trouve la force en elle-même de ne pas se faire abuser par le monde du sexe opposé.

Devant la faiblesse, il est sage d’agir avec précaution

L’affaire était délicate et Maria vulnérable, animée de forces opposées, se sentit trahie, abusée, pendant le tournage en particulier avec cette scène du beurre et perdit son équilibre. Personne pour la sauver d’elle même, cette jeune femme fragilisée au départ de sa vie par le manque d’une reconnaissance paternelle. Seule. La solitude qu’on porte tous. Certains savent l’apprivoiser et d’autres s’écroulent. Ce fut son cas. 

Devant la faiblesse, il est sage d’agir avec précaution, avec subtilité et surtout avec tendresse. J’insiste, Maria était vulnérable. Qui s’approchait d’elle pouvait le percevoir à simple vue. C’est la conscience de chacun qui dicte la conduite à suivre vis à vis d’un être fragile. Car notre vraie solitude est finalement notre propre conscience. C’est là que nous sommes totalement nous-même. »

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« Un cambriolage n’est pas moins traumatisant qu’une agression »

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La police intervient après un cambriolage à Paris, janvier 2018. SIPA. 00839092_000006

Aujourd’hui retraité, le général de gendarmerie nationale Patrice Bayard a vu le profil des cambrioleurs évoluer. Aux traditionnels petits délinquants isolés, se sont adjoints des organisations structurées roms, roumaines ou issues de l’ex-URSS. Cette professionnalisation de la rapine oblige police et justice à s’adapter.


Causeur. Tandis que le terrorisme, les trafics de drogue et les crimes de sang accaparent l’attention médiatique, les 250 000 cambriolages qui ont lieu chaque année en France semblent passer sous les radars. Un cambriolage est-il moins traumatisant qu’une agression ?

Patrice Bayard. Pas du tout. Ce type de délinquance contribue très fortement au sentiment d’insécurité. Au cours de ma carrière, j’ai vu de nombreuses victimes traumatisées longtemps après un cambriolage, souvent bien au-delà du préjudice matériel subi. Les gens sont très choqués que l’on puisse entrer chez eux, fouiller leur maison, y voler des biens, fût-ce de faible valeur.

Qui sont aujourd’hui les cambrioleurs ?

Je distingue deux grandes catégories. D’abord ceux qui ont toujours sévi : jeunes à la dérive, drogués ou individus en quête de petits profits rapides. Ils travaillent sur un petit périmètre, sont souvent interpellés et bien connus par les forces de l’ordre. Ensuite, il y a la délinquance itinérante, parfois organisée, qui a longtemps été sous-estimée. Cette catégorie comporte trois grandes familles : celles qui tournent autour d’un clan rom, des organisations moins structurées typiquement roumaines (et non roms !) et enfin les associations criminelles très structurées autour de chefs qui se projettent sur des territoires très lointains.

Je me souviens d’une petite organisation qui recrutait des jeunes Roumains pour voler dans des exploitations agricoles en France. Leur butin nous semblait de peu de valeur (vieux vélos, tronçonneuses). Ils remplissaient des fourgonnettes entières et repartaient pour la Roumanie pour les revendre sur le marché noir ou sur des sites type Le Bon Coin. Avant qu’on y mette fin, ils ont créé un véritable malaise chez nos agriculteurs.

En France, les organisations les plus structurées sont d’origine géorgienne ou moldave.

Nous avons mis du temps à comprendre cette culture criminelle. On se contentait d’arrêter des petites équipes de cambrioleurs, parfois de deux ou trois membres, sans rien savoir de l’organisation à laquelle ils appartenaient. Sur un même territoire, on peut voir opérer une dizaine d’équipes de cambrioleurs sous les ordres d’un lieutenant, lui-même dirigé par un dirigeant régional, lequel rend des comptes à un grand chef souvent implanté à l’étranger.

Ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs

Ont-ils tous des liens de parenté entre eux ?

Non. Ils sont recrutés et adhèrent à un système de valeurs codifié. Ce sont souvent des organisations créées par d’anciens prisonniers du goulag. Des durs qui ont appris à survivre dans des conditions inimaginables. Les autorités russes, notamment les services spéciaux, ont instrumentalisé ces structures criminelles, leur permettant de perdurer dans le temps. On les appelle d’ailleurs « voleurs dans la loi », car ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs. Cela peut vous sembler relever du fantasme et du cinéma, mais pour avoir été confronté à eux, je peux vous assurer que c’est une réalité bien connue dans les pays de l’Est. Ces structures criminelles exigent des rendements de leurs équipes qui doivent faire jusqu’à cinq ou six cambriolages par jour, parfois plus.

Visent-ils des appartements, des maisons ou des commerces ?

Ils visent principalement des appartements et des maisons individuelles, même s’ils ont aussi des membres spécialisés dans les vols à l’étalage dans les commerces. Les équipes de cambrioleurs proprement dites sont souvent composées de trois ou quatre personnes, dont un serrurier, qui ouvre les portes.

Quel butin recherchent-ils ?

L’image du cambrioleur qui emporte la télévision, la chaîne hi-fi est trompeuse : ils cherchent les bijoux, les montres, et tout ce qui peut se négocier très rapidement, comme les tablettes et les téléphones. Et, bien sûr, le liquide.

Comment est organisé le recel ?

Les receleurs sont souvent français. Tout ce qui est négociable est vendu sur place, le numéraire remonte en haut de la hiérarchie. La particularité de cette organisation, c’est que les voleurs eux-mêmes ne gardent pas leur butin. J’ai le souvenir d’un voleur qui avait gardé pour lui une montre : il a dû faire face à la « justice » de la bande.

En France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence

Sont-ils violents ?

Essentiellement entre eux. Pour l’instant, sur le territoire français, on n’observe pas de violence vis-à-vis des personnes. Sachant qu’en France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence et si ça se passe bien avec la police, ils font profil bas. Heureusement, nous avons réussi, non sans efforts, à faire comprendre à la police et à la justice qu’il ne s’agissait pas d’individus malheureux, mais de membres d’organisations criminelles. Aussi, les condamnations sont-elles de plus en plus lourdes, car le vol en bande organisée est considéré comme une circonstance aggravante.

Ces groupes de prisonniers étrangers appartenant à des organisations structurées régies par un code d’honneur posent-ils des problèmes particuliers à l’administration pénitentiaire ?

La vie en cellule fait partie du mode de vie normal des voleurs dans la loi. Évidemment, en prison, certaines personnes prennent le pouvoir et peuvent créer des problèmes. Il y a quelques années, il y a eu une confrontation dans une maison d’arrêt du côté de Saint-Étienne entre Géorgiens et Tchétchènes, mais pour le moment ça ne va pas plus loin.

Y a-t-il des passerelles entre cambrioleurs et trafiquants d’armes, de drogue ou d’êtres humains ?

Les cambriolages massifs sont bien souvent la première phase de l’implantation d’une organisation criminelle. Certains cambrioleurs évoluent ensuite avec des commerces, des bars, puis parfois vers la prostitution, le trafic d’armes et de drogue. Quant aux voleurs dans la loi, ils se concentrent sur leur corps de métier : les cambriolages.

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène

Comment réagissent les réseaux criminels français face à ces nouveaux arrivés ?

Pour l’instant, il y a très peu de conflits, car ces groupes criminels se spécialisent dans des activités peu rentables qui n’intéressent pas le grand banditisme français. Celui-ci préfère le trafic de drogue et la prostitution, et regarde un peu de haut les cambrioleurs. Mais, à terme, de sévères confrontations sont inéluctables. Les nouveaux finiront par déranger.

Quel est votre pronostic pour l’avenir ?

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène en perturbant et en dérangeant l’implantation des réseaux. Ces derniers recherchent un maximum de profit en prenant un minimum de risques. Ils tournent entre les régions, se déplacent et essayent de s’implanter là où il est plus simple de voler. Si on s’attaque à leurs structures de commandement, cela finira par les décourager et les inciter à aller ailleurs.

La difficulté croissante à utiliser de l’argent liquide a-t-elle un impact sur ce genre de criminalité ?

Bien sûr. C’est notamment vrai pour les réseaux roms spécialisés dans le vol de métaux. Si les acheteurs de métaux respectaient la réglementation et refusaient de payer en cash, cela les gênerait énormément. Nos amis allemands, qui acceptaient le paiement en cash, ont vu les vols de métaux exploser chez eux… mais cela avait aussi un impact dans notre pays, car les Roms continuaient de voler en France pour revendre en Allemagne.

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Polony et Quatrepoint dissèquent notre déclin

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Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint. Photo : Hannah Assouline.

Les journalistes Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint écrivent en bande organisée. Leur dernier opus Délivrez-nous du bien ! fustige l’américanisation d’une France victime de la tyrannie des minorités. Souverainistes, à vos librairies !


Arrêtez d’emmerder Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint ! Nos deux confrères, bien connus des lecteurs de Causeur, sont aussi colère que Georges Pompidou en son temps. L’une, « quadragénaire plutôt émancipée pas franchement portée sur la soumission et le retour au foyer », vient de revenir à ses premières amours en prenant la direction de Marianne, l’autre « homme hétérosexuel de plus de 50 ans », a dirigé La Tribune et Le Nouvel Économiste. Ces deux journalistes, mais néanmoins amis, poussent un cri d’alarme dans leur essai écrit à quatre mains, Délivrez-nous du bien ! Halte aux nouveaux inquisiteurs (éditions de l’Observatoire).

L’influence anglo-saxonne menace notre identité

De la « révolution #metoo » à l’obsession des « nouveaux inquisiteurs » rééduquant le bon peuple, en passant par la toute-puissance des minorités de toutes sortes, Polony et Quatrepoint formulent des constats souvent délivrés dans nos colonnes. Les plus atlantistes frémiront cependant à la lecture de la thèse centrale de l’essai : l’influence anglo-saxonne menace notre identité. Lecteurs de Régis Debray, les deux auteurs s’affligent de nous voir devenir des « gallo-ricains ». N’oublions pas que Sandra Muller a lancé le fameux hashtag #balancetonporc depuis New-York. Tout un symbole du puritanisme anglo-saxon qui se sent désormais triomphant comme #metoo en France.

A lire aussi: Natacha Polony à Marianne, la grande peur des rien-pensants

Mais le féminisme n’a pas le monopole des postures victimaires. Dans la lignée de Tocqueville, qui annonçait la tyrannie de la majorité dans La Démocratie en Amérique, Polony et Quatrepoint montrent à quel point la « tyrannie des minorités » menace désormais la démocratie. Quitte à caresser la doxa à rebrousse-poil en citant l’affaire Jacqueline Sauvage (sainte martyre des femmes battues, qui n’a jamais porté plainte contre son mari avant de l’abattre de trois coups de fusil dans le dos), les propos malséants de Jean-Paul Guerlain ou la tentative de pénalisation des clients de prostituées. Nos compères aggravent leur cas par l’emploi de qualificatifs aussi aimables qu’ « hystéroféministe », leur dénonciation du sectarisme vegan et des inepties différentialistes que sont l’ « écriture inclusive » et l’ « appropriation culturelle ». Pas sûr que Caroline de Haas pardonne leurs offenses…

Polony essaie de penser contre elle-même

Déjà à l’initiative du comité Orwell, collectif de journalistes souverainistes qui milite en faveur du pluralisme dans les médias, le tandem proche des milieux chevènementistes collabore régulièrement à l’antenne de la chaîne virtuelle Polony TV et ne se fait pas que des amis chez les mal-pensants. Ainsi, certains fans d’Éric Zemmour ont-ils récemment reproché à Natacha Polony de cultiver le « juste milieu ». Certes, à la différence de leur héraut, la directrice de Marianne essaie de penser contre elle-même pour éviter de se caricaturer. Nuancé, mais jamais tiède, Délivrez-nous du bien ! exprime le talent pédagogique de ses deux plumes, la professeur Polony et le journaliste économique Quatrepoint, qui ont l’art et la manière d’expliquer les ressorts de la mondialisation.

Une fois ces 300 pages achevées, on se dit que la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la défiance face au règne des multinationales et la préservation d’un certain art de vivre à la française méritaient bien un livre broché. Et tant pis pour les chênes qu’on abat.

Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, Délivrez-nous du bien, L’Observatoire, 2018.

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Brésil: l’autre histoire de la (probable) arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir

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Jair Bolsonaro, octobre 2018. SIPA. 00878911_000005

Le Brésil vote aujourd’hui pour élire son président. Arrivé largement en tête au premier tour, Jair Bolsonaro est le favori de l’élection. Le candidat de l’extrême droite a su comprendre la colère des Brésiliens née lors des années Lula.


Un puissant rejet des élus et des partis qui ont dominé la scène politique nationale depuis la fin de la dictature militaire en 1985. Ainsi peut-on résumer les résultats des élections brésiliennes d’octobre. Le 7 du mois, 147 millions d’électeurs ont choisi leurs députés et sénateurs (scrutin à un tour). Le 28 octobre, un second tour a permis de départager les deux candidats à la présidence de la République restés en lice après le 7 octobre. Les électeurs ont alors aussi désigné les gouverneurs dans les Etats fédérés où aucun candidat n’avait réuni une majorité au début du mois. A tous les niveaux, les formations et des leaders qui ont dominé la vie politique nationale pendant 30 ans ont reculé ou connu la déroute. Un grand parti est sorti largement vainqueur. Il a mobilisé toutes les couches sociales et les régions de ce pays-continent. C’est le parti informel (mais très présent sur les réseaux sociaux) de la révolte contre l’insolence de l’establishment qui domine la vie publique depuis des décennies, ignore très souvent l’intérêt général, défend avant tout ses privilèges et sert sa clientèle. Populiste de droite, Jair Bolsonaro, porte-voix et symbole de cette vague de fond, est sorti largement vainqueur du scrutin présidentiel.

Scandales de corruption

Cette révolte naît en juin 2013. Des millions de Brésiliens descendent alors dans la rue pour protester contre le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff et le Parti des Travailleurs de Lula (PT) au pouvoir depuis dix ans. Les manifestants dénoncent aussi la corruption et l’impéritie des pouvoirs publics, incapables depuis des lustres d’organiser des services de santé, d’éducation ou de transport efficaces. En 2013 puis ensuite, les gouverneurs locaux et l’Etat fédéral dépensent des fortunes dans la construction des stades pharaoniques en vue de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016. Ils continuent pourtant à manifester une incurie totale face à la dégradation des services publics, à l’insécurité grandissante, à l’essor de réseaux de trafiquants de drogues qui contrôlent les périphéries de nombreuses agglomérations. Une crise économique majeure éclate fin 2014. Au même moment, la justice commence à mettre à jour les énormes scandales politico-financiers qui ont marqué les onze années de pouvoir du PT et de ses alliés. L’indignation populaire se transforme alors en franche colère.

Obscur député de Rio de Janeiro, capitaine de réserve de l’armée, Jair Bolsonaro a surfé très tôt sur cette colère. La victoire électorale de ce candidat de la droite populiste, nationaliste et autoritaire au scrutin présidentiel est liée à la désespérance qui a suivi les années flamboyantes de Lula.

Lula et la désindustrialisation du Brésil

Au cours de son premier mandat (2003-2005), l’ancien président a été un bon chef de l’Etat. Il a mené une politique économique intelligente et pragmatique. Il a contraint l’ensemble du pays à réfléchir sérieusement aux inégalités énormes qui le déchirent, qu’elles soient de revenus, de races ou de genres. Lula bénéficie alors d’un choc extérieur très favorable. Avec le cycle de hausse des cours des matières premières (de 2004 à 2009), le pays connaît une phase d’enrichissement temporaire. Le salaire minimum est relevé. L’emploi formel progresse. L’Etat facilite l’accès au crédit des ménages les plus modestes. Une nouvelle classe moyenne avide de consommation émerge. Un programme de revenu minimum garanti destiné aux plus modestes est développé. La pauvreté recule. L’essor du marché intérieur, les taux d’intérêt relativement élevés pratiqués au Brésil attirent investissements et placements financiers étrangers. Les réserves en devises augmentent. La monnaie nationale se valorise par rapport au dollar. La croissance atteint en moyenne 4% par an entre 2003 et 2010.

A lire aussi: Jair Bolsonaro au Brésil: l’ordre, c’est le progrès?

Durant ces « années glorieuses », l’Etat ne s’attaque pas aux fléaux anciens qui empêchent une croissance durable et une distribution équitable des revenus : bureaucratie envahissante, infrastructures de transport obsolètes, enseignement de base et santé publique insuffisants et inefficaces. Une législation du travail rigide et archaïque est maintenue. L’économie reste très fermée aux échanges extérieurs. La pression fiscale augmente afin de financer les salaires et les retraites d’une fonction publique très choyée, les subventions en tous genres consenties aux entreprises nationales et les rentes obtenues par de nombreuses corporations. Les impôts ne suffisant pas, l’Etat comble un déficit croissant par un endettement coûteux et propulse ainsi les taux d’intérêt pratiqués à des niveaux stratosphériques. Fragilisées par l’environnement économique, financier et juridique dans lequel elles doivent opérer, les entreprises industrielles nationales voient leur compétitivité se dégrader. Pendant les années Lula, les grands centres commerciaux se multiplient. Ils se remplissent de biens de consommation durable fournis par des usines… chinoises. Le pays dirigé par un ancien syndicaliste de la métallurgie se désindustrialise.

Le désastre Dilma

Après la crise financière mondiale de 2008-2009, Lula réussit à faire élire sa protégée à la tête de l’Etat. Dilma Rousseff va superbement ignorer les obstacles structurels évoqués plus haut et tenter de perpétuer un miracle économique éphémère. Le gouvernement cherche d’abord à doper la demande intérieure en stimulant le crédit. Il entend aussi réveiller l’industrie. L’administration Rousseff multiplie les crédits subventionnés et les exemptions fiscales (creusant ainsi le déficit et la dette), persuadé que ces anabolisants sont des remèdes efficaces à l’anémie et que l’injection permanentes de nouvelles liquidités va suffire pour transformer une économie de moins en moins compétitive en bolide de compétition. Bénéficiant aussi d’un renforcement du protectionnisme commercial, l’industrie ne réagit pourtant pas de ce dopage : elle est incapable de répondre par une offre croissante et compétitive à l’accroissement incessant et provoqué de la demande intérieure. Confrontés à la reprise de l’inflation, dès 2013-2014, les ménages très endettés réduisent leur consommation. Inquiétées par l’emballement du déficit public, les entreprises cessent d’investir.

Le pays entre alors dans la pire récession de son histoire. Entre 2015 et 2016, le revenu moyen par habitant baisse de 10%. Le chômage prend des proportions considérables (13,1% des actifs étaient touchés à la fin 2017) et touche des familles devenues insolvables. Le nombre de pauvres repart à la hausse. La fameuse nouvelle classe moyenne s’étiole. Les rêves d’ascension sociale partagés par des millions de Brésiliens se transforment en cauchemar. Pour maintenir les rentes des castes de privilégiés (fonction publique, salariés des compagnies d’Etat, retraités bénéficiant de régimes spéciaux), l’Etat en déficit laisse filer une dette très coûteuse. Après la destitution de Dilma Rousseff (en août 2016), le gouvernement intérimaire n’évite la banqueroute qu’en tranchant dans les dépenses d’investissement ou de santé et d’éducation…

Personne n’est à l’abri

La colère que manifestent aujourd’hui les électeurs brésiliens n’est pas seulement due à ce désastre. N’en déplaise à une presse européenne aveuglée par son romantisme révolutionnaire, Lula n’a pas été seulement (pendant un bref moment) le symbole d’un Brésil enfin préoccupé par ses inégalités et la pauvreté. Aujourd’hui condamné à 12 ans de prison et incarcéré, il n’est pas la victime innocente d’une conspiration montée par l’élite traditionnelle brésilienne. Le Parti des Travailleurs et son leader ont gouverné le pays pendant treize ans, soutenus par cette même élite avec laquelle ils ont noué une complicité de coulisses. En échange des crédits publics très importants qui irriguaient leurs caisses et de marchés publics garantis par des appels d’offre truqués, les entreprises proches du PT et de ses alliés approvisionnaient généreusement des réseaux clandestins de financement des forces au pouvoir. Les caisses noires ainsi constituées ont permis d’acheter le soutien d’une grande formation parlementaire centriste regroupant des notables influents, alliés indispensables pour constituer une majorité durable. Pour pérenniser l’alliance avec cette formation clientéliste, il a fallu offrir à ces notables des avantages sonnants et trébuchants. Il a fallu aussi garantir à leurs affidés des places privilégiées au sein de l’Etat et des innombrables entreprises publiques que le PT a renforcé ou créé.

A lire aussi: Le Brésil, un géant sans boussole

Le détournement de fonds publics, le clientélisme et la corruption ne sont pas nés au Brésil en 2003. Mais la coalition formée autour de la formation de Lula a porté ces pratiques à des niveaux jamais vus et pendant plus d’une décennie. Leaders et partis au pouvoir n’ont pas alors perçu que la justice avait changé et que l’impunité longtemps garantie aux puissants n’était plus assurée. A partir de 2013, de jeunes magistrats ont commencé à soulever le voile. Désignées sous le vocable de « lavage-express », des investigations, enquêtes et procédures lancées régulièrement depuis ont mis à jour dans le détail le modus operandi de l’organisation criminelle mise en place par le PT et ses alliés. L’opération « lavage-express » a aussi révélé les traits les plus sombres et nauséabonds de l’ensemble du système politique. Des dizaines de personnalités publiques (y compris Lula lui-même, condamné à 12 ans de prison), d’élus de tous grades et d’hommes d’affaires ont été mis sous les verrous. Depuis cinq ans, les citoyens brésiliens ont pu suivre une impressionnante leçon de sociologie politique appliquée. Cette leçon a contribué à renforcer le sentiment collectif d’indignation et de colère.

Le Brésil aime les messies

Les partis de la droite populiste qui appuient Jair Bolsonaro ont su exploiter le désespoir et la rage d’une majorité d’électeurs. Le probable futur chef de l’exécutif s’est forgé une image d’homme providentiel, de leader antisystème, de pourfendeur de la corruption et de mœurs politiques archaïques. Partisan d’un pouvoir fort et de l’ordre moral, soutenu par les églises évangéliques (très influentes dans les milieux populaires), Bolsonaro promet d’engager une lutte sans merci contre la criminalité. En se laissant séduire par ce personnage autoritaire qui annonce le salut de la patrie et la rupture avec la politique traditionnelle, les électeurs brésiliens ont une fois de plus (le phénomène est récurrent dans l’histoire du pays) choisi de confier leur destin à un homme providentiel, un leader messianique, un rédempteur. Ils ont voulu croire qu’il suffisait de sortir les sortants pour que la crise politique et économique de ces dernières années devienne un mauvais souvenir. Ils risquent de déchanter très vite.

Dès son début de mandat, l’ancien capitaine devra s’attaquer au déséquilibre des finances publiques et freiner la course folle de la dette qui peut déboucher sur une crise financière majeure. Pour éviter cette dérive, il ne suffit pas de remettre en cause les privilèges et les crimes de notables traditionnels et des politiciens d’hier. L’Etat est un formidable pourvoyeur de rentes pour une large part des classes moyennes organisées en corporations. Dans un pays qui vieillit, les pensions confortables des fonctionnaires (civils et militaires) et des classes aisées dévorent les finances publiques. Pour assurer le simple fonctionnement de services de base (santé, éducation, police…) il faut désormais une réforme urgente et forte des régimes de retraites. Risquons un pronostic : Bolsonaro n’aura probablement pas la force et le talent politiques nécessaires pour remettre en cause les rentes assurées par l’Etat. Devant la difficulté de la tâche, le nouveau président reculera. Pour conserver sa popularité, il donnera la priorité à la répression, à la mise en place d’une législation sécuritaire. Confronté rapidement à la débâcle financière puis condamné à des performances économiques médiocres, le Brésil deviendra une démocratie autoritaire.

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Bénédicte Martin: on ne badine pas avec l’amour fou

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Bénédicte Martin, RT France.

À l’heure où j’écris ces lignes, L’homme nécessaire de Bénédicte Martin ne figure sur aucune liste de prix littéraires. Or, ce roman est écrit dans un style éblouissant, entre mystique bataillienne et poésie rimbaldienne. C’est la flamboyance de l’amour qui se déchaine sous nos yeux interdits. Un amour où la chair exulte. C’est la vie qui sort par tous les pores de la peau. Une peau mordue, griffée, léchée par le désir jamais assouvi de l’autre, le mâle superbe, pas généreux, alcoolique, fou, adepte de la varappe citadine pour gueuler que ce monde est un monde de frileux, de mous, de donneurs de leçons incapables de vivre comme un être humain doit vivre, debout.

Un hennissement de vitalité érectile 

La chair est vivante dans ce roman qui frappe au ventre. C’est un hennissement de vitalité érectile contre la frustration ambiante. L’héroïne se nomme Bénédicte, c’est la « môme » de celui qui escalade les façades d’immeubles parisiens, « l’homme sans écharpe », auteur à succès, écrivain voyageur, aussi pressé que Paul Morand et aussi ténébreux que Blaise Cendrars. C’est autobiographique puisque Bénédicte raconte sa passion amoureuse avec Sylvain Tesson. Ça va vite, pas de temps mort, l’amour l’exige, l’empoisonnement de la planète également. Il y a des descriptions sans appel. Quand les deux amoureux survoltés se rendent sur la tombe de Jean Genet, on prend la réalité en pleine figure. « Larache est pestilente. C’est une décharge à ciel ouvert sur une falaise où des familles se baignent dans des paquets d’immondices et dans la merde (…) J’y ai vu des nourrissons rampés sur le bitume lui-même dégoulinant de la pisse des chiens errants. » L’écrivain n’est pas là pour écrire son roman familial, saupoudré de bons sentiments, dans les quartiers bourgeois d’un Paris qui s’emmerde comme un rat mort.

Écrivain est un métier dangereux

Quant au couple, il ne résistera pas. Et ce n’est pas le temps qui est responsable. L’homme ne bande plus. Bénédicte a beau tout tenter jusqu’à l’épuisement, en vain. Le passé de la narratrice remonte comme une odeur d’égout avant l’orage. C’est de sa faute, hurle « l’homme sans écharpe ». Il déverse son fiel : « C’est tout ce que tu écris qui me fait débander. Tes histoires publiées de modulations de râle quand tu vivais avec un matador à la bite en or et qui te couchait sur sa muleta, les deux oreilles et la queue sanglante du toro bravo dans votre fange d’assassins. »

Écrivain est un métier dangereux, surtout quand on décide de ne rien cacher de sa vie sexuelle. C’est la rupture. La dépression envahit Bénédicte. Elle se tire à Singapour, le cœur bouffé par la tristesse. « L’homme à l’écharpe » dévisse un soir de beuverie. Terrible chute. Coma, opérations, séquelles. Sylvain Tesson s’en sort, esquinté. Bénédicte reprend des forces, écrit  ce roman uppercut, sait qu’elle sera « jusqu’au bout une femme souleveuse de draps, de râles, de cuisses et de pénis ». La rédemption par l’écriture.

Bénédicte, quand elle était à Vézelay avec l’alpiniste, aurait dû se recueillir sur la tombe de Georges Bataille. Je suis sûr qu’elle aurait aperçu les guenilles pendantes d’Edwarda.

Bénédicte Martin, L’homme nécessaire, Sable Polaire.

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Mark Greene au sommet de la montagne magique

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Mark Greene. JOEL SAGET / AFP

Cela commence comme du Perec. Un homme descend s’acheter un journal et un sachet de croissants. Une miette grasse tombe sur le papier et entoure de son auréole un fait divers que l’homme n’aurait sûrement jamais remarqué. Dans le massif des Dolomites, dans le nord de l’Italie, un jeune couple d’architectes italo-écossais a été retrouvé mort, les mains liées, en habit de soirée. Une troisième personne, une certaine Federica Bersaglieri, suspecte et témoin principale, est introuvable.

Rien de plus beau que le gâchis

Cette Federica « Ber », le narrateur est convaincu de la connaître. Plongée délicate dans un univers modianesque. Fouille des vieux cartons, fouille des souvenirs, exhumation d’un ancien carnet d’adresses à la couverture cartonnée et striée. Effectivement : « Federica Ber, 44 rue de l’Échiquier, Paris 10ème, 40 22 04 78 ».

Un numéro à huit chiffres, une adresse précise, Mark Greene donne à son flou mélancolique habituel (45 tours, Rivages, 2016) un décor parisien et caniculaire. Remontée des souvenirs. Paris se vide, devient une parenthèse sans âge, sans limites, peuplée de personnages étrangement vêtus, étrangement jeunes, étrangement peu conscients de leur étrangeté. « Rien n’est plus beau, dans la jeunesse, que l’étendue du gâchis ». Rien n’est plus beau, en littérature, que de lire l’errance quiète, les silences vides de toutes paroles, les journées hachées, le ne-rien-faire, le laisser-aller de tout. Cet été-là, cet été sans âge, le narrateur, qui pourrait être Mark lui-même, mais ce détail est sans importance, rencontre une petite femme d’une vingtaine d’années, perfecto et cheveux courts, qui joue sensuellement à Tekken, le jadis célèbre jeu de combat japonais, dans un bar sur les Grands Boulevards.

Escalader les toits de Paris et dormir à la belle étoile 

Les silences et les regards – les seuls véritables dialogues – sont d’Antonioni. Il faut chaud, on boit du vin glacé, on hume l’odeur stagnante du mois de juillet, « comme si Le Havre avait poussé dans Paris (et La Havane dans Le Havre) ».

Les vacances sont une disparition. L’absence, le vide, l’anonymat, semblent être les passions de Federica, outre Tekken, et l’escalade. Vivre dans une époque, vivre une époque, personne n’a réellement conscience de ce que cela signifie. On en extrait les fragments plus tard, bien plus tard, on en reconstitue la cohérence, à la manière des paléontologues. Le vrai danger, c’est le « faux risque », c’est « l’ennui », appuie Federica, que le narrateur suit comme son ombre au 44, rue de l’Échiquier, dans un appartement meublé façon décor de théâtre.

Et l’affaire des Dolomites, alors ? Le narrateur du présent, délaissant parfois celui du passé, se plonge dans la presse italienne, apprend des détails formels qui ne mènent à rien, et de jolis mots d’esprit, comme par exemple le surnom du massif : Monti pallidi, les montagnes pâles. Le jeune couple, baptisé « les fiancés de Lecchio », s’est-il suicidé ? A-t-il reçu l’aide de la fantomatique Federica dans cette opération ? S’agit-il d’un meurtre rituel ? C’est dans le passé que le narrateur mène sa propre enquête. Dans ses souvenirs, les couleurs, les mots, les intonations, les habitudes, qu’il a imprimées en lui et dessinent sa Federica, disparue à la fin de l’été du Tekken.

Mourir est la seule façon de ne pas disparaître 

S’il faut vraiment chercher une clé à Federica Ber, ce qui s’avère une gageure dans le travail de Mark Greene, on la trouverait dans l’habitude favorite de Federica : escalader les toits de Paris et dormir à la belle étoile sur une terrasse bétonnée dont seule son agilité lui donne l’accès. Elle en ouvre les portes symboliques à son ami de juillet, à une condition : accepter de se soumettre à la force de l’autre, à sa volonté, à ses conseils et à ses ordres, à son poids, enfin, lorsqu’il est nécessaire de lier son corps à celui de l’autre. Federica Ber et le personnage éponyme disent l’attente, la patience, la distorsion poétique du temps. Un monde différent de celui des vivants, différent de celui des morts, aussi.

Les pièces du puzzle s’emboîtent. Se sachant atteinte d’une maladie dégénérative et incurable, la jeune architecte écossaise aurait rencontré Federica sur les hauts de Cortina d’Ampezzo. « Une montagne, c’est une île ». Une île des morts. Parce que « mourir est la seule façon de ne pas disparaître. La seule façon de rester. »

Mark Greene, Federica Ber,Grasset, 2018.

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Twitter ne veut pas que Blanche Gardin sorte avec Louis C.K.

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Louis C.K. et Blanche Gardin. SIPA. Shutterstock40510187_000057 / 00861148_000088

Les puristes de #MeToo n’ont jamais vraiment pardonné à Blanche Gardin son sketch mesuré des Molières. Photographiée main dans la main avec Louis C.K., humoriste américain « coupable » de « comportement sexuel inapproprié », ils le lui ont fait payer sur Twitter…


Mon intuition de juin 2018, sur Blanche Gardin, fut bonne. Elle dérange, bouscule et, depuis le 25 octobre, a mis le feu à Twitter.

Balance le porc avec qui sort Blanche Gardin

La raison ? Une simple photo people où on la voit main dans main avec l’humoriste américain Louis C.K., pour qui elle n’a jamais caché son admiration et qui fut accusé d’agression sexuelle aux Etats-Unis, pour s’être masturbé en présence de femmes.

Il a depuis présenté ses excuses, mais se retrouve néanmoins blacklisté par les garde-chiourmes féministes. Blanche Gardin serait donc la compagne d’un homme coupable de : « sexual misconduct », autrement dit de comportement sexuel inapproprié. Péché mortel.

La curée fait rage au sein de la nouvelle église féministe, Blanche Gardin est celle « qui est donnée sur le terrain quand la bête est encore chaude ». Voilà un bon condensé, trouvé sur Twitter, de ce qui lui est reproché : « J’aimais beaucoup Blanche Gardin, jusqu’à son discours affligeant aux Césars, où sous couvert d’humour, elle décrédibilisait le mouvement metoo, tout en montrant son soutien à un agresseur notoire : Louis CK, justement… Donc cette liaison n’est pas si étonnante, finalement. »

Effectivement, Blanche Gardin est dans une interzone : pas assez « pro-sexe » pour la tendance Catherine Millet, car elle ne garde pas un souvenir ébloui d’une sodomie forcée – qu’elle raconte avec beaucoup de distance dans un sketch désormais célèbre – ; pas assez radicale pour les néo-fems. Blanche Gardin existe hors idéologie avec ses contradictions, ses failles et surnage dans les eaux saumâtres de notre époque grâce à son humour acide et sa lucidité.

« Ça me terrorise un peu, ces histoires… »

Elle a cependant quelques soutiens dans le maelström twitteresque, qui sont, ô surprise, des hommes !

Auguste : « Si je comprends bien, Louis CK devrait arrêter de vivre après le scandale et Blanche Gardin n’a pas le droit d’être amoureuse de lui. Ok. Pourquoi pas. »

Que faut-il en déduire ? Que « la femme est une louve pour la femme ? » Les « femelles » de bon sens le savent, de toute éternité. Et Peggy Sastre parlerait mieux que moi de la « compétition intra sexuelle ».

La pente est bien savonneuse vers la pire des dystopies. Nos rapports sexuels, amoureux, nos pratiques seront-ils un jour surveillés et fichés ? « Ce sont les enfants, les soldats et les fous qui sauveront le monde », disait le cinéaste Jean Eustache. Laissons donc la parole au soldat Gardin qui s’exprimait ainsi dans Télérama de janvier 2018 :

« Ça me terrorise un peu, ces histoires… Sur les relations hommes/femmes et la séduction, mais il ne faudrait pas qu’il y ait une censure permanente comme aux Etats-Unis. Il y a cette espèce d’injonction, aujourd’hui, à être absolument quelqu’un de bien, à s’indigner pour les bonnes causes, mais être une bonne personne, ça n’existe pas. »

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Port du niqab: le Comité des droits de l’homme de l’ONU doit-il siéger à l’Assemblée nationale?

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Une femme porte le niqab à Paris, 2011. SIPA. 00629048_000015

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a blâmé la France pour avoir verbalisé deux femmes vêtues de niqab sur la place publique. Il est grand temps pour Macron de se dresser contre ces ingérences idéologiques.


On trouve dans les meilleurs romans policiers, deux axiomes incontournables : « Cherchez la femme » et « à qui profite le crime ? » Les mêmes questions se posent depuis le 22 octobre 2018, date à laquelle le Comité des droits de l’homme, rattaché au Haut Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU (HCDH), a rendu une décision relative à un cas français.

Les femmes en question, ce sont deux Françaises musulmanes verbalisées en 2012 alors qu’elles circulaient en niqab dans les rues de Nantes, contrevenant ainsi à la loi de 2010 qui condamne le port de tenues dissimulant le visage. Après avoir épuisé ou été déboutées de toutes les voies de recours, elles ont saisi le Comité.

La France doit-elle indemniser ceux qui ne respectent pas sa loi?

A en croire la décision rendue, la loi française qui interdit – entre autres vêtements – le port du niqab constituerait une violation disproportionnée et discriminante des libertés religieuses et des droits humains. A ce titre, la France est sommée de verser une indemnisation aux plaignantes et, au besoin, de réviser sa loi de 2010. Diable ! Alors qu’ils sont censés adapter leur décision au contexte de chaque pays, les membres du Comité semblent ici s’être contentés d’appliquer de grands principes désincarnés. Seuls deux d’entre eux ont émis des avis dissidents. Parmi eux, le Tunisien Yahd Ben Achour qui, fort de sa connaissance des contextes de terrorisme et d’islamisation, a considéré que la France était légitime à condamner ces deux femmes : « En admettant même que le port du niqab soit interprété comme l’expression de la liberté de religion, il faut rappeler que toutes les interprétations ne se valent pas au regard d’une société démocratique. […] Certaines interprétations ne peuvent avoir droit de cité. Il en est ainsi de la polygamie, de l’excision, de l’inégalité successorale […] qui constituent pour tous ceux qui le pratiquent autant d’obligations religieuses ou de rites au même degré que le port du voile intégral. »

A lire aussi: Affaire Baby-Loup: « Dire que la France a été condamnée, c’est de la désinformation »

Mais, manifestement, certaines pratiques échappent à la règle. Alors, l’invitation est lancée : si les experts du Comité souhaitent se substituer au législateur, qu’ils viennent donc siéger à l’Assemblée.

Islamophobe comme l’Algérie ?

Ceux qui sont susceptibles de tirer profit de cette décision, ce sont évidemment les musulmans rigoristes, les partisans du communautarisme et les promoteurs d’un djihad culturel, en France comme à l’étranger. Car il est certain qu’une telle décision est de nature à faire jurisprudence et faire passer le voile intégral pour un vêtement rituel anodin.

Pourtant, la liste des États qui réglementent le port de ce vêtement ne cesse de s’allonger. Même l’Algérie, où l’islam est religion d’État et qui ne peut donc être taxé d’islamophobie, prend des mesures semblables à celles de son homologue français : le niqab y est proscrit dans la fonction publique car « les exigences de sécurité imposent une identification physique systématique et permanente ». Alors que l’Algérie tente d’endiguer la progression des mouvements extrémistes, le Comité va-t-il lui expliquer qu’elle contrevient aux droits de l’homme ?

A la recherche du courage de Macron

En réalité, les suites à donner à cette affaire relèvent moins du droit que du courage politique. Comme le détaille le HCDH, les décisions « contiennent des recommandations adressées à l’État partie concerné mais elles ne sont pas juridiquement contraignantes ». Si bien que le président Macron vient de trouver là l’occasion rêvée de mettre en œuvre ses objectifs. En effet, lors de son allocution du 16 octobre 2018, il enjoignait son nouveau gouvernement à tout mettre en œuvre pour « que nous reprenions pleinement la maitrise de notre destin ». Sans doute plus tôt qu’il ne l’avait envisagé, il semble que l’opportunité de montrer cette détermination lui soit présentée sur un plateau.

Certes, la France a ratifié le protocole du Comité. Mais elle a également voté une loi que les deux femmes, en pleine connaissance de cause, ont violée. La neutralité de l’État n’implique pas la passivité. Alors, ne serait-il pas temps d’affirmer ce que nous pouvons souverainement accepter ou bannir, y compris en termes de pratiques religieuses, sans nous laisser dicter notre conduite ni par une frange minoritaire d’une religion minoritaire, ni par des instances internationales déconnectées des spécificités françaises ?

Comme le déclarait Emmanuel Macron, « nous ne sommes pas soixante-six millions d’individus séparés mais une nation qui se tient par mille fils tendus ». Parmi ces fils, on trouve en premier lieu la paisible convivence, fortement mise à mal par l’idéologie qui sous-tend l’attitude de ces femmes. Or, « dissimuler totalement et en permanence son visage dans l’espace public […], c’est renier sa propre sociabilité et rompre le lien avec ses semblables », souligne un des experts dissidents. Ces fils, ce sont tous ces petits riens qui appartiennent à la France, qui n’appartiennent qu’à elle, et qu’un comité, fut-il composé d’éminents experts, ne peut appréhender. Prenons garde que ces fils si précieux ne soient pas coupés sur l’autel des libertés et des droits de l’homme.

La gauche et les colonies « arabes », une mer de sable

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Francois Mitterrand et Pierre Mendès France lors des manifestations pour les victimes du 8 février 1962, au metro Charonne. SIPA. 00492467_000006

Soyons clairs: le mot « Arabe » est un fourre-tout ! Comme le mot « gauche » d’ailleurs. Des termes utilisés à l’emporte-pièce. Le bazar d’une vieille medina où chaque stand a sa propre sauce. Mais il fallait bien désigner en un seul mot toutes les populations du bassin méditerranéen que la France a colonisé. Parlant à l’origine les langues berbères, phéniciennes ou syriaques, toutes ces populations ont subi des métissages divers et variés dans ce carrefour culturel permanent nommé Mare Nostrum.

Héritière des valeurs universelles de la Révolution française, des combats de l’Affaire Dreyfus, voire du marxisme, la gauche a longtemps été vue comme un espoir d’émancipation pour les peuples colonisés et d’origine musulmane qui ont croisé la route de notre Hexagone dès le début du XIXe et ce quel que soit le régime (Second Empire, IIIème et IVème république, la parenthèse vichyste…) ou le statut (département, protectorat, etc.) des deux acteurs. Un espoir en trompe-l’œil bien souvent. On parle ici de la gauche institutionnelle et de gouvernement. Celle des décideurs, non des experts. Ceux qui tranchent, prennent des décisions pour le grand bonheur ou le malheur des administrés. Dans la réalité, la vraie, pas celle des livres.

Fiascos et incompréhension

D’autres gauches, celles des artistes, des associations, des opposants perpétuels à tout pouvoir, une partie des intellectuels « progressistes » a bien œuvré avec détermination contre le colonialisme durant l’entre-deux-guerres sous l’influence du communisme. Le point d’orgue de cette lutte s’est effectué lors de la guerre d’Algérie (qu’ils aient été chrétiens, communistes, trotskistes ou gaullistes). Dans les pas de Claude Bourdet, Jerôme Lindon, Frantz Fanon ou Francis Jeanson, nombre d’universitaires, de journalistes, de militants ont combattu, écrit, soutenu ou sont morts (comme le mathématicien communiste Maurice Audin) en faveur de l’indépendance de l’Algérie.

A lire aussi: Il était une fois les Juifs de Fès…

Mais la politique, c’est autre chose. Beaucoup d’hommes de gauche ont tenté de garder un contact concret et sincère avec les pays du Maghreb et du monde arabe en général après la Seconde Guerre mondiale. Certains ont fait des réformes, pris des risques, mis fin aux protectorats marocains et tunisiens avec Pierre Mendès France en 1956. D’autres, comme Alain Savary, Michel Jobert, Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg ont fait ce qu’ils ont pu… A leur échelle. Mais la gauche de gouvernement (qu’elle s’appelle SFIO, PS, PRG voire PCF de manière indirecte) a globalement déçu. Trahi, disent certains. De part et d’autre de la Méditerranée, le message n’est pas toujours bien passé. De l’internationalisme théorique, on a retenu leur chauvinisme étriqué. Ou, dans le souvenir fantasmé du gaullisme, de trop soutenir les Américains et Israéliens. Des critiques parfois injustes, parfois fondées, pour une politique toujours contestée.

Dès le Front populaire, nombre d’indigènes ayant servis dans les tranchées espéraient obtenir la citoyenneté française. Le projet Blum-Viollette (du nom du gouverneur d’Algérie) est présenté en décembre 1936. Il prévoyait de donner la citoyenneté française à 25 000 musulmans. Mais face aux manifestations des Européens d’Algérie et à l’opposition de la droite parlementaire, le projet tombe à l’eau : premier fiasco. Courant 1944-1945, le Conseil national de la Résistance (très fortement orienté à gauche) ne mentionne rien non plus sur ces territoires et leurs habitants alors que des milliers de tirailleurs marocains, pieds noirs, Algériens ou Tunisiens affrontent les Allemands et le froid dans des Vosges ensanglantées par les combats. Alger et Oran sont affamés. Sétif et Guelma ne vont pas tarder. Deuxième fiasco.

Les années Mollet

Et puis arrivent les années Mollet en 1956. Le retour de la gauche au pouvoir. En Egypte, l’ancien professeur d’anglais pacifiste voit en Nasser « un nouvel Hitler » et envoie les parachutistes récupérer le canal de Suez.  Sa grille de lecture issue des années 30 et son fort attachement à Israël font le reste. Suez est un échec. Nasser devient un « héros dans le monde arabe », la France et son allié anglais la risée de l’Ancien monde.

Au Maroc et en Tunisie, on arrête comme rarement auparavant les opposants et on soutient les colons à l’heure où le globe se libère de la domination européenne. Mais ce n’est rien à côté de l’Algérie ! Guy Mollet et son entourage (Max Lejeune, Christian Pinault, Marcel Naegelen…) vont y opérer la politique la plus dure et la plus répressive desdits « événements ». Refusant d’écouter des hommes comme Ferhat Abbas ou Jacques Chevallier appelant au dialogue, les socialistes au pouvoir font arrêter Ben Bella, couvrent la torture, truquent les élections, notamment à Oran, multiplient les arrestations arbitraires et, cerise sur le gâteau, envoient près d’un million de jeunes conscrits français dans le Djebel… La fracture est définitive. Le PCF de son côté a effectué un virage à 180° – mais il en a l’habitude ! – en passant d’un Algéristan à la soviétique à l’Algérie algérienne. La SFIO de Jaurès ne s’en relèvera pas et le lien avec les intellectuels et la Méditerranée non plus.

Le prestige du général de Gaulle dans ces pays méditerranéens est, dans les années 50-60, très fort, pendant que la gauche est en reconstruction avec ses clubs, Mai 68 et tutti quanti… L’Orient paraît loin. Avec Giscard d’Estaing et son UDF « très Algérie française » (merci l’OAS d’Hubert Bassot et de Claude Dumont pour la campagne de 1974), on est encore plus loin du royaume arabe de Napoléon III. Bonapartiste contre Orléaniste, même en Orient.

« Tonton » fait de la résistance

Mais les années Mitterrand n’ont rien à voir avec la période « Mollet ». Moins d’idéologie plus de cynisme. Mais est-ce mieux ? Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur de Mendès France (qui collectionne le triste record du plus grand nombre d’Algériens guillotinés avant de devenir en France le président de l’abolition de la peine de mort)  arrive au pouvoir, la gauche semble avoir changé. Le PSU des porteurs de valises est actif mais peu  nombreux, la nouvelle génération loin de 1962, la gauche est très fortement attachée à Israël (mais n’est-elle pas née en partie avec l’affaire Dreyfus et les luttes contre l’antisémitisme des années 30 ?). « Tonton » a pourtant reconnu en 1972 l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Yasser Arafat. En Afrique, le fameux « pré-carré », Foccard et les années noires du gaullisme ont été remplacés par Guy Penne, docteur et « maçon ». La realpolitik va primer. Le talent de Claude Cheysson au Quai d’Orsay (le conseiller diplomatique de Mendès France en 1956) et le cynisme de Mitterrand se heurtent à la réalité du monde. François Mitterrand devient le président français le plus interventionniste au Moyen-Orient.

En 1982, les Français interviennent au Liban encerclé par Israël et récupèrent via le « maître-espion » Rondot le chrétien Aoun, chef des phalanges chrétiennes, en douce et à la barbe des autre Levantins. Après l’attaque du Drakkar en 1983 par les services libanais (où 58 parachutistes français sont morts), Jean-Pierre Filiu rappelle dans un article concernant « la Politique de Mitterrand au Moyen-Orient » cette interview donnée au journal Libération dans laquelle le président déclare clairement: « Je ne peux pas signer — je m’y refuserai — la disparition de la France de la surface du globe en dehors de son pré carré.  » Les choses sont claires. Passons sur le cynisme absolu concernant les régimes en Perse et en Mésopotamie en matière de commerces d’armes… François Mitterrand engage aussi les troupes françaises avec les Américains lors de la guerre du Golfe contre l’Irak. Cassure à gauche avec son ministre des Armées Jean-Pierre Chevénement, les communistes et les pays du Maghreb. Grosse crise avec le monde arabe, la France est incomprise.

Machiavélique comme jamais, Mitterrand a également jouer le jeu très dangereux des islamistes. En 1979, il soutient l’ancien exilé d’Ile-de-France, l’Ayatollah Khomeiny, contre le shah d’Iran. Lors des années noires à Alger, il reçoit l’islamiste algérien Belhadj à l’Elysée, par la porte de secours, en pleine période de guerre civile en Algérie… Seuls les vieux « gaullistes » comme Pasqua font les yeux doux à Bouteflika et sa bande. Les démocrates algériens reprocheront longtemps au pouvoir socialiste un manque de soutien clair à leur égard, relançant l’éternel débat : Mitterrand était-il de gauche et ce même dans son rapport à l’Orient ?

Mais depuis, on navigue dans le brouillard. On va d’incompréhension en incompréhension. Qui se souvient par exemple des députés socialistes qui applaudirent les frappes sur Tripoli élaborées par ce couple si grotesque : Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy. Certes, François Hollande, qui effectua son stage d’énarque à Alger, a relancé les relations avec Bouteflika. Mais de mauvaises langues pensent qu’un Jospin président de la France serait intervenu avec Bush en Irak en 2003… Politique-fiction quand tu nous tiens.

Bien sûr, il y eut des divisions, des cassures, des ruptures, mais la gauche au pouvoir a très largement incompris ces régions, ô combien diverses mais pourtant si proches… Que d’actes manqués, d’incompréhensions, de déçus des deux côtés de la mer Méditerranée.

L’éclaircie Pierre Viénot

Un contre-exemple mérite quand même d’être cité et connu. Au milieu d’un désert de mirages, un visage plein d’espoir se dessine: celui de Pierre Viénot. Ce jeune lycéen, originaire de Picardie, s’est engagé volontairement comme artilleur dans la Somme où il a été blessé deux fois. Grâce à des rencontres après la guerre, il intègre le cabinet du maréchal Lyautey, régent tout-puissant du protectorat marocain. A côté du vieil homme qui le considère comme un fils, il va apprendre, loin des livres, toute la diversité de ce royaume millénaire. Il apprend à composer avec les différentes tribus berbères, les Arabes et à maintenir l’influence de la France sans pour autant casser les traditions locales. Monarchiste invétéré, opposant au colonialisme jacobin de Galliéni (dont il fut un proche) ou de Sérail, Lyautey va s’avérer un diplomate particulièrement fin et le rénovateur absolu de l’Etat marocain, le fameux Makhzen. Une leçon pour Pierre Viénot. Après l’échec du bureau franco-allemand où, plein d’idéalisme, il pensait assurer une paix pérenne entre les deux voisins, il devient député des Ardennes. Spécialiste des Affaires étrangères à l’Assemblée, ces avis sur l’Europe et l’avenir des colonies sont particulièrement écoutés à la Chambre. Quand arrive le Front populaire, cet homme appartenant au micro-parti « républicain-socialiste » est nommé sous-secrétaire aux Protectorats du Maghreb et aux Mandats du Proche-Orient.

Il avait appris auprès de Lyautey à se concerter avec les acteurs locaux, à ne pas les mépriser. Il a su s’entourer et a pris comme directeur de cabinet Pierre Bertaux et le brillant orientaliste, membre de la SFIO, Charles-André Jullien. Après avoir multiplié les voyages au Levant, il est parvenu à négocier,  à l’automne 1936, les traités accordant l’indépendance au Liban et à la Syrie. Ces traités ne sont pas ratifiés, en raison de l’hostilité du Sénat, mais ils serviront de base pour l’indépendance effective de ces pays, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre l’échec de « Blum-Viollette », la non-intervention en Espagne en faveur des Républicains et le début des divisions à gauche sur l’Allemagne, l’action de Viénot est un miracle pour la gauche. Au Maghreb, sa politique a visé à renforcer le droit des indigènes, provoquant la fureur des colons. Son discours à la radio tunisienne du 1er mars 1937 visant à renforcer les droits des Tunisiens lui a valu d’être considéré par les plus influents colons comme « l’Antéchrist » Charles-André Jullien. De cette période va naître une amitié profonde et durable avec le leader du « Néo-Destour », un certain Habib Bourguiba.

Et puis il y eut la chute du Front populaire, la guerre, l’aventure du Massilia, l’arrestation à Rabat, puis le procès de Clermont-Ferrand avec Mendès France et bien d’autres, son évasion, la création du mouvement Libération-Nord, dont il est un des leaders. Une seconde fois incarcéré, il s’évade à nouveau et rejoint Londres où il va devenir jusqu’à sa mort l’Ambassadeur spécial de la France Libre auprès des Anglais. Pierre Viénot va s’efforcer – au prix de d’une santé fragilisée par les affres de la Grande guerre – à maintenir une France totalement indépendante à la Libération. Une France administrée par le Gouvernement provisoire de la République Française et non par les troupes anglo-américaines. Il accompagne le Général de Gaulle à Bayeux durant l’été 1944. Mais succombe d’une crise cardiaque quelques semaines après le 20 juillet 1944.

Viénot et d’autres incarnent de manière plus minoritaire une gauche de gouvernement qui a su concilier le difficile compromis entre un patriotisme intransigeant et un universalisme sans compromission.

>> Retrouvez Cyril Garcia sur son blog « Un Uber pour Tobrouk »

Dominique Sanda: « Maria Schneider était vulnérable »

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Dominique Sanda sur le tournage de "Sans Mobile apparent" de Philippe Labro, 1970. SIPA. 00267261_000004

Vanessa Schneider consacre un livre à sa cousine, l’actrice Maria Schneider, dont le rôle dans le sulfureux film de Bernardo Bertolucci, Le dernier tango à Paris, la rendit célèbre et la détruisit en même temps. On ne retient du reste que ce rôle-là, alors que Maria a tourné dans de nombreux longs-métrages, notamment dans Profession : reporter,  de Michelangelo Antonioni. Elle y apparaît diaphane face à Jack Nicholson, toujours aussi inquiétant depuis Easy Rider. Comme l’écrit Vanessa Schneider, dans Tu t’appelais Maria Schneider, Profession : reporter parle de mensonge, d’identité, « de qui l’on est vraiment, de la tentation universelle de quitter sa vie pour une autre ».

Le rôle principal féminin dans Le dernier tango à Paris fut initialement proposé à Dominique Sanda. Aujourd’hui l’actrice ne tourne quasiment plus et s’est retirée en Argentine. « Le cinéma, dit-elle, c’est beau, mais la vie est encore plus belle. » Prix d’interprétation à Cannes en 1976 pour L’Héritage, de Mario Bolognini, avec le massif Anthony Quinn, elle débuta sa carrière dans le film de Robert Bresson, Une femme douce. Agée de seize ans à peine, elle avait été engagée pour sa voix que Bresson avait trouvée irrésistible au téléphone. Peu après, cette belle blonde aux yeux clairs, à la fois fragile et déterminée, partit pour l’Italie, où elle joua dans Le Conformiste de Bertolucci. J’ai demandé à Dominique Sanda pourquoi elle avait refusé de tourner dans Le dernier Tango à Paris. Voici sa réponse qui, naturellement, l’amena à évoquer la personnalité tourmentée de Maria Schneider :

« Après le film Le Conformiste, il était tout naturel d’envisager une autre histoire, un sujet pour un prochain film de Bernardo Bertolucci. C’est ainsi qu’au cours d’un dîner en tête à tête avec Bernardo à « La Méditerranée » place de l’Odéon, nous inventâmes ce qui deviendra par la suite le fameux Dernier tango à Paris.

Un huis-clos entre deux acteurs qui se connaissaient déjà : Jean-louis Trintignant et moi-même, l’histoire d’une passion. Un peu avant et dans cette même période, j’avais fait la connaissance de Maria Schneider et nous nous étions liées d’amitié. Maria rêvait de devenir une actrice et elle fréquentait d’ailleurs déjà Brigitte Bardot et Nathalie Delon dont elle me parlait volontiers. Un jour, Bernardo, de passage à Paris, fit une première rencontre de Maria chez moi, avenue de Tourville. Pendant tout ce temps, le projet du film continuait son bonhomme de chemin. 

J’aurais aimé que Maria ne souffre pas outre mesure de cette expérience

Un peu plus tard, je faisais la connaissance de Christian Marquand qui revenait des Etats-Unis désenchanté après l’échec de son film Candy. Ce furent d’ailleurs Jean-Louis Trintignant et sa femme Nadine Marquand, l’une des sœurs de Christian, qui me le présentèrent un soir au Club 13 chez Claude Lelouch.

J’allais justement signer un contrat avec President Films qui allait produire un film tiré d’un polar signé Ed Mc Bain, de son vrai nom Salvatore Lombino, Ten Plus One, qui s’intitula finalement Sans mobile apparent, mis en scène par Philippe Labro.

Nous partions pour le tournage à Nice dans ce beau midi où Christian et moi restâmes après le film pour habiter une petite maison prêtée par des cousins de la famille Marquand, dans les vignes de l’arrière pays.

Le scénario du Dernier tango à Paris fut envoyé aux acteurs. Et là, tout se compliqua : Jean-Louis ne fut pas d’accord pour accepter de tourner des scènes intimes, il trouvait que l’histoire était trop érotique. Déconcerté, dérouté, Bernardo s’adressa alors à Marlon Brando qui accepta. Quand Bernardo revint vers moi avec cette nouvelle, j’en avais une très importante à lui communiquer : j’étais enceinte de mon fils Yann. C’est alors que Bernardo, fort d’avoir captivé une immense vedette pour son personnage masculin, pris la décision d’avancer sans attendre. Une façon pour moi de tirer mon épingle du jeu.

Bernardo se rappela de la petite Maria qu’il avait croisée chez moi. J’aurais aimé que Maria ne souffre pas outre mesure de cette expérience, qu’elle trouve la force en elle-même de ne pas se faire abuser par le monde du sexe opposé.

Devant la faiblesse, il est sage d’agir avec précaution

L’affaire était délicate et Maria vulnérable, animée de forces opposées, se sentit trahie, abusée, pendant le tournage en particulier avec cette scène du beurre et perdit son équilibre. Personne pour la sauver d’elle même, cette jeune femme fragilisée au départ de sa vie par le manque d’une reconnaissance paternelle. Seule. La solitude qu’on porte tous. Certains savent l’apprivoiser et d’autres s’écroulent. Ce fut son cas. 

Devant la faiblesse, il est sage d’agir avec précaution, avec subtilité et surtout avec tendresse. J’insiste, Maria était vulnérable. Qui s’approchait d’elle pouvait le percevoir à simple vue. C’est la conscience de chacun qui dicte la conduite à suivre vis à vis d’un être fragile. Car notre vraie solitude est finalement notre propre conscience. C’est là que nous sommes totalement nous-même. »

Tu t'appelais Maria Schneider

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Marsault, BHL, Onfray, etc.

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