A la Comédie de Picardie, à Amiens, un « seul en scène » de Cléo Sénia fait revivre Colette, non seulement le grand écrivain mais aussi l’artiste de music-hall. Evocation enivrante d’une époque où érotisme et féminisme n’étaient pas incompatibles.
« Je n’ai rien fait ! C’est elle ! », eussé-je pu dire, il y a peu, en sortant de la Comédie de Picardie d’Amiens où venait d’être donné le spectacle Music-hall Colette, librement inspiré de la vie de cette dernière, écrit par Cléo Sénia, Alexandre Zambeaux et Léna Bréban. Je n’avais rien fait ; c’était elle, la Sauvageonne, qui avait choisi d’assister à ce seul en scène de Cléo Sénia. Ni elle, ni moi ne l’avons regretté. Bien au contraire ; nous nous sommes même régalés. C’est vrai qu’elle a du nez, ma Sauvageonne. Ça lui permet de débusquer de remarquables créations. Colette, ma chérie n’est pas la seule à le savoir, est l’un de nos meilleurs écrivains français. Un style de haute tenue ; un sens inouï de l’observation lesté d’une imagination débridée qui procure à ses textes un parfum unique et fort agréable. Comment ne pas se souvenir de Claudine, de Dialogues de bêtes et surtout, surtout, du Blé en herbe ? Parfum de soufre et de scandale aussi. Ce n’est certainement pas ce qui eût pu effaroucher la Sauvageonne et la contrarier dans ses choix. Moi non plus ; bien au contraire.
Car la talentueuse Cléo Sénia n’a pas souhaité dresser de Colette un portrait aseptisé, polissé, voire policé. Avec gourmandise et espièglerie, elle nous raconte la liberté de Colette, scrute sa vie dite scandaleuse de la Belle époque, dit tout de ses relations avec Willy, son imposant mentor, avec la marquise Mathilde de Morny, dite « Missy ». Amours saphiques, ébats à trois… Le seul en scène de la sémillante Cléo ne cache rien. Elle s’effeuille, dialogue avec elle-même grâce à la double narration en miroir, car c’est aussi, en filigrane, son propre portrait que nous donne à voir Mlle Sénia. (J’ai adoré les jeux de miroirs ; la comédienne, sur scène, répond à son double – ou à Colette, on ne sait plus très bien – rigole, s’impatiente, trépigne, s’adonne à des colères de filles, tente de lui couper le sifflet quand le charmant reflet devient trop bavard ou trop indiscret. C’est carrément délicieux, terriblement féminin).
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Pas étonnant que ma Sauvageonne eût adoré. Cléo Sénia s’adonne aussi à des séances de balançoire à faire rougir ses sombres bas résille et rosir son adorable petite culotte si pâle. C’est sexy en diable, drôle, impertinent, sensuel à souhait. Les extraits des œuvres de Colette sont judicieusement choisis ; ils proviennent des romans, des nouvelles, des articles, des citations, et en particulier des saynètes et autres numéros de l’époque du music-hall quand elle se produisait, en 1907, sur la scène du Moulin Rouge, à la faveur d’une pantomime nommée Rêve d’Egypte. Le préfet de police menacera le fameux cabaret de fermeture car Colette et son amant-maîtresse Missy, alias la marquise de Morny, échangeaient sur les planches un langoureux baiser. Pourtant, cela devait être tellement mignon. Bravo à Cléo Sénia et à son spectacle de nous avoir fait goûter, pendant une heure quinze, à cette liberté-là. Elle a le parfum d’un féminisme exquis qu’on aimerait tant savourer aujourd’hui, loin, si loin, de celui qui nous impose l’écriture inclusive, la guerre hommes-femmes, et autres injonctions frigides. Colette n’eût pas aimé qu’on l’appelât écrivaine, ce mot si laid et si négatif. Oui, Colette, quel grand écrivain ! Et Cléo Sénia, quelle grande comédienne !
Amiens, le mardi 23 décembre 2025.


