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Jeanne d’Arc: par bon cœur et bon sens

Secrets d'Histoire


Jeanne d’Arc: par bon cœur et bon sens
Michel Bernard Photo: Hannah Assouline

Michel Bernard narre la réhabilitation de Jeanne d’Arc dans un roman original: Le Bon Sens. Il y imagine que le célèbre portrait du roi Charles VII de Jean Fouquet aurait été peint sur celui d’Agnès Sorel…


De Jeanne d’Arc, Michelet disait qu’elle avait « mené son action par bon coeur et par bon sens ». Le bon coeur, c’est le courage, la générosité. Mais le bon sens ? Nous n’aurons pas vu, le 31 mai, le visage qu’avait la Pucelle, lors des fêtes à Orléans. Occasion rêvée de nous plonger dans le livre de Michel Bernard, Le Bon sens qui fait suite à Le Bon coeur, paru, en janvier, aux éditions de la Table Ronde. 

L’histoire dans l’Histoire

L’Affaire d’Arc, c’est l’Affaire du siècle de la guerre de Cent Ans. On connaît bien l’histoire du procès de condamnation. Moins bien celle du procès en réhabilitation, dix-huit ans après la mort de Jeanne. C’est elle que choisit de raconter Michel Bernard. En novembre 1449, Charles VII entre à Rouen. Le chanoine Guillaume Manchon, greffier archiviste du procès, se souvient. Que s’était-il passé, du 9 mai au 12 mai 1431, dont témoignent les feuillets qu’il conserve précieusement dans des sacs de jute ? Le 15 février 1450, Charles VII signera la lettre qui permet de diligenter un nouveau procès. Il ne s’agit pas pour l’auteur de reconstitution historique mais d’évoquer l’enquête tenace du noyau pur et dur de ceux qui veulent rendre justice et honneur à la Pucelle. Ce qui nous vaudra, au fil des chapitres, de beaux portraits des acteurs de cette histoire, issus des plus hauts milieux ecclésiastique et universitaire. Ce premier chapitre qui se clôt sur un secret reçu en confession attise la curiosité du lecteur. 

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La toile de fond, c’est la reconquête et l’unité du royaume par Charles VII. Comme dans le Bon coeur, Michel Bernard a l’art d’intégrer les actions dans les saisons et les paysages d’une grande poésie. Voici la Normandie, quand les « fumées s’effilochent dans le ciel de feutre ». Les ciels de Loire au « bleu à peine mouillé qui se prolonge loin dans l’automne qui remplissait le roi d’une jouissance très douce et pénétrante ». Voilà le Barrois dont Michel Bernard est natif comme Jeanne, avec les étangs gelés de la Woëvre. Dans cette page de notre histoire, Rome n’est pas oubliée où s’instruit la cause de Jeanne. En 1453, l’annonce de la prise de Constantinople parvient en France. 

Les peintures de Fouquet

La trouvaille du romancier ? C’est d’avoir fait naître, de l’argumentaire politique et religieux, la surprise du « bon ressort au bon moment ». La mort, en couches, d’Agnès Sorel, la maîtresse très aimée, anéantit le Roi. Les fidèles de Jeanne se servent de ce désarroi pour susciter chez le Roi le désir de réhabiliter celle qui lui a donné le trône. Dans une mise en abîme ingénieuse, l’écrivain tisse une histoire entre les personnages, grâce aux tableaux du peintre Jean Fouquet.

Portrait de Charles VII, par Jean Fouquet, musée du Louvre.
Portrait d’Agnès Sorel d’après Jean Fouquet, Château Royal de Loches

Agnès Sorel avait fait réaliser d’elle un portrait que le roi emportait partout avec lui, enchâssé dans un retable. Agnès y était représentée, le sein gauche débordant du corset délacé. Or, il est au musée des Beaux Arts, à Anvers, un diptyque peint par Jean Fouquet, vers 1452, représentant une Vierge allaitant l’enfant Jésus, au sein très découvert dans un corsage délacé, dont le modèle, dit la tradition, aurait été Agnès Sorel. L’autre tableau de l’histoire est au Louvre : c’est celui, très célèbre, de Charles VII peint aussi par Fouquet. C’est là que Michel Bernard imagine que le Roi, voulant se délivrer de l’image obsessionnelle de « la belle embaumée » en s’unissant à elle pour l’éternité, demande au peintre de passer au blanc de céruse le tableau d’Agnès, après en avoir fait une copie, et de le reproduire, lui, le Roi, sur le corps d’Agnès. Laissons au lecteur le plaisir de découvrir le dernier avatar d’Agnès Sorel dans le diptyque de Melun qui représente le trésorier du Roi en donateur. Quels liens secrets unissent tous ces personnages ! Est-ce fantasme de romancier ? Une radiographie du portrait de Charles VII a fait apparaître, sous la figure du Roi, une Vierge, aux mêmes contours que ceux du diptyque. Ces peintures qui en recouvrent d’autres, effacées, sont fréquentes dans l’histoire de la peinture.

Un Charles VII complexe et attachant 

La figure de Jeanne, elle, c’est dans les yeux de ceux qui l’ont connue qu’elle vient à nous, diffractée, poétique, faite de nostalgie et de gaîté. Comme on l’entend « la voix » de cette fille du Barrois, « à l’éloquence rustique et fraîche » si différente de celle des clercs et qui savait si bien répondre aux questions sèches et abstraites « en allant plus haut qu’elles » ! À travers les yeux de Fouquet peignant le Roi, nous pénétrons dans la mémoire de Charles VII où remonte sa rencontre avec la Pucelle, dans la grand salle du château de Chinon. Jeanne l’avait « flairé comme un chien de chasse », reconnu et réconforté, lui, le gentil dauphin, méconnu, mal aimé. Elle lui avait rendu le trône. Il l’avait abandonnée ? C’était plus compliqué que ça. Charles VII, au visage las et majestueux, nous apparaît ici — et c’est une belle surprise— un personnage complexe, attachant. Quant au peintre Fouquet, il aurait aimé attraper le mystère de Jeanne et « le faire voir car elle était une énigme pour le royal modèle… qu’il était en train peindre. » Ce bel éloge de la peinture faite pour rendre, mieux que tout art, le mystère des êtres, n’étonnera pas les lecteurs de Deux Remords de Claude Monet.

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À ce livre foisonnant, écrit dans une langue si maîtrisée, superbement mis en page et illustré, l’auteur a mis en exergue une citation de de Gaulle — « l’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie » — une autre de Villon, tirée de son Epitaphe — « tous hommes n’ont pas bon sens rassis ». C’est sur un concours de poésie auquel participe Villon que se clôt cette fresque historique. Hommage est ainsi rendu à « la fraîcheur native du français » parlé par Jeanne : à son « bon sens » et à celui de ceux, épris de vérité, qui, loin des ruses et des calculs, l’ont servie si droitement. Avec cette folle histoire pleine de bon sens, Michel Bernard écrit là une page vraiment originale de notre grand mythe national.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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