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Grâce à Bruno Dumont, Jeanne d’Arc vous regarde droit dans les yeux


Grâce à Bruno Dumont, Jeanne d’Arc vous regarde droit dans les yeux
© Les Films du Losange

Nous avons vu « Jeanne » de Bruno Dumont. Avec Lise Leplat-Prudhomme et Fabrice Luchini. Musique de Christophe. Sortie en salles ce 11 septembre 2019


L’improbable rencontre entre Jeanne d’Arc, Péguy et l’iconoclaste cinéaste Bruno Dumont vient de se reproduire avec autant d’éclat que la première fois. C’était il y a deux ans, à Cannes, sur la Croisette, pour faire bonne mesure. Le cinéaste y présentait avec son ironie habituelle son film Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc. Soit le texte de Péguy dit par des acteurs non professionnels et mis en musique par un groupe de punk-rock. On craignait le pire, on eut le meilleur. On y entendait Péguy à la perfection et Dumont savait préserver l’essentiel, même en transposant Domrémy sur ses terres du Nord. Quelques idiots utiles que le seul nom de Péguy fait fuir firent la fine bouche. La plupart des autres convinrent que décidément, excepté Luc Besson et quelques autres, les cinéastes, de Dreyer à Rivette en passant par Bresson, trouvaient en Jeanne d’Arc un personnage à la hauteur de leur foi dans le cinéma, voire de leur foi tout court.

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Le texte majestueux de Péguy

Depuis son chef-d’œuvre, L’Humanité, qui mettait en scène un flic tout droit sorti de chez Bernanos, Bruno Dumont n’en finit pas de s’interroger sur ce qui peut faire grâce au cœur même de la trivialité de nos vies quotidiennes. Ce qu’est croire ou ne pas croire. Et peu importe à quoi. Dans ce second volet de sa Jeanne d’Arc, il poursuit ainsi sa mise en majesté du texte de Péguy. Cette fois, on est loin du sol natal de la Pucelle. Nous sommes en 1429, Jeanne libère Orléans, connaît sa première défaite à Paris, est emprisonnée à Compiègne et jugée à Rouen au cours d’un procès mené par Pierre Cauchon. Et ce qui rend ce second volet tout aussi passionnant, stimulant et audacieux que le premier, c’est qu’il ne cesse d’être en rupture précisément avec le film précédent. François Truffaut disait en son temps qu’on réalise un film contre son scénario et qu’on le monte contre son tournage. Dumont pourrait reprendre à son compte cette théorie de la rupture permanente. D’un film à l’autre, il joue la carte de la dissonance. À l’ultra-présence de la musique dans Jeannette, véritable comédie musicale au bout du compte, il privilégie ici des joutes purement verbales sans autre musique que le verbe de Péguy, lequel vaut toutes les symphonies du monde. Seule la voix du chanteur Christophe se fait entendre pour un oratorio-lamento bouleversant. Aux extérieurs du film précédent correspondent ici des intérieurs qui sont comme des paysages. La cathédrale d’Amiens, dans laquelle Dumont fait se dérouler le procès, est magistralement filmée avec ses sols en labyrinthe, métaphores des arcanes de la pensée religieuse, mais aussi procédurale. Impossible d’ailleurs de ne pas penser alors à Notre-Dame de Paris : notre petite cathédrale intérieure se fait entendre, que l’on croie au ciel ou pas. Le film de Bruno Dumont tombe aussi à pic pour cela : son décor de cathédrale gothique aux allures presque baroques nous permet de guérir un peu de la blessure symbolique causée par l’incendie de la tour jumelle de Paris.

Intemporelle

Mais, au-delà de ces ruptures formelles, Bruno Dumont reste fidèle à son propos initial. Il met en scène un « mystère » comme ces spectacles que l’on représentait devant les églises au Moyen Âge. Un mystère pour un autre mystère à part entière, celui de cette jeune fille que rien ni personne n’arrête. Le cinéaste le sait bien, Jeanne d’Arc est au cœur de la nation française, contradictions comprises. C’est un héritage qui ne saurait tolérer une captation par une fraction plutôt que par une autre. Elle est définitivement universelle. Comme le dit parfaitement Dumont : « Tout le monde s’en revendique, car elle est le nœud mystique de la France. Elle est la France. Elle parle bien de la femme, mais plus encore de l’humanité. Ce n’est pas #metoo  ! Elle est intemporelle. Elle parle pour la fin des temps. Ce mythe, ce joyau de l’humanité, raconte le tout petit qui devient très grand. » Et pour incarner cette future sainte, morte à 19 ans sur le bûcher, Dumont a choisi de conserver la première actrice de sa Jeannette, la plus jeune donc. Rien d’hérétique dans ce choix (les précédentes étaient toutes plus âgées, chez Dreyer comme chez Rossellini, Rivette ou Bresson). La « petite » Lise Leplat-Prudhomme incarne à la perfection cette innocence qui ne cesse de nous regarder droit dans les yeux. Et le film avec elle.

Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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