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Dino Buzzati : un balcon sur les Dolomites

La chronique du dimanche de Monsieur Nostalgie


Dino Buzzati : un balcon sur les Dolomites
Dans les Dolomites, une skieuse s'entraîne pour les JO d'Hiver de 2026 à Milan Cortina, le 17 janvier 2025. Alessandro Trovati/AP/SIPA.

L’écrivain italien (1906-1972), mondialement célèbre depuis la publication du Désert des Tartares en 1940, était né aux portes des Dolomites dans la province de Belluno en Vénétie. Alpiniste chevronné, il a beaucoup écrit sur ses montagnes et la passion des sommets. Il a même couvert les Jeux Olympiques d’Innsbruck en 1964 pour le compte du Corriere della Serra. Arthaud vient de réunir ses articles et chroniques sous le titre Nouvelles des cimes.


Dans un peu plus d’un mois, à partir du 6 février, débuteront les Jeux Olympiques d’Hiver de Milan-Cortina, soixante-dix ans après ceux de Cortina d’Ampezzo en 1956. Un homme, un écrivain de haute altitude, éperon rocheux de la littérature italienne pourrait bien être notre guide afin d’appréhender ses Dolomites qui furent classées au patrimoine de l’Unesco en 2009. L’olympisme ne lui était pas étranger puisqu’en 1964, le quotidien milanais Corriere della Serra l’a mandaté pour suivre les Jeux d’Innsbruck qui virent le triomphe des sœurs Goitschel, Christine et Marielle, en Slalom et en Slalom géant. « Elles ont des visages sains et sympathiques. Elles pleuraient, riaient et pleuraient encore : c’était le plus beau moment de leur vie », écrivait-il dans sa chronique du 2 février 1964. Facétieux et sensible aux mirages des montagnes, Buzzati expliquait que l’esprit d’Olympie était une grâce fugace qui, parfois, n’arrive jamais. On l’attend longtemps et elle ne vient pas. Cet esprit n’était visiblement pas palpable lors de la cérémonie d’ouverture d’Innsbruck, « il est une sorte de Puck, un elfe gracieux et insouciant qui a besoin de bonheur et de pain ». Certains Jeux peuvent très bien se dérouler, dans une organisation parfaitement maitrisée et huilée, le public et les athlètes satisfaits, mais, en l’absence de cet esprit, la fête est entachée. Il manque l’étincelle. Cet esprit se matérialise par un signe du destin, signe végétal, minéral, apparitions éclairs d’un animal sur une piste, coup de pouce céleste sur les skis d’un champion en détresse. Un esprit aléatoire et taquin qui rend les compétitions plus légères et perméables à la poésie de l’instant. Cet esprit vif se transforme en permanence. 

En Autriche, tout le monde l’attendait donc, anxieux et prisonnier, car il se ne se révéla pas dans les rues d’Innsbruck, « boueuses et plutôt tristes ». Et puis, par magie, on le vit « dans les endroits les plus disparates ». Il prit notamment la forme de « serpents de lumière sur la patinoire, pour la course de 500 mètres en patin ». Dès son adolescence, Buzzati a été aspiré par ses Dolomites, à la fois si familières et mystérieuses.  Avant de grimper, il avait déjà tout lu sur le sujet et fit sa première ascension avec un guide à l’âge de 15 ans. « La montagne était déjà entrée en moi comme une obsession amoureuse », avoue-t-il. Il voulait « appartenir à ce monde ». Il appréciait le langage technique, l’audace et le panache de ces découvreurs de parois. Il devint un excellent spécialiste de la discipline et il côtoya les meilleurs grimpeurs italiens tout au long de sa vie, inspirant leur respect. Buzzati raconte cet âge d’or, qu’il situe entre les années 1925 et 1935, où tous les sommets allaient tomber, les uns derrière les autres, que rien ne résisterait au pouvoir d’ascension des hommes. Les cimes « les plus diaboliques » allaient abdiquer. Nous entrions alors dans la quête des hauteurs impossibles et inimaginables. « Et même si vous parvenez à trouver un bastion ou une arête encore intacts, en supposant qu’ils aient le moindre intérêt pour l’alpinisme, vous pouvez être sûr que tôt ou tard, eux aussi capituleront. Un jour ou l’autre, des hommes grimperont là-haut comme des araignées », concède-t-il avec un brin de regret.

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Car l’adolescent qui jalousait jadis et enviait ces « hors-la-loi », ceux pratiquant l’alpinisme sans guide, en vieillissant, avait changé de regard sur l’appropriation des montagnes. Il conservait en mémoire, non pas les accès les plus difficiles, mais plutôt une communion avec la nature. Dans ses articles, il se fait le défenseur d’une certaine virginité. N’avait-il pas été, lui un « égoïste » ? « Même les montagnes s’usent, comme toutes les belles choses de la vie. Même un tableau, une musique, un chef d’œuvre de la littérature, si nous le voyons, l’écoutons, le lisons tous les jours de l’année, viendra un moment où il ne nous dira plus rien ; une trop grande connaissance, à un moment donné, les anéantit » conclue-t-il. Lire le Buzzati des Dolomites, c’est faire une cure de sagesse à l’approche de l’hiver, c’est ne pas oublier les gnomes errants et le télémark des origines, c’est prendre la montagne, non pas comme un territoire acquis, un espace de jeu ou la validation d’une quelconque performance, mais comme le rocher de l’Humanité.

Dino Buzzati, Nouvelles des cimes. Montées, descentes et courses olympiques. Traduit de l’italien par Delphine Gachet, Arthaud, 2025, 337pp, 22,00€.

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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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