Accueil Édition Abonné Cuisinera-t-on Brigitte Bardot à la sauce woke?

Cuisinera-t-on Brigitte Bardot à la sauce woke?

Ce n’est pas l’antispécisme en soi qu’il faut condamner mais, de même que l’antiracisme, ses dérives


Cuisinera-t-on Brigitte Bardot à la sauce woke?
Brigitte Bardot (SIPA_00355646_000004)

Didier Desrimais a récemment dénoncé les délires wokes, antispécisme y compris. L’essayiste animaliste David Chauvet lui répond.


Dans sa récente chronique pour Causeur évoquant le livre de Jean-François Braunstein La philosophie devenue folle, Didier Desrimais affirme ou à tout le moins laisse entendre que l’antispécisme est une forme de wokisme[1]. Disons-le clairement : cette affirmation n’a aucun fondement, mais Didier Desrimais et Jean-François Braunstein ont tout à fait raison de s’interroger sur les dérives passées et futures de l’antispécisme, comme de toute autre idéologie.

On peut très bien exécrer le wokisme et être antispéciste, si on définit l’antispécisme comme le fait de ne pas porter atteintes aux intérêts fondamentaux des animaux au seul critère qu’ils appartiennent à une autre espèce – je dis bien « intérêts des animaux », ce qui signifie qu’ils sont sensibles et doués de conscience. Chacun comprend qu’il y a une différence entre un moucheron et un cheval, oserai-je croire, et on ne rejettera pas la protection due à ce dernier en prétextant simplement de l’exemple du premier.

Oubliez les singeries de Singer

Donc, l’antispécisme ne devrait pas être considéré, par principe, comme « une philosophie devenue folle ». Se soucier des animaux ne date pas d’hier, et certainement pas de l’antispécisme de Peter Singer. Il suffit de se souvenir, pour parler de la seule civilisation judéo-chrétienne, que dans l’Eden Adam et Eve ne mangeaient pas de viande. On l’ignore souvent, mais cela a donné lieu à une « lecture végétarienne du christianisme », pour citer Olivier Christin et Guillaume Alonge dans leur belle étude Adam et Eve, le paradis, la viande et les légumes, dont le lecteur pourra trouver en ligne une chronique par votre serviteur[2]. En témoigne, l’ouvrage De abstinentia carnis du futur cardinal Silvio Antoniano au seizième siècle. Certes, il s’agissait moins de se soucier des animaux que de retrouver un idéal de pureté et d’humilité. Mais croyez bien que les antispécistes – du moins ceux qui, parmi eux, se soucient sincèrement des animaux – se satisferaient très bien de la fin des abattoirs, serait-elle motivée par tout autre chose que leur idéologie.

Quand je parle de sincérité, je veux dire que l’antispécisme peut aussi bien être un moyen de défendre les animaux qu’une vulgaire posture idéologique. Ou bien un simple jeu intellectuel, propre à sombrer dans les délires dont l’université est coutumière – ce que Didier Desrimais comme Jean-François Braunstein dénoncent brillamment. Mais voudra-t-on en revenir à la hiérarchie des races parce que l’antiracisme vire à présent au wokisme le plus grotesque ? Ou priver les femmes du droit de vote à cause du néoféminisme ? Non, alors de grâce, pas de deux poids deux mesures avec l’antispécisme. Ce n’est pas l’antispécisme en soi qu’il faut condamner mais, de même que l’antiracisme, ses dérives. Refuser qu’on torture ou qu’on tue les animaux n’implique pas d’accepter la zoophilie, de vouloir se marier avec son chat ou toute autre proposition issue d’esprits à la dérive.

Diabolisation

Ne pas faire cette distinction cruciale est non seulement un deux poids deux mesures, mais c’est une grave faute stratégique pour la droite : car la ficelle est grosse et il n’échappe à personne que derrière l’épouvantail de l’antispécisme, c’est la cause animale que certains cherchent à diaboliser, par exemple en assimilant au wokisme, de manière bassement opportuniste, la lutte contre la corrida ou contre la chasse. C’est alors de nos concitoyens, dans leur grande majorité sympathisants de cette cause, qu’on veut couper la droite. On ne le répètera jamais assez, tout comme l’écologie, la cause animale n’est pas essentiellement de gauche, et encore moins un avatar du wokisme[3].

Ou sinon, dites à Brigitte Bardot qu’elle est woke. Nul doute qu’elle goûtera le compliment avec la même volupté qu’une bouchée de viande.

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[1] https://www.causeur.fr/euthanasie-gpa-antispecisme-genre-le-wokisme-en-a-encore-sous-le-pied-276358

[2] https://www.researchgate.net/publication/376885849_Remettre_l’Eglise_au_milieu_du_village_vegan_A_propos_d’Olivier_Christin_et_Guillaume_Alonge_Adam_et_Eve_le_paradis_la_viande_et_les_legumes_Review_preprint?_tp=eyJjb250ZXh0Ijp7ImZpcnN0UGFnZSI6InByb2ZpbGUiLCJwYWdlIjoicHJvZmlsZSIsInBvc2l0aW9uIjoicGFnZUNvbnRlbnQifX0

[3] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-cause-animale-nest-pas-essentiellement-de-gauche




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David Chauvet, juriste, universitaire, essayiste, diplômé en histoire du droit, docteur en droit privé et sciences criminelles, auteur de nombreux articles, ouvrages et traductions sur la question animale dont celle du livre du rabbin Abraham Isaac Kook, Une Vision du végétarisme et de la paix, parue chez L’Age d’Homme en 2020.

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