Accueil Économie Fast-fashion: des fake news pour justifier un projet de loi controversé?

Fast-fashion: des fake news pour justifier un projet de loi controversé?


Fast-fashion: des fake news pour justifier un projet de loi controversé?
© Thomas Trutschel/DPA/SIPA

Pour justifier l’adoption d’une loi anti-fast fashion largement édulcorée, plusieurs ministres, aujourd’hui démissionnaires, avancent des chiffres extravagants afin de culpabiliser les clients des plateformes chinoises comme Shein et Temu. Une stratégie de diversion grossière et hasardeuse.


Six fois plus vite : à l’ère de la post-vérité, c’est la vitesse à laquelle une fake news se propage par rapport à une information vérifiée. L’étude sur laquelle est fondée cette affirmation ayant été menée par le très prestigieux MIT en 2018, et mondialement relayée depuis, on aurait pu attendre du gouvernement et des journalistes français qu’ils fassent preuve de la plus élémentaire prudence avant de relayer certains chiffres pour le moins fantaisistes.

Une stratégie de diversion pour faire oublier une loi vidée de sa substance ?

Le 30 août dernier, Véronique Louwagie, ministre démissionnaire déléguée au Commerce et à l’Artisanat, affirmait ainsi dans les pages du Nouvel Obs que « certains sites asiatiques d’e-commerce » – Shein et Temu, pour ne pas les nommer – seraient responsables de l’arrivée de « 600 avions provenant chaque jour de Chine vers l’Europe ». 600 avions, pleins à craquer d’habits bon marché, saturant l’espace aérien, vraiment ?

« D’où parles-tu, camarade ? », demandaient fort à propos nos soixante-huitards dans les amphis du Quartier latin sentant bon la marijuana et la lessive en retard. Si l’hygiène personnelle de Véronique Louwagie n’est pas en doute, nous ne savons que trop bien d’où la ministre parle dans les colonnes de l’organe officiel de la gauche caviar : de la position, qu’on lui concédera inconfortable, de celle dont la proposition de loi anti-fast fashion a été vidée de sa substance, et qui rêve de se maintenir en poste après la chute du gouvernement Bayrou.

Quand un avion vole dans le ciel, la ministre en voit trente

Sauvées par le gong – ou un habile travail de lobbying ? –, nos marques « européennes » comme Kiabi, Decathlon ou Zara. Et qu’importe si celles-ci faisaient, bien avant les plateformes chinoises, fabriquer l’essentiel de leurs produits dans de douteuses conditions en Asie. Ne reste plus qu’à taper sur leurs concurrentes asiatiques. Quitte à forcer le trait.

Ainsi du chiffre, pour le moins incongru, de 600 avions avancé par Véronique Louwagie. Une estimation trente fois supérieure à celle réalisée en 2023 par l’ONG suisse Public Eye, selon laquelle « chaque jour, l’équivalent de vingt avions remplis d’articles de fast-fashion serait transporté à travers l’Union européenne » (UE). Les chiffres avancés par la ministre démissionnaire ne sont pas davantage alignés avec ceux de la société de conseil en logistique aérienne Cargo Facts Consulting, qui estime quant à elle que Shein et Temu expédient conjointement l’équivalent de 108 Boeing 777 – mais dans le monde entier, et non vers la seule UE.

A lire aussi: Quand l’hypocrisie et la moraline façonnent la mode vestimentaire

Loin donc, très loin même, des 600 avions de Véronique Louwagie. Pas de quoi défriser notre gouvernement cependant, qui a d’autres chiffres dans son chapeau. Ainsi de celui brandi par la collègue de Mme Louwagie chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin, elle aussi démissionnaire : selon elle, 94 % des produits de Shein et Temu seraient « jugés non conformes, et parmi eux 66 % (…) considérés comme dangereux ». « Jugés » par qui, « considérés » par quelle instance, on ne saura pas. On est prié de croire qu’une pandémie d’accidents aussi gravissimes que silencieux se déroule sous nos yeux sans que personne ne s’en rende compte.

Le mépris social derrière la croisade écolo

D’autres chiffres, incontestables ceux-là, pourraient pourtant être avancés. Si c’est bien l’écologie qui guide, comme elles le prétendent, nos deux ministres démissionnaires en croisade contre Shein et Temu, pourquoi ne pas communiquer sur ceux des propres services du gouvernement, selon lesquels le fret aérien ne représente que 3,8% des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur aérien ? Sachant que le secteur aérien représente, dans son ensemble, 2% des émissions mondiales de GES, le secteur du fret par avion ne pèse donc que… 0,076% des émissions de GES.

C’est sans doute déjà trop, répondront les plus verts des écolos ; sûrement. Mais cela justifie-t-il de sonner la charge contre les seules plateformes chinoises de fast-fashion ? A moins que ne se cache derrière ce suspect empressement gouvernemental une raison moins avouable – en deux mots : le mépris social. Car qui achète des tops à 2 euros ou des robes à 7 euros ? Les jeunes et les catégories populaires, à qui Shein et Temu offrent ce que le gouvernement leur refuse obstinément : « le droit », comme l’écrivait très justement en mai dernier Zohra Bitan dans les pages du Point, « de se sentir beaux, dignes, regardés ».

Culpabilisation écologique et grogne sociale : l’étincelle ?

En somme, nous disent en cœur Véronique Louwagie et Amélie de Montchalin, non seulement les pauvres s’habillent mal, mais ils ont le culot de s’habiller non-éthique, non-local, non-écolo. C’est de leur faute, encore et toujours de leur faute, si des centaines, des milliers, et pourquoi pas des millions, d’avions dégueulant de vêtements à bas prix polluent notre atmosphère ; et surtout pas celle des footballeurs et stars de téléréalité qui sillonnent le ciel en jets privés. Alors que le climat social est explosif, nos deux ministres voudraient craquer une allumette au-dessus du brasier social qu’elles ne s’y prendraient pas autrement. Chapeau – et au-revoir ? – les artistes.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Ici Londres. Les Anglais parlent aux Français…
Article suivant Le paradoxe Charlie Kirk

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération