Accueil Site Page 1044

Beau temps pour les reptiles

Confinement et animaux font bon ménage


Confinement et animaux font bon ménage. Pour l’année 2020, la Société protectrice des animaux (SPA) a enregistré près de 38 000 adoptions d’animaux pour un taux de retour – historiquement bas – de 3,8 %. Le bonheur des bêtes ne s’arrête pas là : les abandons de chiens ont chuté de plus de 20 % en 2020, une tendance notamment due à la baisse des départs en vacances d’été.

Dans un sondage réalisé en mars 2021 auprès de 1 039 personnes, 84 % des détenteurs d’animaux domestiques affirment que leur bête les aide à « supporter les restrictions liées au Covid-19 », un argument que Tintin aurait sans doute fait sien s’il avait été assigné à résidence avec Milou. Mais face au grand enfermement, les jappements des fox-terriers ou les prouesses des bergers allemands suffisent-ils toujours ? Les heureux élus ne sont pas forcément ceux que l’on croit. En 2020, les recherches sur internet pour se procurer des NAC (nouveaux animaux de compagnie) ont explosé.

Si les amateurs de petits mammifères tels que hamsters, cochons d’Inde, furets ou même rats se bousculent sur la Toile, quelques clics permettent de se procurer aussi couleuvres, grenouilles, caméléons, iguanes ou autres compagnons tropicaux. Un engouement compulsif avant de réaliser qu’on a plus de choses à dire à un chien qu’à un lézard ? Dans un communiqué publié sur son site fin janvier, la SPA a dénoncé « une inquiétante augmentation de 16 % des abandons de NAC », qu’elle attribue à « l’achat impulsif de ces espèces en animalerie ou sur internet lors du premier confinement, abandonnés comme de vulgaires objets de consommation quelques mois plus tard ».

Adoptée le 29 janvier par l’Assemblée nationale, la loi contre les abandons des animaux domestiques prévoit notamment d’encadrer la vente en ligne des animaux de compagnie. Pour les théoriciens d’un grand complot ourdi par des êtres reptiliens, nul besoin désormais de fantasmes : les reptiles sont déjà parmi nous et ce sont nos meilleurs amis.

La Fontaine ou l’esprit français

Jean de La Fontaine fêtera cet été ses 400 ans et La Pléiade nous offre, à cette occasion, une belle réédition des Fables. Replongeons dans l’œuvre magistrale de cet homme doué pour le bonheur qui sut faire de la poésie une école de la précision et de la juste fantaisie.


Y a-t-il des écrivains heureux ? En ces temps d’enfermements vétilleux, de vie au ralenti, de sensations amoindries, de tristesse généralisée et d’impossibilité à jouir du présent, à aimer le passé et à espérer dans l’avenir, la question prend une acuité nouvelle. Rassurez-vous, La Fontaine est là et avec lui tous les remèdes aux manques que nous venons d’énumérer.

Jean de La Fontaine est un classique, comme on dit. La preuve, il est 14e dans le palmarès des noms donnés à des établissements scolaires, de la maternelle au lycée. Chez les écrivains, il n’est devancé que par Prévert, Victor Hugo et Saint-Exupéry. Un classique qu’on étudie en classe et qui a appartenu à la formidable génération des années 1660 avec Pascal, Molière, Racine, Retz, La Rochefoucauld, Madame de Sévigné ou Madame de La Fayette sans oublier Boileau ou Bossuet. Mais aucun d’entre eux n’a donné son nom à autant d’écoles que La Fontaine. On retrouve ainsi cette vieille image du poète des Fables destinées d’abord aux enfants. Et ce, dès l’origine, puisqu’elles sont dédiées à Monseigneur le Dauphin, le fils du roi. Est-ce suffisant pour faire de La Fontaine un écrivain heureux parce que fidèle à l’esprit d’enfance, comme il l’écrit dans « Le Pouvoir des fables », une « fable sur les fables » autant qu’un art poétique :

« Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on, je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »

On connaît peu de choses de sa vie

Toutefois, cela n’épuise pas la question, comme on s’en apercevra en lisant ce tirage spécial des Fables illustrées par Grandville que publie « La Pléiade ». Il est vrai que c’est son anniversaire, à La Fontaine. Il a 400 ans cette année. Il est né en juillet 1621 à Château-Thierry, aux portes de la Champagne. Le 7 ou le 8, on n’en est pas très sûr. Il y a d’ailleurs beaucoup d’incertitudes sur la biographie de notre homme. Ce n’est pas qu’il était particulièrement secret, c’est qu’on ne savait jamais où le trouver. On sait peu de choses de sa vie, sinon par les anas, ces recueils d’anecdotes et de bons mots sur les célébrités dont son époque était friande. Les anas ressemblaient davantage à la presse people d’aujourd’hui qu’à la Vie des hommes illustres.

Quelques faits avérés tout de même : son père est maître des Eaux et Forêts, charge dont il héritera. Ce n’est pas très rentable, mais ça laisse du temps libre. Le bonheur passe aussi par une certaine disponibilité à laquelle La Fontaine tient plus que tout : « Ne point errer est au-dessus de mes forces », écrit-il dans son Discours à Madame de la Sablière, une de ses protectrices. Famille en voie d’anoblissement, études au collège de sa ville natale puis, semble-t-il, à Paris. On le destine à la théologie, d’où son entrée à l’Oratoire. Il montre peu de goût pour la vocation ecclésiastique. On le marie. Il montre peu de goût pour sa femme, ce qui est réciproque. À l’Oratoire, il préfère la compagnie des écrivains, vivants ou morts. Il lit les auteurs de l’Antiquité, mais aussi les auteurs italiens plus ou moins licencieux. Les premiers lui serviront pour ses Fables, les seconds pour ses Contes qui doivent beaucoup à Boccace. De sa femme, il se sépare sans drame. Il s’en expliquera, ce séducteur paisible, cet inconstant amusé, dans un de ses Contes, « Le Pâté d’anguille » : « Même beauté, tant soit exquise / Rassasie et soûle à la fin. / Il me faut d’un et d’autre pain : / Diversité, c’est ma devise. » Autre secret du bonheur : préférer l’amour-goût, comme dira plus tard Stendhal, à l’amour-passion, qui est le fils de la tragédie comme le montre si bien Racine.

La Fontaine a cinq ans, en 1626, quand un héros de roman, le jeune d’Artagnan vu par Dumas, entre à Meung-sur-Loire, dernière étape avant Paris et sa rencontre avec les mousquetaires du roi. Ce héros si français n’est au bout du compte guère plus fictif que notre La Fontaine, ou tout aussi légendaire. Mais il faut se souvenir de l’étymologie de légende : pas seulement ce qui est inventé, mais ce qui doit être lu.

« Jean de La Fontaine implorant la grâce du roi Louis XIV après qu’il a pris la défense de Nicolas Fouquet ». Gravure tirée du livre « Les Alcôves des reines », de Jules Beaujoint, 1879 © The Holbarn Archive/Leemage

Si on se permet ce rapprochement, entre un héros de roman et un héros du roman national, c’est qu’on oublie souvent qu’il y a deux XVIIe siècle, celui de Louis XIII et celui de Louis XIV. D’Artagnan est un héros du siècle de Louis XIII comme le Rodrigue de Corneille. Ils ont existé, sans aucun doute, mais allez savoir au juste l’exactitude historique de tout cela. Quelle importance, au fond ? Pour les théologiens contemporains de La Fontaine, peu importe que le Saint-Suaire de Turin soit vrai ou faux. Ce qui compte, ce sont les générations de croyants qui se succèdent et donnent sa réalité spirituelle au miracle. Pascal explique ça très bien : « Les miracles sont plus importants que vous ne le pensez. Ils ont servi de fondation. »

La Fontaine est un homme des deux XVIIe siècle

Est donc vrai ce qui fonde durablement une esthétique, une religion ou une nation. Et si La Fontaine est un des héros du roman national depuis la IIIe République, c’est en raison de la morale apparente qu’il invente, pas de sa biographie : être économe comme la fourmi, éviter la flatterie des menteurs intéressés, ne pas tenir pour quantité négligeable celui qui est plus petit que soi, avoir de véritables amis. Que La Fontaine ait été volage, intrigant à l’occasion, avide d’honneurs – il reniera ses Contes licencieux pour entrer à l’Académie française – n’empêchera pas des générations d’écoliers en sarrau noir et aux oreilles décollées de se souvenir des Fables toute leur vie, et notamment dans les tranchées de 14.

Le siècle de Louis XIII, celui où naît La Fontaine, est encore travaillé par les guerres de Religion, puis par la Fronde. Le goût est à l’héroïsme des romans de chevalerie, les mœurs sont rudes. Les grandes dames ne sont pas des Précieuses et la carte du Tendre n’est en fait qu’un territoire sillonné par des hommes en armes, des intrigantes de génie, comme la duchesse de Chevreuse ou les bergers mythologiques de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, un des livres préférés de La Fontaine qui le dévore en cachette pendant ses études et en deviendra dans sa vieillesse le librettiste, pour une adaptation en opéra qui ne connaîtra aucun succès. Le siècle de Louis XIII est violent, aventureux, insoumis, paillard, naïf, on rit et on boit beaucoup. On trouve Rabelais et les sonnets libertins de l’Arétin dans les fontes des cavaliers et les ruelles des marquises. La France est encore cette jeune fille de grand chemin décoiffée, une « Perrette court vêtue » qui tire des plans sur la comète, accorte et imprudente.

Le siècle de Louis XIV est au contraire celui de l’ordre. Colbert, qui n’aimait guère La Fontaine, y veille. On l’appellera le Grand Siècle. Il va fixer la grammaire en même temps que les règles de la monarchie absolue. Il fait la synthèse entre l’efflorescence baroque et la rigueur classique, qui trouvera son accomplissement somptueux avec le château de Versailles – beaucoup plus qu’un château, le symbole de toute une civilisation. La Fontaine est un écrivain de ce Grand Siècle, mais aussi l’enfant d’une époque plus fantasque où tout était moins domestiqué, la nature, l’imaginaire, les codes amoureux. Une époque où les animaux parlaient, où les métamorphoses étaient courantes, comme cette chatte d’une de ses fables devenue femme, mais qui redevient chatte dès qu’elle voit des souris. Chez La Fontaine, on ne joue pas avec la nature humaine aussi facilement qu’on pourrait le penser. Il vaut mieux faire avec que vouloir à tout prix créer un homme nouveau : regardez ce qui arrive à la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf… Antitotalitaire et universel à la fois, notre fabuliste : c’était l’avis de Pierre Boutang dans un livre trop oublié, La Fontaine politique.

Mêlé à l’affaire Fouquet

La Fontaine est tout entier entre deux époques, deux mondes, dans sa vie comme dans son œuvre. Il ne sera reçu à Versailles qu’une seule fois, pour présenter son premier livre des Fables. À vrai dire, il essaie alors de se refaire une virginité. Il a été découvert par Fouquet, le munificent surintendant du roi, le magicien des Finances, le créateur de Vaux-le-Vicomte, celui qui avant Louis XIV s’entoure des grands noms des arts et des lettres. Cela lui coûtera cher. On pourra lire cette histoire dans un joli livre de Morand, Fouquet ou le Soleil offusqué. Louis XIV fait arrêter et juger ce ministre trop brillant qui incarnait une politique de la dépense et du prestige. Louis XIV la reprend à son compte, y ajoutant la rigueur des Colbert et des Louvois. La Fontaine défendra Fouquet qui l’avait pensionné. Mais point trop n’en faut. Les hommes heureux n’ont pas le goût du martyre, ce fanatisme qu’on retourne contre soi. Inutile de tenter d’argumenter comme le fait l’agneau avec le loup puisque la raison du plus fort est toujours la meilleure.

On ne trouve pas de désespoir chez La Fontaine. On l’appelle même « le bonhomme La Fontaine ». On le dit distrait alors que chacune de ses fables prouve un don d’observation hors du commun. Les romantiques, mal compris, donneront une image vaporeuse de la poésie alors qu’elle est une école de la précision, un œil absolu et c’est ce qui fait de la fable, au-delà de sa fraîcheur lustrale ou de son ironie, une science exacte. La Fontaine le dit clairement dans sa préface : « Et comme par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre ; de même aussi, par les raisonnements et conséquences que l’on peut tirer de ces fables, on se forme et le jugement et les mœurs, on se rend capable de grandes choses. » Ces grandes choses, La Fontaine se garde bien de les préciser, ce serait s’enfermer dans la vulgarité d’un message comme n’importe quel triste romancier à thèse du XXe siècle.

La Fontaine, écrivain libre

Encore une fois, il tient trop à sa liberté et il connaît les deux façons de donner le change à son époque : la retraite et la surexposition. La Fontaine oscille entre les deux, en permanence : il participe aux débats du moment, mais il revient le plus souvent possible à Château-Thierry, pour retrouver la nature sous prétexte d’exercer sa fonction. Il sait respirer, c’est aussi un des secrets du bonheur. La question du souffle, du rythme est très importante. On voit tout de suite qu’il s’y connaissait à la manière dont il utilise le vers dans ses Fables. Il alterne le court et le long, le rejet et l’enjambement, la coupe et la métrique acrobatique, l’harmonie imitative et, à l’occasion, la clarté sereine d’un alexandrin qu’il dégage du sublime pour lui donner une magie intime et évidente : « Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe. »

Nous reste désormais la joyeuse perspective d’un texte inépuisable, insaisissable. Bien sûr qu’il peut être lu par les enfants, même si les Fables encore étudiées au collège se font de plus en plus rares et sont tristement réduites à ce qu’on appelle en langage pédagogique leur « fonction argumentative ». On montre que La Fontaine sait « confronter les points de vue », que « La Mort et le Bûcheron », « La Cigale et la Fourmi » discutent comme deux débatteurs et « cherchent à convaincre ». On oublie juste que cette poésie refuse l’abstraction, qu’elle est toute de visions, d’odeurs, de sensations, de bruissements et que c’est pour cela qu’elle est si naturellement accessible à l’enfance et à ce qui reste d’enfance en nous. Quant à vouloir dégager une morale clairement définie, c’est très loin d’être évident.

Rousseau avait bien compris cette ambiguïté fondamentale de La Fontaine au point de l’estimer nocive pour les enfants dans son Émile où il veut dessiner une pédagogie nouvelle : « Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. » Eh oui, c’est plus amusant d’être le renard que le corbeau, le lion que le moucheron sauf quand le moucheron rend fou le lion. On comprend ce qui agace Rousseau : ce n’est pas La Fontaine qui inspirera les futurs signataires d’un contrat social…

Cela tombe bien, La Fontaine n’en voulait pas et nous ne sommes plus certains, nous-mêmes, d’en vouloir. « Nous forcer à être libres », comme l’écrivait Rousseau dans un insoutenable paradoxe, c’est d’abord nous forcer. Sachons plutôt, comme La Fontaine, malgré les guerres, les épidémies, les sociétés verrouillées par des ordres injustes, les querelles religieuses et les puritanismes toujours aux aguets, traverser la vie avec son intelligence du bonheur et son aptitude à tout contourner, à tout retourner, même la tristesse :

J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un coeur mélancolique.

Jean de La Fontaine, Fables (éd. Jean-Pierre Collinet, gravures et dessins de Grandville), « La Pléiade », Gallimard, 2021.

Fables

Price: 66,00 €

14 used & new available from 57,97 €

Le syndicat étudiant de gauche FSE exhibe le logo d’une organisation terroriste sur son affiche pro-Palestine

1

Les mêmes nous diront que l’islamo-gauchisme n’existe pas…


Plusieurs mouvements d’extrême-gauche ont appelé à rejoindre les manifestations du samedi 15 mai organisées dans plusieurs villes françaises « en soutien à la Palestine ». Parmi ces syndicats, on retrouve la Fédération Syndicale Étudiante (FSE). Née en 2020 d’une scission au sein de l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France), elle a élu à sa tête Hafsa Askar. Cette étudiante lilloise s’était distinguée sur Twitter par ses publications racistes et incitant à la violence contre un groupe en raison de sa couleur de peau. Elle écrira que l’on « devrait gazer tous les blancs cette sous race », « tout ce que j’ai à dire c’est les blancs arrêtez de vous reproduire », ou encore « non à la mixité avec les blancs ». Une poète !

À lire aussi : Israël musèle la presse à Gaza? Retour sur une fake news

Elle s’était aussi moquée de l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et avait écrit, alors que le feu en embrasait encore le toit, qu’elle se « fich[ait] de notre Dame de Paris » car elle se « fiche de l’histoire de France ». Selon elle, le fait que les gens pleurent « pour des bouts de bois » est un « délire de petits blancs ».

La FSE prend parti pour la Palestine

Depuis, il semblerait que la FSE se soit encore plus radicalisée dans ses positions. En effet, le 12 mai, le syndicat a publié une affiche troublante, accompagnée d’un message de soutien au « peuple palestinien dans sa lutte suite aux dernières offensives coloniales meurtrières menées par Israël ».


Dans le but d’inciter les abonnés à la page du réseau social Twitter à se joindre aux rassemblements organisés le week-end dernier, la FSE a jugé bon de reprendre le slogan de l’organisation terroriste du Hamas qui souhaite une « Palestine libre de la mer au Jourdain », autrement dit la disparition de l’État d’Israël !

La Licra réagit

La Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a réagi à ce slogan et a dénoncé une instrumentalisation et une importation du conflit israélo-palestinien avec « l’intention d’enflammer la République française ».

À lire aussi : Les manifestations pro-palestiniennes ne feraient-elles plus recette?

Mais l’affiche de la FSE n’est pas condamnable uniquement pour le slogan qui y figure. Le logo qui trône au-dessus de la tête enveloppée d’un keffieh est celui du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une autre organisation sur la liste officielle des organisations terroristes d’Israël, des États-Unis, du Canada, de l’Australie, des pays de l’Union européenne, et du Japon.

Selon l’article R645-1 du code pénal, « est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés par les membres d’une organisation déclarée criminelle ». Il n’est donc pas exclu que la préfecture de Paris saisisse la justice, comme ce fut le cas ce week-end à Lille où la préfecture des Hauts-de-France a saisi la procureure de la République de Lille à cause d’une banderole de la manifestation « pro-palestinienne » qui exhibait une croix gammée juste à côté d’un drapeau israélien.

Les supergagnants de la pandémie

Pendant que beaucoup étaient au chômage ou sont tombés dans la précarité, d’autres s’en s’ont mis plein les poches…


En avril, la revue américaine Forbes a annoncé que les douze derniers mois avaient vu l’émergence d’un nombre record de nouveaux milliardaires, ces personnes dont la fortune personnelle dépasse les 1 000 000 000 de dollars. Tandis que la pandémie apportait le chômage et la pauvreté à un grand nombre de personnes autour de la planète, 493 individus sont passés de l’état de riche à celui de super-riche.

Si les activités à l’origine de leur prospérité sont variées, certaines sont sans doute liées à l’ennui du confinement. Quatre des nouveaux milliardaires chinois se sont enrichis dans le développement de produits pour cigarette électronique, Kim Kardashian dans celui de produits de beauté et de lingerie amincissante. Cependant, pas moins de 40 des nouvelles fortunes sont le résultat direct de la pandémie, provenant de produits et services développés pour lutter contre le coronavirus sur le plan médical.

Parmi ces nouveaux milliardaires, on trouve le PDG de BioNTech, qui a créé le vaccin Pfizer, et quatre dirigeants de la société Moderna, inventeur du vaccin du même nom. L’entreprise chinoise CanSino Biologics a aussi donné naissance à un quatuor grâce à leur vaccin. D’autres ont produit traitements, tests et ampoules ou organisé des essais cliniques. Si les patrons d’AstraZeneca ne figurent pas au palmarès, c’est peut-être parce que ce vaccin est vendu à prix coûtant jusqu’à la fin de la pandémie.

Le plus riche de tous les nouveaux milliardaires est Li Jianquan, le président de Winner Medical, société chinoise ayant vendu des masques et des vêtements de protection à la terre entière. D’ailleurs, le pays qui comporte le plus de nouveaux super-riches est la Chine, pays d’origine du Covid-19. Comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Affaire de Sarah Halimi: une mise au point

Le meurtrier de Sarah Halimi ne sera pas jugé. On comprend la tristesse des familles et l’émotion de l’opinion. Que le travail de la juge d’instruction soit critiquable ne justifie pas les raccourcis et caricatures. Expert dans cette affaire, Paul Bensussan souligne que l’irresponsabilité pénale figure dans le Talmud comme dans le droit romain. Et rappelle que si Kobili Traoré était fou au moment des faits, il n’en est pas moins coupable d’un crime antisémite.


Dans une tribune publiée le 16 avril 2021 dans Le Figaro, deux jours après que la Cour de cassation avait rendu son arrêt confirmant l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, faisait part de son indignation. Il qualifiait cette décision, devenue définitive, de « scandale judiciaire » et s’étonnait que l’irresponsabilité pénale eût été retenue avec la circonstance particulière de l’antisémitisme, estimant incompatibles ces deux notions. « Les lumières sont-elles sur le point de s’éteindre depuis les instances de base jusqu’au plus haut échelon de la hiérarchie judiciaire française ? » s’interrogeait Haïm Korsia.

Membre du deuxième collège d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, ce qui fut au final le cas de six experts sur les sept qui sont intervenus, il m’a paru nécessaire, même si l’émotion suscitée peut rendre le propos difficilement audible, de revenir sur certains raccourcis et contre-vérités médiatiques, ainsi que sur des aspects médico-légaux.

Un permis de tuer des Juifs ?

Rien dans cette affaire ne semble avoir été fait pour tenter de dissocier l’atrocité du crime de sa singularité et du fait que son auteur, au moment des faits, ne pouvait être considéré comme responsable de son acte. Pas même de son état, comme on a tenté de le dire, au seul motif qu’il était consommateur de cannabis. Les réactions ulcérées abondent, certains dénonçant même un « permis de tuer des Juifs » ; d’autres, hélas professionnels du droit, surfent sur l’émotion, prétendant qu’il suffirait désormais de fumer un joint pour commettre un crime en toute impunité. Compréhensibles de la part du public, de tels raccourcis sont indignes de professionnels.

Il est vrai qu’en début d’instruction, l’hésitation à retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme a pu donner à certains le sentiment que cette dimension était délibérément occultée, voire niée, ce qui aggravait le désarroi et l’incompréhension. Depuis le 4 avril 2017, date des faits, cette ambiguïté n’a jamais été levée. Au point qu’Amélie Perrier, « lançant » le sujet au micro de France Inter dans le journal de 18 heures, mercredi 14 avril, jour de la publication de l’arrêt de la Cour de cassation, affirmait imprudemment : « L’affaire oppose depuis des années les experts psychiatres à la communauté juive. »

Experts contre communauté juive ?

Comment peut-on tenir des propos aussi caricaturaux ? En quoi les experts psychiatres auraient-ils été « opposés à la communauté juive » ? À quel ordre subliminal ces experts auraient-ils obéi, pour déresponsabiliser le criminel ?

Je comprends et partage l’émoi d’une partie de la communauté juive, durement touchée dans les dernières années par une série de crimes antisémites, commis par des auteurs appartenant à la mouvance islamiste. Parmi les nombreux experts, j’ai été plus particulièrement la cible des reproches. J’en ai été peiné, mais aussi indigné : le fait qu’un expert soit juif devrait-il influencer sa lecture d’un crime ou d’un délit ? La question est aussi absurde qu’offensante pour qui s’attache à respecter éthique et déontologie.

Mais l’indignation et l’incompréhension de l’opinion devant la notion d’irresponsabilité pénale ne sont pas le propre de cette affaire : le malade mental criminel inquiète, par le caractère imprévisible de son passage à l’acte, par la soudaineté de l’attaque, sa férocité, l’acharnement inutile sur la victime. La perspective d’une récidive, dans le cas d’une sortie de l’hôpital, est tout aussi intolérable. Que l’on se souvienne de certaines affaires, telles que celles de Stéphane Moitoiret, meurtrier en 2008 du petit Valentin, ou encore de Romain Dupuy, auteur en 2005 d’un double homicide à l’hôpital psychiatrique de Pau, et des débats passionnés qu’elles ont soulevés. Je rappellerai simplement que le principe de l’irresponsabilité pénale se retrouve dans le Talmud, comme dans le droit romain. Citons à ce sujet Yves Lemoine, magistrat, historien[1] : « Jamais, dans notre civilisation, on n’entendit les fous, même pour les crimes les plus atroces. […] Faire comparaître un dément, c’est renier le fondement même de notre civilisation. »

La famille de la victime laissée pour compte

La frustration liée à l’absence de procès, dans le cas du malade mental criminel, tient d’abord à ce que la compréhension espérée par les familles de victimes sera à jamais impossible. Il faut cependant l’admettre : le crime du sujet psychotique est par définition irrationnel et hermétique. Sa compréhension échappe à tous, et à l’auteur lui-même. Deux procès en cour d’assises n’ont pas permis à la famille de Valentin, dont le meurtrier, malade mental, avait été considéré comme partiellement responsable par six experts sur dix (les quatre autres l’ayant estimé irresponsable), de comprendre pourquoi leur petit garçon de 10 ans avait péri sous les 44 coups de couteau assenés par le meurtrier.

Toutefois, même en l’absence de procès d’assises, la famille n’est pas pour autant privée du débat, comme c’était auparavant le cas avec le non-lieu déclaré à l’instruction. Le dispositif légal a considérablement évolué depuis la loi du 25 février 2008, dite « loi Dati ». Si l’irresponsabilité pénale est retenue par les experts, une audience publique se tient désormais devant la chambre de l’instruction. Les parties civiles, les avocats, les experts et même la presse assistent à cette audience qui, pour Kobili Traoré, a eu lieu le 27 novembre 2019. À cette occasion, les experts soutiennent publiquement leur rapport et les avocats ont tout loisir de les interroger : l’oralité des débats et la contradiction sont de mise. À l’issue de cette audience, deux possibilités : la chambre de l’instruction renvoie l’accusé devant la cour d’assises, si les arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale lui paraissent insuffisants ; dans le cas contraire, elle déclare la culpabilité et l’« irresponsabilité pénale pour trouble mental ». La culpabilité est définitivement établie, même s’il est pénalement irresponsable. Le « non-lieu » qui révoltait légitimement les familles comme l’opinion a donc bel et bien disparu.

Ce crime était antisémite, car dans son délire Kobili Traoré assimilait les juifs au démon

Mais entendre le « besoin de procès », c’est aussi entendre le « besoin de sanction ». L’opinion s’insurge contre cette étrange sensation d’ « impunité », comme si elle était un acte de clémence envers le meurtrier. Lorsqu’il devient acquis, comme le disent les médias, que « le meurtrier n’ira pas en prison », le public croit comprendre qu’il est libre, ou qu’il le sera demain. À ceux-là, je dirais simplement que l’univers des UMD (unités pour malades difficiles, où sont internés les malades mentaux criminels) est aussi contraignant et coercitif que l’univers carcéral ; mais aussi et surtout qu’une sortie est hautement improbable à court et moyen terme. Les conditions requises sont si difficiles à réunir que, bien souvent, la durée de l’internement est supérieure à ce qu’aurait été la peine de prison. À titre d’exemple, Romain Dupuy, auteur d’un double meurtre en 2005, n’est toujours pas sorti de l’UMD de Cadillac, malgré des expertises favorables. De plus, dans le cas de Kobili Traoré, la peine, si elle avait été prononcée, aurait dû tenir compte de l’altération du discernement, et donc être réduite. Mais qui le sait ?

Place du Trocadéro, Paris, manifestation pour rendre « Justice pour Sarah Halimi », 25 avril 2021 © Hannah Assouline

Reste à évoquer la question la plus délicate : si le crime fou est irrationnel, hermétique, l’antisémitisme n’est pas répertorié comme une maladie mentale… en tout cas en l’état actuel de la science. Mais alors, pourquoi un meurtrier qui assimile les juifs au démon, récite des versets du Coran en redoublant de violence, défenestre sa victime aux cris de « Allahou Akbar », en prétendant qu’elle s’était suicidée serait-il considéré comme en état de démence ?

Kobili Traoré était psychotique

Dans les quarante-huit heures précédant son passage à l’acte, Kobili Traoré a présenté de façon soudaine une symptomatologie psychotique floride : il était agité, halluciné, soliloquait en répondant à des voix imaginaires, effrayait tout le monde, jusqu’à sa mère et ses voisins maliens qui s’étaient barricadés et avaient appelé la police… Il était allé la veille à la mosquée, avait consulté un exorciste, pensait que son beau-père voulait l’empoisonner ou le « marabouter », que l’auxiliaire de vie de sa sœur (d’origine haïtienne) appliquait sur lui des rituels vaudou… Une efflorescence délirante, une dimension persécutive dominante. C’est en s’enfuyant par le balcon de chez les voisins, alors qu’il se croyait poursuivi par les « démons », qu’il est entré par effraction dans l’appartement de Madame Halimi et que l’enchaînement fatal est survenu. Nous l’avons souligné dans le rapport et je l’ai dit à la barre de la chambre de l’instruction : en proie à son délire, à la fois agressif et terrorisé, Monsieur Traoré était au moment des faits un baril de poudre. Le judaïsme de Madame Halimi, la vision du chandelier à sept branches ont été l’étincelle. Pour le dire simplement : le crime était celui d’un fou, mais ce crime était incontestablement antisémite car dans son délire, Kobili Traoré assimilait les juifs au démon.

L’antisémitisme, mobile premier de l’assassin ?

Lorsqu’un sujet délire, les thèmes délirants ne surgissent pas ex nihilo : ils sont la résultante de sa personnalité, de ses croyances, de son éducation, mais aussi de sa réceptivité au discours ambiant. Si l’on admet l’existence d’un antisémitisme arabo-musulman, il n’y a aucune raison de penser que Monsieur Traoré, en pleine bouffée délirante, puisse y demeurer imperméable, même si l’enquête n’a pas permis de mettre en évidence des manifestations d’antisémitisme ou de radicalisation antérieures aux faits. Les insultes proférées, le déferlement de violence, la thématique religieuse et les versets du Coran ne laissent aucune place au doute sur la composante antisémite de son délire. Peut-on pour autant considérer que l’antisémitisme, thème délirant, a été un mobile, comme on le dirait d’un crime prémédité et comme le laissent entendre la majorité des analyses ?

L’indignation de l’opinion publique et de la communauté juive tient en grande partie à l’idée (fausse) que reconnaître la folie et l’irresponsabilité pénale du meurtrier reviendrait à nier la dimension antisémite de son acte. Autrement dit, qu’un crime antisémite demeurerait impuni. Ce que la même Amélie Perrier, dans le même journal de France Inter, formulait tout aussi maladroitement : « Les experts s’accordent sur une bouffée délirante aiguë, contrairement aux proches de Sarah Halimi qui, soutenus par la communauté juive, dénoncent un crime antisémite. »

Un crime fou et antisémite

Même le docteur Zagury, partisan d’une responsabilité atténuée (et non de l’irresponsabilité) en raison de la consommation de cannabis, a conclu à un crime fou et antisémite. Ce que j’ai personnellement soutenu à la barre. L’arrêt de la chambre de l’instruction a d’ailleurs retenu la culpabilité de Monsieur Traoré, mais aussi la dimension antisémite de son crime.

La situation est si complexe, et le malaise laissé par ce dossier si profond, que le grand rabbin de France lui-même a pu commettre, selon moi, une erreur d’analyse en écrivant : « soit le meurtre est antisémite, et donc pensé, soit il est l’œuvre d’un irresponsable, et donc non pensé. Mais pas les deux à la fois. » Propos en contradiction avec l’analyse des experts, dont l’écho n’a sans doute pas fini de résonner dans la communauté juive.

*Psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale de La Haye.

L'affaire Sarah Halimi

Price: 16,00 €

20 used & new available from 2,79 €


[1]. « Juger les fous : “le malheur de leur état” », Libération, 9 novembre 2007.

Plus belle la mort?

Au-delà du déni de la finitude humaine exprimé par le projet de loi sur la « fin de vie », on peut se demander comment le droit et la médecine pourront garantir le délicat et crucial équilibre entre liberté et dignité.


Proposer une loi sur la « fin de vie » à l’heure où les soignants s’épuisent à sauver les malades gravement atteints par la Covid-19 a bien quelque chose d’« obscène » (Marie de Hennezel) ou au moins d’inconvenant. Si « nous mourons mal en France » comme l’affirment d’entrée les rédacteurs du projet, à qui la faute ? Sûrement pas au seul fait qu’on n’ait pas encore légalisé l’euthanasie ! C’est un procès de civilisation qu’il faudrait engager, et devraient alors comparaître tous les acteurs de cette tragédie : déni de la finitude humaine et de la mort, éclatement de la famille, détresse des vieillards abandonnés dans des mouroirs, marchandisation des corps et des esprits, etc. Progrès de la médecine enfin qui, prolongeant  l’existence, réveille le vieux rêve d’immortalité de l’être humain, mais fait aussi de la fin de vie une impasse thérapeutique qui paraît justifier l’euthanasie : non plus la « bonne mort » (euthanasia) souhaitée par les Anciens épris de paix intérieure, mais une « aide active à mourir » encadrée par la loi et qui n’a dès lors plus rien de la libre mort privilégiée par le sage. « Si je me sais condamné à pâtir sans relâche, j’opérerai ma sortie, non en raison de la souffrance même, mais parce que j’aurai en elle un obstacle à tout ce qui est raison de vivre. Faible et lâche, qui a pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir. » écrivait Sénèque.

Pour justifier le passage légal de l’euthanasie passive (arrêt des soins ou administration de sédatifs pouvant entraîner la mort) à l’aide active à mourir par injection létale, les rédacteurs du projet s’appuient sur les lois Leonetti (2005) et Claeys-Leonetti (2016) qui ont déjà « attribué aux médecins, de manière individuelle et collégiale, la capacité de définir le moment où le patient est arrivé à la fin de sa vie et impose le devoir d’empêcher tout acharnement thérapeutique ». Ce qui suppose qu’un constat irrécusable de « fin de vie » antérieur à la mort puisse être établi par les médecins qui auraient alors le devoir d’achever une existence dont s’est retirée la vie ; la mise à mort légale n’étant plus qu’une formalité pénible, mais sans conséquences pénales pour qui l’accomplit. Le « droit » du patient à une fin de vie digne et sans souffrances ne va pas toutefois sans devoirs pour autrui puisque le médecin fidèle au serment d’Hippocrate interdisant l’injection d’un poison devra s’assurer de l’accord d’un confrère à qui confier cette tâche. Que va-t-il se passer s’il ne trouve personne pour le remplacer ? Une nouvelle loi va-t-elle le contraindre à exécuter ce que sa conscience réprouve, ou bien va-t-on un jour autoriser la famille ou une « personne de confiance » à se substituer au médecin ?

Liberté et dignité

Entre la loi déjà existante qui pénalisait l’euthanasie active, et la nouvelle qui la légalise, ce sont toujours liberté et dignité qui sont évoquées en faveur d’une fin de vie sans souffrance, distincte du « suicide assisté » en ce que la personne moribonde est dans l’incapacité de mettre fin à ses jours. Mais que reste-t-il de la liberté quand on délègue à autrui ce qu’on ne peut faire soi-même, et qu’on n’est plus en mesure de confirmer ou d’annuler une décision prise la plupart du temps quand on était encore bien-portant ou au moins conscient ? Entre le désir de ne plus souffrir exprimé par le malade, et l’idée que la mort volontaire puisse être l’unique issue, la pente risque d’être pour lui fatale alors même que des soins palliatifs appropriés auraient peut-être pu supprimer la douleur tout en maintenant la conscience que l’individu a de lui-même et de sa propre fin : « Je crois que je souhaiterais mourir en pleine connaissance, avec un processus de maladie assez lent pour laisser en quelque sorte ma mort s’insérer en moi, pour avoir le temps de la laisser se développer tout entière », confiait Marguerite Yourcenar. Que ce soit là un idéal de fin de vie difficilement réalisable n’interdit pas à une société de le prendre en compte et de tenter de le réaliser. Tel n’est plus l’ordre du jour, semble-t-il, et l’on s’est habitué à l’idée de devoir entrer dans la mort les yeux fermés.

Un contre-exemple éclatant de cet engrenage médico-social est apporté par le poète Antonin Artaud, rejetant l’issue factice qu’était à ses yeux le suicide, mais réclamant au législateur le libre usage des stupéfiants qui atténueraient ses souffrances, et cela pour la simple raison que « tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale, qu’il peut honnêtement supporter. » De la médecine, Artaud attendait donc à la fois qu’elle calme ses douleurs et qu’elle l’aide à préserver la lucidité que l’usage répété de l’opium tendait à amoindrir. Était-ce là demander l’impossible ? Peut-être, mais c’était pour lui sauvegarder liberté et dignité que d’en faire la requête. Jusqu’où peut-on donc prétendre respecter l’une et l’autre, et établir pour le malade, en fonction du savoir médical actuel, un constat de fin de vie qui autorise à le mettre à mort ? Ou plutôt ne le peut-on qu’en abandonnant la conviction que chaque individu est « l’Enfanteur » de sa propre mort (Rilke) qui sera à son image s’il l’a mûrie tout au long de sa vie. Tel était aussi le souhait de Hans Jonas, néanmoins favorable à l’euthanasie passive : « À part le “droit de mourir”, existe aussi le droit deposséder” sa propre mort dans la conscience bien concrète de son imminence. [] Je postule ici que cette mortalité représente intégralement une qualité de la vie, et non pas un affront à celle-ci, œuvre d’un hasard étranger. »

Légalisation sans légitimation

En dépit de la volonté affichée par le législateur de faire « évoluer les mentalités » – seraient-elles si rétrogrades et bornées ? –, la légalisation éventuelle de l’euthanasie active dépénalisera certes la mise à mort mais n’équivaudra pas automatiquement à sa légitimation, qui fait quant à elle appel à d’autres facteurs tels que l’éducation, les convictions religieuses, l’attitude personnelle face à la souffrance, l’idée que l’on se fait de la compassion. Or, c’est la réunion de tous ces facteurs qui permet à la légalité de devenir véritablement légitime et à une société d’être en accord profond et durable avec elle-même. Nombre de Français continueront donc très probablement, si la loi est adoptée, à considérer en leur âme et conscience que le cadre juridique entourant une telle pratique n’a pas en soi force de loi morale et encore moins spirituelle, interdisant quant à elle à tout être humain d’exercer un droit de vie ou de mort sur ses semblables. L’euthanasie active ne deviendrait à cet égard moralement légitime que si elle se substituait en tous points à un suicide librement choisi, mais devenu impraticable, et que le patient n’aurait pas regretté une fois accompli. Autant dire que les conditions qui la rendraient pleinement légitime sont et devraient demeurer rarissimes.

« La Mort de Sénèque », Jacques-Louis David, 1773 © Jean Arkesteijn / Wikimedia Commons

Quant à la dignité de la personne, que l’euthanasie est censée préserver, on ne peut à la fois affirmer qu’elle est consubstantielle à l’être humain en tant que tel (Déclaration des droits de l’homme) et qu’elle peut lui être enlevée par le vieillissement ou la maladie en fin de vie, même si le texte de loi précise que le sentiment de sa propre dignité relève d’une appréciation personnelle qui doit prévaloir sur toute autre considération d’ordre général. Mais à une époque où ce sentiment est si fortement dépendant de l’esprit du temps, on a de bonnes raisons de s’inquiéter de ce qu’une jauge sociale plus ou moins implicite puisse infléchir le jugement qu’un malade, ou son entourage, porte sur la « dignité » exigeant de lui qu’il se maintienne ou non en vie. Qu’est-ce après tout qu’une vie digne ou indigne d’être vécue jusqu’à son terme naturel ou artificiel ? Des adolescents aujourd’hui se suicident pour n’avoir pas à affronter le regard d’autrui après que leur image a été salie sur les réseaux sociaux. Magda Goebbels a tué ses six enfants pour leur épargner l’indignité de devoir vivre dans un monde dont le Führer ne serait plus le guide ! Le Christ par contre, et combien d’humiliés comme lui, n’a rien perdu de sa dignité pour avoir été flagellé et supplicié. Que l’on soit croyant ou athée, c’est sur la dignité de l’abaissement consenti (kénose) que sa mort invite à méditer quiconque est confronté au délabrement physique et psychique accompagnant souvent la fin de vie. Notre société doit à cet égard tout réapprendre, et elle ne le fera pas en légalisant l’euthanasie qui « cherche à en finir avec la mort en la précédant et en lui retirant l’initiative de la fin » écrit Pascal Hintermeyer dans La Mort et l’Immortalité : encyclopédie des savoirs et des croyances. Si elle le fait, on ne pourra plus dire comme Montaigne en son temps que la « préméditation de la mort » est la « préméditation de la liberté ».


Entretiens, Lettres à Lucilius

Price: 32,00 €

28 used & new available from 20,01 €

Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey

Price: 11,90 €

10 used & new available from

L'ombilic des limbes suivi de le pèse-nerfs et autres textes

Price: 8,30 €

39 used & new available from 3,33 €

Le Droit de mourir

Price: 3,97 €

16 used & new available from

La mort et l'immortalité: Encyclopédie des savoirs et des croyances

Price: 57,05 €

10 used & new available from

Sonia Mabrouk: Mon mariage d’amour avec la culture française

Le constat que dresse la journaliste franco-tunisienne de l’état de la France n’est pas brillant. L’intégration des populations venues de pays musulmans est un échec, les nouveaux antiracistes sont un danger et la tendance woke veut faire table rase de notre civilisation.


Causeur. Le 19 avril, dans une cité de Montpellier, Emmanuel Macron a été interpellé par une mère de famille portant le voile : « Mon fils m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment. Cela m’a vraiment choquée. » Qu’en avez-vous pensé ?
Sonia Mabrouk. Ce qui m’a frappée, c’est que le président, qui d’habitude ne manque pas de repartie, ne réponde pas à cette femme. Est-ce révélateur de son malaise face à la question ? Le sujet était-il trop sensible pour lui ? Quelle qu’en soit la raison, il a raté une occasion d’expliquer sa position directement aux plus concernés.

Qu’auriez-vous répondu ?
Deux choses. D’abord, qu’elle avait entièrement raison sur le fond et que sur la forme elle résumait en quelques mots ce que des responsables politiques, des intellectuels et des journalistes dénoncent depuis des années : l’absence de mixité dans les quartiers dits populaires, pour ne pas dire immigrés. Ensuite, je l’aurais invitée à s’interroger sur elle-même. Elle n’est pas une victime passive de ce phénomène qui n’est pas seulement social mais aussi, voire surtout, culturel. Exemple, le voile, que certaines portent comme un étendard politique.

Supposons un instant que le voile soit seulement religieux. Cela ne poserait aucun problème, selon vous, qu’il soit majoritaire dans certains quartiers ?
D’abord, tout est lié. En français, on porte le voile et on porte un prénom. Donc la mère porte le voile, ses fils portent certains prénoms et pas d’autres. Bref, on ne peut pas exclure que cette femme déplore les conséquences dont elle chérit les causes. Car vous avez raison, même quand le voile n’est pas un étendard, si la majorité des femmes le portent, cela devient une norme dans un territoire. Et ceux qui ne veulent pas de cette norme s’en vont. En 1989 déjà, après l’affaire du foulard de Creil, Gisèle Halimi parlait d’un « apartheid ». Le voile islamique, qu’elle appelait alors tchador, est un emblème religieux et politique qui doit rester en dehors de l’école, disait-elle de sa voix affirmée et légèrement aiguë. Or, face au féminisme universaliste de Gisèle Halimi, un autre « féminisme », dévoyé, fait cause commune avec les racialistes, les décolonialistes et autres indigénistes.

Entre les « accueillants », l’État et la société française, et les « accueillis », les immigrés et leurs descendants, comment se partagent les responsabilités dans la constitution de ces quartiers que certains qualifient de ghettos ?
L’intégration des populations immigrées des pays musulmans est globalement un échec dont la responsabilité est partagée. On ne saurait l’imputer seulement aux erreurs bien réelles des politiques de logement, d’urbanisme et d’immigration. Il y a des responsabilités individuelles et communautaires. On ne peut pas, comme la femme de Montpellier, dénoncer la communautarisation de la société sans se demander si on en est soi-même un acteur. La solution ne viendra donc pas des politiques de logement ou de la ville, mais d’un projet qui remettra au premier plan la fierté nationale et l’amour de la France. Le président aurait dû oser dire que certains prénoms sont plus français que d’autres.

À lire aussi : Mathieu Bock-Côté: l’invitation au combat anti-woke

Vous avez évoqué un « échec global » de l’intégration, et ne parlons pas de l’assimilation. Cet échec est-il aggravé par l’origine culturelle des immigrés ?
En effet, les immigrés à l’assimilation réussie sont les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Vietnamiens qui se sont totalement fondus dans la population française. Cependant, à la différence des autres immigrations, le flux migratoire de Français d’origine maghrébine ne s’est jamais arrêté depuis les Trente Glorieuses, aussi les chiffres ne sont pas comparables et les situations non plus. En revanche, le cas de la Tunisie est riche d’enseignements. En raison de la guerre civile en Libye, la Tunisie a accueilli énormément d’immigrés ou de réfugiés. À un moment donné, elle a dit stop ! Et ce n’était pas à cause des différences culturelles ou religieuses, mais parce qu’il arrive un moment où trop, c’est trop ! Ce qui est absurde, c’est qu’on ait le droit de le dire en Tunisie et pas en France.

Si « s’intégrer », c’est accrocher son wagon à la locomotive France et que « s’assimiler », c’est se mêler aux passagers du train, vous définiriez-vous comme assimilée ou intégrée ?
Le mot « assimilation » me gêne, parce qu’il suggère que tout ce qu’on apporte avec soi est forcément contraire aux valeurs du pays où on arrive. Or, je ne le pense pas, c’est pourquoi je préfère « intégration » : la culture d’origine peut être une richesse, mais elle enrichit une culture hégémonique, une culture de référence, la culture française.

Quand vous avez passé ce contrat avec la France, qu’avez-vous laissé dehors ?
Dans mon cas, il n’y avait pas de pratiques culturelles et religieuses à abandonner. Cependant, je me suis convertie à la laïcité à la française, ce qui n’était pas évident d’emblée. Mais le plus important, c’est que j’ai épousé la culture française et que c’est vraiment un mariage d’amour !

Qu’est-ce qui fait la différence entre ces immigrés qui sont devenus des Français comme vous et moi, et même des amoureux de la France, et ceux qui la détestent ?
Pour moi, c’est clairement l’éducation. J’ai appris en même temps à aimer les livres et à aimer la France.

Avec la culture, vous avez épousé une histoire. Étiez-vous consciente qu’elle contenait aussi des pages sombres ?
Évidemment ! L’histoire française, on l’assume en bloc, mais on regarde ce bloc avec des yeux grands ouverts. C’est pour cela que la « déconstruction de notre histoire » est un grave péril.

Ce sont les termes exacts employés par le président dans un entretien à la chaîne américaine CBS. Pour lui, cette déconstruction est nécessaire pour faire de la place aux nouveaux arrivés. Qu’en pensez-vous ?
Je ne veux pas faire au président un procès d’intention, il faudrait réécouter tout l’entretien. Ce qui me dérange, c’est qu’il semble adapter son discours au média auquel il s’adresse, en d’autres termes dire à chacun ce qu’il veut entendre. Il voulait dire aux Américains qu’il comprend ce qui se passe chez eux, avec BLM et le woke, même si chez nous ce n’est pas pareil. D’abord, même pour l’Amérique, on peut être critique quant à cette nouvelle idéologie qui devient dominante, dans les grands médias et les universités. Surtout, le président a – encore – raté une occasion d’affirmer sa fierté d’être français. Nous glissons vers une culture de la contrition où on nous demande, que dis-je, on nous somme, de nous battre la coulpe, de nous incliner, de nous agenouiller sous peine d’être extrême-droitisé. Je refuse – et nous devrions tous refuser – de vivre dans une perpétuelle repentance. Ce mélange d’autodénigrement, de servitude et de rancœur est un poison mortel qui coule dans les veines du pays. Ce breuvage, servi matin, midi et soir par les racialistes et consorts, a déjà réussi à introduire une fêlure dans notre croyance au Légendaire français. Il leur reste désormais à déboulonner les derniers clous qui soutenaient l’idée même de Nation.

Cela nous amène à votre livre. Vous identifiez six mouvances qui, au nom des femmes, des minorités sexuelles, des damnés de la terre, des musulmans ou de la planète, nous demandent justement de faire repentance. Et selon vous, leurs militants ne manquent pas toujours d’arguments. Lesquels ?
Prenons l’exemple du néo-féminisme. Quand on entend Alice Coffin, on est parfois d’accord avec elle.

Première nouvelle !
Laissez-moi m’expliquer ! Par exemple, il est déplorable qu’elle ait été virée de la Catho, où elle enseignait, pour avoir déclaré qu’elle entendait « éliminer les hommes » de sa vie, des livres, des films. Aussi choquante soit cette affirmation, elle relève de la liberté d’expression. Seulement, quand je l’ai interrogée sur l’expulsion violente de Sylviane Agacinski de l’université de Bordeaux, elle a fait cette réponse glaçante : ce n’est pas la même chose, il faudrait interdire les propos d’Agacinski ! Tous ces groupes que je qualifie de déconstructeurs ont un objectif commun : rompre l’équilibre de notre société et de la civilisation occidentale, et pour ce faire criminaliser le sentiment national. L’influence de leurs idées ne cesse de progresser. Leur ruse est de proposer des universalismes alternatifs. À la place de « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! » c’est – au choix – victimes du patriarcat, damnés de la terre, « racisés » unissez-vous ! Sauf que c’est faux. Ces gens croient détenir la vérité absolue et refusent le débat. Ce sont des religieux, pas des philosophes.

Il y a de nombreuses demeures dans la maison intersectionnelle. Laquelle de ces mouvances vous inquiète le plus ?
La plus puissante aujourd’hui est probablement celle des antiracistes qui ont des figures de proue comme Assa Traoré. Ils ont le vent des médias anglo-saxons en poupe et une assise sociologique prometteuse. À l’époque de la Marche des Beurs et de SOS Racisme, les enfants d’immigrés arabes dominaient la « jeunesse des quartiers » et l’histoire algérienne était au cœur du récit victimaire. Aujourd’hui, le nouvel antiracisme, ce sont des leaders noirs qui mettent en avant l’esclavagisme, mais dans les cortèges et la troupe il y a encore beaucoup de Français d’origine maghrébine. Ils flattent un sentiment puissant, dont le potentiel mobilisateur est bien plus fort que celui des théories du genre. Je ne suis pas sûre que cette hégémonie soit le fruit d’une volonté de dominer la scène.

Assa Traoré à la manifestation contre la proposition de loi « sécurité globale », Paris, 28 novembre 2020 © Samuel Boivin / NurPhoto via AFP

Vous êtes bien candide !
Bien sûr que non ! Aucune candeur, mais une volonté de voir la réalité de ces groupes sans en exagérer la puissance ! Toutefois, j’insiste, c’est une erreur de les réduire à des querelles académiques et à des confrontations corporatistes à l’université. L’éditorialiste américain Andrew Sullivan explique que nous vivons tous sur un campus mondial. Il y a quelques années, on pouvait encore dire que ça ne concernait que quelques étudiants. Aujourd’hui, ce mouvement d’essence totalitaire drapé dans sa bien-pensance morale infuse dans les interstices de la société.

L’obsession raciale des antiracistes est abondamment pointée. Ce qui l’est moins, c’est le triomphe du sentiment – Eugénie Bastié en parle très bien dans son livre –, « je ressens, donc je suis ». Vous-même avez tiqué lorsqu’Élisabeth Lévy a prononcé l’expression « tête d’Arabe ».
Reconnaissez-moi une plus faible promptitude que d’autres à me sentir offensée. Je ne serai jamais dans le « je ressens, donc je suis ». En tant que journaliste, j’ai un rôle de « modératrice » qui ne consiste évidemment pas à faire la police des propos tenus sur mon plateau, mais à les faire préciser. C’est dans cet objectif que j’ai interpellé Élisabeth Lévy pour ne pas laisser cette expression sans explication de sa part. Les réseaux sociaux se sont emparés de ce moment et la culture de l’extrait a encore frappé. En ce qui me concerne, parenthèse refermée.

À lire aussi : Eugénie Bastié : “Observer la vie intellectuelle m’a rendue moins péremptoire”

Comment expliquez-vous que la société française résiste mieux que d’autres à ces nouvelles idéologies ?
On assiste depuis quelques années à un grand remplacement du sacré par l’idée de « progrès ». Mais, ici ou là, des « Gaulois réfractaires » résistent à cette conversion à un progressisme échevelé ! Nous avons intimement conscience que ce progrès marketé, ce progressisme à la sauce woke n’est rien d’autre que la civilisation du vide. Nous avons, collectivement, perdu le goût et le chemin du sacré et du beau. Le théologien Henri de Lubac parle d’« atrophie du sacré ». La nature humaine a besoin de transcendance, encore plus quand les forces déconstructrices s’emploient à nous faire détester la France et ses héros.

En tout cas, vous refusez le défaitisme.
La reconquête est possible pour peu qu’on partage un constat : la France n’est pas réductible à la République. La République n’est pas un contenu, c’est un règlement de copropriété qui cadre nos conflits. Face à des projets identitaires, cela ne suffit pas. René Girard a écrit une phrase qui devrait nous interpeller : « [Il faut] entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. » Girard appelle à un changement de mode de pensée. Il dit, en substance, qu’il nous faut épouser une vision millénaire, retrouver une part de sacré.

La République, un règlement de copropriété, vous exagérez. Il y a un esprit républicain, un habitus, des mœurs, un imaginaire.
Sans doute, mais cet imaginaire ne fonctionne plus, il ne fabrique plus de sacré. Il s’agit de retrouver une liturgie, un sacré non religieux. Et d’expliquer au peuple français comment demeurer. Il y a quelque chose qui préexiste à tout cela et l’englobe. Ça s’appelle la civilisation française, et même la civilisation chrétienne, un mot que personne n’ose prononcer.

Et pour cause, comme le dit Jean-Louis Debré à propos de Napoléon, « ce serait une provocation ». Croyez-vous vraiment pouvoir refaire nation par le christianisme ?
L’héritage chrétien ne doit plus être considéré comme un fardeau, mais comme le socle d’une culture commune, hégémonique, celle qui fait du lien. Il faut dépasser la question de la croyance. On peut comprendre la portée d’un texte religieux sans y adhérer comme croyant. Les Français de confession musulmane doivent comprendre que lorsqu’on parle de racines chrétiennes, ce n’est pas contre eux, mais avec eux. Pour l’ensemble des Français, les églises sont des lieux de mémoire, pas de sacrements.

Pouvez-vous imaginer des mesures concrètes pour traduire cette logique en politique ?
Je ne fais pas de politique, je veux donner l’alerte. Arrêtons de regarder l’effondrement de notre civilisation comme des sismologues observant un tremblement de terre sur Mars. On ne reconstruit pas une nation sur la honte. Il faut retrouver l’envie de la grandeur et le goût de l’honneur. Nous avons tous une dette à l’égard de la France. Cela nous interdit de renoncer.

Israël musèle la presse à Gaza? Retour sur une fake news

2

L’ancien porte-parole du président Obama lui-même confirme en réalité la présence du Hamas dans le fameux bâtiment qui abritait les locaux d’Al-Jazeera et de l’AP.


Le bâtiment s’est écroulé comme un château de cartes. Samedi dernier, Tsahal a bombardé les dizaines d’étages gazaouis qui servaient de locaux à l’agence de presse américaine Associated Press (AP) ainsi qu’à la chaîne de télévision du Qatar Al-Jazeera. « C’est un développement incroyablement inquiétant. Nous avons évité de justesse de terribles pertes humaines. Le monde sera moins bien informé sur ce qui se passe à Gaza à cause de ce qui est arrivé aujourd’hui », a déclaré dans un communiqué le patron de l’agence Gary Pruitt. De son côté, le directeur général par intérim du groupe qatari Al-Jazeera qualifie la destruction de la tour de « violation flagrante des droits humains » et estime qu’elle doit être considérée « internationalement comme un crime de guerre » visant à « faire taire les médias ». Dans un communiqué, les services de sécurité israéliens ont justifié la frappe sur ce bâtiment par le fait qu’il abriterait « des entités appartenant au renseignement militaire de l’organisation terroriste Hamas » qui installerait « délibérément des cibles militaires dans des zones ultra-peuplées » pour utiliser les civils comme « boucliers humains »…

Les employés invités à évacuer l’immeuble avant la frappe

« L’armée a prévenu le propriétaire de la tour dans laquelle AP a ses locaux qu’elle serait ciblée » par une frappe, avait écrit sur Twitter un journaliste de l’agence AP peu de temps avant. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou confirmera par téléphone au président américain Joe Biden l’évacuation des journalistes et habitants de l’immeuble, « où se trouvaient des cibles terroristes ». À l’occasion de cet échange, Netanyahou assurera à son homologue qu’Israël « faisait tout pour éviter de s’en prendre à des personnes non impliquées » dans le conflit. « Nous avons dit directement aux Israéliens que garantir la sécurité des journalistes et des médias indépendants était une responsabilité d’une importance capitale », tweetera dans la foulée Jen Psaki, porte parole de l’exécutif américain.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Manifestation pour Gaza interdite: un remède pire que le mal

Pas convaincu, « choqué et horrifié que l’armée israélienne cible et détruise le bâtiment » où se situent leurs bureaux, le patron de l’agence de l’AP demande une enquête indépendante sur les raisons de cette opération de l’armée israélienne afin «  que les faits soient connus ». Dans un second communiqué, Gary Pruitt ajoute que « si nous [l’AP, ndlr] avions vu des informations crédibles selon lesquelles nos journalistes étaient en danger ou si notre capacité à rapporter les informations avec précision et équité avait été compromise, nous aurions pris des mesures pour remédier à la situation. Nous ne mettrions jamais sciemment nos journalistes en danger », insiste-t-il.

Le précédent de 2014

Ce n’est pourtant pas ce que déclarait en 2014 un ancien journaliste de l’AP. Sur la base de ses expériences entre 2006 et 2011 en tant que correspondant et rédacteur en chef du bureau de Jérusalem de l’Associated Press (AP), Matti Friedman a livré des révélations fracassantes. « La presse occidentale est devenue moins un observateur de ce conflit qu’un acteur de celui-ci, un rôle qui a des conséquences sur les millions de personnes qui tentent de comprendre l’actualité, y compris les décideurs qui dépendent des récits journalistiques pour comprendre une région où ils cherchent constamment à intervenir de manière productive ». Lors de son séjour à Gaza, Friedman a été le témoin de plusieurs scènes confirmant les pressions qu’exercerait le Hamas sur la presse internationale présente sur leur territoire. Après la guerre de 2014, il écrira dans The Atlantic que « le personnel de l’AP dans la ville de Gaza assistera à un lancement de roquettes juste à côté de leur bureau, mettant en danger des journalistes et d’autres civils à proximité – et l’AP ne le rapportera pas pour ne pas confirmer les affirmations israéliennes selon lesquelles le Hamas lançait des roquettes depuis des zones résidentielles. (Cela s’est produit.) Les combattants du Hamas faisaient irruption dans le bureau de l’AP à Gaza et menaçaient le personnel – et l’AP ne voulait pas le signaler. (Cela s’est également produit.) »

Paul Colford, qui était alors porte-parole de l’AP, a également confirmé que des militants armés sont entrés dans le bureau de l’AP à Gaza au début de la guerre de 2014. Ils se plaindront d’une photo montrant l’emplacement d’un lancement de roquettes. « L’AP ne rapporte pas beaucoup d’interactions avec des milices, des armées, des voyous ou des gouvernements», a-t-il écrit dans un communiqué de l’AP. «Ces incidents font partie du défi de diffuser les informations», ajoutera-t-il à l’époque.

Le tweet de Tommy Vietor

Dernière source à valider la thèse d’Israël sur la présence du Hamas dans les bureaux de l’AP ? Une que l’on ne peut pas vraiment accuser de collusion avec Israël et qui condamne la destruction du bâtiment par Tsahal. « Je suis sûr que des bureaux du Hamas se trouvaient dans ce bâtiment et qu’ils se servent délibérément des civils pour organiser leurs opérations militaires. Mais ce n’est pas quelque chose de nouveau. Et si Tsahal veut prétendre que l’effort militaire est ciblé, précis, etc… alors ils n’auraient pas dû frapper ce bâtiment » tweete Tommy Vietor ce 15 mai. Il est l’ancien porte-parole du président Barack Obama et du conseil de sécurité nationale des États-Unis entre 2011 et 2013.

A lire aussi, Gil Mihaely: Israël-Gaza: le Hamas a renversé la table

Lorsqu’une internaute lui demandera les sources qui lui permettent de prétendre que des membres du Hamas étaient bien présents, Tommy Vietor répondra qu’il a lui-même « échangé avec des gens qui travaillaient dans ce bâtiment ». Cela valide les déclarations (confirmées plus tard dans la journée par Netanyahou) d’une source diplomatique israélienne de haut niveau, qui a confié ce 17 mai au Jerusalem Post que Netanyahou a présenté aux Américains « une preuve irréfutable établissant que le Hamas travaillait dans le bâtiment » et qu’il croit « comprendre qu’ils ont trouvé l’explication satisfaisante ».

Assez « satisfaisante » pour que l’exécutif américain ne condamne pas la frappe de Tsahal, ne dénonce pas une violation de la liberté de presse et n’exige pas l’arrêt immédiat des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ? Pour l’instant oui.

Sommes-nous encore en démocratie?

Bien sûr, poser la question, c’est y répondre — surtout avec l’adjonction de ce délicieux « encore » qui postule que nous fûmes, jadis, il y a longtemps, en démocratie. Natacha Polony a sur nombre de journalistes l’avantage d’avoir réussi l’agrégation de Lettres avant de passer le master de Sciences-Po, et d’avoir fait force explications de textes et dissertations. Il lui en reste quelque chose, dans l’analyse du sujet, le glissement opportun d’une problématique à une autre, dans la clarté de l’expression, la qualité du style, l’absence de ce Je hypertrophié qui caractérise tant de ses confrères, le maniement discret des références indispensables, et un je ne sais quoi de ténu, constamment ironique, qui est la vraie marque du désespoir.

Ce petit essai fort brillant analyse avec lucidité le processus qui depuis quarante ans a dépossédé le peuple — vous savez, le Démos auquel fait allusion le mot Démocratie — de tout pouvoir effectif, sinon celui de s’avachir devant la télé et de voter comme le lui suggèrent les oligarques de l’Europe maastrichienne, de la « fin de l’Histoire » et de la mondialisation heureuse — forcément heureuse. La démocratie a été confisquée par les économistes libéraux (pléonasme !) et leurs relais dans les médias. Un tout petit monde qui se targue de tout savoir parce qu’ils dînent entre eux, en se moquant des avatars modernes du « peuple » — gilets jaunes, complotistes, « républicains » de toutes obédiences (mais suspectés d’être « fascistes », comme Chevènement, Seguin ou Finkielkraut) et autres gueux sans dents.

À lire aussi, du même auteur: Walt Disney, pervers polymorphe

Les politiques qui nous gouvernent, dont Polony souligne l’extraordinaire ignorance générale (comme la culture du même nom, supprimée des concours sous prétexte de discrimination positive), dansent eux aussi sur un volcan. Les Gilets Jaunes ne les ont pas convaincus. Le glissement des classes laborieuses de la Gauche au RN ne les inquiète guère. Les « républicains » des deux rives, de D comme Debray à P comme Polony, de G comme Guaino à O comme Onfray, les amusent. Le verdict des référendums, opportunément renversé par le Congrès, les divertirait presque. Quant aux élections, quelle corvée — on ferait mieux de confier définitivement les affaires aux Grands Sachants, opportunément promus Grands Sachems. Et de confiner le peuple dans ses HLM. Tiens, une bonne idée, ça ! Si seulement nous disposions d’un prétexte pour les forcer à rester chez eux…

Quant aux tribunes des uns et des autres avertissant que la guerre civile guette, quelle plaisanterie ! Avec deux ou trois Cyril Hanouna, on peut parer à n’importe quelle émeute, n’est-ce pas…

Parce que Polony est bien consciente que notre démocratie repose désormais sur le mépris des élites auto-proclamées pour le peuple. Elles ont sacrifié petits commerçants, jobs d’étudiants, respect dû aux personnes âgées, condamnées à mourir de solitude dans des EHPAD mieux cadenassées que nos prisons, sans que personne ne proteste. Elles ont détruit l’École républicaine, suspecte de former des citoyens trop informés — alors qu’un enseignement au rabais suffit à former des consommateurs —, anéanti la langue et la culture, accusées de relents nationaux ou nationalistes, truqué les élections en alliant gauche libérale et droite classique afin de mener, quels que soient les résultats, la même politique depuis trente ans, sous prétexte d’éliminer l’épouvantail RN, et monopolisé tous les canaux d’information. Pourquoi se gêneraient-elles en conservant le système électoral du « monde d’avant » ? 

À lire aussi, Thomas Morales: Le dernier des mohicans

Polony sait construire une dissertation, c’est entendu, mais elle ne crucifie pas le lecteur sous la masse des citations. Christopher Lasch, oui, bien sûr (la Révolte des élites et la trahison de la démocratie). C’est presque tout. Comparez avec un Finkielkraut qui arrive à tout débat avec une kyrielle de références…

Elle sait aussi écrire — et ça nous change de tant d’essais filandreux. Peu de mots de liaisons, un raisonnement serré comme une cotte de mailles, dans lequel le lecteur ne peut faufiler son égo ou ses objections. Ah, elle a les moyens intellectuels, elle, de déplorer la baisse continue du niveau de nos dirigeants, et des gogos qui croient exister parce qu’ils éructent sur les réseaux sociaux…

Imaginons un instant que cet essai stimulant ait emprunté les voies du roman historique. Nous assisterions à une soirée à Versailles en 1788, où Marie-Antoinette se moquerait avec entrain de Calonne, qu’elle vient de faire renvoyer — en évoquant Necker, « remercié » lui aussi sept ans auparavant. La reine, folâtre, plaisanterait avec ses favorites sur ces femmes de Paris qui veulent du pain : « Qu’on leur donne de la brioche ! » s’exclame Mme de Lamballe — une réplique piquée dans les Confessions de Rousseau dont ces dames raffolent. En attendant, le chocolat est d’excellente qualité. « Savez-vous, raconte Mme de Polignac, qu’un certain Guillotin a réalisé une machine à couper les têtes qui vous fait juste éprouver un courant d’air frais dans le cou ? » « Oui, dit la Reine, on l’a expérimenté sur un mouton, pauvre bête ! » « Quelle horreur ! » s’exclame le comte de Fersen…

À lire aussi, Céline Pina: Les manifestations pro-palestiniennes ne feraient-elles plus recette?

Quant au « peuple »… « Ces manants croient avoir droit à a parole ! » ricanent-ils en chœur. « Et ils appellent à une réunion des Etats Généraux ! »

« Bah, dit le comte d’Artois, tant que nous avons la Bastille… Monsieur de Launay la tient d’une main ferme. »

Et curieusement, Polony achève son essai sur une phrase qui fait écho à cette fiction : « Le temps est venu de faire tomber les nouvelles Bastille ». Rarement essai politique s’est aussi bien conclu sur un appel à l’insurrection qui vient.

Sommes-nous encore en démocratie ?

Price: 10,00 €

34 used & new available from 1,45 €

L’homme que la France a oublié deux fois

Citoyen français, Michel Atangana a été laissé dans un cachot camerounais pendant 17 ans pour un délit fictif. Depuis sa libération, il n’a toujours pas été réhabilité et peine à récupérer sa dignité dans son propre pays. Il publie Otage judiciaire, 17 ans de prison pour rien (Le Cherche Midi, 2021).


Nul n’ignore qui est Florence Cassez. Alors compagne d’une des têtes d’un cartel mexicain versé dans les extorsions, séquestrations et tortures, elle est arrêtée en 2005 pour suspicion de complicité et passe sept ans dans une geôle mexicaine. Suite à sa libération très médiatisée, elle est reçue pour un festin à l’Élysée avec Nicolas et Carla Bruni Sarkozy. Mais qui a entendu parler de Michel Thierry Atangana ? 

17 ans de cachot!

Débarqué en Bretagne à l’adolescence, ce personnage bien moins médiatique renonce à la nationalité camerounaise pour embrasser celle de son pays d’adoption à l’âge de 22 ans. Inconditionnel des messes catholiques aux aurores, passionné par le commerce et par Roland Garros, il décroche un DESS en finances avant que Nestlé, Mitsubishi ou Caterpillar ne s’arrachent ses services. Alors qu’il n’a même pas trente ans, ce gendre idéal semble voué à une florissante carrière d’ingénieur financier aux costumes bien taillés. C’était sans compter sur sa lubie de redresser le Cameroun, un retour aux sources qui sonne le début d’une très longue descente aux enfers. En 1994, un comité de treize entreprises françaises et américaines le charge de superviser le suivi de grands travaux routiers au pays de Paul Biya. Trois ans plus tard, au sortir de l’église en compagnie de son épouse, Michel Atangana est violemment arrêté au volant de sa voiture par des dizaines de soldats. Sans la moindre preuve, il est alors accusé de complicité d’un détournement de 150 milliards de francs CFA (pas moins de 230 millions d’euros) avec le médecin Titus Edzoa, ministre de la Santé entré en dissidence venant de se porter candidat à la présidence. « Une somme terrifiante », nous commente l’ingénieur financier près d’un quart de siècle après sa capture.

Bien qu’il ne soit guère versé dans la politique, le gouvernement l’accuse alors d’être le directeur de campagne du médecin dissident. Pour sauver la vie de cet ambitieux politicien, Michel Atangana refuse de témoigner contre lui. Un sacrifice qui lui vaudra dix-sept ans de sa vie à croupir au sous-sol du Secrétariat à la défense du Cameroun, alternant entre la compagnie des rats et celle des cafards, cris de prisonniers torturés, humiliations des geôliers, gaz d’échappement infiltrés et fausses accusations lors de procès kafkaïens. Un cauchemar dont « il est impossible d’invoquer une base légale et qui revêt donc un caractère arbitraire », rapporteront les conclusions de l’avis d’un groupe de travail des Nations Unies adressé à l’État du Cameroun en 2013. Des âmes s’en seraient-elles offusquées au sein même des hauts cercles camerounais ? Toujours est-il que peu après son arrestation, des écoutes téléphoniques émanant des services de renseignements camerounais sont dévoilées sur les ondes d’Africa n°1. On y entend le secrétaire général de la Présidence et le ministre des Finances camerounais se réjouir de la cabale qu’ils sont en train de monter. Lors de son second procès, Atangana utilisera d’ailleurs ces enregistrements.

Quand le Quai d’Orsay ne répond pas

Pour l’heure, Atangana est alors condamné à quinze ans de prison. Les années passent. Confiné dans son sous-sol, il espère que l’on va un peu se pencher sur lui. Rien. Depuis sa cellule, il entend pourtant Nicolas Sarkozy aller libérer au Tchad les très médiatisés gourous de L’Arche de Zoé ou se mettre en quatre pour Ingrid Betancourt en Colombie. Interrogés sur le cas Atangana, Kouchner puis Juppé s’abritent derrière des communiqués invoquant le principe de non-ingérence. Durant treize ans, ce citoyen français incarcéré à l’étranger n’a donc bénéficié d’aucune protection consulaire. Il faut attendre 2009, année de la nomination de Bruno Gain à l’ambassade pour qu’on se penche un peu sur son sort. « Bruno Gain a rétabli la protection consulaire à mon égard et il ne s’est pas fait que des amis au Quai d’Orsay », me souffle l’ancien prisonnier. La même année, Le Canard Enchaîné lance l’alerte par le premier article en France sur son cas. En 2012, Atangana est à nouveau condamné, à vingt ans de prison cette fois.

© Le cherche midi

En 2014, une rencontre de sa défense avec un certain Éric Dupond-Moretti permet d’échauffer une grâce de la part de l’intouchable Paul Biya. Accordée la même année, celle-ci lui permet de renouer avec le grand air. Qui sont les quatre ambassadeurs qui se sont succédé à Yaoundé avant la nomination de Bruno Gain ? En fonction lors de l’arrestation, Philippe Selz est l’auteur d’un ouvrage au titre prometteur, La diplomatie expliquée à une jeune fille du XXIème siècle. Nommé en avril 1998, Jean Paul Veziant est pour sa part un vrai collectionneur de médailles : chevalier de l’ordre national du mérite en 1984, chevalier de la Légion d’honneur en 1998, officier national de l’ordre du mérite cinq ans plus tard ! Ambassadeur en poste à Yaoundé de 2003 à 2006, Jean-François Valette n’a rien d’un pétochard : il est l’auteur d’un rapport salé de l’Union Européenne sur la présidence d’Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) qui a fait grand bruit. Quant à son successeur Georges Serre, réputé très proche du même Ouattara, il se consacre désormais à conseiller le transporteur maritime français CMA CGM sur l’Afrique. 

« On a fait de moi un apatride »

Tandis que Michel Atangana était sous terre, ces amoureux de la francophonie n’étaient guère en train de se prélasser sous le soleil de Yaoundé. Alors pourquoi aucun d’entre eux n’a daigné rendre visite à leur compatriote durant tout ce temps ? « Ça arrangeait peut-être tout le monde de considérer comme un Camerounais ce ressortissant français », estimait Dupond-Moretti dans le documentaire « Michel Thierry Atangana, scandales d’États » il y a deux ans. « Depuis 25 ans que je me pose la question, je ne vois aucune raison valable au fait qu’on m’ait oublié et qu’on ne m’accompagne pas après. Je suis convaincu qu’il y a eu une erreur monumentale d’appréciation à mon égard », nous confie pour sa part l’intéressé. Alors que Jean-François Valette n’a pas donné suite à notre sollicitation, CMA CGM nous a assurés que George Serre vient de les quitter sans laisser de numéro. Quant à la Toile, elle ne contient nulle trace de quelque déclaration venant des anciens ambassadeurs au sujet de l’ingénieur emmuré. Peu après son arrestation, les documents attestant de la nationalité française de Michel Atangana se volatilisent étrangement de l’ambassade de France.

De mauvaises langues chuchotent que George Serre en personne aurait sciemment embarqué les fameux papiers dans une valise diplomatique, des dires impossibles à vérifier. « Le vrai scandale, c’est qu’on a fait de moi un apatride », souligne pour sa part le rescapé. « Pour justifier la non intervention de la France, il fallait dire que je n’étais pas français. On a donc fait disparaître des papiers d’expatriation et de nationalité française. Je me suis seulement retrouvé avec ma carte de séjour comme Français au Cameroun et j’ai été inculpé par le Cameroun pour falsification d’identité avec mandat de dépôt ». La première organisation à se pencher sur l’étrange incarcération est Freedom House, une ONG qui nous vient d’Outre atlantique, à la suite de quoi le prisonnier apprend qu’il a été reconnu prisonnier politique par le département d’État américain depuis… 1999. Cette lueur d’espoir sera suivie de l’attention de La Croix rouge, de celle d’Amnesty International puis de celle des Nations Unies. La France a-t-elle agi parce qu’elle n’avait plus vraiment le choix ? Toujours est-il que fraîchement élu, François Hollande adresse à son compatriote un courrier d’une inconsistance mémorable : « quels que soient les crimes que vous avez commis, la peine qui vous a été infligée est particulièrement lourde ».

Double peine ?

En 2014, Michel Atangana est enfin libéré. Après avoir eu droit à son festin à l’ambassade du Cameroun, il apprend qu’il est tenu de payer de sa poche son billet de retour pour Paris. Rappelons qu’il y a deux ans, le gouvernement préparait (sans s’en vanter) un rapatriement de quelque 250 djihadistes de Syrie avec deux avions et frais de vol inclus. À Paris, il est enfin reçu par François Hollande en personne à l’Élysée. « Pas plus de dix minutes », avertit le président. Si la rencontre dure finalement une demi-heure, aucun média n’y a été convié. « Vous êtes le doyen des Français détenus par un État étranger. Cela ne doit plus jamais se reproduire », lui lance un Hollande à l’abri des regards et des caméras. Pour pouvoir retrouver ses droits sociaux (et les joies du fisc), Michel Atangana a besoin d’un document du Quai d’Orsay justifiant ses dix-sept années hors des radars français. Alors sous l’égide de Laurent Fabius, le ministère des Affaires étrangères refuse catégoriquement d’y préciser que cette détention a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies au motif, est-il inscrit sur la lettre de refus, d’un « respect dû à la souveraineté des États ». Nous avons aussi consulté l’attestation. Cachetée par le ministère, elle indique simplement que « ce ressortissant français a été détenu au Cameroun du 12 mai 1997 au 24 février 2014 ».

« Comment pourrais-je trouver un emploi avec un casier judiciaire aussi chargé ? », s’indigne poliment l’ancien captif. « L’État voudrait que je me débrouille avec le RSA. Il me l’a proposé et j’ai dit non car je ne veux pas m’abreuver de l’État providence. On m’a ôté ma dignité ». Si certains hauts gradés du Cameroun ont été écartés suite à l’iniquité avérée de la justice de Paul Biya envers Michel Atangana, celui-ci n’y a toujours pas été légalement déclaré innocent et le Cameroun ne lui a pas restitué les biens qui lui ont été saisis après son arrestation. « S’il le souhaitait, l’État français pourrait entamer une négociation diplomatique avec l’État camerounais pour que Paul Biya aille jusqu’au bout de son engagement et réhabilite Michel Thierry Atangana. Des rapports faits par les services camerounais attestent du caractère arbitraire de cette détention et du fait qu’il a été une victime collatérale de manœuvres politiques », souligne Laurent Bigot, ancien diplomate au Mali et désormais chroniqueur pour Le Monde.

En vertu d’une commission rogatoire camerounaise que la police judiciaire française demande aux banques françaises d’appliquer, Michel Atangana ne peut même pas avoir de compte bancaire. Ce n’est pas tout. En 2014, il se présente devant un guichet de la Sécurité sociale avec son numéro pour mettre à jour son dossier afin d’aller chez le dentiste. On lui dit et lui répète alors qu’il n’est pas Michel Atangana. Et qu’en conséquence, il n’a pas le droit d’utiliser son propre numéro de sécurité sociale – alors que ses droits de sécurité sociale sont toujours à jour. S’ensuit un parcours du combattant jusqu’il y a deux ans. « Il a fallu qu’un médiateur de la République se mette en colère pour que je puisse avoir accès à mon propre dossier », confie-t-il. D’une façon générale, l’ingénieur que toutes les entreprises s’arrachaient est aujourd’hui sans le sou, sans possibilité de travailler ou de solliciter quelque crédit pour démarrer une nouvelle vie. 

1500 Français emprisonnés à l’étranger

Suite à l’épisode de la fameuse attestation d’incarcération (qui ne stipule pas que celle-ci a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies), le département d’État américain a proposé à Michel Atangana de l’arracher à notre inertie pour lui attribuer la nationalité américaine. L’intéressé a dit non. « Je ne changerai pas ma nationalité. La France correspond à ma culture et à mes valeurs », lâche-t-il simplement, loin de céder aux sirènes du ressentiment. Qu’en pense Emmanuel Macron ? À ce jour, il ne s’est pas exprimé publiquement sur ce sujet. Le bout du tunnel pourrait pourtant venir de ses troupes. Député marcheur de l’Essonne, Pierre Alain Raphan porte une proposition de loi visant à « améliorer la mise en œuvre effective avec les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ». « On entend très peu de cas d’Américains ou de Russes qui sont enlevés et pas libérés. Quand vous enlevez un Américain, l’Amérique va venir le récupérer sur place quitte à le juger dans son pays s’il a fait une faute, il y a une approche de la protection du citoyen qui est au cœur de la politique. Moi j’aimerais qu’en tant que pays des Droits de l’homme, on dise que vous ne touchez pas à un seul cheveu d’un Français !», tonne-t-il au bout du fil.

D’ici-là, la France a-t-elle les moyens de contraindre le Cameroun à réhabiliter ce citoyen français ? « Le fait est qu’il y a un manque de volonté politique. On nous oppose un principe d’immunité étatique », glisse-t-on du côté du cabinet d’Antoine Vey, avocat désormais en charge du dossier. « Les Américains n’ont pas proposé à Atangana de prendre la nationalité américaine pour ses beaux yeux. Contrairement à nous, ils ont vu les enjeux politiques et ont compris que ce dossier permettrait de faire pression sur Paul Biya. Mais chez nous, un problème ne vient sur l’agenda politique que lorsqu’il est médiatique. S’il y avait une pression médiatique, l’exécutif serait sans doute déjà contraint d’agir », analyse pour sa part Laurent Bigot.Au 31 mai 2020, 1500 Français étaient emprisonnés à l’étranger selon le Quai d’Orsay. Si près d’un quart sont détenus pour des affaires de stupéfiants et 40% pour des raisons de droit commun, un tiers est en geôle pour des motifs inconnus… En attendant de retrouver une vie un peu normale, Michel Atangana vient de signer Otage judiciaire (Le Cherche-Midi). De procès iniques en bureaucrates grotesques, on y trouve des situations auxquelles même Franz Kafka n’aurait pas songé.

Otage Judiciaire, Michel Thierry Atangana, Le Cherche-Midi

Otage judiciaire - 17 ans de prison pour rien

Price: 18,00 €

22 used & new available from 2,28 €

Beau temps pour les reptiles

0
© D.R.

Confinement et animaux font bon ménage


Confinement et animaux font bon ménage. Pour l’année 2020, la Société protectrice des animaux (SPA) a enregistré près de 38 000 adoptions d’animaux pour un taux de retour – historiquement bas – de 3,8 %. Le bonheur des bêtes ne s’arrête pas là : les abandons de chiens ont chuté de plus de 20 % en 2020, une tendance notamment due à la baisse des départs en vacances d’été.

Dans un sondage réalisé en mars 2021 auprès de 1 039 personnes, 84 % des détenteurs d’animaux domestiques affirment que leur bête les aide à « supporter les restrictions liées au Covid-19 », un argument que Tintin aurait sans doute fait sien s’il avait été assigné à résidence avec Milou. Mais face au grand enfermement, les jappements des fox-terriers ou les prouesses des bergers allemands suffisent-ils toujours ? Les heureux élus ne sont pas forcément ceux que l’on croit. En 2020, les recherches sur internet pour se procurer des NAC (nouveaux animaux de compagnie) ont explosé.

Si les amateurs de petits mammifères tels que hamsters, cochons d’Inde, furets ou même rats se bousculent sur la Toile, quelques clics permettent de se procurer aussi couleuvres, grenouilles, caméléons, iguanes ou autres compagnons tropicaux. Un engouement compulsif avant de réaliser qu’on a plus de choses à dire à un chien qu’à un lézard ? Dans un communiqué publié sur son site fin janvier, la SPA a dénoncé « une inquiétante augmentation de 16 % des abandons de NAC », qu’elle attribue à « l’achat impulsif de ces espèces en animalerie ou sur internet lors du premier confinement, abandonnés comme de vulgaires objets de consommation quelques mois plus tard ».

Adoptée le 29 janvier par l’Assemblée nationale, la loi contre les abandons des animaux domestiques prévoit notamment d’encadrer la vente en ligne des animaux de compagnie. Pour les théoriciens d’un grand complot ourdi par des êtres reptiliens, nul besoin désormais de fantasmes : les reptiles sont déjà parmi nous et ce sont nos meilleurs amis.

La Fontaine ou l’esprit français

0
"Jean de La Fontaine", Hyacinthe Rigaud, 1690 © Aisa/Leemage

Jean de La Fontaine fêtera cet été ses 400 ans et La Pléiade nous offre, à cette occasion, une belle réédition des Fables. Replongeons dans l’œuvre magistrale de cet homme doué pour le bonheur qui sut faire de la poésie une école de la précision et de la juste fantaisie.


Y a-t-il des écrivains heureux ? En ces temps d’enfermements vétilleux, de vie au ralenti, de sensations amoindries, de tristesse généralisée et d’impossibilité à jouir du présent, à aimer le passé et à espérer dans l’avenir, la question prend une acuité nouvelle. Rassurez-vous, La Fontaine est là et avec lui tous les remèdes aux manques que nous venons d’énumérer.

Jean de La Fontaine est un classique, comme on dit. La preuve, il est 14e dans le palmarès des noms donnés à des établissements scolaires, de la maternelle au lycée. Chez les écrivains, il n’est devancé que par Prévert, Victor Hugo et Saint-Exupéry. Un classique qu’on étudie en classe et qui a appartenu à la formidable génération des années 1660 avec Pascal, Molière, Racine, Retz, La Rochefoucauld, Madame de Sévigné ou Madame de La Fayette sans oublier Boileau ou Bossuet. Mais aucun d’entre eux n’a donné son nom à autant d’écoles que La Fontaine. On retrouve ainsi cette vieille image du poète des Fables destinées d’abord aux enfants. Et ce, dès l’origine, puisqu’elles sont dédiées à Monseigneur le Dauphin, le fils du roi. Est-ce suffisant pour faire de La Fontaine un écrivain heureux parce que fidèle à l’esprit d’enfance, comme il l’écrit dans « Le Pouvoir des fables », une « fable sur les fables » autant qu’un art poétique :

« Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on, je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »

On connaît peu de choses de sa vie

Toutefois, cela n’épuise pas la question, comme on s’en apercevra en lisant ce tirage spécial des Fables illustrées par Grandville que publie « La Pléiade ». Il est vrai que c’est son anniversaire, à La Fontaine. Il a 400 ans cette année. Il est né en juillet 1621 à Château-Thierry, aux portes de la Champagne. Le 7 ou le 8, on n’en est pas très sûr. Il y a d’ailleurs beaucoup d’incertitudes sur la biographie de notre homme. Ce n’est pas qu’il était particulièrement secret, c’est qu’on ne savait jamais où le trouver. On sait peu de choses de sa vie, sinon par les anas, ces recueils d’anecdotes et de bons mots sur les célébrités dont son époque était friande. Les anas ressemblaient davantage à la presse people d’aujourd’hui qu’à la Vie des hommes illustres.

Quelques faits avérés tout de même : son père est maître des Eaux et Forêts, charge dont il héritera. Ce n’est pas très rentable, mais ça laisse du temps libre. Le bonheur passe aussi par une certaine disponibilité à laquelle La Fontaine tient plus que tout : « Ne point errer est au-dessus de mes forces », écrit-il dans son Discours à Madame de la Sablière, une de ses protectrices. Famille en voie d’anoblissement, études au collège de sa ville natale puis, semble-t-il, à Paris. On le destine à la théologie, d’où son entrée à l’Oratoire. Il montre peu de goût pour la vocation ecclésiastique. On le marie. Il montre peu de goût pour sa femme, ce qui est réciproque. À l’Oratoire, il préfère la compagnie des écrivains, vivants ou morts. Il lit les auteurs de l’Antiquité, mais aussi les auteurs italiens plus ou moins licencieux. Les premiers lui serviront pour ses Fables, les seconds pour ses Contes qui doivent beaucoup à Boccace. De sa femme, il se sépare sans drame. Il s’en expliquera, ce séducteur paisible, cet inconstant amusé, dans un de ses Contes, « Le Pâté d’anguille » : « Même beauté, tant soit exquise / Rassasie et soûle à la fin. / Il me faut d’un et d’autre pain : / Diversité, c’est ma devise. » Autre secret du bonheur : préférer l’amour-goût, comme dira plus tard Stendhal, à l’amour-passion, qui est le fils de la tragédie comme le montre si bien Racine.

La Fontaine a cinq ans, en 1626, quand un héros de roman, le jeune d’Artagnan vu par Dumas, entre à Meung-sur-Loire, dernière étape avant Paris et sa rencontre avec les mousquetaires du roi. Ce héros si français n’est au bout du compte guère plus fictif que notre La Fontaine, ou tout aussi légendaire. Mais il faut se souvenir de l’étymologie de légende : pas seulement ce qui est inventé, mais ce qui doit être lu.

« Jean de La Fontaine implorant la grâce du roi Louis XIV après qu’il a pris la défense de Nicolas Fouquet ». Gravure tirée du livre « Les Alcôves des reines », de Jules Beaujoint, 1879 © The Holbarn Archive/Leemage

Si on se permet ce rapprochement, entre un héros de roman et un héros du roman national, c’est qu’on oublie souvent qu’il y a deux XVIIe siècle, celui de Louis XIII et celui de Louis XIV. D’Artagnan est un héros du siècle de Louis XIII comme le Rodrigue de Corneille. Ils ont existé, sans aucun doute, mais allez savoir au juste l’exactitude historique de tout cela. Quelle importance, au fond ? Pour les théologiens contemporains de La Fontaine, peu importe que le Saint-Suaire de Turin soit vrai ou faux. Ce qui compte, ce sont les générations de croyants qui se succèdent et donnent sa réalité spirituelle au miracle. Pascal explique ça très bien : « Les miracles sont plus importants que vous ne le pensez. Ils ont servi de fondation. »

La Fontaine est un homme des deux XVIIe siècle

Est donc vrai ce qui fonde durablement une esthétique, une religion ou une nation. Et si La Fontaine est un des héros du roman national depuis la IIIe République, c’est en raison de la morale apparente qu’il invente, pas de sa biographie : être économe comme la fourmi, éviter la flatterie des menteurs intéressés, ne pas tenir pour quantité négligeable celui qui est plus petit que soi, avoir de véritables amis. Que La Fontaine ait été volage, intrigant à l’occasion, avide d’honneurs – il reniera ses Contes licencieux pour entrer à l’Académie française – n’empêchera pas des générations d’écoliers en sarrau noir et aux oreilles décollées de se souvenir des Fables toute leur vie, et notamment dans les tranchées de 14.

Le siècle de Louis XIII, celui où naît La Fontaine, est encore travaillé par les guerres de Religion, puis par la Fronde. Le goût est à l’héroïsme des romans de chevalerie, les mœurs sont rudes. Les grandes dames ne sont pas des Précieuses et la carte du Tendre n’est en fait qu’un territoire sillonné par des hommes en armes, des intrigantes de génie, comme la duchesse de Chevreuse ou les bergers mythologiques de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, un des livres préférés de La Fontaine qui le dévore en cachette pendant ses études et en deviendra dans sa vieillesse le librettiste, pour une adaptation en opéra qui ne connaîtra aucun succès. Le siècle de Louis XIII est violent, aventureux, insoumis, paillard, naïf, on rit et on boit beaucoup. On trouve Rabelais et les sonnets libertins de l’Arétin dans les fontes des cavaliers et les ruelles des marquises. La France est encore cette jeune fille de grand chemin décoiffée, une « Perrette court vêtue » qui tire des plans sur la comète, accorte et imprudente.

Le siècle de Louis XIV est au contraire celui de l’ordre. Colbert, qui n’aimait guère La Fontaine, y veille. On l’appellera le Grand Siècle. Il va fixer la grammaire en même temps que les règles de la monarchie absolue. Il fait la synthèse entre l’efflorescence baroque et la rigueur classique, qui trouvera son accomplissement somptueux avec le château de Versailles – beaucoup plus qu’un château, le symbole de toute une civilisation. La Fontaine est un écrivain de ce Grand Siècle, mais aussi l’enfant d’une époque plus fantasque où tout était moins domestiqué, la nature, l’imaginaire, les codes amoureux. Une époque où les animaux parlaient, où les métamorphoses étaient courantes, comme cette chatte d’une de ses fables devenue femme, mais qui redevient chatte dès qu’elle voit des souris. Chez La Fontaine, on ne joue pas avec la nature humaine aussi facilement qu’on pourrait le penser. Il vaut mieux faire avec que vouloir à tout prix créer un homme nouveau : regardez ce qui arrive à la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf… Antitotalitaire et universel à la fois, notre fabuliste : c’était l’avis de Pierre Boutang dans un livre trop oublié, La Fontaine politique.

Mêlé à l’affaire Fouquet

La Fontaine est tout entier entre deux époques, deux mondes, dans sa vie comme dans son œuvre. Il ne sera reçu à Versailles qu’une seule fois, pour présenter son premier livre des Fables. À vrai dire, il essaie alors de se refaire une virginité. Il a été découvert par Fouquet, le munificent surintendant du roi, le magicien des Finances, le créateur de Vaux-le-Vicomte, celui qui avant Louis XIV s’entoure des grands noms des arts et des lettres. Cela lui coûtera cher. On pourra lire cette histoire dans un joli livre de Morand, Fouquet ou le Soleil offusqué. Louis XIV fait arrêter et juger ce ministre trop brillant qui incarnait une politique de la dépense et du prestige. Louis XIV la reprend à son compte, y ajoutant la rigueur des Colbert et des Louvois. La Fontaine défendra Fouquet qui l’avait pensionné. Mais point trop n’en faut. Les hommes heureux n’ont pas le goût du martyre, ce fanatisme qu’on retourne contre soi. Inutile de tenter d’argumenter comme le fait l’agneau avec le loup puisque la raison du plus fort est toujours la meilleure.

On ne trouve pas de désespoir chez La Fontaine. On l’appelle même « le bonhomme La Fontaine ». On le dit distrait alors que chacune de ses fables prouve un don d’observation hors du commun. Les romantiques, mal compris, donneront une image vaporeuse de la poésie alors qu’elle est une école de la précision, un œil absolu et c’est ce qui fait de la fable, au-delà de sa fraîcheur lustrale ou de son ironie, une science exacte. La Fontaine le dit clairement dans sa préface : « Et comme par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre ; de même aussi, par les raisonnements et conséquences que l’on peut tirer de ces fables, on se forme et le jugement et les mœurs, on se rend capable de grandes choses. » Ces grandes choses, La Fontaine se garde bien de les préciser, ce serait s’enfermer dans la vulgarité d’un message comme n’importe quel triste romancier à thèse du XXe siècle.

La Fontaine, écrivain libre

Encore une fois, il tient trop à sa liberté et il connaît les deux façons de donner le change à son époque : la retraite et la surexposition. La Fontaine oscille entre les deux, en permanence : il participe aux débats du moment, mais il revient le plus souvent possible à Château-Thierry, pour retrouver la nature sous prétexte d’exercer sa fonction. Il sait respirer, c’est aussi un des secrets du bonheur. La question du souffle, du rythme est très importante. On voit tout de suite qu’il s’y connaissait à la manière dont il utilise le vers dans ses Fables. Il alterne le court et le long, le rejet et l’enjambement, la coupe et la métrique acrobatique, l’harmonie imitative et, à l’occasion, la clarté sereine d’un alexandrin qu’il dégage du sublime pour lui donner une magie intime et évidente : « Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe. »

Nous reste désormais la joyeuse perspective d’un texte inépuisable, insaisissable. Bien sûr qu’il peut être lu par les enfants, même si les Fables encore étudiées au collège se font de plus en plus rares et sont tristement réduites à ce qu’on appelle en langage pédagogique leur « fonction argumentative ». On montre que La Fontaine sait « confronter les points de vue », que « La Mort et le Bûcheron », « La Cigale et la Fourmi » discutent comme deux débatteurs et « cherchent à convaincre ». On oublie juste que cette poésie refuse l’abstraction, qu’elle est toute de visions, d’odeurs, de sensations, de bruissements et que c’est pour cela qu’elle est si naturellement accessible à l’enfance et à ce qui reste d’enfance en nous. Quant à vouloir dégager une morale clairement définie, c’est très loin d’être évident.

Rousseau avait bien compris cette ambiguïté fondamentale de La Fontaine au point de l’estimer nocive pour les enfants dans son Émile où il veut dessiner une pédagogie nouvelle : « Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. » Eh oui, c’est plus amusant d’être le renard que le corbeau, le lion que le moucheron sauf quand le moucheron rend fou le lion. On comprend ce qui agace Rousseau : ce n’est pas La Fontaine qui inspirera les futurs signataires d’un contrat social…

Cela tombe bien, La Fontaine n’en voulait pas et nous ne sommes plus certains, nous-mêmes, d’en vouloir. « Nous forcer à être libres », comme l’écrivait Rousseau dans un insoutenable paradoxe, c’est d’abord nous forcer. Sachons plutôt, comme La Fontaine, malgré les guerres, les épidémies, les sociétés verrouillées par des ordres injustes, les querelles religieuses et les puritanismes toujours aux aguets, traverser la vie avec son intelligence du bonheur et son aptitude à tout contourner, à tout retourner, même la tristesse :

J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un coeur mélancolique.

Jean de La Fontaine, Fables (éd. Jean-Pierre Collinet, gravures et dessins de Grandville), « La Pléiade », Gallimard, 2021.

Fables

Price: 66,00 €

14 used & new available from 57,97 €

Le syndicat étudiant de gauche FSE exhibe le logo d’une organisation terroriste sur son affiche pro-Palestine

1
Manifestation pro-palestinienne malgré l'interdiction de la préfecture de police. Paris, le 15/05/2021 © Gabrielle CEZARD/SIPA Numéro de reportage : 01019319_000005

Les mêmes nous diront que l’islamo-gauchisme n’existe pas…


Plusieurs mouvements d’extrême-gauche ont appelé à rejoindre les manifestations du samedi 15 mai organisées dans plusieurs villes françaises « en soutien à la Palestine ». Parmi ces syndicats, on retrouve la Fédération Syndicale Étudiante (FSE). Née en 2020 d’une scission au sein de l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France), elle a élu à sa tête Hafsa Askar. Cette étudiante lilloise s’était distinguée sur Twitter par ses publications racistes et incitant à la violence contre un groupe en raison de sa couleur de peau. Elle écrira que l’on « devrait gazer tous les blancs cette sous race », « tout ce que j’ai à dire c’est les blancs arrêtez de vous reproduire », ou encore « non à la mixité avec les blancs ». Une poète !

À lire aussi : Israël musèle la presse à Gaza? Retour sur une fake news

Elle s’était aussi moquée de l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et avait écrit, alors que le feu en embrasait encore le toit, qu’elle se « fich[ait] de notre Dame de Paris » car elle se « fiche de l’histoire de France ». Selon elle, le fait que les gens pleurent « pour des bouts de bois » est un « délire de petits blancs ».

La FSE prend parti pour la Palestine

Depuis, il semblerait que la FSE se soit encore plus radicalisée dans ses positions. En effet, le 12 mai, le syndicat a publié une affiche troublante, accompagnée d’un message de soutien au « peuple palestinien dans sa lutte suite aux dernières offensives coloniales meurtrières menées par Israël ».


Dans le but d’inciter les abonnés à la page du réseau social Twitter à se joindre aux rassemblements organisés le week-end dernier, la FSE a jugé bon de reprendre le slogan de l’organisation terroriste du Hamas qui souhaite une « Palestine libre de la mer au Jourdain », autrement dit la disparition de l’État d’Israël !

La Licra réagit

La Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a réagi à ce slogan et a dénoncé une instrumentalisation et une importation du conflit israélo-palestinien avec « l’intention d’enflammer la République française ».

À lire aussi : Les manifestations pro-palestiniennes ne feraient-elles plus recette?

Mais l’affiche de la FSE n’est pas condamnable uniquement pour le slogan qui y figure. Le logo qui trône au-dessus de la tête enveloppée d’un keffieh est celui du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une autre organisation sur la liste officielle des organisations terroristes d’Israël, des États-Unis, du Canada, de l’Australie, des pays de l’Union européenne, et du Japon.

Selon l’article R645-1 du code pénal, « est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d’un film, d’un spectacle ou d’une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés par les membres d’une organisation déclarée criminelle ». Il n’est donc pas exclu que la préfecture de Paris saisisse la justice, comme ce fut le cas ce week-end à Lille où la préfecture des Hauts-de-France a saisi la procureure de la République de Lille à cause d’une banderole de la manifestation « pro-palestinienne » qui exhibait une croix gammée juste à côté d’un drapeau israélien.

Les supergagnants de la pandémie

0
Li Jianquan président de Winner Medical © D.R.

Pendant que beaucoup étaient au chômage ou sont tombés dans la précarité, d’autres s’en s’ont mis plein les poches…


En avril, la revue américaine Forbes a annoncé que les douze derniers mois avaient vu l’émergence d’un nombre record de nouveaux milliardaires, ces personnes dont la fortune personnelle dépasse les 1 000 000 000 de dollars. Tandis que la pandémie apportait le chômage et la pauvreté à un grand nombre de personnes autour de la planète, 493 individus sont passés de l’état de riche à celui de super-riche.

Si les activités à l’origine de leur prospérité sont variées, certaines sont sans doute liées à l’ennui du confinement. Quatre des nouveaux milliardaires chinois se sont enrichis dans le développement de produits pour cigarette électronique, Kim Kardashian dans celui de produits de beauté et de lingerie amincissante. Cependant, pas moins de 40 des nouvelles fortunes sont le résultat direct de la pandémie, provenant de produits et services développés pour lutter contre le coronavirus sur le plan médical.

Parmi ces nouveaux milliardaires, on trouve le PDG de BioNTech, qui a créé le vaccin Pfizer, et quatre dirigeants de la société Moderna, inventeur du vaccin du même nom. L’entreprise chinoise CanSino Biologics a aussi donné naissance à un quatuor grâce à leur vaccin. D’autres ont produit traitements, tests et ampoules ou organisé des essais cliniques. Si les patrons d’AstraZeneca ne figurent pas au palmarès, c’est peut-être parce que ce vaccin est vendu à prix coûtant jusqu’à la fin de la pandémie.

Le plus riche de tous les nouveaux milliardaires est Li Jianquan, le président de Winner Medical, société chinoise ayant vendu des masques et des vêtements de protection à la terre entière. D’ailleurs, le pays qui comporte le plus de nouveaux super-riches est la Chine, pays d’origine du Covid-19. Comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Affaire de Sarah Halimi: une mise au point

1
Manifestation pour réclamer "Justice pour Sarah Halimi", place du Trocadéro, 25 avril 2021 © Hannah Assouline

Le meurtrier de Sarah Halimi ne sera pas jugé. On comprend la tristesse des familles et l’émotion de l’opinion. Que le travail de la juge d’instruction soit critiquable ne justifie pas les raccourcis et caricatures. Expert dans cette affaire, Paul Bensussan souligne que l’irresponsabilité pénale figure dans le Talmud comme dans le droit romain. Et rappelle que si Kobili Traoré était fou au moment des faits, il n’en est pas moins coupable d’un crime antisémite.


Dans une tribune publiée le 16 avril 2021 dans Le Figaro, deux jours après que la Cour de cassation avait rendu son arrêt confirmant l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, faisait part de son indignation. Il qualifiait cette décision, devenue définitive, de « scandale judiciaire » et s’étonnait que l’irresponsabilité pénale eût été retenue avec la circonstance particulière de l’antisémitisme, estimant incompatibles ces deux notions. « Les lumières sont-elles sur le point de s’éteindre depuis les instances de base jusqu’au plus haut échelon de la hiérarchie judiciaire française ? » s’interrogeait Haïm Korsia.

Membre du deuxième collège d’experts ayant conclu à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, ce qui fut au final le cas de six experts sur les sept qui sont intervenus, il m’a paru nécessaire, même si l’émotion suscitée peut rendre le propos difficilement audible, de revenir sur certains raccourcis et contre-vérités médiatiques, ainsi que sur des aspects médico-légaux.

Un permis de tuer des Juifs ?

Rien dans cette affaire ne semble avoir été fait pour tenter de dissocier l’atrocité du crime de sa singularité et du fait que son auteur, au moment des faits, ne pouvait être considéré comme responsable de son acte. Pas même de son état, comme on a tenté de le dire, au seul motif qu’il était consommateur de cannabis. Les réactions ulcérées abondent, certains dénonçant même un « permis de tuer des Juifs » ; d’autres, hélas professionnels du droit, surfent sur l’émotion, prétendant qu’il suffirait désormais de fumer un joint pour commettre un crime en toute impunité. Compréhensibles de la part du public, de tels raccourcis sont indignes de professionnels.

Il est vrai qu’en début d’instruction, l’hésitation à retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme a pu donner à certains le sentiment que cette dimension était délibérément occultée, voire niée, ce qui aggravait le désarroi et l’incompréhension. Depuis le 4 avril 2017, date des faits, cette ambiguïté n’a jamais été levée. Au point qu’Amélie Perrier, « lançant » le sujet au micro de France Inter dans le journal de 18 heures, mercredi 14 avril, jour de la publication de l’arrêt de la Cour de cassation, affirmait imprudemment : « L’affaire oppose depuis des années les experts psychiatres à la communauté juive. »

Experts contre communauté juive ?

Comment peut-on tenir des propos aussi caricaturaux ? En quoi les experts psychiatres auraient-ils été « opposés à la communauté juive » ? À quel ordre subliminal ces experts auraient-ils obéi, pour déresponsabiliser le criminel ?

Je comprends et partage l’émoi d’une partie de la communauté juive, durement touchée dans les dernières années par une série de crimes antisémites, commis par des auteurs appartenant à la mouvance islamiste. Parmi les nombreux experts, j’ai été plus particulièrement la cible des reproches. J’en ai été peiné, mais aussi indigné : le fait qu’un expert soit juif devrait-il influencer sa lecture d’un crime ou d’un délit ? La question est aussi absurde qu’offensante pour qui s’attache à respecter éthique et déontologie.

Mais l’indignation et l’incompréhension de l’opinion devant la notion d’irresponsabilité pénale ne sont pas le propre de cette affaire : le malade mental criminel inquiète, par le caractère imprévisible de son passage à l’acte, par la soudaineté de l’attaque, sa férocité, l’acharnement inutile sur la victime. La perspective d’une récidive, dans le cas d’une sortie de l’hôpital, est tout aussi intolérable. Que l’on se souvienne de certaines affaires, telles que celles de Stéphane Moitoiret, meurtrier en 2008 du petit Valentin, ou encore de Romain Dupuy, auteur en 2005 d’un double homicide à l’hôpital psychiatrique de Pau, et des débats passionnés qu’elles ont soulevés. Je rappellerai simplement que le principe de l’irresponsabilité pénale se retrouve dans le Talmud, comme dans le droit romain. Citons à ce sujet Yves Lemoine, magistrat, historien[1] : « Jamais, dans notre civilisation, on n’entendit les fous, même pour les crimes les plus atroces. […] Faire comparaître un dément, c’est renier le fondement même de notre civilisation. »

La famille de la victime laissée pour compte

La frustration liée à l’absence de procès, dans le cas du malade mental criminel, tient d’abord à ce que la compréhension espérée par les familles de victimes sera à jamais impossible. Il faut cependant l’admettre : le crime du sujet psychotique est par définition irrationnel et hermétique. Sa compréhension échappe à tous, et à l’auteur lui-même. Deux procès en cour d’assises n’ont pas permis à la famille de Valentin, dont le meurtrier, malade mental, avait été considéré comme partiellement responsable par six experts sur dix (les quatre autres l’ayant estimé irresponsable), de comprendre pourquoi leur petit garçon de 10 ans avait péri sous les 44 coups de couteau assenés par le meurtrier.

Toutefois, même en l’absence de procès d’assises, la famille n’est pas pour autant privée du débat, comme c’était auparavant le cas avec le non-lieu déclaré à l’instruction. Le dispositif légal a considérablement évolué depuis la loi du 25 février 2008, dite « loi Dati ». Si l’irresponsabilité pénale est retenue par les experts, une audience publique se tient désormais devant la chambre de l’instruction. Les parties civiles, les avocats, les experts et même la presse assistent à cette audience qui, pour Kobili Traoré, a eu lieu le 27 novembre 2019. À cette occasion, les experts soutiennent publiquement leur rapport et les avocats ont tout loisir de les interroger : l’oralité des débats et la contradiction sont de mise. À l’issue de cette audience, deux possibilités : la chambre de l’instruction renvoie l’accusé devant la cour d’assises, si les arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale lui paraissent insuffisants ; dans le cas contraire, elle déclare la culpabilité et l’« irresponsabilité pénale pour trouble mental ». La culpabilité est définitivement établie, même s’il est pénalement irresponsable. Le « non-lieu » qui révoltait légitimement les familles comme l’opinion a donc bel et bien disparu.

Ce crime était antisémite, car dans son délire Kobili Traoré assimilait les juifs au démon

Mais entendre le « besoin de procès », c’est aussi entendre le « besoin de sanction ». L’opinion s’insurge contre cette étrange sensation d’ « impunité », comme si elle était un acte de clémence envers le meurtrier. Lorsqu’il devient acquis, comme le disent les médias, que « le meurtrier n’ira pas en prison », le public croit comprendre qu’il est libre, ou qu’il le sera demain. À ceux-là, je dirais simplement que l’univers des UMD (unités pour malades difficiles, où sont internés les malades mentaux criminels) est aussi contraignant et coercitif que l’univers carcéral ; mais aussi et surtout qu’une sortie est hautement improbable à court et moyen terme. Les conditions requises sont si difficiles à réunir que, bien souvent, la durée de l’internement est supérieure à ce qu’aurait été la peine de prison. À titre d’exemple, Romain Dupuy, auteur d’un double meurtre en 2005, n’est toujours pas sorti de l’UMD de Cadillac, malgré des expertises favorables. De plus, dans le cas de Kobili Traoré, la peine, si elle avait été prononcée, aurait dû tenir compte de l’altération du discernement, et donc être réduite. Mais qui le sait ?

Place du Trocadéro, Paris, manifestation pour rendre « Justice pour Sarah Halimi », 25 avril 2021 © Hannah Assouline

Reste à évoquer la question la plus délicate : si le crime fou est irrationnel, hermétique, l’antisémitisme n’est pas répertorié comme une maladie mentale… en tout cas en l’état actuel de la science. Mais alors, pourquoi un meurtrier qui assimile les juifs au démon, récite des versets du Coran en redoublant de violence, défenestre sa victime aux cris de « Allahou Akbar », en prétendant qu’elle s’était suicidée serait-il considéré comme en état de démence ?

Kobili Traoré était psychotique

Dans les quarante-huit heures précédant son passage à l’acte, Kobili Traoré a présenté de façon soudaine une symptomatologie psychotique floride : il était agité, halluciné, soliloquait en répondant à des voix imaginaires, effrayait tout le monde, jusqu’à sa mère et ses voisins maliens qui s’étaient barricadés et avaient appelé la police… Il était allé la veille à la mosquée, avait consulté un exorciste, pensait que son beau-père voulait l’empoisonner ou le « marabouter », que l’auxiliaire de vie de sa sœur (d’origine haïtienne) appliquait sur lui des rituels vaudou… Une efflorescence délirante, une dimension persécutive dominante. C’est en s’enfuyant par le balcon de chez les voisins, alors qu’il se croyait poursuivi par les « démons », qu’il est entré par effraction dans l’appartement de Madame Halimi et que l’enchaînement fatal est survenu. Nous l’avons souligné dans le rapport et je l’ai dit à la barre de la chambre de l’instruction : en proie à son délire, à la fois agressif et terrorisé, Monsieur Traoré était au moment des faits un baril de poudre. Le judaïsme de Madame Halimi, la vision du chandelier à sept branches ont été l’étincelle. Pour le dire simplement : le crime était celui d’un fou, mais ce crime était incontestablement antisémite car dans son délire, Kobili Traoré assimilait les juifs au démon.

L’antisémitisme, mobile premier de l’assassin ?

Lorsqu’un sujet délire, les thèmes délirants ne surgissent pas ex nihilo : ils sont la résultante de sa personnalité, de ses croyances, de son éducation, mais aussi de sa réceptivité au discours ambiant. Si l’on admet l’existence d’un antisémitisme arabo-musulman, il n’y a aucune raison de penser que Monsieur Traoré, en pleine bouffée délirante, puisse y demeurer imperméable, même si l’enquête n’a pas permis de mettre en évidence des manifestations d’antisémitisme ou de radicalisation antérieures aux faits. Les insultes proférées, le déferlement de violence, la thématique religieuse et les versets du Coran ne laissent aucune place au doute sur la composante antisémite de son délire. Peut-on pour autant considérer que l’antisémitisme, thème délirant, a été un mobile, comme on le dirait d’un crime prémédité et comme le laissent entendre la majorité des analyses ?

L’indignation de l’opinion publique et de la communauté juive tient en grande partie à l’idée (fausse) que reconnaître la folie et l’irresponsabilité pénale du meurtrier reviendrait à nier la dimension antisémite de son acte. Autrement dit, qu’un crime antisémite demeurerait impuni. Ce que la même Amélie Perrier, dans le même journal de France Inter, formulait tout aussi maladroitement : « Les experts s’accordent sur une bouffée délirante aiguë, contrairement aux proches de Sarah Halimi qui, soutenus par la communauté juive, dénoncent un crime antisémite. »

Un crime fou et antisémite

Même le docteur Zagury, partisan d’une responsabilité atténuée (et non de l’irresponsabilité) en raison de la consommation de cannabis, a conclu à un crime fou et antisémite. Ce que j’ai personnellement soutenu à la barre. L’arrêt de la chambre de l’instruction a d’ailleurs retenu la culpabilité de Monsieur Traoré, mais aussi la dimension antisémite de son crime.

La situation est si complexe, et le malaise laissé par ce dossier si profond, que le grand rabbin de France lui-même a pu commettre, selon moi, une erreur d’analyse en écrivant : « soit le meurtre est antisémite, et donc pensé, soit il est l’œuvre d’un irresponsable, et donc non pensé. Mais pas les deux à la fois. » Propos en contradiction avec l’analyse des experts, dont l’écho n’a sans doute pas fini de résonner dans la communauté juive.

*Psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale de La Haye.

L'affaire Sarah Halimi

Price: 16,00 €

20 used & new available from 2,79 €


[1]. « Juger les fous : “le malheur de leur état” », Libération, 9 novembre 2007.

Plus belle la mort?

0
François Hollande aux côtés des députés Jean Leonetti (à droite) et Alain Claeys (au centre), venus lui remettre leur rapport sur la fin de vie, palais de l'Elysée, 12 décembre 2014 © JACKY NAEGELEN / POOL / AFP

Au-delà du déni de la finitude humaine exprimé par le projet de loi sur la « fin de vie », on peut se demander comment le droit et la médecine pourront garantir le délicat et crucial équilibre entre liberté et dignité.


Proposer une loi sur la « fin de vie » à l’heure où les soignants s’épuisent à sauver les malades gravement atteints par la Covid-19 a bien quelque chose d’« obscène » (Marie de Hennezel) ou au moins d’inconvenant. Si « nous mourons mal en France » comme l’affirment d’entrée les rédacteurs du projet, à qui la faute ? Sûrement pas au seul fait qu’on n’ait pas encore légalisé l’euthanasie ! C’est un procès de civilisation qu’il faudrait engager, et devraient alors comparaître tous les acteurs de cette tragédie : déni de la finitude humaine et de la mort, éclatement de la famille, détresse des vieillards abandonnés dans des mouroirs, marchandisation des corps et des esprits, etc. Progrès de la médecine enfin qui, prolongeant  l’existence, réveille le vieux rêve d’immortalité de l’être humain, mais fait aussi de la fin de vie une impasse thérapeutique qui paraît justifier l’euthanasie : non plus la « bonne mort » (euthanasia) souhaitée par les Anciens épris de paix intérieure, mais une « aide active à mourir » encadrée par la loi et qui n’a dès lors plus rien de la libre mort privilégiée par le sage. « Si je me sais condamné à pâtir sans relâche, j’opérerai ma sortie, non en raison de la souffrance même, mais parce que j’aurai en elle un obstacle à tout ce qui est raison de vivre. Faible et lâche, qui a pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir. » écrivait Sénèque.

Pour justifier le passage légal de l’euthanasie passive (arrêt des soins ou administration de sédatifs pouvant entraîner la mort) à l’aide active à mourir par injection létale, les rédacteurs du projet s’appuient sur les lois Leonetti (2005) et Claeys-Leonetti (2016) qui ont déjà « attribué aux médecins, de manière individuelle et collégiale, la capacité de définir le moment où le patient est arrivé à la fin de sa vie et impose le devoir d’empêcher tout acharnement thérapeutique ». Ce qui suppose qu’un constat irrécusable de « fin de vie » antérieur à la mort puisse être établi par les médecins qui auraient alors le devoir d’achever une existence dont s’est retirée la vie ; la mise à mort légale n’étant plus qu’une formalité pénible, mais sans conséquences pénales pour qui l’accomplit. Le « droit » du patient à une fin de vie digne et sans souffrances ne va pas toutefois sans devoirs pour autrui puisque le médecin fidèle au serment d’Hippocrate interdisant l’injection d’un poison devra s’assurer de l’accord d’un confrère à qui confier cette tâche. Que va-t-il se passer s’il ne trouve personne pour le remplacer ? Une nouvelle loi va-t-elle le contraindre à exécuter ce que sa conscience réprouve, ou bien va-t-on un jour autoriser la famille ou une « personne de confiance » à se substituer au médecin ?

Liberté et dignité

Entre la loi déjà existante qui pénalisait l’euthanasie active, et la nouvelle qui la légalise, ce sont toujours liberté et dignité qui sont évoquées en faveur d’une fin de vie sans souffrance, distincte du « suicide assisté » en ce que la personne moribonde est dans l’incapacité de mettre fin à ses jours. Mais que reste-t-il de la liberté quand on délègue à autrui ce qu’on ne peut faire soi-même, et qu’on n’est plus en mesure de confirmer ou d’annuler une décision prise la plupart du temps quand on était encore bien-portant ou au moins conscient ? Entre le désir de ne plus souffrir exprimé par le malade, et l’idée que la mort volontaire puisse être l’unique issue, la pente risque d’être pour lui fatale alors même que des soins palliatifs appropriés auraient peut-être pu supprimer la douleur tout en maintenant la conscience que l’individu a de lui-même et de sa propre fin : « Je crois que je souhaiterais mourir en pleine connaissance, avec un processus de maladie assez lent pour laisser en quelque sorte ma mort s’insérer en moi, pour avoir le temps de la laisser se développer tout entière », confiait Marguerite Yourcenar. Que ce soit là un idéal de fin de vie difficilement réalisable n’interdit pas à une société de le prendre en compte et de tenter de le réaliser. Tel n’est plus l’ordre du jour, semble-t-il, et l’on s’est habitué à l’idée de devoir entrer dans la mort les yeux fermés.

Un contre-exemple éclatant de cet engrenage médico-social est apporté par le poète Antonin Artaud, rejetant l’issue factice qu’était à ses yeux le suicide, mais réclamant au législateur le libre usage des stupéfiants qui atténueraient ses souffrances, et cela pour la simple raison que « tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de vacuité mentale, qu’il peut honnêtement supporter. » De la médecine, Artaud attendait donc à la fois qu’elle calme ses douleurs et qu’elle l’aide à préserver la lucidité que l’usage répété de l’opium tendait à amoindrir. Était-ce là demander l’impossible ? Peut-être, mais c’était pour lui sauvegarder liberté et dignité que d’en faire la requête. Jusqu’où peut-on donc prétendre respecter l’une et l’autre, et établir pour le malade, en fonction du savoir médical actuel, un constat de fin de vie qui autorise à le mettre à mort ? Ou plutôt ne le peut-on qu’en abandonnant la conviction que chaque individu est « l’Enfanteur » de sa propre mort (Rilke) qui sera à son image s’il l’a mûrie tout au long de sa vie. Tel était aussi le souhait de Hans Jonas, néanmoins favorable à l’euthanasie passive : « À part le “droit de mourir”, existe aussi le droit deposséder” sa propre mort dans la conscience bien concrète de son imminence. [] Je postule ici que cette mortalité représente intégralement une qualité de la vie, et non pas un affront à celle-ci, œuvre d’un hasard étranger. »

Légalisation sans légitimation

En dépit de la volonté affichée par le législateur de faire « évoluer les mentalités » – seraient-elles si rétrogrades et bornées ? –, la légalisation éventuelle de l’euthanasie active dépénalisera certes la mise à mort mais n’équivaudra pas automatiquement à sa légitimation, qui fait quant à elle appel à d’autres facteurs tels que l’éducation, les convictions religieuses, l’attitude personnelle face à la souffrance, l’idée que l’on se fait de la compassion. Or, c’est la réunion de tous ces facteurs qui permet à la légalité de devenir véritablement légitime et à une société d’être en accord profond et durable avec elle-même. Nombre de Français continueront donc très probablement, si la loi est adoptée, à considérer en leur âme et conscience que le cadre juridique entourant une telle pratique n’a pas en soi force de loi morale et encore moins spirituelle, interdisant quant à elle à tout être humain d’exercer un droit de vie ou de mort sur ses semblables. L’euthanasie active ne deviendrait à cet égard moralement légitime que si elle se substituait en tous points à un suicide librement choisi, mais devenu impraticable, et que le patient n’aurait pas regretté une fois accompli. Autant dire que les conditions qui la rendraient pleinement légitime sont et devraient demeurer rarissimes.

« La Mort de Sénèque », Jacques-Louis David, 1773 © Jean Arkesteijn / Wikimedia Commons

Quant à la dignité de la personne, que l’euthanasie est censée préserver, on ne peut à la fois affirmer qu’elle est consubstantielle à l’être humain en tant que tel (Déclaration des droits de l’homme) et qu’elle peut lui être enlevée par le vieillissement ou la maladie en fin de vie, même si le texte de loi précise que le sentiment de sa propre dignité relève d’une appréciation personnelle qui doit prévaloir sur toute autre considération d’ordre général. Mais à une époque où ce sentiment est si fortement dépendant de l’esprit du temps, on a de bonnes raisons de s’inquiéter de ce qu’une jauge sociale plus ou moins implicite puisse infléchir le jugement qu’un malade, ou son entourage, porte sur la « dignité » exigeant de lui qu’il se maintienne ou non en vie. Qu’est-ce après tout qu’une vie digne ou indigne d’être vécue jusqu’à son terme naturel ou artificiel ? Des adolescents aujourd’hui se suicident pour n’avoir pas à affronter le regard d’autrui après que leur image a été salie sur les réseaux sociaux. Magda Goebbels a tué ses six enfants pour leur épargner l’indignité de devoir vivre dans un monde dont le Führer ne serait plus le guide ! Le Christ par contre, et combien d’humiliés comme lui, n’a rien perdu de sa dignité pour avoir été flagellé et supplicié. Que l’on soit croyant ou athée, c’est sur la dignité de l’abaissement consenti (kénose) que sa mort invite à méditer quiconque est confronté au délabrement physique et psychique accompagnant souvent la fin de vie. Notre société doit à cet égard tout réapprendre, et elle ne le fera pas en légalisant l’euthanasie qui « cherche à en finir avec la mort en la précédant et en lui retirant l’initiative de la fin » écrit Pascal Hintermeyer dans La Mort et l’Immortalité : encyclopédie des savoirs et des croyances. Si elle le fait, on ne pourra plus dire comme Montaigne en son temps que la « préméditation de la mort » est la « préméditation de la liberté ».


Entretiens, Lettres à Lucilius

Price: 32,00 €

28 used & new available from 20,01 €

Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey

Price: 11,90 €

10 used & new available from

L'ombilic des limbes suivi de le pèse-nerfs et autres textes

Price: 8,30 €

39 used & new available from 3,33 €

Le Droit de mourir

Price: 3,97 €

16 used & new available from

La mort et l'immortalité: Encyclopédie des savoirs et des croyances

Price: 57,05 €

10 used & new available from

Sonia Mabrouk: Mon mariage d’amour avec la culture française

0
La journaliste Sonia Mabrouk © Hannah Assouline

Le constat que dresse la journaliste franco-tunisienne de l’état de la France n’est pas brillant. L’intégration des populations venues de pays musulmans est un échec, les nouveaux antiracistes sont un danger et la tendance woke veut faire table rase de notre civilisation.


Causeur. Le 19 avril, dans une cité de Montpellier, Emmanuel Macron a été interpellé par une mère de famille portant le voile : « Mon fils m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment. Cela m’a vraiment choquée. » Qu’en avez-vous pensé ?
Sonia Mabrouk. Ce qui m’a frappée, c’est que le président, qui d’habitude ne manque pas de repartie, ne réponde pas à cette femme. Est-ce révélateur de son malaise face à la question ? Le sujet était-il trop sensible pour lui ? Quelle qu’en soit la raison, il a raté une occasion d’expliquer sa position directement aux plus concernés.

Qu’auriez-vous répondu ?
Deux choses. D’abord, qu’elle avait entièrement raison sur le fond et que sur la forme elle résumait en quelques mots ce que des responsables politiques, des intellectuels et des journalistes dénoncent depuis des années : l’absence de mixité dans les quartiers dits populaires, pour ne pas dire immigrés. Ensuite, je l’aurais invitée à s’interroger sur elle-même. Elle n’est pas une victime passive de ce phénomène qui n’est pas seulement social mais aussi, voire surtout, culturel. Exemple, le voile, que certaines portent comme un étendard politique.

Supposons un instant que le voile soit seulement religieux. Cela ne poserait aucun problème, selon vous, qu’il soit majoritaire dans certains quartiers ?
D’abord, tout est lié. En français, on porte le voile et on porte un prénom. Donc la mère porte le voile, ses fils portent certains prénoms et pas d’autres. Bref, on ne peut pas exclure que cette femme déplore les conséquences dont elle chérit les causes. Car vous avez raison, même quand le voile n’est pas un étendard, si la majorité des femmes le portent, cela devient une norme dans un territoire. Et ceux qui ne veulent pas de cette norme s’en vont. En 1989 déjà, après l’affaire du foulard de Creil, Gisèle Halimi parlait d’un « apartheid ». Le voile islamique, qu’elle appelait alors tchador, est un emblème religieux et politique qui doit rester en dehors de l’école, disait-elle de sa voix affirmée et légèrement aiguë. Or, face au féminisme universaliste de Gisèle Halimi, un autre « féminisme », dévoyé, fait cause commune avec les racialistes, les décolonialistes et autres indigénistes.

Entre les « accueillants », l’État et la société française, et les « accueillis », les immigrés et leurs descendants, comment se partagent les responsabilités dans la constitution de ces quartiers que certains qualifient de ghettos ?
L’intégration des populations immigrées des pays musulmans est globalement un échec dont la responsabilité est partagée. On ne saurait l’imputer seulement aux erreurs bien réelles des politiques de logement, d’urbanisme et d’immigration. Il y a des responsabilités individuelles et communautaires. On ne peut pas, comme la femme de Montpellier, dénoncer la communautarisation de la société sans se demander si on en est soi-même un acteur. La solution ne viendra donc pas des politiques de logement ou de la ville, mais d’un projet qui remettra au premier plan la fierté nationale et l’amour de la France. Le président aurait dû oser dire que certains prénoms sont plus français que d’autres.

À lire aussi : Mathieu Bock-Côté: l’invitation au combat anti-woke

Vous avez évoqué un « échec global » de l’intégration, et ne parlons pas de l’assimilation. Cet échec est-il aggravé par l’origine culturelle des immigrés ?
En effet, les immigrés à l’assimilation réussie sont les Italiens, les Polonais, les Espagnols ou les Vietnamiens qui se sont totalement fondus dans la population française. Cependant, à la différence des autres immigrations, le flux migratoire de Français d’origine maghrébine ne s’est jamais arrêté depuis les Trente Glorieuses, aussi les chiffres ne sont pas comparables et les situations non plus. En revanche, le cas de la Tunisie est riche d’enseignements. En raison de la guerre civile en Libye, la Tunisie a accueilli énormément d’immigrés ou de réfugiés. À un moment donné, elle a dit stop ! Et ce n’était pas à cause des différences culturelles ou religieuses, mais parce qu’il arrive un moment où trop, c’est trop ! Ce qui est absurde, c’est qu’on ait le droit de le dire en Tunisie et pas en France.

Si « s’intégrer », c’est accrocher son wagon à la locomotive France et que « s’assimiler », c’est se mêler aux passagers du train, vous définiriez-vous comme assimilée ou intégrée ?
Le mot « assimilation » me gêne, parce qu’il suggère que tout ce qu’on apporte avec soi est forcément contraire aux valeurs du pays où on arrive. Or, je ne le pense pas, c’est pourquoi je préfère « intégration » : la culture d’origine peut être une richesse, mais elle enrichit une culture hégémonique, une culture de référence, la culture française.

Quand vous avez passé ce contrat avec la France, qu’avez-vous laissé dehors ?
Dans mon cas, il n’y avait pas de pratiques culturelles et religieuses à abandonner. Cependant, je me suis convertie à la laïcité à la française, ce qui n’était pas évident d’emblée. Mais le plus important, c’est que j’ai épousé la culture française et que c’est vraiment un mariage d’amour !

Qu’est-ce qui fait la différence entre ces immigrés qui sont devenus des Français comme vous et moi, et même des amoureux de la France, et ceux qui la détestent ?
Pour moi, c’est clairement l’éducation. J’ai appris en même temps à aimer les livres et à aimer la France.

Avec la culture, vous avez épousé une histoire. Étiez-vous consciente qu’elle contenait aussi des pages sombres ?
Évidemment ! L’histoire française, on l’assume en bloc, mais on regarde ce bloc avec des yeux grands ouverts. C’est pour cela que la « déconstruction de notre histoire » est un grave péril.

Ce sont les termes exacts employés par le président dans un entretien à la chaîne américaine CBS. Pour lui, cette déconstruction est nécessaire pour faire de la place aux nouveaux arrivés. Qu’en pensez-vous ?
Je ne veux pas faire au président un procès d’intention, il faudrait réécouter tout l’entretien. Ce qui me dérange, c’est qu’il semble adapter son discours au média auquel il s’adresse, en d’autres termes dire à chacun ce qu’il veut entendre. Il voulait dire aux Américains qu’il comprend ce qui se passe chez eux, avec BLM et le woke, même si chez nous ce n’est pas pareil. D’abord, même pour l’Amérique, on peut être critique quant à cette nouvelle idéologie qui devient dominante, dans les grands médias et les universités. Surtout, le président a – encore – raté une occasion d’affirmer sa fierté d’être français. Nous glissons vers une culture de la contrition où on nous demande, que dis-je, on nous somme, de nous battre la coulpe, de nous incliner, de nous agenouiller sous peine d’être extrême-droitisé. Je refuse – et nous devrions tous refuser – de vivre dans une perpétuelle repentance. Ce mélange d’autodénigrement, de servitude et de rancœur est un poison mortel qui coule dans les veines du pays. Ce breuvage, servi matin, midi et soir par les racialistes et consorts, a déjà réussi à introduire une fêlure dans notre croyance au Légendaire français. Il leur reste désormais à déboulonner les derniers clous qui soutenaient l’idée même de Nation.

Cela nous amène à votre livre. Vous identifiez six mouvances qui, au nom des femmes, des minorités sexuelles, des damnés de la terre, des musulmans ou de la planète, nous demandent justement de faire repentance. Et selon vous, leurs militants ne manquent pas toujours d’arguments. Lesquels ?
Prenons l’exemple du néo-féminisme. Quand on entend Alice Coffin, on est parfois d’accord avec elle.

Première nouvelle !
Laissez-moi m’expliquer ! Par exemple, il est déplorable qu’elle ait été virée de la Catho, où elle enseignait, pour avoir déclaré qu’elle entendait « éliminer les hommes » de sa vie, des livres, des films. Aussi choquante soit cette affirmation, elle relève de la liberté d’expression. Seulement, quand je l’ai interrogée sur l’expulsion violente de Sylviane Agacinski de l’université de Bordeaux, elle a fait cette réponse glaçante : ce n’est pas la même chose, il faudrait interdire les propos d’Agacinski ! Tous ces groupes que je qualifie de déconstructeurs ont un objectif commun : rompre l’équilibre de notre société et de la civilisation occidentale, et pour ce faire criminaliser le sentiment national. L’influence de leurs idées ne cesse de progresser. Leur ruse est de proposer des universalismes alternatifs. À la place de « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! » c’est – au choix – victimes du patriarcat, damnés de la terre, « racisés » unissez-vous ! Sauf que c’est faux. Ces gens croient détenir la vérité absolue et refusent le débat. Ce sont des religieux, pas des philosophes.

Il y a de nombreuses demeures dans la maison intersectionnelle. Laquelle de ces mouvances vous inquiète le plus ?
La plus puissante aujourd’hui est probablement celle des antiracistes qui ont des figures de proue comme Assa Traoré. Ils ont le vent des médias anglo-saxons en poupe et une assise sociologique prometteuse. À l’époque de la Marche des Beurs et de SOS Racisme, les enfants d’immigrés arabes dominaient la « jeunesse des quartiers » et l’histoire algérienne était au cœur du récit victimaire. Aujourd’hui, le nouvel antiracisme, ce sont des leaders noirs qui mettent en avant l’esclavagisme, mais dans les cortèges et la troupe il y a encore beaucoup de Français d’origine maghrébine. Ils flattent un sentiment puissant, dont le potentiel mobilisateur est bien plus fort que celui des théories du genre. Je ne suis pas sûre que cette hégémonie soit le fruit d’une volonté de dominer la scène.

Assa Traoré à la manifestation contre la proposition de loi « sécurité globale », Paris, 28 novembre 2020 © Samuel Boivin / NurPhoto via AFP

Vous êtes bien candide !
Bien sûr que non ! Aucune candeur, mais une volonté de voir la réalité de ces groupes sans en exagérer la puissance ! Toutefois, j’insiste, c’est une erreur de les réduire à des querelles académiques et à des confrontations corporatistes à l’université. L’éditorialiste américain Andrew Sullivan explique que nous vivons tous sur un campus mondial. Il y a quelques années, on pouvait encore dire que ça ne concernait que quelques étudiants. Aujourd’hui, ce mouvement d’essence totalitaire drapé dans sa bien-pensance morale infuse dans les interstices de la société.

L’obsession raciale des antiracistes est abondamment pointée. Ce qui l’est moins, c’est le triomphe du sentiment – Eugénie Bastié en parle très bien dans son livre –, « je ressens, donc je suis ». Vous-même avez tiqué lorsqu’Élisabeth Lévy a prononcé l’expression « tête d’Arabe ».
Reconnaissez-moi une plus faible promptitude que d’autres à me sentir offensée. Je ne serai jamais dans le « je ressens, donc je suis ». En tant que journaliste, j’ai un rôle de « modératrice » qui ne consiste évidemment pas à faire la police des propos tenus sur mon plateau, mais à les faire préciser. C’est dans cet objectif que j’ai interpellé Élisabeth Lévy pour ne pas laisser cette expression sans explication de sa part. Les réseaux sociaux se sont emparés de ce moment et la culture de l’extrait a encore frappé. En ce qui me concerne, parenthèse refermée.

À lire aussi : Eugénie Bastié : “Observer la vie intellectuelle m’a rendue moins péremptoire”

Comment expliquez-vous que la société française résiste mieux que d’autres à ces nouvelles idéologies ?
On assiste depuis quelques années à un grand remplacement du sacré par l’idée de « progrès ». Mais, ici ou là, des « Gaulois réfractaires » résistent à cette conversion à un progressisme échevelé ! Nous avons intimement conscience que ce progrès marketé, ce progressisme à la sauce woke n’est rien d’autre que la civilisation du vide. Nous avons, collectivement, perdu le goût et le chemin du sacré et du beau. Le théologien Henri de Lubac parle d’« atrophie du sacré ». La nature humaine a besoin de transcendance, encore plus quand les forces déconstructrices s’emploient à nous faire détester la France et ses héros.

En tout cas, vous refusez le défaitisme.
La reconquête est possible pour peu qu’on partage un constat : la France n’est pas réductible à la République. La République n’est pas un contenu, c’est un règlement de copropriété qui cadre nos conflits. Face à des projets identitaires, cela ne suffit pas. René Girard a écrit une phrase qui devrait nous interpeller : « [Il faut] entrer dans une pensée du temps où la bataille de Poitiers et les croisades sont beaucoup plus proches de nous que la Révolution française et l’industrialisation du Second Empire. » Girard appelle à un changement de mode de pensée. Il dit, en substance, qu’il nous faut épouser une vision millénaire, retrouver une part de sacré.

La République, un règlement de copropriété, vous exagérez. Il y a un esprit républicain, un habitus, des mœurs, un imaginaire.
Sans doute, mais cet imaginaire ne fonctionne plus, il ne fabrique plus de sacré. Il s’agit de retrouver une liturgie, un sacré non religieux. Et d’expliquer au peuple français comment demeurer. Il y a quelque chose qui préexiste à tout cela et l’englobe. Ça s’appelle la civilisation française, et même la civilisation chrétienne, un mot que personne n’ose prononcer.

Et pour cause, comme le dit Jean-Louis Debré à propos de Napoléon, « ce serait une provocation ». Croyez-vous vraiment pouvoir refaire nation par le christianisme ?
L’héritage chrétien ne doit plus être considéré comme un fardeau, mais comme le socle d’une culture commune, hégémonique, celle qui fait du lien. Il faut dépasser la question de la croyance. On peut comprendre la portée d’un texte religieux sans y adhérer comme croyant. Les Français de confession musulmane doivent comprendre que lorsqu’on parle de racines chrétiennes, ce n’est pas contre eux, mais avec eux. Pour l’ensemble des Français, les églises sont des lieux de mémoire, pas de sacrements.

Pouvez-vous imaginer des mesures concrètes pour traduire cette logique en politique ?
Je ne fais pas de politique, je veux donner l’alerte. Arrêtons de regarder l’effondrement de notre civilisation comme des sismologues observant un tremblement de terre sur Mars. On ne reconstruit pas une nation sur la honte. Il faut retrouver l’envie de la grandeur et le goût de l’honneur. Nous avons tous une dette à l’égard de la France. Cela nous interdit de renoncer.

Israël musèle la presse à Gaza? Retour sur une fake news

2
Gaza, 15 mai. Les Israëliens détruisent un immeuble dans lequel des bureaux de médias étaient présents © Mahmud Hams/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22567474_000014

L’ancien porte-parole du président Obama lui-même confirme en réalité la présence du Hamas dans le fameux bâtiment qui abritait les locaux d’Al-Jazeera et de l’AP.


Le bâtiment s’est écroulé comme un château de cartes. Samedi dernier, Tsahal a bombardé les dizaines d’étages gazaouis qui servaient de locaux à l’agence de presse américaine Associated Press (AP) ainsi qu’à la chaîne de télévision du Qatar Al-Jazeera. « C’est un développement incroyablement inquiétant. Nous avons évité de justesse de terribles pertes humaines. Le monde sera moins bien informé sur ce qui se passe à Gaza à cause de ce qui est arrivé aujourd’hui », a déclaré dans un communiqué le patron de l’agence Gary Pruitt. De son côté, le directeur général par intérim du groupe qatari Al-Jazeera qualifie la destruction de la tour de « violation flagrante des droits humains » et estime qu’elle doit être considérée « internationalement comme un crime de guerre » visant à « faire taire les médias ». Dans un communiqué, les services de sécurité israéliens ont justifié la frappe sur ce bâtiment par le fait qu’il abriterait « des entités appartenant au renseignement militaire de l’organisation terroriste Hamas » qui installerait « délibérément des cibles militaires dans des zones ultra-peuplées » pour utiliser les civils comme « boucliers humains »…

Les employés invités à évacuer l’immeuble avant la frappe

« L’armée a prévenu le propriétaire de la tour dans laquelle AP a ses locaux qu’elle serait ciblée » par une frappe, avait écrit sur Twitter un journaliste de l’agence AP peu de temps avant. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou confirmera par téléphone au président américain Joe Biden l’évacuation des journalistes et habitants de l’immeuble, « où se trouvaient des cibles terroristes ». À l’occasion de cet échange, Netanyahou assurera à son homologue qu’Israël « faisait tout pour éviter de s’en prendre à des personnes non impliquées » dans le conflit. « Nous avons dit directement aux Israéliens que garantir la sécurité des journalistes et des médias indépendants était une responsabilité d’une importance capitale », tweetera dans la foulée Jen Psaki, porte parole de l’exécutif américain.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Manifestation pour Gaza interdite: un remède pire que le mal

Pas convaincu, « choqué et horrifié que l’armée israélienne cible et détruise le bâtiment » où se situent leurs bureaux, le patron de l’agence de l’AP demande une enquête indépendante sur les raisons de cette opération de l’armée israélienne afin «  que les faits soient connus ». Dans un second communiqué, Gary Pruitt ajoute que « si nous [l’AP, ndlr] avions vu des informations crédibles selon lesquelles nos journalistes étaient en danger ou si notre capacité à rapporter les informations avec précision et équité avait été compromise, nous aurions pris des mesures pour remédier à la situation. Nous ne mettrions jamais sciemment nos journalistes en danger », insiste-t-il.

Le précédent de 2014

Ce n’est pourtant pas ce que déclarait en 2014 un ancien journaliste de l’AP. Sur la base de ses expériences entre 2006 et 2011 en tant que correspondant et rédacteur en chef du bureau de Jérusalem de l’Associated Press (AP), Matti Friedman a livré des révélations fracassantes. « La presse occidentale est devenue moins un observateur de ce conflit qu’un acteur de celui-ci, un rôle qui a des conséquences sur les millions de personnes qui tentent de comprendre l’actualité, y compris les décideurs qui dépendent des récits journalistiques pour comprendre une région où ils cherchent constamment à intervenir de manière productive ». Lors de son séjour à Gaza, Friedman a été le témoin de plusieurs scènes confirmant les pressions qu’exercerait le Hamas sur la presse internationale présente sur leur territoire. Après la guerre de 2014, il écrira dans The Atlantic que « le personnel de l’AP dans la ville de Gaza assistera à un lancement de roquettes juste à côté de leur bureau, mettant en danger des journalistes et d’autres civils à proximité – et l’AP ne le rapportera pas pour ne pas confirmer les affirmations israéliennes selon lesquelles le Hamas lançait des roquettes depuis des zones résidentielles. (Cela s’est produit.) Les combattants du Hamas faisaient irruption dans le bureau de l’AP à Gaza et menaçaient le personnel – et l’AP ne voulait pas le signaler. (Cela s’est également produit.) »

Paul Colford, qui était alors porte-parole de l’AP, a également confirmé que des militants armés sont entrés dans le bureau de l’AP à Gaza au début de la guerre de 2014. Ils se plaindront d’une photo montrant l’emplacement d’un lancement de roquettes. « L’AP ne rapporte pas beaucoup d’interactions avec des milices, des armées, des voyous ou des gouvernements», a-t-il écrit dans un communiqué de l’AP. «Ces incidents font partie du défi de diffuser les informations», ajoutera-t-il à l’époque.

Le tweet de Tommy Vietor

Dernière source à valider la thèse d’Israël sur la présence du Hamas dans les bureaux de l’AP ? Une que l’on ne peut pas vraiment accuser de collusion avec Israël et qui condamne la destruction du bâtiment par Tsahal. « Je suis sûr que des bureaux du Hamas se trouvaient dans ce bâtiment et qu’ils se servent délibérément des civils pour organiser leurs opérations militaires. Mais ce n’est pas quelque chose de nouveau. Et si Tsahal veut prétendre que l’effort militaire est ciblé, précis, etc… alors ils n’auraient pas dû frapper ce bâtiment » tweete Tommy Vietor ce 15 mai. Il est l’ancien porte-parole du président Barack Obama et du conseil de sécurité nationale des États-Unis entre 2011 et 2013.

A lire aussi, Gil Mihaely: Israël-Gaza: le Hamas a renversé la table

Lorsqu’une internaute lui demandera les sources qui lui permettent de prétendre que des membres du Hamas étaient bien présents, Tommy Vietor répondra qu’il a lui-même « échangé avec des gens qui travaillaient dans ce bâtiment ». Cela valide les déclarations (confirmées plus tard dans la journée par Netanyahou) d’une source diplomatique israélienne de haut niveau, qui a confié ce 17 mai au Jerusalem Post que Netanyahou a présenté aux Américains « une preuve irréfutable établissant que le Hamas travaillait dans le bâtiment » et qu’il croit « comprendre qu’ils ont trouvé l’explication satisfaisante ».

Assez « satisfaisante » pour que l’exécutif américain ne condamne pas la frappe de Tsahal, ne dénonce pas une violation de la liberté de presse et n’exige pas l’arrêt immédiat des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ? Pour l’instant oui.

Sommes-nous encore en démocratie?

0
© Hannah Assouline / L'Observatoire

Bien sûr, poser la question, c’est y répondre — surtout avec l’adjonction de ce délicieux « encore » qui postule que nous fûmes, jadis, il y a longtemps, en démocratie. Natacha Polony a sur nombre de journalistes l’avantage d’avoir réussi l’agrégation de Lettres avant de passer le master de Sciences-Po, et d’avoir fait force explications de textes et dissertations. Il lui en reste quelque chose, dans l’analyse du sujet, le glissement opportun d’une problématique à une autre, dans la clarté de l’expression, la qualité du style, l’absence de ce Je hypertrophié qui caractérise tant de ses confrères, le maniement discret des références indispensables, et un je ne sais quoi de ténu, constamment ironique, qui est la vraie marque du désespoir.

Ce petit essai fort brillant analyse avec lucidité le processus qui depuis quarante ans a dépossédé le peuple — vous savez, le Démos auquel fait allusion le mot Démocratie — de tout pouvoir effectif, sinon celui de s’avachir devant la télé et de voter comme le lui suggèrent les oligarques de l’Europe maastrichienne, de la « fin de l’Histoire » et de la mondialisation heureuse — forcément heureuse. La démocratie a été confisquée par les économistes libéraux (pléonasme !) et leurs relais dans les médias. Un tout petit monde qui se targue de tout savoir parce qu’ils dînent entre eux, en se moquant des avatars modernes du « peuple » — gilets jaunes, complotistes, « républicains » de toutes obédiences (mais suspectés d’être « fascistes », comme Chevènement, Seguin ou Finkielkraut) et autres gueux sans dents.

À lire aussi, du même auteur: Walt Disney, pervers polymorphe

Les politiques qui nous gouvernent, dont Polony souligne l’extraordinaire ignorance générale (comme la culture du même nom, supprimée des concours sous prétexte de discrimination positive), dansent eux aussi sur un volcan. Les Gilets Jaunes ne les ont pas convaincus. Le glissement des classes laborieuses de la Gauche au RN ne les inquiète guère. Les « républicains » des deux rives, de D comme Debray à P comme Polony, de G comme Guaino à O comme Onfray, les amusent. Le verdict des référendums, opportunément renversé par le Congrès, les divertirait presque. Quant aux élections, quelle corvée — on ferait mieux de confier définitivement les affaires aux Grands Sachants, opportunément promus Grands Sachems. Et de confiner le peuple dans ses HLM. Tiens, une bonne idée, ça ! Si seulement nous disposions d’un prétexte pour les forcer à rester chez eux…

Quant aux tribunes des uns et des autres avertissant que la guerre civile guette, quelle plaisanterie ! Avec deux ou trois Cyril Hanouna, on peut parer à n’importe quelle émeute, n’est-ce pas…

Parce que Polony est bien consciente que notre démocratie repose désormais sur le mépris des élites auto-proclamées pour le peuple. Elles ont sacrifié petits commerçants, jobs d’étudiants, respect dû aux personnes âgées, condamnées à mourir de solitude dans des EHPAD mieux cadenassées que nos prisons, sans que personne ne proteste. Elles ont détruit l’École républicaine, suspecte de former des citoyens trop informés — alors qu’un enseignement au rabais suffit à former des consommateurs —, anéanti la langue et la culture, accusées de relents nationaux ou nationalistes, truqué les élections en alliant gauche libérale et droite classique afin de mener, quels que soient les résultats, la même politique depuis trente ans, sous prétexte d’éliminer l’épouvantail RN, et monopolisé tous les canaux d’information. Pourquoi se gêneraient-elles en conservant le système électoral du « monde d’avant » ? 

À lire aussi, Thomas Morales: Le dernier des mohicans

Polony sait construire une dissertation, c’est entendu, mais elle ne crucifie pas le lecteur sous la masse des citations. Christopher Lasch, oui, bien sûr (la Révolte des élites et la trahison de la démocratie). C’est presque tout. Comparez avec un Finkielkraut qui arrive à tout débat avec une kyrielle de références…

Elle sait aussi écrire — et ça nous change de tant d’essais filandreux. Peu de mots de liaisons, un raisonnement serré comme une cotte de mailles, dans lequel le lecteur ne peut faufiler son égo ou ses objections. Ah, elle a les moyens intellectuels, elle, de déplorer la baisse continue du niveau de nos dirigeants, et des gogos qui croient exister parce qu’ils éructent sur les réseaux sociaux…

Imaginons un instant que cet essai stimulant ait emprunté les voies du roman historique. Nous assisterions à une soirée à Versailles en 1788, où Marie-Antoinette se moquerait avec entrain de Calonne, qu’elle vient de faire renvoyer — en évoquant Necker, « remercié » lui aussi sept ans auparavant. La reine, folâtre, plaisanterait avec ses favorites sur ces femmes de Paris qui veulent du pain : « Qu’on leur donne de la brioche ! » s’exclame Mme de Lamballe — une réplique piquée dans les Confessions de Rousseau dont ces dames raffolent. En attendant, le chocolat est d’excellente qualité. « Savez-vous, raconte Mme de Polignac, qu’un certain Guillotin a réalisé une machine à couper les têtes qui vous fait juste éprouver un courant d’air frais dans le cou ? » « Oui, dit la Reine, on l’a expérimenté sur un mouton, pauvre bête ! » « Quelle horreur ! » s’exclame le comte de Fersen…

À lire aussi, Céline Pina: Les manifestations pro-palestiniennes ne feraient-elles plus recette?

Quant au « peuple »… « Ces manants croient avoir droit à a parole ! » ricanent-ils en chœur. « Et ils appellent à une réunion des Etats Généraux ! »

« Bah, dit le comte d’Artois, tant que nous avons la Bastille… Monsieur de Launay la tient d’une main ferme. »

Et curieusement, Polony achève son essai sur une phrase qui fait écho à cette fiction : « Le temps est venu de faire tomber les nouvelles Bastille ». Rarement essai politique s’est aussi bien conclu sur un appel à l’insurrection qui vient.

Sommes-nous encore en démocratie ?

Price: 10,00 €

34 used & new available from 1,45 €

L’homme que la France a oublié deux fois

0
Michel Thierry Atangana © Le cherche midi

Citoyen français, Michel Atangana a été laissé dans un cachot camerounais pendant 17 ans pour un délit fictif. Depuis sa libération, il n’a toujours pas été réhabilité et peine à récupérer sa dignité dans son propre pays. Il publie Otage judiciaire, 17 ans de prison pour rien (Le Cherche Midi, 2021).


Nul n’ignore qui est Florence Cassez. Alors compagne d’une des têtes d’un cartel mexicain versé dans les extorsions, séquestrations et tortures, elle est arrêtée en 2005 pour suspicion de complicité et passe sept ans dans une geôle mexicaine. Suite à sa libération très médiatisée, elle est reçue pour un festin à l’Élysée avec Nicolas et Carla Bruni Sarkozy. Mais qui a entendu parler de Michel Thierry Atangana ? 

17 ans de cachot!

Débarqué en Bretagne à l’adolescence, ce personnage bien moins médiatique renonce à la nationalité camerounaise pour embrasser celle de son pays d’adoption à l’âge de 22 ans. Inconditionnel des messes catholiques aux aurores, passionné par le commerce et par Roland Garros, il décroche un DESS en finances avant que Nestlé, Mitsubishi ou Caterpillar ne s’arrachent ses services. Alors qu’il n’a même pas trente ans, ce gendre idéal semble voué à une florissante carrière d’ingénieur financier aux costumes bien taillés. C’était sans compter sur sa lubie de redresser le Cameroun, un retour aux sources qui sonne le début d’une très longue descente aux enfers. En 1994, un comité de treize entreprises françaises et américaines le charge de superviser le suivi de grands travaux routiers au pays de Paul Biya. Trois ans plus tard, au sortir de l’église en compagnie de son épouse, Michel Atangana est violemment arrêté au volant de sa voiture par des dizaines de soldats. Sans la moindre preuve, il est alors accusé de complicité d’un détournement de 150 milliards de francs CFA (pas moins de 230 millions d’euros) avec le médecin Titus Edzoa, ministre de la Santé entré en dissidence venant de se porter candidat à la présidence. « Une somme terrifiante », nous commente l’ingénieur financier près d’un quart de siècle après sa capture.

Bien qu’il ne soit guère versé dans la politique, le gouvernement l’accuse alors d’être le directeur de campagne du médecin dissident. Pour sauver la vie de cet ambitieux politicien, Michel Atangana refuse de témoigner contre lui. Un sacrifice qui lui vaudra dix-sept ans de sa vie à croupir au sous-sol du Secrétariat à la défense du Cameroun, alternant entre la compagnie des rats et celle des cafards, cris de prisonniers torturés, humiliations des geôliers, gaz d’échappement infiltrés et fausses accusations lors de procès kafkaïens. Un cauchemar dont « il est impossible d’invoquer une base légale et qui revêt donc un caractère arbitraire », rapporteront les conclusions de l’avis d’un groupe de travail des Nations Unies adressé à l’État du Cameroun en 2013. Des âmes s’en seraient-elles offusquées au sein même des hauts cercles camerounais ? Toujours est-il que peu après son arrestation, des écoutes téléphoniques émanant des services de renseignements camerounais sont dévoilées sur les ondes d’Africa n°1. On y entend le secrétaire général de la Présidence et le ministre des Finances camerounais se réjouir de la cabale qu’ils sont en train de monter. Lors de son second procès, Atangana utilisera d’ailleurs ces enregistrements.

Quand le Quai d’Orsay ne répond pas

Pour l’heure, Atangana est alors condamné à quinze ans de prison. Les années passent. Confiné dans son sous-sol, il espère que l’on va un peu se pencher sur lui. Rien. Depuis sa cellule, il entend pourtant Nicolas Sarkozy aller libérer au Tchad les très médiatisés gourous de L’Arche de Zoé ou se mettre en quatre pour Ingrid Betancourt en Colombie. Interrogés sur le cas Atangana, Kouchner puis Juppé s’abritent derrière des communiqués invoquant le principe de non-ingérence. Durant treize ans, ce citoyen français incarcéré à l’étranger n’a donc bénéficié d’aucune protection consulaire. Il faut attendre 2009, année de la nomination de Bruno Gain à l’ambassade pour qu’on se penche un peu sur son sort. « Bruno Gain a rétabli la protection consulaire à mon égard et il ne s’est pas fait que des amis au Quai d’Orsay », me souffle l’ancien prisonnier. La même année, Le Canard Enchaîné lance l’alerte par le premier article en France sur son cas. En 2012, Atangana est à nouveau condamné, à vingt ans de prison cette fois.

© Le cherche midi

En 2014, une rencontre de sa défense avec un certain Éric Dupond-Moretti permet d’échauffer une grâce de la part de l’intouchable Paul Biya. Accordée la même année, celle-ci lui permet de renouer avec le grand air. Qui sont les quatre ambassadeurs qui se sont succédé à Yaoundé avant la nomination de Bruno Gain ? En fonction lors de l’arrestation, Philippe Selz est l’auteur d’un ouvrage au titre prometteur, La diplomatie expliquée à une jeune fille du XXIème siècle. Nommé en avril 1998, Jean Paul Veziant est pour sa part un vrai collectionneur de médailles : chevalier de l’ordre national du mérite en 1984, chevalier de la Légion d’honneur en 1998, officier national de l’ordre du mérite cinq ans plus tard ! Ambassadeur en poste à Yaoundé de 2003 à 2006, Jean-François Valette n’a rien d’un pétochard : il est l’auteur d’un rapport salé de l’Union Européenne sur la présidence d’Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) qui a fait grand bruit. Quant à son successeur Georges Serre, réputé très proche du même Ouattara, il se consacre désormais à conseiller le transporteur maritime français CMA CGM sur l’Afrique. 

« On a fait de moi un apatride »

Tandis que Michel Atangana était sous terre, ces amoureux de la francophonie n’étaient guère en train de se prélasser sous le soleil de Yaoundé. Alors pourquoi aucun d’entre eux n’a daigné rendre visite à leur compatriote durant tout ce temps ? « Ça arrangeait peut-être tout le monde de considérer comme un Camerounais ce ressortissant français », estimait Dupond-Moretti dans le documentaire « Michel Thierry Atangana, scandales d’États » il y a deux ans. « Depuis 25 ans que je me pose la question, je ne vois aucune raison valable au fait qu’on m’ait oublié et qu’on ne m’accompagne pas après. Je suis convaincu qu’il y a eu une erreur monumentale d’appréciation à mon égard », nous confie pour sa part l’intéressé. Alors que Jean-François Valette n’a pas donné suite à notre sollicitation, CMA CGM nous a assurés que George Serre vient de les quitter sans laisser de numéro. Quant à la Toile, elle ne contient nulle trace de quelque déclaration venant des anciens ambassadeurs au sujet de l’ingénieur emmuré. Peu après son arrestation, les documents attestant de la nationalité française de Michel Atangana se volatilisent étrangement de l’ambassade de France.

De mauvaises langues chuchotent que George Serre en personne aurait sciemment embarqué les fameux papiers dans une valise diplomatique, des dires impossibles à vérifier. « Le vrai scandale, c’est qu’on a fait de moi un apatride », souligne pour sa part le rescapé. « Pour justifier la non intervention de la France, il fallait dire que je n’étais pas français. On a donc fait disparaître des papiers d’expatriation et de nationalité française. Je me suis seulement retrouvé avec ma carte de séjour comme Français au Cameroun et j’ai été inculpé par le Cameroun pour falsification d’identité avec mandat de dépôt ». La première organisation à se pencher sur l’étrange incarcération est Freedom House, une ONG qui nous vient d’Outre atlantique, à la suite de quoi le prisonnier apprend qu’il a été reconnu prisonnier politique par le département d’État américain depuis… 1999. Cette lueur d’espoir sera suivie de l’attention de La Croix rouge, de celle d’Amnesty International puis de celle des Nations Unies. La France a-t-elle agi parce qu’elle n’avait plus vraiment le choix ? Toujours est-il que fraîchement élu, François Hollande adresse à son compatriote un courrier d’une inconsistance mémorable : « quels que soient les crimes que vous avez commis, la peine qui vous a été infligée est particulièrement lourde ».

Double peine ?

En 2014, Michel Atangana est enfin libéré. Après avoir eu droit à son festin à l’ambassade du Cameroun, il apprend qu’il est tenu de payer de sa poche son billet de retour pour Paris. Rappelons qu’il y a deux ans, le gouvernement préparait (sans s’en vanter) un rapatriement de quelque 250 djihadistes de Syrie avec deux avions et frais de vol inclus. À Paris, il est enfin reçu par François Hollande en personne à l’Élysée. « Pas plus de dix minutes », avertit le président. Si la rencontre dure finalement une demi-heure, aucun média n’y a été convié. « Vous êtes le doyen des Français détenus par un État étranger. Cela ne doit plus jamais se reproduire », lui lance un Hollande à l’abri des regards et des caméras. Pour pouvoir retrouver ses droits sociaux (et les joies du fisc), Michel Atangana a besoin d’un document du Quai d’Orsay justifiant ses dix-sept années hors des radars français. Alors sous l’égide de Laurent Fabius, le ministère des Affaires étrangères refuse catégoriquement d’y préciser que cette détention a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies au motif, est-il inscrit sur la lettre de refus, d’un « respect dû à la souveraineté des États ». Nous avons aussi consulté l’attestation. Cachetée par le ministère, elle indique simplement que « ce ressortissant français a été détenu au Cameroun du 12 mai 1997 au 24 février 2014 ».

« Comment pourrais-je trouver un emploi avec un casier judiciaire aussi chargé ? », s’indigne poliment l’ancien captif. « L’État voudrait que je me débrouille avec le RSA. Il me l’a proposé et j’ai dit non car je ne veux pas m’abreuver de l’État providence. On m’a ôté ma dignité ». Si certains hauts gradés du Cameroun ont été écartés suite à l’iniquité avérée de la justice de Paul Biya envers Michel Atangana, celui-ci n’y a toujours pas été légalement déclaré innocent et le Cameroun ne lui a pas restitué les biens qui lui ont été saisis après son arrestation. « S’il le souhaitait, l’État français pourrait entamer une négociation diplomatique avec l’État camerounais pour que Paul Biya aille jusqu’au bout de son engagement et réhabilite Michel Thierry Atangana. Des rapports faits par les services camerounais attestent du caractère arbitraire de cette détention et du fait qu’il a été une victime collatérale de manœuvres politiques », souligne Laurent Bigot, ancien diplomate au Mali et désormais chroniqueur pour Le Monde.

En vertu d’une commission rogatoire camerounaise que la police judiciaire française demande aux banques françaises d’appliquer, Michel Atangana ne peut même pas avoir de compte bancaire. Ce n’est pas tout. En 2014, il se présente devant un guichet de la Sécurité sociale avec son numéro pour mettre à jour son dossier afin d’aller chez le dentiste. On lui dit et lui répète alors qu’il n’est pas Michel Atangana. Et qu’en conséquence, il n’a pas le droit d’utiliser son propre numéro de sécurité sociale – alors que ses droits de sécurité sociale sont toujours à jour. S’ensuit un parcours du combattant jusqu’il y a deux ans. « Il a fallu qu’un médiateur de la République se mette en colère pour que je puisse avoir accès à mon propre dossier », confie-t-il. D’une façon générale, l’ingénieur que toutes les entreprises s’arrachaient est aujourd’hui sans le sou, sans possibilité de travailler ou de solliciter quelque crédit pour démarrer une nouvelle vie. 

1500 Français emprisonnés à l’étranger

Suite à l’épisode de la fameuse attestation d’incarcération (qui ne stipule pas que celle-ci a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies), le département d’État américain a proposé à Michel Atangana de l’arracher à notre inertie pour lui attribuer la nationalité américaine. L’intéressé a dit non. « Je ne changerai pas ma nationalité. La France correspond à ma culture et à mes valeurs », lâche-t-il simplement, loin de céder aux sirènes du ressentiment. Qu’en pense Emmanuel Macron ? À ce jour, il ne s’est pas exprimé publiquement sur ce sujet. Le bout du tunnel pourrait pourtant venir de ses troupes. Député marcheur de l’Essonne, Pierre Alain Raphan porte une proposition de loi visant à « améliorer la mise en œuvre effective avec les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ». « On entend très peu de cas d’Américains ou de Russes qui sont enlevés et pas libérés. Quand vous enlevez un Américain, l’Amérique va venir le récupérer sur place quitte à le juger dans son pays s’il a fait une faute, il y a une approche de la protection du citoyen qui est au cœur de la politique. Moi j’aimerais qu’en tant que pays des Droits de l’homme, on dise que vous ne touchez pas à un seul cheveu d’un Français !», tonne-t-il au bout du fil.

D’ici-là, la France a-t-elle les moyens de contraindre le Cameroun à réhabiliter ce citoyen français ? « Le fait est qu’il y a un manque de volonté politique. On nous oppose un principe d’immunité étatique », glisse-t-on du côté du cabinet d’Antoine Vey, avocat désormais en charge du dossier. « Les Américains n’ont pas proposé à Atangana de prendre la nationalité américaine pour ses beaux yeux. Contrairement à nous, ils ont vu les enjeux politiques et ont compris que ce dossier permettrait de faire pression sur Paul Biya. Mais chez nous, un problème ne vient sur l’agenda politique que lorsqu’il est médiatique. S’il y avait une pression médiatique, l’exécutif serait sans doute déjà contraint d’agir », analyse pour sa part Laurent Bigot.Au 31 mai 2020, 1500 Français étaient emprisonnés à l’étranger selon le Quai d’Orsay. Si près d’un quart sont détenus pour des affaires de stupéfiants et 40% pour des raisons de droit commun, un tiers est en geôle pour des motifs inconnus… En attendant de retrouver une vie un peu normale, Michel Atangana vient de signer Otage judiciaire (Le Cherche-Midi). De procès iniques en bureaucrates grotesques, on y trouve des situations auxquelles même Franz Kafka n’aurait pas songé.

Otage Judiciaire, Michel Thierry Atangana, Le Cherche-Midi

Otage judiciaire - 17 ans de prison pour rien

Price: 18,00 €

22 used & new available from 2,28 €