Le naturaliste Gilbert Cochet impute au pastoralisme le saccage de certains paysages ainsi que la disparition de certaines espèces. Ce partisan du réensauvagement de la France défend le retour des prédateurs et l’ouverture de grands parcs nationaux qui seraient une manne touristique.
Causeur. Nos campagnes ne sont plus celles d’il y a huit cents ans, lorsque la forêt primaire de chênes produisait le bois de la charpente de Notre-Dame de Paris. Après des siècles de pastoralisme qui ont profondément modifié les paysages, reste-t-il des espaces naturels sauvages en France ?
Gilbert Cochet. J’en observe de plus en plus, car nos campagnes changent. Deux grands phénomènes récents se conjuguent : la déprise agricole et le retour de certains animaux. Au niveau européen, d’ici 2030, 30 millions d’hectares seront abandonnés par l’agriculture. La nature ayant horreur du vide, la forêt gagne du terrain. En France, chaque année, l’espace forestier conquiert 30 000 hectares.
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Et l’homme y réintroduit certains animaux sauvages après les en avoir chassés…
Oui. Dans ces forêts, de façon spontanée ou par réintroduction, notamment à travers le monde de la chasse, on assiste au retour des ongulés (chevreuils, cerfs, chamois…) qui sont les proies des animaux prédateurs. Les prédateurs comme le loup et l’ours jouent donc un rôle important dans la régulation naturelle du nombre de ces ongulés. On est en train d’inverser la logique de la loi de 1976, qui définissait des espèces nuisibles à éradiquer. Cela va aussi éviter le surpâturage dans certains secteurs et l’exploitation trop brutale de la forêt.
Si vous tirez sur des loups, la meute se disperse, cela donne des loups solitaires qui seront obligés de se retourner contre les brebis, parce que ce sont les proies les plus faciles. La cohabitation entre l’élevage et les grands prédateurs existe dans les pays où le loup n’a jamais disparu
Pourtant, des éleveurs comme Grégoire Laugier affirment que certains petits mammifères s’épanouissent grâce à l’élevage et aux haies installées par les agriculteurs. L’ensauvagement de la campagne pourrait les chasser.
Non, car la nature s’adapte et se reconstruit. Si les effectifs des hirondelles s’effondrent, c’est à cause des pesticides agricoles, pas des prédateurs. Quand une forêt se réinstalle, l’alouette des champs disparaît, mais le pic épeiche revient. L’homme n’a pas à choisir la biodiversité qu’il veut.
Mais l’homme choisit bien les espèces qu’il réintroduit. Quels animaux souhaitez-vous réimplanter dans nos campagnes ?
Dans un premier temps, je veux favoriser leur retour spontané. Dans la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche, on n’a réintroduit aucune espèce. Par contre sont revenus spontanément le vautour percnoptère, le faucon pèlerin, le chevreuil, la loutre, des poissons comme l’alose ou l’apron. On voudrait aussi faire revenir le cerf, qui y vivait autrefois. 84 % des Français se déclarent favorables au retour de l’ours dans les Pyrénées. Même sur place, les sondages sont très positifs. Ce n’est pas une lubie de bobos parisiens !
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Sangliers et loups prolifèrent de nouveau à la campagne au risque de menacer l’homme. Faut-il organiser des battues pour éviter leur propagation ?
Non. En Italie, on a arrêté de tirer les loups, parce que cela ne sert à rien, sinon à déstructurer les meutes, lesquelles chassent normalement leur proie préférée : le cerf. Si vous tirez sur des loups, la meute se disperse, cela donne des loups solitaires qui seront obligés de se retourner contre les brebis, parce que ce sont les proies les plus faciles. La cohabitation entre l’élevage et les grands prédateurs existe dans les pays où le loup n’a jamais disparu. En Roumanie vivent 6 000 ours, 2 500 loups, 2 000 lynx et 8 millions de brebis. Les éleveurs locaux disent n’avoir aucun problème avec le loup, parce qu’ils ont de bons chiens, de bons bergers, de bonnes pratiques.
N’est-ce pas aller contre le mouvement de l’histoire que de réintroduire le loup qu’on a eu tant de mal à éliminer ?
En Europe, le loup n’a jamais été réintroduit. Il est revenu de lui-même à partir des pays où il n’avait jamais disparu. Nous pouvons vivre avec le loup. C’est la première espèce qui a été domestiquée il y a trente mille ans. Jusqu’à l’apparition de l’élevage au Néolithique (il y a sept mille ans) en Europe occidentale, l’homme et le loup ont pratiquement vécu ensemble. Dans l’histoire, il y a eu un petit intermède de quelques milliers d’années au cours duquel le loup a été diabolisé et vilipendé. Depuis, on a effectué beaucoup d’études zoologiques pour comprendre qu’une meute de loups est une petite société avec de l’empathie, un soin apporté aux petits…
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Certes, mais nous ne sommes plus au Paléolithique. Considérez-vous le pastoralisme comme une parenthèse historique à refermer ?
Non. J’entrevois un pastoralisme différent, avec des troupeaux moins importants. Les éleveurs s’inscrivent dans une course à la subvention complètement folle. Je souhaite qu’ils soient bien rémunérés, fassent des produits de qualité et acceptent de faire une place aux prédateurs. Aujourd’hui, on a à peu près le tiers du nombre d’animaux sauvages qu’on pourrait accepter en densité, c’est dire si on a de la marge. Il y a 800 000 moutons dans les Alpes, 600 000 dans les Pyrénées, un nombre infiniment supérieur à celui des ongulés sauvages !
C’est le raisonnement des partisans d’un Yellowstone à la française. Approuvez-vous ce projet ?
Bien sûr. Il y a une nouvelle demande de nature sauvage pour des parcs nationaux et des réserves. Ce serait trop bête de passer à côté de l’écotourisme. Inspirons-nous des exemples étrangers. Aux États-Unis, Yellowstone engrange entre 30 et 40 millions de dollars par an, juste pour l’observation du loup. En Suisse, les 150 000 visiteurs annuels du parc national représentent 17 millions d’euros de retombées économiques.
Cela revient un peu à mettre la nature sous cloche. Sans élevage, nos paysages ne perdent-ils pas une partie de leur âme ?
Au contraire, des paysages français ont été littéralement massacrés par le pastoralisme. En 1830, il y avait 30 millions d’habitants et 30 millions de moutons, ce qui a complètement décharné les montagnes. Inversement, quand des millions d’hectares retournent à l’état sauvage, on se rapproche de l’état originel qui correspond à la meilleure fonctionnalité. Qui dit forêt dit en effet fixation de CO2, maintien des sols, épuration gratuite de l’eau.
À la suite de cet ensauvagement, les éleveurs pourraient être incités à se reconvertir en gentils organisateurs au service des cars de touristes. Ne craignez-vous pas la folklorisation de notre patrimoine rural ?
La France a la chance d’avoir une grande biodiversité, mais aussi une richesse des terroirs – deux facettes à ne pas opposer. Dans les gorges de l’Ardèche, j’essaie de les articuler. Deux millions de visiteurs arrivent chaque année sur la route, 200 000 en canoë et 20 000 à pied. Tout en empêchant le bivouac sauvage, on valorise le patrimoine de manière extraordinaire : des charbonniers font des démonstrations de l’usage du charbon de bois ; des conférences sont organisées sur le patrimoine bâti ; on a même sorti un livre sur les gorges de l’Ardèche. Je travaille avec les viticulteurs bio qui nous demandent d’inventorier les papillons. Cette biodiversité garantit la qualité de leur vin et leur succès auprès des consommateurs. Bref, tout le monde y gagne.
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