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La boîte du bouquiniste

"À propos de l’histoire", Société des écrivains amis des livres de Gabriel Hanotaux, Paul Valéry et Maurice Courtois-Suffit, 1933


La boîte du bouquiniste
Gabriel Hanotaux, Maurice Courtois-Suffit et Paul Valéry © D.R.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


« J’adore le passé, c’est tellement plus reposant que le présent et tellement plus sûr que l’avenir », dit Anton Walbrook dans La Ronde, le film de Max Ophuls.

Certains font aussi profession de raconter le passé, ce sont des historiens. Encore faut-il savoir ce qu’est l’histoire, la comprendre avant de l’interpréter. C’est l’objet d’une petite plaquette publiée en 1933 par la Société des écrivains amis des livres. Elle rassemble quatre discours : deux prononcés en 1931 par l’académicien Gabriel Hanotaux – lors du congrès international d’histoire coloniale, puis à la Sorbonne ; celui d’un autre académicien, Paul Valéry, à l’occasion d’une distribution de prix en 1932 ; et celui de Maurice Courtois-Suffit, jeune membre de cette Société des écrivains.

Selon Hanotaux, « l’histoire, d’abord, est une nécessité ; nous ne pouvons lui échapper : elle nous tient et nous ligote de son accablante compagnie. Voltaire, en son bon sens dépouillé, dit : “Les premiers fondements de toute histoire sont les récits des pères aux enfants, transmis d’une génération à une autre…” Le père parle ; les enfants écoutent ; les fils parleront ; leurs enfants écouteront. Et voilà ! l’histoire est née. Qui coupera le fil des générations rattachées les unes aux autres par le souvenir et le récit ? » Il pose la question, mais reconnaît que « l’histoire n’est pas à la mode en ce moment », pire, qu’elle « passe un mauvais quart d’heure : elle est devenue la maîtresse des erreurs, la cause des guerres, la propagatrice des violences et des tyrannies, le principe de tout mal. »

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Vouloir toutefois la supprimer serait vain, dit Courtois-Suffit, bien qu’on puisse « l’anéantir momentanément. Nous en voyons l’exemple en Russie. Mais elle renaîtra bientôt. Un jour ou l’autre, on la laissera tranquille. » Tranquille ? Rien n’est moins sûr, estime Valéry, car par leur travail et leurs désaccords, les historiens bousculent l’histoire. « On a beau faire croître l’effort, varier les méthodes, élargir ou resserrer le champ de l’étude, dépouiller les archives des particuliers, les journaux du temps, les arrêtés municipaux ; ces divers développements ne convergent pas, ne trouvent point une idée unique pour limite. Ils ont chacun pour terme la nature et le caractère de leurs auteurs, et il n’en résulte jamais qu’une évidence, qui est l’impossibilité de séparer l’observateur de la chose observée, et l’histoire de l’historien. »

Il est cependant des faits sur lesquels tout le monde s’accorde, « ce sont des coups heureux, de véritables accidents ; et c’est l’ensemble de ces accidents qui constitue la partie incontestable de la connaissance du passé ». Mais à quoi bon ce savoir, s’inquiète Courtois-Suffit, puisque « les majorités ne sont pas intellectuelles, et les passions des majorités méprisent les leçons de l’histoire », tout comme les responsables politiques : « Nous ne pouvons rien contre les dangers de la politique, et la politique pourrait bien nous envoyer nous faire tuer, un jour ou l’autre, même si nous avons prévu ce fâcheux dénouement à tous nos problèmes. » L’histoire n’empêche pas les historiens d’aller se faire tuer, et elle survit même à ceux qui prédisent sa fin.

Gabriel Hanotaux, Paul Valéry et Maurice Courtois-Suffit, À propos de l’histoire, Société des écrivains amis des livres, 1933.

Juin 2025 – #135

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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