Il existe des liens étonnants entre les textes bibliques, la kabbale et la parfumerie. Marie-Hélène Verdier nous initie à un monde où les textes sacrés, les plantes et les senteurs se conjuguent.
Y a-t-il un secret de parfumeur dans le Cantique des Cantiques, ce grand chant d’amour au cœur de la Bible datant de trois mille ans, attribué au Roi Salomon, qui fait dialoguer deux fiancés, dans un jardin foisonnant de fleurs et de fruits ? Les traditions juive et chrétienne y ont vu également le dialogue entre Dieu et l’homme. Saint Jérôme avait traduit le texte. Les éditions Les Murmurations en donnent une traduction nouvelle et illustrée. Un parfumeur, un parfum.
Tout parfum est une alchimie des sens, du cœur et de l’âme. Ne parle-t-on pas de « notes de tête », « de cœur », « de fond » ? D’accords et de dissonance, de gamme et de déclinaison ? De mémoire olfactive, cette capacité du cerveau à conserver le souvenir d’odeurs perçues antérieurement ? On comprend dès lors l’attirance que représente un texte sacré comme le Cantique évoquant les lys, le cinnamone, le nard, le baume, les fleurs de vigne, le cèdre et la grenade. C’est, en tout cas, dans cette quête d’un parfum caché ou perdu, que les routes d’un mathématicien, d’un parfumeur, et d’un rabbin se sont un jour croisées à Monaco, Paris pour se retrouver à Jérusalem.
Laurent Derobert, mathématicien et artiste, est un connaisseur. Il avait déjà collecté les graines des 88 plantes du jardin de Jean Giono à Manosque et celles du jardin du mathématicien de génie, Alexandre Grothendieck. Embarquant sur un voilier, il était allé sur les traces d’Ulysse récolter les graines de toutes les plantes de L’Odyssée et en avait rapporté un herbier de 40 graines. Au retour, sachant que lire c’est aussi récolter et que les plantes correspondent souvent à un savoir très précis, il fit appel à un parfumeur franco-libanais, Alexandre Helwani, pour composer, à partir de son herbier homérique, un parfum de prix. Ainsi naquit, en 2023, le parfum, PERSONNE, distribué par la maison new-yorkaise Iconofly qui connut un franc succès.
A lire aussi: La Légende dorée de Notre-Dame de Paris
Pendant ce temps, l’École Biblique de Jérusalem avait donné, pour son programme de recherche, une traduction en français moderne, du Livre de Salomon, accompagné d’illustrations de sœur Marie-Reine Fournier, avec la liste des plantes qui s’y trouvent. Liste qui arriva à la connaissance d’Alexandre Helwani. Ce fut une révélation pour le parfumeur qui vit dans ce poème une sorte de grimoire. Et qui sait, la formule d’un parfum perdu ? La chose, alors, se corsa, si l’on peut dire, quand Laurent Derobert découvrit, à Paris, une édition commentée du Cantique des Cantiques faite par un rabbin, Marc-Alain Ouaknin, aux éditions Diane de Selliers, lequel avançait l’hypothèse que ce chant d’amour alterné pouvait garder en mémoire le parfum du temple de Salomon, premier temple de Jérusalem, détruit en 587, par Nabuchodonsor. Et la lumière fut !
La méthode du rabbin était simple : celle de la guématrie ou gematria, forme d’exégèse propre à la Bible hébraïque, reposant sur des calculs numériques et des correspondances dont on laisse au lecteur le soin de découvrir les détails sur la toile. Ne restait plus qu’à retrouver les composantes des fleurs. Traque serrée ! Le résultat fut à la hauteur de l’ambition : la formule finale compte 68 ingrédients dûment collectés.
C’est ainsi que naquit la fragrance, Pardès, qui veut dire « verger » en hébreu, sigle PRDS des quatre niveaux de lecture de l’Écriture dans la tradition kabbalistique. Parfum de luxe mais sans excès, le premier tirage de 300 flacons contenant les trois matières les plus précieuses – baume de Galaad, encens de Socotra, spikenard turquoise du Bhoutan – fut épuisé aussitôt. Mais que les lecteurs se rassurent : une nouvelle édition est prévue pour après Noël.
La leçon de cette quête merveilleuse ? Un gain de parfumerie pour tous, assurément. Une soif scientifique satisfaite. Un bonheur de lecture. Une quête esthétique. Un bonheur ésotérique. En 2024, les éditions Les Murmurations – ce mot désigne les nuées organisées d’oiseaux en vol, aux configurations mystérieusement réglées – ont publié Chant des fleurs et Fleurs du chant avec ses illustrations scientifiques. Cette traduction, la première en français moderne, de la version latine, élaborée à partir de textes hébreux et grecs, « restitue la polyphonie de ce chant érotique et mystique » qui a nourri tant de chefs-d’œuvre en littérature et en peinture, sans qu’aucune explication vienne alourdir un texte souvent énigmatique.
Tout cela arriva grâce à la coordination éclairée du frère Olivier-Thomas Venard, lequel a la haute main sur la grande entreprise exégétique des temps modernes, sur le web, qu’est « La Bible en ses Traditions », qui fait converger exégèse, art, histoire, liturgie, philosophie. De ce dominicain qui vit à Jérusalem depuis 25 ans, j’aimerais recommander le dernier livre Il nous reste la foi, paru aux éditions Grasset, pour l’amour et la poésie qu’il contient.
Le cantique des Cantiques, édition polyglotte - 7 lectures poétiques : hébreu, grec, latin et quatre
Price: 29,00 €
17 used & new available from 20,21 €


