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La logique du Mal

Une méditation implacable sur bureaucratie meurtrière du régime soviétique


La logique du Mal
Capture d'écran de la bande annonce (YouTube) D.R.

Si le cinéaste ukrainien Sergueï Loznitsa est surtout connu pour ses documentaires historiques, il a à son crédit un certain nombre de long-métrages de fiction. La dernière en date, Deux procureurs, est une exploration de la machine à broyer corps et âmes qu’était le système des Grandes Purges staliniennes. Sa rigueur et sa sobriété en font peut-être le film le plus remarquable de 2025.


Avec Deux procureurs, Sergueï Loznitsa poursuit son œuvre d’exploration des mécanismes de la terreur et de la mémoire collective. Après avoir ausculté les visages de la foule soviétique dans Blocade (2006), l’histoire d’une bataille insensée contre une forteresse impénétrable, la prison, où les forces du mal social sont constamment à l’œuvre dans Une femme douce (2017), la guerre entre séparatistes russes et l’armée ukrainienne dans Donbass (2018), la mécanique du totalitarisme dans The Trial (2018) ou la sidération historique dans Babi Yar (2021), le cinéaste ukrainien s’aventure ici du côté de la fiction, sans rien céder de la rigueur formelle et morale qui fait la marque de son cinéma.

Grandes purges staliniennes

L’action se situe en 1937, au cœur des Grandes Purges staliniennes. Le NKVD, ancêtre du KGB, fait régner la peur, multiplie les arrestations arbitraires, les tortures, les exécutions. Dans ce climat d’effroi, un jeune juriste, Alexandre Kornev (Alexandre Kouznetsov, que l’on avait découvert dans Leto de Kirill Serebrenikov), est nommé procureur dans la région de Briansk. Tout commence lorsqu’il reçoit un message d’un prisonnier, gravé dans une plaque métallique avec son propre sang. Ce signe désespéré le conduit à inspecter une forteresse-prison où il découvre, horrifié, l’ampleur des sévices commis par les autorités locales du NKVD.

L’Aveuglment dans la foi dans le P.C.

Aveuglé par sa foi dans le Parti, Kornev croit encore à la justice soviétique. Il monte à Moscou pour alerter le Procureur général, espérant dénoncer les crimes. Mais dans le dédale bureaucratique de la capitale, il s’enfonce dans un labyrinthe kafkaïen où la parole se dissout, où chaque couloir semble mener à une autre impasse. Ce parcours hallucinant devient une métaphore de l’État-machine, implacable et absurde.

Descente aux enfers

Sergeï Loznitsa filme cette descente aux enfers dans la folie institutionnelle avec une rigueur ascétique. Le cadre est fixe, souvent étouffant ; la lumière, livide, glisse du vert maladif au gris d’acier ; le montage, sec et précis, reproduit le rythme mathématique de ses documentaires. Chaque plan devient une pièce à conviction, chaque silence, un verdict. Ici, la froideur devient un instrument de dénonciation : l’horreur bureaucratique s’impose par la forme même du film.

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La logique du Mal

Deux procureurs ne cherche ni l’émotion ni la catharsis : il enregistre la logique implacable du Mal, celle d’un système totalitaire, dévoué serviteur de Satan, qui dévore les siens. En cela, Loznitsa prolonge son geste politique et esthétique — celui d’un cinéaste qui scrute les visages de la domination et refuse la consolation.

Dépouillé, glaçant, d’une beauté sèche, Deux procureurs est sans doute le plus grand film de l’année 2025 : une méditation implacable sur la foi aveugle, la bureaucratie meurtrière et la mécanique totalitaire du régime communiste soviétique. 

Deux procureurs, de Sergueï Loznitsa. (France, Allemagne, Roumanie, Lettonie, Pays-Bas, Lituanie – 2025 – 1h57 – VOSTF).

Scénario : Sergueï Loznitsa. Musique : Christiaan Verbeek. Interprétation : Alexandre Kouznetsov (Kornev), Alexandre Filippenko (Stepniak/L’homme à la jambe de bois), Anatoli Bely (Vyshynsky)…



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est directeur de cinéma.

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