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Les végans, ces pénibles puritains des fourneaux

Ils n’aiment ni la viande ni la vie


Les végans, ces pénibles puritains des fourneaux
Aymeric Caron en 2018 © XAVIER VILA / SIPA Numéro de reportage : 00866161_000020

Le véganisme est le carême de notre temps, selon notre chroniqueur Jérôme Blanchet-Gravel


Le véganisme fait de plus en plus d’adeptes. Strict mode de vie, l’industrie alimentaire doit maintenant composer avec lui. Les végans forment un lobby : partout, ils imposent de nouvelles normes à la société.

De bonnes raisons nous incitent à la modération mais…

Comme les membres de certaines minorités religieuses, ils nous soumettent tranquillement à leurs règles, comme si la majorité devait systématiquement les accommoder. Dans un sens, le véganisme est une preuve supplémentaire de la dislocation de notre société. Le vivre-ensemble se dissout, le partage d’un repas devient une opération délicate. Au véganisme s’ajoute la passion pour les produits biologiques : difficile de s’y retrouver dans cet entremêlement de sensibilités. En 2019, le Christ devrait fractionner un pain sans gluten pour ne pas froisser l’un de ses apôtres. La communion est chose du passé.

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Pourtant, de bonnes raisons nous incitent à la modération. Les méfaits sur la santé de la surconsommation de viande sont connus, il n’y a rien d’idéologique dans cette recherche d’équilibre. De l’autre côté, des gens pratiquent le véganisme pour des raisons écologiques : l’industrie de la viande nécessite de grandes quantités de ressources pour produire des quantités moindres de calories. L’adoption d’un tout nouveau régime alimentaire s’inscrit toutefois dans une autre logique. Le véganisme va plus loin que la simple modération. Il est aussi plus radical que le végétarisme, qui n’interdit pas les produits comme les œufs, le fromage et le lait. Religion 2.0, le véganisme est un puritanisme alimentaire.

Les brahmanes des temps modernes

Le véganisme s’harmonise parfaitement avec l’époque actuelle, il n’est pas une idéologie séparée de notre réalité aseptisée. Version alimentaire du politiquement correct, il est refus des corps, de la chair, des étalages affriolants rappelant l’existence d’une hiérarchie entre les êtres. Le végan frémit d’angoisse devant cette humanité pleinement assumée. En espagnol, la carne est à la fois la viande et la chair, signe évident de cette liaison luxurieuse. Cette chair nous rappelle de quelle matière nous sommes faits, elle nous convie à la célébration de notre incarnation. Les animalistes ne condamnent pas seulement la cruauté envers les animaux : c’est l’Occident dans son rapport au monde qui est aussi visé. Les végans aimeraient nous tenir à distance de tous ces buffets des sens, des banquets délicieux de l’existence. Il faudrait nous purifier de nos péchés gourmands.

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Il n’est pas anodin de constater que ce nouveau mode de vie apparait en même temps que la nouvelle morale sexuelle. Jamais les sociétés n’ont autant exalté le sexe, et rarement des radicaux (religieux et néo-féministes) n’avaient autant tenté de le réprimer. Depuis quelques années, la pornographie côtoie le désenchantement érotique, la sexualité est de plus en plus virtuelle. Le véganisme repose sur le même genre d’attraction-répulsion. Jamais nos sociétés n’ont autant célébré la nourriture, et jamais elles n’avaient promu des régimes alimentaires aussi stricts. Sur les réseaux sociaux, la culture de l’image nourrit la réaction à cet esprit rabelaisien. L’exhibitionnisme, qui prend de multiples formes, amplifie ce nouveau dégoût de la viande.

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Vers l’alimentairement correct

Sur Instagram et autres sites à la mode, les photos de nourriture prolifèrent. On y voit des viandes aussi rosées que juteuses, des moules à la crème, des bananes trempées dans le chocolat noir. On y voit des bouches et des langues se délecter de ces gâteries fabuleuses. Contre l’orgie culinaire placardée sur les réseaux sociaux, des militants intestinaux s’élèvent. Ils protestent en pratiquant une ascèse aussi rigide que celle des brahmanes hindous. C’est le retour en force des interdits alimentaires. Paradoxalement, le véganisme est à la fois tradition et modernité. Avec sa brochette de nutritionnistes, il est pénitence et encadrement pseudoscientifique. Des professionnels du déplaisir assurent le bon fonctionnement de ce carême de tous les instants.

La production de viande peut entrer en contradiction avec certaines exigences environnementales. Il ne faut donc pas abuser des plaisirs carnés de la table. Toutefois, il serait trop facile de ramener ce courant au seul essor de l’écologisme. Il y a dans le véganisme une tentation puritaine. Avec les végans, il faudrait nous retenir de jouir, pour mieux nous consacrer au dépassement de notre condition de pécheurs. Nous pourrions même nous demander si les végans aiment vraiment la vie. Pourquoi un tel programme à l’heure où la fête semble être devenue l’horizon indépassable de notre civilisation ?

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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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