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Marine, candidate !

L’expression enrage les progressistes mais le traitement infligé par la Justice à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen prouve que le gouvernement des juges est une réalité. S’appuyant sur une interprétation extensive de la loi, des magistrats prétendent mieux savoir que nous pour qui il ne faut pas voter. Sans susciter de grande protestation de l’opinion. Quand la punition de quelques-uns permet de rééduquer tout un peuple.


Ils n’oseront pas. Beaucoup d’observateurs, dont votre servante, s’étaient persuadés que les juges refuseraient de mettre les pieds dans le plat présidentiel et s’abstiendraient sagement d’assortir une éventuelle peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire. C’était trop gros, le peuple n’accepterait pas. Erreur sur toute la ligne. Les juges ont osé et le peuple n’a pas moufté.

L’erreur Système des dévots de l’État de droit

Un tribunal de première instance a décidé, au nom du peuple français, que la patronne du premier parti de France (dont l’avocat répond à nos questions, page 54 de notre magazine) serait interdite de compétition présidentielle. Un autre pourrait, dans quelques mois, envoyer en prison un ancien président de la République, déjà placé sous bracelet électronique par le jugement ignominieux de l’affaire dite Bismuth. Rappelons ce qui est alors reproché à Nicolas Sarkozy : dans le cours de ses conversations avec son avocat et ami (espionnées par la justice avec la bénédiction de la Cour de cassation !), il aurait envisagé de pistonner un magistrat en échange d’informations. Le piston n’a jamais été activé, le poste jamais sollicité, les informations jamais données mais peu importe, trois niveaux de juridiction ont validé la fable d’un pacte de corruption. Orwell, reviens ! En France, on peut être condamné pour des propos privés n’ayant jamais été suivis de la moindre exécution. Je crois bien avoir dit hier à quelqu’un que j’avais envie d’étrangler je ne sais plus quelle bécasse féministe, ça vaut combien ?

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« La loi est la même pour tous », psalmodient les dévots de l’État de droit à chaque fois qu’un juge requiert ou prononce une peine particulièrement sévère à l’encontre d’un politique. Comme si le droit n’était pas une production humaine imparfaite et contestable mais une vérité révélée que des évangélistes en robe sont chargés de répandre. En réalité, la Justice respecte scrupuleusement les droits des délinquants sous OQTF, droits comprenant un nombre délirant de recours sans oublier le droit à une vie familiale normale (dont il ne fallait pas, par exemple, priver Hassan Iquioussen, imam homophobe, antisémite et apologue du terrorisme islamiste, dont l’expulsion a été suspendue en 2022 par le tribunal administratif) ; mais dans l’affaire du financement libyen présumé, elle stigmatise le cynisme de Nicolas Sarkozy, dénonce son « ambition dévorante » et et demande, qu’en plus de l’incarcération, il soit déchu de ses droits parentaux. Au point que notre cher Alain Finkielkraut parle de « réquisitoires haineux proférés la bave aux lèvres » (pages 42 du magazine). Au risque de me répéter, j’ai peur de la justice de mon pays. Et j’ai raison d’avoir peur.

La preuve du gouvernement des juges, c’est qu’il gouverne et qu’il juge. Les magistrats devraient se faire petits face au suffrage universel et ne l’affronter que dans les grandes occasions, par exemple quand une assemblée élue accorde les pleins pouvoirs à un vieux croûton autoritaire – mais là pas de chance, ils avaient tous piscine. (En revanche, un an plus tard, le 19 août 1941, à Royat, la totalité du Conseil d’État jure comme un seul homme « fidélité à la personne du chef de l’État »).

Manipulation de la jurisprudence

Or, depuis plusieurs années, comme le montre Pierre-Henri Tavoillot (pages 50 du magazine), les juges ne se contentent pas d’appliquer la loi, ils se sont octroyé une telle marge d’interprétation qu’ils peuvent l’adapter à leur sauce idéologique ou à leur inquiétant désir de pureté. Dans Le Monde du 12 avril, l’inaltérable Pierre Rosanvallon, par ailleurs grand chantre de la démocratie horizontale, prétend que « les juges incarnent autant que les élus le principe démocratique de la souveraineté du peuple ». Ce n’était pas l’avis du Général et de Michel Debré, qui leur ont concédé une autorité face aux pouvoirs issus des urnes. L’avocat Hervé Lehman réplique dans Le Figaro : cette théorie, écrit-il, « a pour objet de permettre aux juges de limiter les initiatives du Parlement considérées comme populistes, comme celles qui voudraient limiter les flux migratoires. On comprend aussi que, puisque les juges sont plus progressistes en moyenne que les électeurs, la légitimité nouvelle donnée aux juges permet de contrebalancer le suffrage universel lorsque le peuple vote mal. 1» On ne dira pas que les gens de robe n’aiment pas le peuple. Au contraire, ils l’aiment tellement qu’ils veulent ce qui est bon pour lui. Une partie de la magistrature considère en conséquence qu’elle a reçu mandat pour faire barrage à l’extrême droite.

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Cette hubris justicière a profité du stupéfiant autodessaisissement consenti et même désiré par les élus, toutes couleurs confondues, qui a abouti, comme l’observe Henri Guaino, à « l’extension indéfinie du domaine du droit, du droit pénal en particulier2 ». Les juges disposent d’une flopée de lois pour améliorer la moralité, la transparence, la confiance qui leur permettent de placer les élus sous étroite surveillance. « Le gouvernement des juges, résume l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, c’est quand la responsabilité pénale dévore la responsabilité politique, abolit la séparation des pouvoirs et que l’interprétation de la loi va si loin que c’est le juge qui fait la loi. » De sorte qu’un juge peut désormais sommer le gouvernement de tenir ses engagements en matière climatique, sous peine de sanction financière. Un autre peut condamner Éric Zemmour pour des propos sur Pétain lors d’un débat sur CNews alors qu’il n’a jamais nié ou minimisé les déportations ordonnées par le régime de Vichy. On ne résumera pas ici le raisonnement alambiqué de la Cour de cassation (voir l’article de Jean-Baptiste Roques, page suivante), mais rappelons qu’il a fallu pas moins de quatre audiences pour parvenir à ce résultat qui pourrait encore être cassé. Alors qu’on pleure rituellement la grande misère de la Justice, des magistrats ont planché des centaines d’heures sur une question qui relève du débat historiographique. Historiens, arbitres des élégances morales, garants des engagements politiques : espérons qu’en plus, nos juges font le café.

Sidérante inversion

Si les innombrables manifestations pratiques du gouvernement des juges ne suffisent pas aux sceptiques, il existe une preuve quasi théologique de son existence : c’est la fureur que sa seule évocation déclenche chez les progressistes. Comme l’islamo-gauchisme, le wokisme et le grand remplacement, le gouvernement des juges est un « fantasme d’extrême droite », puisque son existence contrevient au récit canonique du camp du Bien. Dans la foulée du jugement Le Pen, on assiste à une sidérante inversion. Le scandale, ou à tout le moins le trouble démocratique, ne naît pas de la déflagration politique créée par la décision, mais du fait que les prévenus (et pas seulement eux) osent la contester en organisant le 6 avril un meeting à Paris, place Vauban, dûment déclaré aux autorités et sans qu’un mot factieux ni haineux y soit prononcé. La presse de gauche, fort indisposée par les critiques de la Justice quand elles viennent de la droite, sonne le tocsin. Elle entend des bruits de bottes, sent un parfum de Capitole, voire de 6 février 1934. Dans un éditorial intitulé « La tentation trumpiste de Marine Le Pen », Le Monde dénonce une « démarche de nature populiste qui vise à alimenter le ressentiment, à décrédibiliser l’institution judiciaire, à ébranler l’État de droit. » Quelques milliers de mécontents bien élevés font trembler la République. « Insinuer que les juges prendraient leurs décisions en fonction de leurs préférences ou de leurs convictions personnelles revient à remettre en cause la légitimité démocratique de l’application de la loi elle-même », ose la présidente du Syndicat de la magistrature. Il faut croire que, comme les papes, les juges bénéficient de l’infaillibilité.

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En dépit des innombrables garde-fous procéduraux et autres colifichets juridiques censés garantir une justice impartiale, primo des juges peuvent prendre des décisions parfaitement arbitraires relevant d’une interprétation abusive de la loi, interprétation qui a de grandes chances d’être validée par les collègues de l’étage du dessus, et que deuxio, certains confondent droit et morale. Quand un tribunal de première instance décide que la partie la plus symbolique et la plus politique de sa décision (l’inéligibilité) ne doit pas être susceptible de recours, il y a sans doute une part d’égo – moi aussi je peux peser sur les événements –, mais aussi l’outrecuidante volonté de rééduquer le populo. Rappelons aux magistrats que leur boulot, c’est la légalité, pas la légitimité.

On voit mal pourquoi les juges s’autolimiteraient dès lors que leurs sorties de route ne suscitent que de vagues protestations. Pas de convergences des luttes en vue. C’est pourtant la même France des périphéries mentales et économiques qui subit de toutes parts remontrances et leçons de maintien. On a fermé sa télévision préférée (C8), on empêche sa candidate, on la prie de tenir sa guimbarde puante loin des centres-villes. Nul n’incarne mieux la sécession des élites annoncée il y a quarante ans par Christopher Lasch que cette ministre Marie-Chantal déclarant sans rire « les pauvres n’ont pas de voiture » (qu’ils mangent des brioches). Pire que du mépris, c’est de l’ignorance. On ne les voit plus et on s’en porte très bien. Il est peu probable que les multi-dépossédés se lancent encore dans une jacquerie sans espoir. Le risque est plutôt une contre-sécession silencieuse, le sentiment ravageur que tout ça ne nous concerne plus.

Il paraît que quand le juge décide, c’est la loi qui parle. La loi a parlé et Marine Le Pen sera probablement exclue de la présidentielle. Si on voulait dire à la France qui fume des clopes et roule au diésel qu’il y a un Système et que ce Système ne veut pas d’elle, c’est réussi.


  1. « L’État de droit n’est pas la cogestion de la démocratie par le Parlement et les juges », Hervé Lehman, Le Figaro, 15 avril 2025. ↩︎
  2. Henri Guaino, « En cédant à la tentation du gouvernement des juges, les magistrats préparent leur propre destitution », Le Figaro, 5 avril 2025. ↩︎

Des hooligans de Bruges s’attaquent à des habitants de Molenbeek et provoquent une guerre des tranchées

Multiculturalisme belge. Dimanche dernier, après la violente descente de hooligans brugeois dans la ville de Molenbeek, des jeunes ont cherché à se venger sur les supporters.


Depuis des mois, Bruxelles est sens dessus dessous : les fusillades se multiplient ; l’antisémitisme gagne du terrain en même temps que l’islamisme ; les partis politiques sont incapables de former un gouvernement ; les plans de mobilité paralysent la ville… Mais il a fallu qu’une centaine de hooligans venus de Bruges débarquent à Molenbeek pour sortir le monde politico-médiatique de sa léthargie. Et pour cause : la horde sauvage a pris pour cible des « locaux » (comprenez : des allochtones), de quoi activer tous les réflexes pavloviens de l’antiracisme.

Parallèles farfelus

Dimanche dernier, les deux plus grands clubs belges s’affrontaient en finale de la Coupe de Belgique de football : le Sporting d’Anderlecht et le Club brugeois. Le noyau dur de ce dernier est ouvertement nationaliste ou, pour reprendre les termes empruntés à la doxa dominante, d’extrême droite. Sur le chemin qui le menait au stade, il a fait un détour par la commune rendue célèbre par les attentats de Bruxelles et de Paris pour en découdre. Si le bilan est léger (un peu de faïence et un ou deux hématomes), il n’est en rien excusable. Pour le coup, les habitants de Molenbeek n’avaient rien demandé et sont des victimes.

A lire aussi, du même auteur: La une du « Figaro Magazine » et les islamo-énamourés du Belgiquistan

Mais parlons de la récupération politique qui est quant à elle grand-guignolesque. Tout y est déjà passé : les parallélismes farfelus (« nuit de cristal », « heures sombres de l’histoire »…), les insultes envers des Brugeois déshumanisés (traités de « vermine » par le socialiste Ridouane Chahid ou, plus généralement, de racailles), la généralisation au point que tous les sympathisants du club de la Venise du Nord sont assimilés depuis dimanche à d’odieux racistes : le « pas d’amalgame » ne fonctionne pas pour eux. C’est à peine s’il ne fut pas demandé de les traduire devant la Cour pénale internationale pour génocide ou de raser leur très jolie ville du nord du pays.

Riposte disproportionnée

Les médias ne parlent (presque) plus que de cela et appellent à la rescousse le ban et l’arrière-ban du monde universitaire. Ainsi en est-il du sociologue du sport Jean-Michel De Waele, moqué jusque dans sa propre université pour faire de son cours un espace digne du café du commerce, qui dénonce, de façon plus générale le racisme dans le monde du football à coups d’arguments spécieux : « Le football est lié à la culture de la bière qui fait que certaines populations musulmanes sont moins intégrées. » (Oui, ces propos ont réellement été tenus !) Est-il tellement hors sol au point de ne pas constater que le ballon rond est gangréné par l’islamisme et qu’un nombre grandissant de parents de « petits blancs » préfèrent inscrire leur progéniture dans d’autres sports ? Le racisme le plus répandu dans le football est bien celui qui touche les blancs. Surtout, les incidents ont donné lieu à des ripostes de la part des « jeunes » bruxellois. Bien sûr, tout le monde a compris de quels « jeunes » il s’agit, mais la balle (et il ne s’agissait pas d’une balle de foot) reçue dans la jambe par un supporter brugeois, les passages à tabac de toute personne portant du bleu et du noir – couleurs du club – et les émeutes dans Bruxelles le lendemain ne devaient sans doute être qu’une « riposte proportionnée à l’acte le plus odieux jamais commis dans la capitale belge ». Retour à la normale donc. Pendant que la gauche était contente de se trouver une raison de s’indigner, les supporters de Bruges sont quant à eux retournés dans leur ville pour fêter la victoire acquise face au rival anderlechtois. 

Cuisine et dépendances (littéraires)

Jacques Henric publie son journal, riche notamment de ses vacheries sur ses petits camarades.


Jacques Henric publie son journal (1971-2015) qui devrait être un événement littéraire tant il jette un éclairage cru sur les coulisses du monde germanopratin où les écrivains et clercs ne cessent de se tirer dans les pattes, de se faire des courbettes et de jouer les Ravaillac une fois le dos tourné. Le titre, Les Profanateurs, est du reste bien choisi. La destruction y est permanente ; l’amitié quasi inexistante ; la loyauté interdite. Je dis « devrait » car au fond aujourd’hui tout le monde s’en fout comme me l’a dit, avec une pointe d’amertume, Richard Millet. La littérature n’intéresse plus personne, à fortiori sa cuisine et ses dépendances. Il faut donc prendre ce témoignage précis comme un témoignage historique qui servira, pour les générations futures, à comprendre les laboratoires avant-gardistes, comme la revue Tel Quel, puis celle de L’Infini, orchestré par le bondissant Philippe Sollers, omniprésent dans ce journal, et présenté sous un jour parfois peu aimable, avec quelques anecdotes dérangeantes, d’autant plus que l’écrivain n’est plus en mesure de se manifester autrement qu’en faisant tourner les tables et en catapultant les verres sur la tête de l’indélicat, ce qui n’était pas l’exercice préféré de l’auteur de Femmes. Quelques revues disparues, sauf Art Press, toujours chic et choc, avec à sa tête Catherine Millet, compagne de Jacques Henric.

Manœuvres

Né en 1938, romancier, essayiste, auteur d’une autobiographie remarquée, Politique (2017), Henric fait revivre la France intellectuelle des années post-soixante-huitardes, dominée par les querelles entre communistes, maoïstes, réacs réactivés par Alain de Benoist, Philippe Muray et quelques écrivains nostalgiques de ce que Sollers appellera « La France moisie », en 1999. Henric rappelle la joie réelle de l’écrivain en voyant le déchainement provoqué par sa formule. Au-delà des guerres intestines menées par des acteurs dont on a pour la plupart oublié les noms, on voit s’agiter Bernard-Henri Lévy pour défendre son film Le jour et la nuit, avec un Delon complètement paumé, qui fait un bide ; on apprend que le stalinien André Stil empêche au même BHL d’obtenir le prix Goncourt ; on apprend que certains écrivains – je vous laisse les découvrir –, malgré les camps d’extermination, continuent de tenir des propos antisémites, etc. Henric rappelle également le passé d’extrême-droite de Maurice Blanchot, les errements idéologiques de Duras qui met sur le même plan un jeune communiste et un jeune milicien, dénonciateur de Juifs, ou encore les manœuvres d’un certain Jean-Edern Hallier pour créer un repaire de rouges-bruns avec le journal L’Idiot international, sans oublier la personnalité pour le moins ambiguë de Milan Kundera. Bref, de la tambouille dont il ne reste rien aujourd’hui. Henric apporte une réponse à cette médiocrité très éloignée des ambitions littéraires : tout ce joli monde n’a pas connu la guerre, la trouille des maquis canardés par les SS, la mort du copain fusillé contre le mur d’un village. Ça faisait des écrivains de la trempe de Malraux. Là, on assiste à un défilé d’ombres sans armée. Et peu méritent qu’on les considère comme des écrivains. Mais comme le dit Sollers, qui avait forcé sur le whisky ce soir-là : « La qualité littéraire des textes, on s’en fout, seul compte le sexe. »

A lire ensuite: Je vais bien, mais je me soigne

On sent parfois poindre le bouillant tempérament de Jacques Henric. Ainsi quand ses camarades communistes lui demandent de voter Mitterrand en 1981, il répond : « Qu’ils aillent se faire voir ailleurs. Mitterrand, pour nous, c’est Vichy, le copinage avec l’infâme Bousquet, et pour ma génération la guerre d’Algérie, Mitterrand faisant actionner la guillotine… »

À propos de Philippe Muray, désormais auteur réac culte, Henric lâche ses coups : « Reçu le roman de Muray. Quel pavé ! 700 pages bien tassées. Du sous Céline. Comment ce formidable lecteur de Céline en est-il arrivé là ? C’est écrit comme il écrit pour son gagne-pain des polars destinés à la collection ‘’Brigade mondaine’’. Terrible contagion. Il reprend les mêmes thèmes que dans ses pamphlets, mais délayés. » Il ajoute : « Et le titre de ce nouveau livre, bien prophétique : On ferme. »

Belles pages sur Catherine Millet 

On sourit quand Henric décrit les clones de Sollers, qu’il a lui-même créés, faire leur numéro de séduction devant le « maître » lors de cocktails ; on éprouve un peu de pitié quand il raconte les dîners où Houellebecq finit par s’endormir dans son assiette. Mais bon, c’est Houellebecq, le vendeur de nihilisme au kilo. Heureusement que d’authentiques écrivains émergent de ce flot envahi de coquilles vides : Bataille, Artaud, Guyotat, Leiris… Sollers tangue pas mal, mais il ne tombe pas grâce à son intelligence.

Il y a de très belles pages consacrées à la femme d’Henric. Il en fait un portrait intime assez éloigné de la personnalité qu’on connaît en lisant son best-seller, La Vie sexuelle de Catherine M, un phénomène éditorial, car c’était « du document », même si Julia Kristeva descendit le livre : « (…) en Occident cette exhibition est l’équivalent de la situation qui est faite aux femmes en Afghanistan… » Rien que ça.

Avant de conclure cet article sur Les Profanateurs, journal qui sauve une époque où la liberté d’expression restait préservée, ce qui n’est pas rien au regard de la nôtre éprise de totalitarisme, ces quelques phrases de Jacques Henric à propos de Catherine Millet : « ‘’Apporte-moi la paix », me répète-t-elle. Que j’aimerais la tenir dans mes bras, calmer son angoisse, la rassurer, lui dire que tout va bien, combien je l’aime. »

Jacques Henric, Les Profanateurs, journal (1971-2015), Plon. 544 pages

Droits de douane américains dans le cinéma: une décision insensée?

Et si Hollywood se tirait une balle dans le pied ? Analyse.


Popcorn salé. L’annonce par Donald Trump de futurs droits de douane de 100 % sur les films non produits aux États-Unis a pu apparaître comme insensée et même contre-productive dans la mesure où la production mondiale est largement dominée par Hollywood.

Si le cinéma est créé en France par les frères Lumière et que les premiers studios et grandes compagnies cinématographiques sont européens, dès le début du XXe siècle les États-Unis ont mené avec succès une politique offensive de domination tant économique que culturelle sur cette industrie et sur cet art.

Soft power américain

Dans un pas de deux culturel et économique, l’influence nord américaine a toujours pris en compte le cinéma et l’audiovisuel dans sa politique expansionniste économique globale.

Le président américain Herbert Clark Hoover déclarait ainsi déjà dans les années 30 : « Là où le film américain pénètre, nous vendons davantage d’automobiles américaines ».

Toute l’économie états-unienne a été portée par la diffusion cinématographique et télévisuelle de l’American way of life, et l’industrie audiovisuelle s’est octroyé une position dominante unique.

Si beaucoup de films ont toujours été et sont encore produits en Europe, en Inde, au Nigeria… Ce sont des marchés intérieurs forts mais qui peinent à exporter, car ce sont de loin les films américains qui rapportent le plus avec un quart des revenus mondiaux, et qui seuls s’exportent partout dans le monde avec notamment trois quarts des entrées en salle dans la plupart des pays occidentaux.

La domination est donc très confortable, mais là où Donald Trump a finalement raison, c’est que de plus en plus de tournages de films américains se font en dehors du territoire des États-Unis : plus de la moitié…

Les produits finis de l’industrie hollywoodienne, que cela soit les films ou les séries télévisées, écrasent toujours le marché mondial, mais leur conception en amont est souvent extra-nationale.

C’est finalement comme pour d’autres produits manufacturés, par exemple un IPhone : bien entendu il s’agit d’un produit américain qui va rapporter à la firme Apple, mais sa conception se fait essentiellement dans des ateliers d’Asie.

Cette délocalisation industrielle à échelle du produit culturel qu’est le film ou une série n’est pas anodine. L’accueil de tournages est une économie en soi.

Les Länder allemands ont très tôt théorisé sur le système de  « wirtschaftseffekt », soit des retombées économiques locales, repris par de nombreuses régions européennes et dans le reste du monde.

La réalisation d’un film doit ainsi permettre de revigorer et de doper l’économie locale avec notamment les dépenses pour les emplois techniques et des figurants, les logements, la restauration, les artisans…

Sans oublier un intérêt très important en matière d’image pour le territoire accueillant le tournage et surtout pour son développement touristique.

Imaginaires

Cette préoccupation des retombées économiques locales est en lien avec la politique d’aide publique du cinéma en Europe, particulièrement en France, fer de lance de la fameuse « Exception culturelle ». Si ce terme a été abandonné et remplacé par la « Diversité culturelle », il témoigne toujours du combat français, puis européen et désormais international, de financement public du cinéma au nom de la résistance à un impérialisme hollywoodien.

Au-delà de la considération strictement économique, l’aspect social de cette domination sans partage dans le cinéma et dans les images par les États-Unis est important.

En effet, l’imposition d’un imaginaire unique est dangereuse, car privant toutes les autres nations d’une représentation de soi. C’était l’objectif premier et louable de la « Diversité culturelle », mais qui peut apparaître comme un masque pour défendre des intérêts mercantiles…

Ainsi, dans la logique de Donald Trump, il est évident que l’accueil des tournages en dehors de son pays est un manque à gagner.

Son combat est finalement dans la suite de celle des majors hollywoodiennes contre le financement public du cinéma par les autres pays.

Les États européens ont subventionné leurs industries cinématographiques, souvent – comme en France – par une taxe sur les billets d’entrée (donc principalement sur des films américains !), et accueillent désormais de plus en plus de tournages de films américains en empochant ainsi les retombées économiques…

Vu sous cet angle, et d’un point de vue strictement états-unien, la déclaration de Donald Trump n’est finalement donc pas insensée du tout et correspond totalement à sa politique protectionniste.

De plus, il est improbable qu’à la manière de ce qui se fait dans d’autres secteurs, une riposte se mette en place. Qui peut croire en un boycott des productions américaines alors qu’elles sont les plus appréciées et même pire le seul dénominateur culturel commun des autres Occidentaux ?

Hollywood doit en revanche se méfier des droits de douane dans le cinéma voulus par Donald Trump qui peuvent sembler aller dans les intérêts financiers d’une nation dans sa fièvre protectionniste, mais qui compliqueraient sa tâche économique (les États-Unis ont besoin des facilités de tournage à l’extérieur de son territoire) et pourraient surtout lui faire perdre de vue une de ses plus grandes forces, celle d’avoir toujours su assimiler voire absorber l’influence et les cultures du reste du monde.

En effet, l’apport des créateurs étrangers dans l’industrie cinématographique américaine a toujours permis à Hollywood de se réinventer et de savoir raconter des histoires parlant au monde entier, et non seulement au nombril de l’Amérique.

Hollywood a su ainsi, répondre favorablement aux craintes liées à la « Diversité culturelle » tout en restant la seule industrie du secteur capable de s’exporter.

Un repli sur soi ne peut à long terme que lui faire perdre son influence mondiale unique et surtout (ce qui est certainement le plus important pour Hollywood) ses dollars…

Mélenchon et la tentation théocratique

À la suite du meurtre affreux d’Aboubakar Cissé dans une mosquée, le chef de l’extrême gauche s’est livré à une surenchère islamo-gauchiste. Alors que le terme « islamophobie » était auparavant rejeté par la gauche laïque, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon le revendique désormais à tout bout de champ.


Depuis plusieurs jours, le meurtre sauvage et absurde d’Aboubakar Cissé dans une mosquée de La Grand-Combe est utilisé sans vergogne pour attaquer « l’islamophobie », ce mot fourre-tout servant on le sait à stigmatiser quiconque critique la religion musulmane, ses valeurs et ses prescriptions, de Salman Rushdie à Mila en passant par Charlie Hebdo et Samuel Paty.

Islamo-gauchisme, 100% pur jus

C’est dans ce contexte d’instrumentalisation éhontée d’une émotion légitime, que Jean-Luc Mélenchon, le 29 avril sur BFMTV, a déclaré suite à une discussion au sujet du hijab : « Une amie m’a dit qu’elle ne s’abaissait devant aucun homme mais devant Dieu. Si vous voulez aller discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit, vous y allez, moi j’ai décidé que ça servait à rien. »

Pour un peu, et toutes proportions gardées, on croirait entendre Voltaire : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » mais Mélenchon tire de son observation une conclusion radicalement contraire à celle du philosophe des Lumières.

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Là où Voltaire voulait « écraser l’infâme », le tribun de LFI appelle l’État à se soumettre devant un ordre soi-disant divin. Certes, entre porter un hijab et égorger quelqu’un, il y a un monde ! Mais que l’État accepte ne serait-ce que sur un point, fut-il en apparence anodin, que l’ordre d’un dieu serait indiscutable, que l’État considère ne serait-ce qu’une fois que « Dieu me l’a ordonné donc j’ai le droit » est un argument recevable, et c’est la reconnaissance de principe de la théocratie.

Plus encore. Les ordres du « dieu » de l’islam, ce n’est pas seulement le hijab, ce n’est pas seulement « un bout de tissu » (en réalité un étendard), c’est toute la charia. La suite logique de la prise de position de Mélenchon (dont on notera au passage qu’il entérine implicitement l’idée qu’Allah est Dieu) c’est le projet politique que la CEDH a condamné le 13 février 2003 dans l’arrêt « Refah partisi c. Turquie », en reconnaissant « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie » :

« La Cour (la CEDH) partage l’analyse effectuée par la chambre (de la Cour constitutionnelle de Turquie) quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention :

À l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. (….) Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. (….) Selon la Cour, un parti politique dont l’action semble viser l’instauration de la charia dans un État partie à la Convention peut difficilement passer pour une association conforme à l’idéal démocratique sous-jacent à l’ensemble de la Convention. »

Positions dangereuses

La puissance réelle ou supposée, fut-elle surnaturelle, ne légitime pas l’arbitraire. En France, seul le débat démocratique, en ce qu’il tend vers le bien commun et l’intérêt de la nation, et qu’il exprime la volonté du seul souverain, le peuple français, le demos, est source de légitimité.

Alors en effet, l’Etat n’a pas à « discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit. » L’État n’a pas à discuter ces ordres, parce qu’il n’a pas besoin d’en discuter pour les balayer d’un revers de la main. L’État a pour rôle de n’accorder aucune valeur à la prétendue origine « divine » d’une prescription religieuse, et de la traiter comme il traiterait n’importe quelle conviction, proposition ou revendication militante. Ni plus, ni moins. Et dans le cas d’une idéologie comme la charia, incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie et contraire aux exigences morales les plus élémentaires, l’État a l’obligation de s’opposer à toute velléité d’en faire une norme reconnue, et devrait même idéalement en interdire l’apologie.

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Le sujet est d’autant plus grave que Jean-Luc Mélenchon n’est semble-t-il pas seul à tenir sur ce point des positions dangereuses – et pas uniquement parce que scrutin après scrutin il est systématiquement soutenu par la totalité du « Front républicain contre le RN. » Il y a quelques jours, le maire de Marseille, le socialiste Benoît Payan, clôturant une longue séance de débats municipaux, a déclaré qu’il « ferait condamner » les propos racistes et anti-musulmans, mais a surtout précisé : « là ce que vous venez de dire sur la charia, par exemple, c’est un délit. » On se gardera naturellement de tout jugement définitif sans savoir quels propos exacts étaient ainsi visés (dans la vidéo des débats, la charia ne semble pas avoir été évoquée avant ce moment, il s’agit donc sans doute de paroles hors micro). Notons tout de même que Benoît Payan n’a pas parlé de « ce que vous venez de dire sur nos concitoyens d’origine maghrébine » ni de « ce que vous venez de dire sur les musulmans », mais bien de « ce que vous venez de dire sur la charia. » Encore une fois, il serait bon de savoir à quoi exactement réagissait l’élu. Mais dans tous les cas, il est pour le moins gênant que le maire d’une des plus grandes villes de France puisse ainsi donner l’impression de s’opposer à la critique, fut-elle virulente, d’une idéologie dont même la CEDH a reconnu qu’elle est « incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. »

« L’époque impose de rappeler que toute croyance, toute conviction, toute idéologie est critiquable. Alors rappelons-le. Nous pouvons critiquer n’importe quelle croyance, n’importe quelle conviction, n’importe quelle idéologie. Nous le pouvons, et même nous le devons. C’est vrai des théories scientifiques, c’est vrai des idées politiques, c’est vrai des religions, et la susceptibilité exacerbée de certains croyants d’hier et d’aujourd’hui ne rend pas leurs croyances intouchables, qu’il s’agisse de croyances scientifiques, politiques ou religieuses.

Rappelons également, pour faire bonne mesure, qu’aucun croyant ne saurait être réduit à telle ou telle de ses croyances. Que quelqu’un peut se considérer comme appartenant à une école de pensée, un parti politique ou une religion même sans adhérer à tous ses préceptes. Et que personne, fort heureusement, ne se résume à une telle appartenance. Condamner une croyance, ce n’est donc pas condamner les croyants. Cas extrême, la religion de l’ancien empire aztèque était une monstruosité, mais tous les Aztèques n’étaient pas des monstres. Pour autant, se souvenir que tous les Aztèques n’étaient pas des monstres ne doit pas empêcher de dire l’évidence : leur religion était une monstruosité. Parfois, encourager un croyant à apostasier est la plus belle marque de respect que l’on puisse avoir envers lui. Parfois, lorsque ce en quoi il croit n’est pas seulement faux, mais déshumanisant, le lui dire clairement et lui montrer qu’il vaut mieux qu’une telle idéologie, est la meilleure manière — peut-être même la seule — de reconnaître pleinement son humanité. » (Aurélien Marq, La possibilité de Dieu).

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Léon XIV: quelle sacrée surprise !

Le 8 mai 2025, le cardinal américain Robert Francis Prevost a été élu pape. Il est le premier issu de l’Ordre de Saint-Augustin


Le 8 mai 2025, le cardinal américain Robert Francis Prevost a été élu pape, devenant ainsi le 267ᵉ souverain pontife sous le nom de Léon XIV. Originaire de Chicago et âgé de 69 ans, il est le premier pape né aux États-Unis.

Lors de sa première apparition au balcon de la basilique Saint-Pierre, Léon XIV a salué la foule par un « Que la paix soit avec vous ! » et a lancé un appel à la paix adressé « à tous les peuples », soulignant l’importance de « construire des ponts par le dialogue » et d’avancer « sans peur, unis, main dans la main avec Dieu et entre nous ». Il a également rendu hommage à son prédécesseur, le pape François, en remerciant pour son œuvre et en exprimant sa gratitude envers les cardinaux qui l’ont élu. Ce vendredi, Léon XIV célèbre sa première messe en tant que pape dans la chapelle Sixtine, marquant le début de son pontificat.


Membre de l’ordre de saint Augustin, Léon XIV est devenu, après quatre scrutins et 24 heures de conclave, le nouveau pape des catholiques. Personne n’attendait ce cardinal américain qui, âgé de 69 ans, aura, je l’espère, un long pontificat.

Je me suis totalement trompé, comme tant d’autres, parce que face à cette fumée blanche si rapidement intervenue, j’imaginais qu’un consensus avait distingué l’un des favoris, le cardinal Parolin.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Fumée blanche et idées noires

Il faudra patienter quelque temps pour savoir dans quelle lignée s’inscrit ce nouveau pape même si on comprend que sa filiation revendiquée ne l’éloignera pas beaucoup des vertus de pauvreté et de charité prônées par le pape auquel il succède.

Quelle allure, quelle dignité, quel splendide et solennel rituel que celui qui a présidé à l’élection du cardinal Prevost. Tous ces cardinaux dans un huis clos qui n’est pas retrait du monde mais volonté d’offrir à celui-ci le meilleur choix possible ont donné de l’Église catholique et du catholicisme tellement décrié – trop souvent sans réaction de sa part -, une image magnifique. Une superbe illustration pour une institution dont la durée et la constance dans l’expression d’un absolu – qui résiste heureusement aux modernités qui le rendraient vulgairement relatif – sont admirées bien au-delà des croyants.

Songeant à cette chambre des pleurs où le nouveau pape se recueille face à lui-même, prenant la mesure de l’immense charge et sauvegarde d’âmes qui seront les siennes, j’ai fait un rêve mêlant le profane et le sacré.

Si nos présidents de la République, venant d’être élus, avaient l’obligation de se livrer à cette pratique, sortis de la folie et de l’enthousiasme populaire, je ne doute pas qu’ils en tireraient profit.

Et que nous aurions à notre tête des responsables d’abord conscients de leurs devoirs et pour lesquels la morale et l’urbanité démocratique ne seraient pas de vains mots.

Édouard Philippe ou le Messie

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L’ancien Premier ministre caracole dans les sondages – il battrait n’importe quel candidat RN en 2027. Mais, qui se souvient de son bilan à Matignon ? Puisque personne ne se pose la question, il est pour beaucoup l’homme providentiel.


Les sociaux-libéraux ont eu raison du Rassemblement national ; n’en doutez pas, la condamnation de Marine Le Pen sera confirmée en appel ; un candidat sérieux à la présidentielle n’est pas un « justiciable comme les autres » — ce procès ridicule est évidemment politique. Oui, mais voilà : 2027 approche, et la place est vide. Il devient urgent d’imposer aux Français un candidat de la juste mesure, un bel énarque de race, un bouclier contre les extrêmes ; un candidat social-libéral, favorable à Maastricht, au mariage gay, aux aides sociales — et à l’économie de marché, tant qu’elle est régulée, bien sûr. Alors, insensiblement, on commence à préparer les esprits ; on montre des sondages, on fait monter la sauce : on porte dans les médias celui dont les idées ne contrarieront pas les intérêts économiques des puissants, et qui servira docilement leur progressisme rageur — tant pis pour la voix du peuple. Le nom du nouveau Messie ? il revient d’entre les morts : il s’appelle Édouard Philippe. Selon un « sondage choc », publié par l’IFOP, l’ancien Premier ministre serait en mesure de battre le candidat RN au second tour.

Édouard Philippe !… Les bras nous en tombent !

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Et pourquoi pas, en vérité ? L’homme, grand officier de la Légion d’honneur, grand-croix de l’ordre du Mérite, a brillé à la tête du gouvernement : dans une France au bord de la guerre civile et plus que jamais divisée, où la criminalité atteignait des hauteurs vertigineuses ; où la République avait perdu des territoires ; où l’éducation (lamentable), la justice (laxiste), l’économie (en berne) menaient la nation au chaos ; dans une France étique à force de tirer du lait pour les fainéants et les immigrés, et où l’on préférait taxer et punir les proies faciles, c’est-à-dire les travailleurs ; eh bien, dans cette France d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe a osé porter la mesure la plus courageuse de ces dernières décennies, et la seule alors véritablement nécessaire au redressement du pays : je veux parler de la limitation de vitesse à 80 km/h. Quel courage ! — est-ce qu’on ne reconnaît pas bien là le porte-parole d’Alain Juppé, l’austère mais brillant libéral, l’humaine incarnation de l’aile « droite » de la majorité présidentielle ? Même le président de la République s’y opposait : qu’à cela ne tienne, Édouard a bravé Macron !

© ALLILI MOURAD / SIPA

Certes, les gilets jaunes ont eu raison de sa vaste loi, celle dans laquelle il avait mis toute son âme, toutes ses forces ; il a fallu revenir en arrière ; maintenant, la limitation maximale des routes secondaires est à la discrétion d’on ne sait qui, et même les GPS s’embrouillent — mais quoi, il fallait bien faire des concessions.

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On cherchera, en vain, d’autres réformes d’envergure ; il n’en existe pas qui soient personnelles au glorieux maire du Havre. Napoléon, après avoir instauré les masses de granit, était parti conquérir l’Europe : Édouard Philippe aura juste démissionné après avoir administré les routes, et avec quel talent ! Me jugera-t-on sévère ? Cherchez dans son bilan ses accomplissements : il n’a fait que conduire avec une admirable passivité les grandes réformes du Mozart de la finance, sur la SNCF, sur les retraites, sur que sais-je. Ce ne sont pas ses résultats qui l’ont rendu un temps si populaire (le pays est foutu, de toute façon), mais ses bons mots. Avec les gilets jaunes, avec le Covid, il a montré comment on assume une gestion de crise, quand on est un vrai politique : en gérant son risque juridique, et en achetant la paix sociale ; puis, il est parti, emportant, de ses quelques années passées à Matignon, des souvenirs qui lui auront laissé des cheveux blancs — mais dans la barbe.

On le dit fils de docker ; on en fait déjà un exemple de la méritocratie. Par petite ambition, il sait obéir aux puissants, même quand il n’est pas d’accord (il l’a prouvé avec la PMA et l’âge du départ à la retraite) ; la bien-pensance bobo-progressiste coule dans ses veines, comme la foi coulait dans celles de Pascal ; beaucoup trop à droite pour les gauchistes, il n’en demeure pas moins faussement libéral en matière d’économie, et sur le reste, un vrai socialiste. Hosanna ! le Messie nouveau est arrivé !

Faits divers contre faits de société

On dirait qu’il y a désormais des drames de droite et des drames de gauche, observe Elisabeth Lévy dans sa chronique.


Les assassinats récents au couteau dans un lycée de Nantes et dans une mosquée à La Grande-Combe (près d’Alès) ont entrainé interprétations hâtives et instrumentalisations de tous côtés. Les deux crimes sont spectaculaires – de par le lieu où ils sont commis qui frappe l’opinion (un lycée et une mosquée, deux endroits qui devraient être épargnés par le fracas du monde). Il est donc normal qu’on veuille comprendre. Mais, il y a eu très vite un emballement interprétatif.
Après Nantes (le drame de la lycéenne assassinée), Bruno Retailleau parle de l’ensauvagement de la société, et des commentateurs embrayent. Mais cela ne va pas beaucoup plus loin.
Après Alès, tout le monde pense évidemment à un crime antimusulman. La gauche part en fanfare sur la supposée « islamophobie » de la France en général et de Bruno Retailleau en particulier. Jusqu’à cette manifestation honteuse à Paris, dont le député Jérôme Guedj est expulsé.
Or, dans les deux cas, soyons très prudents et écoutons la Justice, cela semble des actes qui paraissent plutôt relever du parcours individuel. 
À Nantes, le texte du meurtrier semblait évoquer une haine du capitalisme et de la modernité. Mais, cela n’explique pas le passage à l’acte ; si vous avez des pulsions meurtrières, vous essayez toujours de les enrober en piochant dans ce que vous trouvez autour de vous. En tout cas, le crime ne semble pas imputable à la « crise de l’autorité ».
À Alès, d’après la procureure de Nîmes, il s’agit d’un crime « sans revendication idéologique. Les faits paraissent à ce stade construits autour de l’envie obsessionnelle de tuer une personne ». Donc, le tintouin sur l’islamophobie semble tout à fait à côté de la plaque.
Que conclure de ces faits divers ? On dirait qu’il y a des drames de droite et des drames de gauche. Ce qui est un fait divers pour les uns est un fait de société pour les autres. J’y vois le signe de la fragmentation ultime de la société : on ne pleure pas tous les mêmes victimes. Mais, je ne renverrai pas tout le monde dos à dos non plus : si tout le monde a pleuré Aboubakar Cissé, tout le monde n’avait pas pleuré Lola. Et dans l’affaire Cissé, même si ce n’est pas toujours vrai, le pompon du cynisme et de l’instrumentalisation revient bien à la gauche.
Nous avons du mal à admettre que certains crimes sont individuels. On veut toujours des explications sociales et politiques, comme si la capacité humaine à faire le mal ne nous suffisait pas (L’avocat de la famille Cissé veut ainsi à tout prix que ce soit un crime « terroriste »). Certes, il y a souvent des explications sociales et politiques. Quand un crime est commis par un migrant sous OQTF, par exemple, la responsabilité de l’État est factuelle. Refuser de le dire, ce n’est pas lutter contre l’instrumentalisation, c’est cacher la vérité.
Tout cela devrait inviter les politiques de tous bords à la décence et à la retenue. Et les commentateurs à la prudence. Quand on ne sait pas, il faut juste se taire.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

Causons ! Le podcast de Causeur

Avec Renée Fregosi et Jeremy Stubbs


Renée Fregosi, philosophe et politologue de renom, vient de publier Le Sud global à la dérive : Entre décolonialisme et antisémitisme, aux éditions Intervalles. Elle nous aide à comprendre la notion de « Sud global », qui représente une alliance tacite fondée sur une certaine convergence entre les intérêts de pays aussi différents que l’Inde ou la Chine, ainsi que ceux du Moyen-Orient, de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud. Elle explique que les éléments qui permettent de fédérer la majorité de ces acteurs sont une volonté de « déboulonner » l’Occident et une opposition à l’État d’Israël. L’hostilité anti-israélienne est le produit à la fois d’un antisémitisme profond, promu par l’islamisme, et d’une idéologie décolonialiste qui voit dans l’État juif le symbole ultime de la puissance occidentale.

Dans les pays occidentaux eux-mêmes, une « cinquième colonne » de militants islamo-wokistes s’est mise au service de ce « Sud global ». Il est urgent de combattre cet antisémitisme, non seulement pour venir en aide aux Juifs persécutés, mais aussi pour défendre les valeurs mêmes de l’Occident.

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Il y a le ciel, le soleil et la mer

Les photographies de Didier Ben Loulou nous offrent un autre visage de ces côtes méditerranéennes meurtries par les guerres. Son dernier recueil Seaside aux éditions la Table Ronde aborde des rivages ombrés et tempétueux. Les nuages se confondent avec la terre, s’agit-il alors d’une Atlantide disparue ou de la germination d’un monde nouveau ?


On attend la sortie des albums du photographe Didier Ben Loulou comme la promesse de voir enfin autre chose, d’approcher d’autres décors, de regarder ces terres fracturées par l’Histoire d’un œil non pas neuf mais sans aprioris. Sans réflexes. Sans mauvaises habitudes. Sans pitié mal placée. Sans exégèse. Seulement dans l’âpreté et la beauté radicale de leur effritement.

Leur régénérescence se niche dans leur effacement, c’est l’un des grands paradoxes de ces pays morcelés. Ben Loulou officie dans une région du monde où le fracas des images orchestré par la télévision notamment, leur répétition et leur violence, nous empêche de poser raisonnablement et sereinement nos yeux sur l’eau et la pierre en fusion. Plus qu’ailleurs, les éléments naturels prennent à cet endroit précis de la planète une configuration tantôt émouvante, tantôt inquiétante, comme si ce chaudron en perpétuelle ébullition nous disait quelque chose sur le sens de notre humanité. Est-ce la fin ou le début de l’Histoire ? Ben Loulou dépollue notre vision par un art poétique dans Seaside aux éditions la Table Ronde. Il parle même « d’expérience poétique ». « J’ai souvent longé cette frontière entre ciel et terre dans l’espoir d’aboutir à ce qu’il faut bien nommer une expérience poétique » écrit-il dans sa courte préface. Il nous rappelle que depuis longtemps, il « chemine aux abords de la Méditerranée » et qu’il arpente « la côte israélienne de la frontière de Gaza à celle du Liban ». Il n’y a rien de plus difficile que d’expliquer le travail d’un photographe au risque de le cataloguer dans un registre, de l’enfermer dans nos propres certitudes. Chez Ben Loulou, le voyeur n’est jamais instrumentalisé, saisi par la virulence d’une image artificielle, comprimé dans une pensée unique ; au contraire, sa photographie agit lentement mais profondément. Elle est ressac et onde. Cette maturation qui ne brusque pas, qui ne fige pas est la différence entre un véritable artiste et un « bon faiseur » de la photo. On ne se sépare jamais d’un recueil de Ben Loulou, on y puise au gré de nos humeurs ou des moments de notre vie, une sorte d’ancrage. Nous savons que dans notre bibliothèque, il y a quelque part, des photos qui sont à la fois un port d’attache et une méditation sur notre place dans l’existence. Un grand photographe nous ouvre d’autres portes sur une réalité méconnue, nous indique un autre chemin dans les méandres de la géopolitique. Ben Loulou pourrait s’appesantir sur la souffrance, sur les âmes brulées, sur tout ce qui sépare et rejette, il a choisi une autre voie, celle du creuset, à la manière d’un vulcanologue, il se jette dans le cratère de ces bords de mer.

A lire aussi, du même auteur: Qui se souvient de l’affaire Fualdès?

Que voit-on ? Une atmosphère en gestation, hésitant entre la noirceur des nuages qui enflent dans le ciel et l’eau qui vient taper sur les plages. Sommes-nous à Athènes ou à Carthage ? Aux prémices d’un changement ou à l’apogée d’un cycle d’or, quelque chose va se produire alors que tout semble faussement éteint. Le génie artistique de Ben Loulou est dans sa composition, dans sa peinture quasi-rupestre ; le ciel bleu nuit, instable, balayé par les vents répond à la pierre ferme, à la matière brute qu’elle soit un morceau d’habitation, un mur famélique ou une relique déconstruite. Un état sauvage, premier, qui aurait bizarrement eu une longue histoire, qui aurait connu d’autres civilisations, Ben Loulou capture cette frise chronologique arrachée aux racines des peuples. Il est un maître du dépouillement, preuve de sa grande technicité, il évoque charnellement les choses simples de la vie : des herbes folles, un fil électrique, une décharge, des traces de pneu dans le sable, des peaux collées, une chevelure, un fruit ouvert ou des barques renversées. Parfois, dans un nuancier ténébreux, une lumière éclate, elle irradie plutôt, c’est la rougeur d’une pastèque ou des tissus de chiffonniers posés à même le sol, on se croirait dans les bains de teinture marocains. Ben Loulou est le photographe du renouveau caché.

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Marine, candidate !

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Prestation de serment des magistrats de la promotion 2025 à Bordeaux, 21 février 2025 © UGO AMEZ/SIPA

L’expression enrage les progressistes mais le traitement infligé par la Justice à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen prouve que le gouvernement des juges est une réalité. S’appuyant sur une interprétation extensive de la loi, des magistrats prétendent mieux savoir que nous pour qui il ne faut pas voter. Sans susciter de grande protestation de l’opinion. Quand la punition de quelques-uns permet de rééduquer tout un peuple.


Ils n’oseront pas. Beaucoup d’observateurs, dont votre servante, s’étaient persuadés que les juges refuseraient de mettre les pieds dans le plat présidentiel et s’abstiendraient sagement d’assortir une éventuelle peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire. C’était trop gros, le peuple n’accepterait pas. Erreur sur toute la ligne. Les juges ont osé et le peuple n’a pas moufté.

L’erreur Système des dévots de l’État de droit

Un tribunal de première instance a décidé, au nom du peuple français, que la patronne du premier parti de France (dont l’avocat répond à nos questions, page 54 de notre magazine) serait interdite de compétition présidentielle. Un autre pourrait, dans quelques mois, envoyer en prison un ancien président de la République, déjà placé sous bracelet électronique par le jugement ignominieux de l’affaire dite Bismuth. Rappelons ce qui est alors reproché à Nicolas Sarkozy : dans le cours de ses conversations avec son avocat et ami (espionnées par la justice avec la bénédiction de la Cour de cassation !), il aurait envisagé de pistonner un magistrat en échange d’informations. Le piston n’a jamais été activé, le poste jamais sollicité, les informations jamais données mais peu importe, trois niveaux de juridiction ont validé la fable d’un pacte de corruption. Orwell, reviens ! En France, on peut être condamné pour des propos privés n’ayant jamais été suivis de la moindre exécution. Je crois bien avoir dit hier à quelqu’un que j’avais envie d’étrangler je ne sais plus quelle bécasse féministe, ça vaut combien ?

À lire aussi : Jugée au nom du peuple, vraiment ?

« La loi est la même pour tous », psalmodient les dévots de l’État de droit à chaque fois qu’un juge requiert ou prononce une peine particulièrement sévère à l’encontre d’un politique. Comme si le droit n’était pas une production humaine imparfaite et contestable mais une vérité révélée que des évangélistes en robe sont chargés de répandre. En réalité, la Justice respecte scrupuleusement les droits des délinquants sous OQTF, droits comprenant un nombre délirant de recours sans oublier le droit à une vie familiale normale (dont il ne fallait pas, par exemple, priver Hassan Iquioussen, imam homophobe, antisémite et apologue du terrorisme islamiste, dont l’expulsion a été suspendue en 2022 par le tribunal administratif) ; mais dans l’affaire du financement libyen présumé, elle stigmatise le cynisme de Nicolas Sarkozy, dénonce son « ambition dévorante » et et demande, qu’en plus de l’incarcération, il soit déchu de ses droits parentaux. Au point que notre cher Alain Finkielkraut parle de « réquisitoires haineux proférés la bave aux lèvres » (pages 42 du magazine). Au risque de me répéter, j’ai peur de la justice de mon pays. Et j’ai raison d’avoir peur.

La preuve du gouvernement des juges, c’est qu’il gouverne et qu’il juge. Les magistrats devraient se faire petits face au suffrage universel et ne l’affronter que dans les grandes occasions, par exemple quand une assemblée élue accorde les pleins pouvoirs à un vieux croûton autoritaire – mais là pas de chance, ils avaient tous piscine. (En revanche, un an plus tard, le 19 août 1941, à Royat, la totalité du Conseil d’État jure comme un seul homme « fidélité à la personne du chef de l’État »).

Manipulation de la jurisprudence

Or, depuis plusieurs années, comme le montre Pierre-Henri Tavoillot (pages 50 du magazine), les juges ne se contentent pas d’appliquer la loi, ils se sont octroyé une telle marge d’interprétation qu’ils peuvent l’adapter à leur sauce idéologique ou à leur inquiétant désir de pureté. Dans Le Monde du 12 avril, l’inaltérable Pierre Rosanvallon, par ailleurs grand chantre de la démocratie horizontale, prétend que « les juges incarnent autant que les élus le principe démocratique de la souveraineté du peuple ». Ce n’était pas l’avis du Général et de Michel Debré, qui leur ont concédé une autorité face aux pouvoirs issus des urnes. L’avocat Hervé Lehman réplique dans Le Figaro : cette théorie, écrit-il, « a pour objet de permettre aux juges de limiter les initiatives du Parlement considérées comme populistes, comme celles qui voudraient limiter les flux migratoires. On comprend aussi que, puisque les juges sont plus progressistes en moyenne que les électeurs, la légitimité nouvelle donnée aux juges permet de contrebalancer le suffrage universel lorsque le peuple vote mal. 1» On ne dira pas que les gens de robe n’aiment pas le peuple. Au contraire, ils l’aiment tellement qu’ils veulent ce qui est bon pour lui. Une partie de la magistrature considère en conséquence qu’elle a reçu mandat pour faire barrage à l’extrême droite.

À lire aussi : Causeur: l’extrême droit ne passera pas !

Cette hubris justicière a profité du stupéfiant autodessaisissement consenti et même désiré par les élus, toutes couleurs confondues, qui a abouti, comme l’observe Henri Guaino, à « l’extension indéfinie du domaine du droit, du droit pénal en particulier2 ». Les juges disposent d’une flopée de lois pour améliorer la moralité, la transparence, la confiance qui leur permettent de placer les élus sous étroite surveillance. « Le gouvernement des juges, résume l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, c’est quand la responsabilité pénale dévore la responsabilité politique, abolit la séparation des pouvoirs et que l’interprétation de la loi va si loin que c’est le juge qui fait la loi. » De sorte qu’un juge peut désormais sommer le gouvernement de tenir ses engagements en matière climatique, sous peine de sanction financière. Un autre peut condamner Éric Zemmour pour des propos sur Pétain lors d’un débat sur CNews alors qu’il n’a jamais nié ou minimisé les déportations ordonnées par le régime de Vichy. On ne résumera pas ici le raisonnement alambiqué de la Cour de cassation (voir l’article de Jean-Baptiste Roques, page suivante), mais rappelons qu’il a fallu pas moins de quatre audiences pour parvenir à ce résultat qui pourrait encore être cassé. Alors qu’on pleure rituellement la grande misère de la Justice, des magistrats ont planché des centaines d’heures sur une question qui relève du débat historiographique. Historiens, arbitres des élégances morales, garants des engagements politiques : espérons qu’en plus, nos juges font le café.

Sidérante inversion

Si les innombrables manifestations pratiques du gouvernement des juges ne suffisent pas aux sceptiques, il existe une preuve quasi théologique de son existence : c’est la fureur que sa seule évocation déclenche chez les progressistes. Comme l’islamo-gauchisme, le wokisme et le grand remplacement, le gouvernement des juges est un « fantasme d’extrême droite », puisque son existence contrevient au récit canonique du camp du Bien. Dans la foulée du jugement Le Pen, on assiste à une sidérante inversion. Le scandale, ou à tout le moins le trouble démocratique, ne naît pas de la déflagration politique créée par la décision, mais du fait que les prévenus (et pas seulement eux) osent la contester en organisant le 6 avril un meeting à Paris, place Vauban, dûment déclaré aux autorités et sans qu’un mot factieux ni haineux y soit prononcé. La presse de gauche, fort indisposée par les critiques de la Justice quand elles viennent de la droite, sonne le tocsin. Elle entend des bruits de bottes, sent un parfum de Capitole, voire de 6 février 1934. Dans un éditorial intitulé « La tentation trumpiste de Marine Le Pen », Le Monde dénonce une « démarche de nature populiste qui vise à alimenter le ressentiment, à décrédibiliser l’institution judiciaire, à ébranler l’État de droit. » Quelques milliers de mécontents bien élevés font trembler la République. « Insinuer que les juges prendraient leurs décisions en fonction de leurs préférences ou de leurs convictions personnelles revient à remettre en cause la légitimité démocratique de l’application de la loi elle-même », ose la présidente du Syndicat de la magistrature. Il faut croire que, comme les papes, les juges bénéficient de l’infaillibilité.

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En dépit des innombrables garde-fous procéduraux et autres colifichets juridiques censés garantir une justice impartiale, primo des juges peuvent prendre des décisions parfaitement arbitraires relevant d’une interprétation abusive de la loi, interprétation qui a de grandes chances d’être validée par les collègues de l’étage du dessus, et que deuxio, certains confondent droit et morale. Quand un tribunal de première instance décide que la partie la plus symbolique et la plus politique de sa décision (l’inéligibilité) ne doit pas être susceptible de recours, il y a sans doute une part d’égo – moi aussi je peux peser sur les événements –, mais aussi l’outrecuidante volonté de rééduquer le populo. Rappelons aux magistrats que leur boulot, c’est la légalité, pas la légitimité.

On voit mal pourquoi les juges s’autolimiteraient dès lors que leurs sorties de route ne suscitent que de vagues protestations. Pas de convergences des luttes en vue. C’est pourtant la même France des périphéries mentales et économiques qui subit de toutes parts remontrances et leçons de maintien. On a fermé sa télévision préférée (C8), on empêche sa candidate, on la prie de tenir sa guimbarde puante loin des centres-villes. Nul n’incarne mieux la sécession des élites annoncée il y a quarante ans par Christopher Lasch que cette ministre Marie-Chantal déclarant sans rire « les pauvres n’ont pas de voiture » (qu’ils mangent des brioches). Pire que du mépris, c’est de l’ignorance. On ne les voit plus et on s’en porte très bien. Il est peu probable que les multi-dépossédés se lancent encore dans une jacquerie sans espoir. Le risque est plutôt une contre-sécession silencieuse, le sentiment ravageur que tout ça ne nous concerne plus.

Il paraît que quand le juge décide, c’est la loi qui parle. La loi a parlé et Marine Le Pen sera probablement exclue de la présidentielle. Si on voulait dire à la France qui fume des clopes et roule au diésel qu’il y a un Système et que ce Système ne veut pas d’elle, c’est réussi.


  1. « L’État de droit n’est pas la cogestion de la démocratie par le Parlement et les juges », Hervé Lehman, Le Figaro, 15 avril 2025. ↩︎
  2. Henri Guaino, « En cédant à la tentation du gouvernement des juges, les magistrats préparent leur propre destitution », Le Figaro, 5 avril 2025. ↩︎

Des hooligans de Bruges s’attaquent à des habitants de Molenbeek et provoquent une guerre des tranchées

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Des policiers anti-émeute et des supporters de football photographiés lors de la finale de la coupe de football belge, entre le Club Bruges et le RSC Anderlecht, dimanche 4 mai 2025 © Shutterstock/SIPA

Multiculturalisme belge. Dimanche dernier, après la violente descente de hooligans brugeois dans la ville de Molenbeek, des jeunes ont cherché à se venger sur les supporters.


Depuis des mois, Bruxelles est sens dessus dessous : les fusillades se multiplient ; l’antisémitisme gagne du terrain en même temps que l’islamisme ; les partis politiques sont incapables de former un gouvernement ; les plans de mobilité paralysent la ville… Mais il a fallu qu’une centaine de hooligans venus de Bruges débarquent à Molenbeek pour sortir le monde politico-médiatique de sa léthargie. Et pour cause : la horde sauvage a pris pour cible des « locaux » (comprenez : des allochtones), de quoi activer tous les réflexes pavloviens de l’antiracisme.

Parallèles farfelus

Dimanche dernier, les deux plus grands clubs belges s’affrontaient en finale de la Coupe de Belgique de football : le Sporting d’Anderlecht et le Club brugeois. Le noyau dur de ce dernier est ouvertement nationaliste ou, pour reprendre les termes empruntés à la doxa dominante, d’extrême droite. Sur le chemin qui le menait au stade, il a fait un détour par la commune rendue célèbre par les attentats de Bruxelles et de Paris pour en découdre. Si le bilan est léger (un peu de faïence et un ou deux hématomes), il n’est en rien excusable. Pour le coup, les habitants de Molenbeek n’avaient rien demandé et sont des victimes.

A lire aussi, du même auteur: La une du « Figaro Magazine » et les islamo-énamourés du Belgiquistan

Mais parlons de la récupération politique qui est quant à elle grand-guignolesque. Tout y est déjà passé : les parallélismes farfelus (« nuit de cristal », « heures sombres de l’histoire »…), les insultes envers des Brugeois déshumanisés (traités de « vermine » par le socialiste Ridouane Chahid ou, plus généralement, de racailles), la généralisation au point que tous les sympathisants du club de la Venise du Nord sont assimilés depuis dimanche à d’odieux racistes : le « pas d’amalgame » ne fonctionne pas pour eux. C’est à peine s’il ne fut pas demandé de les traduire devant la Cour pénale internationale pour génocide ou de raser leur très jolie ville du nord du pays.

Riposte disproportionnée

Les médias ne parlent (presque) plus que de cela et appellent à la rescousse le ban et l’arrière-ban du monde universitaire. Ainsi en est-il du sociologue du sport Jean-Michel De Waele, moqué jusque dans sa propre université pour faire de son cours un espace digne du café du commerce, qui dénonce, de façon plus générale le racisme dans le monde du football à coups d’arguments spécieux : « Le football est lié à la culture de la bière qui fait que certaines populations musulmanes sont moins intégrées. » (Oui, ces propos ont réellement été tenus !) Est-il tellement hors sol au point de ne pas constater que le ballon rond est gangréné par l’islamisme et qu’un nombre grandissant de parents de « petits blancs » préfèrent inscrire leur progéniture dans d’autres sports ? Le racisme le plus répandu dans le football est bien celui qui touche les blancs. Surtout, les incidents ont donné lieu à des ripostes de la part des « jeunes » bruxellois. Bien sûr, tout le monde a compris de quels « jeunes » il s’agit, mais la balle (et il ne s’agissait pas d’une balle de foot) reçue dans la jambe par un supporter brugeois, les passages à tabac de toute personne portant du bleu et du noir – couleurs du club – et les émeutes dans Bruxelles le lendemain ne devaient sans doute être qu’une « riposte proportionnée à l’acte le plus odieux jamais commis dans la capitale belge ». Retour à la normale donc. Pendant que la gauche était contente de se trouver une raison de s’indigner, les supporters de Bruges sont quant à eux retournés dans leur ville pour fêter la victoire acquise face au rival anderlechtois. 

Cuisine et dépendances (littéraires)

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Catherine Millet et Jacques Henric, à Estagel. DR

Jacques Henric publie son journal, riche notamment de ses vacheries sur ses petits camarades.


Jacques Henric publie son journal (1971-2015) qui devrait être un événement littéraire tant il jette un éclairage cru sur les coulisses du monde germanopratin où les écrivains et clercs ne cessent de se tirer dans les pattes, de se faire des courbettes et de jouer les Ravaillac une fois le dos tourné. Le titre, Les Profanateurs, est du reste bien choisi. La destruction y est permanente ; l’amitié quasi inexistante ; la loyauté interdite. Je dis « devrait » car au fond aujourd’hui tout le monde s’en fout comme me l’a dit, avec une pointe d’amertume, Richard Millet. La littérature n’intéresse plus personne, à fortiori sa cuisine et ses dépendances. Il faut donc prendre ce témoignage précis comme un témoignage historique qui servira, pour les générations futures, à comprendre les laboratoires avant-gardistes, comme la revue Tel Quel, puis celle de L’Infini, orchestré par le bondissant Philippe Sollers, omniprésent dans ce journal, et présenté sous un jour parfois peu aimable, avec quelques anecdotes dérangeantes, d’autant plus que l’écrivain n’est plus en mesure de se manifester autrement qu’en faisant tourner les tables et en catapultant les verres sur la tête de l’indélicat, ce qui n’était pas l’exercice préféré de l’auteur de Femmes. Quelques revues disparues, sauf Art Press, toujours chic et choc, avec à sa tête Catherine Millet, compagne de Jacques Henric.

Manœuvres

Né en 1938, romancier, essayiste, auteur d’une autobiographie remarquée, Politique (2017), Henric fait revivre la France intellectuelle des années post-soixante-huitardes, dominée par les querelles entre communistes, maoïstes, réacs réactivés par Alain de Benoist, Philippe Muray et quelques écrivains nostalgiques de ce que Sollers appellera « La France moisie », en 1999. Henric rappelle la joie réelle de l’écrivain en voyant le déchainement provoqué par sa formule. Au-delà des guerres intestines menées par des acteurs dont on a pour la plupart oublié les noms, on voit s’agiter Bernard-Henri Lévy pour défendre son film Le jour et la nuit, avec un Delon complètement paumé, qui fait un bide ; on apprend que le stalinien André Stil empêche au même BHL d’obtenir le prix Goncourt ; on apprend que certains écrivains – je vous laisse les découvrir –, malgré les camps d’extermination, continuent de tenir des propos antisémites, etc. Henric rappelle également le passé d’extrême-droite de Maurice Blanchot, les errements idéologiques de Duras qui met sur le même plan un jeune communiste et un jeune milicien, dénonciateur de Juifs, ou encore les manœuvres d’un certain Jean-Edern Hallier pour créer un repaire de rouges-bruns avec le journal L’Idiot international, sans oublier la personnalité pour le moins ambiguë de Milan Kundera. Bref, de la tambouille dont il ne reste rien aujourd’hui. Henric apporte une réponse à cette médiocrité très éloignée des ambitions littéraires : tout ce joli monde n’a pas connu la guerre, la trouille des maquis canardés par les SS, la mort du copain fusillé contre le mur d’un village. Ça faisait des écrivains de la trempe de Malraux. Là, on assiste à un défilé d’ombres sans armée. Et peu méritent qu’on les considère comme des écrivains. Mais comme le dit Sollers, qui avait forcé sur le whisky ce soir-là : « La qualité littéraire des textes, on s’en fout, seul compte le sexe. »

A lire ensuite: Je vais bien, mais je me soigne

On sent parfois poindre le bouillant tempérament de Jacques Henric. Ainsi quand ses camarades communistes lui demandent de voter Mitterrand en 1981, il répond : « Qu’ils aillent se faire voir ailleurs. Mitterrand, pour nous, c’est Vichy, le copinage avec l’infâme Bousquet, et pour ma génération la guerre d’Algérie, Mitterrand faisant actionner la guillotine… »

À propos de Philippe Muray, désormais auteur réac culte, Henric lâche ses coups : « Reçu le roman de Muray. Quel pavé ! 700 pages bien tassées. Du sous Céline. Comment ce formidable lecteur de Céline en est-il arrivé là ? C’est écrit comme il écrit pour son gagne-pain des polars destinés à la collection ‘’Brigade mondaine’’. Terrible contagion. Il reprend les mêmes thèmes que dans ses pamphlets, mais délayés. » Il ajoute : « Et le titre de ce nouveau livre, bien prophétique : On ferme. »

Belles pages sur Catherine Millet 

On sourit quand Henric décrit les clones de Sollers, qu’il a lui-même créés, faire leur numéro de séduction devant le « maître » lors de cocktails ; on éprouve un peu de pitié quand il raconte les dîners où Houellebecq finit par s’endormir dans son assiette. Mais bon, c’est Houellebecq, le vendeur de nihilisme au kilo. Heureusement que d’authentiques écrivains émergent de ce flot envahi de coquilles vides : Bataille, Artaud, Guyotat, Leiris… Sollers tangue pas mal, mais il ne tombe pas grâce à son intelligence.

Il y a de très belles pages consacrées à la femme d’Henric. Il en fait un portrait intime assez éloigné de la personnalité qu’on connaît en lisant son best-seller, La Vie sexuelle de Catherine M, un phénomène éditorial, car c’était « du document », même si Julia Kristeva descendit le livre : « (…) en Occident cette exhibition est l’équivalent de la situation qui est faite aux femmes en Afghanistan… » Rien que ça.

Avant de conclure cet article sur Les Profanateurs, journal qui sauve une époque où la liberté d’expression restait préservée, ce qui n’est pas rien au regard de la nôtre éprise de totalitarisme, ces quelques phrases de Jacques Henric à propos de Catherine Millet : « ‘’Apporte-moi la paix », me répète-t-elle. Que j’aimerais la tenir dans mes bras, calmer son angoisse, la rassurer, lui dire que tout va bien, combien je l’aime. »

Jacques Henric, Les Profanateurs, journal (1971-2015), Plon. 544 pages

Droits de douane américains dans le cinéma: une décision insensée?

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La star Jon Voight (et père d'Angelina Jolie) à Washington le 19 janvier 2025 © UPI/Newscom/SIPA

Et si Hollywood se tirait une balle dans le pied ? Analyse.


Popcorn salé. L’annonce par Donald Trump de futurs droits de douane de 100 % sur les films non produits aux États-Unis a pu apparaître comme insensée et même contre-productive dans la mesure où la production mondiale est largement dominée par Hollywood.

Si le cinéma est créé en France par les frères Lumière et que les premiers studios et grandes compagnies cinématographiques sont européens, dès le début du XXe siècle les États-Unis ont mené avec succès une politique offensive de domination tant économique que culturelle sur cette industrie et sur cet art.

Soft power américain

Dans un pas de deux culturel et économique, l’influence nord américaine a toujours pris en compte le cinéma et l’audiovisuel dans sa politique expansionniste économique globale.

Le président américain Herbert Clark Hoover déclarait ainsi déjà dans les années 30 : « Là où le film américain pénètre, nous vendons davantage d’automobiles américaines ».

Toute l’économie états-unienne a été portée par la diffusion cinématographique et télévisuelle de l’American way of life, et l’industrie audiovisuelle s’est octroyé une position dominante unique.

Si beaucoup de films ont toujours été et sont encore produits en Europe, en Inde, au Nigeria… Ce sont des marchés intérieurs forts mais qui peinent à exporter, car ce sont de loin les films américains qui rapportent le plus avec un quart des revenus mondiaux, et qui seuls s’exportent partout dans le monde avec notamment trois quarts des entrées en salle dans la plupart des pays occidentaux.

La domination est donc très confortable, mais là où Donald Trump a finalement raison, c’est que de plus en plus de tournages de films américains se font en dehors du territoire des États-Unis : plus de la moitié…

Les produits finis de l’industrie hollywoodienne, que cela soit les films ou les séries télévisées, écrasent toujours le marché mondial, mais leur conception en amont est souvent extra-nationale.

C’est finalement comme pour d’autres produits manufacturés, par exemple un IPhone : bien entendu il s’agit d’un produit américain qui va rapporter à la firme Apple, mais sa conception se fait essentiellement dans des ateliers d’Asie.

Cette délocalisation industrielle à échelle du produit culturel qu’est le film ou une série n’est pas anodine. L’accueil de tournages est une économie en soi.

Les Länder allemands ont très tôt théorisé sur le système de  « wirtschaftseffekt », soit des retombées économiques locales, repris par de nombreuses régions européennes et dans le reste du monde.

La réalisation d’un film doit ainsi permettre de revigorer et de doper l’économie locale avec notamment les dépenses pour les emplois techniques et des figurants, les logements, la restauration, les artisans…

Sans oublier un intérêt très important en matière d’image pour le territoire accueillant le tournage et surtout pour son développement touristique.

Imaginaires

Cette préoccupation des retombées économiques locales est en lien avec la politique d’aide publique du cinéma en Europe, particulièrement en France, fer de lance de la fameuse « Exception culturelle ». Si ce terme a été abandonné et remplacé par la « Diversité culturelle », il témoigne toujours du combat français, puis européen et désormais international, de financement public du cinéma au nom de la résistance à un impérialisme hollywoodien.

Au-delà de la considération strictement économique, l’aspect social de cette domination sans partage dans le cinéma et dans les images par les États-Unis est important.

En effet, l’imposition d’un imaginaire unique est dangereuse, car privant toutes les autres nations d’une représentation de soi. C’était l’objectif premier et louable de la « Diversité culturelle », mais qui peut apparaître comme un masque pour défendre des intérêts mercantiles…

Ainsi, dans la logique de Donald Trump, il est évident que l’accueil des tournages en dehors de son pays est un manque à gagner.

Son combat est finalement dans la suite de celle des majors hollywoodiennes contre le financement public du cinéma par les autres pays.

Les États européens ont subventionné leurs industries cinématographiques, souvent – comme en France – par une taxe sur les billets d’entrée (donc principalement sur des films américains !), et accueillent désormais de plus en plus de tournages de films américains en empochant ainsi les retombées économiques…

Vu sous cet angle, et d’un point de vue strictement états-unien, la déclaration de Donald Trump n’est finalement donc pas insensée du tout et correspond totalement à sa politique protectionniste.

De plus, il est improbable qu’à la manière de ce qui se fait dans d’autres secteurs, une riposte se mette en place. Qui peut croire en un boycott des productions américaines alors qu’elles sont les plus appréciées et même pire le seul dénominateur culturel commun des autres Occidentaux ?

Hollywood doit en revanche se méfier des droits de douane dans le cinéma voulus par Donald Trump qui peuvent sembler aller dans les intérêts financiers d’une nation dans sa fièvre protectionniste, mais qui compliqueraient sa tâche économique (les États-Unis ont besoin des facilités de tournage à l’extérieur de son territoire) et pourraient surtout lui faire perdre de vue une de ses plus grandes forces, celle d’avoir toujours su assimiler voire absorber l’influence et les cultures du reste du monde.

En effet, l’apport des créateurs étrangers dans l’industrie cinématographique américaine a toujours permis à Hollywood de se réinventer et de savoir raconter des histoires parlant au monde entier, et non seulement au nombril de l’Amérique.

Hollywood a su ainsi, répondre favorablement aux craintes liées à la « Diversité culturelle » tout en restant la seule industrie du secteur capable de s’exporter.

Un repli sur soi ne peut à long terme que lui faire perdre son influence mondiale unique et surtout (ce qui est certainement le plus important pour Hollywood) ses dollars…

Mélenchon et la tentation théocratique

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Jean-Luc Mélenchon lors de la protestation contre l'islamophobie, Paris, 27 avril 2025 © SEVGI/SIPA

À la suite du meurtre affreux d’Aboubakar Cissé dans une mosquée, le chef de l’extrême gauche s’est livré à une surenchère islamo-gauchiste. Alors que le terme « islamophobie » était auparavant rejeté par la gauche laïque, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon le revendique désormais à tout bout de champ.


Depuis plusieurs jours, le meurtre sauvage et absurde d’Aboubakar Cissé dans une mosquée de La Grand-Combe est utilisé sans vergogne pour attaquer « l’islamophobie », ce mot fourre-tout servant on le sait à stigmatiser quiconque critique la religion musulmane, ses valeurs et ses prescriptions, de Salman Rushdie à Mila en passant par Charlie Hebdo et Samuel Paty.

Islamo-gauchisme, 100% pur jus

C’est dans ce contexte d’instrumentalisation éhontée d’une émotion légitime, que Jean-Luc Mélenchon, le 29 avril sur BFMTV, a déclaré suite à une discussion au sujet du hijab : « Une amie m’a dit qu’elle ne s’abaissait devant aucun homme mais devant Dieu. Si vous voulez aller discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit, vous y allez, moi j’ai décidé que ça servait à rien. »

Pour un peu, et toutes proportions gardées, on croirait entendre Voltaire : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » mais Mélenchon tire de son observation une conclusion radicalement contraire à celle du philosophe des Lumières.

À lire aussi : Une France raciste et islamophobe?

Là où Voltaire voulait « écraser l’infâme », le tribun de LFI appelle l’État à se soumettre devant un ordre soi-disant divin. Certes, entre porter un hijab et égorger quelqu’un, il y a un monde ! Mais que l’État accepte ne serait-ce que sur un point, fut-il en apparence anodin, que l’ordre d’un dieu serait indiscutable, que l’État considère ne serait-ce qu’une fois que « Dieu me l’a ordonné donc j’ai le droit » est un argument recevable, et c’est la reconnaissance de principe de la théocratie.

Plus encore. Les ordres du « dieu » de l’islam, ce n’est pas seulement le hijab, ce n’est pas seulement « un bout de tissu » (en réalité un étendard), c’est toute la charia. La suite logique de la prise de position de Mélenchon (dont on notera au passage qu’il entérine implicitement l’idée qu’Allah est Dieu) c’est le projet politique que la CEDH a condamné le 13 février 2003 dans l’arrêt « Refah partisi c. Turquie », en reconnaissant « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie » :

« La Cour (la CEDH) partage l’analyse effectuée par la chambre (de la Cour constitutionnelle de Turquie) quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention :

À l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. (….) Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. (….) Selon la Cour, un parti politique dont l’action semble viser l’instauration de la charia dans un État partie à la Convention peut difficilement passer pour une association conforme à l’idéal démocratique sous-jacent à l’ensemble de la Convention. »

Positions dangereuses

La puissance réelle ou supposée, fut-elle surnaturelle, ne légitime pas l’arbitraire. En France, seul le débat démocratique, en ce qu’il tend vers le bien commun et l’intérêt de la nation, et qu’il exprime la volonté du seul souverain, le peuple français, le demos, est source de légitimité.

Alors en effet, l’Etat n’a pas à « discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit. » L’État n’a pas à discuter ces ordres, parce qu’il n’a pas besoin d’en discuter pour les balayer d’un revers de la main. L’État a pour rôle de n’accorder aucune valeur à la prétendue origine « divine » d’une prescription religieuse, et de la traiter comme il traiterait n’importe quelle conviction, proposition ou revendication militante. Ni plus, ni moins. Et dans le cas d’une idéologie comme la charia, incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie et contraire aux exigences morales les plus élémentaires, l’État a l’obligation de s’opposer à toute velléité d’en faire une norme reconnue, et devrait même idéalement en interdire l’apologie.

À lire aussi : Mélenchon, stalinien pour classes terminales!

Le sujet est d’autant plus grave que Jean-Luc Mélenchon n’est semble-t-il pas seul à tenir sur ce point des positions dangereuses – et pas uniquement parce que scrutin après scrutin il est systématiquement soutenu par la totalité du « Front républicain contre le RN. » Il y a quelques jours, le maire de Marseille, le socialiste Benoît Payan, clôturant une longue séance de débats municipaux, a déclaré qu’il « ferait condamner » les propos racistes et anti-musulmans, mais a surtout précisé : « là ce que vous venez de dire sur la charia, par exemple, c’est un délit. » On se gardera naturellement de tout jugement définitif sans savoir quels propos exacts étaient ainsi visés (dans la vidéo des débats, la charia ne semble pas avoir été évoquée avant ce moment, il s’agit donc sans doute de paroles hors micro). Notons tout de même que Benoît Payan n’a pas parlé de « ce que vous venez de dire sur nos concitoyens d’origine maghrébine » ni de « ce que vous venez de dire sur les musulmans », mais bien de « ce que vous venez de dire sur la charia. » Encore une fois, il serait bon de savoir à quoi exactement réagissait l’élu. Mais dans tous les cas, il est pour le moins gênant que le maire d’une des plus grandes villes de France puisse ainsi donner l’impression de s’opposer à la critique, fut-elle virulente, d’une idéologie dont même la CEDH a reconnu qu’elle est « incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. »

« L’époque impose de rappeler que toute croyance, toute conviction, toute idéologie est critiquable. Alors rappelons-le. Nous pouvons critiquer n’importe quelle croyance, n’importe quelle conviction, n’importe quelle idéologie. Nous le pouvons, et même nous le devons. C’est vrai des théories scientifiques, c’est vrai des idées politiques, c’est vrai des religions, et la susceptibilité exacerbée de certains croyants d’hier et d’aujourd’hui ne rend pas leurs croyances intouchables, qu’il s’agisse de croyances scientifiques, politiques ou religieuses.

Rappelons également, pour faire bonne mesure, qu’aucun croyant ne saurait être réduit à telle ou telle de ses croyances. Que quelqu’un peut se considérer comme appartenant à une école de pensée, un parti politique ou une religion même sans adhérer à tous ses préceptes. Et que personne, fort heureusement, ne se résume à une telle appartenance. Condamner une croyance, ce n’est donc pas condamner les croyants. Cas extrême, la religion de l’ancien empire aztèque était une monstruosité, mais tous les Aztèques n’étaient pas des monstres. Pour autant, se souvenir que tous les Aztèques n’étaient pas des monstres ne doit pas empêcher de dire l’évidence : leur religion était une monstruosité. Parfois, encourager un croyant à apostasier est la plus belle marque de respect que l’on puisse avoir envers lui. Parfois, lorsque ce en quoi il croit n’est pas seulement faux, mais déshumanisant, le lui dire clairement et lui montrer qu’il vaut mieux qu’une telle idéologie, est la meilleure manière — peut-être même la seule — de reconnaître pleinement son humanité. » (Aurélien Marq, La possibilité de Dieu).

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Léon XIV: quelle sacrée surprise !

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Le Pape Léon XIV, Vatican, 8 mai 2025 © Oliver Weiken/DPA/SIPA

Le 8 mai 2025, le cardinal américain Robert Francis Prevost a été élu pape. Il est le premier issu de l’Ordre de Saint-Augustin


Le 8 mai 2025, le cardinal américain Robert Francis Prevost a été élu pape, devenant ainsi le 267ᵉ souverain pontife sous le nom de Léon XIV. Originaire de Chicago et âgé de 69 ans, il est le premier pape né aux États-Unis.

Lors de sa première apparition au balcon de la basilique Saint-Pierre, Léon XIV a salué la foule par un « Que la paix soit avec vous ! » et a lancé un appel à la paix adressé « à tous les peuples », soulignant l’importance de « construire des ponts par le dialogue » et d’avancer « sans peur, unis, main dans la main avec Dieu et entre nous ». Il a également rendu hommage à son prédécesseur, le pape François, en remerciant pour son œuvre et en exprimant sa gratitude envers les cardinaux qui l’ont élu. Ce vendredi, Léon XIV célèbre sa première messe en tant que pape dans la chapelle Sixtine, marquant le début de son pontificat.


Membre de l’ordre de saint Augustin, Léon XIV est devenu, après quatre scrutins et 24 heures de conclave, le nouveau pape des catholiques. Personne n’attendait ce cardinal américain qui, âgé de 69 ans, aura, je l’espère, un long pontificat.

Je me suis totalement trompé, comme tant d’autres, parce que face à cette fumée blanche si rapidement intervenue, j’imaginais qu’un consensus avait distingué l’un des favoris, le cardinal Parolin.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Fumée blanche et idées noires

Il faudra patienter quelque temps pour savoir dans quelle lignée s’inscrit ce nouveau pape même si on comprend que sa filiation revendiquée ne l’éloignera pas beaucoup des vertus de pauvreté et de charité prônées par le pape auquel il succède.

Quelle allure, quelle dignité, quel splendide et solennel rituel que celui qui a présidé à l’élection du cardinal Prevost. Tous ces cardinaux dans un huis clos qui n’est pas retrait du monde mais volonté d’offrir à celui-ci le meilleur choix possible ont donné de l’Église catholique et du catholicisme tellement décrié – trop souvent sans réaction de sa part -, une image magnifique. Une superbe illustration pour une institution dont la durée et la constance dans l’expression d’un absolu – qui résiste heureusement aux modernités qui le rendraient vulgairement relatif – sont admirées bien au-delà des croyants.

Songeant à cette chambre des pleurs où le nouveau pape se recueille face à lui-même, prenant la mesure de l’immense charge et sauvegarde d’âmes qui seront les siennes, j’ai fait un rêve mêlant le profane et le sacré.

Si nos présidents de la République, venant d’être élus, avaient l’obligation de se livrer à cette pratique, sortis de la folie et de l’enthousiasme populaire, je ne doute pas qu’ils en tireraient profit.

Et que nous aurions à notre tête des responsables d’abord conscients de leurs devoirs et pour lesquels la morale et l’urbanité démocratique ne seraient pas de vains mots.

Édouard Philippe ou le Messie

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L'ancien Premier ministre Edouard Philippe photographié à Lille le 16 mars 2025 © AFC/MPP/SIPA

L’ancien Premier ministre caracole dans les sondages – il battrait n’importe quel candidat RN en 2027. Mais, qui se souvient de son bilan à Matignon ? Puisque personne ne se pose la question, il est pour beaucoup l’homme providentiel.


Les sociaux-libéraux ont eu raison du Rassemblement national ; n’en doutez pas, la condamnation de Marine Le Pen sera confirmée en appel ; un candidat sérieux à la présidentielle n’est pas un « justiciable comme les autres » — ce procès ridicule est évidemment politique. Oui, mais voilà : 2027 approche, et la place est vide. Il devient urgent d’imposer aux Français un candidat de la juste mesure, un bel énarque de race, un bouclier contre les extrêmes ; un candidat social-libéral, favorable à Maastricht, au mariage gay, aux aides sociales — et à l’économie de marché, tant qu’elle est régulée, bien sûr. Alors, insensiblement, on commence à préparer les esprits ; on montre des sondages, on fait monter la sauce : on porte dans les médias celui dont les idées ne contrarieront pas les intérêts économiques des puissants, et qui servira docilement leur progressisme rageur — tant pis pour la voix du peuple. Le nom du nouveau Messie ? il revient d’entre les morts : il s’appelle Édouard Philippe. Selon un « sondage choc », publié par l’IFOP, l’ancien Premier ministre serait en mesure de battre le candidat RN au second tour.

Édouard Philippe !… Les bras nous en tombent !

A lire aussi, Céline Pina: Quand l’union de la gauche tourne à la relation toxique

Et pourquoi pas, en vérité ? L’homme, grand officier de la Légion d’honneur, grand-croix de l’ordre du Mérite, a brillé à la tête du gouvernement : dans une France au bord de la guerre civile et plus que jamais divisée, où la criminalité atteignait des hauteurs vertigineuses ; où la République avait perdu des territoires ; où l’éducation (lamentable), la justice (laxiste), l’économie (en berne) menaient la nation au chaos ; dans une France étique à force de tirer du lait pour les fainéants et les immigrés, et où l’on préférait taxer et punir les proies faciles, c’est-à-dire les travailleurs ; eh bien, dans cette France d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe a osé porter la mesure la plus courageuse de ces dernières décennies, et la seule alors véritablement nécessaire au redressement du pays : je veux parler de la limitation de vitesse à 80 km/h. Quel courage ! — est-ce qu’on ne reconnaît pas bien là le porte-parole d’Alain Juppé, l’austère mais brillant libéral, l’humaine incarnation de l’aile « droite » de la majorité présidentielle ? Même le président de la République s’y opposait : qu’à cela ne tienne, Édouard a bravé Macron !

© ALLILI MOURAD / SIPA

Certes, les gilets jaunes ont eu raison de sa vaste loi, celle dans laquelle il avait mis toute son âme, toutes ses forces ; il a fallu revenir en arrière ; maintenant, la limitation maximale des routes secondaires est à la discrétion d’on ne sait qui, et même les GPS s’embrouillent — mais quoi, il fallait bien faire des concessions.

A lire aussi: Pierre-Édouard Stérin, la start-up nation, c’est lui!

On cherchera, en vain, d’autres réformes d’envergure ; il n’en existe pas qui soient personnelles au glorieux maire du Havre. Napoléon, après avoir instauré les masses de granit, était parti conquérir l’Europe : Édouard Philippe aura juste démissionné après avoir administré les routes, et avec quel talent ! Me jugera-t-on sévère ? Cherchez dans son bilan ses accomplissements : il n’a fait que conduire avec une admirable passivité les grandes réformes du Mozart de la finance, sur la SNCF, sur les retraites, sur que sais-je. Ce ne sont pas ses résultats qui l’ont rendu un temps si populaire (le pays est foutu, de toute façon), mais ses bons mots. Avec les gilets jaunes, avec le Covid, il a montré comment on assume une gestion de crise, quand on est un vrai politique : en gérant son risque juridique, et en achetant la paix sociale ; puis, il est parti, emportant, de ses quelques années passées à Matignon, des souvenirs qui lui auront laissé des cheveux blancs — mais dans la barbe.

On le dit fils de docker ; on en fait déjà un exemple de la méritocratie. Par petite ambition, il sait obéir aux puissants, même quand il n’est pas d’accord (il l’a prouvé avec la PMA et l’âge du départ à la retraite) ; la bien-pensance bobo-progressiste coule dans ses veines, comme la foi coulait dans celles de Pascal ; beaucoup trop à droite pour les gauchistes, il n’en demeure pas moins faussement libéral en matière d’économie, et sur le reste, un vrai socialiste. Hosanna ! le Messie nouveau est arrivé !

Faits divers contre faits de société

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On dirait qu’il y a désormais des drames de droite et des drames de gauche, observe Elisabeth Lévy dans sa chronique.


Les assassinats récents au couteau dans un lycée de Nantes et dans une mosquée à La Grande-Combe (près d’Alès) ont entrainé interprétations hâtives et instrumentalisations de tous côtés. Les deux crimes sont spectaculaires – de par le lieu où ils sont commis qui frappe l’opinion (un lycée et une mosquée, deux endroits qui devraient être épargnés par le fracas du monde). Il est donc normal qu’on veuille comprendre. Mais, il y a eu très vite un emballement interprétatif.
Après Nantes (le drame de la lycéenne assassinée), Bruno Retailleau parle de l’ensauvagement de la société, et des commentateurs embrayent. Mais cela ne va pas beaucoup plus loin.
Après Alès, tout le monde pense évidemment à un crime antimusulman. La gauche part en fanfare sur la supposée « islamophobie » de la France en général et de Bruno Retailleau en particulier. Jusqu’à cette manifestation honteuse à Paris, dont le député Jérôme Guedj est expulsé.
Or, dans les deux cas, soyons très prudents et écoutons la Justice, cela semble des actes qui paraissent plutôt relever du parcours individuel. 
À Nantes, le texte du meurtrier semblait évoquer une haine du capitalisme et de la modernité. Mais, cela n’explique pas le passage à l’acte ; si vous avez des pulsions meurtrières, vous essayez toujours de les enrober en piochant dans ce que vous trouvez autour de vous. En tout cas, le crime ne semble pas imputable à la « crise de l’autorité ».
À Alès, d’après la procureure de Nîmes, il s’agit d’un crime « sans revendication idéologique. Les faits paraissent à ce stade construits autour de l’envie obsessionnelle de tuer une personne ». Donc, le tintouin sur l’islamophobie semble tout à fait à côté de la plaque.
Que conclure de ces faits divers ? On dirait qu’il y a des drames de droite et des drames de gauche. Ce qui est un fait divers pour les uns est un fait de société pour les autres. J’y vois le signe de la fragmentation ultime de la société : on ne pleure pas tous les mêmes victimes. Mais, je ne renverrai pas tout le monde dos à dos non plus : si tout le monde a pleuré Aboubakar Cissé, tout le monde n’avait pas pleuré Lola. Et dans l’affaire Cissé, même si ce n’est pas toujours vrai, le pompon du cynisme et de l’instrumentalisation revient bien à la gauche.
Nous avons du mal à admettre que certains crimes sont individuels. On veut toujours des explications sociales et politiques, comme si la capacité humaine à faire le mal ne nous suffisait pas (L’avocat de la famille Cissé veut ainsi à tout prix que ce soit un crime « terroriste »). Certes, il y a souvent des explications sociales et politiques. Quand un crime est commis par un migrant sous OQTF, par exemple, la responsabilité de l’État est factuelle. Refuser de le dire, ce n’est pas lutter contre l’instrumentalisation, c’est cacher la vérité.
Tout cela devrait inviter les politiques de tous bords à la décence et à la retenue. Et les commentateurs à la prudence. Quand on ne sait pas, il faut juste se taire.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale

Causons ! Le podcast de Causeur

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Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

Avec Renée Fregosi et Jeremy Stubbs


Renée Fregosi, philosophe et politologue de renom, vient de publier Le Sud global à la dérive : Entre décolonialisme et antisémitisme, aux éditions Intervalles. Elle nous aide à comprendre la notion de « Sud global », qui représente une alliance tacite fondée sur une certaine convergence entre les intérêts de pays aussi différents que l’Inde ou la Chine, ainsi que ceux du Moyen-Orient, de l’Afrique ou de l’Amérique du Sud. Elle explique que les éléments qui permettent de fédérer la majorité de ces acteurs sont une volonté de « déboulonner » l’Occident et une opposition à l’État d’Israël. L’hostilité anti-israélienne est le produit à la fois d’un antisémitisme profond, promu par l’islamisme, et d’une idéologie décolonialiste qui voit dans l’État juif le symbole ultime de la puissance occidentale.

Dans les pays occidentaux eux-mêmes, une « cinquième colonne » de militants islamo-wokistes s’est mise au service de ce « Sud global ». Il est urgent de combattre cet antisémitisme, non seulement pour venir en aide aux Juifs persécutés, mais aussi pour défendre les valeurs mêmes de l’Occident.

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Il y a le ciel, le soleil et la mer

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"Seaside" (détail) © Didier Ben Loulou

Les photographies de Didier Ben Loulou nous offrent un autre visage de ces côtes méditerranéennes meurtries par les guerres. Son dernier recueil Seaside aux éditions la Table Ronde aborde des rivages ombrés et tempétueux. Les nuages se confondent avec la terre, s’agit-il alors d’une Atlantide disparue ou de la germination d’un monde nouveau ?


On attend la sortie des albums du photographe Didier Ben Loulou comme la promesse de voir enfin autre chose, d’approcher d’autres décors, de regarder ces terres fracturées par l’Histoire d’un œil non pas neuf mais sans aprioris. Sans réflexes. Sans mauvaises habitudes. Sans pitié mal placée. Sans exégèse. Seulement dans l’âpreté et la beauté radicale de leur effritement.

Leur régénérescence se niche dans leur effacement, c’est l’un des grands paradoxes de ces pays morcelés. Ben Loulou officie dans une région du monde où le fracas des images orchestré par la télévision notamment, leur répétition et leur violence, nous empêche de poser raisonnablement et sereinement nos yeux sur l’eau et la pierre en fusion. Plus qu’ailleurs, les éléments naturels prennent à cet endroit précis de la planète une configuration tantôt émouvante, tantôt inquiétante, comme si ce chaudron en perpétuelle ébullition nous disait quelque chose sur le sens de notre humanité. Est-ce la fin ou le début de l’Histoire ? Ben Loulou dépollue notre vision par un art poétique dans Seaside aux éditions la Table Ronde. Il parle même « d’expérience poétique ». « J’ai souvent longé cette frontière entre ciel et terre dans l’espoir d’aboutir à ce qu’il faut bien nommer une expérience poétique » écrit-il dans sa courte préface. Il nous rappelle que depuis longtemps, il « chemine aux abords de la Méditerranée » et qu’il arpente « la côte israélienne de la frontière de Gaza à celle du Liban ». Il n’y a rien de plus difficile que d’expliquer le travail d’un photographe au risque de le cataloguer dans un registre, de l’enfermer dans nos propres certitudes. Chez Ben Loulou, le voyeur n’est jamais instrumentalisé, saisi par la virulence d’une image artificielle, comprimé dans une pensée unique ; au contraire, sa photographie agit lentement mais profondément. Elle est ressac et onde. Cette maturation qui ne brusque pas, qui ne fige pas est la différence entre un véritable artiste et un « bon faiseur » de la photo. On ne se sépare jamais d’un recueil de Ben Loulou, on y puise au gré de nos humeurs ou des moments de notre vie, une sorte d’ancrage. Nous savons que dans notre bibliothèque, il y a quelque part, des photos qui sont à la fois un port d’attache et une méditation sur notre place dans l’existence. Un grand photographe nous ouvre d’autres portes sur une réalité méconnue, nous indique un autre chemin dans les méandres de la géopolitique. Ben Loulou pourrait s’appesantir sur la souffrance, sur les âmes brulées, sur tout ce qui sépare et rejette, il a choisi une autre voie, celle du creuset, à la manière d’un vulcanologue, il se jette dans le cratère de ces bords de mer.

A lire aussi, du même auteur: Qui se souvient de l’affaire Fualdès?

Que voit-on ? Une atmosphère en gestation, hésitant entre la noirceur des nuages qui enflent dans le ciel et l’eau qui vient taper sur les plages. Sommes-nous à Athènes ou à Carthage ? Aux prémices d’un changement ou à l’apogée d’un cycle d’or, quelque chose va se produire alors que tout semble faussement éteint. Le génie artistique de Ben Loulou est dans sa composition, dans sa peinture quasi-rupestre ; le ciel bleu nuit, instable, balayé par les vents répond à la pierre ferme, à la matière brute qu’elle soit un morceau d’habitation, un mur famélique ou une relique déconstruite. Un état sauvage, premier, qui aurait bizarrement eu une longue histoire, qui aurait connu d’autres civilisations, Ben Loulou capture cette frise chronologique arrachée aux racines des peuples. Il est un maître du dépouillement, preuve de sa grande technicité, il évoque charnellement les choses simples de la vie : des herbes folles, un fil électrique, une décharge, des traces de pneu dans le sable, des peaux collées, une chevelure, un fruit ouvert ou des barques renversées. Parfois, dans un nuancier ténébreux, une lumière éclate, elle irradie plutôt, c’est la rougeur d’une pastèque ou des tissus de chiffonniers posés à même le sol, on se croirait dans les bains de teinture marocains. Ben Loulou est le photographe du renouveau caché.

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