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Le paradoxe Charlie Kirk

Le pari du dialogue face aux nouveaux totalitarismes


Le paradoxe Charlie Kirk
Mémorial pour Charlie Kirk devant "Turning Point USA", Phoenix, Arizona, 11 septembre 2025 © Gage Skidmore/ZUMA/SIPA

L’assassinat de Charlie Kirk dépasse sa personne: en le tuant pour avoir osé parler et contredire, c’est le dialogue démocratique lui-même qu’on a visé, faisant de ce polémiste droitier un martyr du débat malgré lui.


Charlie Kirk, martyr du dialogue ?

On assassine parfois des hommes pour ce qu’ils incarnent plus que pour ce qu’ils disent. Charlie Kirk n’était pas un prophète, ni un saint, mais il portait sur la scène publique un geste devenu insupportable : celui de parler encore, de répondre, de contredire, de tenir debout dans le tumulte. Il n’a pas été tué pour une idée, mais pour un acte : celui d’ouvrir la bouche et d’accepter que d’autres la lui ferment par la parole plutôt que par la violence.

C’est là que réside la dimension tragique de son meurtre : il ne s’agit pas seulement d’une disparition individuelle, mais d’un signe funeste. On n’a pas seulement abattu un homme ; on a voulu supprimer le dialogue lui-même. Le sang de Kirk a coulé comme un encrier renversé sur la table de la démocratie : une tentative de noyer la parole dans la terreur.

Introduction : l’aveu nécessaire

Cet assassinat m’oblige à un aveu que je n’aurais pas pensé formuler. Mon « coming out » politique est né de cette évidence : nous ne vivons plus dans un monde où le dialogue est présupposé ; nous vivons dans un monde où le dialogue est devenu une faute. Toute ma vie, j’ai parié sur la force civilisatrice de la confrontation maîtrisée, sur la capacité des ennemis à se parler. Mais il faut désormais reconnaître que ce pari se heurte à une vérité crue : il existe des forces qui ne cherchent pas à discuter, mais à abolir la possibilité même de discuter.

C’est pourquoi je ne change pas de camp, mais de stratégie. Je reste fidèle à l’idéal démocratique, mais j’ai compris que, pour sauver le dialogue, il faut combattre ceux qui l’assassinent. Comme Kirk, nous devons accepter que notre fidélité à la parole nous expose au glaive.

Les fondations : là où le dialogue devient chair

J’ai vu au Rwanda des survivants parler à des génocidaires. J’ai vu des Israéliens clandestins s’asseoir avec des Palestiniens qui risquaient leur vie en osant leur répondre. J’ai vu des ennemis, les yeux rouges de haine, découvrir soudain, en se parlant, qu’ils avaient en commun une même peur, une même perte, un même deuil.

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Ces instants disent l’essence du dialogue : non pas l’accord, mais la reconnaissance mutuelle dans la douleur. C’est ce que j’ai toujours appelé la « thérapie du conflit ». Mais j’ai aussi vu ces expériences menacées, interdites par les groupes armés qui considèrent la parole comme une trahison. Ce que Kirk a subi sur une scène américaine, d’autres l’ont vécu dans les ruelles de Ramallah ou de Kigali : la menace de mort pour avoir osé normaliser l’ennemi par la discussion.

Les nouveaux totalitarismes : la guerre contre la parole

L’époque a basculé. Le totalitarisme n’est plus seulement un régime : c’est une dynamique planétaire qui vise à abolir l’espace commun. L’islamisme radical en est la forme la plus redoutable : il promet la pureté et la vérité révélée, il désigne ses victimes expiatoires — le Juif, l’Occidental, l’apostat. Comme le nazisme jadis, il n’accepte pas la contradiction : il n’a d’autre horizon que l’élimination.

Croire encore que le dialogue suffit, c’est répéter l’illusion de 1940 : on ne réconciliait pas les nazis et les Juifs autour d’une table, il a fallu d’abord vaincre le nazisme. Ce n’est qu’après la défaite qu’un dialogue a pu renaître sur les ruines. De même aujourd’hui : avant d’abattre la logique totalitaire, le dialogue est réduit au silence par la peur. La balle qui a tué Kirk nous le rappelle : la parole est désormais une cible.

L’aveu politique : nommer l’ennemi

C’est ici que mon aveu prend toute sa portée. Les seules forces qui osent nommer ce danger, ce sont celles qu’on range, commodément, sous l’étiquette d’« extrême-droite ». Trump, Orban, Zemmour, Farage : tous diabolisés, accusés d’incarner les heures les plus sombres, mais tous refusant le mensonge rassurant qui nie le danger.

Je n’idéalise pas ces hommes ; ils sont traversés de contradictions. Mais eux seuls posent la question vitale : la démocratie peut-elle survivre à des ennemis qui nient le dialogue ? Et eux seuls affirment que le réalisme n’est pas un crime. Pendant ce temps, les « modérés » s’abandonnent à la douceur suicidaire que Tocqueville redoutait.

Kirk, en osant parler dans ce climat, a incarné ce paradoxe : c’est le camp qui se croit progressiste qui tue la parole, et c’est le camp honni qui la défend, maladroitement mais résolument.

L’homme contre l’idéologie

Et pourtant, je sais qu’il reste toujours des failles dans la muraille. J’ai rencontré des anciens tueurs capables de tendresse, des musulmans rigoristes d’une hospitalité bouleversante. L’homme n’est jamais totalement perdu ; c’est l’idéologie qui le déforme.

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Arendt l’avait compris : ce sont des hommes ordinaires qui deviennent les rouages du totalitarisme. Charlie Kirk n’a pas été abattu par un démon, mais par un homme que l’idéologie avait transformé en instrument. C’est pourquoi il faut distinguer l’individu, toujours sauvé par un geste possible, et la logique qui l’enferme. Mais pour briser cette logique, il faut d’abord la nommer et l’affronter.

Conclusion : Kirk, témoin d’un paradoxe

Deux tâches s’imposent à nous :

1. Créer partout des lieux où le conflit peut être assumé sans devenir meurtre, où la haine peut être transformée en parole.

2. Refuser l’angélisme, et combattre ceux qui veulent abolir la pluralité et transformer le conflit en guerre totale.

Car le conflit est la respiration même de la démocratie. Mais lorsque le conflit est interdit, la démocratie s’asphyxie. Tocqueville l’avait annoncé : les sociétés démocratiques peuvent mourir de leur douceur.

Charlie Kirk est mort de cette douceur devenue aveugle, de cette complaisance qui préfère la censure au risque de l’affrontement. Sa mort fait de lui, malgré lui, un martyr du dialogue. Non pas parce qu’il portait la vérité absolue, mais parce qu’il incarnait le geste essentiel : parler, risquer sa voix, croire encore que la dispute vaut mieux que le silence des tombeaux.

C’est à nous, désormais, de comprendre sa leçon : le dialogue n’est pas un acquis paisible, c’est un combat. Un combat à mener avec des mots quand on le peut, avec des armes quand on n’a plus le choix. Dialoguer partout où c’est possible, combattre partout où c’est nécessaire : voilà l’unique fidélité qui nous reste envers ceux qui, comme Charlie Kirk, sont tombés pour avoir parlé.



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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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